Notes
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[1]
Pour ne citer que ces deux ouvrages, Julia Cagé, Sauver les médias : capitalisme, fi nancement participatif et démocratie, Paris, Seuil (La république des idées), 2015 ; id., Le prix de la démocratie, Paris, Fayard, 2018.
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[2]
Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.
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[3]
Amory Gethin, Clara Martinez-Toledano et Th omas Piketty (dir.), Clivages politiques et inégalités sociales. Une étude de 50 démocraties (1948-2020), Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, Gallimard et Seuil (Hautes études), 2021. Ce travail, impliquant une quarantaine de chercheurs, avec de fortes thèses sur le divorce entre les partis de gauche et les classes populaires, n’a étrangement pas reçu l’écho médiatique réservé à la présente Histoire du conflit politique.
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[4]
Mais bizarrement pas de tableaux peut-être jugés trop rébarbatifs, comme si le souci didactique primait – alors que leur lecture est parfois plus probante.
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[5]
Ce dont on aura quelque aperçu en consultant, pages 9 et 10, la liste des remerciements qui englobe pas moins d’une soixantaine de personnes et une demi-douzaine d’institutions.
- [6]
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[7]
Et, peut-on ajouter, dans le monde, au regard de l’ancienneté des pratiques de vote, de la finesse du découpage communal et de la qualité de l’archivage des données publiques en France.
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[8]
Lire récemment Daniel Gaxie, « La fin des votes de classe ? 1re partie : qu’entend-on par vote de “classe” ? », La pensée, n° 415, 2023, p. 113-123.
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[9]
Voir (à partir, il est vrai, des seuls bureaux de vote urbains) les travaux souvent plus détaillés et heuristiques de Jean Rivière, et notamment « L’espace électoral des grandes villes françaises. Votes et structures sociales intra-urbaines lors du scrutin présidentiel de 2017 », Revue française de science politique, vol. 67, n° 6, 2017, p. 1041-1065 ; id., L’illusion du vote bobo. Configurations électorales et structures sociales dans les grandes villes françaises, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.
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[10]
Lesquelles, par leur degré de précision, s’avèrent pour le coup plus éclairantes et signalent les limites de la méthode employée par les auteurs, quand elles ne les contrarient pas. Sur le rôle de la richesse des communes dans la variation des taux d’inscription qui pour les auteurs n’exerce qu’un « effet modeste » (p. 262-265), l’enquête Participation de 2022, sur la base de relevés individuels, relève par exemple que « parmi les 25 % de personnes les plus modestes, 83 % sont inscrites sur les listes électorales, contre 96 % parmi les 25 % les plus aisées » (Kilian Bloch, « Élections présidentielle et législatives de 2022 : seul un tiers des électeurs a voté à tous les tours », INSEE Première, n° 1928, 2022).
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[11]
Ce qui n’empêche pas de souscrire à l’affirmation, maintes fois réitérée, selon laquelle le fait que le débat public se focalise souvent sur les questions identitaires témoigne avant tout de l’oubli de la question sociale et de l’abandon de toute perspective ambitieuse de transformation du système économique, dans un contexte de forte aggravation des inégalités territoriales.
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[12]
De manière plus générale, sont particulièrement convaincantes les démonstrations menées sur les débuts ou queues de distribution (dernier décile, premier centile…) de richesses.
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[13]
Alain Desrosières, « Séries longues et conventions d’équivalence », Genèses. Sciences sociales et histoire, n° 9, 1992, p. 92-97.
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[14]
Le passage fameux, entièrement reproduit dans l’ouvrage, des Souvenirs de Tocqueville sur l’élection de 1848 dans son village, en est pourtant un beau témoignage.
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[15]
Sur la critique de l’exportation, sur toute la période, d’une nomenclature élaborée au début des années 2000 : Frédéric Gilli, « Une histoire du conflit politique sans géographie », Métropolitiques, 21 septembre 2023.
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[16]
Rappelons-le, non pas 1 % des communes (environ 360) mais le 1 % de la population vivant dans les communes les plus riches, afin de comparer une fraction constante des électeurs au cours du temps.
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[17]
Avec parfois certaines formes de repentir comme cette incise : « Il existe une réelle continuité dans la structure sociale des électorats, ce qui montre que les électeurs s’y retrouvent – au moins jusqu’à un certain point » (p. 360).
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[18]
« La question n’est pas de savoir si la politique existait à la campagne. Chaque collectivité était, en un certain sens, une polis. La question est de savoir si les intérêts locaux, sui generis, peuvent être interprétés en termes (familiers pour nous) de politique nationale […]. En d’autres termes, la politique nationale devint importante, quand on s’aperçut que les affaires nationales affectaient les personnes et les régions impliquées. Mais avant que cela puisse être perçu, il devait se produire un processus d’implication réel » (Eugen Weber, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale (1870-1914), Paris, Fayard, 1983, p. 353).
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[19]
Même s’ils s’en distancient sur l’importance des phénomènes d’emprise et de domination en reprenant les analyses de Paul Bois ou de Charles Tilly.
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[20]
Sur ce point, je me permets de renvoyer aux chapitres II et VI de mon ouvrage, Le vote. Approches sociologiques de l’institution et des comportements électoraux, Paris, La découverte (Grands manuels), 2011.
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[21]
Sur ce point, la référence demeure l’ouvrage séminal en France, de Daniel Gaxie, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil, 1978.
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[22]
Lire par exemple, sous la direction de Jean-Louis Briquet et Frédéric Sawicki, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, PUF, 1998.
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[23]
Michel Offerlé, « Deux siècles d’alternance. À propos de : Julia Cagé & Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique », La vie des idées, 26 septembre 2023 ; Laurent Le Gall, « L’analyse de Cagé et Piketty sur le vote fait de la variable territoriale une des matrices des comportements politiques », Le Monde, 6 septembre 2023.
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[24]
Collectif Sociologie politique des élections (dir.), Les sens du vote. Une enquête sociologique (France 2011-2014), Rennes, Presses universitaires de Rennes (Res publica), 2016 ; Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin et Sandrine Lévêque (dir.), Voter par temps de crise, Paris, PUF, 2021.
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[25]
Exception notable, l’enquête à Saint-Denis de Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires, Paris, Gallimard (Folio actuel, 129), 2007.
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[26]
Benoît Coquard, « Les obstacles à “la reconquête du vote populaire rural” : discussion sur l’ouvrage de Cagé et Piketty », The conversation, 21 septembre 2023.
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[27]
Grand merci aux relecteurs de cette recension.
À propos de…
1 Le magnum opus de Julia Cagé et Th omas Piketty, loin de constituer une incursion soudaine dans l’aire d’analyse du Politique, se présente plutôt comme le prolongement et l’aboutissement de travaux antérieurs. Chercheurs à l’École d’économie de Paris, que le second avait co-fondée avec Daniel Cohen, tous deux manifestent depuis long-temps une appétence certaine pour les diff érentes torsions que subit en pratique l’idéal démocratique. C’est le cas pour Julia Cagé à travers l’analyse du rôle de l’argent en politique ou de la concentration des médias [1], tandis que Th omas Piketty, six ans après la publication en 2013 de son fameux Capital au xxie siècle, analysait les idéologies qui pouvaient historiquement justifi er les inégalités de revenu et de patrimoine [2], puis en 2021 participait à une recherche collective qui comparait les transformations de la structure des électorats de 1948 à 2020 dans cinquante pays [3].
2 Noblesse oblige, on peut aborder cette « somme » (substantif le plus souvent utilisé à réception de l’ouvrage) par son versant chiffré : 4 parties, 14 chapitres, 47 cartes (souvent suggestives du fait de leur finesse, puisque descendant au niveau communal, mais parfois peu lisibles par le choix des progressions de couleur), 273 graphiques (l’instrument principal de visualisation des thèses avancées [4]), 854 pages… et, sur le site dédié auquel sont renvoyés les lecteurs, des milliers de fichiers Excel et autant de graphiques. Au-delà du nombre de pages, ce qui frappe avant tout, c’est l’énorme travail – évidemment collectif [5] – d’archivage, de numérisation puis d’exploitation de données électorales couvrant, sauf exceptions, les 36 000 communes métropolitaines, une période longue de deux siècles et demi (de 1789 à 2022, exception faite des épisodes impériaux et de la Restauration) et 58 scrutins (principalement législatifs car ce sont les plus réguliers, mais aussi les douze élections présidentielles – 1848 compris – et cinq scrutins référendaires). Le tout se doublant de la mise à disposition du public d’un site de données qui reprend le titre de l’ouvrage [6], et rend les démonstrations des auteurs pour partie falsifiables.
3 Cette base de données électorales sans précédent en France [7] est de surcroit systématiquement croisée avec ce qu’on pourrait nommer des données sociales, au sens large du terme : résultats des recensements, bien sûr, bases de données fiscales et notariales, relevés des signatures dans les actes de mariage, proportion de prêtres réfractaires en 1791, part des enfants scolarisés dans les écoles privées et religieuses, etc. Là encore on doit saluer cette diversité des sources et la variété des rapports sociaux revisitée notamment dans la première partie de l’ouvrage.
4 Si l’on veut bien entrer un peu plus dans les cuisines de cette impressionnante recherche, on suggèrera que l’ouvrage est structuré autour de quatre axes de travail.
5 Le recours à la longue durée, d’abord, soit le fait « d’écrire une histoire des comportements électoraux et des inégalités sociales parcourant plus de deux siècles, ce qui permet de renouveler les réflexions sur la période présente, laquelle est par certains aspects plus proche de la situation qui prévalait à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle que de celle des Trente Glorieuses » (p. 23). On verra toutefois que cet étirement de la période d’observation n’est pas sans poser quelques problèmes.
6 Deuxième axe, la patiente recherche des inégalités de toutes sortes structurant les comportements électoraux, et donc le calcul systématique d’écarts relatifs entre communes riches et pauvres, écarts de revenu et de patrimoine, écarts de niveau d’instruction, de participation électorale et surtout écarts d’orientation électorale entre les trois « blocs » politiques identifiés par les auteurs et qu’ils font courir sur plus de deux siècles : pour schématiser gauche/centre/droite, tripartition rebaptisée pour la période actuelle « bloc social-écologiste », « bloc libéral centriste » et « bloc national-patriote ». Troisième axe de travail, le regroupement puis le classement des 36 000 communes métropolitaines dans une typologie en huit classes (beaucoup plus précise donc que la grossière dichotomie de Christophe Guilluy opposant France des métropoles à France périphérique), qui articule un critère principalement démographique permettant de distinguer des catégories d’analyse géographique (les « villages », les « bourgs », les « banlieues » et les « métropoles ») et un critère socio-économique différenciant, à l’aide de la médiane et au sein de chacune de ces quatre catégories, communes riches et communes pauvres (ce que certains analystes du « périurbain » ne prennent pas toujours la peine de faire).
7 Dernier outil, la notion de « classe géosociale » qui, de manière multidimensionnelle, combine l’inscription spatiale des habitants dans l’une des huit catégories précitées et les différentes déclinaisons de leur carte d’identité sociale (profession, revenu, patrimoine, âge, niveau de diplôme…). On fera part de deux regrets à ce stade. En premier lieu, que cette notion – pourtant centrale dans le livre – ne fasse pas l’objet d’un véritable effort de conceptualisation, ou à tout le moins d’une discussion avec les nombreux travaux sur les groupes et classes sociales et les débats afférents (appartenance objective, sentiment subjectif d’appartenance, combinaison de ces deux dimensions et instruments de mesure…) [8]. En second lieu, que le niveau communal retenu ne permette pas, notamment dans les plus petites communes, un découpage socioprofessionnel plus fin, par exemple en recourant aux catégories socioprofessionnelles à deux chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) [9].
8 Outre cet imposant travail de collecte et de traitement des données, c’est l’ampleur des ambitions affichées par les deux auteurs qui caractérise le mieux cet ouvrage. De manière générale, il s’agit de « repenser le conflit politique à partir des classes géo-sociales ». Plus précisément, dans l’introduction, c’est au moins à une demi-douzaine de questions que les auteurs entendent répondre :
« Qui vote pour qui et pourquoi ? Comment décrire la structure sociale des électorats des différents courants politiques ? A-t-elle évolué en France de 1789 à 2022 ? Dans quelle mesure les diverses coalitions au pouvoir et dans l’opposition ont-elles su rassembler les classes populaires, moyennes et aisées et fédérer des intérêts divergents ? Comment cela a-t-il participé au processus de développement social, économique et politique du pays ? Comment les multiples dimensions caractérisant la classe sociale et les inégalités socio-spatiales déterminent-elles le choix du vote des uns et des autres – ainsi que le fait de participer ou non aux élections ? » (p. 10)
9 On est à la fois emporté par une telle ambition et un tel souffle et rendu perplexe quant à la capacité non pas de formuler ces questions, toutes très légitimes, mais de les résoudre même partiellement. Ainsi, la première interrogation (« Qui vote pour qui et pourquoi ? ») se dédouble-t-elle en deux questions très différentes, la seconde (pourquoi vote-t-on ? et, dans l’affirmative, pourquoi pour telle formation plutôt que pour une autre ?) étant tout sauf simple, difficilement soluble avec les seuls matériaux et méthodes déployés dans l’ouvrage, donc demeurant après lecture de l’ouvrage, posée. On explicitera ici nos remarques autour de trois rubriques. En premier lieu, des points d’accord pour des prises de position scientifique que l’on partage d’autant plus qu’on a pu, avec d’autres, dans des recherches individuelles ou collectives de sociologie électorale, les endosser et les éprouver même si c’est par d’autres moyens. En second lieu, on relèvera quelques apports singuliers de cet ouvrage. Puis viendront les réserves et objections permettant de nourrir le débat auquel les auteurs convient dans les toutes dernières lignes de leur recherche.
10 On citera principalement trois points d’accord relatifs au retour à l’analyse écologique, à la recherche préalable des déterminants sociaux de la participation électorale, enfin à ce que les auteurs nomment « l’approche sociologique des électorats ».
11 L’un des paradoxes des analyses électorales veut qu’on recoure de moins en moins aux statistiques électorales ou à l’environnement social dans lequel les votes sont encastrés, pour privilégier, dans l’administration de la preuve, des questions de sondages portant sur les valeurs, les émotions, ou la psychologie des votants… Or, on ne le sait que trop, on peut adresser de nombreux reproches aux usages monomaniaques de l’outil sondagier et singulièrement à la représentativité des échantillons réunis, comme à la fréquente surinterprétation des réponses extorquées. Il faut donc saluer ce retour aux méthodes écologiques par croisement des données électorales avec ce qu’on peut savoir, via la statistique publique, des caractéristiques sociales des unités de vote.
12 Avec une objection classique, que les promoteurs des sondages ont brandie très tôt pour discréditer les analyses environnementales : le biais écologique ou paradoxe de Robinson. En substance, on ne peut en toute rigueur inférer de relations saisies à un niveau agrégé (une commune par exemple) l’existence des mêmes relations au niveau des individus. En fait, ce biais, rappelé avec honnêteté (p. 23 ou 295-209), est largement contourné quand on procède à un niveau très ou relativement désagrégé (le bureau de vote ou les 36 000 communes pour nos auteurs). Un possible contresens subsiste toutefois : ce qui est pour l’essentiel décrit dans cet ouvrage, c’est moins le comportement électoral des électeurs que celui des communes ou groupes de communes, ce que certaines formulations dans le texte et surtout certaines lectures trop empressées de l’ouvrage pourraient parfois laisser penser. Deuxième point d’accord, on sera sensible au fait que près de 120 pages et une partie entière sur les quatre que comporte le volume soient consacrées à la participation électorale voire, en amont, à l’inscription sur les listes électorales qui est souvent la mal aimée des analyses. On dispose certes d’excellentes études sur l’abstention (l’ouvrage pionnier d’Alain Lancelot, plus récemment les travaux de François Héran, Jean-Yves Domargen, Céline Braconnier ou Camille Peugny, assis sur les précieuses enquêtes « Participation électorale » de l’INSEE [10]) ; mais ces analyses sont souvent ignorées des analyses classiques et dominantes des scrutins, lesquelles ne portent trop souvent que sur la distribution des seuls suffrages exprimés.
13 La profondeur historique revendiquée permet de souligner que la baisse de la participation qu’on enregistre en France depuis le début des années 1980 a atteint lors des toutes dernières consultations législatives un niveau jamais rencontré depuis 1848. Plus encore, comme le soulignent avec justesse J. Cagé et T. Piketty, « il est frappant de constater la chute particulièrement spectaculaire dela participation au sein des communes les plus ouvrières », qui tranche avec une participation qui, dans les années 1950-1970, et singulièrement dans les municipalités communistes, était souvent supérieure à la moyenne nationale, voire à celle des communes riches. « Il s’agit là d’une forme de régression démocratique particulièrement inquiétante. […] deux siècles après la Révolution française, les classes populaires semblent se retirer du jeu électoral dans des proportions inédites » (p. 269-272).
14 Ici toutefois, un autre regret : pourquoi, quand les données étaient disponibles – et elles le sont souvent depuis longtemps –, ne pas avoir persévéré et être allé jusqu’au bout de la démarche en recalculant, dans les deux parties suivantes, toutes les données électorales en pourcentage des inscrits et non pas des exprimés ? Cela aurait fourni des perspectives nouvelles sur l’ancrage spatial et social des différents « blocs » étudiés, en atténuant la portée de certains constats (calculée en pourcentage des inscrits, la défaveur récente des communes urbaines populaires vis-à-vis du « bloc de gauche » est autrement plus sensible que ne l’avancent nos deux auteurs) ou, au contraire, en en confortant puissamment d’autres (sur les caractéristiques de « l’électorat » Macron, par exemple, encore plus « typé » socialement si on le rapporte au total des électeurs inscrits).
15 Un autre point d’accord, d’ailleurs lié au précédent, peut être relevé : « l’approche sociologique des électorats », comme la nomment les auteurs, même si cette expression est quelque peu trompeuse. Une des tendances les plus prégnantes des analyses électorales contemporaines consiste à s’émerveiller d’une irréversible individualisation des votes, les électeurs ne connaissant plus d’autres déterminismes que ceux de leurs propres déterminations. Variante : la glose sur le déclin inexorable des « variables lourdes », que – énoncé sous-jacent – seuls des analystes grossiers ou rétrogrades s’échineraient encore à utiliser. Cet ouvrage, en rapportant systématiquement les votes aux propriétés sociales des communes résidentielles, mieux en tentant d’évaluer le poids de ces différentes variables ou de leurs interactions, parvient à une conclusion pour le moins contreintuitive au regard de l’humeur du temps : le rôle prépondérant de la « classe géo-sociale » pour saisir et comprendre les différences de participation puis d’orientation électorale entre les communes étudiées : « de la présidentielle de 1848 à celles de 2022, la part de la variance de la participation communale expliquée par les variables socio-démographiques (au sens du R2 de la régression multifactorielle) est passée d’environ 30 % à plus de 70 % » (p. 293-294). Même remarque et mêmes proportions s’agissant des différences d’orientation électorale entre les différentes communes.
16 On retiendra par ailleurs deux singularités de cette recherche.
17 Si le titre de l’ouvrage, Une histoire du conflit politique, est discutable (il est en fait essentiellement question de compétitions électorales), le sous-titre Élections et inégalités sociales en France (1789-2022) répond, de manière à ce jour inédite, au contenu de l’ouvrage. La première partie, sorte de toile de fond infrastructurelle analysant l’évolution « des inégalités socio-spatiales en France depuis la Révolution », est captivante et politiquement très suggestive (notamment le remarquable chapitre 4 consacré à « la nouvelle diversité des origines »). On dispose ensuite dans plusieurs chapitres (notamment du 9 au 11) d’une synthèse sur l’histoire électorale française éclairée par les mutations sur deux siècles des différents rapports inégalitaires mis à plat dans la première partie. Rédigée par deux chercheurs qui n’ont pas oublié leur discipline d’origine, cette synthèse innove par l’insistance portée durant cette longue période sur les politiques budgétaires et fiscales poursuivies. En cela, on est heureusement éloigné de l’histoire politique événementielle classique.
18 Le caractère multidimensionnel des conflits déchirant le pays s’avère particulièrement heuristique quand il s’agit d’analyser des scrutins particuliers : le référendum de 1793 analysé, à la différence de celui de 1795, comme « un vote rural et antinobiliaire » ; les législatives et présidentielle de 1848-1850 (avec mise en scène d’un duel parlementaire entre Proudhon et Thiers sur les rapports de propriété) ; le référendum de 2005 qui cristallise quasiment à l’état pur les écarts de revenu et de patrimoine. Sont longuement explicitées des dynamiques de longue ou moyenne durée : l’opposition urbain/rural, la gauche en passe de devenir le parti des « sociaux-diplômés », les transformations des votes Front national (FN) puis Rassemblement national (RN), leur ruralisation, et leur « séparation » d’avec les territoires de forte immigration. Pour autant, le fait qu’il n’y ait plus coprésence territoriale entre immigrés et électeurs lepenistes, ou encore que les origines des électeurs n’expliqueraient pas plus de 2 % de la variance communale sur les écarts gauche/droite, ne saurait, sauf périlleux court-circuit interprétatif, s’analyser comme une marginalisation des préoccupations dites « identitaires » chez les électeurs frontistes. Dans ce domaine où prédominent des représentations symboliques à la fois fortes et complexes ainsi que des définitions différentes et concurrentes de l’altérité, on doute qu’un simple calcul de corrélation ou qu’une régression prétendant isoler « l’effet pur » des origines suffise à épuiser et à clore le problème [11].
19 On appréciera par ailleurs des résultats plus ponctuels intéressant des candidats que leur maigre score laissait en deçà des radars fournis par les enquêtes réalisées le jour du vote (Tixier-Vignancour en 1965, Madelin en 2002, ou Zemmour vingt ans plus tard, les Verts ou les candidats « trotskystes » depuis 1974). Est également démontré que « l’électorat Macron » est, comparativement à ses « homologues » de la droite présidentielle (Giscard d’Estaing, Chirac, Sarkozy), « le plus bourgeois », non pas tant du fait de sa forte pénétration dans les communes les plus riches que par sa raréfaction dans les plus pauvres [12].
20 Autre singularité de l’ouvrage, l’engagement civique affiché des auteurs que condense – de manière un peu emphatique – sa couverture publicitaire : « un ouvrage essentiel pour retrouver la voie du progrès ». Au fil des pages, est dépliée une idée centrale articulée autour de trois axiomes. – La bipolarisation, fondée sur des oppositions d’intérêt « classistes », est porteuse d’une dynamique de « progrès économique, social et démocratique » quand la tripartition au contraire, en divisant les classes populaires, favorise le statu quo voire l’aggravation des inégalités par le maintien au pouvoir de forces essentiellement dirigées par les élites économiques ou sociales.
- Nous vivons actuellement cette situation de tripartition, qui « s’accompagne souvent d’une division des classes populaires rurales et urbaines autour de conflits identitaires » (p. 40), avec des classes populaires urbaines qui penchent plutôt pour « le bloc social-écologique », des classes populaires rurales pour le RN, et des classes favorisées massivement ralliées au « bloc » central-libéral au pouvoir.
- Il faudrait donc revenir à une bipartition gauche/droite, ce qui suppose que le bloc social-écologique reconquière une partie des classes populaires résidant dans les bourgs et les villages. Suit l’énoncé de pistes programmatiques (reconstitution des services publics en zone rurale, protection douanière ou règlementaire pour inverser le processus de désindustrialisation…). Si la conclusion de l’ouvrage présente aussi d’autres scenarii plus sombres, tout au long des chapitres sont égrenées des propositions (sur le calendrier électoral, les « bons pour l’égalité démocratique », le référendum délibératif, la mixité sociale à l’école, la lutte contre le dualisme de l’enseignement supérieur…) ponctuant utilement les développements. Cannibalisé par des appropriations proprement politiques (voire intra partisane dans le cas de la France insoumise) – que du reste appelaient les auteurs qui ont su, ce faisant, produire leur réception –, Une histoire du conflit politique mérite aussi que soit ouvert un débat proprement scientifique, nourri de réserves, d’objections ou d’interrogations. On en formulera cinq.
21 Sans vouloir trop sacrifier à « l’idole de la datation » pourfendue par Marc Bloch, la périodisation de l’ouvrage et le balancement entre bipolarisation et tripartition laissent sceptiques ; ce notamment sur la période 1919-2000. On peut lire en effet que « c’est bien la bipolarisation qui caractérise le conflit politique pendant la majeure partie du xxe siècle » (p. 477), « bipolarisation particulièrement forte entre 1910 et 1992 » (p. 12) même si « en pratique, il existe des raisons fondamentales expliquant pourquoi la bipartition est toujours incomplète et instable » (p. 473). La sous-période 1958-1995 est quant à elle qualifiée de « bipartition pure ». Or, à bien y réfléchir, la vie politique française (systèmes d’alliances au sommet, programmes électoraux, représentations des électeurs, visions et principes de division du monde social) n’a véritablement été bipolaire qu’entre 1924 et 1926 (Cartel des gauches, juste avant le lancement de la stratégie communiste, « classe contre classe »), puis de 1935 à 1937 (autour du Front populaire), de 1972 jusqu’en 1984 (Programme commun, d’ailleurs remis en cause dès 1978, puis gouvernement Mauroy) et enfin de 1997 à 2002 (Gauche plurielle et gouvernement Jospin) – soit en calculant large, un (petit) quart de siècle. La IVe République après le départ des ministres communistes et les succès du Rassemblement du peuple français (RPF) vit en régime de tripartition, animée par des coalitions dites de Troisième Force. Du même coup, les analyses menées sur les bienfaits supposés de la bipolarisation de 1919 à 2002 peuvent être sérieusement relativisées, et le sens de cette causalité interrogée. Autre problème lié s’agissant de cette analyse de longue durée, celui de l’anachronisme des séries longues ou de l’illusoire constance du nominal, questions déjà épinglées il y a trente ans par Alain Desrosières quand, dans la présente revue, il évoquait la fragilité des conventions d’équivalence dès lors qu’il s’agit de reconstituer des séries de longue durée (par exemple, celles relatives au « chômage ») [13]. Par « illusoire constance du nominal », on entendra simplement le fait qu’on peut douter qu’un même terme (« élection » ou « vote ») revête la même signification ou remplisse les mêmes fonctions de la Révolution française aux premières décennies du xxie siècle. Selon toute probabilité, ce que voter veut dire engage dans le temps (ici deux siècles et demi) et dans les différents espaces étudiés (à la fois géographiques et sociaux) des acceptions très différentes [14], bref n’emporte pas le même sens (au double sens d’orientation et de signification) – ce que toute analyse sociologique se doit d’abord de restituer.
22 Plus techniquement, on fera état de doutes renvoyant aux difficultés de reconstitution de séries aussi longues. Ainsi de la typologie en huit classes (campagnes, bourgs, banlieues, métropoles, à chaque fois riches ou pauvres) qui repose sur des statistiques de l’INSEE du début des années 2020, grille ensuite exportée sur toute la période. Comme si, pour ne prendre que cet exemple, le seuil de 100 000 habitants retenu pour identifier les métropoles emportait le même sens en 1790 et en 1970 [15]. Inversement (et on conçoit alors mieux les difficultés de cette entreprise au long cours), le cas des communes « les plus riches » (le premier centile par exemple) est souvent – et avec profit – sollicité pour évoquer par exemple l’opportunisme politique de leurs résidents. Le problème (inverse du précédent) vient ici du fait que d’une période à l’autre, ce 1 % [16] ne désigne pas, sauf exceptions (Neuilly-sur-Seine, 7e et 16e arrondissements parisiens), les mêmes sites, « varie au cours du temps et se situe généralement entre 30 et 140 communes, le plus souvent autour d’une centaine » (p. 444). La fraction des électeurs que l’on va comparer sur plusieurs décennies est bel et bien constante (1 %), mais pas l’échantillon des villes où ils habitent…
23 Autre réserve, les taxinomies partisanes et principes de classement politique utilisés. Sans qu’il soit nécessaire d’en appeler à Gramsci, il serait sans doute utile de définir d’une manière autre que purement additive ce qu’il faut entendre par « bloc politique », notion qui, au même titre que la « classe géosociale », est à la fois centrale mais demeure à la lecture très plastique et conceptuellement fragile tout au long de l’ouvrage. Posent souvent problème, faute de définition préalable, les contours, la composition et le degré de réalité de ces « blocs ». Un seul exemple, le plus contemporain, qui mobilise une grande partie du chapitre 13 : celui du bloc « national-patriotique » dans lequel à partir de 2022 sont rangés le RN, Reconquête (Zemmour) et Les Républicains (LR) alors même que, par la suite, les auteurs doivent admettre « que ce bloc national-patriote est traversé par d’immenses contradictions, à tel point que l’on peut se demander si le parti LR ne devrait pas plutôt être rattaché au bloc libéral-progressiste » (p. 598) et que (cinq pages plus loin), il leur faut bien concéder que « le “bloc national-patriote” n’est pas véritablement un bloc politique, au sens où ses différentes composantes auraient bien du mal à gouverner ensemble ». Ce qui pourrait constituer une première définition implicite de ce qu’est « un bloc » …
24 Quatrième réserve, qui n’est pas la plus mince, les auteurs semblent tout au long de l’ouvrage suggérer qu’on peut interpréter politiquement les votes… tous les votes, en tout temps et en tout lieu [17]. Un seul petit exemple, frappant car il se trouve à la fois en début d’ouvrage et en début de période : sous la Révolution française, en général « la participation était plus élevée dans les campagnes, ce qui montre une forme d’enracinement et d’appropriation démocratique particulièrement forte » (p. 49, souligné par nous, et inférence pour le moins audacieuse). Affirmation que les travaux d’Eugen Weber sur une partie de la paysannerie française, portant sur une période pourtant postérieure (1870-1914), relativisent sérieusement [18]. De manière générale, pour procéder sur une longue période aux calculs précités, il faut faire comme si tout vote était l’expression d’une conviction politiquement orientée, et donc pouvait se lire, se calculer et s’interpréter comme la réponse ajustée à une offre politique donnée.
25 Placée sous les auspices d’André Siegfried (p. 26) [19], cette « histoire du conflit politique » est redevable des mêmes critiques méthodologiques que celles que l’on peut adresser au Tableau politique [20]. Pour démontrer qu’il existe bien un ordre électoral dont on peut percer les lois, Siegfried et un siècle plus tard nos deux auteurs doivent en passer par trois étapes, la dernière étant la plus périlleuse mais aussi la moins perçue comme telle parce que la moins spectaculaire. 1) Procéder, sur la base de nomenclatures fluctuantes, à un étiquetage politique – chronophage et parfois laborieux – de centaines de candidats qui n’affichent pas toujours leurs inclinations politiques ou en changent fréquemment ; 2) regrouper ces labels partisans pour le moins labiles en grands « blocs » ou « tempéraments », permettant de simplifier la nomenclature et d’opérer des comparaisons dans le temps ; 3) et surtout admettre (chez Siegfried, au moyen d’arguments d’autorité du type « il n’est pas douteux… ») que les électeurs se sont déterminés principalement en fonction des attaches politiques du candidat pour lequel ils viennent de voter. En clair, Siegfried devait, pour commencer sa recherche, (pré)supposer la double équivalence entre votes exprimés, opinions politiques des électeurs et étiquettes des candidats – les premiers étant l’expression des deuxièmes via les indications fournies par les troisièmes. Dans l’établissement de leurs calculs, nos auteurs ne procèdent pas différemment. Siegfried toutefois, instruit de sa propre expérience de candidat malheureux, admettait deux exceptions, pourtant majeures (elles font plus qu’infirmer la règle d’une politisation naturelle et spontanée) mais qu’il ne pouvait que minimiser comme le font du reste J. Cagé et T. Piketty qui l’ignorent totalement : l’indifférentisme (distance au politique, socialement indexée [21]) et la pression électorale (entre autres, votes clientélistes [22]). On peut d’ailleurs se demander si la réduction historique de la variance départementale (pour la participation électorale : 23 % en 1848, 7 % en 2022) ne provient pas de l’unification des marchés politiques, signe d’une plus grande politisation relative des votes à mesure qu’on se rapprocherait de la période contemporaine, donc de la difficulté à les traiter sur deux siècles et demi de manière indifférenciée.
26 Dernière réserve, déjà formulée par plusieurs spécialistes de sociohistoire [23], l’intégration problématique, car largement formelle, de recherches non explicitement quantitativistes. Plusieurs enquêtes basées sur des entretiens approfondis (menées par les collectifs Spel (Sociologie politique des élections) ou Alcov (Analyse localisée et comparative du vote), par exemple [24]) ou des analyses ethnographiques (ainsi celles de Benoît Coquart ou de Violaine Girard) sont certes citées en notes [25] ; mais elles ne sont jamais véritablement articulées aux différentes démonstrations des auteurs et ne les enrichissent que très marginalement. Or, on peut faire le pari qu’une meilleure confrontation à ces recherches ethnographiques et contextuelles compléterait avantageusement l’explication, enrichirait la compréhension des relations établies, permettrait de mieux problématiser ou de nuancer certains constats statistiques. On pense, pour ne prendre que ce seul exemple, aux réflexions de B. Coquart doutant que le sentiment d’abandon des habitants des bourgs et villages (très souvent documenté dans l’ouvrage) soit la clé ouvrant toutes les portes du vote RN dans les campagnes. « Loin de se vivre en permanence comme “abandonnés” par Paris, ces hommes et femmes [des classes populaires] ont accès à une reconnaissance locale et rejettent fortement le mode de vie urbain. […] Les réduire, par une bienveillance située socialement, à cette image d’abandonnés ne ferait probablement que susciter chez eux le sentiment d’être incompris [26] ».
27 Au regard de l’engouement actuel pour les big data et le traitement sériel des données, on se prend à penser à cette formule d’un des « Prix Nobel de Sciences économiques » – l’un des plus ouverts et le moins suspect d’impérialisme économique, Kenneth J. Arrow – qui, travaillant les rapports entre micro et macroéconomie, entre préférences individuelles et choix sociaux, parlait pour le déplorer de « no bridge ».
28 En lisant cette Histoire du conflit politique, il apparait que nous avons encore quelques progrès à accomplir pour construire, consolider et cheminer collectivement sur ces ponts [27].
Notes
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[1]
Pour ne citer que ces deux ouvrages, Julia Cagé, Sauver les médias : capitalisme, fi nancement participatif et démocratie, Paris, Seuil (La république des idées), 2015 ; id., Le prix de la démocratie, Paris, Fayard, 2018.
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[2]
Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.
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[3]
Amory Gethin, Clara Martinez-Toledano et Th omas Piketty (dir.), Clivages politiques et inégalités sociales. Une étude de 50 démocraties (1948-2020), Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, Gallimard et Seuil (Hautes études), 2021. Ce travail, impliquant une quarantaine de chercheurs, avec de fortes thèses sur le divorce entre les partis de gauche et les classes populaires, n’a étrangement pas reçu l’écho médiatique réservé à la présente Histoire du conflit politique.
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[4]
Mais bizarrement pas de tableaux peut-être jugés trop rébarbatifs, comme si le souci didactique primait – alors que leur lecture est parfois plus probante.
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[5]
Ce dont on aura quelque aperçu en consultant, pages 9 et 10, la liste des remerciements qui englobe pas moins d’une soixantaine de personnes et une demi-douzaine d’institutions.
- [6]
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[7]
Et, peut-on ajouter, dans le monde, au regard de l’ancienneté des pratiques de vote, de la finesse du découpage communal et de la qualité de l’archivage des données publiques en France.
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[8]
Lire récemment Daniel Gaxie, « La fin des votes de classe ? 1re partie : qu’entend-on par vote de “classe” ? », La pensée, n° 415, 2023, p. 113-123.
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[9]
Voir (à partir, il est vrai, des seuls bureaux de vote urbains) les travaux souvent plus détaillés et heuristiques de Jean Rivière, et notamment « L’espace électoral des grandes villes françaises. Votes et structures sociales intra-urbaines lors du scrutin présidentiel de 2017 », Revue française de science politique, vol. 67, n° 6, 2017, p. 1041-1065 ; id., L’illusion du vote bobo. Configurations électorales et structures sociales dans les grandes villes françaises, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.
-
[10]
Lesquelles, par leur degré de précision, s’avèrent pour le coup plus éclairantes et signalent les limites de la méthode employée par les auteurs, quand elles ne les contrarient pas. Sur le rôle de la richesse des communes dans la variation des taux d’inscription qui pour les auteurs n’exerce qu’un « effet modeste » (p. 262-265), l’enquête Participation de 2022, sur la base de relevés individuels, relève par exemple que « parmi les 25 % de personnes les plus modestes, 83 % sont inscrites sur les listes électorales, contre 96 % parmi les 25 % les plus aisées » (Kilian Bloch, « Élections présidentielle et législatives de 2022 : seul un tiers des électeurs a voté à tous les tours », INSEE Première, n° 1928, 2022).
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[11]
Ce qui n’empêche pas de souscrire à l’affirmation, maintes fois réitérée, selon laquelle le fait que le débat public se focalise souvent sur les questions identitaires témoigne avant tout de l’oubli de la question sociale et de l’abandon de toute perspective ambitieuse de transformation du système économique, dans un contexte de forte aggravation des inégalités territoriales.
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[12]
De manière plus générale, sont particulièrement convaincantes les démonstrations menées sur les débuts ou queues de distribution (dernier décile, premier centile…) de richesses.
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[13]
Alain Desrosières, « Séries longues et conventions d’équivalence », Genèses. Sciences sociales et histoire, n° 9, 1992, p. 92-97.
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[14]
Le passage fameux, entièrement reproduit dans l’ouvrage, des Souvenirs de Tocqueville sur l’élection de 1848 dans son village, en est pourtant un beau témoignage.
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[15]
Sur la critique de l’exportation, sur toute la période, d’une nomenclature élaborée au début des années 2000 : Frédéric Gilli, « Une histoire du conflit politique sans géographie », Métropolitiques, 21 septembre 2023.
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[16]
Rappelons-le, non pas 1 % des communes (environ 360) mais le 1 % de la population vivant dans les communes les plus riches, afin de comparer une fraction constante des électeurs au cours du temps.
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[17]
Avec parfois certaines formes de repentir comme cette incise : « Il existe une réelle continuité dans la structure sociale des électorats, ce qui montre que les électeurs s’y retrouvent – au moins jusqu’à un certain point » (p. 360).
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[18]
« La question n’est pas de savoir si la politique existait à la campagne. Chaque collectivité était, en un certain sens, une polis. La question est de savoir si les intérêts locaux, sui generis, peuvent être interprétés en termes (familiers pour nous) de politique nationale […]. En d’autres termes, la politique nationale devint importante, quand on s’aperçut que les affaires nationales affectaient les personnes et les régions impliquées. Mais avant que cela puisse être perçu, il devait se produire un processus d’implication réel » (Eugen Weber, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale (1870-1914), Paris, Fayard, 1983, p. 353).
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[19]
Même s’ils s’en distancient sur l’importance des phénomènes d’emprise et de domination en reprenant les analyses de Paul Bois ou de Charles Tilly.
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[20]
Sur ce point, je me permets de renvoyer aux chapitres II et VI de mon ouvrage, Le vote. Approches sociologiques de l’institution et des comportements électoraux, Paris, La découverte (Grands manuels), 2011.
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[21]
Sur ce point, la référence demeure l’ouvrage séminal en France, de Daniel Gaxie, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil, 1978.
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[22]
Lire par exemple, sous la direction de Jean-Louis Briquet et Frédéric Sawicki, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, PUF, 1998.
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[23]
Michel Offerlé, « Deux siècles d’alternance. À propos de : Julia Cagé & Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique », La vie des idées, 26 septembre 2023 ; Laurent Le Gall, « L’analyse de Cagé et Piketty sur le vote fait de la variable territoriale une des matrices des comportements politiques », Le Monde, 6 septembre 2023.
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[24]
Collectif Sociologie politique des élections (dir.), Les sens du vote. Une enquête sociologique (France 2011-2014), Rennes, Presses universitaires de Rennes (Res publica), 2016 ; Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin et Sandrine Lévêque (dir.), Voter par temps de crise, Paris, PUF, 2021.
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[25]
Exception notable, l’enquête à Saint-Denis de Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires, Paris, Gallimard (Folio actuel, 129), 2007.
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[26]
Benoît Coquard, « Les obstacles à “la reconquête du vote populaire rural” : discussion sur l’ouvrage de Cagé et Piketty », The conversation, 21 septembre 2023.
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[27]
Grand merci aux relecteurs de cette recension.