Notes
-
[1]
Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, trad. de l’allemand par Élisabeth Guillot, Paris, Albin Michel, 1996 (éd. orig. 1975).
-
[2]
Je me demande toutefois si le terme même « néolibéral » n’est pas lui-même un piège lexical, car il sous-entend qu’il s’est produit quelque part en amont une rupture avec le libéralisme, ou plutôt avec une sorte de « libéralisme à visage humain » – ce qui est un moyen d’enchanter les fondements mêmes du libéralisme tout entier. Relisons les quelques lignes suivantes : « Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, mettre tout en exploitation, établir partout des relations. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l’implantation devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui ne transforment plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions du globe les plus éloignées, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde à la fois… » De qui et de quand sont ces lignes ? Mis à part l’usage du mot « civilisé », elles pourraient provenir d’un texte actuel (par exemple altermondialiste). Mais elles ont été écrites en 1847-1848, par Karl Marx et Friedrich Engels dans leur Manifeste du parti communiste (trad. de l’allemand par Laura Lafargue, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1970, p. 36), lorsqu’ils évoquent le triomphe de la bourgeoisie de leur temps… Il ne s’agit pas de suggérer le caractère visionnaire des deux hommes, mais simplement de comprendre que de rupture il n’y a pas eu et qu’il ne s’agit guère que de la poursuite et de l’intensification d’un processus entamé depuis longtemps.
-
[3]
N.D.A. : Lien actuel (avril 2020) : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/IMG/pdf/Glossaire.pdf.
-
[4]
Ulrich Bröcking, Susanne Krasmann et Thomas Lemkeen (dir.), Glossar der Gegenwart, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2004.
-
[5]
N.D.A. : Ce document peut être téléchargé (avril 2020) sous le lien http://www.amue.fr/fileadmin/amue/pilotage/documents-publications/IGF_IGAENR_cahier_des_charges_08oct.pdf et sur divers sites syndicaux.
-
[6]
N.D.A. : En 2007, l’URL de téléchargement était : https://www.igf.minefi.gouv.fr/sections/les_rapports_par_ann/2007/cahier_des_charges_e.
-
[7]
N.D.A. : Ce décret peut être consulté sous le lien suivant (avril 2020) : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=D82A1FF450E238B586C33939C5313131.tplgfr23s_3?cidTexte=JORFTEXT000000242925&dateTexte=20061005.
-
[8]
URL : http://www.igf.finances.gouv.fr/cms/sites/igf/accueil.html. N.D.A. : Le site officiel de l’IGF fournissait en 2007 divers textes réglementaires. Consulté en 2020, il apparaît avoir été profondément réaménagé depuis. Le rapport ici étudié a été éliminé de la liste des divers rapports produits par l’IGF (y compris d’autres en collaboration avec l’IGAENR), liste qui pourtant remonte jusqu’à 2006. Une observation : on trouve dans cette liste un rapport daté d’avril 2019 intitulé « Le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des universités » (http://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2020/2018-M-100-03_pilotage_masse_salariale_universit%c3%a9s.pdf), classé dans la section Réforme de l’État et gestion publique et non pas dans la section Numérique, recherche et éducation. La teneur de ce rapport combine l’autosatisfaction étatique, l’injonction à comprimer davantage encore la masse salariale en tant que signe et moyen de l’autonomie des universités, et le cynisme conduisant à dénoncer que l’augmentation de la masse salariale soit « compensée par la puissance publique en particulier dès lors que cette dernière affecte par ses décisions le niveau des dépenses engagées par les universités. »
-
[9]
Il a été commissaire au Plan, conseiller au cabinet de Pierre Mauroy en 1982-1983, professeur d’économie à l’École centrale de Paris, président-directeur général de l’Agence de l’innovation (ANVAR), Président du Comité d’engagement du fonds public pour le capital-risque, membre du conseil d’administration du Commissariat à l’énergie atomique (CEA)…
-
[10]
Rapport consécutif à la mission sur la politique en faveur de la technologie et de l’innovation confiée en juillet 1997 par Claude Allègre, Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret à Henri Guillaume. Celui-ci y diagnostique que, si la France dispose d’un potentiel scientifique de premier plan, elle souffre du manque de relations entre la recherche et ses découvertes d’une part et les activités industrielles d’autre part. Il propose un ensemble de recommandations sur l’essaimage et le transfert de technologie : la création d’un Centre de la recherche technologique afin de fédérer les efforts de recherche ; l’allocation de crédits publics pour la création d’entreprises innovantes, le soutien aux entreprises moyennes et le renforcement du couplage entre la recherche publique et les industriels ; la simplification des dispositifs de transfert de technologie ; le lancement de fonds d’amorçage. C’est sur ce rapport que se fonde le Plan U3M.
-
[11]
Cette mission, dont le comité de pilotage a été installé le 2 mars 2001 par Laurent Fabius, succédait à la mission pour le commerce électronique et avait notamment pour objectifs d’animer une réflexion prospective sur le développement et l’impact des technologies de l’information sur l’économie, de mesurer les progrès accomplis par la France en ce domaine, et de contribuer aux travaux sur l’adaptation du cadre applicable à l’économie numérique. Le comité de pilotage de la mission était garant de son rôle de concertation entre les acteurs du secteur privé et les pouvoirs publics. Il était composé de représentants des directions du ministère, de chefs d’entreprise et d’acteurs de l’économie numérique. C’est de ses travaux qu’est issue la loi sur la confiance pour l’économie numérique (LECN), largement liberticide, dont le projet a été examiné en première lecture au premier semestre 2003.
-
[12]
Henri Guillaume, Gestion publique : l’État et la performance, Paris, Presses de Science Po et Dalloz, 2002. L’ouvrage est présenté ainsi par L’Expansion : « Comment éviter que la liste des réformes avortées ne continue de s’allonger ? “Leur succès passe de manière cruciale par une réforme de la procédure budgétaire et de la gestion publique”, répondent trois fonctionnaires d’élite… » (Emmanuel Lechypre, « Leçons de réforme », L’Expansion, 01/09/2002, désormais en ligne : https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/lecons-de-reforme_1346580.html [lien valide en avril 2020]).
-
[13]
L’écho qu’en donne Le Figaro montre bien la nature des enjeux : « L’évaluation des laboratoires et des chercheurs, à la charge de la toute nouvelle Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES), doit tenir compte des apports économiques et sociétaux. Ce travail d’évaluation devra permettre d’identifier quelques pôles d’excellence en France, et de leur attribuer des moyens importants, comme le font les États-Unis, la Grande-Bretagne, et plus récemment l’Allemagne. Les Grandes Écoles participent depuis leur création à la formation des futurs cadres des entreprises, au renouvellement des savoirs dans les domaines scientifique et technique, et à la création d’entreprises. Elles sont bien placées, comme le montre le rapport d’Henri Guillaume, pour répondre à l’enjeu primordial que représente pour la France le développement économique. » (Benoît Legait et Hervé Biausser, « Un mauvais couplage entre recherche publique et recherche privée », Le Figaro, 04/02/2007, désormais en ligne : https://www.lefigaro.fr/politique/2007/02/04/01002-20070204ARTWWW90053-les_temoignages_de_herve_biausser_et_benoit_legait.php [lien vérifié en avril 2020]). Les universités n’ont par conséquent qu’à disparaître – ou à se transformer en grandes écoles déguisées.
-
[14]
La délétère substitution du « projet de recherche » au « travail de recherche » a été récemment dénoncée par la médiéviste américaine Caroline Walker Bynum, « The P Word », Perspectives, Octobre 2007, p. 58. Voir aussi, sur un mode plus sarcastique, http://www.sauvons-larecherche.fr/spip.php?article951 [lien vérifié en avril 2020].
-
[15]
N.D.A. : D’après l’ancien site officiel de l’IGAENR, aujourd’hui disparue, dont l’URL était http://www.education.gouv.fr/syst/igaen/default.htm. En septembre 2019, l’IGAENR et d’autres inspections générales de l’Éducation nationale ont été fusionnées au sein d’une inspection unique, l’IGESR (Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche), dont le site officiel est consultable (avril 2020) sous le lien http://sports.gouv.fr/organisation/le-ministere/administration/Inspection-generale-de-l-education-du-sport-et-de-la-recherche. Néanmoins, quelque 200 anciens rapports de l’IGAENR sont consultables (avril 2020) sous le lien https://www.education.gouv.fr/recherche/type/rapport-publication/report_and_publication_type/rapport-igaenr. Étrangement, comme dans le cas de l’IGF, le rapport ici examiné ne figure pas parmi les documents mis à disposition.
-
[16]
Secrétaire général de l’université de Nancy 2 puis de l’université de Strasbourg 1, avant de devenir délégué régional à la délégation Centre-Est du CNRS ; il est nommé à l’IGAENR le 25 avril 2007.
-
[17]
Énarque et diplômé d’HEC, ancien directeur adjoint de cabinet de Claude Allègre et directeur de programmation du développement au ministère de l’Éducation nationale, professeur associé à l’EHESS où il assure un séminaire en sociologie et économie de l’éducation ; depuis le 4 octobre 2007, il est chef de service à l’IGAENR, adjoint au directeur général de la recherche et de l’innovation, et représentant de l’État au conseil d’administration de l’Institut national de la recherche agronomique.
-
[18]
Docteur en gestion ; il a dirigé le département « Techniques de commercialisation » de l’IUT de Créteil, avant de devenir vice-président puis président de l’université de Paris 12. Il a aussi présidé l’établissement public du campus de Jussieu, avant de devenir directeur de l’École supérieure de l’Éducation nationale à Poitiers (chargée de la formation des personnels d’encadrement du ministère de l’Éducation nationale), qu’il quitte pour l’IGAENR en février 2006.
-
[19]
Par exemple on a distingué enseignant en tant que substantif (un enseignant) et enseignant en tant qu’adjectif (personnels enseignants) ; une éventuelle forme au participe présent (un gérondif) aurait en revanche été lemmatisée sous le verbe à l’infinitif. Les lemmes ont donc tous été « étiquetés » (tagged), et ils seront mentionnés avec un fragment de cette étiquette (_1 = verbe ; _2 = substantif ; _3 = adjectif) lorsque c’est nécessaire dans cette partie lexicale, mais systématiquement (automatiquement) sur le graphique issu de l’analyse factorielle.
-
[20]
Même en gonflant le champ « service public » en retenant université (ce qui est fallacieux en raison de la thématique du texte), on n’arrive donc pas au niveau du champ « économie ». Et cela ne s’arrange pas en prenant en compte le reste des lemmes, parmi lesquels les aspects universitaires, pédagogiques ou administratifs sont nettement moins nombreux que les termes économiques ou financiers.
-
[21]
Il s’agit des lemmes : acquérir, acquisition, affectation, affecter, biatoss, bien_2, budget, budgétaire, budgétisation, compétence, comptabilité, comptable, connaissance, dotation, doter, économique, éducation, efficace, emploi, employeur, engagement, engager, enseignant_2, enseignant_3, enseignants_chercheur, enseignement, enveloppe, État, étudiant, évaluation, évaluer, expertise, fiabiliser, fiabilisation, fiabilité, fiable, finance, financement, financer, financeur, financier, fongibilité, formation, gérer, gestion, gestionnaire_2, gestionnaire_3, immobilier_2, immobilier_3, impôt, incitatif, indemnité, intéressement, intérêt, investissement, maître, mobilier, paiement, paye, patrimoine, patrimonial, pédagogique, performance, personnel_2, pilotage, piloter, plafond, prime, professeur, qualité, recette, recherche, recrutement, recruter, rémunération, rémunérer, rentabiliser, reporting, ressource, salaire, salarial, trésor, trésorerie, universitaire, université, valeur, valorisation, valoriser.
-
[22]
Ceci pose alors le problème de la présence ici de rentabiliser, comme si gouverner l’université signifiait la rendre rentable…
-
[23]
Voir note 14.
-
[24]
On se rappellera en particulier que « l’appréciation de la performance des composantes » est présentée comme le critère de l’attribution des crédits, dont on conseille qu’ils soient de moins en moins fléchés, c’est-à-dire affectés par l’État à des usages précis, par exemples salariaux – puisqu’on rappelle au même moment le principe de « fongibilité asymétrique », les crédits pour les personnels pouvant être affectés à d’autres usages, mais non l’inverse.
-
[25]
Ce terme d’établissement est très fréquent dans le Cahier des charges (33 occ., 3e substantif après université et gestion) et sert à désigner l’université dans son rapport à l’État ou au ministère, ce qui permet de la noyer au sein d’une masse d’« établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel », à propos desquels on apprend qu’il existe une « Agence de mutualisation des universités et établissements ». L’usage du terme d’établissement, qui me semble s’être considérablement diffusé durant les dernières années et ne retient que le seul caractère institutionnel, apparaît donc un moyen de nier la spécificité de l’université, sommée de se penser à travers le crible tout à la fois scientifique, culturel et professionnel.
-
[26]
Ces tâches spécifiques ne devraient en aucun cas faire oublier que les universités ont également une tâche globale de service public qui, quoi qu’on en dise, ne se restreint en aucun cas à ces tâches spécifiques mais ont pour finalité l’intégration, la solidarité et l’égalité sociales – tâche de service public difficilement mesurable, car elle est plus d’ordre qualitatif que quantitatif. Or c’est à l’aune des seules tâches spécifiques qu’est mesurée l’efficacité des services publics comme l’université, l’école, l’hôpital, la poste, les transports en commun – une efficacité ensuite comparée à des services privés qui n’ont en aucun cas à assurer aussi l’intégration sociale, laquelle est d’ailleurs confiée dans de nombreux pays à des institutions sociales qui, pour des raisons historiques, ne jouent qu’un rôle marginal en France (paroisses, parentèle, communautés culturelles, etc.). La négligence de la tâche globale de service public est le moyen le plus efficace de falsification des calculs de rentabilité et donc de l’efficacité des services publics, puisque le nombre des employés de ces services est rapporté à une partie seulement de leur production, celle qui est commercialisable, et non à l’ensemble de leur efficacité sociale.
-
[27]
Ce devoir s’appelle « obligations de service » ; les « missions de service public », explicitement mentionnées (deux fois) dans un article de loi cité par le Cahier des charges, ne sont ainsi glosées que sous la forme du service dû, c’est-à-dire du devoir de « servir » (la « manière de servir » servant au calcul des primes, une expression – répétée deux fois – nauséabonde qui fait craindre quant à elle qu’on passe du service dû au public à un service dû au dispensateur des primes et, de là, à la servilité).
-
[28]
On se rappellera à ce propos la présentation (évoquée plus haut, note 13) dans le Figaro du Rapport sur la valorisation de la recherche « pondu » par H. Guillaume, dans laquelle seules « les Grandes Écoles » sont prises en compte pour le « renouvellement des savoirs ». L’université devrait donc n’être qu’un lieu de formation post-scolaire…
-
[29]
L’examen des 32 occurrences de personnel et des 10 occurrences du syntagme ressources humaines aboutit à des résultats conformes à tout cela. Personnel apparaît dans 20 cas comme dépenses en, rémunération des, crédits de ou primes aux personnels : le terme est donc avant tout lié aux coûts de fonctionnement – mais rappelons qu’en vertu de la « fongibilité asymétrique », c’est la seule des trois enveloppes budgétaires (les deux autres étant les dépenses de fonctionnement et d’investissement) qui soit uniquement compressible (puisque les deux autres peuvent être chacune accrues au détriment des autres ; la place du mot fongibilité, déporté vers l’axe 1, illustre bien la menace de transfert des dépenses de personnel vers le pôle des actifs comptables). 11 occurrences concernent le service attendu par l’université et la récompense du zèle : il s’agit fondamentalement d’en avoir pour son argent – ce qui en soi n’est pas scandaleux, à condition que les critères d’évaluation soient transparents et non discrétionnaires, mais rien de tel n’est garanti. 6 occurrences concernent la gestion de la diversité des statuts (enseignants-chercheurs, BIATOSS) et 3 le recrutement de personnels de qualité : le terme de personnels, en dépit de ses apparentes neutralité et généralité, masque ainsi d’importants écarts (statuts, titulaires/contractuels, qualité/non-qualité, zèle/non-zèle) que l’on s’emploiera à faire jouer (« modifier la composition de son personnel, en faisant évoluer les parts respectives des personnels enseignants-chercheurs et administratifs », primes et récompenses, passage des heures complémentaires des titulaires aux contractuels, etc.). Parler de « personnels » s’avère ainsi être un rideau de fumée. Le syntagme ressources humaines n’apparaît quant à lui que dans l’expression « gestion des [1 fois gérer les] ressources humaines » ; cette expression est tout à fait caractéristique du monde de l’entreprise, d’où elle provient, et il serait certainement intéressant de connaître plus précisément l’histoire de ce syntagme (forme euphémisée de « capital humain ») et de son passage aux administrations publiques. La teneur libérale de la notion ne saurait être mis en doute, comme le montre par exemple le cahier des charges du ministère canadien appelé « Ressources humaines et développement social Canada » (RHDSC) : « La mission de RHDSC est de bâtir un Canada plus fort et plus concurrentiel, d’aider les Canadiennes et Canadiens à faire les bons choix afin que leurs vies soient productives et gratifiantes, et d’améliorer leur qualité de vie » (http://www.hrsdc.gc.ca/fr). N.D.A. : RHDSC a changé de nom en 2009 (RHDCC) puis 2013 (désormais EDSC : Emploi et Développement Social Canada) ; la phrase citée était encore présente dans la présentation de la RHDCC, et elle figure avec une légère modification dans la présentation des objectifs de l’EDSC : « Emploi et Développement social Canada (EDSC) a pour mission de bâtir un Canada plus fort et plus concurrentiel, d’aider les Canadiennes et les Canadiens à faire les bons choix afin que leur vie soit plus productive et gratifiante et d’améliorer leur qualité de vie » (http://publications.gc.ca/collections/collection_2016/edsc-esdc/Em1-9-2016-fra.pdf, p. 4).
-
[30]
C’est ce qui permettrait alors de comprendre la position de recruter et recrutement, au départ de l’axe orienté vers P4 = externe, puisqu’on a signalé l’insistance sur la nécessité de recrutements externes.
1Le titre donné à l’ensemble d’observations qui suit est un clin d’œil (poussif, je le concède) au remarquable travail que le philologue allemand Victor Klemperer a mené durant la Seconde Guerre mondiale sur la Lingua Tertii Im perii (LTI), la « Langue du IIIe Reich » [1]. Je ne cherche par là en aucun cas à assimiler à des crypto-nazis les producteurs des textes envisagés ci-dessous, mais à attirer l’attention sur la nécessité dans laquelle nous sommes de prêter attention non seulement aux argumentations, mais aussi aux mots mêmes. Bien qu’elle ne s’y limite pas, la bataille des idées se joue déjà au niveau des mots. Klemperer a d’ailleurs observé que la LTI n’a finalement créé que peu de mots nouveaux : elle a préféré s’emparer des mots déjà existants et les détourner insensiblement, si bien que cette novlangue se retrouvait même dans la bouche des victimes ! Nul doute qu’il existe une LNL (Lingua Neoliberalis) [2] qui contamine tout ce qu’elle affecte, mais son étude systématique est, à ma connaissance, inexistante (je ne connais guère que les observations, incomplètes et non systématiques mais qui ont le mérite d’exister, de l’Essai de glossaire néolibéral établi par un certain nombre d’Amis du Monde diplomatique [3] et, en allemand, le Glossar der Gegenwart [4], ou « glossaire du présent », publié en 2004).
2Les observations qui suivent ne sont pas une contribution directe à l’étude de la LNL, mais une incitation à passer les textes produits dans ce contexte au crible d’une analyse linguistique (lexicale et sémantique). Même lorsqu’une telle analyse semble ne pas apporter plus de connaissances qu’une lecture soigneuse, le recours à des instruments de formalisation lexicale (fréquences lemmatisées) et sémantique (analyse factorielle, concordances) dote ces connaissances d’une robustesse qui interdit de les balayer d’un revers de main. Et il est plus que probable que la systématicité des procédures de formalisation envisagées fournisse des observations qu’on n’avait pas imaginées.
3La durée de l’analyse interdit cependant qu’on s’y livre pour toutes les productions en LNL. Il faut donc choisir, avec tous les risques que cela comporte. Le texte de la LRU mériterait certainement d’être passé au crible linguistique, mais son caractère législatif (donc relevant d’un genre textuel dont la rédaction obéit à un certain nombre de règles dotées d’une forte inertie) et négocié (non seulement lors des débats parlementaires, mais surtout par l’anticipation de positions de refus) risque de voiler le langage à étudier. C’est pourquoi je me suis livré au petit travail qui suit sur un texte directement lié à la LRU, mais moins exposé (il est d’ailleurs fort peu connu et/ou n’a guère fait l’objet de commentaires publics) et surtout censé avoir une finalité plus pratique – bref un texte dont on peut considérer qu’il nous donne accès à l’esprit de la LRU, là où le texte de loi lui-même n’en est que la lettre. Il s’agit du « Cahier des charges établi en vue de l’élargissement des compétences des universités prévu par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités », rédigé au nom de l’Inspection générale des finances (référence : 2007-M-067-04) et de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (référence : 2007-091) [5].
4La présentation que j’en ferai suivra trois étapes élémentaires, du plus immédiatement perceptible au plus abstrait : l’examen des conditions de production du document ; l’examen du lexique ; la reconstitution d’éléments du sens des mots. Chacune de ces étapes doit être considérée comme signifiante – en tout cas, on verra que chacune est significative.
Présentation du document
5Ce rapport – que je désignerai désormais par Cahier des charges – est issu d’une mission conjointe de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR). Il provient, comme l’indique son URL [6], du site officiel de l’IGF. Quoique cosigné par des membres de l’IGAENR, ce document est absent du site de cette inspection (qui ne semble d’ailleurs pas à jour).
L’Inspection générale des finances et ses acteurs
« Placée sous la tutelle du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, l’Inspection générale des finances dispose néanmoins d’une large autonomie et son caractère interministériel est très affirmé. Sa mission est de contribuer à une gestion rigoureuse et efficace des deniers publics et à la modernisation de l’administration. Ses pouvoirs sont importants (contrôle sur pièces et sur place, rapports sur des sujets divers, etc.). »
7Le décret du 4 octobre 2006 relatif au statut particulier de l’inspection générale des finances a en effet défini les missions de l’IGF de la façon la plus large possible :
« Outre les missions et les attributions qui lui sont dévolues par la loi et par les textes réglementaires, l’inspection générale des finances exerce une mission générale de contrôle, d’audit, d’étude, de conseil et d’évaluation en matière administrative, économique et financière. Elle peut également recevoir des missions du Premier ministre. Elle peut être autorisée par le ministre chargé de l’économie et des finances à effectuer des missions à la demande d’autres autorités nationales, d’organismes publics, de collectivités territoriales ou de leurs groupements, de fondations ou d’associations, d’États étrangers, d’organisations internationales ou de l’Union européenne ».
9Le critère de base légitimant l’intervention de l’IGF est la perception de fonds publics par l’organisme contrôlé, auditionné, étudié, conseillé ou évalué.
« C’est le Chef du Service qui, au nom du Ministre et sur la base d’une consultation individuelle, attribue leurs missions aux Inspecteurs généraux. Ces missions peuvent prendre plusieurs formes : audit, enquête, étude particulière, assistance ou médiation. Elles peuvent se dérouler dans un cadre interministériel et associent fréquemment alors d’autres corps d’Inspection, ministériels ou interministériels. »
11Le Cahier des charges ici examiné résulte d’une telle mission, menée conjointement avec l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche.
« Sorte d’élite de l’élite, au sommet de la hiérarchie créée par la sélection à la française, l’Inspection des finances alimente nombre de suspicions et de critiques, justifiées ou exagérées, sur le caractère fermé et mandarinal du pouvoir en France. Les intrications entre politique, états-majors industriels et haute finance sont particulièrement prononcées au sein de ce corps, dont de nombreux membres font des allers-retours ou des allers simples de la haute fonction publique vers le secteur privé. Ces dernières années, les scandales financiers dont ont été victimes des entreprises à la tête desquelles se trouvaient des inspecteurs des finances (Vivendi avec J.-M. Messier, Alstom avec P. Bilger, Crédit Lyonnais avec M. Haberer, France Telecom avec M. Bon, Crédit Foncier, Elf ou Air France) ont jeté un discrédit notable sur les membres du corps, en particulier sur la compétence de ces administrateurs qui, en dépit de leur appellation d’inspecteur des finances, n’ont que peu de connaissances économiques ou financières pratiques (l’ENA n’est pas une école d’économie) et utiles dans la gestion des affaires. »
13L’inspecteur général Henri Guillaume est certainement l’inspirateur essentiel du texte. Quoiqu’il ait été professeur d’économie à l’université de Lille 1, H. Guillaume est surtout un grand commis de l’État qui n’a certainement plus, depuis longtemps, qu’un contact lointain avec l’université [9]. Il est l’auteur du fameux Rapport de mission sur la technologie et l’innovation (27 mars 1998) [10] ; il a présidé la mission pour l’économie numérique [11] ; il a piloté, pour le compte de l’inspection générale des finances, une étude comparative menée sur huit pays étrangers et relative « aux systèmes de gestion de la performance et à leur articulation avec les procédures budgétaires », dont s’inspirent diverses mesures de la LRU et dont découle l’ouvrage (coécrit avec deux inspecteurs des finances) Gestion publique : l’État et la performance [12] ; il est enfin auteur (avec Jean-Richard Cytermann, l’un des coauteurs du Cahier des charges, voir infra) d’un Rapport sur la valorisation de la recherche (janvier 2007), très critique à l’égard du CNRS, rapport dénoncé immédiatement par Sauvons la recherche (SLR) [13].
14On a donc affaire à un chantre de la « gestion budgétaire de la performance » (notion clé de divers textes de H.G.), de l’articulation entre la recherche universitaire et les entreprises privées, du projet de recherche (et non pas du travail de recherche [14]), de la technologie (et non pas de la recherche).
L’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR)
« L’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR) est un corps d’inspection à compétence générale relevant du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Sous l’autorité du ministre chargé de l’éducation et du ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’IGAENR a “une mission permanente de contrôle, d’étude, d’information, de conseil et d’évaluation”, notamment en matière administrative et financière. Elle est chargée en particulier de contrôler l’emploi des fonds publics consentis à des organismes publics ou privés œuvrant en matière d’éducation ou de recherche. À l’égard des services déconcentrés (académies, inspections académiques, vice-rectorats) ou des établissements publics ayant une fonction d’éducation, elle effectue des missions d’audit. »
16L’IGAENR est alors [15] composée d’une centaine de hauts fonctionnaires, choisis principalement parmi les anciens directeurs, recteurs, professeurs d’université, chefs de service, sous-directeurs, secrétaires généraux d’académie, d’université ou d’établissement public scientifique et technologique. La situation des trois inspecteurs mentionnés, P. Aimé [16], J. R. Cytermann [17] et B. Dizambourg [18], ne déroge pas à cela, si ce n’est que leur rapport à l’université est en définitive lointain ou indirect, avec une forte présomption d’optique gestionnaire, voire même commerciale.
17Le document examiné est ainsi un document officiel (il provient d’un site ministériel), mais surtout le produit d’institutions de la haute fonction publique dont les orientations gestionnaires, les préoccupations financières et, dans un grand nombre de cas, les liens avec les milieux d’affaires ne sont plus à démontrer. La tonalité financière d’un document produit par l’IGF tout comme par l’IGAENR pourrait paraître pléonastique, mais à condition de négliger trois éléments. Premièrement, cette évidence est accrue par la disjonction entre IGAENR et IGEN. Deuxièmement, le seul Cahier des charges des universités articulé à la LRU est celui-ci, comme si la LRU ne concernait finalement que les aspects financiers. Troisièmement, il ne s’agit pas d’un simple rapport, mais d’un « cahier des charges », c’est-à-dire à la fois d’un document prescriptif, normatif, qui établit un modèle auquel il est impératif de se conformer : une argumentation fondée sur l’usage de verbes comme « devoir » ou « falloir » et sur l’usage du futur (le document non seulement concerne l’avenir, mais le futur a aussi une valeur impérative) sont alors envisageables. Voyons ce qu’il en est.
Analyse lexicale
18Le texte a été téléchargé sous son format PDF et converti en format TXT, aisément traitable par un grand nombre de logiciels de concordance et/ou de lemmatisation automatiques. J’ai en revanche supprimé le sommaire du corpus, dans la mesure où cela aurait conduit à multiplier par deux les formes présentes dans les titres des parties et sous-parties.
Concentration lexicale
19Le texte présente 8 072 occurrences, pour 1 512 formes : il s’agit donc d’un texte relativement court. Les 100 premiers mots du lexique couvrent près de 60 % des occurrences, ce qui correspond à la norme usuelle. Les hapax (764 mots, 9,5 % des occurrences) couvrent un peu plus de 50 % des formes, ce qui est inférieur à la normale et témoigne d’un vocabulaire assez concentré. La concentration apparaît également en comparant le quotient du nombre de formes par la racine carrée du nombre d’occurrences (ici moins de 17) à sa valeur normale (22). Après lemmatisation, on obtient 1 053 lemmes (avec distinction grammaticale des homographes [19]) ; les hapax ne sont plus qu’au nombre de 514, soit désormais un peu moins de la moitié (médiane à 527). Il s’agit par conséquent d’un texte assez pauvre du point de vue lexical, ce qui correspond a priori assez bien à sa nature (texte de type administratif, où les effets de style comptent peu).
Lexique dominant
20On a examiné les fréquences lemmatisées (hors mots-outils), dans les 100 premiers mots. En voici la liste par ordre de fréquence décroissante, avec le nombre d’occurrences (Tableau 1).
Principales fréquences lexicales (hors mots-outils)
Rang | Lemme | Nb OCC. |
---|---|---|
1 | université | 131 |
2 | être | 128 |
3 | gestion | 55 |
4 | pouvoir_1 | 44 |
5 | personnel_2 | 40 |
6 | devoir_1 | 38 |
7 | permettre | 34 |
8 | établissement | 33 |
9 | État | 28 |
10 | mettre | 27 |
crédit | 27 | |
avoir_1 | 27 | |
13 | critère | 24 |
14 | faire | 23 |
emploi | 23 | |
16 | pilotage | 22 |
17 | réforme | 21 |
nouveau | 21 | |
mission | 21 | |
masse [salariale] | 21 | |
[masse] salariale | 21 | |
budgétaire | 21 | |
service | 21 | |
24 | objectif_2 | 20 |
immobilier | 20 | |
assurer | 20 | |
article | 20 | |
28 | niveau | 19 |
interne | 19 | |
budget | 19 | |
31 | recherche | 17 |
loi | 17 | |
33 | place | 15 |
34 | financier | 15 |
dépense | 15 | |
bien_2 | 15 | |
37 | ressource | 14 |
pluriannuel | 14 | |
paye | 14 | |
exécution | 14 | |
définir | 14 | |
agir | 14 | |
43 | patrimoine | 13 |
grand | 13 | |
disposer | 13 | |
année | 13 | |
47 | mesure | 12 |
information | 12 | |
enseignement | 12 | |
compétence | 12 | |
51 | fonctionnement | 11 |
général | 11 | |
plafond | 11 | |
rémunération | 11 | |
responsabilité | 11 | |
utilisation | 11 | |
recrutement | 11 |
Principales fréquences lexicales (hors mots-outils)
21Ce simple classement par fréquences lexicales permet déjà un certain nombre d’observations significatives. La position de tête du lemme université n’est en soi pas étonnante pour un texte spécifiquement centré sur et destiné à l’université. Quant à la fréquence du verbe être, elle n’est pas non plus étonnante, étant donné son usage comme auxiliaire de conjugaison. L’intéressant est ailleurs. Le simple fait que le lemme gestion arrive en 3e position, très largement devant le substantif suivant (personnel, lui-même suivi par établissement, soit deux mots très généraux qui ne renvoient en rien au monde universitaire) suscite un affreux soupçon : se pourrait-il que la priorité du Cahier des charges (et donc de la LRU) soit la gestion de l’université ? La position très en retrait d’enseignement et de recherche irait tout à fait dans ce sens. Tout ceci semblerait ainsi confirmer ce que l’examen des conditions institutionnelles d’élaboration du texte avait suggéré.
22Pour vérifier une telle hypothèse, on peut déjà classer grossièrement les 57 lemmes mis en liste en fonction du champ lexical auquel ils appartiennent (Tableau 2), à l’exception d’un ensemble de termes trop généraux pour être affectés à l’un des champs (être, mettre, faire, etc.).
Champs lexicaux dont relèvent les termes les plus fréquents
Champ lexical | Lemmes |
---|---|
économie (315 occurrences) | gestion, crédit, emploi, masse+salariale, budgétaire, immobilier, budget, financier, dépense, bien_2, ressource, paye, patrimoine, plafond, rémunération |
stratégie (183 occurrences) | permettre, critère, pilotage, objectif_2, niveau, pluriannuel, exécution, définir, mesure, information |
service public (290 occurrences *) | université, établissement, personnel_2, service, mission, recherche, enseignement, compétence, fonctionnement |
normes (135 occurrences) | devoir, État, réforme, article, loi, responsabilité |
Champs lexicaux dont relèvent les termes les plus fréquents
* Mais seulement 159 si l’on n’inclut pas université qui, du fait de la thématique du texte, aboutit à gonfler de manière un peu artificielle le champ en question.23La répartition ci-dessus pourrait certainement, bien sûr, être affinée ou critiquée. Il n’empêche que l’on ne peut nier la très large prédominance, tant numérique qu’en fréquences cumulées, des aspects financiers [20] ; les deux fonctions principales de l’université, l’enseignement et la recherche, n’arrivent respectivement qu’en 47e et 31e position – et dans un ordre qui met lui-même l’enseignement en position secondaire ! Serait-il possible que l’enseignement soit vraiment la « cinquième roue du carrosse » ? Malheureusement, l’infime fréquence du mot étudiant (2 occurrences, soit le dernier terme spécifiquement universitaire avant la médiane, et l’un des tout derniers du corpus : viennent encore, avec une seule occurrence, universitaire_3, scolarité, professeur, maître+de+conférence) semblerait bien confirmer la chose : la rareté d’universitaire_3, de professeur et de maître+de+conférence est compensée par les fréquences plus élevées d’université et (nettement plus en retrait) d’enseignants-chercheurs. En revanche, 2 étudiant, 1 scolarité… On ne s’y prendrait pas mieux si l’on imaginait une université non destinée aux étudiants !
Analyse sémantique
Analyse factorielle
24L’analyse factorielle n’a pas été menée sur l’ensemble du lexique, non seulement afin de la rendre plus lisible en écartant les mots-outils (y compris les verbes-outils comme être, mettre, faire, etc.), mais surtout afin de faire apparaître plus nettement le rapport entre les notions économiques, financières ou gestionnaires qui constituent le poids lourd du lexique et les notions qui renvoient au fonctionnement universitaire classique, donc d’une certaine manière entre l’avant et l’après de la LRU. Ce sont ainsi 88 lemmes qui ont été retenus [21].
25Afin de faire apparaître la distribution argumentative et les éventuels glissements de sens, le texte a été découpé en 5 parties, correspondant à sa structure d’origine : la partie P0 rassemble le péritexte, à savoir l’introduction et la conclusion (786 mots), rassemblées dans la mesure où elles se présentent comme des commentaires du contenu proprement dit ; P1 correspond à la partie 1 du Cahier (« La gestion budgétaire et financière », 1 643 mots) ; P2 à la partie 2 (« La gestion des ressources humaines », 2 355 mots) ; P3 à la partie 3 (« La gestion immobilière », 1 320 mots) ; P4 à la partie 4 (« Le pilotage et les relations avec la tutelle », 1 376 mots).
26L’analyse factorielle des correspondances qui a été effectuée sur ces bases a fourni les graphiques qui suivent, sur lesquels les termes du champ financier apparaissent en caractères droits et sans graisse et les termes du champ universitaire en italiques ; État et université-universitaire figurent cependant en caractères gras, afin de mettre symboliquement les institutions publiques à part, et les qualités (compétence, fiabilité, performance, qualité) en caractères soulignés. On a procédé à l’examen détaillé des deux axes factoriels 1 et 2 (Graphique 1) et 1 et 3 (Graphique 2), dans la mesure où ceux-ci fournissent respectivement 68 % et 65 % de l’information, l’examen des axes 2 et 3 (Graphique 3), avec 53 % de l’information, permettant des observations complémentaires. Le caractère contrasté de la répartition des points sur les plans factoriels ouvre la possibilité de voir quelque chose (des associations ou des distances), ce qui n’aurait pas été le cas si les points avaient formé un seul gros nuage.
Plan factoriel défini par les axes 1 et 2
Plan factoriel défini par les axes 1 et 2
27Pour ce qui est du graphique 1, on peut observer d’une part la relative centralité et proximité de P0 et P1, la forte opposition de P2 et P3, ainsi que l’opposition de P4 au reste. L’opposition de P2 et P3 semble à première vue facile à comprendre : P2 concerne les « ressources humaines » (et c’est effectivement de ce côté qu’apparaissent les termes enseignant, enseignant-chercheur, biatoss (pour « bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, personnels sociaux et de santé »), personnel, professeur) tandis que P3 concerne les « ressources matérielles » (immobilier, patrimoine, bien mobilier) ; cette opposition correspond tout autant à celle entre dépenses (ce qui apparaît en caractères droits à droite : impôt, rémunérations, salarial, prime, etc.) et actifs de l’université (biens, valeurs, financement). Quelle n’est pas alors la surprise de trouver également les étudiants du côté de P3, avec les ressources matérielles, et non pas du côté de P2 où se trouvent aussi, associés aux personnels enseignants, les aspects de l’enseignement (enseignement, pédagogie) – ainsi que la recherche. Nul doute qu’il faudra se pencher plus avant sur ce détournement des étudiants. La position médiane de connaissance (près de P1) devra aussi nous arrêter.
28Si l’on examine le nuage autour de P2, on observe deux choses : tout d’abord, il semble structuré (ce n’est pas un simple tas), en l’occurrence sous la forme d’un axe oblique allant de fongibilité (voire même budget et dotation) à recherche, où il fait un coude à angle aigu et s’achève par un autre axe oblique allant jusqu’à recrutement. Malgré quelques entassements de mots, les termes semblent largement disposés en une chaîne, laquelle se poursuit d’ailleurs peut-être, quoique de façon très ténue, jusqu’au groupe constitué autour de P4, par l’intermédiaire du curieux alignement des termes paye, doter, gestion, pilotage – alignement dont il s’agira de comprendre le sens.
29Que paye se trouve vers le groupe P2 n’est cependant pas une coïncidence (ce qui incite à considérer l’alignement évoqué comme doté d’un sens), dans la mesure où les lemmes « non universitaires » (en caractères droits sur le graphique) concernent précisément très largement les aspects de la rémunération (paiement, salaire, prime, intéressement). La structure du nuage P2 permet d’ailleurs sans doute de dissocier deux aspects articulés l’un à l’autre : l’aspect comptable (fongibilité, trésorerie, engagement, enveloppe, plafond, gérer) et l’aspect « rémunératif » (rémunération, [masse] salariale, prime, intéressement, paiement, incitatif). Ce second aspect se prolonge enfin par un autre qu’a priori on ne s’attendrait pas à trouver ici : le recrutement (recruter, recrutement), qui fait le pont entre ce paquet « rémunératif » et l’axe oblique paye-pilotage évoqué plus haut. Si l’on considère que l’essentiel des aspects universitaires (en italiques) sont groupés vers P2 et mêlés à des termes liés à la sphère de la rémunération, on pourrait alors en déduire que le Cahier des charges – et au-delà la LRU – ne considère les universitaires que comme de la masse salariale et leurs activités que comme des coûts !
30Dans cette perspective, la distribution des quatre termes évoquant des qualités que l’on pourrait souhaiter pour l’université (qualité, performance, compétence, fiabilité) prend une signification inquiétante : au lieu d’être à proximité de l’ensemble recherche-enseignement-enseignants_chercheurs (vers P2), ils sont complètement déportés en direction de P4 et surtout d’un paquet de termes qui évoquent la gouvernance gestionnaire (gestionnaire × 2, évaluation, reporting, piloter, rentabiliser…). Faut-il y voir le signe de ce qu’une université de qualité et performante est une université bien gérée, et non pas une université où l’enseignement et la recherche sont de qualité et performants ? Pour ce qui est du rapport entre P4 et P2+P3, on observe que sont placés autour de P4 des termes qui signalent la « gouvernance » de l’université (pilotage, piloter, gestion, gestionnaire × 2, reporting) [22], tandis qu’est placé au-dessus de l’axe 1 tout ce sur quoi portent le pilotage et la gestion.
31Le graphique 2 permet de préciser les observations faites à partir du Graphique 1. Il confirme clairement l’opposition entre P2 (les « ressources humaines » et coûts) et P3 (les « ressources matérielles » et actifs), ce qui montre qu’on a bien affaire à une structure robuste. La position centrale de P0 est également confirmée, ce qui justifie l’idée que le péritexte est une sorte de condensé du texte (le fait que le mot université soit lui-même en position relativement centrale correspond à la même logique). On observe en revanche une permutation de P4 et P1, qui suggère que la proximité de P1 et P0 sur le graphique 1 était contingente.
Plan factoriel défini par les axes 1 et 3
Plan factoriel défini par les axes 1 et 3
32Le basculement de P1 de haut en bas entraîne avec lui l’axe oblique dotationbudget-fongibilité-trésorerie-biatoss-…-recherche (axe oblique qu’on devrait donc considérer comme un axe robuste P2-P1, qui renvoie à une tension entre P1 et P2, soit entre les fonds disponibles et les dépenses), désormais parallèle à la chaîne paye-doter-pilotage, déportée vers le haut (axe robuste P2-P4). Le basculement de P1 vers le bas a aussi comme effet d’étirer les paquets de mots entre P3 et P1 en une sorte de chaîne (axe P3-P1, de valeur à dotation), au milieu de laquelle se trouve de nouveau l’étudiant, dont l’association avec la comptabilité est confirmée. Robuste également la présence du paquet de mots autour de connaissance (y compris intérêt), qu’il convient donc de disjoindre de P1, ainsi que la position médiane (et symétrique à connaissance-intérêt) de « qualité » ; il conviendra d’essayer de comprendre le sens de ces positions médianes robustes.
33Le graphique 3 confirme la position centrale de P0 ainsi que l’opposition de P4 (ceux qui gèrent et pilotent) au reste (ce qui est géré et piloté tout autant que ceux qui le sont), déjà aperçue sur le graphique 1, et que l’on peut donc considérer comme l’opposition structurelle seconde du texte (l’opposition principale étant entre P2 et P3). L’écartement extrême de P3 et P1, sur le côté droit, suggère l’existence d’une opposition structurelle de 3e niveau, qui organisait la partie supérieure gauche du graphique 1 et l’axe P3-P1 du graphique 2 ; en raison de la proximité de P2 et P3 sur le graphique 3 et de l’existence d’un axe P2-P1 sur le graphique 2, la 3e opposition structurelle devrait donc être considérée comme polarisant P2/P3 et P1.
Plan factoriel défini par les axes 2 et 3
Plan factoriel défini par les axes 2 et 3
34Deux observations synthétiques peuvent être faites. En premier lieu, le texte semble structuré par une opposition principale P2 vs P3, une opposition secondaire P2/P3 vs P4 et une opposition tertiaire P2/P3 vs P1 ; P0 est en position centrale, c’est-à-dire commune (voir schéma). Rappelons que cette structure oppose en premier lieu gestion des ressources humaines et gestion des ressources immobilières, puis la gestion des ressources et l’administration, d’une part, et la gestion des ressources et la gestion budgétaire et financière d’autre part – comme s’il y avait une relative contradiction entre gestion des « avoirs » (hommes et bâtiments) et des dépenses.
35En second lieu, on observe que, dans le détail, le texte procède à des convergences exclusives a priori inattendues (étudiant et comptabilité, performance et financier, universitaires et masse salariale, qualité et gestion…) et à des groupements robustes sous la forme de chaînes (recruter-recrutement-paye-doter-gestion-pilotage, dotation-budget-fongibilité-…-rémunération-emploi-recherche) ou de nuages (près de connaissance) ; certains termes sont enfin dotés d’une position particulière fixe (le nuage de connaissance, qualité, formation). Pour tenter de clarifier ces détails – et au-delà pour préciser le sens de la structure –, il faut maintenant examiner les concordances (en tant qu’éléments du champ sémantique) des termes qui sont ainsi apparus.
Examen des concordances
36Pour faciliter la lecture, les passages concernés seront indiqués au préalable sous forme de citation, sans guillemets ; les passages entre guillemets correspondent aux articles de loi cités dans le Cahier des charges lui-même. Au-delà de 10 occurrences, on ne fournira que les groupes nominaux (et non pas les phrases complètes) concernant les mots examinés.
- étudiant
il est essentiel que les universités veillent à : […] allouer une part des crédits ainsi retenus en fonction d’une appréciation de la performance des composantes et non pas seulement sur la base de leurs critères physiques (nombre d’étudiants, etc.) ; il est dans l’intérêt des universités de s’interroger sur la pertinence, entre autres : de leurs modalités de gestion des locaux : les locaux sont-ils mutualisés entre composantes ? quel est l’état d’utilisation des locaux (surfaces par étudiant / chercheur, degré de saturation, etc.) ? des redéploiements sont-ils nécessaires des site saturés vers les sites moins saturés ?
38Le lemme étudiant n’est présent que dans P1 et P3, qui concernent la gestion respectivement budgétaire/financière et immobilière. Il est absent de P2 (« ressources humaines »), ce qui montre la distance qui s’est creusée entre l’universitas magistrorum et scolarium d’origine et la conception d’une université censée fonctionner sans les étudiants. Les deux seules occurrences du mot sont d’ailleurs significatives de l’espace social qui lui est attribué. L’étudiant n’est ainsi qu’une unité de mesure physique, il n’est évoqué qu’en tant que facteur de masse. Son seul besoin est un besoin de surface, mais la satisfaction de celui-ci ne doit même pas constituer un critère décisif pour l’attribution des crédits. Dans tous les cas, la convergence systématique d’« étudiant » et de « comptabilité » sur les trois graphiques trouve ici sa justification : l’étudiant n’est qu’une grandeur comptable ; et sa proximité du nuage immobilier/patrimonial est également tout à fait congruente avec sa réduction à l’espace qu’il occupe.
- connaissance et son nuage
L’ensemble des éléments suivants doit concourir à la réalisation de cet objectif : […] la connaissance par l’université de tous les moyens participant au fonctionnement de ses services, en particulier […].
Il revient donc aux universités : […] de se doter des méthodes de pilotage de la masse salariale qui devront notamment s’appuyer sur les travaux suivants :
- la connaissance des éléments constitutifs de la masse salariale […] et l’identification des plus gros postes de dépenses ;
- il importe que les universités : améliorent leur connaissance des variations qui affectent le volume de leurs effectifs (en particulier pour ce qui est des départs en retraite) ;
- il est absolument essentiel que les universités disposent d’une bonne connaissance : de leur charge d’enseignement théorique – connaissance qui peut prendre la forme d’une modélisation de cette charge ;
- le transfert de la propriété du patrimoine à une université ne peut être envisagé qu’à la condition que celle-ci dispose d’une connaissance fiable et exhaustive de la composition et de la valeur de son patrimoine. c’est cette connaissance qui lui permettra de mettre en place les mécanismes budgétaires et comptables lui permettant de supporter la charge financière liée au renouvellement de ses immobilisations ;
- les fonctions dites du propriétaire doivent être exercées au niveau central : […] connaissance et suivi de l’utilisation des locaux.
40Le terme « connaissance » a été noté en italiques sur le graphique, dans la mesure où un texte portant sur l’université est susceptible d’évoquer cette « économie de la connaissance » dont les instances européennes ont si vigoureusement diffusé la notion. Toutefois, on a signalé la position particulière du terme, à la fois médiane, robuste et associée à une série de termes non intellectuels (salaire, indemnité, financer, valoriser, fiabilisation). Ceci correspond bien au fait que les huit occurrences du terme n’ont en fait rien à voir avec ce que les scientifiques appellent « la connaissance ».
41La connaissance dont il s’agit est donc uniquement une « connaissance par l’université », formule métonymique qui désigne en fait la connaissance par l’administration. Il s’agit là d’un glissement de sens significatif : la seule connaissance envisagée dans le Cahier des charges pour l’université, en dépit de l’« économie de la connaissance » tant claironnée, ne serait ainsi qu’administrative ! Par ailleurs, on voit bien que la connaissance en question est une obligation faite à l’administration, à mille lieues de la logique de la recherche, dans laquelle la connaissance est un objectif à long terme et qui, comme l’horizon, recule à mesure que l’on progresse. La connaissance dont il est ici question n’est, on le voit bien, guère que le résultat de procédures de contrôle – on est ici dans la logique du renseignement et de la collecte de l’information.
42Le glissement de sens de « connaissance » (qui ne devrait donc, en fin de compte, pas apparaître en italiques sur le graphique) impose alors de regarder ce qu’il en est d’autres termes qui, normalement, devraient concerner le niveau des activités scientifiques et pédagogiques des universités, mais dont on avait déjà signalé le glissement, sur les graphiques, de la sphère scientifico-enseignante à celle de la gestion.
- qualité-performance-compétence
[Groupes nominaux concernant la « qualité » :] qualité de leurs prévisions budgétaires ; prévisions budgétaires de bonne qualité ; diagnostic de la qualité de leurs comptes ; qualité des contrôles réalisés ; assurer la qualité et l’exhaustivité des données ; contrôle de la qualité des données ; maîtriser la qualité de leurs processus internes […] de gestion ; audit des processus de gestion et de la qualité des contrôles internes ; audit de la qualité des données du système d’information ; renforcer l’attractivité de l’université en se donnant les moyens d’attirer et de retenir des personnels de qualité ; veiller à attirer, par leurs procédures de recrutement, des personnels de qualité.
44Et de fait, la « qualité » n’est, là encore, guère celle du travail universitaire. Il s’agit pour l’essentiel (9 occ. sur 11) de la qualité des prévisions budgétaires, des comptes, de la gestion, des contrôles, de l’information – bref un contrôle de la qualité, comme dans une usine de fabrication de chaussures ou d’automobiles ! Dans deux cas seulement, c’est de la qualité des personnels qu’il est question – une qualité qui précède (et justifie) l’accession à telle ou telle université, une qualité qui fait partie de la personne (on est – ou non – « de qualité »). On peut bien sûr espérer que la conjonction de personnes de qualité donnera une université de qualité, mais rien ne le garantit. Surtout, la logique sous-jacente est la même que celle de « l’immigration choisie », à savoir la ponction sélective sur le capital intellectuel formé ailleurs, corrélative du renoncement à constituer soi-même ce capital. Quant aux « moyens » de les attirer et retenir, cela ressemble fort à des moyens de marchandage qui posent la question de la survie d’une grille indiciaire définie et transparente. En tout cas, la « qualité » abordée dans le Cahier des charges ressemble plus à une exigence d’entreprise industrielle que d’un service public, elle ne concerne ni l’enseignement ni la recherche, mais pour l’essentiel le contrôle administratif ou de gestion.
[Groupes nominaux concernant la « compétence » :] « assumer l’ensemble de leurs missions, compétences et responsabilités » (article de loi) ; bénéficier des responsabilités et des compétences élargies en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines ; élargissement des compétences des universités ; élargissement de leurs compétences ; transfert de compétences ; assumer les nouvelles compétences prévues par la loi ; exercice de leurs nouvelles compétences ; nouvelles compétences ; gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences ; répartition des compétences ; répartition des compétences au sein de l’université, notamment entre services centraux et composantes ; adapter l’organisation des services et les compétences des gestionnaires ; montée en puissance des compétences de leurs gestionnaires à hauteur de l’élargissement de leurs responsabilités.
46Le terme de « compétence » n’est en fait utilisé qu’au pluriel (« les compétences », 13 occ.). Les compétences en question sont de deux ordres : il s’agit des compétences transférées de l’État aux universités, lesquelles ont donc à répondre des compétences « nouvelles » et « élargies » qu’elles doivent « exercer » et « assumer ». Il s’agit d’autre part des compétences réparties (donc attribuées) au sein de l’université, et notamment aux « gestionnaires ». Le parallèle établi dans le texte de loi entre « missions » et « compétences » ne doit donc pas faire illusion : à aucun moment il n’est envisagé que les compétences puissent être d’ordre scientifique et/ou pédagogique. Les « compétences » n’évoquent pas des domaines dans lesquels on dispose d’un certain savoir, mais dans lesquels on a le droit d’agir (la compétence correspond au ressort d’une fonction) ; il s’agit non pas de savoirs mais de pouvoirs (le transfert des compétences est ainsi à des années-lumière d’une quelconque transmission du savoir).
il est essentiel que les universités veillent à : allouer une part des crédits ainsi retenus en fonction d’une appréciation de la performance des composantes et non pas seulement sur la base de leurs critères physiques (nombre d’étudiants, etc.) ;
De façon schématique, l’université devra, pour mettre en place un dispositif de pilotage : sélectionner les informations lui permettant de suivre de façon pertinente ses réalisations et l’atteinte ou non de ses objectifs ; ces informations pourraient être synthétisées sous la forme de tableaux de bord, sectoriels au niveau des services, synthétiques au niveau de la direction de l’établissement, afin notamment de permettre à cette dernière de suivre la performance de l’établissement ainsi que la réalisation de ses grands projets et des objectifs contractuels.
Pour une présentation des enjeux et des méthodes de pilotage de la masse salariale, voir le Guide pratique du pilotage de la masse salariale : http://www.performance-publique.gouv.fr/expert/doc/GuideMassesalariale.pdf.
48Le terme « performance » est nettement plus rare (3 occ., dont 1 citation). Il s’agit de la performance soit de l’établissement, soit de ses parties (les « composantes », jamais précisées mais distinguées des « services » : les unités de formation et de recherche (UFR), par exemple ?), donc pas exactement de la performance scientifique et/ou pédagogique. En particulier, on voit bien que la performance est le résultat non pas du travail lui-même mais de la mesure du ratio résultats/objectifs ; il n’y a donc de performance qu’en fonction des objectifs et projets – selon une logique de rentabilité dont les effets délétères ont été abondamment dénoncés (l’impératif de trouver quelque chose de prédéfini l’emportant sur la recherche de ce qu’on ne conçoit même pas) [23]. La 3e occurrence renvoie quant à elle à une conception de la « performance publique » dont on a vu à quel point l’inspecteur général H. Guillaume est un ardent promoteur. Or cette performance publique est avant tout une gestion performante, en particulier de la masse salariale [24]. Il convient donc de considérer que la « performance de l’établissement » (niveau de réponse, gestion des crédits) ne correspond guère à ce que nous considérons habituellement comme performance universitaire (niveau d’enseignement, niveau de recherche).
49L’examen du sens des trois termes confirme ainsi bien ce que leur position sur les graphiques 1 et 2 avait suggéré : une université de qualité/performante est une université bien gérée et dont les compétences qui lui ont été attribuées sont bien pilotées et adéquatement réparties – notamment aux gestionnaires. Soyons clairs : il n’est pas scandaleux de se préoccuper de la bonne gestion d’une université, au contraire. Simplement, l’examen du sens des trois termes examinés montre que les préoccupations essentielles du Cahier des charges et, au-delà, de la LRU ne sont que de cet ordre – leur objectif n’est pas la performance universitaire, mais la performance de l’établissement [25], pas la qualité universitaire mais la qualité du contrôle, pas la compétence des personnes mais la maîtrise des compétences dont l’État se désengage.
- formation-enseignement
[Groupes nominaux concernant l’« enseignement » :] « ministre chargé de l’enseignement supérieur » × 2 ; ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche × 2 ; « principes généraux de répartition de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions » ; « fonctions d’enseignement, de recherche, ou d’enseignement et de recherche » ; fonctions d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche ; bonne connaissance : de leur charge d’enseignement théorique […] ; de l’ensemble des activités (d’enseignement, de recherche et administratives) réellement effectuées par les enseignants-chercheurs ; pertinence, entre autres : des plages horaires d’enseignement. il est essentiel que les universités veillent à : mettre en place des mécanismes budgétaires de responsabilisation des composantes sur leurs choix de gestion en particulier leur offre de formation (par exemple en formalisant au niveau de l’université des règles relatives à l’offre de formation et à l’utilisation des heures complémentaires).
« Le conseil d’administration définit, dans le respect des conditions statutaires applicables et des missions de formation initiale et continue de l’établissement, les principes généraux de répartition de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels. »
- il leur appartient tout d’abord de définir leurs besoins à moyen terme en fonction de leurs priorités, notamment en matière de formation et de recherche et qui pourraient utilement être formalisés sous la forme d’un document de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences ;
- un chantier de cette importance nécessite en effet : la montée en puissance des compétences de leurs gestionnaires à hauteur de l’élargissement de leurs responsabilités. Il importe : de mettre en place des plans de formation adaptés.
51Il convient donc d’examiner la manière dont sont conçues les tâches spécifiques de l’université, à savoir l’enseignement supérieur et la recherche [26]. L’enseignement est présent sous deux formes : l’enseignement proprement dit (12 occ.), et la formation (5 occ.) – formation dont on se rappellera à la fois la position robuste et la relative proximité sur le graphique 1 en même temps que le déport vers le centre et le bas (donc en direction du pôle « gestion »), qui pourrait exprimer la dérive utilitariste de l’enseignement. De fait, on observe d’une part que la formation est une offre de l’université (les 2 seules occurrences du terme concernent la formation), qui nous replace explicitement dans la logique marchande offre/demande – or, dans cette logique, il faut que l’offre corresponde à la demande (sachant que les universités sont mal armées pour modeler la demande à coup de publicité…). Les « missions de formation initiale et continue » sentent donc à plein nez le façonnage planifié d’une main-d’œuvre adaptée (en termes politiquement corrects : mettre les « compétences » à la hauteur des « responsabilités », comme il est dit à propos des gestionnaires). D’autre part, le choix de « l’offre de formation » est explicitement assimilé aux « choix de gestion » des « composantes » (sans doute les UFR). L’université doit donc gérer une mission de mise en forme des gens qui la fréquentent – ses usagers, ses clients, en tout cas pas les « étudiants », on l’a vu. L’absence des étudiants prend dès lors tout son sens, puisqu’on ne vient pas étudier à l’université, mais s’y former (ou plutôt : s’y faire former).
52Quel rapport y a-t-il alors entre la formation et l’enseignement ? Les deux mots sont visiblement considérés comme équivalents puisqu’on voit le segment « priorités, notamment en matière de formation et de recherche » employé en parallèle au segment « activités [ou fonctions] d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche ». Ce qui vient d’être dit pour la « formation » serait donc applicable à l’enseignement, ce qui change n’étant que l’échelle : on parle de formation au niveau de l’université ou des « composantes » (UFR ?), et d’enseignement au niveau des devoirs [27] du personnel (charge concrètement due par le personnel recruté, activité effectivement réalisée par celui-ci ; un ratio activité/charge est donc concevable – et apparemment envisagé dans le seul paragraphe qui évoque la charge). Pour ce qui est de l’activité d’enseignement proprement dite, elle n’est envisagée que sous l’angle de son coût temporaire et spatial (évaluation de l’usage de l’espace par heure de cours). L’enseignement n’est donc que la manière pour les enseignants de réaliser l’offre de formation de l’université : ceci apparaît bien dans l’article de loi L 954-1 cité dans le Cahier des charges, qui soumet « les principes généraux de répartition de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels » au respect des « missions de formation initiale et continue de l’établissement ».
53Cet article, qui pourrait ainsi sembler de prime abord sympathique (on dirait un appel au respect de la mission d’enseignement), s’avère dès lors être un piège, à la fois parce qu’il fait passer de « l’enseignement supérieur » (explicitement rappelé dans la charge du ministre) à « la formation » et parce que l’activité de recherche n’apparaît que comme subsidiaire, une fois réalisée l’activité de formation… [28] L’examen des occurrences de recherche et de chercheur montre que la recherche n’est jamais conçue que comme un complément de l’éducation ou comme un coût à gérer, le chercheur pouvant même être, comme on l’a vu pour l’étudiant, une simple unité de mesure physique. Bref, l’université est avant tout un lieu de formation. Logiquement, l’intitulé du ministère de tutelle des universités devrait donc être « Ministère de la formation professionnelle et de la recherche éventuelle »…
- recruter-recrutement
[Groupes nominaux concernant les deux termes :] « masse salariale que l’établissement peut consacrer au recrutement des agents contractuels » ; « le président peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des agents contractuels 1o/ Pour occuper des fonctions techniques ou administratives de catégorie A 2o/ Pour assurer, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 952-6, des fonctions d’enseignement, de recherche, ou d’enseignement et de recherche […]. » ; la loi supprime les freins au recrutement des contractuels de haut niveau ; choix de gestion (recrutements, mesures indemnitaires, etc.) ; politiques de recrutement ; attirer, par leurs procédures de recrutement, des personnels de qualité ; en faisant une large place aux recrutements extérieurs, à tous les niveaux ; nouvelles libertés ouvertes par la loi en matière de recrutement de contractuels non enseignants mais surtout, et c’est là une grande nouveauté, pour assurer des fonctions d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche ; les modalités et les volumes de recrutement, sur les modalités de rémunération, de promotion et de carrière, de représentation, de régimes horaires et de congés etc. ; procédures de gestion des ressources humaines – recrutement, promotions, politique indemnitaire ; éléments relatifs à la masse salariale (recrutements, grilles de modulation indemnitaire, décisions en termes de répartition des obligations de service, etc.) ; renforcer l’encadrement de leurs services gestionnaires par redéploiement, repyramidage ou recrutement externe.
55Étant donné la dérive de l’enseignement et de la recherche vers le rentable, il convient d’examiner le sens donné aux procédures de recrutement, dont on avait signalé la position particulière sur les graphiques. Les lemmes recrutement et recruter (respectivement 11 et 1 occurrences) sont articulés dans la moitié des cas à la gestion salariale (coût salarial des recrutements, coûts dérivés liés aux indemnités et congés des personnels), dans les autres cas à une « politique de recrutement » (contractuels × 3, personnels extérieurs × 2, personnels de qualité) caractérisée avant tout par la liberté (verbe pouvoir, supprime les freins, libertés) : liberté du président, liberté de l’établissement/université (c’est-à-dire des instances dirigeantes). Le recrutement du personnel apparaît donc avant tout comme un acte lié à la gestion des ressources humaines [29], en raison des effets de coût qui en dérivent ; le problème de la qualité n’est pas absent, mais secondaire (et l’on a d’ailleurs vu ce que l’on entend par qualité dans le texte examiné). On comprend dès lors pourquoi les deux termes qui concernent le recrutement sont dans la position qui est la leur, au point de départ de l’axe P2-P4, qui articule masse salariale et gestion !
- paye-doter-pilotage
Les préalables : veiller à ce que la paye soit assurée sans heurts et se doter de capacités de pilotage de la masse salariale et des emplois ; Il revient donc aux universités de se doter des capacités techniques de suivre la masse salariale par une fiabilisation des données contenues dans les applications de gestion administrative et de paye [et] l’utilisation d’un logiciel de pilotage de la masse salariale. s’être doté de capacités de pilotage de la masse salariale ; se doter des méthodes de pilotage de la masse salariale ; s’être doté de capacités de pilotage des emplois ; se dotent d’instruments d’audit interne et de pilotage financier et patrimonial ; se doter d’un dispositif de pilotage permettant d’éclairer les décisions internes et les relations avec la tutelle ; se dotent d’instruments d’audit interne et de pilotage financier et patrimonial ; s’appuyer sur des dispositifs internes de contrôle et de pilotage ; utiliser leurs systèmes d’information à des fins de pilotage ; s’interroger sur les informations utiles à son pilotage interne.
LE PILOTAGE ET LES RELATIONS AVEC LA TUTELLE ; se doter d’un dispositif de pilotage permettant d’éclairer les décisions internes et les relations avec la tutelle ; s’interroger sur les informations utiles à son pilotage interne et celles qu’il devra transmettre à sa tutelle dans le cadre du reporting.
57L’enchaînement des trois termes n’est pas un hasard – et ceci confirme encore, si besoin était, que les proximités graphiques renvoient bien à des proximités d’usage (et donc les écarts graphiques à des écarts d’usage) : les trois termes peuvent être employés conjointement, ou alors deux par deux (doter et pilotage, d’où le fait que paye ne soit pas, sur le graphique, à côté de pilotage).
58Le mot paye désigne à la fois un devoir de l’université et une opération à gérer. Doter n’est utilisé que de façon réflexive, et comme un impératif : les universités doivent se doter de… Il n’est donc pas question d’une dotation dont bénéficierait l’université. Ce dont celles-ci doivent se doter est presque toujours « de capacités », notamment « techniques ».
59Quant à pilotage, qui est le terme le plus fréquent des trois, il bénéficie d’un double régime d’usage : d’une part, il s’agit de piloter un moyen de fonctionnement de l’université (la masse salariale dans 9 cas, les emplois dans 3 cas, l’exécution budgétaire dans 2 cas, financier et patrimonial dans 1 cas) ; d’autre part, le terme est utilisé sans complément (il ne s’agit plus de piloter quelque chose, mais du pilotage en soi), mais tout de même avec des précisions récurrentes qui viennent clarifier ce à quoi l’on a affaire : il s’agit soit de « dispositifs de pilotage » dont doit se doter l’université (5 cas), soit d’un pilotage ou de dispositifs interne(s) (5 cas) ; le terme est par ailleurs employé en parallèle à contrôle, audit, information, qui montre combien ce pilotage s’apparente à une surveillance. Or le pilotage apparaît comme le pendant au niveau interne du reporting (mot chic pour « envoi de rapports ») au niveau externe, qui consiste tout simplement en la surveillance exercée par « la tutelle ». Sur les graphiques, reporting est d’ailleurs clairement associé à piloter dont l’usage, unique, est spectaculairement lié à la notion d’autorité : le seul usage du terme dans le Cahier des charges stipule qu’« il importe que les universités élaborent un schéma directeur de leurs systèmes d’information, piloté par une autorité politique de l’établissement. »
60Le pilotage n’est donc rien d’autre que le relais au sein de l’université du pouvoir de contrôle exercé sur elle par le ministère – et l’on parle d’autonomie ? Il est donc rigoureusement logique que pilotage soit positionné sur les graphiques en direction de reporting-piloter, et l’on devrait probablement comprendre l’axe P2/P4 comme étant structuré en partie par le binôme interne/externe [30] c’est-à-dire, en termes hiérarchiques, au binôme contrôlé/contrôleur : le nuage P4 est donc à considérer comme le pôle du pouvoir (et non pas seulement de la gestion). Le sens de l’axe P2/P4 apparaît dès lors clairement : pilotage-gestion-paye-recrutement décrit le mode d’imposition de l’autorité sur le personnel. La gestion de l’université qu’entend mettre en place le Cahier des charges, et au-delà la LRU, n’est donc rien d’autre qu’une procédure de domination des personnels de l’université.
61* * *
62On pourrait bien sûr se pencher sur d’autres termes, qui apporteraient d’autres éclairages, mais je pense qu’on peut arrêter ici l’examen : la démonstration me semble être faite du caractère fortement structuré du texte et du caractère significatif des graphiques issus de l’analyse factorielle. De façon plus générale, l’examen me semble avoir clairement montré l’intérêt qu’il y a à passer les textes prétendument techniques au crible d’une analyse linguistique poussée. Celle à laquelle il a été ici procédé a montré le caractère inexistant de l’étudiant, semblable en cela au professeur, au maître de conférences et au chercheur, corollaire de la transformation de l’université en lieu de formation au lieu d’un lieu d’enseignement. La connaissance qu’on y envisage n’est de ce fait qu’une connaissance administrative du fonctionnement de l’établissement, qualité et performance ne sont que celles de la gestion. L’optique du Cahier des charges s’avère en effet massivement gestionnaire et vise à instaurer une administration tatillonne : le transfert des compétences de l’État consiste avant tout en un transfert des tâches de contrôle (euphémisées à l’aide de la métaphore du « pilotage »), ce qui rend encore plus inquiétants le renforcement de l’exécutif et la réduction des contre-pouvoirs au sein des universités. La promesse d’autonomie des universités signifie ainsi la perte d’autonomie des universitaires proprement dits ; cette domination des universitaires par des présidents transformés en relais du pouvoir montre que l’enjeu de la LRU n’est pas seulement d’ordre économique (rentabiliser l’université) mais aussi (sinon avant tout) d’ordre politico-idéologique : éliminer les risques de maintien, voire de développement d’idées incompatibles avec le bon fonctionnement de l’ordre libéral.
Notes
-
[1]
Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, trad. de l’allemand par Élisabeth Guillot, Paris, Albin Michel, 1996 (éd. orig. 1975).
-
[2]
Je me demande toutefois si le terme même « néolibéral » n’est pas lui-même un piège lexical, car il sous-entend qu’il s’est produit quelque part en amont une rupture avec le libéralisme, ou plutôt avec une sorte de « libéralisme à visage humain » – ce qui est un moyen d’enchanter les fondements mêmes du libéralisme tout entier. Relisons les quelques lignes suivantes : « Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, mettre tout en exploitation, établir partout des relations. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l’implantation devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui ne transforment plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions du globe les plus éloignées, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde à la fois… » De qui et de quand sont ces lignes ? Mis à part l’usage du mot « civilisé », elles pourraient provenir d’un texte actuel (par exemple altermondialiste). Mais elles ont été écrites en 1847-1848, par Karl Marx et Friedrich Engels dans leur Manifeste du parti communiste (trad. de l’allemand par Laura Lafargue, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1970, p. 36), lorsqu’ils évoquent le triomphe de la bourgeoisie de leur temps… Il ne s’agit pas de suggérer le caractère visionnaire des deux hommes, mais simplement de comprendre que de rupture il n’y a pas eu et qu’il ne s’agit guère que de la poursuite et de l’intensification d’un processus entamé depuis longtemps.
-
[3]
N.D.A. : Lien actuel (avril 2020) : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/IMG/pdf/Glossaire.pdf.
-
[4]
Ulrich Bröcking, Susanne Krasmann et Thomas Lemkeen (dir.), Glossar der Gegenwart, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2004.
-
[5]
N.D.A. : Ce document peut être téléchargé (avril 2020) sous le lien http://www.amue.fr/fileadmin/amue/pilotage/documents-publications/IGF_IGAENR_cahier_des_charges_08oct.pdf et sur divers sites syndicaux.
-
[6]
N.D.A. : En 2007, l’URL de téléchargement était : https://www.igf.minefi.gouv.fr/sections/les_rapports_par_ann/2007/cahier_des_charges_e.
-
[7]
N.D.A. : Ce décret peut être consulté sous le lien suivant (avril 2020) : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=D82A1FF450E238B586C33939C5313131.tplgfr23s_3?cidTexte=JORFTEXT000000242925&dateTexte=20061005.
-
[8]
URL : http://www.igf.finances.gouv.fr/cms/sites/igf/accueil.html. N.D.A. : Le site officiel de l’IGF fournissait en 2007 divers textes réglementaires. Consulté en 2020, il apparaît avoir été profondément réaménagé depuis. Le rapport ici étudié a été éliminé de la liste des divers rapports produits par l’IGF (y compris d’autres en collaboration avec l’IGAENR), liste qui pourtant remonte jusqu’à 2006. Une observation : on trouve dans cette liste un rapport daté d’avril 2019 intitulé « Le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des universités » (http://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2020/2018-M-100-03_pilotage_masse_salariale_universit%c3%a9s.pdf), classé dans la section Réforme de l’État et gestion publique et non pas dans la section Numérique, recherche et éducation. La teneur de ce rapport combine l’autosatisfaction étatique, l’injonction à comprimer davantage encore la masse salariale en tant que signe et moyen de l’autonomie des universités, et le cynisme conduisant à dénoncer que l’augmentation de la masse salariale soit « compensée par la puissance publique en particulier dès lors que cette dernière affecte par ses décisions le niveau des dépenses engagées par les universités. »
-
[9]
Il a été commissaire au Plan, conseiller au cabinet de Pierre Mauroy en 1982-1983, professeur d’économie à l’École centrale de Paris, président-directeur général de l’Agence de l’innovation (ANVAR), Président du Comité d’engagement du fonds public pour le capital-risque, membre du conseil d’administration du Commissariat à l’énergie atomique (CEA)…
-
[10]
Rapport consécutif à la mission sur la politique en faveur de la technologie et de l’innovation confiée en juillet 1997 par Claude Allègre, Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret à Henri Guillaume. Celui-ci y diagnostique que, si la France dispose d’un potentiel scientifique de premier plan, elle souffre du manque de relations entre la recherche et ses découvertes d’une part et les activités industrielles d’autre part. Il propose un ensemble de recommandations sur l’essaimage et le transfert de technologie : la création d’un Centre de la recherche technologique afin de fédérer les efforts de recherche ; l’allocation de crédits publics pour la création d’entreprises innovantes, le soutien aux entreprises moyennes et le renforcement du couplage entre la recherche publique et les industriels ; la simplification des dispositifs de transfert de technologie ; le lancement de fonds d’amorçage. C’est sur ce rapport que se fonde le Plan U3M.
-
[11]
Cette mission, dont le comité de pilotage a été installé le 2 mars 2001 par Laurent Fabius, succédait à la mission pour le commerce électronique et avait notamment pour objectifs d’animer une réflexion prospective sur le développement et l’impact des technologies de l’information sur l’économie, de mesurer les progrès accomplis par la France en ce domaine, et de contribuer aux travaux sur l’adaptation du cadre applicable à l’économie numérique. Le comité de pilotage de la mission était garant de son rôle de concertation entre les acteurs du secteur privé et les pouvoirs publics. Il était composé de représentants des directions du ministère, de chefs d’entreprise et d’acteurs de l’économie numérique. C’est de ses travaux qu’est issue la loi sur la confiance pour l’économie numérique (LECN), largement liberticide, dont le projet a été examiné en première lecture au premier semestre 2003.
-
[12]
Henri Guillaume, Gestion publique : l’État et la performance, Paris, Presses de Science Po et Dalloz, 2002. L’ouvrage est présenté ainsi par L’Expansion : « Comment éviter que la liste des réformes avortées ne continue de s’allonger ? “Leur succès passe de manière cruciale par une réforme de la procédure budgétaire et de la gestion publique”, répondent trois fonctionnaires d’élite… » (Emmanuel Lechypre, « Leçons de réforme », L’Expansion, 01/09/2002, désormais en ligne : https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/lecons-de-reforme_1346580.html [lien valide en avril 2020]).
-
[13]
L’écho qu’en donne Le Figaro montre bien la nature des enjeux : « L’évaluation des laboratoires et des chercheurs, à la charge de la toute nouvelle Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES), doit tenir compte des apports économiques et sociétaux. Ce travail d’évaluation devra permettre d’identifier quelques pôles d’excellence en France, et de leur attribuer des moyens importants, comme le font les États-Unis, la Grande-Bretagne, et plus récemment l’Allemagne. Les Grandes Écoles participent depuis leur création à la formation des futurs cadres des entreprises, au renouvellement des savoirs dans les domaines scientifique et technique, et à la création d’entreprises. Elles sont bien placées, comme le montre le rapport d’Henri Guillaume, pour répondre à l’enjeu primordial que représente pour la France le développement économique. » (Benoît Legait et Hervé Biausser, « Un mauvais couplage entre recherche publique et recherche privée », Le Figaro, 04/02/2007, désormais en ligne : https://www.lefigaro.fr/politique/2007/02/04/01002-20070204ARTWWW90053-les_temoignages_de_herve_biausser_et_benoit_legait.php [lien vérifié en avril 2020]). Les universités n’ont par conséquent qu’à disparaître – ou à se transformer en grandes écoles déguisées.
-
[14]
La délétère substitution du « projet de recherche » au « travail de recherche » a été récemment dénoncée par la médiéviste américaine Caroline Walker Bynum, « The P Word », Perspectives, Octobre 2007, p. 58. Voir aussi, sur un mode plus sarcastique, http://www.sauvons-larecherche.fr/spip.php?article951 [lien vérifié en avril 2020].
-
[15]
N.D.A. : D’après l’ancien site officiel de l’IGAENR, aujourd’hui disparue, dont l’URL était http://www.education.gouv.fr/syst/igaen/default.htm. En septembre 2019, l’IGAENR et d’autres inspections générales de l’Éducation nationale ont été fusionnées au sein d’une inspection unique, l’IGESR (Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche), dont le site officiel est consultable (avril 2020) sous le lien http://sports.gouv.fr/organisation/le-ministere/administration/Inspection-generale-de-l-education-du-sport-et-de-la-recherche. Néanmoins, quelque 200 anciens rapports de l’IGAENR sont consultables (avril 2020) sous le lien https://www.education.gouv.fr/recherche/type/rapport-publication/report_and_publication_type/rapport-igaenr. Étrangement, comme dans le cas de l’IGF, le rapport ici examiné ne figure pas parmi les documents mis à disposition.
-
[16]
Secrétaire général de l’université de Nancy 2 puis de l’université de Strasbourg 1, avant de devenir délégué régional à la délégation Centre-Est du CNRS ; il est nommé à l’IGAENR le 25 avril 2007.
-
[17]
Énarque et diplômé d’HEC, ancien directeur adjoint de cabinet de Claude Allègre et directeur de programmation du développement au ministère de l’Éducation nationale, professeur associé à l’EHESS où il assure un séminaire en sociologie et économie de l’éducation ; depuis le 4 octobre 2007, il est chef de service à l’IGAENR, adjoint au directeur général de la recherche et de l’innovation, et représentant de l’État au conseil d’administration de l’Institut national de la recherche agronomique.
-
[18]
Docteur en gestion ; il a dirigé le département « Techniques de commercialisation » de l’IUT de Créteil, avant de devenir vice-président puis président de l’université de Paris 12. Il a aussi présidé l’établissement public du campus de Jussieu, avant de devenir directeur de l’École supérieure de l’Éducation nationale à Poitiers (chargée de la formation des personnels d’encadrement du ministère de l’Éducation nationale), qu’il quitte pour l’IGAENR en février 2006.
-
[19]
Par exemple on a distingué enseignant en tant que substantif (un enseignant) et enseignant en tant qu’adjectif (personnels enseignants) ; une éventuelle forme au participe présent (un gérondif) aurait en revanche été lemmatisée sous le verbe à l’infinitif. Les lemmes ont donc tous été « étiquetés » (tagged), et ils seront mentionnés avec un fragment de cette étiquette (_1 = verbe ; _2 = substantif ; _3 = adjectif) lorsque c’est nécessaire dans cette partie lexicale, mais systématiquement (automatiquement) sur le graphique issu de l’analyse factorielle.
-
[20]
Même en gonflant le champ « service public » en retenant université (ce qui est fallacieux en raison de la thématique du texte), on n’arrive donc pas au niveau du champ « économie ». Et cela ne s’arrange pas en prenant en compte le reste des lemmes, parmi lesquels les aspects universitaires, pédagogiques ou administratifs sont nettement moins nombreux que les termes économiques ou financiers.
-
[21]
Il s’agit des lemmes : acquérir, acquisition, affectation, affecter, biatoss, bien_2, budget, budgétaire, budgétisation, compétence, comptabilité, comptable, connaissance, dotation, doter, économique, éducation, efficace, emploi, employeur, engagement, engager, enseignant_2, enseignant_3, enseignants_chercheur, enseignement, enveloppe, État, étudiant, évaluation, évaluer, expertise, fiabiliser, fiabilisation, fiabilité, fiable, finance, financement, financer, financeur, financier, fongibilité, formation, gérer, gestion, gestionnaire_2, gestionnaire_3, immobilier_2, immobilier_3, impôt, incitatif, indemnité, intéressement, intérêt, investissement, maître, mobilier, paiement, paye, patrimoine, patrimonial, pédagogique, performance, personnel_2, pilotage, piloter, plafond, prime, professeur, qualité, recette, recherche, recrutement, recruter, rémunération, rémunérer, rentabiliser, reporting, ressource, salaire, salarial, trésor, trésorerie, universitaire, université, valeur, valorisation, valoriser.
-
[22]
Ceci pose alors le problème de la présence ici de rentabiliser, comme si gouverner l’université signifiait la rendre rentable…
-
[23]
Voir note 14.
-
[24]
On se rappellera en particulier que « l’appréciation de la performance des composantes » est présentée comme le critère de l’attribution des crédits, dont on conseille qu’ils soient de moins en moins fléchés, c’est-à-dire affectés par l’État à des usages précis, par exemples salariaux – puisqu’on rappelle au même moment le principe de « fongibilité asymétrique », les crédits pour les personnels pouvant être affectés à d’autres usages, mais non l’inverse.
-
[25]
Ce terme d’établissement est très fréquent dans le Cahier des charges (33 occ., 3e substantif après université et gestion) et sert à désigner l’université dans son rapport à l’État ou au ministère, ce qui permet de la noyer au sein d’une masse d’« établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel », à propos desquels on apprend qu’il existe une « Agence de mutualisation des universités et établissements ». L’usage du terme d’établissement, qui me semble s’être considérablement diffusé durant les dernières années et ne retient que le seul caractère institutionnel, apparaît donc un moyen de nier la spécificité de l’université, sommée de se penser à travers le crible tout à la fois scientifique, culturel et professionnel.
-
[26]
Ces tâches spécifiques ne devraient en aucun cas faire oublier que les universités ont également une tâche globale de service public qui, quoi qu’on en dise, ne se restreint en aucun cas à ces tâches spécifiques mais ont pour finalité l’intégration, la solidarité et l’égalité sociales – tâche de service public difficilement mesurable, car elle est plus d’ordre qualitatif que quantitatif. Or c’est à l’aune des seules tâches spécifiques qu’est mesurée l’efficacité des services publics comme l’université, l’école, l’hôpital, la poste, les transports en commun – une efficacité ensuite comparée à des services privés qui n’ont en aucun cas à assurer aussi l’intégration sociale, laquelle est d’ailleurs confiée dans de nombreux pays à des institutions sociales qui, pour des raisons historiques, ne jouent qu’un rôle marginal en France (paroisses, parentèle, communautés culturelles, etc.). La négligence de la tâche globale de service public est le moyen le plus efficace de falsification des calculs de rentabilité et donc de l’efficacité des services publics, puisque le nombre des employés de ces services est rapporté à une partie seulement de leur production, celle qui est commercialisable, et non à l’ensemble de leur efficacité sociale.
-
[27]
Ce devoir s’appelle « obligations de service » ; les « missions de service public », explicitement mentionnées (deux fois) dans un article de loi cité par le Cahier des charges, ne sont ainsi glosées que sous la forme du service dû, c’est-à-dire du devoir de « servir » (la « manière de servir » servant au calcul des primes, une expression – répétée deux fois – nauséabonde qui fait craindre quant à elle qu’on passe du service dû au public à un service dû au dispensateur des primes et, de là, à la servilité).
-
[28]
On se rappellera à ce propos la présentation (évoquée plus haut, note 13) dans le Figaro du Rapport sur la valorisation de la recherche « pondu » par H. Guillaume, dans laquelle seules « les Grandes Écoles » sont prises en compte pour le « renouvellement des savoirs ». L’université devrait donc n’être qu’un lieu de formation post-scolaire…
-
[29]
L’examen des 32 occurrences de personnel et des 10 occurrences du syntagme ressources humaines aboutit à des résultats conformes à tout cela. Personnel apparaît dans 20 cas comme dépenses en, rémunération des, crédits de ou primes aux personnels : le terme est donc avant tout lié aux coûts de fonctionnement – mais rappelons qu’en vertu de la « fongibilité asymétrique », c’est la seule des trois enveloppes budgétaires (les deux autres étant les dépenses de fonctionnement et d’investissement) qui soit uniquement compressible (puisque les deux autres peuvent être chacune accrues au détriment des autres ; la place du mot fongibilité, déporté vers l’axe 1, illustre bien la menace de transfert des dépenses de personnel vers le pôle des actifs comptables). 11 occurrences concernent le service attendu par l’université et la récompense du zèle : il s’agit fondamentalement d’en avoir pour son argent – ce qui en soi n’est pas scandaleux, à condition que les critères d’évaluation soient transparents et non discrétionnaires, mais rien de tel n’est garanti. 6 occurrences concernent la gestion de la diversité des statuts (enseignants-chercheurs, BIATOSS) et 3 le recrutement de personnels de qualité : le terme de personnels, en dépit de ses apparentes neutralité et généralité, masque ainsi d’importants écarts (statuts, titulaires/contractuels, qualité/non-qualité, zèle/non-zèle) que l’on s’emploiera à faire jouer (« modifier la composition de son personnel, en faisant évoluer les parts respectives des personnels enseignants-chercheurs et administratifs », primes et récompenses, passage des heures complémentaires des titulaires aux contractuels, etc.). Parler de « personnels » s’avère ainsi être un rideau de fumée. Le syntagme ressources humaines n’apparaît quant à lui que dans l’expression « gestion des [1 fois gérer les] ressources humaines » ; cette expression est tout à fait caractéristique du monde de l’entreprise, d’où elle provient, et il serait certainement intéressant de connaître plus précisément l’histoire de ce syntagme (forme euphémisée de « capital humain ») et de son passage aux administrations publiques. La teneur libérale de la notion ne saurait être mis en doute, comme le montre par exemple le cahier des charges du ministère canadien appelé « Ressources humaines et développement social Canada » (RHDSC) : « La mission de RHDSC est de bâtir un Canada plus fort et plus concurrentiel, d’aider les Canadiennes et Canadiens à faire les bons choix afin que leurs vies soient productives et gratifiantes, et d’améliorer leur qualité de vie » (http://www.hrsdc.gc.ca/fr). N.D.A. : RHDSC a changé de nom en 2009 (RHDCC) puis 2013 (désormais EDSC : Emploi et Développement Social Canada) ; la phrase citée était encore présente dans la présentation de la RHDCC, et elle figure avec une légère modification dans la présentation des objectifs de l’EDSC : « Emploi et Développement social Canada (EDSC) a pour mission de bâtir un Canada plus fort et plus concurrentiel, d’aider les Canadiennes et les Canadiens à faire les bons choix afin que leur vie soit plus productive et gratifiante et d’améliorer leur qualité de vie » (http://publications.gc.ca/collections/collection_2016/edsc-esdc/Em1-9-2016-fra.pdf, p. 4).
-
[30]
C’est ce qui permettrait alors de comprendre la position de recruter et recrutement, au départ de l’axe orienté vers P4 = externe, puisqu’on a signalé l’insistance sur la nécessité de recrutements externes.