Notes
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[1]
La Commission européenne est composée de trente directions générales (DG). Chaque DG est composée de six à dix directions, elles-mêmes subdivisées généralement en quatre unités, chacune comprenant entre quinze et vingt fonctionnaires ou agents contractuels.
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[2]
L’OMS a produit en 1980 un système de classification du handicap à vocation universelle. Cette définition dite « sociale », affinée en 1999, a été très largement diffusée et reprise par d’autres organisations internationales (Bureau international du travail (BIT), UE) ou sphères académiques. Elle distingue entre les déficiences, définies comme la perte ou l’anormalité d’une fonction ou structure physiologique, psychologique ou anatomique ; l’incapacité définie comme une limitation importante résultant de cette déficience dans l’accomplissement d’activités considérées comme normales dans un contexte social donné ; et le handicap qui renvoi à un désavantage social résultant de l’incapacité qui empêche la réalisation du rôle normal d’une personne d’un âge, sexe, culture ou situation sociale déterminée. Le handicap se trouve ainsi en partie démédicalisé et devient contextuel dans le sens où c’est l’interaction avec l’environnement qui produit des situations handicapantes (BIT 1998).
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[3]
Henri-Jacques Stiker fait remonter aux années 1950 l’unification lexicale opérée par le terme « handicap », emprunté au monde sportif, qui reflète une conception postulant la possibilité de réintégrer les personnes dans la compétition de la société capitaliste en égalisant les chances au départ (Stiker 2009).
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[4]
Chiffres repris de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE 2003) et Eurostat (2001). Ces chiffres doivent être maniés avec précaution, car ils ne recouvrent pas les mêmes périmètres de dépenses et de population. Par exemple, certains pays intègrent la dépendance liée à la vieillesse alors que dans d’autres pays la définition est limitée aux personnes en âge de travailler.
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[5]
Un autre groupe d’intérêt européen actif dans le secteur, Workability Europe, fédère les organisations nationales qui fournissent des services aux personnes handicapées et soutiennent des projets d’insertion professionnelle.
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[6]
On peut noter l’existence d’une même relation temporelle entre la « décision » et la mobilisation d’expertise au moment de l’abandon du cadrage emploi en faveur du cadrage anti-discrimination, dans la mesure où la production d’une expertise juridique ne monte en puissance qu’à partir de 2009-2010.
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[7]
Économiste d’origine néo-zélandaise, Deborah Mabbett est l’une des seules économistes reconnues dans les Disability Studies. Or il s’agit d’une économiste atypique, très ouverte sur les sciences sociales, le constructivisme et l’histoire.
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[8]
Le fait que la majorité des experts reconnus par l’UE sur ces questions proviennent du Royaume-Uni, des Pays-Bas et des pays scandinaves explique aussi en partie pourquoi les exemples de « bonnes pratiques » mis en exergue dans les documents officiels proviennent souvent de ces pays.
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[9]
Entretien avec un chef d’unité DG Ecfin, chargé de la Stratégie de Lisbonne, 41 ans, de nationalité irlandaise, formation en micro-économie, diplômé de Bruges et fonctionnaire à la DG Ecfin depuis 1991.
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[10]
Chef d’unité DG Emploi de nationalité britannique, environ 55 ans avec une formation en macro-économie. Entretien à Bruxelles, le 13 mars 2008.
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[11]
Le nombre d’allocataires d’une prestation handicap avait cru de 41 % dans les années 1990 malgré une législation anti-discrimination très ambitieuse et une économie dynamique. Le taux d’activité des personnes était très en dessous de la moyenne de l’OCDE (OCDE 2003 : 34 et 61).
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[12]
Directeur d’unité DG Emploi, d’origine italienne, âgé d’une soixantaine d’années et diplômé en économie politique. Entretien à Bruxelles 11 février 2009.
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[13]
Entretien avec le membre du cabinet du Commissaire de la DG Emploi ayant en charge le portefeuille handicap. De la même nationalité que son commissaire, médecin de formation et figure de l’opposition tchèque dans les années 1980, il était auparavant membre du cabinet ministériel national du commissaire.
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[14]
Entretien avec un directeur d’unité DG Ecfin à Bruxelles, le 11 décembre 2007.
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[15]
Né en Espagne en 1956 parlant couramment cinq langues, Prats Monné est titulaire d’un diplôme en économie du développement et a fait ses études dans quatre pays européens avant d’être major de sa promotion 1981 au Collège de Bruges. L’intégralité de sa carrière s’est déroulée à la Commission avec une alternance entre des postes dans les cabinets et dans diverses DG.
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[16]
Né en 1944, Vignon est polytechnicien et diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE). Ancien directeur de la stratégie à la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), sa carrière européenne commence en 1984. Proche de Jacques Delors, il dirige la cellule prospection de la Commission avant d’être nommé en 1998 à la tête de la direction Protection et intégration sociale.
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[17]
Le Forum européen des personnes handicapées (European Disability Forum, EDF) s’est structuré à partir des commissions consultatives du programme Helios II (1993-1996). Sa première directrice, Nicola Bedlington, était membre de la Commission et travaillait sur le projet Helios II. Sur ce point voir Granick (2010).
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[18]
Entretien à Bruxelles avec un « policy officer » du réseau European platform for Rehabilitation, le 4 mai 2009.
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[19]
Entretiens à Bruxelles avec des « policy officers » de l’EASPD (European association of service providers for the disabled) et de Workability Europe, le 7 mai 2009.
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[20]
Entretien avec un chef d’unité DG Emploi, le 13 mars 2008.
1En 1996, au moment de la relance des politiques sociales, l’Union européenne (UE) a commencé à développer et à institutionnaliser une politique en direction des personnes handicapées. Depuis cette date les institutions, et la Commission en particulier, ont produit un nombre important de plans d’action, de communications, de rapports, d’indicateurs statistiques, de directives et de préconisations. L’institutionnalisation de cette politique s’incarne dans la création d’une unité « handicap » au sein de la direction générale Emploi, affaires sociales et égalité des chances (DG Emploi) [1] ; la constitution en 1996 d’un « groupe de haut niveau » réunissant des représentants des États membres ; un soutien fort de la Commission à la création d’un groupe d’intérêt européen, le Forum européen des personnes handicapées, en 1996, et la mise en place en 2007 de l’ANED (Academic Network of European Disability Experts). Si cette politique reste officiellement une compétence nationale et mobilise des ressources budgétaires et humaines limitées, l’UE a néanmoins réussi à imposer l’échelle européenne comme espace légitime de formulation d’un problème public et a enclenché un processus, encore incomplet, d’unification symbolique des personnes handicapées comme catégorie sociale européenne (Bourdieu 1993 : 54). Les différents supports de communication de l’UE et des groupes d’intérêt ont avancé le chiffre de 37 millions de handicapés en 1997, puis 44,6 millions en 2002 et 80 millions à partir de 2009 avec les élargissements et les changements définitionnels. La faible insertion économique des personnes handicapées constituait, entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000, le principal enjeu sur lequel l’UE entendait jouer.
2Les promoteurs de cette politique ont ainsi réussi à forger, en peu de temps, une représentation en apparence partagée d’un problème européen (Smith 2004). Pour ce faire, il se sont appuyés sur un ensemble de recommandations, de modèles (best practice, projets pilotes), d’indicateurs statistiques et de rapports d’évaluation qui ont contribué à diffuser des représentations de l’identité du groupe « handicapés », de la nature de son « problème » et des actions supposées nécessaires pour y remédier. Cependant, à partir de 2008, la Commission a progressivement abandonné le cadrage centré sur l’emploi (Waldschmidt 2009) en faveur d’une approche plus juridique de lutte contre les discriminations (Guiraudon 2004). L’unité « handicap » a été déplacée à la DG Justice en 2011 et les formes de savoir mobilisées relèvent désormais du domaine juridique plutôt que de la statistique, de l’économie ou de la sociologie. La décennie où le handicap a pu être considéré comme un problème d’emploi apparaît aujourd’hui comme une parenthèse sans postérité qui soulève une série de questions sur la construction et l’institutionnalisation des problèmes publics européens (Rowell et Mangenot 2010). La trajectoire de cette politique publique relativement secondaire dans les préoccupations de l’UE représente ainsi un laboratoire intéressant pour étudier les processus d’institutionnalisation d’un groupe social européen et de l’imposition de l’UE comme un acteur légitime. Elle révèle aussi les fragilités et les limites de la production de la commensurabilité dans un domaine où les catégories nationales sont fortement structurées et historiquement ancrées (Barbier 2008). L’échec du cadrage sur l’emploi permet d’interroger le rôle des investissements de forme (Thévenot 1986) et des entrepreneurs de cause qui inscrivent les problèmes publics dans les instruments de connaissance et d’action (Lascoumes et Le Galès 2004). On souhaite ici mettre à l’épreuve l’hypothèse d’Alain Desrosières selon laquelle la solidité des conventions quantitatives qui certifient l’existence d’un groupe social ou d’un problème public dépend de la force et de l’autorité du réseau d’acteurs qui les soutiennent (Desrosières 1993 : 19). En croisant une approche centrée sur la sociologie politique des acteurs de l’Europe (Georgakakis 2012 ; Mudge et Vauchez 2012) et l’analyse sociologique de la quantification (Desrosières 1993 ; Penissat 2011 ; Genèses 2005), les instruments statistiques qui équipent cette politique seront analysés comme des révélateurs des clivages et rapports de force au sein de l’eurocratie.
3Dans une première partie, nous proposons de reconstituer le processus de fabrication de la commensurabilité européenne du handicap, catégorie sociale très liée aux langues et politiques nationales, et le travail d’adossement du handicap à la stratégie européenne de l’emploi. Il s’agit d’une part d’identifier les conditions de possibilité de la constitution du handicap comme problème européen et d’autre part d’analyser le travail de sélection, d’élagage et de formulation de faits constitutifs d’un « sens commun réformateur » (Topalov 1999). On verra dans une deuxième partie comment le processus d’institutionnalisation des catégories d’observation et d’action mobilise l’expertise académique et donne lieu à un investissement considérable dans la production statistique. Il s’agira de cerner le rôle des instruments de connaissance dans la construction et la légitimation des récits causaux (Jacobsson 2004) avant d’explorer, dans les deux dernières parties, les sources de la fragilité des savoirs statistiques et l’échec ultime du cadrage du problème sur la question de l’accès au travail des handicapés. Dans la troisième partie, on montrera en effet comment la mobilisation d’une forme de savoir sociologique, s’appuyant sur les enquêtes par questionnaire d’Eurostat, se heurte aux formes de preuve micro-économiques portées par les acteurs communautaires dominants. Enfin, pour compléter cette lecture « internaliste » de la fragilité des savoirs, on montrera dans une dernière partie que la faible capacité à susciter et à entraîner la croyance en la validité des formulations du problème est largement liée à la position marginale de ses promoteurs au sein de la bureaucratie bruxelloise et à la structure des relations avec des experts et groupes d’intérêt.
L’enquête
Quatorze entretiens d’une durée comprise entre une et deux heures ont été réalisés avec des hauts fonctionnaires et membres de cabinet des DG Emploi et DG Économie et finances (désormais Ecfin), dix avec des représentants de groupes d’intérêt et deux avec des statisticiens d’Eurostat. Les matériaux sur l’expertise et les groupes d’intérêt ne seront traités que très marginalement dans cet article, qui se propose de centrer le regard sur l’enrôlement des données statistiques dans les rapports de force internes à la Commission. Dotés d’une faible expertise économique et statistique, les groupes d’intérêt ont peu investi les questions de quantification. De même, l’analyse fine des temporalités d’enrôlement d’expertise extérieure montre que celle-ci intervient toujours après les arbitrages internes à la Commission et la consultation des représentants des États membres.
La fabrique d’un groupe social européen et son inscription dans la stratégie européenne de l’emploi
Une catégorie ancrée dans les histoires et politiques nationales
4Au regard de la diversité linguistique, culturelle et politique des pays de l’UE, la fabrique de la commensurabilité d’une catégorie sociale et d’un accord sur une définition commune d’un problème public ne va nullement de soi (Barbier 2008 ; Penissat et Rowell 2015). Le terme « handicap » unifie symboliquement un groupe social hétérogène et mobilise un champ lexical très varié, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne. Malgré les efforts de longue haleine des organisations internationales pour produire et diffuser des définitions juridiques (Nations unies) ou médico-sociales (Organisation mondiale de la santé, OMS) à portée universelle [2], le champ sémantique du handicap reste éclaté avec des variations fortes d’une langue à une autre et des définitions officielles et représentations sociales qui varient selon le contexte national. En anglais, disability et handicap constituent par exemple deux mots regroupés en français ou en allemand sous un terme unifié – handicap en français [3] ou Behinderung en allemand. Les termes associés tels que déficience, incapacité, invalidité, longue maladie, maladie chronique, etc., véhiculent un ensemble de sens et de représentations quant à l’origine (congénitale, suite à un accident, liée au vieillissement, à une maladie ou aux conditions de vie ou de travail) et la possibilité d’un retour à une vie « normale ». Les représentations et contours de cette catégorie sociale très hétérogène sont également étroitement liés aux sédimentations successives des politiques sociales depuis le xixe siècle (Kudlick 2003). Aux États-Unis, les prémisses d’une politique sociale ont d’abord reposé sur l’enjeu de la prise en charge des mutilés de la guerre civile (Skocpol 1992). En France, la constitution des handicapés sensoriels en catégorie et l’émergence d’une politique publique se sont articulées autour du débat sur l’éducabilité et la capacité à accomplir un travail productif des sourds et aveugles (Buton 2003). La dialectique entre l’agrégation et la différenciation interne de cette catégorie par l’action publique, les porte-parole et les savoirs experts a ainsi façonné les représentations, l’identité des acteurs habilités à définir les contours du groupe et/ou à déterminer qui mérite (ou subit) l’intervention publique (Schneider et Ingram 1993 : 334) suivant des dispositifs publics très variables d’un pays à un autre.
5Au moment du lancement de la politique européenne du handicap, cette hétérogénéité des contextes a été mise en exergue par la Commission à travers la mobilisation de chiffres destinés à la fois à établir l’importance du problème et à souligner l’extrême diversité des politiques nationales comme justification d’une nécessaire harmonisation au nom de l’égalité de traitement des citoyens européens. Ainsi, le pourcentage de la population adulte bénéficiant d’une allocation handicap oscillait entre 4 % et 12 % au sein de l’UE ; le pourcentage de personnes ayant une incapacité reconnue allait de 4,6 % en Italie à 29 % en Autriche, et les dépenses publiques se situaient dans une fourchette allant de 0,7 % à 4,6 % du PIB [4].
6Le premier pas vers la production de la commensurabilité fut la création d’un « groupe de haut niveau » en 1996, composé de représentants des États membres, qui avait pour mission de « passer en revue l’actualité en matière de politiques des États membres et [de] mettre en commun l’information et l’expérience » (Commission européenne 1996 : 1). Les rattachements ministériels de ses membres donnent un aperçu supplémentaire des inscriptions administratives très variables de cette catégorie. On y trouve en effet un représentant d’un ministère de la justice (Irlande), des affaires sociales (Italie, Danemark), de la famille (Luxembourg), de la santé publique et du sport (Pays-Bas), du travail, de la santé et des affaires sociales (Autriche, pour l’Allemagne travail et affaires sociales), du travail et de la solidarité (Espagne), de la santé et des affaires sociales (Finlande, Suède), de l’éducation et de l’emploi (Royaume-Uni), de la prévoyance (Grèce), et un délégué interministériel (France). Le premier document qui vise à esquisser les contours d’une future stratégie européenne reflète cette diversité en identifiant cinq « sphères d’exclusion » : l’éducation, l’emploi, la mobilité, le logement et la pauvreté (Commission européenne 1996 : 2-3). Bien que présent dans le document, l’emploi est loin d’occuper la place centrale qu’il aura par la suite.
Justifier le changement d’échelle pour la résolution du problème
7Avec l’affirmation de l’emploi comme cadre dominant des politiques sociales européennes, les politiques du handicap vont être progressivement réorientées avec pour corollaire la marginalisation progressive des autres thématiques identifiées par les représentants nationaux en 1996. Les fonctionnaires de la DG Emploi jouent un rôle décisif dans ce travail de recadrage, dans la mesure où ils sont les seuls acteurs permanents et ajustent l’agenda du « groupe de haut niveau », qui se réunit rarement et dont les représentants nationaux changent souvent. Dans les nombreux documents de travail rédigés par les fonctionnaires de la Commission, les questions de santé, de logement, d’éducation ou de pauvreté disparaissent progressivement comme thématiques autonomes ou figurent comme objectifs secondaires, l’intégration économique étant de plus en plus souvent considérée comme la clef de voûte de l’ensemble des problèmes d’insertion sociale et citoyenne. Ainsi, un document de travail de la DG Emploi de 1998 affirme la nécessité de « produire un cadre de référence pour l’action à venir des États membres afin d’atteindre les objectifs de leurs stratégies d’emploi, y compris l’amélioration des opportunités d’emploi pour des personnes handicapées » (Commission européenne 1998 : 1). Le principal problème identifié est un taux d’activité de 20 % à 30 % en dessous de la moyenne selon les estimations. Le document revendique pour la Commission un rôle de coordination pour améliorer des politiques nationales défaillantes en changeant l’échelle de leur résolution :
« Étant donné l’étendue du problème et l’effort important requis, les États-membres ont pris conscience de la nécessité de repenser l’action dans ce secteur. Les problèmes et barrières multiples que des personnes handicapées doivent affronter sur le marché de l’emploi montrent la nécessité d’adopter une approche globale pour répondre au défi. Les États-membres souhaitent augmenter le taux d’emploi des personnes handicapés en les encourageant à passer du welfare au travail et en éliminant les obstacles multiples à leur pleine participation. »
9Les rapports, communications et working papers de la DG Emploi publiés entre 1997 et 1999 se recentrent ainsi progressivement sur l’emploi et la Commission se positionne comme porte-parole à la fois des personnes handicapées et de la volonté de réforme des États membres :
« En plus d’un taux d’emploi particulièrement bas, les États-membres indiquent que la majorité des personnes handicapées en âge de travailler est totalement éloignée du marché de l’emploi et très dépendante des allocations. Ces allocations peuvent souvent renforcer l’exclusion du marché de l’emploi, créant une trappe à l’inactivité [La situation peut s’améliorer grâce à] un mouvement vers la culture du travail en tournant le dos à une culture de dépendance en enlevant des barrières à leur pleine participation dans la société […] repenser et réformer en profondeur les systèmes des allocations. »
11La définition du problème part de l’hypothèse que presque toutes les personnes handicapées ont envie de travailler et sont capables d’un travail dans le secteur concurrentiel. Les institutions européennes reprennent ce faisant à leur compte les discours des groupes d’intérêt du secteur qui affirment les capacités (abilities) [5] des personnes handicapées et le gâchis dû à la discrimination et aux insuffisances de l’action publique. Jusqu’à la fin des années 2000, la Commission européenne va ainsi préconiser inlassablement la nécessité de remplacer les dispositifs qui « compensent un état d’exclusion sociale et durcissent la fracture sociale » par des « mesures qui promeuvent l’intégration sociale et économique » (Commission européenne 1997 : 11). La DG Emploi se positionne ainsi comme championne de la cause des handicapés, à l’écoute de la société civile et engagée dans une modernisation « active » de politiques sociales nationales tout à la fois trop « passives », encourageant l’inactivité, stigmatisantes (disabled) et indifférentes au développement des capacités individuelles.
À la recherche de la légitimité du chiffre
12Avec l’inscription du handicap dans la logique des politiques de l’emploi, il importait de l’équiper d’instruments de connaissance et d’action dans un contexte bureaucratique où la légitimation de l’action publique passe par la « preuve » (evidence based policy making). Avec l’officialisation du benchmarking et la Méthode ouverte de coordination comme principal outil de coordination des politiques sociales en 2001 (Büchs 2007), le taux d’activité a été construit comme principal indicateur pour évaluer les performances nationales et comme objectif (Salais 2004). La qualité des données et l’autorité de ceux qui les produisent et s’en servent ont une forte incidence sur la légitimité de la politique publique ainsi outillée. Selon Alain Desrosières, l’utilisateur « veut pouvoir faire confiance le plus aveuglement possible à sa source afin de rendre son argumentation, étayée par cette source, la plus convaincante possible » (2003 : 160). L’institutionnalisation des indicateurs dépend aussi des perceptions de leur utilité en tant qu’aide à la décision et comme objectif pour orienter à distance les pratiques et les représentations (Bruno et Didier 2013).
13Contrairement à d’autres politiques publiques, par exemple la lutte contre la pauvreté ou le chômage, il n’a jamais été explicitement question de réduire le nombre de personnes handicapées ou souffrant d’une maladie chronique grâce à l’amélioration de la santé publique (diagnostics précoces, lutte contre l’alcoolisme, le tabagisme ou les mauvaises habitudes alimentaires, santé au travail, rééducation, réhabilitation, etc.). En revanche, c’est en croisant la catégorie avec d’autres variables que les indicateurs contribuent puissamment à rendre un problème visible, par la mise en évidence « objective » d’un écart avec la moyenne générale de la population. Avec l’objectif d’un taux d’activité des personnes en âge de travailler de 70 % en 2010 (pour 62 % en 2002), la Commission identifie plusieurs catégories de la population comme cibles « à activer », les femmes et les séniors en priorité, mais aussi les jeunes et les personnes handicapées. Contrairement aux catégories d’âge et de sexe, les contours plus incertains de la population des personnes handicapées et les difficultés méthodologiques ont requis d’importants investissements de forme pour produire un chiffre global et pour insérer ces « preuves » dans un récit causal.
L’enrôlement des savoirs experts
14Historiquement, la DG Emploi est l’une des administrations de l’UE qui a le plus eu recours à l’expertise externe produite par des universitaires, think tanks ou cabinets d’expertise (Robert 2007). Cet enrôlement de ressources expertes externes est peut-être moins le reflet des faiblesses analytiques internes que l’effet de l’intériorisation de la faible légitimité des questions sociales dans une Commission historiquement et structurellement prédisposée à placer les questions économiques et la régulation des marchés au centre de ses préoccupations (Denord et Schwartz 2009). Le lancement de cette nouvelle politique s’est ainsi traduit par une nette augmentation de la recherche financée sur ces thèmes, la commande de plusieurs rapports à des universitaires ou cabinets de conseils, la structuration à partir de 2007 d’un réseau d’experts du handicap et l’insertion de modules spécifiques dans les grandes enquêtes européennes pilotées par Eurostat.
15Significativement, la DG Emploi a commencé le travail de durcissement quantitatif de ses outils de gouvernement après la mise en place des grandes orientations de sa politique centrée sur l’emploi [6]. C’est en effet seulement à partir de 2000 que la DG Emploi lance trois études. Un premier rapport réalisé par le cabinet Ecotec prend la forme du recensement de l’ensemble des politiques d’emploi en lien avec le handicap en identifiant la nature « active » ou « passive » de chaque mesure (Ecotec 2000). Le deuxième rapport est publié en septembre 2002 et porte le titre « Definitions of disability in Europe. A comparative analysis » (Mabbett 2002). Il a fait l’objet d’un appel d’offres remporté par une équipe dirigée par Deborah Mabbett [7] de l’université de Brunnel au Royaume-Uni. Ce projet ambitieux, dont le premier objectif consiste à analyser les obstacles à la libre circulation des personnes et des travailleurs handicapés, est préfacé par le chef de la direction Inclusion et protection sociale de la DG Emploi. Il a mobilisé un réseau de sociologues et d’économistes spécialistes de l’emploi, qui ont par ailleurs été experts pour l’OCDE sur des questions du handicap – entre autres, Bjorn Hvinden (Norvège), Steen Bengtsson (Danemark), Serge Ebersold (France), Wim van Oorschot (Pays-Bas) – et auteurs d’une majorité des articles académiques sur les politiques européennes du handicap au cours de la décennie suivante. Le rapport est structuré par l’analyse des critères, définitions et procédures d’identification des ayant-droits dans les divers dispositifs publics nationaux. Sa conclusion exprime un net pessimisme quant à la possibilité de produire des données comparables à court terme quelle que soit la méthodologie retenue, mais plaide pour une amélioration des enquêtes par questionnaire.
16Le troisième rapport, qui tente précisément de répondre à ce défi, a été préparé par une équipe d’accueil « Démographie et santé » de Montpellier sous la coordination d’Eurostat (Eurostat 2001). Il analyse les résultats de deux questions posées à 60 000 ménages européens (130 000 individus) en 1996 dans le cadre du Panel communautaire des ménages (PCM, ou European Community Households Panel, ECHP). Si le titre du rapport se réfère à la « participation sociale », le champ d’investigation est d’emblée resserré sur les 16-64 ans et reste très centré sur le travail. Les deux questions, très largement utilisées dans les enquêtes internationales depuis les années 1980, demandent aux répondants d’évaluer leur propre état de santé, puis les effets de leur état de santé sur leurs « activités quotidiennes ». Le premier constat, qui va se confirmer dans l’ensemble des enquêtes ultérieures, est la très forte variation nationale, du simple au triple : moins de 8 % des répondants italiens affirment souffrir d’une condition handicapante comparée à 23 % des finlandais. Second constat, ce sont les pays les plus souvent cités en modèle pour leurs politiques « actives » et innovantes par la Commission (les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et le Royaume-Uni [8]) qui ont non seulement les taux d’auto-déclaration parmi les plus élevés, mais aussi des « performances » en matière d’insertion professionnelle médiocres (Eurostat 2001 : 37). Les trois rapports pointent la nécessité de renforcer la solidité méthodologique des enquêtes européennes, un enjeu qui figurera systématiquement dans les « plans d’action » et recommandations de la Commission par la suite.
La production statistique et ses effets sur la visibilité des problèmes sociaux
17L’Année européenne des personnes handicapées de 2003 a été l’occasion de renforcer et d’actualiser les capacités statistiques par l’insertion de modules sur le handicap dans les deux grandes enquêtes sociales européennes. Ainsi, en 2002, un module spécifique a été inséré dans l’enquête sur les forces du travail (EFT) et un nombre plus limité d’indicateurs a été introduit dans l’enquête sur les revenus et conditions de vie (EU-SILC) de 2004. La première définition, utilisée par l’EFT de 2002, demandait si la personne interrogée souffrait d’une maladie chronique ou d’un handicap avant de demander si cette condition « limitait le type de travail qui pouvait être fait », la « quantité de travail qui pouvait être faite » ou « affectait la mobilité pour se rendre au travail ». La question de l’EU-SILC, plus proche de la définition sociale, n’utilise pas le terme « handicap » pour éviter des biais liés à l’emploi d’un terme stigmatisant : « Au cours des six derniers mois, dans quelle mesure des problèmes chroniques de santé ou une maladie longue vous ont-ils empêché d’avoir des activités normales ? Diriez-vous que vous avez été : a) fortement limité ; b) limité ; c) pas limité du tout ».
18Dans les résultats de l’EFT 2002, 16 % des répondants âgés de 16 à 64 ans affirment avoir un handicap ou une maladie longue, comparé à 21 % des répondants de l’EU-SILC 2004 dans les mêmes tranches d’âge. Malgré le chiffre plus bas, c’est l’enquête EFT qui a fourni le chiffre global des personnes handicapées en Europe utilisé dans tous les documents officiels publiés au cours des années 2000 : à savoir 16 % de la population en âge de travailler, correspondant à une population estimée à 44,6 millions pour l’Europe des 25. Le chiffre de l’EFT s’est imposé par cohérence avec le cadrage autour de l’emploi. La mise à l’écart des données de l’EU-SILC a contribué à resserrer l’objet handicap autour des questions de l’emploi et à exclure des croisements avec des variables qui n’étaient contenues que dans l’EU-SILC, tels que le niveau des revenus et leur provenance, le taux de pauvreté ou les conditions de logement, soit autant de problèmes marginalisés par le cadrage sur l’emploi et qui sont du coup restés statistiquement invisibles.
Les fragilités de la preuve par le nombre
19L’unification statistique opérée par l’EFT a ainsi permis de stabiliser un chiffre unique accrédité par une enquête européenne ancienne portant sur un échantillon représentatif des personnes en âge de travailler. Ce chiffre est repris dans chaque document de la Commission, du Parlement européen et des groupes d’intérêt pour dramatiser l’étendue du problème et imposer l’Europe comme la bonne échelle de son traitement. L’objectif annoncé consiste à réduire l’écart de taux d’emploi entre les personnes handicapées et non-handicapées : « ces chiffres révèlent que les personnes handicapées constituent un potentiel inexploité en vue du développement de la croissance économique » (Commission européenne 2005 : 2-3). Certains documents vont jusqu’à évoquer la possibilité d’amener « le taux d’emploi des personnes handicapées au même niveau que ceux qui n’en souffrent pas avant 2010 » (Commission européenne 2002 : 4). En d’autres termes, il s’agit d’inverser les tendances lourdes (42 % d’actifs, 6 % de chômeurs et 52 % d’inactifs parmi les personnes handicapées) pour parvenir à 70 % d’actifs en 2010. Un haut fonctionnaire de la DG Ecfin évoque en entretien le fait que ses homologues de la DG Emploi avaient annoncé de telles ambitions dans des réunions internes :
« Toute contribution à l’augmentation du taux d’activité est utile. Donc, si cela vient des femmes ou des salariés plus âges, des handicapés, peu importe. Tout cela est positif […] Mais mon sentiment est, et c’est mon opinion personnelle, qu’ils [DG Emploi] ont eu tendance à en faire trop en disant que les personnes handicapées pouvaient énormément contribuer… Ils parlaient de millions. Oui, ils peuvent contribuer, mais il faut être réaliste. Donc ils ont eu tendance, selon moi, à affaiblir leur position avec leurs exagérations. Ce type d’argument peut finalement être contre-productif. »
21Ce scepticisme se retrouve dans les deux autres entretiens menés avec des hauts fonctionnaires de la DG Ecfin. Les propos témoignent des contraintes de position de la DG Emploi. Les objectifs très ambitieux étaient sans doute nécessaires pour faire exister cette catégorie comme enjeu, mais les « preuves » et objectifs avancés par la DG Emploi étaient peu réalistes aux yeux de représentants de la DG Ecfin qui s’estiment habilités à juger du sérieux des propositions d’autres administrations. Les réserves tiennent à la fois à la solidité de ces statistiques en général, mais aussi à un certain réalisme dans l’interprétation des chiffres disponibles.
22Tout d’abord, au regard de l’expertise extérieure produite pour DG Emploi, le potentiel d’emplois paraît assez limité lorsqu’on croise le taux d’activité avec la variable de la sévérité du handicap. Ainsi, ceux qui déclaraient souffrir d’un handicap sans déclarer une limitation par rapport au travail (5,2 % de la population active et presqu’un tiers des personnes handicapées déclarées) avaient en fait un taux d’activité supérieur à la moyenne : 68 % par rapport au taux moyen européen de 63 % enregistré en 2002 par l’EFT. Le taux d’activité est très proche de la moyenne pour ceux affirmant éprouver « quelques limitations » (62 %), mais chute à 28 % pour ceux déclarant souffrir de « limitations considérables » (6,3 % de la population active) (Ward et Grammenos 2007 : 112). L’essentiel du « potentiel » est ainsi concentré dans le segment de la population la plus handicapée et qui cumule par ailleurs d’autres caractéristiques – plus de 50 ans, peu diplômée et exerçant dans des secteurs d’activité en déclin structurel – qui rendent le retour à l’emploi très difficile. Or, comme les inégalités socio-professionnelles sont un point aveugle de l’UE (Penissat et Rowell 2012), le réalisme de hauts fonctionnaires de la DG Ecfin s’appuie moins sur la sociologie des inégalités que sur le double constat de l’inertie des politiques publiques et de la concentration de l’inactivité dans la population la plus handicapée.
23Deuxièmement, la pertinence des statistiques pour guider les politiques européennes a été structurellement affaiblie par les très importantes variations nationales que l’utilisation des enquêtes plutôt que des registres administratifs hétérogènes était censée contourner. Les distributions nationales autour de la moyenne européenne de 16 % varient de 6 % à 32 % de la population en âge de travailler (Ward et Grammenos 2007 : 20). Ces variations ne correspondent par ailleurs pas aux grilles de lecture communément mobilisées pour objectiver les différences sociales ou économiques en Europe (Nord vs. Sud, anciens vs. nouveaux États membres, États providence continentaux vs. anglo-saxons ou nordiques), car on trouve la Roumanie (6 %), l’Italie (7 %) et la Lituanie (9 %) très en dessous de la moyenne, tandis que la Finlande (32 %), le Royaume-Uni (27 %), les Pays-Bas (25 %), la France (25 %) et l’Estonie (24 %) se situent très au-dessus. Si ces fortes variations ne sont jamais présentées en histogramme ou sous forme de tableau dans les documents officiels (contrairement aux rapports d’expertise), elles sont bien connues des hauts fonctionnaires de la DG Ecfin, qui se méfient de « l’origine subjective » des données, des « biais culturels » (entretiens DG Ecfin) que les fonctionnaires de la DG Emploi reconnaissent être une source de fragilité : « Oui, ces chiffres, c’était une sorte d’auto-évaluation si je me souviens bien, avec des écarts énormes qu’on avait du mal à comprendre [10]. »
24Troisièmement, il était impossible d’identifier, dans une logique de benchmarking, des pays et politiques publiques ayant des résultats probants, mesurables et comparables. Comment interpréter et hiérarchiser les résultats d’un pays comme l’Italie, avec un taux d’auto-déclaration du handicap très faible mais aussi un taux d’activité très bas au sein de cette population, par rapport aux pays comme la Suède ou la Belgique qui enregistrent un nombre d’handicapés très supérieur, mais aussi un meilleur taux d’activité ? Est-ce que les variations doivent être comprises comme le résultat d’une stigmatisation sociale ou linguistique plus ou moins forte, le développement ou la « générosité » d’un système de protection sociale, ou bien l’effet d’une substitution entre les systèmes d’allocation chômage, de préretraite, de longue maladie ou de handicap dont les équilibres varient d’un pays à l’autre ? Enfin, que dire des pays ayant mis en place des politiques considérées comme « modèles » comme la Suède, la Finlande, ou le Danemark qui ont pourtant des résultats très médiocres en ce qui concerne le nombre de personnes handicapées en activité, mais excellents en matière d’égalité des revenus ou de taux de pauvreté ?
25Cette dispersion des résultats nationaux et la multiplicité d’interprétations qu’elle autorise rend presque impossible le travail de classement, de hiérarchisation et de repérage des modèles nationaux exemplaires. L’efficacité du benchmarking repose sur un consensus quant à la définition et à la mesure des « meilleures performances » à partir d’un nombre limité d’indicateurs, mais aussi sur l’identification d’un pays modèle (Bruno 2010), tels que les États-Unis ou le Japon pour leur taux d’emploi ou les pays scandinaves ou les États-Unis pour la recherche et développement. De ce point de vue, les performances très médiocres des États-Unis en matière d’insertion des personnes handicapées [11] et l’impossibilité à trouver un modèle européen qui pouvait faire consensus ont privé le dispositif d’un objectif chiffré et de modèles généralisables.
26Les statistiques disponibles ont été ainsi essentielles à l’inscription du problème sur l’agenda politique en objectivant la magnitude du problème et une nouvelle échelle d’observation et d’intervention. Cependant, les doutes sur la « réalité » du handicap, le potentiel d’emplois et la pertinence des politiques actives ont opposé la DG Emploi à la DG Ecfin. Pour les fonctionnaires de la DG Emploi, le handicap « est, en tant que tel, surtout une question de perception de soi et donc comporte une forte dimension psychologique et pas seulement une question d’incapacité physique [12] ». Un membre du cabinet de la DG Emploi opère quant à lui une distinction entre le handicap « dur » et « mou » :
« La population cible pour l’activation est très grande, et à l’intérieur de cette population, seulement une infime partie est sévèrement handicapée. Très souvent on a des personnes qui ont perdu leur emploi suite à une restructuration et ils ont des douleurs dans le dos et ont reçu une allocation plutôt que d’attendre leur pension de retraite. Conceptuellement, c’est un problème très différent de la situation des personnes qui ont d’énormes problèmes de santé. »
28En face, la DG Ecfin a non seulement exprimé son scepticisme sur la définition du groupe, mais est même allée plus loin en faisant écho à un rapport de l’OCDE de 2003 qui ne parvenait à démontrer aucune corrélation statistique entre la mise en place de mesures actives et le retour à l’emploi : « L’argument économique est à double tranchant. Si on analyse finement les données disponibles sur les politiques actives d’emploi, si on fait le bilan fiscal et économique, il vaut parfois mieux payer des gens pour rester à la maison [14]. »
Les déterminants sociologiques et institutionnels de la solidité des statistiques
29L’incapacité des agents de la DG Emploi à mobiliser les statistiques et rapports d’expertise pour faire preuve n’est pas uniquement imputable aux enjeux méthodologiques et à l’ambiguïté des données. Elle s’explique aussi par les propriétés et ressources des promoteurs de cette politique et leur faible capacité à forger des alliances susceptibles d’imposer leur récit causal comme une évidence. La question a en effet été portée par une unité et une direction dominée au sein d’une DG Emploi, elle-même en perte de vitesse sur sa capacité à définir les enjeux et les savoirs bureaucratiques devant équiper les politiques sociales européennes au sein du champ.
Une unité aux marges du centre de gravité de la Commission
30L’unité handicap, composée de douze à quinze agents au cours des années 2000, a existé au sein de la DG Emploi jusqu’en 2011, lorsqu’elle a été absorbée par la DG Justice. Intégrée pendant plus de dix ans à la Direction Égalité femmes/hommes, action contre la discrimination, société civile, l’unité s’est trouvée structurellement à la marge du centre de gravité de la DG Emploi avec, d’un côté, des directions avec un fort ancrage historique et/ou des budgets conséquents (Fonds structurels et, à un moindre degré, Dialogue social, droits sociaux et droit du travail), et, de l’autre, les deux nouvelles directions chargées de mettre en œuvre les politiques sociales emblématiques : Stratégie d’emploi et Protection et intégration sociale.
31Le poids relatif se reflète aussi dans les profils de ceux qui ont été placés à la tête de ces directions. En 2007, les directions Emploi et Protection et intégration sociale ont été dirigées respectivement par deux « poids lourds », l’un dans la phase ascendante de sa carrière, Xavier Prats Monné [15], et l’autre, Jérôme Vignon [16], en fin d’une carrière prestigieuse. Le premier a grimpé rapidement les échelons et incarne le profil de carrière « européen » presque idéal-typique (Georgakakis et De Lassalle 2007). Le second dispose à la fois de ressources « nationales » et d’une longue carrière européenne. Les deux détiennent des diplômes prestigieux et maîtrisent, grâce à leur formation en économie ou à Polytechnique et l’ENSAE, le langage et les savoir-faire statistiques et économiques essentiels aux interactions bureaucratiques au sein de la Commission. Le profil de la directrice de la direction Égalité à la même époque diffère sur plusieurs points. Titulaire de diplômes en relations internationales, d’une maîtrise de sociologie et d’un MBA par correspondance, Belinda Pyke a dirigé le département recherche de la Trade Union Congress avant de devenir membre de cabinet de quatre commissaires britanniques travaillistes (1986-1996). Par la suite, elle a occupé une succession de directions d’unité à la DG Entreprise et la DG Budget. Dépositaire de ressources avant tout politiques, par ses passages dans les cabinets, elle a néanmoins un profil plus national et ne détient ni diplômes prestigieux, ni une formation particulièrement bien adaptée aux enjeux traités dans sa direction, à savoir la promotion de l’égalité par des instruments juridiques et par l’intégration économique.
32Au sein de l’unité handicap, aucun agent ne possède une formation en économie ou en sciences sociales quantitatives. La directrice de l’unité entre 2002 et 2008 a commencé sa carrière à Paris en tant que fiscaliste et inspecteur d’impôts avant d’obtenir en 1988 un DEA d’administration fiscale internationale à l’université Paris Dauphine. Elle entre à la Commission en 1989 en tant que spécialiste de l’harmonisation de la TVA avant de passer à la DG Relations extérieures, où elle participe aux négociations commerciales multilatérales pendant dix ans. Si elle possède une légitimité en matière économique du fait de ses expériences antérieures, l’entretien que nous avons mené en 2007 s’est essentiellement focalisé sur le rôle qu’elle a joué dans la négociation, au nom de l’UE, de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées signée fin 2006. Fondé sur les dispositions à la négociation multilatérale qu’elle avait acquises dans ses postes antérieurs, son investissement dans la négociation de la convention ONU a sans doute été un facteur important dans la réorientation des politiques européennes du handicap vers des instruments juridiques plus classiques de l’UE et son désintérêt manifeste pour des savoirs économiques ou sociologiques. La directrice adjointe d’unité, de nationalité espagnole, est quant à elle diplômée de physique et d’informatique. Ayant intégré la Commission en 1991, elle s’est spécialisée sur les questions d’accessibilité et de technologies d’assistance, en particulier à la DG Société d’information, avant d’intégrer l’unité handicap au milieu des années 2000. D’autres agents de l’unité, plutôt chargés du suivi de programmes financés par l’UE, d’aires géographiques ou de groupes d’intérêt, sont diplômés en études européennes ou encore en littérature comparée et ne disposent pas d’une « culture du chiffre ». En entretien, les agents de l’unité n’ont pas évoqué spontanément les nombreux rapports d’expertise ou études que l’unité, la DG Recherche ou Eurostat avaient financés sur le sujet. En réponse à une question directe, la directrice d’unité n’a cité qu’un seul expert, professeur à l’université de Liège, qui ne figurait pas parmi les dizaines d’experts répertoriés dans la base de données des personnes ayant porté un contrat de recherche, rédigé un rapport d’expertise pour la Commission ou été membre du réseau d’experts académiques financé par la Commission. Cet universitaire, connu grâce à ses réseaux personnels, est auteur de travaux portant sur les effets pervers des politiques des quotas pratiquées en France et en Allemagne qui n’ont pas la faveur de la Commission.
33Ainsi, en plus d’une position structurellement dominée, l’unité et la direction Égalité étaient composées de personnels ne possédant pas les dispositions susceptibles de transformer l’expertise en ressources bureaucratiques sur un enjeu qui nécessite, dans les jeux internes à la Commission, le déploiement d’un raisonnement économique fondé sur des outils statistiques.
Incarner l’intérêt général européen
34Malgré la production intensive d’expertise et l’entretien d’un réseau d’experts associant des universitaires, des cabinets de conseil et le Forum européen des personnes handicapés, l’unité handicap en particulier et la DG Emploi en général n’ont jamais réussi à contester la revendication d’un monopole de l’intérêt général européen qu’un directeur d’unité à la DG Ecfin formule de la façon suivante :
« Nous examinons toutes les politiques macroéconomiques afin de nous assurer que les autres DG utilisent le bon cadre analytique. Ce qui nous intéresse est d’intégrer l’ensemble de ces politiques dans un même cadre et d’identifier les priorités pour la croissance et l’emploi. »
36Les rapports d’expertise, produits à distance, et très faiblement intégrés dans les récits et les dispositifs reliant les problèmes aux solutions, n’ont ainsi pas pu être mobilisés pour contester la centralité de la DG Ecfin dans la définition des méthodes d’analyse légitimes et par extension des priorités politiques. Si le maillage entre les mondes bureaucratique et ceux de l’expertise s’est avéré très faible sur les questions du handicap, les relations avec les groupes d’intérêt ont en revanche été denses, à l’instar du Forum européen des personnes handicapées, dont 80 % du budget provient de la Commission [17], et des organisations ou réseaux tels que European Association of Service Providers for Persons with Disabilities (EASPD, créé en 1996), European platform for rehabilitation (créé en 2001), Mental Health Europe, Inclusion Europe, Workability Europe, tous soutenus financièrement par la Commission. Les manifestations publiques organisées par la Commission, le Forum européen des personnes handicapées ou le réseau d’experts associent toujours étroitement les responsables des organisations de ces trois sphères.
37Dans leur travail et dans leur relation avec les agents de la DG Emploi, le rôle dévolu aux groupes d’intérêt consiste surtout à canaliser et à mettre en forme les positions des groupes nationaux qu’ils fédèrent, et à aider leurs associations membres à capter des ressources fournies par des appels à projets européens. Les groupes d’intérêt n’utilisent guère un savoir statistique dans leurs répertoires d’action, et leur légitimité dans les arènes de consultation repose sur leur représentativité sectorielle et sur leur capacité à « formuler et à illustrer des problèmes qui remontent du terrain [18] » en mettant l’accent, dans un contexte national particulier, sur les difficultés ou « anomalies » dans l’application d’une régulation ou directive européenne existante ou en discussion [19]. Si ces relations étroites et très visibles entre la Commission et les groupes d’intérêt participent à la légitimation croisée des deux types d’organisations, elles cantonnent, lors des luttes internes à la Commission, la DG Emploi dans la position de défenseur d’un intérêt particulier. Les positions des groupes d’intérêt relayées par la DG Emploi portent sur des difficultés d’harmonisation liées à des contextes juridiques ou politiques nationaux, ce qui revient, d’une certaine façon, à nationaliser et à politiser les débats. La proximité affichée de différentes DG « sociales » avec les ONG, syndicats et Forums sociaux les rend vulnérables aux critiques des DG économiques. Dans les entretiens avec les agents des DG économiques, les DG « sociales » sont soupçonnées d’être « captives de leurs clientèles » et de poursuivre « leurs propres intérêts institutionnels, ce qui est légitime dans la plupart des cas, mais pas toujours optimal pour l’intérêt de la Commission dans son ensemble. »
38Si les DG économiques entretiennent évidemment des relations d’interdépendance avec les groupes d’intérêt de l’industrie et de la finance (Laurens 2015), la capacité à faire passer ces intérêts comme l’intérêt général européen et à stigmatiser les interdépendances sociales comme « clientélistes » repose en parti sur l’imposition d’une forme de savoir légitime reconnue comme universelle. Ainsi, dans les cinq premières minutes d’un entretien, un directeur d’unité affirme :
« Nous avons le rôle de la formulation de la politique macroéconomique et de la prévision. Là nous sommes leaders, et personne nous conteste ce leadership, personne ne nous questionne sur ces politiques. On essaie en somme d’exercer un effet de levier pour impulser une conception efficiente des politiques publiques en essayant de pousser vers des approches basées sur le marché et en s’appuyant sur la preuve. »
40Les deux entretiens réalisés avec des chefs d’unité Ecfin centrés sur la stratégie de l’emploi se lisent en effet comme un réquisitoire contre les indicateurs et la méthodologie défendus par la DG Emploi, et par ricochet contre les enjeux et orientations promus par cette DG au sein de la Commission :
« Très franchement, il y avait des objectifs, et quelqu’un qui était analphabète en économie a dû les choisir, parce qu’on ne pouvait jamais les atteindre. […] Ce qu’on essaie de faire est d’influencer la rapidité des réformes, l’ambition des réformes, et la conception des réformes, donc les indicateurs retenus doivent mesurer la réforme, alors que la plupart des indicateurs ne mesurent pas les réformes, ne nous disent rien sur la réforme. […] Et je pense aussi que c’était simplement des analphabètes en économie qui ont formulé la stratégie de Lisbonne, et je dois dire que notre département économique ici n’était pas très impliqué, et je pense, fondamentalement, les recommandations étaient justes, mais elles étaient appliquées d’une manière incroyablement rigide, mécanique et stupide. »
42Au cœur de cette querelle de légitimité se trouvent la question des indicateurs retenus et l’enjeu central de la causalité entre l’action publique et les résultats. Pour la DG Ecfin, l’administration de la « preuve » repose principalement sur la modélisation économétrique ainsi que sur une capacité à produire des scénarios sur l’avenir en intégrant des données macro-économiques à partir d’hypothèses contestables mais qui ne sont pas contestées (dépense publique, projections démographiques, scénarios sur les évolutions de la productivité, taux d’emploi, etc.). En face, les savoirs mobilisés par la DG Emploi (considérés comme rudimentaires) s’appuyent surtout sur des cadres de pensée macro-économiques qui mobilisent des statistiques s’appuyant sur les enquêtes EFT ou EU-SILC. Malgré les investissements importants de la DG Emploi dans l’externalisation de l’expertise aux cabinets de conseil et réseaux d’universitaires, l’incapacité à imposer ces formes de savoir comme légitimes, ou a minima de les adapter aux formes attendues de l’administration de la « preuve », a condamné ces tentatives dans les espaces de négociation internes de la Commission.
Conclusion
43Les statistiques européennes sur le handicap ont produit un effet d’unification symbolique d’un ensemble de situations et catégories nationales très hétérogènes, mais n’ont pas été suffisamment solides, au sens sociologique et institutionnel du terme, pour imposer une lecture univoque du problème et des solutions. Les relais au sein de la DG Emploi étaient trop fragiles, la position de la DG dans son ensemble trop marginale et l’expertise trop faiblement incorporée pour créer et entretenir les croyances en la validité du récit causal déployé. Les personnes handicapées étaient par ailleurs la seule catégorie ciblée pour activation où le taux d’activité a reculé dans la majorité des pays au cours de la décennie (Ward et Grammenos 2007) et aucune corrélation n’a pu être démontrée entre les politiques préconisées par l’UE ou l’OCDE et le retour à l’emploi (OCDE 2003 : 39, 45). À partir de 2007-2008, le centre de gravité de l’action se déplaça vers la préparation d’une directive anti-discrimination très englobante (proposée en juillet 2008, mais à ce jour toujours pas adoptée), qui peut être interprétée comme un retour aux méthodes communautaires traditionnelles et l’abandon d’un cadrage qui n’a produit aucun effet mesurable.
44Faut-il conclure que l’inscription de la question du handicap sur l’agenda institutionnel et l’effort consacré à la production d’expertise et d’indicateurs n’ont finalement pas eu d’autre effet que la légitimation symbolique de l’UE grâce à l’affichage de son souci pour une population vulnérable ? Si les effets de cette politique sont impossibles à mesurer, on peut néanmoins faire l’hypothèse que la définition choisie a pu exercer des effets indirects, moins en termes de définition des problèmes promus qu’en termes d’occultation d’autres manières de formuler la question.
45La méthode statistique choisie, l’auto-déclaration, limitée aux personnes en âge de travailler, autorise certaines interprétations et en exclut d’autres. Le choix de limiter le champ d’investigation aux personnes en âge de travailler laisse hors champ aussi bien les mineurs et leur intégration scolaire que la dépendance des personnes âgées. Deuxièmement, la problématisation retenue a exclu d’autres questions telles que la pauvreté, le montant ou la structure des revenus. Ces questions sont présentes dans les travaux de l’OCDE (2003) ou dans certains rapports d’experts, mais l’interprétation qui en est fournie se resserre sur le constat que les personnes handicapées ayant un emploi sont moins exposées aux risques de pauvreté que les inactifs. Or, en partant d’une autre problématique que le taux d’activité, des données disponibles auraient pu s’insérer dans d’autres récits causaux possibles : par exemple le fait que, dans de nombreux pays, plus de la moitié des personnes handicapées éligibles ne font pas valoir leur droits, ou que le resserrement des conditions d’accès et la baisse ou le plafonnement des allocations préconisé par la Commission accroissent les inégalités et le taux de pauvreté en marginalisant les personnes incapables de travailler. De même, contrairement à l’OMS ou au BIT, le discours européen sur le handicap et son équipement statistique excluent la recherche des causes du handicap. L’OMS travaille sur l’identification des facteurs de risque en explorant trois champs : l’environnement, le travail et les comportements à risque. Cette construction du problème aurait considérablement réorienté le chemin de recherche des solutions, la cible même de l’action publique étant déplacée de l’individu à « activer » par des incitations et sanctions vers d’autres acteurs.
46Enfin, l’approche statistique centrée sur l’autodéclaration construit ainsi la vision du problème à partir de l’individu plutôt qu’à partir des structures économiques ou physiques (taux de bâtiments publics, transports ou logements accessibles aux personnes à mobilité réduite, par exemple). L’action publique qui en découle vise à agir sur l’offre d’emploi en agissant sur les calculs individuels, par exemple sur le « choix » entre le travail et le non-travail. Dans les termes d’un haut fonctionnaire de la DG Emploi, il s’agit de « pousser les handicapés vers le travail, pour leur propre bien. C’est ce qu’on appelle en Angleterre “tough love” [20] ». Cette intégration des personnes handicapées dans les catégories de l’employable (Ebersold 2001) fait abstraction de l’ensemble des caractéristiques sociologiques de cette population, en moyenne plus âgée, moins diplômée et exerçant des professions dans des secteurs d’activité et bassins d’emploi où la demande de travail est faible. Il s’agit donc d’une vision du monde en apesanteur sociologique, totalement aveugle à la diversité des formes du handicap, à la structure de sa population et au fonctionnement du marché de l’emploi.
Bibliographie
Ouvrages cités
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Notes
-
[1]
La Commission européenne est composée de trente directions générales (DG). Chaque DG est composée de six à dix directions, elles-mêmes subdivisées généralement en quatre unités, chacune comprenant entre quinze et vingt fonctionnaires ou agents contractuels.
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[2]
L’OMS a produit en 1980 un système de classification du handicap à vocation universelle. Cette définition dite « sociale », affinée en 1999, a été très largement diffusée et reprise par d’autres organisations internationales (Bureau international du travail (BIT), UE) ou sphères académiques. Elle distingue entre les déficiences, définies comme la perte ou l’anormalité d’une fonction ou structure physiologique, psychologique ou anatomique ; l’incapacité définie comme une limitation importante résultant de cette déficience dans l’accomplissement d’activités considérées comme normales dans un contexte social donné ; et le handicap qui renvoi à un désavantage social résultant de l’incapacité qui empêche la réalisation du rôle normal d’une personne d’un âge, sexe, culture ou situation sociale déterminée. Le handicap se trouve ainsi en partie démédicalisé et devient contextuel dans le sens où c’est l’interaction avec l’environnement qui produit des situations handicapantes (BIT 1998).
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[3]
Henri-Jacques Stiker fait remonter aux années 1950 l’unification lexicale opérée par le terme « handicap », emprunté au monde sportif, qui reflète une conception postulant la possibilité de réintégrer les personnes dans la compétition de la société capitaliste en égalisant les chances au départ (Stiker 2009).
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[4]
Chiffres repris de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE 2003) et Eurostat (2001). Ces chiffres doivent être maniés avec précaution, car ils ne recouvrent pas les mêmes périmètres de dépenses et de population. Par exemple, certains pays intègrent la dépendance liée à la vieillesse alors que dans d’autres pays la définition est limitée aux personnes en âge de travailler.
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[5]
Un autre groupe d’intérêt européen actif dans le secteur, Workability Europe, fédère les organisations nationales qui fournissent des services aux personnes handicapées et soutiennent des projets d’insertion professionnelle.
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[6]
On peut noter l’existence d’une même relation temporelle entre la « décision » et la mobilisation d’expertise au moment de l’abandon du cadrage emploi en faveur du cadrage anti-discrimination, dans la mesure où la production d’une expertise juridique ne monte en puissance qu’à partir de 2009-2010.
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[7]
Économiste d’origine néo-zélandaise, Deborah Mabbett est l’une des seules économistes reconnues dans les Disability Studies. Or il s’agit d’une économiste atypique, très ouverte sur les sciences sociales, le constructivisme et l’histoire.
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[8]
Le fait que la majorité des experts reconnus par l’UE sur ces questions proviennent du Royaume-Uni, des Pays-Bas et des pays scandinaves explique aussi en partie pourquoi les exemples de « bonnes pratiques » mis en exergue dans les documents officiels proviennent souvent de ces pays.
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[9]
Entretien avec un chef d’unité DG Ecfin, chargé de la Stratégie de Lisbonne, 41 ans, de nationalité irlandaise, formation en micro-économie, diplômé de Bruges et fonctionnaire à la DG Ecfin depuis 1991.
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[10]
Chef d’unité DG Emploi de nationalité britannique, environ 55 ans avec une formation en macro-économie. Entretien à Bruxelles, le 13 mars 2008.
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[11]
Le nombre d’allocataires d’une prestation handicap avait cru de 41 % dans les années 1990 malgré une législation anti-discrimination très ambitieuse et une économie dynamique. Le taux d’activité des personnes était très en dessous de la moyenne de l’OCDE (OCDE 2003 : 34 et 61).
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[12]
Directeur d’unité DG Emploi, d’origine italienne, âgé d’une soixantaine d’années et diplômé en économie politique. Entretien à Bruxelles 11 février 2009.
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[13]
Entretien avec le membre du cabinet du Commissaire de la DG Emploi ayant en charge le portefeuille handicap. De la même nationalité que son commissaire, médecin de formation et figure de l’opposition tchèque dans les années 1980, il était auparavant membre du cabinet ministériel national du commissaire.
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[14]
Entretien avec un directeur d’unité DG Ecfin à Bruxelles, le 11 décembre 2007.
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[15]
Né en Espagne en 1956 parlant couramment cinq langues, Prats Monné est titulaire d’un diplôme en économie du développement et a fait ses études dans quatre pays européens avant d’être major de sa promotion 1981 au Collège de Bruges. L’intégralité de sa carrière s’est déroulée à la Commission avec une alternance entre des postes dans les cabinets et dans diverses DG.
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[16]
Né en 1944, Vignon est polytechnicien et diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE). Ancien directeur de la stratégie à la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), sa carrière européenne commence en 1984. Proche de Jacques Delors, il dirige la cellule prospection de la Commission avant d’être nommé en 1998 à la tête de la direction Protection et intégration sociale.
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[17]
Le Forum européen des personnes handicapées (European Disability Forum, EDF) s’est structuré à partir des commissions consultatives du programme Helios II (1993-1996). Sa première directrice, Nicola Bedlington, était membre de la Commission et travaillait sur le projet Helios II. Sur ce point voir Granick (2010).
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[18]
Entretien à Bruxelles avec un « policy officer » du réseau European platform for Rehabilitation, le 4 mai 2009.
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[19]
Entretiens à Bruxelles avec des « policy officers » de l’EASPD (European association of service providers for the disabled) et de Workability Europe, le 7 mai 2009.
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[20]
Entretien avec un chef d’unité DG Emploi, le 13 mars 2008.