Genèses 2010/2 n° 79

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Article de revue

Le crédit direct des commerçants aux consommateurs : persistance et dépassement dans le textile à Lens (1920-1970)

Pages 26 à 47

Notes

  • [1]
    Entretien avec le fils d’un colporteur, devenu chirurgien et homme politique lillois, le 13 avril 2004 à Lille.
  • [2]
    Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une enquête collective comprenant Françoise de Barros, Claire Zalc et Nicolas Mariot que nous tenons particulièrement à remercier. De même, nous remercions vivement Florence Weber et le comité de lecture de Genèses pour leurs suggestions précieuses.
  • [3]
    Rapport Conseil économique, « Étude du crédit à la consommation », Journal officiel, 4 mars 1954, pp. 267-279.
  • [4]
    Nous réservons le terme d’entrepreneur au corpus théorique qui s’y rapporte en sociologie économique et préférons parler de commerçants pour désigner notre population. Le sens commun d’entrepreneur, de par sa charge individualiste, positive, volontariste, et même idéologique, traduit mal les trajectoires contraintes de ces migrants.
  • [5]
    Entretien avec le fils d’un colporteur boutiquier devenu chef d’entreprise, 12 juin 2003 à Lille.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Entretien avec la fille d’un colporteur, sans travail, avril 2004 à Lens.
  • [8]
    Centre historique minier de Lewarde, n° 5109, « Visage de nos cités. Enquête sur trois cités minières, Secrétariat social de Lens », Lens, s. n., 1960.
  • [9]
    Entretien avec le fils d’un commerçant lensois devenu chef d’entreprise, 12 juin 2003 à Lille.
  • [10]
    L’exploitation du registre du commerce de l’arrondissement de Béthune montre qu’il y avait peu de boutiques pour de nombreux ambulants dans l’entre-deux-guerres. L’essor des boutiques date des années 1950.
  • [11]
    Voir le rapport « Fonctionnement et rôle des coopératives de consommation dans le Bassin », 31 mai 1952. Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [12]
    Dans une note interne datée de 1958, le directeur général des Houillères justifie son refus : « Un juge d’instruction s’est entendu dire récemment par un dirigeant d’une entreprise de vente à crédit qui avait sévi dans environ 300 foyers de mineurs qu’il n’avait jamais trouvé un “pareil milieu de poires” […] Il est de fait que, pour autant qu’il n’y ait pas une somme trop importante à payer comptant, le mineur se laisse séduire par des acquisitions à crédit, et qu’ensuite le paiement des traites, voire même de la coexistence de traites relatives à plusieurs achats, se traduit par des privations insupportables pour les enfants, et préjudiciables à l’état de santé de l’ouvrier. Je ne ferai donc rien qui puisse avoir pour conséquences de réduire pour des mois des enfants au régime des tartines de pain sec ». Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [13]
    Entretien avec deux boutiquiers, fils de colporteurs, avril 2004.
  • [14]
    Entretien avec une fille de colporteur, devenue boutiquière à Lens, 18 avril 2004.
  • [15]
    Archives départementales du Pas-de-Calais, 1Z 311, Carte d’identité des étrangers 1927-1936. Avis du 14 novembre 1935.
  • [16]
    Archives départementales du Pas-de-Calais M6678 M6678 : commerçants étrangers, correspondance, 1939-1942.
  • [17]
    Le crédit permanent est aussi appelé crédit renouvelable ou crédit revolving. Il s’agit d’une somme mise à disposition du client constamment réapprovisionnée à hauteur d’un plafond et à mesure des remboursements.
  • [18]
    Plaquette Crédit social, Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [19]
    Voir : « Enquête sur les conditions appliquées par les entreprises pratiquant le financement des ventes à tempérament, le 8 juillet 1953 » ; « Les tarifs appliqués dans les financements des ventes à tempérament » le 24 mai 1954 ; Direction générale des prix et des enquêtes économiques, Service des enquêtes économiques, Enquête 54 17, Note sur le crédit à la consommation, 1954 ; préfecture de Police, Service de la police économique et de la répression des fraudes et du contrôle des prix, rapport de Jacques Herisse, commissaire de police, « Vente à crédit de trousseaux et de Linge de Maison », 1954 ; fonds du CNC [Conseil national du crédit], Carton 1427200301/111, Archives de la Banque de France.
  • [20]
    Entretien avec le fils d’un colporteur, devenu chirurgien et homme politique lillois, le 13 avril 2004 à Lille.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Note sur la « Vente à crédit », Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [23]
    Les syndicats et les coopératives notent la modification des pratiques d’achats de la jeune génération ouvrière qui se détourne des commerces de proximité à mesure du développement des moyens de transport, Centre des archives du monde du travail, 1989 001 0179, Étude de marché pour l’ouverture du Rond-Point de Liévin, 1972-1973 ou encore 1989 001 0179, Étude de marché de la grande distribution 1976.
  • [24]
    Enquête annuelle sur la franchise, résultats 2004, Banque populaire/Fédération française de la franchise, CSA (Conseils-Sondages-Analyses).
  • [25]
    Conseil national du crédit, rapport annuel d’activité, 1966, p. 109.
  • [26]
    Dossier n° 70 B71 (SARL Compagnie française de services et de diffusion) du registre des sociétés, tribunal de commerce de Béthune.
  • [27]
    Entretien avec la femme de Jacques S. neveu de notre entrepreneuse, qui a elle-même travaillé à la boutique quelques années, le 10 janvier 2003 à Paris.
  • [28]
    Tableau régional des opérations bancaires, 31 mars 1968, Carton Réunions régionales des directeurs, notes de conjonctures, région Nord-Pas-de-Calais, succursale Lille 1964-1974.
  • [29]
    Fonds Charbonnage de France, 2004 001 283, Mensualisation, 1970-1987, CAMT.
  • [30]
    Tableau régional des opérations bancaires, 31 mars 1968, Carton Réunions régionales des directeurs, notes de conjonctures, région Nord-Pas-de-Calais, succursale Lille 1964-1974, Archives de la Banque de France.
« Mon père, il a fait quelque chose qui était absolument extraordinaire (...) il allait dans les corons et il vendait à crédit. Et moi j’ai fait ça quand j’étais jeune. J’ai encaissé pour mon père. Toutes les quinzaines, le 9 et le 24 du mois, j’allais récupérer chez les gens l’argent [1]. »

1 À Lens, dans les corons, de l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 1970, de nombreux migrants juifs polonais ont vendu à crédit du textile au mètre puis des vêtements confectionnés, d’abord au porte-à-porte ou sur les marchés et ensuite en magasin, encaissant les échéances toutes les quinzaines quand les mineurs recevaient leur paye en liquide. Ce marché a conduit à l’implantation ex nihilo d’une communauté juive polonaise d’un millier de personnes. C’est un crédit de face-à-face, direct, informel, sans institution tierce, sans aucune banque, ni garantie financière, parfois sans même un contrat liant les parties, directement du commerçant au client, et qui, même pour les enfants de ces colporteurs, reste extraordinaire.

2 Au cours de cette enquête collective sur une étude de cas à Lens, plus encore sur un commerce dont nous disposons des archives (voir encadré) [2], nous avons pris conscience du vide historiographique rendant peu visible en France le crédit de face-à-face tout au long du xx e siècle, comme si l’explosion du crédit à la consommation contemporain avait balayé toute autre forme possible de crédit pour la consommation. En effet, la littérature restreinte sur l’histoire du crédit à la consommation mentionne le développement des établissements de crédit pour financer l’automobile dans l’entre-deux-guerres, puis d’autres biens de consommation après guerre, et enfin des banques à partir des années 1970 (Gelpi et Julien-Labruyère 1994). L’histoire de ces établissements de crédit, qui à cette époque se développent face au désintérêt des banques pour les finances des particuliers, reste à faire pour la France. De tels établissements se créent dans un vide bancaire, et face aux lacunes d’un système informel de crédit de face-à-face limité à l’étendue des réseaux sociaux. En amont de notre période, le crédit direct est alors bien connu pour l’Ancien Régime et son économie de colporteurs et de boutiquiers (Coquery 2007 ; Crowston 2002 ; Kaplan 1996 ; Fontaine 1993 ; Montenach 2009). De même, pour la fin de notre période, de récents travaux en sociologie nous permettent de bien mieux comprendre ce marché (Cusin 2002, 2004 ; Salomon 1995 ; Roux 2006 ; Lazarus 2009 ; Ducourant 2009). Mais finalement, à de rares exceptions (Coffin 1994), on sait peu de choses des modes de consommation à crédit de la fin du xix e à la seconde moitié du xx e siècle, crédit réalisé par les grands magasins et les petits commerces.

3 Sur cette période, l’histoire du crédit à la consommation est marquée par l’absence de réglementation contraignante jusqu’à la Libération, puis par les tentatives avortées de protéger le consommateur avec certaines mesures entre 1952 et 1954 (Chatriot 2006 ; Effosse 2010). Ces réglementations tentaient à la fois de soutenir le développement de l’industrie et de protéger le consommateur contre l’usure en moralisant les ventes à crédit, pensées alors comme acceptables uniquement pour une liste fermée de produits de consommation durable (automobile, véhicule professionnel, piano, meuble, électroménager), à l’exclusion des produits de consommation courante (alimentation, textile) ou de luxe (bijoux, montres…). Les autorités ont alors tenté d’imposer le contrat de la vente à tempérament, c’est-à-dire un contrat de vente à crédit d’un bien corporel dans laquelle l’acheteur rembourse par versements échelonnés et égaux. Mais, ce que la Banque de France nommait le « crédit noir », le crédit de face-à-face des commerçants pour toute sorte de biens sous des formes souvent non contractuelles, a perduré de manière importante dans les failles du contrôle politique et juridique du marché au moins jusqu’aux années 1970 (Avanza, Laferté et Penissat 2006). Le crédit direct du commerçant restait dominant dans l’entre-deux-guerres en France comparativement au marché développé par les établissements de crédit [3]. À la fin des années 1950, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) estime qu’il représente encore 20 à 25 % du crédit à la consommation, pourtant en pleine explosion à travers notamment l’achat d’automobiles (Acquier 1958). Ainsi, et au moins jusque dans les années 1960, les classes populaires et moyennes non bancarisées (Boltanski et Chamboredon 1963) poursuivent leurs achats à crédit pour tout type de consommation. Ce comportement participe même pour Richard Hoggart à dessiner les « frontières culturelles des classes populaires » (1970 : 43-46).

4 La question abordée ici est celle des fondements sociaux qui permettent ces transactions à crédit de face-à-face. En effet, si les littératures anthropologique et historique perçoivent souvent la relation de crédit de face-à-face comme prolongement des relations sociales préexistantes, d’appartenances communes (Olney 1998 ; Udry 1994 ; Taylor 2002 ; Lamoreaux 1986), dans notre étude de cas les commerçants et les clients ne se connaissent pas initialement. Ce marché se comprend alors par une sociologie des commerçants répliquant en partie à un marché et à des rôles sociaux constitués en Pologne dans le double contexte migratoire des mineurs et des Juifs polonais. Ce marché se crée par la reconnaissance sociale de ces deux groupes. Il s’entretient par la suite sur des réseaux d’interconnaissance tissés autour des commerces. Ce n’est que dans un second temps que ce marché s’appuie sur les institutions étatiques. L’État, à la fois comme puissance d’identification des personnes à distance garantissant l’identité des acteurs économiques et comme cadre juridique des transactions, se surajoute à l’interconnaissance pour capter l’information et tenir la contrainte sociale nécessaire à la réalisation des engagements sur le marché. À partir des années 1970, la politique volontariste de bancarisation, la séparation du bien et du service du crédit et la généralisation d’un tiers situé entre le commerçant et le client cantonnent le crédit direct à un souvenir extraordinaire.

Les sources de l’enquête

Les données présentées succinctement sur les trajectoires migratoires et la communauté juive de Lens dans l’entre-deux-guerres sont issues du dépouillement des archives préfectorales du Pas-de-Calais (carte d’étrangers, de commerçants, registre du commerce), des entretiens avec les descendants mais surtout des listes nominatives identifiant les Juifs, listes réalisées entre 1940 et 1944 par la préfecture, la sous-préfecture ou le commissariat de Lens. Ces recensements, constitués pour arrêter et déporter une grande part des Juifs lensois, détaillent la composition des ménages, les lieux et dates de naissance, des parents comme des enfants, les lieux et date de mariage, en France ou à l’étranger, les dates d’entrée sur le territoire français, les professions, les biens possédés. Ces données permettent de se faire une idée assez précise à la fois de la durée, des étapes et des modalités familiales des trajectoires migratoires.
Il est difficile de préciser le nombre de commerçants juifs présents à Lens dans les années 1920. Tous ne s’inscrivent pas dès leur arrivée au registre du commerce, nous n’identifions que ceux encore présents dans les recensements juifs de la guerre, ignorant les départs. Selon cette méthode, nous avons identifié quatorze commerçants inscrits entre 1926 et 1929, sous-estimant certainement la réalité. De même, sur les soixante-dix naissances d’enfants à Lens dans la population juive recensée entre 1940 et 1942, neuf ont lieu avant 1930, la première en 1926. Pour les adultes, l’année médiane d’entrée en France est 1930 mais il faut compter un décalage de quelques années avant l’installation à Lens. Agrégeant les quatorze listes nominatives produites de 1940 à 1944, incluant les personnes juives présentes à Lens avant l’exode de 1940, les services préfectoraux identifient neuf cent vingt-six noms. Le milieu des années 1920 représente l’émergence du commerce de Juifs polonais à Lens qui ne cesse de s’étendre jusqu’en 1940, certainement le point haut de la population juive lensoise que l’on estime à un millier de personnes. Après l’exode de 1940, le recensement de décembre dénombre encore quatre cent quatre-vingt-deux individus dits « israélites » dans le bassin pour seulement treize en octobre 1942. Cinq cent quatre-vingt-deux Juifs lensois ont disparu pendant la guerre. Pour une présentation détaillée de ces données, voir Mariot et Zalc (2007).
Selon les entretiens, les retours après guerre forment une communauté juive réduite à quelques centaines de personnes. C’est à cette période que commence le fonds d’archives de la boutique lensoise (fichier et comptes des clients, listes et factures des fournisseurs, comptabilité, courrier…) au cœur de notre étude, fonds qui se prolonge jusqu’au décès en 2002 de la commerçante. Aujourd’hui la communauté juive de Lens ne représente que quelques familles.

Un crédit direct sans interconnaissance mais par reconnaissance sociale

5 Un des points marquants de notre étude reste la coupure sociale initiale entre la clientèle et les commerçants. En effet, même si les deux groupes ont migré majoritairement de Pologne, on ne peut pas parler de commerçants appartenant à la même communauté que celle de la clientèle. Les clients sont ouvriers, mineurs, catholiques dans leur grande majorité, habitent en dehors du centre-ville dans les corons autour des différents puits du bassin minier. Les commerçants sont juifs, fuyant la Pologne des pogroms, l’antisémitisme d’État et leur paupérisation croissante dans l’entre-deux guerres (Delmaire 1990 ; Korzec 1980 ; Tollet 1992). Ils habitent le centre ville, initialement dans les rues secondaires. Cette séparation religieuse, géographique et professionnelle se double d’une histoire opposée de la migration. La migration des mineurs polonais est encadrée par un contrat de travail, massive, collective, étatique, politiquement programmée par des accords bilatéraux, soit cent dix mille Polonais dans l’arrondissement de Béthune-Lens dans les années 1920 (Ponty 1988). Celle des Juifs suit des réseaux familiaux, amicaux et communautaires, et reste marquée par de nombreuses étapes à l’étranger (Allemagne, Belgique, Hollande principalement) et en France, principalement à Paris mais également à Lille et dans l’est de la France, traçant un parcours sinueux à la recherche d’opportunités de travail, voire d’espoir de départ vers la Grande-Bretagne, les États-Unis. Cette véritable « déambulation migratoire » de plusieurs années est très majoritairement familiale (en couple marié ou avec de jeunes enfants, avec des frères et sœurs, les célibataires sont minoritaires) et l’âge moyen des adultes à l’entrée en France est de trente ans. Les premiers commerçants s’installent à la fin des années 1920 et la communauté juive compte mille personnes en 1940. Sur les deux cents emplois connus de cette population juive à Lens, les trois quarts sont alors commerçants dans le textile (à quelques exceptions près : bijouterie, boucherie, café restaurant), dont près de la moitié (soixante-dix) sont exclusivement des ambulants. Une vingtaine sont tailleurs. Plusieurs commerçants se sont sédentarisés avant 1939, ouvrant une boutique tout en continuant à pratiquer le commerce ambulant sur les marchés ou dans les corons [8].

6 Les commerçants du textile ici ne sont nullement issus des milieux ouvriers et n’exploitent pas leurs relations de parenté ou de voisinage précédemment établies comme dans les quartiers industriels britanniques (Taylor 2002). Aucun lien social direct ne préexiste à l’installation du commerçant. La clientèle et les relations économiques sont à conquérir. On se trouve dans des relations sociales proches de celles décrites par David Caplovitz (1963, 1974) quand les nouveaux arrivants à Harlem dans les années 1960, perdus face à l’offre commerciale des grands magasins new-yorkais, sont alors captés par les petits commerçants du quartier grâce à la langue commune et à des relations économiques personnalisées, s’installant alors durablement dans des relations à crédit.

7 L’exemple lensois pose un problème redoutable pour comprendre les systèmes d’informations et de contraintes qui pèsent sur les clients et commerçants dans leurs échanges de face-à-face, puisque aucune institution sociale ne semble garantir les échanges, le commerçant n’étant ni de la famille, ni du quartier, ni de la même religion, ou de la même entreprise.

Des migrants « contraints » à être commerçants

8 Comprendre la création de ce marché passe alors par une sociologie des « entrepreneurs » (Zalio 2007). S’il ne s’agit nullement de nier les aspects stratégiques du comportement de l’entrepreneur, il convient aussi de saisir sa capacité novatrice dans un contexte et une trajectoire sociale. L’entrepreneur est contraint par l’organisation, l’état du marché – et pour ces migrants particulièrement, le marché du travail – mais bénéficie d’une position structurelle entre deux mondes sociaux qui lui confère des ressources distinctives (Sciardet 2002 ; Boyer, Boyer et Laferté 2007 ; Portes Guarnizo et HallerSource 2006). La commerçante [4] au cœur de notre étude, comme nombre des commerçants lensois, a eu accès au petit commerce de textile en s’appuyant, d’un côté sur les réseaux familiaux et communautaires d’accueil, à Paris notamment, et de l’autre sur les ressources que sa socialisation antémigratoire en Pologne lui donnait. En reliant deux mondes hétérogènes, la confection parisienne et les corons du Nord, ces commerçants captent le profit de leur appartenance sociale juive et d’une connaissance antémigratoire des modes de vie polonais.

9 Ce sont principalement les contraintes du marché du travail et la structure du groupe d’accueil qui conduisent les migrants juifs de l’Europe de l’Est à tenter leur chance dans le commerce de textile. Sans contrat de travail, la plupart convergent vers les quelques contacts qu’ils possèdent : des parents, des proches originaires du même village, des Juifs polonais installés auparavant. Or le textile est une industrie d’accueil privilégiée pour les immigrés sans contrat de travail dans l’entre-deux-guerres, phénomène renforcé pour les Juifs polonais avec de nombreux établis dans ce secteur depuis la fin du xix e siècle, principalement dans le quartier parisien du Sentier (Green 1984). Ces migrants se retrouvent pour beaucoup à Paris dans les ateliers du textile leur donnant une spécialisation. Par ailleurs, le marché du travail salarié, notamment dans la grande industrie, est progressivement fermé sur des critères de nationalité à partir des années trente (Noiriel 2001). De même, dans l’industrie du textile, le marché de l’emploi se dégrade dans l’entre-deux-guerres. S’installer hors de Paris, inscrire une étape supplémentaire dans un parcours migratoire de plusieurs années, n’est pas trop coûteux. S’établir commerçant est aisé dans la période, une simple inscription au registre du commerce suffit. Les fournisseurs sont déjà connus. Il faut s’organiser pour faire des allers-retours à la capitale. En s’installant comme ambulant, aucun capital n’est à investir. Le crédit au sein de la communauté juive entre commerçants par le prêt de stock de marchandises est courant pour aider un coreligionnaire à se lancer. Comme le précise un des enfants des pionniers lensois :

10

« On était à Paris, mon père était ouvrier maroquinier, et c’était dans la famille. Et à Paris, on crevait la misère hein. Il rencontrait un copain qui l’emmenait à Lens, et à Lens, il vendait des sacs à main [5]. »

11 Mieux, la clientèle lensoise à forte proportion polonaise est plus adaptée que le serait une clientèle parisienne pour ces migrants dont la plupart ne parle pas français mais polonais (pour la clientèle) et yiddish (au sein de la communauté juive). On comprend mieux comment Lens à deux cents kilomètres au nord de Paris, en pleine expansion économique dans l’entre-deux-guerres et largement repeuplée de Polonais, ait attiré quelques commerçants juifs polonais. Dans les registres du commerce du Pas-de-Calais des années 1920, on retrouve ces pionniers inscrits comme ambulants avec pour adresse, un logement près de la gare, une chambre chez un particulier ou dans un hôtel.

La réplication d’un marché ?

12 Dans l’entre-deux-guerres, les premiers colporteurs juifs d’origine polonaise, jouent alors de leur appartenance antémigratoire et de la formation par les primoarrivants pour reconnaître leurs potentiels clients polonais :

13

« Dans les corons, les Juifs reconnaissaient facilement les maisons polonaises [6]. »
« Étant donné que mon père ne savait pas un mot de français, alors il (son oncle qui formait son père récemment arrivé en France) lui disait (…) “écoute c’est bien simple, si tu vois des fenêtres propres avec des beaux rideaux, une entrée propre, une entrée de maison très, très propre, tu peux y aller c’est des Polonais” [7]. »

14 Pour conquérir cette nouvelle clientèle locale des Polonais, ces migrants juifs disposent de plusieurs avantages. Le plus décisif, reste bien sûr la maîtrise de la langue polonaise qui semble générale si l’on en croit nos entretiens (les Juifs lensois sont à 85,5 % d’origine polonaise, roumaine (6,2 %), russe (3,54 %) et tchécoslovaque 2,36 %). Mais encore, ils connaissent aussi les biens spécifiques de la demande polonaise (couchage en plume, linge de maison, cérémonie religieuse…). De plus, nouvellement arrivés, fuyant la misère économique, ces migrants sont prêts à consentir de larges efforts (horaires de travail importants liés aux déplacements à pied ou à bicyclette avant de pouvoir acquérir un véhicule…) pour aller à la rencontre de cette clientèle ouvrière peu recherchée, particulièrement peu mobile (pas de transports publics ni d’automobile personnelle dans les corons) [8].

15 Enfin, le « commerçant juif », souvent appelé « le Juif », est également une figure commerciale connue de la clientèle polonaise.

16

« Quand le commerçant arrivait, les Polonais savaient que c’était le Juif, ils avaient gardé ça de Pologne mais en fin de compte ils travaillaient avec eux pourquoi ? Parce qu’ils faisaient du crédit, qu’à cette époque il n’y avait pas les grands magasins et ils leur faisaient à crédit, à l’époque ils achetaient tout à crédit[9]. »

17 Malgré l’histoire politique différenciée jusqu’à l’unification de la Pologne en 1918, dans toutes les zones géographiques d’origine des Juifs lensois, le commerce reste une des seules activités autorisées aux Juifs qui forment le gros des commerçants. En Pologne du Sud-Est, 40 à 48 % des Juifs sont dans le négoce en 1931. En Galicie, au xix e siècle, les Juifs représentent jusqu’à 75 % des marchands, 81 % des grossistes, 95 % des revendeurs, 40 % des aubergistes (Tollet 1992 : 184-185). Les Shtetl, bourgades à la population essentiellement juive et lieux majoritaires d’origine des Juifs lensois de Galicie, vivaient de petits commerces et de marchés à crédit (Ertel 1986). Dans le royaume de Pologne à la population juive plus urbanisée, le modèle dominant reste le petit commerçant souvent spécialisé dans le textile, notamment dans les villes de la région de Lodz et de Varsovie, dont une partie de notre population provient. La clientèle polonaise ne connaît certainement pas personnellement les Juifs lensois quand ils s’installent. Une proportion sans doute significative des migrants juifs lensois n’a probablement pas de lien direct avec le textile en Pologne, mais les mineurs lensois polonais disposent de représentations établies et routinisées du commerçant juif vendant à crédit à la porte des maisons ou sur les marchés.

18 Ces représentations importées à la fois du côté des commerçants et des clients permettent aux deux groupes de s’identifier socialement, culturellement, économiquement. Sans réseaux directs préexistants, ce marché ne se crée donc pas non plus dans un vide social où tout serait à inventer. Les rôles de chacun des acteurs sur le marché et la forme des transactions sont largement importés. Sans se connaître personnellement, chacun se reconnaît par la langue, l’apparence, et les pratiques de commerce. On peut donc faire l’hypothèse d’un marché en partie importé de la Pologne vers la France comme semble l’attester la position singulière de Lens dans les réseaux migratoires en France, puisque le commerce n’y attire que les Juifs d’Europe de l’Est et nullement la diversité internationale des migrants du petit commerce parisien (Zalc 2002). Cette niche commerciale lensoise ouverte principalement aux Juifs polonais semble bien se comprendre par l’histoire sociale dans le pays du départ (Green et Weil 2007).

19 Par ailleurs, la concurrence locale des autres commerçants est relativement limitée : les corons sont éloignés des quelques boutiques lensoises [10] et les coopératives ouvrières et patronales qui dominent le commerce dans les quartiers miniers vendaient peu de textile [11] et pas de produits spécifiques pour la clientèle polonaise (Larvent 1998). L’atout principal des petits boutiquiers et ambulants est de se plier à la demande de crédit, un point essentiel pour une clientèle de mineurs, que toutes les sources décrivent comme particulièrement attachée à l’achat à crédit. Les dirigeants des Houillères en sont bien conscients mais refusent, en empruntant un registre moral [12], d’instaurer un système de crédit à grande échelle dans le bassin minier. Les coopératives qu’ils contrôlent ne font donc pas crédit et ils rejettent la proposition des banques populaires dans les années 1950 d’instaurer un Crédit social comme cela fut le cas dans d’autres groupes industriels comme Péchiney. Seule la coopérative ouvrière d’Anzin, éloignée de Lens, proposait des achats à crédit. Finalement, dans le paysage commercial de l’époque, les colporteurs et les ambulants sur les marchés semblent être les seuls à proposer l’achat à crédit de textile.

20 L’arrivée massive des mineurs polonais aux lendemains de la Première Guerre mondiale crée donc un nouveau marché. Ce marché est porteur et, suite à ces pionniers des années 1920, de nombreux Juifs polonais rejoignent Lens qui à son tour devient une des étapes possibles des trajectoires migratoires juives.

21

« Chaque personne qui s’arrêtait, qui avait besoin d’un petit peu d’argent, elle avait la possibilité de faire les marchés. (…) C’était un centre de passage et ils aidaient les gens à espérer, à faire une escale et ensuite si ça leur convenait, ils s’installaient ici [13]. »

22 L’étendue du marché ne semble pas poser de problème, chacun trouvant matière à commercer, en allant un peu plus loin dans les corons, voire vers d’autres cités minières aux alentours, évitant les rues tenues par d’autres colporteurs. Le réseau de commerces suit alors une segmentation géographique et une division du travail entre commerçants. On est proche d’un développement commercial décrit par Joseph Schumpeter autour d’une grappe d’entrepreneurs, les suivants imitant les pionniers, ici non pas dans une lutte concurrentielle, mais coopérative.

23

« Mon mari quand il a commencé à aller dans les cités, il n’avait pas d’argent pour s’acheter la marchandise, donc il est allé chez F., et il a pris trois manteaux, il en a vendu un sur les trois, et puis il a rendu les deux autres. Et il a payé le manteau [14]. »

24 En prêtant à leur tour aux nouveaux arrivants un premier stock de marchandises, certains pionniers se font semi-grossistes locaux dès les années 1930, et agrègeront jusqu’aux années 1970 une grappe de colporteurs, en plus de leurs propres clients particuliers. C’est le cas de la commerçante au centre de notre étude dont la capacité à s’établir comme grossiste est à relier à ses ressources familiales. Dans les années 1930, elle arrive à Lens avec son mari, son frère et sa belle-sœur. Ils forment rapidement une entreprise de quatre colporteurs. Très tôt une division du travail s’organise au sein de l’entreprise familiale. Elle s’occupe notamment d’acheter le stock via leurs relations commerciales à Paris puis à Lille, se faisant grossiste pour les colporteurs affiliés.

De l’identification des commerçants étrangers à l’aryanisation en 1942

25 Depuis l’instauration en 1919 du registre de commerce, véritable état-civil des commerçants (Zalc 1998), la liberté commerciale est progressivement encadrée. Le registre du commerce ne sert pas pendant les années 1920 à contrôler l’installation des commerçants étrangers (Zalc 2002). Il joue cependant le rôle d’identification des commerçants auprès du tribunal de commerce et permet d’engager plus facilement des recours juridiques encadrant la transaction. Mais il n’a pas d’effets contraignants sur l’installation. La délivrance de la carte d’identité des étrangers votée en 1926 et effective en 1927 aurait pu freiner l’établissement de ces Juifs polonais à Lens, mais au moins jusqu’en 1935, les services de la préfecture tolèrent ces nouveaux commerçants :

« Ne possède pas de magasin, s’approvisionne chez X qui tient un grand magasin et paraît être le chef de tous ces marchands de Lens et environs. Présence pas indispensable, mais étant donné que ce genre de commerce n’est exercé que par très peu de Français, on peut l’autoriser à résider [15] ».
Ce marché n’intéressant pas les commerçants nationaux, la présence des Juifs polonais est donc tolérée. Mais dans la foulée des tensions sur le marché du travail qui entraîne l’exclusion de nombre des travailleurs étrangers des couches du salariat, en 1938, l’instauration de la carte de commerçant étranger étend aux indépendants le processus de nationalisation du marché du travail (Zalc 2002). Ces tensions à l’échelle nationale se retrouvent à Lens à mesure de l’établissement des commerçants juifs dans les rues principales. Dès la fin de 1938, l’administration refuse de délivrer des cartes de commerçants pour les Juifs polonais, même pour ceux déjà installés qui réclament seulement le changement d’objet de leur commerce [16]. Ce processus s’accélère à partir de 1940 pour prendre un tour dramatique lorsque le registre de commerce et les divers outils d’identification des étrangers sert de base administrative à l’aryanisation des commerces juifs (Mariot et Zalc 2007). Ceux qui n’ont pu fuir en 1940 sont déportés suite à la rafle du 11 septembre 1942. La population juive de Lens disparaît de nos sources de 1942 à 1945. Ce marché renaît à la Libération, avec le retour progressif de ceux qui ont pu fuir en 1940 plus quelques nouveaux arrivants, puis le flot de l’immigration juive se tarit très rapidement.

Tenir la relation de crédit : vers l’identification et la contractualisation

Une clientèle par grappe

26 Le crédit engage des relations de long terme entre les personnes. À partir des archives de l’entreprise S., dont les premiers papiers conservés datent de ce retour à Lens, on se rend compte à quel point le crédit avec encaissement au domicile du client ou au magasin du commerçant multiplie les relations de face-à-face. En moyenne, pour la période 1952-1970, un achat engage cinq versements soit autant d’interactions. Les clients réalisent huit achats en moyenne soient quarante interactions par client. Pour la clientèle fidèle, ceux qui gardent un compte sur plus de quatre ans, qui totalisent 80 % du chiffre d’affaires, on trouve une moyenne de cent versements ou encore, pour les plus de six ans, cent quarante-trois, à domicile ou au magasin. On mesure la richesse des relations sociales qui peuvent se nouer entre la clientèle et son commerçant.

27 Les colporteurs travaillent la fidélisation de leur clientèle en se répartissant les quartiers, les rues. Les clients disent « faire commerce » avec leur colporteur. Les premiers échanges commerciaux honorés, la routinisation des échanges s’installe. Changer de colporteur est rare, cela suppose de reprendre une nouvelle histoire, de recréer une mémoire nécessaire à la personnalisation des échanges spécifiques de ces transactions. Les relations personnelles ne préexistent pas mais sont créées, induites, par les échanges économiques, entretenues tant pour améliorer la relation commerciale que sociale (Uzzi 1999).

28 Une fois les rapports à un premier noyau de clients instaurés, le renouvellement de la clientèle fonctionne par recommandation. La majorité des comptes (61 %) ne mentionne ni profession, ni statut. Le nom, l’adresse et une recommandation suffisent sans même une signature. L’échange à crédit s’engage avec très peu de renseignements objectifs sur la solvabilité du client et sans cadre juridique, ce qui montre l’importance décisive de l’interconnaissance et des recommandations. La recommandation est alors un processus singulier engageant le recommandeur qui offre la mémoire positive de sa relation avec le commerçant comme une garantie sociale donnée au crédit. Le passé de la relation du recommandeur avec le commerçant présage du futur de la relation ouverte avec le recommandé. Au pire, le commerçant sait qu’il pourra s’appuyer sur le recommandeur pour contraindre le recommandé à payer. C’est donc tout autant le contrôle social sur le recommandé que sa bonne réputation que le recommandeur engage avec le commerçant. La clientèle de ces commerçants est alors constituée d’un ensemble de réseaux d’interconnaissance fondé sur une famille, sur un voisinage, historiquement connectés à un colporteur, via des recommandeurs. Ces groupes engagent à la fois une obligation à payer pour les clients – se défausser c’est détériorer la relation du commerçant avec l’ensemble du groupe – comme une relative bienveillance du commerçant à l’égard des plus fragiles du groupe. Des rappels à l’ordre trop pressants et c’est tout un groupe de clients qui peut se retourner contre le commerçant.

29 Comme pour tout crédit des commerces de détail, ces commerçants vendent tout autant un service de crédit et de vente à domicile que des biens (Johnson 1980). Il est assez difficile d’objectiver un taux d’intérêt dans les pratiques comptables. Celui-ci n’est en tout cas pas inscrit dans le registre de la clientèle ni dans les registres de compte. Les prix ne sont pas affichés sur les produits. Ils sont négociés avec chaque client. Comme nous l’ont confirmé les vendeuses du magasin, le montant des remboursements est personnalisé, renégociable à la première difficulté de paiement, sans surcoût, et les crédits s’empilent sans distinction de produit. Il s’agit plutôt d’une forme de crédit permanent [17] à l’opposé de la vente à tempérament des établissements de crédits qui était un système de « crédit affecté » pour l’achat d’un bien spécifique. Le plafond de ce crédit permanent est fixé au cas par cas, implicitement par le commerçant qui accepte ou refuse d’alourdir l’endettement de son client. C’est alors l’art du commerçant d’entretenir la dépendance financière du client en le gardant endetté, donc en l’obligeant à revenir pour lui proposer d’autres produits, sans jamais dépasser sa solvabilité estimée à travers la mémoire des transactions passées, la connaissance de son mode de vie rendu particulièrement visible lors des visites à domicile pour encaissement. C’était tout l’argumentaire des promoteurs du « crédit social » mentionné plus haut, un temps proposé par les banques populaires aux Houillères, soulignant comment dans une économie à prix négociables, l’achat à crédit auprès du commerçant creuse la dépendance de l’ouvrier ; et à l’inverse, l’achat au comptant – le crédit auprès d’un tiers, le banquier, permet d’acheter au comptant auprès du commerçant – lui redonne sa force de négociation :

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« Acheteur au comptant, le bénéficiaire d’un prêt “Crédit Social” est libéré des complexes d’infériorité éprouvés devant le vendeur par l’acheteur à crédit classique [ici compris comme le crédit direct du commerçant]. Il peut de nouveau discuter le prix et la qualité de l’objet acheté. La remise obtenue dans ces conditions dépasse le plus souvent de façon sensible le coût du crédit [18] ».

31 Dans le magasin étudié, toute la clientèle paye à crédit. Comparant alors les prix comptants des grands magasins parisiens au prix de ces boutiques de textiles à crédit de diverses villes françaises, les enquêteurs du ministère Affaires économiques de l’époque avaient conclu à des taux d’intérêt pouvant dépasser régulièrement les 100 % [19]. Il serait peut-être rapide de parler de taux d’intérêt au sens strict puisqu’il ne s’agit pas tant d’un loyer de l’argent, que d’un surcoût lié aux salaires des employés (les encaisseurs) qui produisent le service du crédit et celui de la vente à domicile. Quoi qu’il en soit, confrontés à des problèmes de trésorerie, les ouvriers sont attirés par le crédit permettant aux commerçants de rester en position de force sur les prix.

Le recours à l’identification des citoyens pour garantir son marché

32 Dans les années 1950, l’absence de garantie institutionnelle de ce système de crédit devient patente avec un taux élevé d’impayés atteignant jusqu’au quart des comptes ouverts. D’après les enquêtes du ministère des Affaires économiques, le pourcentage de contentieux dans le textile est significativement supérieur aux autres crédits à la consommation atteignant fréquemment 5 à 10 % et même parfois 20 % du chiffre d’affaires. À titre de comparaison, les taux de contentieux sont de l’ordre de 3 % pour un grand magasin comme le Printemps à Paris en 1954 et de 1 % dans les établissements de crédits pour les biens durables. Notre magasin est donc dans la fourchette très haute des impayés du crédit. La rubrique « comptes à problèmes » rassemble les comptes notés PSA, « partis sans laisser d’adresse », et ceux qui font l’objet d’un recours à l’huissier. La mention PSA souligne, semble-t-il, la mobilité grandissante des classes populaires dans la région lensoise et donc un effritement de la captivité initiale de cette clientèle, pivot de ce crédit. Ce problème dans les années 1950 des impayés semble se généraliser comme le souligne un autre commerçant :

33

« c’était la quatrième fois que je passais, et à chaque fois que j’arrivais, la petite fille, elle me disait ma maman elle est pas là. Alors je devais avoir seize ans, et j’ai dit, écoute, va demander à ta maman quand est-ce qu’elle revient, et elle court (rires). Alors là, je me suis fâché, et c’était plus dur, et j’ai dit à mon père, écoute, il y en a marre, on va amener à ces gens-là l’huissier. C’est moi qui ai initié un tout petit peu l’huissier mais ça lui plaisait pas du tout, je pense que dans sa carrière, il a dû mettre huit personnes à l’huissier [20] ».

34 Le contrôle social par interconnaissance ne semble plus suffire pour recouvrer les créances.

35 Ainsi, notre commerçante fait appel au cadrage juridique du marché par le recours à l’huissier. Concernant ces petits crédits, les coûts de la procédure judiciaire sont généralement plus élevés que les retours financiers. Le recours à l’huissier a plus une vertu d’exemple que de rentabilité. Plus encore, dans la correspondance avec l’huissier de justice en 1958 et 1959, ce dernier se plaint de manquer d’informations sur les montants dus, les adresses et l’identité des clients, ne parvenant pas à instruire nombre de dossiers. Il demande un encadrement plus rigoureux des comptes clients, ne serait-ce qu’une signature du client et le numéro d’une pièce d’identité. Même quand il y avait une signature, ces commerçants avaient conscience que leur « contrats étaient bidons » [21]. Notre commerçante fait alors l’apprentissage du droit, en imposant progressivement un contrat de location vente. Ce contrat de location avec option d’achat permet à la commerçante de sortir juridiquement d’une vente à crédit type vente à tempérament et donc de ne pas appliquer les dispositions légales sur la publicité des taux d’intérêt (Avanza, Laferté et Penissat 2006). Surtout, elle recourt de manière systématique à une identification des clients. En début de période, le taux d’inscription de clients identifiés (renseignements sur l’identité précise des clients) reste faible, autour de 15 % des comptes de 1954 à 1959. À partir de cette date, correspondant aux injonctions de l’huissier, ce taux augmente régulièrement pour atteindre les trois quarts des comptes à la fin des années 1960, le quart restant correspondant sans doute aux clients estimés les plus sûrs, au cœur des réseaux d’interconnaissance et/ou les mieux recommandés. Le taux de compte à problème se stabilise alors pour devenir quasi nul à la fin dans les années 1960.

Gestion des comptes de 1952 à 1971

figure im1

Gestion des comptes de 1952 à 1971

Ouverture, identification socio-économique et difficultés de remboursement (données issues des comptes clients des archives de la boutique)

36 Contrainte par la nécessité économique du recouvrement, notre commerçante emprunte les outils d’identification à distance pour imposer une contractualisation des transactions. L’identification des citoyens créée au xix e siècle par l’état-civil (Noiriel 1993), renforcée dans l’entre-deux-guerres par la carte d’identité (Piazza 2004) et la construction d’un système juridique adéquat, permet de pallier les manques du contrôle par l’interconnaissance. Les commerçants peuvent demander à voir la carte d’identité pour compléter leurs informations, outils demandés aujourd’hui systématiquement à l’ouverture d’un compte bancaire (Lazarus 2009). Ces outils administratifs créés justement pour contrôler la population, en gardant la trace à distance des individus dans une société plus mobile, sont utilisés ici pour garantir l’identité des personnes dans des échanges économiques de plus en plus distanciés, permettant l’éventuel recours au droit. Le développement de l’identification étatique ouvrant le contrôle juridique du marché s’affirme comme le support substitutif à l’interconnaissance sociale pour garantir l’obligation des personnes sur le marché.

37 C’est exactement dans la même période, en 1954, que la direction des Houillères se plaint de demandes de la part des « marchands de crédit » pour faire pression sur les salariés qui n’honorent pas leurs traites. Les dirigeants des Houillères refusent de communiquer ces informations [22]. Les demandeurs souhaitent s’assurer de l’adresse du créditeur, de son emploi, démontrant que dans la période se pose nettement la question de l’identification et de la solvabilité de la clientèle.

Le dépassement du crédit direct par la généralisation d’un tiers entre le commerçant et le client

38 Ce système de vente de textile à crédit s’éteint dans les années 1970 et 1980. L’avantage concurrentiel des commerçants juifs est dépassé. La captivité de la clientèle se réduit à mesure du développement généralisé de l’automobile et de la mise en place à la fin des années 1960-1970 de réseaux de bus dans les corons[23]. Les secondes générations de migrants polonais ne montrent pas un goût vestimentaire spécifique et maîtrisent parfaitement le français. Le développement du prêt-à-porter déclasse nombre des commerçants établis. La vente de textile au mètre pour le tailleur, la maîtresse de maison et la couturière de quartier, est supplantée par la boutique de centre ville et du centre commercial (Veillon et Denoyelle 2000 ; Veillon et Ruffat 2007). Ce marché remodelé du textile est accaparé par de nouveaux acteurs commerciaux à Lens, avec l’accélération de la vente par correspondance dans la période, l’arrivée d’un grand magasin – les Nouvelles Galeries en 1962 au moment de la création d’un réseau d’autobus – et enfin les premières grandes surfaces à l’extérieur de Lens, avec en 1972 établissement d’un centre commercial Auchan de cinquante boutiques à Noyelles-Godault puis de trois centres Carrefour dans l’agglomération entre 1972 et 1973. Le développement des marques est un phénomène des années 1970 avec les premiers groupes à succursales, puis les franchises, qui ouvrent un magasin en centre commercial ou en centre ville. Le commerçant indépendant ayant acquis un savoir-faire sur le tas laisse la place à la figure du gérant de magasin, salarié diplômé, de passage à Lens et faisant carrière au sein d’un groupe national ou international de prêt-à-porter ou encore, du cadre licencié ouvrant un magasin sous franchise [24]. Enfin, nombre des enfants de ces primomigrants juifs obtiennent par le système scolaire les moyens d’une promotion sociale importante les détournant d’une reprise des commerces.

39 Ces transformations suffisent à précipiter le déclin puis la disparition de ces commerces mais pas l’attrait du crédit pour les classes populaires, et pas seulement pour les biens durables. Le système de crédit lui-même est radicalement bouleversé avec la monopolisation du crédit au profit de deux tiers majeurs entre le commerçant et le client, les banques et les établissements de crédit.

La disjonction entre le bien et le crédit

40 La loi du 28 décembre 1966 relative à l’usure cherche une nouvelle fois à exclure du marché du crédit l’ensemble des acteurs non enregistrés. Pour le Conseil national du crédit, l’usure reste possible parce que le crédit n’est pas entièrement sous son contrôle, le fait de transactions d’officines ou de particuliers [25]. La norme doit définitivement être le crédit obtenu par l’intermédiaire d’une institution financière. Par ailleurs, contrairement aux années 1950, fortes de l’expérience réussie de l’enregistrement des établissements de crédit, rassurées du développement sous contrôle du marché du crédit à la consommation pour les biens durables par le contrat de la vente à tempérament, pour la première fois, les autorités monétaires n’hésitent plus à définir un taux d’intérêt normatif (Avanza, Laferté et Penissat 2006). Est désormais usuraire, un prêt dont le taux global excède de plus d’un quart le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent pour des opérations de même nature, par les banques et les établissements financiers enregistrés. Les plafonds de l’usure étaient, par exemple, en 1967 de 14,12 %, en 1968 de 14,64 %, en 1970 de 17,54 %, soit des taux beaucoup plus faibles que ceux reconstitués pour ces commerçants selon les enquêtes des années 1950. La spécificité des transactions conduites par les commerçants n’est nullement discutée. La loi du 10 janvier 1978 impose à ceux-ci un ensemble de dispositions de publicité et de rétraction possible appliquant à tous les contrats apparentés au crédit les obligations de la vente à tempérament.

41 Dans le même temps, par la loi du 16 septembre 1971, le législateur précise l’obligation d’étiquetage des prix encore renforcée en 1977, le prix s’entendant comme comptant. Dans l’esprit du législateur, cet affichage des prix et cette disjonction du prix du bien et du crédit permettent au consommateur d’être mieux informé des conditions de la transaction et de mettre plus facilement en concurrence les commerçants, espérant par cette diffusion de l’information, une baisse des prix et des taux. Même si l’on peut douter de l’application dans les années 1970 de ces règles dans le magasin ici étudié, différant de quelques années sa généralisation pratique, il est certain que les commerçants vendant à crédit dans une opacité comptable ont alors beaucoup à perdre à cette transparence des prix. Le consommateur peut progressivement comparer les prix des produits avec ceux des grandes surfaces ou les conditions de crédit avec celles des établissements financiers. L’application progressive des mesures législatives de la période conduit à une meilleure mise en série des produits. L’homogénéité des biens et des services, condition d’existence d’un marché pour l’économie standard, est bien socialement produite (Garcia 1986).

42 De fait, ce cadrage juridique des activités de crédit à la fin des années 1960 a cette fois-ci des effets sur l’encadrement juridique des pratiques de notre commerçante. En effet, en 1971, le commerce adopte le contrat de vente à tempérament, abandonnant le contrat précédent de location vente. Ce changement de cadrage juridique s’opère au moment où l’entreprise devient une SARL (société à responsabilité limitée) familiale formellement dirigée par le neveu Jacques S. et domiciliée à sa résidence parisienne. Cette transformation offre l’occasion d’une mise à plat conduite par un conseiller juridique et fiscal parisien, une relation professionnelle de Jacques S., ce dernier étant devenu par ailleurs haut dirigeant d’une banque [26]. Les activités de crédit ont un cadrage juridique précisé d’autant que le commerce est sujet à un contrôle fiscal en 1975.

43

« Une des raisons pour laquelle on a eu le contrôle, c’est parce que l’inspectrice des impôts comprenait pas comment fonctionnait notre système de vente à tempérament [27]. »

44 À l’évidence, on observe un contrôle croissant des petits commerçants sommés d’entrer dans les formes prédéfinies par le droit renouvelé des transactions commerciales.

La bancarisation et la monopolisation financière du crédit

45 Depuis la seconde moitié du xix e siècle, les banques françaises réservaient leurs activités aux entreprises et à une clientèle particulière fortunée pour recueillir les dépôts et les placer en titres et obligations. Dans la foulée des lois bancaires de 1966-1967, les banques ont engagé une bancarisation de masse ouvrant des agences au plus près de la clientèle nouvelle, dans les quartiers populaires, en périphérie urbaine, dans les zones rurales (Bonin 1992). Le levier le plus puissant de cette bancarisation reste le versement par chèque des salaires conduisant inévitablement les salariés à se bancariser (Blic et Lazarus 2007). À la fin de 1966 et au début de 1967, les Houillères du Nord-Pas-de-Calais décident de favoriser les versements bancaires et postaux des salaires. En 1966, les comptes chèques postaux enregistrent une augmentation de 6,5 % puis 22 % en 1967 dans l’ensemble de la zone Nord-Pas-de-Calais [28]. Selon la Banque de France, les principales banques bénéficiaires dans le bassin minier sont les Comptes chèques postaux, le Crédit municipal, la Banque populaire et surtout la Caisse d’épargne. Ensuite, les accords de Matignon en 1968 conduisent à la mensualisation des salaires (10 % des salariés en 1969 à 90 % en 1972). Cette mensualisation se double de l’obligation de verser en monnaie scripturale toute somme supérieure à 1 500 F, pour un Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) à 900 F à l’époque. La mensualisation des ouvriers s’engage aux Houillères au premier janvier 1971 précipitant définitivement les versements bancaires et postaux des salaires [29]. Plus largement, entre 1966 et 1976, les dépôts bancaires triplent à l’échelle nationale, quadruplent pour le Nord-Pas-de-Calais [30] à composition plus ouvrière confirmant que la bancarisation est une innovation d’autant plus forte que l’on appartient aux classes populaires. Le nombre de ménages bancarisés passe de 18 % en 1966, à 62 % en 1972, pour 92 % en 1982 (Bonin 1992). À partir de la première moitié des années 1970, l’immense majorité de la clientèle du commerce étudié est certainement bancarisée. Le banquier pose désormais un regard sur la gestion domestique des ménages populaires, ouvrant un conflit entre rationalité calculatoire et calcul économique populaire (Perrin-Heredia 2009). Cette bancarisation donne en même temps accès pour les classes populaires à des produits financiers novateurs.

46 Suivant les travaux très précieux d’Hélène Ducourant (2009), en 1972, les établissements de crédit sont finalement autorisés à octroyer des prêts personnels, non affectés à un bien. Là encore, le législateur favorise les établissements financiers contre les commerçants. Concluant un accord avec les 3 Suisses, Cetelem (Compagnie pour le financement des équipements électro-ménagers) apparaît alors dans le célèbre catalogue pour proposer des facilités de paiement pour l’habillement. Le compte ouvert pour le client, nommé « réserve d’argent », permet d’y agréger ses achats, sans avoir à contracter un crédit pour chaque bien acheté, recoupant ici la formule proposée par les commerçants. À partir de 1982, cette activité de crédit 3 Suisses Cetelem s’autonomise créant un nouvel établissement de crédit, Cofidis (Compagnie financière de distribution). Ce dernier innove et propose aux clients du fichier des 3 Suisses des cartes de crédit revolving valables dans tous les commerces. C’est alors l’explosion du crédit revolving, qui fait la fortune de Cofidis, ce crédit non affecté à un bien, mobilisable via une carte dans tous les commerces. Le modèle est suivi par tous les établissements de crédit, notamment pour l’habillement, avec notamment La Redoute et la création de l’établissement Finaref (Financement pour l’équipement familial) au sein du groupe Pinault-Printemps-La Redoute. Cette explosion peut être comprise comme la confirmation à rebours des besoins de crédits pour les biens non durables, demande des classes populaires satisfaite hier par les commerçants. Cette offre nouvelle et institutionnelle de crédit assèche le marché du crédit direct des commerçants.

47 Les banques elles-mêmes développent dès la fin des années 1960 des crédits personnels non affectés à des biens particuliers, pouvant servir juste pour la trésorerie, à des taux plus bas que la vente à tempérament. En 1972, les banques agrègent déjà la moitié des crédits à la consommation distribués, les prêts personnels représentant un montant proche de la vente à tempérament. Dans les années 1970 et 1980, les banques et les établissements de crédit se substituent progressivement au commerçant dans l’offre de crédit pour les biens non durables et dans la gestion de la trésorerie des ménages.

48 * * *

49 L’observation au xx e siècle de ce marché de crédit direct, de face-à-face, permet de mieux saisir la transformation des institutions sociales qui garantissent les transactions économiques. En effet, initialement, dans un contexte de quasi-absence de l’État dans la régulation de ces marchés, la création du marché dans les années 1920 se fait par la reconnaissance de rôles sociaux symétriques hérités de Pologne entre mineurs et marchands juifs, plutôt qu’à travers l’utilisation économique de liens d’interconnaissance préexistants comme le souligne généralement la littérature. Le second temps du marché a vu la clientèle se développer par les réseaux d’interconnaissance et de recommandation, qui fonctionnent comme un système d’information et de contrôle de la clientèle. Puis, de par l’effritement du contrôle social au sein de ces réseaux, les commerçants s’appuient sur l’appareil d’identification des personnes de l’État et le contrôle juridique des transactions. L’État comme contrôle social à distance se substitue à l’interconnaissance comme fondement institutionnel des transactions. Enfin, une série de mesures à la fin des années 1960 et au début des années 1970, et la systématisation d’un tiers entre le commerçant et sa clientèle sépare définitivement le service du crédit de l’achat du bien. C’est la fin programmée d’un crédit direct des commerçants aux classes populaires, pratiques commerciales remontant au moins à l’Ancien Régime. Par l’intermédiation bancaire, l’immensité des transactions chez les commerçants est désormais assimilable à des relations au comptant, ou la dette s’annule instantanément. Le contrôle sur la gestion des budgets populaires s’est déplacé des commerçants aux banquiers et établissements de crédit.

50 Bien sûr, notre étude de cas d’un crédit de face-à-face au xx e siècle mériterait d’être confrontée à d’autres situations analogues en France ou ailleurs. À l’évidence les concentrations ouvrières ont été le théâtre de pratiques de crédit direct. De même, les mondes ruraux ont certainement été traversés de toute part par des pratiques de crédits informels pour faire la soudure jusque tard dans le xx e siècle (Zonabend 1980). Finalement, la situation observée à Lens autour du textile se révèle singulière du contexte d’immigration du xx e siècle et pourrait sans doute se retrouver dans des contextes analogues. Mais aujourd’hui, le renouvellement du crédit au sein des familles ou, par exemple, dans les communautés autour des mosquées en France (Perrin-Heredia 2010), voire plus encore l’apparition du crédit entre particuliers sur internet pourraient ramener la période actuelle de quasi-monopolisation du crédit par les institutions bancaires à un temps court de l’histoire du crédit.

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Notes

  • [1]
    Entretien avec le fils d’un colporteur, devenu chirurgien et homme politique lillois, le 13 avril 2004 à Lille.
  • [2]
    Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une enquête collective comprenant Françoise de Barros, Claire Zalc et Nicolas Mariot que nous tenons particulièrement à remercier. De même, nous remercions vivement Florence Weber et le comité de lecture de Genèses pour leurs suggestions précieuses.
  • [3]
    Rapport Conseil économique, « Étude du crédit à la consommation », Journal officiel, 4 mars 1954, pp. 267-279.
  • [4]
    Nous réservons le terme d’entrepreneur au corpus théorique qui s’y rapporte en sociologie économique et préférons parler de commerçants pour désigner notre population. Le sens commun d’entrepreneur, de par sa charge individualiste, positive, volontariste, et même idéologique, traduit mal les trajectoires contraintes de ces migrants.
  • [5]
    Entretien avec le fils d’un colporteur boutiquier devenu chef d’entreprise, 12 juin 2003 à Lille.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Entretien avec la fille d’un colporteur, sans travail, avril 2004 à Lens.
  • [8]
    Centre historique minier de Lewarde, n° 5109, « Visage de nos cités. Enquête sur trois cités minières, Secrétariat social de Lens », Lens, s. n., 1960.
  • [9]
    Entretien avec le fils d’un commerçant lensois devenu chef d’entreprise, 12 juin 2003 à Lille.
  • [10]
    L’exploitation du registre du commerce de l’arrondissement de Béthune montre qu’il y avait peu de boutiques pour de nombreux ambulants dans l’entre-deux-guerres. L’essor des boutiques date des années 1950.
  • [11]
    Voir le rapport « Fonctionnement et rôle des coopératives de consommation dans le Bassin », 31 mai 1952. Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [12]
    Dans une note interne datée de 1958, le directeur général des Houillères justifie son refus : « Un juge d’instruction s’est entendu dire récemment par un dirigeant d’une entreprise de vente à crédit qui avait sévi dans environ 300 foyers de mineurs qu’il n’avait jamais trouvé un “pareil milieu de poires” […] Il est de fait que, pour autant qu’il n’y ait pas une somme trop importante à payer comptant, le mineur se laisse séduire par des acquisitions à crédit, et qu’ensuite le paiement des traites, voire même de la coexistence de traites relatives à plusieurs achats, se traduit par des privations insupportables pour les enfants, et préjudiciables à l’état de santé de l’ouvrier. Je ne ferai donc rien qui puisse avoir pour conséquences de réduire pour des mois des enfants au régime des tartines de pain sec ». Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [13]
    Entretien avec deux boutiquiers, fils de colporteurs, avril 2004.
  • [14]
    Entretien avec une fille de colporteur, devenue boutiquière à Lens, 18 avril 2004.
  • [15]
    Archives départementales du Pas-de-Calais, 1Z 311, Carte d’identité des étrangers 1927-1936. Avis du 14 novembre 1935.
  • [16]
    Archives départementales du Pas-de-Calais M6678 M6678 : commerçants étrangers, correspondance, 1939-1942.
  • [17]
    Le crédit permanent est aussi appelé crédit renouvelable ou crédit revolving. Il s’agit d’une somme mise à disposition du client constamment réapprovisionnée à hauteur d’un plafond et à mesure des remboursements.
  • [18]
    Plaquette Crédit social, Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [19]
    Voir : « Enquête sur les conditions appliquées par les entreprises pratiquant le financement des ventes à tempérament, le 8 juillet 1953 » ; « Les tarifs appliqués dans les financements des ventes à tempérament » le 24 mai 1954 ; Direction générale des prix et des enquêtes économiques, Service des enquêtes économiques, Enquête 54 17, Note sur le crédit à la consommation, 1954 ; préfecture de Police, Service de la police économique et de la répression des fraudes et du contrôle des prix, rapport de Jacques Herisse, commissaire de police, « Vente à crédit de trousseaux et de Linge de Maison », 1954 ; fonds du CNC [Conseil national du crédit], Carton 1427200301/111, Archives de la Banque de France.
  • [20]
    Entretien avec le fils d’un colporteur, devenu chirurgien et homme politique lillois, le 13 avril 2004 à Lille.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Note sur la « Vente à crédit », Fonds Charbonnage de France, liasse 2004 001 500, CAMT.
  • [23]
    Les syndicats et les coopératives notent la modification des pratiques d’achats de la jeune génération ouvrière qui se détourne des commerces de proximité à mesure du développement des moyens de transport, Centre des archives du monde du travail, 1989 001 0179, Étude de marché pour l’ouverture du Rond-Point de Liévin, 1972-1973 ou encore 1989 001 0179, Étude de marché de la grande distribution 1976.
  • [24]
    Enquête annuelle sur la franchise, résultats 2004, Banque populaire/Fédération française de la franchise, CSA (Conseils-Sondages-Analyses).
  • [25]
    Conseil national du crédit, rapport annuel d’activité, 1966, p. 109.
  • [26]
    Dossier n° 70 B71 (SARL Compagnie française de services et de diffusion) du registre des sociétés, tribunal de commerce de Béthune.
  • [27]
    Entretien avec la femme de Jacques S. neveu de notre entrepreneuse, qui a elle-même travaillé à la boutique quelques années, le 10 janvier 2003 à Paris.
  • [28]
    Tableau régional des opérations bancaires, 31 mars 1968, Carton Réunions régionales des directeurs, notes de conjonctures, région Nord-Pas-de-Calais, succursale Lille 1964-1974.
  • [29]
    Fonds Charbonnage de France, 2004 001 283, Mensualisation, 1970-1987, CAMT.
  • [30]
    Tableau régional des opérations bancaires, 31 mars 1968, Carton Réunions régionales des directeurs, notes de conjonctures, région Nord-Pas-de-Calais, succursale Lille 1964-1974, Archives de la Banque de France.
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