Genèses 2008/3 n° 72

Couverture de GEN_072

Article de revue

Les agents de l'État face à leur propre pouvoir

Éléments pour une micro-analyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles

Pages 26 à 41

Notes

  • [1]
    Souligné par nous.
  • [2]
    Créée en 1966 au sein du ministère des Affaires sociales, la Direction de la population et des migrations est le produit de la fusion de plusieurs instances administratives : des services issus de la Direction de l’emploi, du ministère de la Santé et des structures administratives en charge des migrants algériens (Laurens 2006).
  • [3]
    Il est difficile de tenir un compte du nombre de travailleurs qui ont cherché à revenir en France après avoir disposé de l’aide au retour. Toutefois, à partir des archives disponibles il est possible d’évaluer que plus de 15 % d’entre eux ont formulé une demande auprès des services de la DPM pour récupérer leur titre de travail. Un chiffre auquel il faudrait éventuellement ajouter ceux qui seraient revenus en France illégalement. D’ailleurs certaines demandes de dérogation sont formulées depuis la France. Les fonds conservés à Fontainebleau conservent la trace de près de 2 200 dossiers d’instruction.
  • [4]
    La lettre courroucée adressée depuis Ouagadougou par ce ressortissant de la Haute-Volta est sans doute un modèle du genre. Celui-ci n’a pas pu toucher l’aide au retour car, n’ayant pas compris les courriers de l’administration, il ne s’est pas rendu à une convocation à la Direction départementale du travail et de l’emploi et a regagné directement son pays d’origine : « J’ai lu avec une immense tristesse et sans intérêt votre suite de phrases qui m’est tombée entre les mains, non pas que votre fabuleuse somme de 10 000 nouveaux francs m’ait filé entre les doigts car je n’y croyais pas durement à cet attrape-nigaud […] mais que vos textes manquent de clarté c’est vous dire manquent entièrement de concision […] vos expressions blindées de double sens neutralisent la pensée et retardent quand elles ne l’empêchent pas l’action. […] Contre un tel système pieuvre monstre institué que faire donc sinon que se résigner ? […] Quel tour de prestidigitation ne faut il pas faire pour gagner vos 10 000 francs, c’est plus compliqué que le tiercé-sauvage, en fait c’est le tiercé des immigrés en quelque sorte. Je dois reconnaître que c’est le pire de toutes les ségrégations. Oui le monde entier sait obstinément ce qu’est devenu mon fric. » Centre d’archives contemporaines (par la suite CAC) 1985 0422, art. 4. Lettre datée du 11 janvier 1980.
  • [5]
    Les quatre arrêts rendus les 7 juillet et 24 novembre 1978 par le Conseil d’État annulent plusieurs dispositions prises par circulaires sur l’aide au retour, voir Weil 1991 : 328.
  • [6]
    Pour une synthèse récente sur la manipulation d’archives d’État jugées « sensibles », voir Laurent 2003.
  • [7]
    Les responsables des services de santé publique à Ellis Island au début du siècle s’investissaient d’un rôle de gate-keeper, mobilisant des arguments sanitaires pour effectuer un tri « ethnique » des entrées, alors même qu’aucune consigne explicite ne leur avait été donnée (Markel et Minna Stern 1999).
  • [8]
    Dans son travail sur les années 1930, Jean-Charles Bonnet évoque notamment les « pressions individuelles » qui échapperaient à l’historien : « Par définition, la plupart des interventions de ce type furent occultes et, par là, elles échappent à l’historien » (1976 : 61).
  • [9]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note du conseiller Thierry P. à Lionel Stoléru datée du 2 juin 1980.
  • [10]
    Aucune trace officielle ne subsiste de ce flou dans les archives de la DPM. Seules demeurent des traces officieuses comme ce mot griffonné par Agnès L., chef de bureau, à l’attention du DPM en décembre 1978, alors que celle-ci justifie une fois de plus un refus à l’intention d’un travailleur étranger souhaitant revenir en France : « Monsieur le directeur, c’est monsieur S. [conseiller technique de L. Stoléru] qui m’a demandé de rédiger une réponse en ce sens et de la soumettre à votre signature. On peut néanmoins s’interroger sur son opportunité compte tenu de la situation de “vide juridique” dans laquelle nous nous trouvons actuellement. » CAC 1985 0422, art. 4. Note manuscrite de décembre 1978.
  • [11]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note manuscrite du 8 mai 1980
  • [12]
    CAC 19850422 art 1. Note officielle rédigée le 13 mai 1980 et envoyée au DDTMO de Versailles, avec copie au préfet.
  • [13]
    Dans le sillage d’Albert O. Hirschman, nous définirons le « privé » comme « ce que l’on reconnaît communément comme l’opposé de l’action dans l’intérêt public » (Hirschman 1983 : 20).
  • [14]
    Anonymat préservé.
  • [15]
    CAC 1985 0422, art. 4. Note manuscrite du 20 septembre 1979.
  • [16]
    Ibid. Note manuscrite du 19 septembre 1979.
  • [17]
    Ibid. Réponse officielle du 25 septembre 1979.
  • [18]
    CAC 1985 0422, art. 1. Lettre du 26 nov. 1979. Le président-directeur général intervient auprès du DPM à deux reprises, une fois en novembre 1979 et la deuxième en décembre 1979 : « Il me tient extrêmement à cœur de pouvoir être de quelque secours à cette jeune femme vivement éprouvée par le destin. »
  • [19]
    CAC 1985 0422 art.1. Mot manuscrit daté du 29 janvier 1980.
  • [20]
    Ibid. Mot manuscrit, daté du 13 février 1980.
  • [21]
    Ibid. Mot manuscrit, daté du 19 février 1980.
  • [22]
    Ibid. Mot manuscrit, daté du 21 février 1980.
  • [23]
    L. Stoléru écrit alors à l’attention de son directeur de cabinet : « Pas d’élément nouveau : refus confirmé. Évitez d’adresser à la DPM des notes sur des cas où j’ai personnellement refusé. » Jean-Daniel L. supérieur hiérarchique d’Agnès L. met fin à la tentative en annotant dans la marge : « il n’y a plus qu’à classer… ».
  • [24]
    CAC 1985 0422, art. 3. Mot manuscrit (août 1981). Dans la mesure où certains dossiers sont instruits sur plusieurs années, il a été choisi d’intégrer à l’analyse des courriers dont la date de classement final dépasse de peu mai 1981 et la durée limite de cette étude.
  • [25]
    CAC 1985 0422, art. 3.
  • [26]
    CAC 1985 0422, art. 4. Mot manuscrit daté du 3 mars 1981.
  • [27]
    Ou dans quelle mesure sans l’expression de ce for intérieur, l’action homogénéisatrice de l’institution serait « mortifère » (Chevallier 1995 : 252).
  • [28]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note manuscrite de Georges H. au DPM datée du février 1980 : « Monsieur le directeur sur un sujet comme l’aide au retour. Je pense en effet qu’il ne faut pas trop en dire. »
  • [29]
    Dans la mesure où cette situation de vide juridique n’est rectifiée qu’en 1982, cette peur transparaît du traitement de dossiers y compris dans l’après 1981.
  • [30]
    Qui comporte la mention « rejet implicite ».
  • [31]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note manuscrite datée de janvier 1980, (anonymat préservé).
  • [32]
    Pour un résumé des critiques qui peuvent être formulées à l’égard d’une telle théorie du « système culturel » élaboré par Clifford Geertz et plus généralement aux conséquences de l’épistémocentrisme scolastique, voir Bourdieu 1997 : 80-83.

1

« Nous avons créé l’aide au retour, c’est-à-dire un encouragement au départ volontaire. Je peux vous dire qu’en deux ans il est parti 70 000 personnes par l’aide au retour et que pour ces 70 000 dossiers il n’y a pas eu un seul dossier de réclamation de la part des ambassades ou des Amicales des intéressés disant qu’on leur avait forcé la main pour ce départ. »
Lionel Stoléru, 17 novembre 1979, discours devant le CDS[1]

2Dans le sillage de l’annonce officielle d’une « suspension de l’immigration » en 1974, le gouvernement français met en place à compter de 1976 un dispositif d’aide au retour des travailleurs étrangers. Ce dispositif – très vite baptisé par les journalistes et certains militants « le million de Stoléru » – propose une prime de 10 000 francs aux travailleurs étrangers volontaires pour quitter le territoire français et regagner le pays dont ils conservent la nationalité (Weil 1991 : 110 ; Schor 1996 : 275 ; Noiriel 2007 : 580).

3Cette mesure fortement médiatisée implique une clause de « non retour ». Les travailleurs étrangers qui quittent la France doivent rendre leurs titres de séjour et de travail et s’engager à ne jamais « revenir ». Cet engagement à un départ définitif n’est pas que moral. Les directions départementales du travail et les préfectures conservent la liste des bénéficiaires de l’aide au retour et peuvent refuser de délivrer de nouveaux titres à ces travailleurs étrangers revenus en France illégalement (Viet 1998 : 386 ; Hmed 1994).

4Officiellement, et comme l’illustre l’extrait de discours cité en exergue, aucun ou très peu de ces ressortissants étrangers auraient adressé une demande pour revenir en France après avoir touché cette prime. Officieusement, et comme en attestent les traces du travail administratif conservées dans la série 1985 0422 versée par le ministère des Affaires sociales à Fontainebleau, les demandes de retour en France adressées à la Direction de la population et des migrations (DPM) [2] sont dès 1977 au contraire relativement nombreuses [3]. Une fois « revenus au pays », certains bénéficiaires de l’aide du retour se disent, effectivement, floués et affirment ne pas avoir compris le caractère contraignant de ce dispositif [4]. D’autres mettent en avant un changement important dans leur situation (décès d’un conjoint, échec de leur projet d’entreprise…) ou tout simplement disent regretter la France (Laurens 2006 : 550-570).

5Ces dossiers conservés au Centre d’archives contemporaines présentent un triple intérêt pour le sociohistorien. Ils permettent bien sûr de vérifier une nouvelle fois et à partir de cas concrets l’existence d’un écart continu entre les discours politiques et la réalité des pratiques administratives en matière de politique migratoire (Lochak 1985). Ils permettent également à l’analyste de restituer, à partir d’archives officielles, le sens vécu par les acteurs migrants face à un dispositif dont il a déjà été montré par ailleurs à quel point il joue sur le sentiment d’exil et « l’illusion du retour » (Alimazighi 1993) et de prendre ainsi pour objet les interactions entre les individus et les agents de l’État autour de requêtes individuelles (dans la continuité de travaux antérieurs, Noiriel 1991 ou Fassin 2000).

6Mais ces dossiers présentent aussi un intérêt particulier en ce qu’ils conservent la trace des débats internes suscités par ces requêtes au sein même de l’administration, entre une série de hauts fonctionnaires et le pouvoir politique. Sous la forme de post-it, de petits mots échangés, ces cartons renferment, en effet, en abondance les traces des échanges formels mais aussi informels entre les agents de l’État, le secrétaire d’État, ses conseillers et une série d’acteurs extérieurs à l’État.

7Alors qu’il est ordinairement demandé à « tous les agents de l’administration centrale et des services extérieurs qui à un titre quelconque, produisent, classent ou utilisent des archives » (Ministère de l’Éducation nationale et de la Culture 1992 : 60) de retirer des cartons l’ensemble des « interventions parlementaires ou autres qui auraient trait aux cas individuels sans intérêt historique [sic] (demandes d’emploi, de secours, de renseignements, etc.) » (ibid.), ces dossiers semblent à l’inverse toujours contenir une partie de ces dialogues internes. Sans doute conservés initialement par les agents de la DPM pour permettre l’instruction sur le long terme de ces dossiers et pour se prémunir d’éventuelles attaques juridiques contre des décisions prises dans un contexte entaché d’illégalité [5], ces échanges griffonnés laissent le chercheur face aux traces d’une série de dilemmes et de choix pris collectivement vis-à-vis de dossiers jugés « sensibles » [6] tant politiquement, juridiquement que sur le plan « humain ». Ces fonds pourraient être exploités statistiquement pour mettre en exergue la régularité de routines administratives attestant la transmission d’un éthos administratif particulier (comme cela a déjà pu être fait pour les préfectures, par exemple Spire 2005). Mais nous retiendrons ici une autre méthode. Si l’on veut bien admettre que « l’exemplarité d’un fait social » peut être appréhendée « autrement qu’en termes rigoureusement statistiques » (Revel 1989 : 32), la singularité à la fois de la situation juridique dans laquelle se trouvent alors les agents de l’État et du caractère fourni de ces sources disponibles (gardant la trace d’interactions le plus souvent absentes des archives) peut être mise à profit et rendre possible une réduction de l’échelle d’analyse. Pour peu qu’on parvienne à se tenir à distance de la « restitution fascinée » (Farge 1989 : 87) liée à la manipulation de documents qui donnent le sentiment d’accéder à l’entre-soi des bureaux administratifs, le recours à une approche restituant le sens des échanges qui se nouent, au jour le jour, autour du travail administratif peut permettre de poser une série de questions de sociologie de l’administration des étrangers sous un angle complémentaire à ceux déjà existants et déjà traités à travers des sources plus classiques.

8Nous aborderons ici trois de ces questions. Nous soulignerons tout d’abord la contribution de ces sources à une analyse du pouvoir discrétionnaire et plus précisément à l’analyse du rapport des agents de l’État à ce pouvoir particulier. Puis nous soulignerons comment ces annotations personnelles permettent d’appréhender pas à pas le cheminement interne de certains dossiers et, ainsi, d’analyser les rapports existants entre la justification publique d’une décision bureaucratique et ses motivations internes. Enfin, nous utiliserons ces mêmes échanges informels pour décrire les formes que peut prendre le contrôle collectif de ces formes d’expression personnelles et la contribution de ces annotations officieuses à la perpétuation de la légitimité publique du travail administratif.

La possibilité d’aborder la question du rapport pratique à un pouvoir discrétionnaire

9L’analyse du pouvoir discrétionnaire des agents administratifs est désormais un objet canonique de la sociologie de l’État (Galligan 1986). Elle est également une clef d’entrée fréquemment exploitée pour aborder l’administration des étrangers tant il est vrai que le pouvoir d’appropriation et d’interprétation des agents administratifs en ce domaine est rendu particulièrement visible par le caractère historiquement arbitraire du droit des étrangers (Lochak 1985 : 217-220). Les travaux qui se sont ainsi risqués à pénétrer dans l’épaisseur des pratiques administratives à l’égard des étrangers, comme par exemple ceux d’Alexis Spire sur les agents de la préfecture de police (2007) ou de Henry Markel et Alexandra Minna Stern sur les agents d’Ellis Island [7], ont confirmé tout l’intérêt que pouvait représenter une étude au plus près des pratiques des agents afin d’analyser l’impact de ce pouvoir discrétionnaire sur l’action publique. Cette série de travaux a permis d’aller au-delà des approches qui – laissant dans la boîte noire du travail administratif la question des « passe-droit » – basculaient le plus souvent jusque-là dans le lexique de l’occulte et de l’indéfinissable dès qu’il s’agissait d’aborder ces enjeux [8].

10Ces sources archivistiques singulières permettent toutefois de poser la question de l’importance de ce pouvoir discrétionnaire pour des échelons hiérarchiques supérieurs aux street-level bureaucrats étudiés par Michael Lipsky (1980 : 13-20). Une analyse des mots griffonnés conservés dans ces fonds laisse entrevoir dans quelle mesure l’émergence d’un corpus de normes contradictoires (qui est une des conditions pour M. Lipsky à l’existence d’un pouvoir discrétionnaire) peut exister et prendre corps y compris au sein de ce que Catherine Grémion désigne comme un « milieu décisionnel central » (1982). Ces hauts fonctionnaires (chef de bureau, sous-directeur ou même directeurs en administration centrale) peuvent également se retrouver sous le feu d’injonctions contraires et doivent parfois faire face à des rappels à l’ordre en provenance des responsables politiques.

11Les traces de ces injonctions semblent dans le cas de ces versements d’autant plus abondantes que les décisions rendues par le Conseil d’État en 1978 placent alors le traitement administratif de l’aide au retour et de ses conséquences dans une situation délicate du point de vue du droit. L’aide au retour n’étant plus fondée juridiquement, il est, en effet, sur le fond illégal pour les agents de la DPM d’interdire un retour en France ou de réclamer les sommes allouées. Mais ces retours gênent le pouvoir politique, et notamment Lionel Stoléru qui ne peut se permettre de voir le retour en France de ces travailleurs immigrés instrumentalisé médiatiquement. Cette situation fait alors peser sur les agents de la DPM une importante responsabilité dans l’instruction de ces dossiers individuels en dehors de tout cadre juridique valable. Du point de vue du cabinet du secrétaire d’État aux Travailleurs immigrés, L. Stoléru, le flou et le silence de l’administration doivent alors être de mise sur les motivations juridiques des refus adressés aux requêtes des travailleurs étrangers souhaitant revenir en France et surtout, comme l’annote à la main ce dernier dans la marge d’une note, « la règle pratique (et non juridique) doit être le remboursement dans tous les cas » [9] des sommes touchées via l’aide au retour. Mais cette injonction du pouvoir politique laisse en définitive les agents de l’État face à des cas de conscience sur la manière de bien instruire des dossiers jugés délicats et que ces derniers qualifient spontanément d’« humanitaires » [10]. Dans le cas de certains dossiers, des tiraillements apparaissent d’autant plus que leur traitement (qui s’effectue une nouvelle fois en dehors de tout cadre juridique véritable) semble poser du point de vue des agents de l’État des problèmes moraux, voire cornéliens.

« Le fils doit-il payer pour le père ? » : le cas de Nasreddin A.
C’est notamment le cas lorsque vient l’heure, pour les agents du bureau « réinsertion » de la DPM, de traiter le dossier de Nasreddin A., jeune ressortissant tunisien, âgé de dix-neuf ans. Son père veuf a touché l’aide au retour pour lui (10 000 francs) et ses enfants (5 000 francs par enfant) en déclarant solennellement qu’il repartait en Tunisie avec eux. Mais après avoir remis ses titres de séjour et ceux de ses fils, il a abandonné ses enfants en France et est rentré seul en Tunisie avec l’argent. Le cadet, mineur, a été confié sur décision d’un juge pour enfant à un foyer d’accueil. L’aîné, devenu majeur pendant la procédure, se trouve alors dans une situation problématique du point de vue juridique. Il souhaite effectivement rester travailler en France mais, ayant bénéficié officiellement de l’aide au retour, il n’a pas le droit de se voir délivrer de nouveaux titres de séjour et de travail. Son cas est signalé à la DPM par le directeur de la Direction départementale du travail et de la main-d’œuvre (DDTMO) de Versailles. Le dossier remonte alors la hiérarchie jusqu’à être signalé par le sous-directeur Georges H. à L. Stoléru, le 15 février 1980. Dans le mot manuscrit qui accompagne le dossier, celui-ci encourage le secrétaire d’État à prendre en compte « les raisons humanitaires » et propose spontanément à celui-ci de procéder à un « examen bienveillant de la situation de Nasreddin A. ». Le secrétaire d’État donne son accord à ce que celui-ci se voit redonner une carte de travail à deux conditions (elles aussi annotées à la main sur le document original et non rédigées officiellement) :
« 1/ Accord sous réserve que soit restituée la partie de l’aide au retour qui lui est liée (+ frais de voyage)
2/ Lettre à l’ambassade de Tunisie pour demander les sanctions contre le père en Tunisie. »
Or ces consignes du responsable politique laissent le soin aux services de la DPM de trancher sur le fond du dossier. Il n’est pas précisé par le secrétaire d’État qui du fils ou du père doit rendre l’argent. Consciente que ce choix change en quelque sorte la « morale » de l’histoire, la responsable du bureau réinsertion explique son dilemme à son supérieur, qui à son tour transmet tel quel ce mot manuscrit au directeur :
« M. [le sous-directeur]
M. Stoléru avait indiqué qu’il fallait alerter l’ambassade de Tunisie sur cette situation pour qu’elle prenne des sanctions contre le père, et avait précisé qu’il autorisait la restitution des titres contre le remboursement des sommes indûment perçues. Comme il vaut mieux tenir que courir, il me semble qu’il est préférable de demander le remboursement de l’aide au jeune Nassredinne A. qui est semble-t-il prêt à le faire. Ce n’est toutefois peut-être pas très moral [souligné en rouge dans la note manuscrite] ? Doit-on réellement alerter l’ambassade (celle de France en Tunisie ou celle de Tunisie en France ?) et dans l’affirmative quel type de sanction réclamer à partir du moment où l’aide au retour indûment perçue sera déjà remboursée et que l’aide au retour n’existant pas juridiquement on ne peut pas, je pense, poursuivre l’intéressé pour escroquerie [11]. »
Le directeur de la DPM tranche en dernier recours et laisse au fils le soin de régler l’argent touché par le père. Dans le courrier adressé en réponse au DDTMO [12], il n’est bien sûr plus du tout question de problème « moral ». L’ambassade de Tunisie n’est pas prévenue et le fait que l’argent soit rendu par le fils (ainsi que les frais d’un voyage qu’il n’a pas fait) se justifie tout à fait juridiquement a posteriori :
« Mon attention a été tout particulièrement appelée sur la demande d’autorisation de travail présentée par M. Nasreddine A. […] J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai décidé à titre tout à fait exceptionnel de faire bénéficier l’intéressé d’une dérogation à la circulaire n° 9-77 du 27 juillet 1977, dans la mesure où il n’y a pas d’opposition des services préfectoraux en ce qui concerne le séjour. Vous voudrez bien en conséquence, inviter M. Nasreddine A. à déposer une demande d’admission au travail, à laquelle il conviendra de réserver une suite favorable, dès que l’intéressé aura remboursé la partie de l’aide au retour qui lui est attachée (soit 5 000 francs + les frais de voyage). »

12Là où les sources classiques permettent d’appréhender généralement la question de la contribution du pouvoir discrétionnaire au processus décisionnel, ces mots griffonnés et les traces de ces dialogues internes permettent de poser la question complémentaire du rapport que les agents administratifs entretiennent avec ce pouvoir particulier. L’analyse de ces dossiers d’instruction et l’attention portée à ces échanges informels permettent notamment de se situer à un niveau d’analyse où l’on peut percevoir les écarts et ajustements permanents qui peuvent exister entre ce que Jacques Lagroye appelle la culture institutionnelle (2006), les rôles prescrits et les dispositions des acteurs qui peuplent ces institutions.

13Le pouvoir discrétionnaire dont disposent ces agents n’apparaît pas alors seulement sous l’angle de son impact éventuel sur le produit fini de l’action publique (sur les « outputs »). Il devient possible de s’interroger à partir de telles sources sur le rapport que ces acteurs entretiennent avec leur propre rôle. Les traces manuscrites de ces interactions passées révèlent a posteriori dans quelle mesure les agents administratifs ne sont pas transparents et insensibles à leur propre pouvoir et y investissent tout un ensemble de considérations éthiques et morales faisant tout autant appel à leur être « privé » [13] que public. Si la décision administrative, comme l’illustre le cas ci-dessus, se présente toujours après-coup sous les dehors lisses d’une décision prise dans la continuité des règlements juridiques (ici la circulaire 9-77), une analyse qui intègre ces échanges informels permet de montrer dans quelle mesure sa gestation et son cheminement semblent plus complexes et surtout laissent les agents face à leurs propres décisions.

La possibilité d’analyser a posteriori l’écart entre la justification publique de la décision administrative et son cheminement interne

14Comme le laisse entrevoir l’étude de ces mots griffonnés, des considérations morales ou « privées » mises en avant par les agents d’administration centrale peuvent entrer en jeu dans la mesure où l’expression d’un « for intérieur » (Chevallier 1995) n’est pas totalement disqualifiée dans les interactions qui se nouent autour de l’instruction des dossiers. Si historiquement la légitimité bureaucratique s’est construite par la relégation dans un espace « privé » des émotions et des opinions personnelles, faire de l’idéal légal-rationnel, promu par l’institution, la réalité totale des interactions à l’intérieur de l’État serait faire fi d’une réalité quotidienne où des espaces d’expression subsistent. La légitimation par le droit des mesures prises peut sous cet angle être envisagée comme une des modalités de justification du travail administratif effectué par ces agents publics (Dodier 1991). Loin d’être placés dans une institution totale, prescrivant une façon d’être et de penser dans chaque interaction, ces derniers disposent de suffisamment de marge de manœuvre pour que puissent être exprimées des remarques personnelles dans le cadre de ces échanges semi-privés. Dans le cas précis exposé ci-dessus, les considérations éthiques n’ont pas influé de façon définitive sur une décision qui semble surtout guidée par une économie des moyens. Mais cela n’est sans doute pas contradictoire avec l’idée défendue ici que la dimension privée de la décision administrative et ce rapport aux fonctions méritent d’être pris en compte. Notamment si l’on considère qu’en amont de la décision c’est un adage populaire (« mieux vaut tenir que courir ») qui semble être le support préalable à l’instruction, la transcription juridique de ce « bon sens » ne semble venir que dans un second temps du processus d’évaluation. Appréhender ce cheminement du dossier à partir des traces informelles du travail administratif permet de distinguer ce qui serait de l’ordre de la justification publique de la décision (ici la continuité juridique) avec la réalité des fondements de la décision tels qu’ils sont apparus au sein des couloirs des ministères. Pour étayer ce dernier point, il est possible de considérer un exemple inverse, le cas d’un dossier où des considérations morales justifient une dérogation sur le plan public mais où les logiques internes qui ont présidé à la décision semblent moins avouables.

« Mieux vaut éviter une grève… » : le cas du couple Callasca
Le couple Callasca [14], ressortissants portugais, s’était vu promettre par les Assedic (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) de Paris qu’il pourrait cumuler, une fois revenu au Portugal, l’aide au retour et préretraites. Les Callasca, alors réinstallés dans leur pays se rendant compte qu’ils ne peuvent bénéficier d’aucune aide, souhaitent revenir en France et récupérer leurs titres de séjour et de travail. Dans le rapport de force qu’ils engagent auprès des pouvoirs publics, ce couple enrôle tous les soutiens possibles. Leur situation délicate suscite en premier lieu un courrier d’un conseiller technique de l’ambassade du Portugal, puis celui d’une association de soutien pour les travailleurs immigrés. Très rapidement, le dossier sort du lot, s’épaissit et est finalement transmis aux conseillers techniques du secrétariat d’État. Dans la note qu’il transmet au cabinet de L. Stoléru, Jean-Daniel L. (sous-directeur à la DPM) ne peut qu’ajouter à la main – sur un papier à part à l’intention de ses destinataires – que « cette affaire a fait l’objet de nombreuses interventions auprès de [ses] services [15] ». L’affaire menace de prendre de l’importance quand un coup de téléphone accélère la résolution du dossier. Dans un mot griffonné à l’intention de son supérieur Georges H. [16], Agnès L., chef de bureau, alerte ce dernier sur la nécessité de traiter au plus vite ce dossier car l’ancien patron du couple a directement téléphoné au cabinet de L. Stoléru : « Urgent, M. [le directeur de cabinet de L. Stoléru] a téléphoné en mon absence pour s’inquiéter de ce dossier. Il semblerait que [l’ancien employeur de M. Callasca] craigne des mouvements de son personnel en faveur de M. Callasca. » Cinq jours plus tard, et alors que le dossier traîne depuis six mois, le couple Callasca obtient gain de cause et se voit restituer ses titres de séjour et de travail au motif que leur « situation est naturellement préjudiciable » [17].

15Comme l’illustre ce dernier exemple, ce qui apparaît « naturellement préjudiciable » au requérant et fondé en droit a posteriori, ne l’est pas toujours pour chaque dossier et à chaque étape d’un processus d’évaluation politico-administratif. Et, si dans ce cas précis, justice semble être rendue à ce couple de travailleurs portugais après restitution des titres, il est évident que les considérations humanistes sont d’autant plus promptes à être activées que le dossier est soutenu à la fois par une ambassade et par un employeur qui craint un mouvement social imminent.

16Comme en témoignent les deux exemples déjà cités, jouer ainsi sur l’échelle d’analyse permet d’aborder les fondements non avouables de la décision, les problèmes moraux soulevés par celle-ci, voire d’appréhender à quel point, pour reprendre les mots d’Abdelmalek Sayad (1999 : 7), une décision administrative engage en matière d’immigration « l’ensemble d’un être social ». Cette attention prêtée aux annotations manuscrites en marge des documents estampillés permet de restituer les modalités d’une confrontation entre des dispositions sociales et des intérêts parfois contradictoires portés par des agents au sein même des services. Ces dissensions ne sont jamais autant visibles que lorsqu’un dossier défendu pour des raisons humanitaires par un agent administratif souhaite être enterré par le ministre. L’impossibilité de légitimer juridiquement la décision politique offre alors à l’agent administratif un paravent efficace pour s’opposer à ses supérieurs.

Dissensions autour d’une « décision couperet » : le cas de Maria Frambasio
Maria Frambasio est une ressortissante portugaise qui a accepté avec son mari l’aide au retour, puis qui envoie depuis le Portugal de multiples demandes à l’administration pour que celle-ci accepte de lui délivrer une nouvelle autorisation de séjour.
Son mari est décédé quelques semaines après son retour au pays. Veuve avec deux enfants depuis le mois de septembre 1979, elle souhaite revenir en France et va jusqu’à proposer de rembourser les sommes touchées par le couple (y compris l’aide au retour reçue par son mari décédé). La plupart de sa famille est restée en région parisienne. Celle-ci œuvre notamment pour qu’elle revienne et l’aide à étoffer son dossier. Elle parvient notamment à obtenir le soutien et une promesse d’embauche de M. B., directeur des assurances GMF (Garantie mutuelle des fonctionnaires) qui écrit sans détour au directeur de cabinet du ministre du Travail [18]. Le courrier redescend directement du cabinet du ministre jusqu’au bureau de la DPM concerné. Dans la mesure où le dossier est appuyé par une personnalité, ce dernier est transmis à la hiérarchie. Dans un mot manuscrit qui accompagne le dossier confié au DPM [19], le sous-directeur Georges H. demande à son supérieur d’intercéder positivement : « Les problèmes causés par l’aide au retour sont soulevés quotidiennement. Au cas particulier, il s’agit d’une situation lamentable et j’ai conseillé à Mme Agnès L. [chef de bureau] de saisir M. Stoléru. Je ne pense pas que nous puissions prendre sur nous. Merci de répondre autrement que par la négative. »
Mais malgré l’appui du DPM, le cabinet refuse cette fois-ci de passer outre et d’accorder une dérogation. Un commentaire manuscrit d’un conseiller technique du cabinet de L. Stoléru précise à l’intention des agents de la DPM qu’il « convient de rester ferme et d’opposer un refus à la demande du requérant [20] ».
Face à cette décision, les agents de la DPM ne semblent pas toujours comprendre pourquoi, dans ce cas précis soutenu par des tiers, le dossier n’aboutit pas pour des raisons humanitaires (alors que des dossiers équivalents ont pu aboutir). Agnès L. responsable de la mission retour et réinsertion transmet le dossier à son sous-directeur, en annotant sur un feuillet à part : « Ce refus tombe comme un couperet et la réponse paraît bien sèche notamment par rapport à l’intervention très circonstanciée de M. B. Néanmoins dans la mesure où aucun motif juridique ne peut motiver une telle décision je ne vois pas comment envelopper le rejet [21]. »
Une lettre de refus est alors préparée, prête à être adressée à la famille de l’intéressée et aux personnes qui ont intercédé en sa faveur. Celle-ci reste très vague quant aux motivations d’une telle décision. Transmise au cabinet pour signature, Agnès L. se permet d’ajouter à la main : « Conformément aux instructions du cabinet de M. Stoléru les requêtes de ce type sont systématiquement rejetées par mes services. Néanmoins, depuis l’annulation du dispositif d’aide au retour par le Conseil d’État en novembre 1978, et en l’absence de dispositions légales entraînant interdiction de retour en France des bénéficiaires de l’aide au retour, il est impossible d’indiquer les motifs du refus [22]. » Dans ce cas précis, la décision semble gêner l’agent de la DPM tout autant pour des considérations juridiques (« absence de dispositions légales ») qu’éthiques (« cette décision semble bien sèche »). Quelques semaines plus tard une nouvelle demande pour la même ressortissante se représente directement au cabinet de L. Stoléru, cette fois appuyée par le député Alain Madelin. Le directeur de cabinet du secrétaire d’État n’étant pas au courant du premier refus adresse le dossier à Agnès L. qui, consciente que le dossier a déjà été rejeté, l’instruit pourtant à nouveau et le représente au cabinet du secrétaire d’État, avant d’essuyer un refus très sec [23].

17Ces sources permettent d’appréhender ces moments qui témoignent de ce que les agents de l’État ne sont pas « une cire molle dans laquelle s’inscrirait identiquement l’empreinte de l’institution » (Chevallier 1995 : 254). Le travail administratif est aussi le cadre dans lequel peut s’exprimer, dans certaines limites, un « principe de résistance à l’action homogénéatrice » (ibid.) qui vient ici perturber un secrétaire d’État qui espérait sans doute une application conforme des ordres. Cette marge de liberté qui apparaît ici visiblement dans des interactions où subsiste un vide juridique ne peut être analysée uniquement dans les termes normatifs d’un « manque ». Elle n’est pas « que » le résultat d’un écueil de l’institution. En effet, ces moments où ces agents peuvent déroger ou désobéir en connaissance de cause sont dans le même temps sans doute les moments nécessaires au fonctionnement routinisé d’un dispositif administratif qui, le plus souvent, incite à une application complète de consignes strictes et sans appel. Pierre Bourdieu évoque à quel point le sociologue ne « peut pas rester aveugle pour autant aux effets de cette norme qui demande aux agents de sacrifier leurs intérêts privés aux obligations inscrites dans leur fonction (“l’agent se doit tout entier à sa fonction”) ou, de manière plus réaliste, aux effets de l’intérêt au désintéressement et de toutes les formes de “pieuse hypocrisie” que la logique paradoxale du champ bureaucratique peut favoriser » (1994 : 132). Mais il est nécessaire d’ajouter ici que ces moments où le fonctionnaire passe outre ne se limitent pas uniquement aux situations où peut être tiré un profit matériel ou carriériste direct peut être tiré du détournement de la règle. Alors que sur d’autres terrains de recherche, ce dernier souligne l’importance des gratifications symboliques dans le maintien de l’« illusio », lorsqu’il est question des fonctionnaires, celui-ci détaille peu la « marge objective de liberté » (Bourdieu 1990 : 88) dont ceux-ci disposent. Il semble limiter le plus souvent la suspension de l’idéal rationnel aux cas « d’utilisation privative du service public (détournement de biens ou de services publics, corruption, ou trafic d’influence, etc.) ou, de manière plus perverse, [aux] “passe-droits”, tolérances administratives, dérogations, trafics de fonction » (Bourdieu 1994 : 62).

18Or dans le cas précis qui vient d’être évoqué, aucun gain direct matériel, autre que symbolique – voire éthique – ne peut venir expliquer une désobéissance feutrée. Ces agents administratifs ont à composer avec une contrainte intériorisée qui a trait à un rapport au public, aux valeurs, à la justice. Et si ces considérations peuvent parfois recouper des préoccupations plus carriéristes ou moins idéalistes, elles font sans nul doute partie intégrante du quotidien d’acteurs qui, loin de se vivre comme cyniques, peuvent investir une véritable dimension morale dans leur action.

19Bien sûr, en voulant réhabiliter ainsi la dimension privée du travail administratif il convient sans doute de ne pas tordre totalement le bâton dans l’autre sens. Notamment parce que ces mêmes sources laissent entrevoir dans quelle mesure ce type d’arguments fait l’objet d’une forme de contrôle collectif et ne peut être le fondement d’une décision qu’à partir du moment où il existe une convergence de vue entre plusieurs agents sur le caractère « moral » ou « immoral » d’une situation. Dans la mesure où ce registre humanitaire peut potentiellement se trouver à l’intersection avec des formes de mobilisation en provenance du champ militant (Siméant 1998 : 141-146), son expression au sein des services reste bien sûr potentiellement l’objet de rappels à l’ordre. Différents contre-exemples pourraient ainsi être trouvés où les présupposés moraux avancés par un agent ne trouvent pas gain de cause auprès des supérieurs hiérarchiques ou, mieux encore, de cas où d’éventuelles expressions personnelles sont neutralisées en amont.

Des expressions « personnelles » contrôlées mais qui ne sont pas sans effet sur la légitimité des décisions prises par l’institution

20Si ces mots manuscrits témoignent du fait que les préoccupations morales peuvent être avancées pour justifier un avis ou une petite désobéissance, d’autres annotations témoignent du fait que ces considérations semi-privées ne peuvent influencer véritablement une décision administrative que si elles revêtent l’acception d’autres agents placés eux aussi en position de décider. Si l’on s’exerce ainsi à reconnaître l’écriture des supérieurs hiérarchiques, il apparaît, en effet, comment ces derniers anticipent souvent d’éventuels écarts à la règle. C’est notamment le cas pour ce dossier d’un ouvrier tunisien qui précise dans sa lettre qu’il a « lutté en tant que soldat militaire extrême orient andochine » et qui reproduit son numéro de matricule, et où le sous-directeur Jean-Daniel L. clôt tout débat en annotant dans la marge « ne pas répondre bien que l’intéressé soit un ancien combattant » – prévenant ainsi tout passe-droit éventuel de ses subalternes.

21L’agent animé d’un souci moral se doit alors toujours de se justifier de son cas de conscience et de sa position sur un double plan. Dans ces échanges informels, celui-ci doit légitimer son écart à la norme bureaucratique, à la fois sur le plan des valeurs humanistes (qu’il faudrait prendre en compte pour tel dossier hautement particulier), mais aussi sur le plan de son respect continu des ordres et de sa loyauté au collectif malgré le fait qu’il s’apprête à avoir un comportement dissonant au regard de ses collègues.

22Ainsi lorsque Agnès L. prend sur elle de répondre personnellement par téléphone à un ressortissant algérien de l’avancement de son dossier, elle en réfère à sa hiérarchie en légitimant son écart de conduite à la fois par des préoccupations morales mais aussi par l’attitude « convenable » que l’administration (c’est-à-dire, ici, elle et ses collègues) devrait adopter en la matière : « J’ai reçu hier un coup de téléphone […]. Bien que tu m’aies dit qu’il ne convenait pas de répondre aux demandes de dérogation, j’ai préparé un projet de réponse car il ne me paraît pas “convenable” de laisser les gens espérer [24]. »

23Allant contre les instructions écrites de ces supérieurs qui lui avaient demandé de « ne pas répondre » [25], cet agent légitime ainsi son action en fonction de ce que devrait être un travail administratif juste et non simplement conforme à la légalité des règlements. Elle doit justifier sa désobéissance à la fois par rapport à une hiérarchie, un corps qui fait corps face à l’extérieur, et dans le même mouvement défendre des valeurs humanistes qui ne peuvent relever que du cas particulier (ici l’immigré dont il est question est hospitalisé). Ces formes de justification informelles et à usage interne restent nécessaires si l’agent ne souhaite pas être suspecté de sensiblerie ou d’insubordination.

24Ces traces informelles permettent de mesurer également à quel point ces formes de contrôle collectif ne portent pas seulement sur des comportements individuels, mais aussi sur l’attitude collective qu’il serait juste d’adopter par les services. Lorsque, par exemple, le travailleur immigré commet une infraction et le signale malgré lui à l’administration, la question se pose alors pour les agents du bureau de se taire ou de reporter le cas aux autorités compétentes. L’administration qui se comporterait de façon convenable est-elle celle qui dénoncerait ou qui fermerait les yeux ? Ce type de dilemme se présente dans le cas de ce menuisier yougoslave, Mihailo M., qui « adresse une prière » aux services de la DPM afin d’obtenir la restitution de son titre de travail. Revenu de manière clandestine en France, alors qu’il est malade, il explique dans sa lettre qu’il travaille en région parisienne « au noir depuis 15 mois ». Transmettant le dossier à son supérieur, Agnès L. annote à l’intention de celui-ci : « L’intéressé nous indique naïvement dans sa lettre qu’il travaille au “noir” en France. Doit-on saisir la mission interministérielle de répression contre les trafics de main-d’œuvre ? [26] ». Son supérieur hiérarchique prend alors sur lui de ne pas transmettre le dossier et fait en sorte que le service occulte collectivement cet aveu « naïf ».

25Ces annotations permettent alors de se donner pour objet des interactions et des ajustements continus dont l’enjeu semble être la définition collective de ce que devrait être un travail administratif conforme à une série de normes infra-juridiques. Elles peuvent être appréhendées comme une gratification annexe, complémentaire mais nécessaire à la pérennité du travail administratif. Ces mots griffonnés qui accompagnent les notes officielles et techniques peuvent être saisies comme les traces d’écarts nécessaires au maintien de l’« illusio » (l’agent ne pouvant se penser comme un être insensible), comme des dissidences minimes nécessaires à la survie de l’institution elle-même [27]. L’analyse de ces échanges informels permet alors aussi de comprendre dans quelle mesure l’expression d’une part d’intimité, au travers de la défense de valeurs humanistes ou d’un travail administratif convenable, sert dans une certaine mesure, comme par une ruse de la raison, les intérêts de l’institution.

26Les traces de ces injonctions répétées au silence et à la discrétion témoignent, par exemple, de la contribution de ces échanges informels à la défense de l’institution. Souvent les notes comportent, en effet, la mention « m’en parler », une mention apposée à la main par le chef de bureau ou le sous-directeur à l’attention d’un collaborateur. Considérant que « sur un sujet comme l’aide au retour […] il ne faut pas trop en dire » [28], le travail administratif réalisé par les agents de la DPM s’effectue sous la peur permanente d’être pris en défaut juridiquement, mais surtout publiquement, par des requérants ou leurs soutiens. Sans doute le vide juridique dans lequel s’instruisent ces dossiers explique-t-il que cette crainte des agents de la DPM de voir leurs pratiques dévoilées soit aussi visible. Le minimum de documents écrits est produit. Le roi est nu, l’administration prend des décisions qui ne reposent sur rien de concret et, de peur que, par le biais d’un tract ou d’un article de presse, cela n’apparaisse au grand jour, le plus souvent, les dossiers comportent la mention « rejet implicite » signifiant qu’aucune réponse n’a été émise par l’administration. Cette préoccupation constante transparaît par exemple dans le traitement du dossier de Ogaz A., ouvrier de nationalité turque qui cherche à retourner en France avec toute sa famille [29]. Celui-ci, suite à ses courriers, n’obtient pas de réponse de la DPM. Il en a parlé à un avocat qu’il a croisé lors d’une affaire de droit commun. Ce dernier s’enquiert alors de l’avancement du dossier auprès de l’administration. Alors qu’Agnès L. s’apprête à envoyer une lettre rejetant implicitement la demande, celle-ci s’inquiète toutefois des retombées éventuelles auprès de son supérieur hiérarchique. Si l’avocat se saisit du vide juridique que pourrait-il advenir de ce dossier s’il se trouve enrôlé dans une mobilisation politique ? Elle annote à l’attention de son sous-directeur : « N’est-il pas un peu “dangereux” de répondre de cette façon à un avocat, alors que l’on s’interroge sur la légalité du remboursement ? » Celui-ci partageant l’inquiétude de sa collaboratrice annote à son tour qu’il est sans doute plus prudent de ne pas répondre du tout. Aucune lettre n’est jamais envoyée, et aucune suite n’est jamais donnée au dossier [30].

27Cette inquiétude, quant au dévoilement public des conditions dans lesquelles s’effectue le travail administratif, est parfois congruente avec les considérations humanitaires et morales déjà décrites. Ces deux dimensions ne sont ainsi en rien antagonistes comme l’illustre le cas de cet autre ressortissant espagnol, lui aussi dans une situation personnelle délicate et qui bénéficie du soutien d’un sénateur. Lorsque le sous-directeur Georges H. transmet le dossier au cabinet pour des motifs « humanitaires », celui-ci met en garde le secrétaire d’État : « Une solution entièrement négative ne manquerait-t-elle pas de créer une forte émotion locale compte tenu de la solidarité qui s’est créée en faveur de Monsieur Mozina ? [31] ».

28Ces agents se font en permanence les gardiens prévenants des réactions éventuelles du public, de la population. De ce point de vue, les agents administratifs intègrent des préoccupations qui dépassent sans doute la seule politique de main-d’œuvre qui devrait être le point de vue institutionnel des agents du ministère du Travail. De peur que les décisions administratives soient publiquement prises à partie et critiquées, ceux-ci tentent notamment en permanence de modérer le secrétaire d’État. En ce sens, la prise en compte de considérations humanistes ou morales n’est pas qu’une gratification morale qui servirait les intérêts symboliques de l’agent. Elle s’explique aussi plus largement par la nécessité pour les agents de l’État d’être en mesure de justifier publiquement des décisions prises dans l’entre-soi des ministères et ce, dans l’éventualité où celles-ci viendraient à être discutées publiquement.

29Cet élément a son importance car il permet de dépasser les thèses fondées sur une extériorité ou une opposition entre sphère privée et sphère publique. Cette possibilité d’exprimer des préoccupations éthiques permet aux agents de continuer à évoluer dans l’institution. Mais – c’est là une hypothèse qu’il faudrait approfondir à partir de sources complémentaires – ces expressions personnelles contribuent aussi, sans doute dans le même mouvement, à la légitimation du travail administratif produit par l’institution en favorisant l’intégration dans celui-ci d’une anticipation de la réception par le public de certaines décisions.

Une modulation d’échelle qui laisse entrevoir la possibilité d’un décloisonnement de l’analyse du travail administratif

30Ces sources rendent possible une modulation de l’échelle d’analyse et par là permettent de toucher du doigt plus précisément dans quelle mesure une approche juridiciste, qui limiterait le travail historique aux seuls textes officiels, occulterait également toutes les loyautés autres que réglementaires auxquelles peuvent parfois se conformer les agents. Réduire toute l’activité des agents de l’État à la conformation aux règlements reviendrait à faire tendanciellement de ce dernier un isolat culturel sur un double plan : en présupposant à la fois l’ajustement constant des agents à un idéal légal-rationnel et l’ajustement des intérêts des institutions étatiques à ce même idéal wébérien.

31La manipulation de sources administratives informelles permet ici de se situer au ras des individus et de montrer comment, en matière d’immigration, cette nécessité de légitimer les décisions peut passer, comme dans ces cas extrêmes, par la prise en compte de valeurs morales dans la mesure où une émotion locale pourrait venir perturber un travail administratif qui a bien sûr pour horizon non seulement la légalité, l’ordre public, mais aussi les conséquences publiques (et pas seulement les préoccupations politiques du secrétaire d’État).

32Se donner pour objet ces annotations et ces échanges manuscrits permet de ne pas penser l’État en soi comme le producteur et le promoteur d’un « système culturel » [32] qui écarterait tout ce que cette production doit à une position de domination vis-à-vis du reste de la société. Ces sources permettent de mettre au jour tout ce qui est propre au fait même que des agents sont en position de dominer, en position de dire l’autre – une position qui peut parfois soulever des cas de conscience et dont les attendus subjectifs ne sont pas vécus uniquement sous l’angle d’une désobéissance à la règle. Sans cela, il serait laissé dans l’ombre comment être en position de décider implique parfois la nécessité de justifier son action au regard des autres, et tout autant de considérations morales qui sont intériorisées par les agents eux-mêmes et enrôlées dans un travail administratif qui est loin de laisser inchangés ceux-là mêmes qui ont parfois à décider à distance du sort des personnes.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Souligné par nous.
  • [2]
    Créée en 1966 au sein du ministère des Affaires sociales, la Direction de la population et des migrations est le produit de la fusion de plusieurs instances administratives : des services issus de la Direction de l’emploi, du ministère de la Santé et des structures administratives en charge des migrants algériens (Laurens 2006).
  • [3]
    Il est difficile de tenir un compte du nombre de travailleurs qui ont cherché à revenir en France après avoir disposé de l’aide au retour. Toutefois, à partir des archives disponibles il est possible d’évaluer que plus de 15 % d’entre eux ont formulé une demande auprès des services de la DPM pour récupérer leur titre de travail. Un chiffre auquel il faudrait éventuellement ajouter ceux qui seraient revenus en France illégalement. D’ailleurs certaines demandes de dérogation sont formulées depuis la France. Les fonds conservés à Fontainebleau conservent la trace de près de 2 200 dossiers d’instruction.
  • [4]
    La lettre courroucée adressée depuis Ouagadougou par ce ressortissant de la Haute-Volta est sans doute un modèle du genre. Celui-ci n’a pas pu toucher l’aide au retour car, n’ayant pas compris les courriers de l’administration, il ne s’est pas rendu à une convocation à la Direction départementale du travail et de l’emploi et a regagné directement son pays d’origine : « J’ai lu avec une immense tristesse et sans intérêt votre suite de phrases qui m’est tombée entre les mains, non pas que votre fabuleuse somme de 10 000 nouveaux francs m’ait filé entre les doigts car je n’y croyais pas durement à cet attrape-nigaud […] mais que vos textes manquent de clarté c’est vous dire manquent entièrement de concision […] vos expressions blindées de double sens neutralisent la pensée et retardent quand elles ne l’empêchent pas l’action. […] Contre un tel système pieuvre monstre institué que faire donc sinon que se résigner ? […] Quel tour de prestidigitation ne faut il pas faire pour gagner vos 10 000 francs, c’est plus compliqué que le tiercé-sauvage, en fait c’est le tiercé des immigrés en quelque sorte. Je dois reconnaître que c’est le pire de toutes les ségrégations. Oui le monde entier sait obstinément ce qu’est devenu mon fric. » Centre d’archives contemporaines (par la suite CAC) 1985 0422, art. 4. Lettre datée du 11 janvier 1980.
  • [5]
    Les quatre arrêts rendus les 7 juillet et 24 novembre 1978 par le Conseil d’État annulent plusieurs dispositions prises par circulaires sur l’aide au retour, voir Weil 1991 : 328.
  • [6]
    Pour une synthèse récente sur la manipulation d’archives d’État jugées « sensibles », voir Laurent 2003.
  • [7]
    Les responsables des services de santé publique à Ellis Island au début du siècle s’investissaient d’un rôle de gate-keeper, mobilisant des arguments sanitaires pour effectuer un tri « ethnique » des entrées, alors même qu’aucune consigne explicite ne leur avait été donnée (Markel et Minna Stern 1999).
  • [8]
    Dans son travail sur les années 1930, Jean-Charles Bonnet évoque notamment les « pressions individuelles » qui échapperaient à l’historien : « Par définition, la plupart des interventions de ce type furent occultes et, par là, elles échappent à l’historien » (1976 : 61).
  • [9]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note du conseiller Thierry P. à Lionel Stoléru datée du 2 juin 1980.
  • [10]
    Aucune trace officielle ne subsiste de ce flou dans les archives de la DPM. Seules demeurent des traces officieuses comme ce mot griffonné par Agnès L., chef de bureau, à l’attention du DPM en décembre 1978, alors que celle-ci justifie une fois de plus un refus à l’intention d’un travailleur étranger souhaitant revenir en France : « Monsieur le directeur, c’est monsieur S. [conseiller technique de L. Stoléru] qui m’a demandé de rédiger une réponse en ce sens et de la soumettre à votre signature. On peut néanmoins s’interroger sur son opportunité compte tenu de la situation de “vide juridique” dans laquelle nous nous trouvons actuellement. » CAC 1985 0422, art. 4. Note manuscrite de décembre 1978.
  • [11]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note manuscrite du 8 mai 1980
  • [12]
    CAC 19850422 art 1. Note officielle rédigée le 13 mai 1980 et envoyée au DDTMO de Versailles, avec copie au préfet.
  • [13]
    Dans le sillage d’Albert O. Hirschman, nous définirons le « privé » comme « ce que l’on reconnaît communément comme l’opposé de l’action dans l’intérêt public » (Hirschman 1983 : 20).
  • [14]
    Anonymat préservé.
  • [15]
    CAC 1985 0422, art. 4. Note manuscrite du 20 septembre 1979.
  • [16]
    Ibid. Note manuscrite du 19 septembre 1979.
  • [17]
    Ibid. Réponse officielle du 25 septembre 1979.
  • [18]
    CAC 1985 0422, art. 1. Lettre du 26 nov. 1979. Le président-directeur général intervient auprès du DPM à deux reprises, une fois en novembre 1979 et la deuxième en décembre 1979 : « Il me tient extrêmement à cœur de pouvoir être de quelque secours à cette jeune femme vivement éprouvée par le destin. »
  • [19]
    CAC 1985 0422 art.1. Mot manuscrit daté du 29 janvier 1980.
  • [20]
    Ibid. Mot manuscrit, daté du 13 février 1980.
  • [21]
    Ibid. Mot manuscrit, daté du 19 février 1980.
  • [22]
    Ibid. Mot manuscrit, daté du 21 février 1980.
  • [23]
    L. Stoléru écrit alors à l’attention de son directeur de cabinet : « Pas d’élément nouveau : refus confirmé. Évitez d’adresser à la DPM des notes sur des cas où j’ai personnellement refusé. » Jean-Daniel L. supérieur hiérarchique d’Agnès L. met fin à la tentative en annotant dans la marge : « il n’y a plus qu’à classer… ».
  • [24]
    CAC 1985 0422, art. 3. Mot manuscrit (août 1981). Dans la mesure où certains dossiers sont instruits sur plusieurs années, il a été choisi d’intégrer à l’analyse des courriers dont la date de classement final dépasse de peu mai 1981 et la durée limite de cette étude.
  • [25]
    CAC 1985 0422, art. 3.
  • [26]
    CAC 1985 0422, art. 4. Mot manuscrit daté du 3 mars 1981.
  • [27]
    Ou dans quelle mesure sans l’expression de ce for intérieur, l’action homogénéisatrice de l’institution serait « mortifère » (Chevallier 1995 : 252).
  • [28]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note manuscrite de Georges H. au DPM datée du février 1980 : « Monsieur le directeur sur un sujet comme l’aide au retour. Je pense en effet qu’il ne faut pas trop en dire. »
  • [29]
    Dans la mesure où cette situation de vide juridique n’est rectifiée qu’en 1982, cette peur transparaît du traitement de dossiers y compris dans l’après 1981.
  • [30]
    Qui comporte la mention « rejet implicite ».
  • [31]
    CAC 1985 0422, art. 1. Note manuscrite datée de janvier 1980, (anonymat préservé).
  • [32]
    Pour un résumé des critiques qui peuvent être formulées à l’égard d’une telle théorie du « système culturel » élaboré par Clifford Geertz et plus généralement aux conséquences de l’épistémocentrisme scolastique, voir Bourdieu 1997 : 80-83.
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