Genèses 2006/4 no 65

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Article de revue

De l'expertise scientifique à l'intelligence épidémiologique : l'activité de veille sanitaire

Pages 71 à 91

Notes

  • [1]
    Y compris celle des sciences sociales elles-mêmes : Zimmermann 2004 ; Bezès et al. 2005.
  • [2]
    L’enquête est menée en collaboration avec Frédéric Pierru et Claude Thiaudière auxquels ma réflexion doit beaucoup. Je reste seul responsable du présent article issu d’une contribution au colloque international « Les sciences camérales : activités pratiques et histoire des dispositifs publics » (Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie – Curapp – Amiens, 24-25 juin 2004). Je remercie les organisateurs et les discutants pour leurs lectures critiques de cette contribution, ainsi qu’Isabelle Backouche pour ses remarques stimulantes.
  • [3]
    Voir le « modèle de la vigilance » (Chateauraynaud et Torny 1999), la « démocratie dialogique » (Callon, Lascoumes et Barthe 2001), ou les « logiques du désenclavement » (Dodier 2003).
  • [4]
    Pour une discussion critique : Buton 2005.
  • [5]
    Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
  • [6]
    Pour une synthèse : Fassin 1996.
  • [7]
    Titulaire d’une chaire au Conservatoire national des arts et métiers – Cnam – William Dab a notamment appartenu aux cabinets de Lucien Abenhaïm (directeur général de la Santé de 1999 à 2003) et de Jean-François Mattei (ministre de la Santé de 2002 à 2004) avant d’être lui-même nommé directeur général de la Santé (2003-2005).
  • [8]
    Actuellement en cours de révision, ce document typique des normes en vigueur dans le monde médical a été élaboré par une unité d’épidémiologistes de l’Inserm, et amendé par les représentants de quatre associations professionnelles.
  • [9]
    Celui-ci s’est étoffé et spécialisé. Pour un bilan déjà ancien : Chambaud 1994.
  • [10]
    Sur l’émergence de la catégorie de risque, Castel 1981 et 1983.
  • [11]
    Par exemple, les Cellules d’intervention régionale en épidémiologie (Cire). Pour une analyse détaillée de ce paysage institutionnel, Tabuteau 2002.
  • [12]
    Pour de plus amples développements sur ce point, nous renvoyons aux résultats de notre enquête, à paraître. Voir aussi la description, assez proche de notre analyse, de Luc Berlivet (2005 : 348-352).
  • [13]
    Sa thèse, soutenue en 1976 avec Alain Goudeau et Philippe Maupas, s’intitule « Virus de l’hépatite B et cancer primitif du foie ».
  • [14]
    Ces éléments ont été réunis à partir de son livre (Drucker 2002) et d’un entretien (réalisé le 18 juillet 2005).
  • [15]
    Voir l’entrée « Veille » du Trésor de la langue française informatisé (Atilf-CNRS).
  • [16]
    Dominique Laurent est alors directeur de cabinet du ministre de la Santé.
  • [17]
    Entretien avec un épidémiologiste, INVS, 2005.
  • [18]
    En outre, l’INVS ne dispose pas de pouvoir de réglementation en matière sanitaire (contrairement aux agences de sécurité sanitaire). Ce qui ne le met pas pour autant à l’abri de la responsabilité juridique : la reconnaissance du principe de prévention par le juge administratif, en 2004 à propos de l’amiante, entraîne la responsabilité pour l’État de se tenir informé sur les risques sanitaires.
  • [19]
    Pour reprendre les notions proposées par Alain Desrosières (2003).
  • [20]
    Une des spécificités de l’épidémiologie académique française est d’avoir été « inventée » par des mathématiciens qui, coupés des débats politiques en matière de santé publique, se sont placés résolument au service de la recherche médicale (Berlivet 2000 : chap. i ; Gaudillière 2002 : chap. vi).
  • [21]
    L’historiographie des CDC présente un grand nombre de récits du même type (Warshofsky 1963 ; Astor 1983 ; Etheridge 1992 ; Mc Kenna 2004).
  • [22]
    Début 2006, l’INVS comptait près de quatre cents agents.
  • [23]
    Différences mises en évidence par l’épidémiologiste Marcel Goldberg dans une intervention au séminaire « Expériences et pratiques de l’expertise scientifique » du Gis (Groupement d’intérêt scientifique) « Risques collectifs et situations de crise » (28 juin 2002).
  • [24]
    Traduit par nous.
  • [25]
    L’Epidemic Intelligence Service (EIS) est ainsi le nom de la formation de l’élite des épidémiologistes de terrain proposée depuis 1951 dans les CDC (Thacker, Tannenberg et Hamilton 2001). Les CDC sont nés pendant la Seconde Guerre mondiale afin de contrôler les épidémies de paludisme pouvant affecter les soldats, à la fois dans leurs camps d’entraînement du sud des États-Unis et sur les terrains d’opération en pays tropical ; la création du corps des EIS a été motivée par la lutte contre l’arme biologique au moment de la guerre de Corée.

1L’expertise scientifique ou technique, entendue comme activité d’aide à la décision politique, est aujourd’hui déclarée « en crise ». La mise en cause des « experts » porte sur la précision et l’utilité de leurs productions, leur manque d’indépendance à l’égard des pouvoirs économiques ou politiques, leur refus du débat avec la société civile (Lascoumes 2005). Dans le même temps, plusieurs travaux récents de sciences sociales ont porté sur l’expertise [1] : la polysémie du terme a été relevée, des définitions et des classifications ont été proposées (Trépos 1996 ; Roqueplo 1997) ; les régimes d’historicité de la notion d’expertise et de la figure de l’expert ont été précisés grâce à des recherches sur les sciences camérales (Laborier et al. à paraître) ou sciences de gouvernement (Ihl, Kaluszynski et Pollet 2003) ; la multiplicité des rôles dévolus aux experts et la diversité des situations d’expertise ont été explorées (Dumoulin 2005). En revanche, la pertinence même des notions d’expertise et d’experts pour la compréhension des phénomènes contemporains n’a pas retenu l’attention qu’elle mérite, alors même qu’elles présentent pour particularité d’appartenir à la fois au registre savant et au monde social « ordinaire », d’être à la fois des catégories scientifiques et des catégories sociales. C’est cette pertinence que l’on voudrait interroger ici, à partir des éléments d’une enquête portant sur les transformations des politiques de santé publique et de la « veille sanitaire » en France depuis une trentaine d’années [2].

2Un tel terrain conviendrait tout à fait aux questions habituellement posées à l’expertise. Les acteurs de la veille sanitaire produisent des connaissances volontiers critiquées par leurs pairs, leur dépendance à l’égard du pouvoir est souvent moquée, leur utilité et leur poids dans la décision politique font l’objet de dérisions et d’autodérisions ; depuis la définition des « groupes à risque » dans l’épidémie de sida au milieu des années 1980 jusqu’à la « crise de la canicule » en 2003, il est fort aisé de proposer au regard analytique une série d’événements ayant exposé les épidémiologistes de la « veille sanitaire » à la vindicte des décideurs politiques, des professionnels de santé ou des responsables associatifs. Mais ce terrain permet tout autant de poser la question de l’expertise comme catégorie d’entendement et catégorie scientifique, question dont l’examen suppose selon nous de procéder à une objectivation sociologique fine des acteurs sociaux en situation d’experts.

3On ne peut en effet que partager le constat de Claude Gilbert selon lequel les analyses sociologiques de l’expertise, obnubilées par le problème de « l’indépendance » de l’expert ou de « l’autonomie » du décideur, négligent du même coup bien d’autres enjeux. Pour autant, la question de « la participation d’acteurs non-experts au processus d’expertise », déjà abondamment examinée et modélisée [3], ne doit pas nécessairement primer sur un autre enjeu, celui des « contraintes non-scientifiques » qui pèsent sur le travail des experts eux-mêmes (Gilbert 2002 : 28). Réinvestir les interrogations « classiques » sur la frontière entre expertise et décision au moyen d’une sociologisation de la position d’expertise suppose dès lors de développer l’analyse des contraintes spécifiques de l’acte d’expertise et de caractériser sociologiquement les acteurs reconnus comme experts. Pour ce qui est des « experts » épidémiologistes de la veille sanitaire, c’est surtout leur position particulière vis-à-vis de l’État qu’il faut examiner. Leur activité, en tant qu’elle participe du mouvement général de rationalisation de l’action publique (du gouvernement des populations) non seulement par et au nom de la science, mais aussi depuis l’État, ne peut être correctement appréhendée par la notion d’expertise, mais gagne à l’être par celle « d’intelligence » comprise dans une double acception : comme fourniture d’informations utiles à l’action publique d’une part, comme « construction simultanée de la science et de l’action publique » (Rosental 2003), d’autre part.

L’épidémiologie de la veille sanitaire

4Le monde de la santé a connu depuis une trentaine d’années d’importantes transformations : exigence de maîtrise des coûts d’un « système de santé » déclaré en « crise » (Pierru 2005), montée en puissance du raisonnement économique (Benamouzig 2005), imposition de l’évaluation des pratiques médicales (Robelet 2002), d’un côté ; mise en cause du pouvoir biomédical par des associations de patients [4], retour des maladies infectieuses, multiplication des affaires liées à leur « gestion » (sang contaminé, vache folle, etc.), d’un autre côté. Contribuant à démédicaliser un monde de la santé jusqu’alors dominé par la profession médicale (Hassenteufel 1997), sinon à l’étatiser (Benamouzig et Besançon 2005), ces transformations en ont également affecté la partie la moins importante économiquement et la moins valorisée politiquement, la santé publique, qui, malgré l’ancienneté des combats pour l’amélioration de l’hygiène publique en France (Murard et Zylberman 1996), avait fortement souffert des révolutions biomédicales de la seconde moitié du xxe siècle (Gaudillière 2002). Depuis les années 1990, le sous-monde de la santé publique bénéficie d’un regain d’intérêt et de la généralisation de la mise en risque des questions de santé engagée dès les années 1950 (Berlivet 2000) : multiplication « d’agences sanitaires » (Besançon 2004) ; première loi sur les droits des malades, grande loi d’orientation de la santé publique (un siècle après la loi de 1902) [5]. Ce retour en grâce est parfois interprété comme un symptôme parmi d’autres d’un processus de « sanitarisation » du social : érigée en valeur ultime, la santé, ce « bien le plus précieux » du sens commun (notamment médical) constitue de fait une ressource décisive pour l’obtention de droits ou la construction de problèmes publics (Fassin 2002).

La veille sanitaire, « nouveau » dispositif de santé publique

5La « veille sanitaire », qui recouvre la surveillance de l’état de santé des Français d’une part, l’alerte, l’investigation et la réaction en cas d’épidémie d’autre part, l’évaluation des politiques de santé enfin, constitue l’un de ces dispositifs symboles d’un « renouveau » de la santé publique. En certains de ses aspects, la « veille sanitaire » n’a pourtant rien de très neuf : elle ne fait que poursuivre l’activité de surveillance des maladies, dimension parmi les plus anciennes de la santé publique comme savoir de gouvernement. Avérée dès les empires de l’Antiquité [6], la préoccupation des gouvernants pour la santé de leurs gouvernés se transforme en politique de santé à partir du moment où elle s’appuie sur des savoirs et des savoir-faire relativement formalisés visant à « diminuer la mortalité infantile, « prévenir les épidémies », « faire baisser les taux d’endémie », « intervenir dans les conditions de vie, pour les modifier leur imposer des normes », « assurer des équipements médicaux suffisants » (Foucault 1994 : 719). Dès lors, la notion de santé publique recouvre à la fois un type d’action – différent de la médecine clinique en ce qu’il porte sur des populations (non des individus) et se concrétise par des mesures préventives (non curatives) – mais aussi un domaine de la connaissance, une sous-discipline académique, une spécialité médicale (notamment dans les universités anglo-saxonnes). La « veille sanitaire » correspond donc pour partie à l’activité proprement administrative de statistique sanitaire, au dénombrement des données de mortalité (certificats de décès) et de morbidité (déclarations obligatoires des maladies, principalement), travail administratif ayant aussi partie liée avec les mesures de lutte contre les maladies infectieuses et les épidémies, dont il reprend certains modes d’intervention (surveillance par la traque microbiologique des germes et l’identification clinique des cas, le dépistage des populations à risques, les mesures de prophylaxie, vaccination…).

6Mais la « veille sanitaire » a pour autre matrice la statistique biomédicale, discipline récente rebaptisée « épidémiologie » à la fin des années 1960 (Rouquette et Schwartz 1970 ; Berlivet 2000 : 66-104) contre la définition médicale, pastorienne, de l’épidémiologie comme science des maladies infectieuses. C’est en tant que savoir statistique que l’épidémiologie constitue aujourd’hui l’un des savoirs scientifiques les plus importants de la santé publique, sinon le plus important. Le point de vue que William Dab, professeur de santé publique, épidémiologiste de formation, mais aussi un temps expert et décideur [7], défendait en 1980 est exemplaire du monde de la « veille sanitaire » :

7

« [L’épidémiologie est rien moins que] la science de la prévention. […] elle est sur le point de devenir à la mode. On prétend qu’elle va permettre de résoudre tous les problèmes sanitaires, de connaître l’origine des maux de l’homme et d’imaginer les moyens de les éviter, de prendre les “bonnes” décisions et même de réduire les coûts. Et certes, il ne sert à rien, pour développer les sciences de la santé d’hypertrophier la médecine. La médecine, action conjoncturelle, pourra bien devenir encore plus coûteuse et technicisée, elle restera une activité “réactionnelle”, impuissante à elle seule à améliorer la santé »
(Dab 1980 : 122)

8Il est courant de caractériser l’épidémiologie a minima comme l’étude de la fréquence et de la répartition dans l’espace des problèmes de santé dans des populations humaines, ainsi que du rôle des facteurs qui les déterminent. La définition proposée en 1998 dans le guide Déontologie et bonnes pratiques en épidémiologie (2002) [8], permet de mieux saisir l’évolution de la discipline épidémiologique.

9

L’épidémiologie est « une discipline scientifique qui étudie notamment les différents facteurs intervenant dans l’apparition des maladies ou de phénomènes de santé ainsi que leur fréquence, leur mode de distribution, leur évolution et la mise en œuvre des moyens nécessaires à la prévention » ; quant à l’épidémiologiste, c’est « un scientifique que ses études, ses diplômes, son expérience et sa pratique professionnelle ont qualifié pour conduire des études épidémiologiques », qualification « reconnue par un titre universitaire ou par une instance qualifiée composée d’épidémiologistes confirmés et reconnus par la profession ». En outre, « la finalité de l’épidémiologie est le progrès des connaissances dans le domaine de la santé et de la santé publique, c’est-à-dire de l’état de santé de la population, des mécanismes qui le déterminent, des facteurs qui le menacent, et de l’évaluation des moyens qui sont mis en œuvre pour l’améliorer »
(12)

10On a donc affaire d’abord à une discipline scientifique, peuplée de savants dont la qualité est établie sur le mode de l’autonomie scientifique (possession de titres et/ou reconnaissance par les pairs) et qui entendent concourir au progrès des connaissances dans le domaine de la santé et de la santé publique (but scientifique). De fait, l’épidémiologie est d’abord apparue dans le monde anglo-saxon des années 1940 et 1950, et dans la France des années 1960 et 1970, lorsque, à côté des « statistiques » sanitaires déjà évoquées, a émergé un ensemble de recherches appliquant le raisonnement probabiliste à des données médicales et sanitaires – en premier lieu aux maladies non transmissibles (lien entre consommation de tabac et cancers) (Berlivet 2000). Rapidement labellisés comme biostatistiques – une « statistique » appliquée à la médecine et à la recherche médicale – puis comme épidémiologiques, ces travaux se sont principalement développés au sein de l’Institut national d’hygiène (INH, devenu en 1964 Institut national de la santé et de la recherche médicale – Inserm), sous l’impulsion notamment de Daniel Schwartz, polytechnicien, ingénieur des Tabacs « passé » à la médecine, et premier professeur non-médecin en faculté de médecine (Schwartz 1994 ; Golberg et al. 2002).

11Cependant, la définition du guide le souligne bien, la discipline a connu plus récemment un important « élargissement » de son « champ d’action » : elle n’est plus « confinée à quelques groupes de chercheurs sans beaucoup de prise sur la décision » ; elle est « écoutée, voire sollicitée par des décideurs publics ou privés, de plus en plus diversifiés » ; elle est aussi « pratiquée par des professionnels de plus en plus nombreux dans des contextes nouveaux : administration de la santé, entreprises, collectivités locales, etc. » (Déontologie et bonnes pratiques… 2002 5-7). L’épidémiologie, discipline scientifique, est ainsi sortie des laboratoires de recherche, notamment comme « expertise ». Ainsi la « veille sanitaire », outil d’aide à la décision, procède-t-elle à la fois des statistiques sanitaires et de la statistique biomédicale, qu’elle est censée dépasser : pour ses promoteurs, la « veille sanitaire » modernise les premières tout en mettant la seconde au service de l’action politique.

L’épidémiologie dans l’État : naissance d’un nouvel institut

12La « veille sanitaire » en France s’incarne aujourd’hui principalement dans l’Institut national de veille sanitaire (INVS), mais elle ne s’y réduit pas : pour pleinement la saisir, il faut tenir compte des modifications ayant affecté à la fois son objet, ses outils, ses institutions et ses agents (donc également son système de formation) [9]. Son objet, d’abord : la surveillance épidémiologique n’a plus seulement pour objet les maladies infectieuses mais l’ensemble des « phénomènes de santé » retraduits en « risques sanitaires » [10] ; parfois définie (et ennoblie) comme « la » science du « risque pathologique » (Setbon 1993), l’épidémiologie de la veille sanitaire a recours à des savoirs médicaux (cliniques, biologiques) et statistiques (de type descriptif, le plus souvent). Les outils, ensuite : certains sont anciens mais rénovés (déclaration obligatoire, registre des décès), d’autres classiques et importés dans le domaine de la santé (grandes enquêtes statistiques en milieu hospitalier, enquêtes sur la perception sociale des risques), d’autres encore liés au développement des technologies de l’information et de la communication (informatisation du système de notification des maladies à déclaration obligatoire). Les institutions, enfin : plusieurs agences contribuent à la sécurité sanitaire, cependant que des institutions et réseaux de surveillance de statut divers collaborent avec l’INVS [11]. Le savoir statistique sur les risques sanitaires est cependant loin d’être le monopole de l’INVS et de ses réseaux de partenaires : les services du ministère de la Santé (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), l’Inserm, l’Ined (Institut national d’études démographiques) ou l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) comptent aussi parmi les producteurs de données et d’analyses en matière sanitaire.

13L’INVS a d’abord été créé en 1993 sous la forme d’un groupement d’intérêt public, le Réseau national de santé publique (RNSP), avant de se transformer en INVS, dans le cadre de la réorganisation générale de la sécurité sanitaire réalisée en 1998 (Journal officiel). Il est admis que les crises de santé publique et les « affaires », en premier lieu celle du sang contaminé, ont favorisé la mise sur l’agenda politique d’une structure telle que le RNSP (Drucker 2002 : 14). L’externalisation de la surveillance épidémiologique devait dégager la responsabilité éventuelle des acteurs politiques et administratifs ; elle devait en outre satisfaire une demande croissante et protéiforme (sociale, professionnelle, médicale, etc.) de protection en matière de « risques sanitaires » liés à la vie quotidienne, l’exercice professionnel, l’environnement, ou la fréquentation des établissements de santé (maladies nosocomiales). En outre, la critique de la gestion des crises par l’administration de la santé, qui pointait la prise en compte insuffisante par les décideurs des « connaissances scientifiques » et des « signaux d’alerte », ou le manque de « transparence » du processus décisionnel (Dab 1997), a été d’autant plus entendue qu’elle s’accordait avec les projets de réforme de l’État alors en cours de développement, notamment le modèle de l’agence proposant une nouvelle division du travail administratif (conception des politiques par l’administration centrale versus expertise et mise en œuvre confiée aux agences) et de nouveaux impératifs organisationnels et fonctionnels (autonomie de gestion, reddition de comptes ou accountability, transparence, compétences spécialisées des acteurs, contractualisation en termes d’objectifs et de moyens, etc. – Bezès 2005).

14Mais la création du RNSP est d’abord et avant tout le fruit d’une double mobilisation [12]. La première, largement interne à la Direction générale de la santé (DGS), réunit à la fin des années 1980 autour du directeur de l’époque, Jean-François Girard, un petit nombre de médecins et épidémiologistes, ayant contribué au sein de la DGS à rénover fortement les statistiques sanitaires après 1981, dans le contexte notamment de l’irruption de l’épidémie de sida, et pour lesquels une structure externalisée constitue un prolongement nécessaire d’une surveillance sanitaire efficace. Si le RNSP est la seule institution sanitaire créée ex nihilo parmi celles du début des années 1990 (Girard 1998 : 148), sa forme juridique (un groupement d’intérêt public) tient pour partie à l’opposition de l’administration de la santé, massive parmi les médecins-inspecteurs et dans les directions déconcentrées, à l’externalisation de ses missions. Cette première mobilisation est ainsi informelle et discrète, à l’insu de la plus grande partie de l’administration.

15La seconde mobilisation, plus périphérique mais contemporaine (début des années 1980), a pour objet l’importation du type particulier d’épidémiologie pratiquée dans les Centers for Disease Control (CDC) américains. Elle est le fait de différents acteurs, marginaux autant dans le système de santé, que vis-à-vis de l’administration : enseignants en épidémiologie de l’École nationale de santé publique de Rennes, médecins dans l’humanitaire ou la santé publique passés par la formation d’élite des CDC (l’Epidemic Intelligence Service), fondations philanthropiques américaines et françaises (la Fondation Mérieux). La force de cette mobilisation tient largement à ses formes (mise en place d’une formation courte sur le modèle américain dans un institut ad hoc, l’Institut pour le développement de l’épidémiologie appliquée – IDEA – création d’une association d’anciens élèves, publication du cours, etc.) et aux alliances que celles-ci permettent (y compris avec des acteurs de la DGS). Elle contribue à rendre visible la cause de l’épidémiologie « d’intervention » ou « de terrain » – celle qu’on a baptisée ici « de veille sanitaire » – et à rassembler autour d’elle différents acteurs. Si elle ne contribue pas directement à la création du RNSP, elle lui fournit son premier directeur, Jacques Drucker, lequel contribuera à rapprocher la nouvelle institution du modèle américain, en recrutant autour de lui quelques anciens diplômés des CDC et (surtout) des stagiaires de l’IDEA, et en développant tout particulièrement, à côté des missions traditionnelles de surveillance, les capacités d’alerte et d’investigation rapides en situation de crise infectieuse (listérioses, légionelloses, etc.) (Drucker 2002 : 15).

Trajectoire de Jacques Drucker

Interne en pédiatrie à Tours, et intéressé par la recherche biologique, Jacques Drucker participe à une recherche sur la découverte du vaccin contre l’hépatite B [13], et obtient en 1976 une bourse d’études dans les NIH (National Institutes of Health) américains pour prolonger ses travaux ; il y découvre l’existence des écoles de santé publique, des CDC et de l’épidémiologie d’intervention. De retour en France comme chef de clinique assistant, spécialisé dans les maladies infectieuses de l’enfant, il participe notamment à des programmes de vaccination en Afrique, ce qui renforce son intérêt pour la santé publique et le pousse à compléter sa formation aux États-Unis, où il obtient un master en épidémiologie à la Harvard School of Public Health, formation au cours de laquelle il suit des séminaires sur l’épidémiologie d’investigation organisés par les CDC. Faute d’obtenir dans le système hospitalo-universitaire le poste en santé publique qu’il souhaite, il est recruté en 1982 par l’Institut Mérieux, en charge du suivi de programmes de vaccination en Afrique, puis à la Fondation Mérieux. Il réintègre la médecine hospitalo-universitaire en obtenant un poste de professeur en 1988 dans sa spécialité de santé publique. Il est nommé directeur du RNSP en 1992, reconduit à la tête de l’INVS en 1998, qu’il quitte en 2002 pour un poste de conseiller à l’ambassade de France aux États-Unis. C’est dans le cadre de son activité à l’Institut Mérieux qu’il intègre le groupe des promoteurs de l’épidémiologie d’intervention, au sein duquel il joue un rôle moteur – il sera notamment le directeur scientifique de l’IDEA, et le codirecteur du manuel sur l’épidémiologie d’intervention [14].

16La trajectoire de J. Drucker (voir encadré) est exemplaire de celle des promoteurs de l’épidémiologie de la veille sanitaire de l’une ou l’autre des mobilisations évoquées : ceux-ci sont des médecins qui, souvent après avoir suivi une spécialité en relation avec les maladies infectieuses et/ou travaillé à l’étranger (coopération en Afrique), s’orientent vers la santé publique et l’épidémiologie (éventuellement en terrain exotique) puis, faute de débouchés sur le marché hospitalo-universitaire français, vers l’international (humanitaire, industrie pharmaceutique) ou l’administration (centrale ou déconcentrée). Pour une bonne partie d’entre eux, l’institutionnalisation de l’INVS et, plus largement, du réseau de la veille sanitaire, constitue un débouché d’autant plus évident qu’ils ont collectivement œuvré à sa naissance.

Veille ou police ?

17C’est ainsi la (relativement) nouvelle articulation de la surveillance et de l’alerte-investigation qui est confirmée quand le réseau devient institut de « veille sanitaire », en 1998, avec pour objet une « fonction “connaissance” » lui permettant de « s’assurer que les risques pathologiques sont anticipés, repérés, étudiés, et que les conséquences en sont dépistées le plus tôt possibles » (Girard 1998 : 148). Sur le plan cognitif, c’est bien la constitution de l’inférence statistique en fondement de l’intervention, sur le modèle de l’épidémiologie d’intervention américaine, qui fait l’originalité du dispositif : le travail épidémiologique de la veille sanitaire repose sur l’identification et la mesure du risque relatif, notion proprement statistique.

18Il faudrait d’ailleurs examiner les motifs ayant mené au choix du terme « veille », à côté de celui de « sécurité », pour les questions sanitaires. En première approximation, on remarque que la « sécurité » porte sur des produits (médicaments, alimentation) ou des éléments environnants (eau, air) présentant des risques pour l’homme, là où la « veille » s’adresse directement aux populations en tant qu’elles sont concernées par des risques sanitaires. On peut surtout faire l’hypothèse que « veille » est apparu (mais à qui ?) comme un terme préférable à « surveillance », « contrôle », ou « police ». Par définition, qui veille ne dort pas, et peut faire office de gardien protecteur ; de surcroît, dans une acception récente, la veille « technologique » ou « scientifique » implique une activité de surveillance pro-active, permettant l’adaptation rapide au changement – la veille technologique est ainsi définie comme « la surveillance de l’environnement industriel et commercial de l’entreprise permettant son adaptation simultanée aux changements de ce dernier » [15]. Veiller, c’est ainsi surveiller pour protéger ; mieux, c’est surveiller pour agir par anticipation. On conçoit dès lors que les défenseurs de politiques de santé publique, donc de prévention contre les problèmes de santé, aient pu reprendre le terme à leur compte. « Surveillance » peut sembler trop étroit (il ne désigne qu’une partie des activités visées), et présente l’inconvénient de connoter négativement les actions des épidémiologistes en leur conférant le sens d’une emprise des institutions sur les individus. Les mêmes réserves s’appliquent au terme « contrôle », employé aux États-Unis (disease control), même si, en 1993, l’expression « contrôle sanitaire » pouvait encore apparaître adéquate à un haut fonctionnaire français pour désigner le projet d’une politique de « vigilance et de prévention à l’égard des risques sanitaires », susceptible de favoriser une forme d’étatisation du secteur de la santé par la « réhabilitation du contrôle sanitaire » dévolue à l’administration de la santé (Laurent 1993 : 21) [16]. Quant à la notion de « police sanitaire », il s’agit d’une catégorie négative pour le sens commun des professionnels de santé publique, comme le souligne un épidémiologiste de l’INVS dans l’extrait d’entretien suivant – le même épidémiologiste rend d’ailleurs synonymes les expressions « police sanitaire » et « police préfectorale » :

19

« […] il y a quand même un truc sur lequel moi j’ai un peu peur, c’est qu’on est en train de tout transformer en police sanitaire, et la police sanitaire c’est, on a un truc infectieux, on l’enlève, et puis voilà, enfin c’est par des mesures autoritaires, ça renvoie à des concepts assez anciens, et qui justifient la politique publique immédiate et le contrôle des individus, qui a une part de légitimité, mais qui implique des prophylaxies, etc. Il faut faire très attention à ça [17]. »

20De fait, la notion de police semble mieux désigner les interventions « anciennes » de maîtrise des phénomènes épidémiques (quarantaine, signalement…) que les formes « nouvelles » basées sur la responsabilisation des individus, dont la lutte contre le sida a pu constituer le modèle historique (Rosenbrock et al. 1997) [18]. Dans la mesure où la veille sanitaire prétend autant fonder un pilotage raisonné de politiques de prévention qu’intervenir rapidement pour circonscrire les foyers épidémiques, le cas échéant par des actions de contrôle des individus (comme dans le cas du SRAS, Syndrome respiratoire aigu sévère), on conçoit que les acteurs agissant en son nom refusent d’endosser la notion restrictive et péjorative de police sanitaire.

Les limites de la catégorie savante d’expertise

Catégorie indigène et catégorie savante

21L’INVS a été pensé, vécu, décrit comme une agence « d’expertise ». L’expertise est une catégorie commune dans l’administration de la santé publique : pour un promoteur central de la santé publique en France, la création de l’INVS « marque une évolution dans la relation entre les pouvoirs publics et ses structures d’expertise » : « il ne s’agit plus de faire confiance à des experts isolés ou à des commissions, mais de se doter d’un établissement capable de prévenir à temps les pouvoirs publics de l’émergence en cours ou probable d’un risque sanitaire et de suivre l’évolution des maladies » (Got 2005 : 70). Déjà en 1992, la création du RNSP concrétisait aux yeux de nombreux « observateurs » « l’émergence, tout à fait nouvelle à l’époque dans le domaine des préoccupations des autorités sanitaires, d’une réflexion sur l’expertise, l’information épidémiologique, l’évaluation médicale – instruments dont on reconnaissait enfin le caractère indispensable » (Duriez 2001). Catégorie indigène dans le monde de l’administration de la santé, l’expertise permet-elle pour autant de rendre compte de l’activité de veille sanitaire ?

22Autonomes, les agences sanitaires fonctionnent dans le cadre de « lettres de mission », sur la base d’un « contrat négocié d’objectifs et de moyens », sous la contrainte d’un « contrôle de gestion » transparent et régulier, et des contrôles ponctuels (et fréquents) des corps d’inspection. Autant dire que l’INVS demeure dépendant du champ politico-administratif, notamment de ses besoins d’informations : établissement public administratif placé « de façon non ambiguë au sein de l’appareil d’État » (Isnard et Pomarède 2001 : 32), l’INVS a, par exemple, vu certaines priorités de santé publique en matière de maladies chroniques ne pas être retenues par le ministère de la Santé, au motif qu’elles ne correspondaient pas aux besoins d’information de ce dernier. La catégorie d’expertise est-elle la plus pertinente pour rendre compte d’une activité consistant à traiter scientifiquement des informations d’abord définies par leur utilité pour la décision politique ? La réponse positive est la plus répandue. Si l’on définit a minima l’expertise comme une relation sociale dans laquelle un acteur en mobilise un autre pour sa compétence à la fois spécifique, éventuellement attestée, et nécessaire ou utile à l’action qu’il entend mener, alors la relation qui unit les épidémiologistes de l’INVS aux décideurs politico-administratifs est bien de type « experte » : il y a bien mobilisation de connaissances scientifiques ou techniques utiles à la décision politique ou administrative, et, plus généralement, à la bonne administration et au bon gouvernement.

23Cependant, comme le précisait Claude Got (2005), la veille sanitaire n’est pas seulement une activité scientifique, donc politiquement orientée dans son questionnement et son choix d’un objet (la rationalité en valeur chez Max Weber), mais bien une activité indexée de manière continuelle, et non pas ponctuelle, sur les préoccupations du politique. Cette disponibilité permanente, spécifiquement administrative, signale les dimensions politiques de l’activité de « veille sanitaire ». Celle-ci défend d’abord, de manière explicite, une cause autre que la seule production de connaissances scientifiques : là où d’autres instituts nationaux servent la cause nataliste (Ined) ou la richesse de la nation (Insee), l’INVS est au service de la santé des populations, une cause (de plus en plus) légitime, bien que rarement prioritaire (notamment au regard des contraintes financières). Surtout, il produit des connaissances dont la validité est pour partie politique, et prétend endosser une part des responsabilités dans la décision publique.

Au service (scientifique) du politique

24Les connaissances produites par l’INVS ne sont pas seulement des données scientifiques, mais aussi des informations utiles au politique. L’épidémiologie de la veille sanitaire prétend soumettre ses données à trois types de validité : scientifique, certes, mais aussi « décisionnelle » et de type « organisationnel » (Dab 1994). La validité décisionnelle est définie comme la « capacité d’une information à éclairer un décideur du point de vue de son système de valeur et de ses critères de satisfaction ». La « pertinence » d’une information scientifique, ou d’une notion scientifique, pour être construite « dans le dialogue entre épidémiologistes et décideurs », dépend ainsi avant tout des attentes de ces derniers. La validité de type organisationnel mesure de même la valeur d’une donnée épidémiologique à son traitement possible par l’organisation administrative de la santé publique : des données régionales sont « invalides » si le niveau régional n’a pas de pouvoir de décision. Les informations de veille sanitaire sont parfois présentées par leurs promoteurs/producteurs comme dotées d’une utilité élargie, sinon universelle : elles seraient en elles-mêmes des facteurs de politisation des enjeux de santé publique, donc d’activation des débats publics et in fine, de démocratisation.

25L’épidémiologie de veille sanitaire est dès lors une branche particulière du monde de la statistique publique. Outil de quantification, elle est utilisée davantage comme « outil de gouvernement » à des fins d’action que comme « outil de preuve » à des fins de connaissance [19]. À ce titre, elle est censée bénéficier, le cas échéant, de tout le crédit de l’État pour établir de grandes bases de données et/ou obtenir des informations sur les personnes. Mais la veille sanitaire, aux État-Unis comme en France, se distingue aussi par une très forte opposition à (sinon un rejet de) l’épidémiologie « savante », académique [20]. Au contraire de celle-ci, la veille sanitaire est en effet entièrement soumise aux considérations pratiques du « vrai monde » : elle travaille sur des enjeux « réels », des problèmes urgents ; elle utilise des méthodes bien établies, et s’attache à présenter des résultats clairs et accessibles à tous (Brownson et Petitti 1998). La valorisation de l’utilité de l’activité statistique explique que la « communication » des travaux, tant au grand public qu’aux décideurs, soit présentée comme une tâche essentielle de la veille sanitaire (Gregg 1996 ; Dabis, Drucker et Moren 1992).

Connaître (suffisamment) pour agir

26Les spécialistes de la veille sanitaire entendent participer à la décision politique. Le manuel français d’épidémiologie « d’intervention » soutient que la veille sanitaire doit « apporter des réponses rapides et concrètes aux problèmes de santé des collectivités, afin d’éclairer les décisions dans le domaine de la santé publique » (Dabis, Drucker et Moren 1992). L’investigation en situation de crise infectieuse constitue sans doute la partie de l’activité des épidémiologistes où la tension entre conseil scientifique et décision politique est la plus nette. Pour rendre compte de son expérience à la tête du RNSP puis de l’INVS, J. Drucker construit son ouvrage en « dossiers » dont chacun est « une aventure, une véritable enquête policière, un travail d’investigation pour traquer le microbe, chasser le toxique et suivre leurs pérégrinations, comprendre leurs ruses, trouver les moyens de les neutraliser ». De fait, les « détectives de la santé » effectuent « un travail scientifique méconnu » qui « repose sur une expertise et des méthodes rigoureuses permettant [par exemple] d’enrayer en quelques jours une contamination bactérienne alimentaire qui aurait fait naguère des centaines de victimes en se propageant sans entraves pendant des mois » (Drucker 2002 : 17). Détectives au service d’une cause supérieure, la santé, les épidémiologistes sont ici des scientifiques engagés dans un travail policier, l’investigation : les métaphores policières et guerrières abondent dans un récit fait d’actes héroïques [21].

27Chaque dossier du plaidoyer pro domo de J. Drucker est introduit par la présentation d’un lanceur d’alerte particulièrement vigilant (médecin généraliste, de préférence), se poursuit avec l’identification plus ou moins confuse du problème par l’administration et par la mobilisation du RNSP-INVS, et s’achève par la découverte de la solution grâce au savoir-faire des épidémiologistes de la veille sanitaire, spécialistes cumulant compétences scientifico-techniques et qualités morales (dynamisme, débrouillardise, ténacité, volonté de réussir). Un épilogue pointe les responsabilités et tire des enseignements. De tous ces dossiers, c’est sans doute le premier qui est plus significatif : la victoire contre la listériose en août 1993 est le baptême du feu pour le RNSP, qui ne réunit encore qu’une dizaine de personnes [22]. Parce qu’un épisode de listériose en 1992 avait grandement contribué à la décision ministérielle de créer le RNSP, J. Drucker attendait avec impatience un nouvel épisode de cette infection alimentaire (« Je dois l’avouer, nous espérions une flambée de listériose. Nous l’attendions de pied ferme, impatients de mettre à l’épreuve notre nouveau dispositif »). La listeria, bactérie devenue « redoutable avec le développement du confort moderne », s’avère un « adversaire fascinant » qui combine « incubation longue, diagnostic difficile, gravité [soixante-trois morts et vingt-deux avortements en 1992], résistance ». C’est aussi, à l’évidence, un adversaire sournois, puisqu’il revient en scène « au pire moment, pendant le week-end du 15 août, le plus léthargique de l’année », celui où – l’épisode de la canicule de 2003 le mettra cruellement en évidence – la plupart des administrations sont en service restreint. En 1993, « l’opération » du RNSP se déroule parfaitement : en quatre jours, l’aliment présumé coupable est identifié. Mais le RNSP doit alors soumettre ses recommandations à une cellule d’urgence réunissant les administrations concernées (la DGS, mais aussi les puissantes Direction générale de l’alimentation, DGAL – ministère de l’Agriculture – et Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, DGCCRF – ministère de l’Économie) et les agents économiques identifiés (patron de la chaîne de distribution, directeur de l’usine). Ces derniers étant acquis au principe de précaution, les produits sont retirés de la vente. Reste à attendre, trois semaines durant, que les résultats de l’analyse bactériologique confirment la justesse de la prévision des épidémiologistes : ce qu’ils feront, attestant que l’épidémiologie peut fonder des décisions justes en cas de crise et en situation d’incertitude.

28Exemplaire, le récit réactive celui, mythique, de John Snow, l’un des pères fondateurs de l’épidémiologie « moderne » (Kramer 2000 ; Rothman et Greenland 1998) qui, lors de l’épidémie de choléra à Londres en 1849-1854, fut le premier à mettre en évidence l’association statistique entre la maladie et la contamination de l’eau, alors que le germe du choléra n’était pas identifié, et l’existence même des germes inconnue. La légende veut en effet que, face à l’incrédulité générale, J. Snow ait saboté lui-même la pompe que ses calculs avaient identifiée comme source de la contamination de l’eau, et qu’il ait ainsi permis de contrôler l’épidémie. Pour les épidémiologistes de l’INVS, agir comme J. Snow n’est évidemment ni possible ni pensable : parce qu’ils ne peuvent eux-mêmes retirer un produit de la vente en grande surface, ils doivent convaincre les décideurs que leurs informations, à défaut d’être « certaines » (des données fondées sur le calcul de probabilités ne peuvent l’être), sont suffisantes pour agir, en attendant la confirmation scientifique (ici bactériologique) de la relation de causalité. Leur travail est de faire une hypothèse scientifique, mais aussi de la défendre et la rendre crédible dans le cercle de la décision publique : de faire admettre, en bref, qu’il n’est pas besoin de « comprendre pour agir » (Abenhaïm 2004 : 27). Cet axiome de l’épidémiologie moderne, approche probabiliste, est central pour l’épidémiologie de la veille sanitaire, pour laquelle l’action prime sur la recherche, et la prévision sur la compréhension.

Une « intelligence sanitaire » ?

29La dimension politique de l’activité épidémiologique justifie ainsi, autant qu’elle le fonde, le positionnement institutionnel de l’INVS comme extérieur à, mais aussi proche de, l’administration centrale : position dans l’État, donc. L’INVS présente d’ailleurs un grand nombre de différences avec un établissement scientifique comme l’Inserm : statut juridique (EPA/EPST), mode de financement (par projet/global), modes d’évaluation (hiérarchique/par les pairs), statut des chercheurs (non propriétaires/propriétaires de leur poste, liberté de publication plus ou moins grande) [23]. Tout indique ici le primat du politique (sinon l’intérêt de l’État) sur le scientifique dans l’activité de veille sanitaire, laquelle contribue au processus général de rationalisation de l’action publique, contribution fragile, dans la mesure où son épistémologie probabiliste la contraint à pondérer la production de la connaissance pour l’action (« connaître permet de prévoir et d’agir ») en proposition d’une connaissance pour l’action (« connaître sans comprendre permet d’agir »).

De l’expertise scientifique à l’intelligence scientifique

30On peut finalement discuter la pertinence heuristique de la notion d’expertise pour décrire l’activité de veille sanitaire. Si l’on examine par exemple la temporalité de l’expertise, on constate que la veille sanitaire ne respecte pas la séquence qui voit un « avant » (l’acquisition d’un savoir scientifique) précéder un « pendant » (la mise à l’épreuve politique du savoir) de l’expertise. Elle se situe dans une autre temporalité, un « pendant » permanent. L’épidémiologie n’est pas une science mobilisée ponctuellement (comme dans le cas des « expertises collectives » de l’Inserm) : elle fournit un renseignement scientifique à disposition permanente du politique. Cette différence dans la temporalité de l’activité est solidaire de toute une série d’autres. Ainsi, là où l’expertise scientifique négocie son rythme (car le temps de la recherche n’est pas celui du monde), la veille sanitaire se réfère au rythme du (vrai) monde ; là où l’expertise privilégie l’articulation entre des théories scientifiques et la situation problématique (il faut agir en connaissance de cause), la veille sanitaire vise la production d’une réponse, même imparfaite, à une situation politique problématique (il faut agir, souvent en situation d’incertitude).

31La leçon tirée de la crise de la canicule de l’été 2003 par Lucien Abenhaïm – épidémiologiste ayant longtemps travaillé au Canada, nommé DGS en 1999, et démissionnaire au cœur de la crise – est significative de cette primauté accordée à l’utilité. L’action future face à un nouvel épisode de canicule, explique-t-il, pourra notamment s’appuyer sur une étude des CDC ayant identifié et hiérarchisé différentes solutions à ces crises, des « clés ». C’est qu’« on n’arrête pas les tremblements de terre avec des mots », mais avec « ce qu’on appelle “une analyse de santé publique” » : une analyse « scientifique », (« rigoureuse, systématique et austère »), sans être théorique (« dans l’absolu ») ; mais aussi et surtout une analyse ancrée dans la pratique, faite en fonction de « ce qui peut être fait concrètement, [de] ce qui fonctionne dans la pratique ». Les recommandations se caractérisent ainsi par leur caractère ad hoc, circonstancié, ajusté au contexte : « leur action est centrée sur le problème à résoudre – la chaleur – et ne porte pas sur l’ensemble du système ». C’est pourquoi, plutôt qu’augmenter le personnel de soins ou d’aide aux personnes âgées (« l’augmentation des capacités de service » n’arrive qu’en sixième position), il est préférable, prioritaire de multiplier les systèmes de climatisation, puis de déterminer des seuils d’alerte pertinents au niveau local (Abenhaïm 2003 : 143 et suiv.).

32L’expertise scientifique ne saurait oublier d’anticiper sur les logiques d’usage de ses productions (l’expert doit aussi dépasser son propre savoir), mais elle ne les définit pas prioritairement en fonction de leur utilité. Au contraire, la veille sanitaire est une activité de prévision plutôt que de constatation : porteuse d’une « volonté du savoir/prévoir » (Retière 2003), elle s’apparente à une forme d’ingénierie. Ken Alder a montré, dans son étude sur les manufacturiers sous la Révolution française, que les ingénieurs, loin de chercher la vérité, construisaient sciemment des artefacts : par principe, l’ingénierie « opère à partir d’une assomption simple, mais radicale : que le présent n’est rien d’autre que le matériau brut à partir duquel construire un futur meilleur » (Alder 1999 : 15 [24]). Dotée de même d’une finalité pratique, la veille sanitaire s’intéresse non pas au monde tel qu’il est, sur le mode constatif, mais au monde tel qu’il devrait être, sur le mode prescriptif ; la transformation de ses artefacts en boîtes noires ne l’embarrasse pas outre mesure.

33Service scientifique, ingénierie politique, la veille sanitaire se distingue encore de l’expertise scientifique par la priorité qu’elle accorde à la circulation des informations par rapport à leur problématisation. Elle recueille, traite et diffuse des informations sanitaires davantage qu’elle ne les problématise, opération non nécessaire. On pourrait dire que l’INVS ne produit pas tant « ses » propres productions scientifiques qu’il ne fournit « des » informations, ou des analyses de celles qu’il parvient à faire remonter. Une telle position n’est pas sans créer, parmi les épidémiologistes rencontrés, une frustration assez comparable à celle que des statisticiens de l’Insee peuvent exprimer vis-à-vis des tableaux de bords, outils d’évaluation de la politique de la ville qui les enferment dans un rôle d’intermédiaire chargé d’un traitement secondaire de données, plutôt que de les définir comme des producteurs de connaissances scientifiques (Tissot 2004 : 104). La tension entre fourniture d’informations et problématisation de données permet de souligner l’intérêt de la catégorie, indigène et scientifique, « d’intelligence ». L’intelligence doit être entendue dans une double acception : d’abord comme une activité de renseignement ; ensuite, comme la potentialité de tenir ensemble utilité politique et productivité scientifique, du renseignement et de la science.

Les logiques politiques de l’intelligence scientifique

34Il est certain que l’intelligence est une catégorie aussi floue que l’expertise. Il est remarquable toutefois qu’elle ait fait récemment l’objet d’investissements dans trois registres principaux : technologique (« intelligence artificielle »), militaire (« l’intelligence avec l’ennemi ») et économique (la lutte contre la « cybercriminalité » et l’espionnage industriel). Dans les deux derniers cas, sa finalité est clairement normative (assurer la sécurité et maintenir un ordre social et politique). L’intelligence économique est généralement définie comme « l’ensemble des actions de recherche, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs » (Martinet et Marti 2001), une logique d’action qui convient aussi à la veille sanitaire. Cette activité se situe d’abord dans une situation concrète (un danger), préexistante, qui appelle une action. Elle est ensuite chargée de fournir une information jugée utile aux responsables politiques et administratifs, quant à l’action à mener. Elle doit dès lors rechercher cette information (déjà disponible ou non), la traiter (en l’occurrence de manière scientifique) et la transmettre aux décideurs. Dans la logique de « l’intelligence », l’utilité est première, l’information centrale, et son traitement scientifique secondaire.

35Savoir pratique intégrant, autant que faire se peut, la connaissance scientifique, la veille sanitaire relève ainsi de la « police » comme art de gouverner possédant sa normativité propre (Napoli 2003). Émanation de l’État, la veille sanitaire peut être comprise comme un avatar contemporain de l’activité de protection du corps social et de prévention des maux qui l’affectent, et les épidémiologistes de l’INVS comme les héritiers des conseils de salubrité créés en 1848 afin de « répondre aux questions qui leur sont transmises par les préfets et sous-préfets » et « préparer un cadre topographique et statistique de la salubrité publique » (ibid. : 291). Elle participe de l’édification de cette norme particulière qu’est la « mesure de police », dont la constante historique réside dans sa « capacité d’adaptation réactive aux urgences de la réalité, selon la technique typiquement médicale de l’antidote, du remède contre l’état de morbidité (aussi bien concret que figuré) », constante qui inscrit l’activité de police dans une normativité propre, celle de l’art de gouverner, comme « synthèse conjoncturelle entre une situation donnée et sa modification possible » (ibid. : 299-300). La veille sanitaire est une forme scientifique de police sanitaire.

36Mais la notion d’intelligence constitue aussi une catégorie indigène du monde de la santé publique anglo-saxonne : sans doute en raison de leurs origines militaires, les CDC la revendiquent explicitement [25]. Elle désigne alors une activité technique ou scientifique au service de fins politiques, une activité de renseignement scientifique menée depuis l’État : à la fois la production de connaissances et d’analyses et l’apport de renseignements ou d’informations pour la décision politique (« intelligence » désigne couramment le « renseignement »). Cette perspective nous semble constituer un analyseur pertinent de l’activité de veille sanitaire, dans la mesure où elle souligne à la fois une position institutionnelle (au service de l’État) et une tension (entre science et politique). Elle est très proche de la proposition de Paul-André Rosental qui recourt au même terme pour montrer que les démographes de l’Ined, dans les années 1950, parviennent dans le même temps à produire des connaissances utiles politiquement et à innover sur le plan scientifique, en construisant la démographie historique comme savoir (Rosental 2003 : 159-166). Analyser la veille sanitaire comme une forme d’intelligence épidémiologique, c’est rappeler qu’elle est aussi capable de faire science tout en se rendant utile. L’analyse de P.-A. Rosental mériterait d’être transposée à d’autres savoirs d’État ; les disciplines scientifiques, sciences sociales comprises, doivent beaucoup, non seulement aux finalités politiques que se sont données leurs « fondateurs », mais aussi à l’engagement de leurs savoirs au service de l’État (Bezès et al. 2005).

37Au final, l’INVS peut être décrit comme « un organisme scientifique directement placé au service d’une finalité pratique, et, au sens large, politique » (Rosental 2003 : 141) : un établissement soumis à de fortes contraintes (financières, hiérarchiques, politiques), et sommé de donner la preuve de son utilité politique tout en apportant des gages de scientificité. Dans une configuration très évolutive des savoirs experts (transformations des modalités d’expertise scientifique, multiplication des expertises « profanes », mise en débat des procédures d’expertise…), les épidémiologistes de l’INVS ont-ils intérêt à « développer des approches qui, simultanément, présentent une valeur théorique et pratique » ? Peuvent-ils transposer leurs méthodes et résultats « le plus fréquemment et le plus rapidement possible entre les sphères scientifique et politico-administrative, et ce dans les deux sens » (ibid. : 160) ? Davantage que la réponse à la question, c’est bien le questionnement qui importe ici, dans la mesure où il invite à ne pas se contenter de considérer la veille sanitaire comme une activité d’« expertise », mais à la comprendre comme un dispositif étatique dont l’activité pratique peut – ou prétend – avoir des incidences à la fois sur la décision politique et sur le champ scientifique.


Abréviations

38CDC : Centers for Disease Control

39Cire : Cellules d’intervention régionale en épidémiologie

40DGAL : Direction générale de l’alimentation

41DGCCRF : Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes

42DGS : Direction générale de la santé

43EIS : Epidemic Intelligence Service

44EPA : Établissement public à caractère administratif

45EPST : Établissement public à caractère scientifique et technologique

46Gis : Groupement d’intérêt scientifique

47IDEA : Institut pour le développement de l’épidémiologie appliquée

48Ined : Institut national d’études démographiques

49INH : Institut national d’hygiène

50Insee : Institut national de la statistique et des études économiques

51Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale

52INVS : Institut national de veille sanitaire

53NIH : National Institutes of Health

54RNSP : Réseau national de santé publique

55SRAS : Syndrome respiratoire aigu sévère

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    • Zimmermann, Bénédicte (éd.). 2004. Les sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe. Paris, MSH (Dialogiques).

Notes

  • [1]
    Y compris celle des sciences sociales elles-mêmes : Zimmermann 2004 ; Bezès et al. 2005.
  • [2]
    L’enquête est menée en collaboration avec Frédéric Pierru et Claude Thiaudière auxquels ma réflexion doit beaucoup. Je reste seul responsable du présent article issu d’une contribution au colloque international « Les sciences camérales : activités pratiques et histoire des dispositifs publics » (Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie – Curapp – Amiens, 24-25 juin 2004). Je remercie les organisateurs et les discutants pour leurs lectures critiques de cette contribution, ainsi qu’Isabelle Backouche pour ses remarques stimulantes.
  • [3]
    Voir le « modèle de la vigilance » (Chateauraynaud et Torny 1999), la « démocratie dialogique » (Callon, Lascoumes et Barthe 2001), ou les « logiques du désenclavement » (Dodier 2003).
  • [4]
    Pour une discussion critique : Buton 2005.
  • [5]
    Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
  • [6]
    Pour une synthèse : Fassin 1996.
  • [7]
    Titulaire d’une chaire au Conservatoire national des arts et métiers – Cnam – William Dab a notamment appartenu aux cabinets de Lucien Abenhaïm (directeur général de la Santé de 1999 à 2003) et de Jean-François Mattei (ministre de la Santé de 2002 à 2004) avant d’être lui-même nommé directeur général de la Santé (2003-2005).
  • [8]
    Actuellement en cours de révision, ce document typique des normes en vigueur dans le monde médical a été élaboré par une unité d’épidémiologistes de l’Inserm, et amendé par les représentants de quatre associations professionnelles.
  • [9]
    Celui-ci s’est étoffé et spécialisé. Pour un bilan déjà ancien : Chambaud 1994.
  • [10]
    Sur l’émergence de la catégorie de risque, Castel 1981 et 1983.
  • [11]
    Par exemple, les Cellules d’intervention régionale en épidémiologie (Cire). Pour une analyse détaillée de ce paysage institutionnel, Tabuteau 2002.
  • [12]
    Pour de plus amples développements sur ce point, nous renvoyons aux résultats de notre enquête, à paraître. Voir aussi la description, assez proche de notre analyse, de Luc Berlivet (2005 : 348-352).
  • [13]
    Sa thèse, soutenue en 1976 avec Alain Goudeau et Philippe Maupas, s’intitule « Virus de l’hépatite B et cancer primitif du foie ».
  • [14]
    Ces éléments ont été réunis à partir de son livre (Drucker 2002) et d’un entretien (réalisé le 18 juillet 2005).
  • [15]
    Voir l’entrée « Veille » du Trésor de la langue française informatisé (Atilf-CNRS).
  • [16]
    Dominique Laurent est alors directeur de cabinet du ministre de la Santé.
  • [17]
    Entretien avec un épidémiologiste, INVS, 2005.
  • [18]
    En outre, l’INVS ne dispose pas de pouvoir de réglementation en matière sanitaire (contrairement aux agences de sécurité sanitaire). Ce qui ne le met pas pour autant à l’abri de la responsabilité juridique : la reconnaissance du principe de prévention par le juge administratif, en 2004 à propos de l’amiante, entraîne la responsabilité pour l’État de se tenir informé sur les risques sanitaires.
  • [19]
    Pour reprendre les notions proposées par Alain Desrosières (2003).
  • [20]
    Une des spécificités de l’épidémiologie académique française est d’avoir été « inventée » par des mathématiciens qui, coupés des débats politiques en matière de santé publique, se sont placés résolument au service de la recherche médicale (Berlivet 2000 : chap. i ; Gaudillière 2002 : chap. vi).
  • [21]
    L’historiographie des CDC présente un grand nombre de récits du même type (Warshofsky 1963 ; Astor 1983 ; Etheridge 1992 ; Mc Kenna 2004).
  • [22]
    Début 2006, l’INVS comptait près de quatre cents agents.
  • [23]
    Différences mises en évidence par l’épidémiologiste Marcel Goldberg dans une intervention au séminaire « Expériences et pratiques de l’expertise scientifique » du Gis (Groupement d’intérêt scientifique) « Risques collectifs et situations de crise » (28 juin 2002).
  • [24]
    Traduit par nous.
  • [25]
    L’Epidemic Intelligence Service (EIS) est ainsi le nom de la formation de l’élite des épidémiologistes de terrain proposée depuis 1951 dans les CDC (Thacker, Tannenberg et Hamilton 2001). Les CDC sont nés pendant la Seconde Guerre mondiale afin de contrôler les épidémies de paludisme pouvant affecter les soldats, à la fois dans leurs camps d’entraînement du sud des États-Unis et sur les terrains d’opération en pays tropical ; la création du corps des EIS a été motivée par la lutte contre l’arme biologique au moment de la guerre de Corée.

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