Notes
-
[1]
Selon le lieu et le statut du terrain (propriété waqf, mushâa, publique, municipale, par actions, privée), l’illégalité revêt différentes formes et se situe à plusieurs niveaux. Elle peut concerner le foncier et/ou la législation de la construction.
-
[2]
La banlieue sud s’étend entre la ville de Beyrouth et l’aéroport. Les habitants de la capitale ont donc assez souvent l’occasion de la traverser. Depuis 1998, une nouvelle voie rapide reliant le centre-ville à l’aéroport permet désormais de la franchir sans s’y attarder visuellement.
-
[3]
Jean-Pierre Gaudin, « L’urbanisme au Levant et le mandat français », Architectures françaises outre-mer, Liège, P. Mardaga, 1992, p. 190.
-
[4]
Ibid., p. 192.
-
[5]
Wafa Charafeddine, « La banlieue-sud de Beyrouth : structure urbaine et économique », thèse de doctorat en urbanisme, université de Paris VIII, 1987, p. 289.
-
[6]
André Bourgey et Jean Pharès, « Les bidonvilles de l’agglomération beyrouthine », Revue de géographie de Lyon, vol. 48, n° 2, 1973, pp. 107-139.
-
[7]
Voir par exemple : Fouad Khuri, From Village to Suburb. Order and Change in Greater Beirut, Chicago, University of Chicago Press, 1975 ; A. Bourgey, « L’évolution des banlieues de Beyrouth durant les deux dernières décennies », actes du colloque « Les espaces sociaux de la ville arabe » (non publié, dactylographié), Carthage, 1979 ; Jean Pharès, Une société banlieusarde dans l’agglomération de Beyrouth. Étude sociologique de certains aspects du développement suburbain, Beyrouth, Université libanaise, 1977.
-
[8]
Entretiens avec des habitants de la banlieue sud.
-
[9]
Voir notamment Claude Dubar et Salim Nasr, Les classes sociales au Liban, Paris, PFNSP, 1976.
-
[10]
Voir A. Bourgey, « L’évolution des banlieues… », op. cit., et J. Pharès, Une société banlieusarde… op. cit., ainsi que Farid Bouzeid, « Hayy el-Sellom : un quartier à réaménager », mémoire de DESS en urbanisme, université de Paris VIII, 1985.
-
[11]
Hussein Charafeddine, Al-imam Moussa al-Sadr, mahattat tarikhiyya, Iran, Najaf, Lubnan (L’imam Moussa al-Sadr. Étapes historiques : l’Iran, le Najaf, le Liban), Beyrouth, Dar al-arqam, 1996, pp. 127-128.
-
[12]
République libanaise, Direction générale de l’urbanisme (DGU), Livre Blanc-Beyrouth 1985-2000, 1973, p. 24.
-
[13]
Ibid., p. 27.
-
[14]
République libanaise, DGU, Mission franco-libanaise pour le schéma d’aménagement de Beyrouth et sa banlieue, Banlieue sud de Beyrouth, mission exploratoire, Beyrouth, 1983.
-
[15]
Voir nos articles sur ces questions : Mona Harb el-Kak, « Urban Governance in Post-War Beirut : Resources, Negotiations, and Contestations in the Elyssar Project », in Seteney Shami (éd.), Capital Cities : Ethnographies of Urban Governance in the Middle East, Toronto University Press, 2001, pp. 111-133 ; M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours sur l’aménagement de la banlieue-sud : le projet Elyssar », in Jean-Luc Arnaud (éd.), Beyrouth, Grand-Beyrouth ?, Beyrouth, Cermoc, 1997, pp. 191-207.
-
[16]
W. Charafeddine, « Formation des secteurs illégaux dans la banlieue-sud de Beyrouth », DESS en urbanisme, Paris, université de Paris VIII, 1985, pp. 141-142.
-
[17]
S. Nasr, « La transition des Chiites vers Beyrouth : mutations sociales et mobilisation communautaire à la veille de 1975 », in Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain, Mouvements communautaires et espaces urbains au Machreq, Beyrouth, Cermoc, 1985, pp. 87-116.
-
[18]
« Les bidonvilles dans lesquels les quartiers pauvres chiites ont été construits durant le quart de siècle dernier n’étaient pas des endroits où des hommes soucieux de leur estime de soi pouvaient s’exprimer ». Fouad Ajami, The Vanished Imam. Musa al-Sadr and the Shia of Lebanon, Ithaca and London, Cornell University Press, 1987, p. 119.
-
[19]
Le tiers des immeubles de la banlieue sud datent de la période de la guerre civile d’après les recensements de l’Administration centrale de la statistique en 1996.
-
[20]
Les husayniyyât sont des salles ou bâtiments propres à la communauté chiite, évoquant la mémoire de l’imam Hussein, qui servent de lieux multifonctionnels où se tiennent des commémorations religieuses, des condoléances, des réunions municipales, des assemblées familiales, etc.
-
[21]
Nous avons notamment observé ces différences lors des funérailles et des condoléances où, chez les familles migrantes, les pleureuses expriment vivement leur douleur par des cris et des gestes évoquant la mémoire de l’imam Hussein. Ces pratiques ostentatoires dérangent celles plus modérées des familles originaires qui se trouvent d’ailleurs de plus en plus marginalisées dans ces réunions.
-
[22]
L’échelle et le statut réglementaire des investissements varient d’un lieu à l’autre. À Ouzai et Jnah, deux secteurs illégaux, les activités économiques sont toutes non-réglementaires, mais n’empêchent pas une desserte économique qui va jusqu’à Beyrouth (ameublement, maintenance et réparation de voitures, industrie du bâtiment). À Bir al-Abed et Haret-Hreik, quartiers anciens de la banlieue sud-est, les secteurs de l’édition, des banques et assurances, du vestimentaire, de la promotion immobilière permettent à la banlieue sud de se constituer en centre économique relativement autonome.
-
[23]
Au Liban, le vote s’effectue dans la région d’origine de l’électeur qui y a été inscrit. Ainsi parmi les cinq cent mille personnes qui habitent la banlieue sud, seules les 30% qui y sont inscrites votent pour les députés au Parlement et les conseils municipaux. Le reste des habitants vote dans leurs villages d’origine au Sud-Liban et à la Béqaa, lieux où la présence du mouvement Amal et du Hizb’Allah est très forte.
-
[24]
Aujourd’hui, les originaires forment 20 à 30% de la population de la banlieue sud.
-
[25]
Voir M. Harb el-Kak, Politiques urbaines dans la banlieue sud de Beyrouth, Beyrouth, Cermoc, cahier n° 14, 1996.
-
[26]
Depuis 1992, le dirigeant du mouvement Amal, Nabih Berry, est président de l’Assemblée nationale. Aussi, depuis cette date, le mouvement a eu plusieurs ministres au sein du gouvernement Hariri ainsi que des députés suite aux élections législatives de 1992 et 1996. Les portefeuilles ministériels ainsi que la position de pouvoir de N. Berry a valu aux membres du mouvement Amal plusieurs postes de première catégorie au sein des administrations de l’État.
-
[27]
La banlieue sud s’étend du « Sud de la capitale » jusqu’à l’aéroport et de la mer, à l’ouest, et, à l’est, jusqu’à l’ancienne route de Beyrouth-Saïda.
-
[28]
Ce qualificatif signifie les Chiites du Liban sud. Sa racine renvoie à « ceux qui sont avec [l’imam] Ali », le gendre du Prophète, que les Chiites considèrent comme son successeur légitime. Le terme est le plus souvent utilisé par les Sunnites d’une manière péjorative, se substituant à « chiite ». Une plaisanterie y est associée : elle renvoie à l’approximation de la prononciation du terme metwalî en français qui donnerait la locution « mets-toi au lit ». Ce jeu de mots est utilisé pour souligner la différence sociale existant entre Sunnites et Chiites, qui serait inscrite historiquement pendant la période du mandat français où les autorités mandataires employaient des chiites pour des travaux subalternes. Elle souligne notamment l’étendue de la stigmatisation dont les Chiites sont l’objet de la part des Sunnites. Voir aussi F. Ajami, The vanished imam…, op. cit. p. 55.
-
[29]
Discussions avec des étudiants libanais.
-
[30]
Entretien avec le président du conseil d’administration d’Elyssar. Voir aussi M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours… », op. cit.
-
[31]
Voir par exemple : Nizar Hamzeh, « Lebanon’s Hizbullah : from Islamic Revolution to Parliamentary Accommodation », Third World Quarterly, vol. 14, n° 2, 1993, pp. 321-337 ; Judith Harik, « Between Islam and the System. Sources and Implications of Popular Support for Lebanon’s Hizballah », Journal of Conflict Resolution, vol. 40, n° 1, 1996, pp. 41-67 ; Augustus Richard Norton, Hezbollah of Lebanon : Extremist Ideals vs. Mundane Politics, New York, Council on Foreign Relations, 1999.
-
[32]
Cette « libanisation » est confirmée, par exemple, par les visites qu’effectuent les responsables du gouvernement libanais au secrétaire général du Hizb’Allah, en banlieue sud, à l’occasion d’opérations réussies de la Résistance.
-
[33]
Entretiens avec des habitants de la banlieue sud et avec des dirigeants des ONG du Hizb’Allah.
-
[34]
Discussions avec des étudiants libanais.
-
[35]
Il est difficile de parler d’État au sens régalien au Liban, dans un contexte où « l’État structure les communautés autant que les communautés structurent l’État » ; lire à ce sujet Nadine Picaudou, La déchirure libanaise, Paris, Complexe, 1989, pp. 65 et 81. Quelle est la nature et le rôle de l’État libanais étant donné le poids politique des acteurs communautaires ? Nous pensons qu’il vaut mieux parler de système politique plutôt que d’État au Liban. Voir à ce propos : Élizabeth Picard, « Les habits neufs du communautarisme libanais », Cultures et conflits, n° 15-16, 1995, pp. 49-70.
-
[36]
Discussions avec des étudiants libanais.
-
[37]
Entretiens avec des habitants de la banlieue sud qui n’appartiennent ni à la mouvance du Hizb’Allah ni à celle du mouvement Amal.
-
[38]
Il est intéressant de noter cette idée de « pénétration » et « d’entrée » en banlieue sud, qui montre comment l’espace est bien délimité dans l’inconscient des gens qui évoquent le sentiment éprouvé d’un franchissement de frontière.
-
[39]
Entretiens avec des habitants de la banlieue.
-
[40]
Ibid.
-
[41]
Entretiens avec des habitants originaires de la banlieue l’ayant quittée pour Beyrouth à cause des « changements politiques » qui y ont eu lieu.
-
[42]
Entretien avec une habitante originaire de la banlieue.
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[43]
Entretiens avec un dirigeant du mouvement Amal et plusieurs cadres du Hizb’Allah. Voir aussi Mona Fawaz, Islam, Resistance and Community Development, The Case of the Southern Suburb of Beirut City, rapport de masters in City Planning, Boston, MIT, juin 1998, non publié.
-
[44]
Entretien avec un cadre fondateur du Hizb’Allah, aujourd’hui responsable de son centre de recherches.
-
[45]
Entretien avec le délégué du mouvement Amal au sein du conseil d’administration d’Elyssar.
-
[46]
Les considérations qui suivent sont basées sur des entretiens avec les responsables des services sociaux chez le mouvement Amal et chez le Hizb’Allah.
-
[47]
Nous pensons aux concepts de banlieue, de périphérie, de société banlieusarde, d’illégalité, de modernité, de précarité urbaine, d’hygiène, d’urbanisme moderne, etc.
-
[48]
Voir notamment : « De Jourat al-Dahab à Bir Hassan et Maramil : des illégaux imposent des indemnités sur l’État », Al-Nahar, 18 février 1997, p. 7 ; « Lifting en deux ans sous l’égide d’Elyssar », Magazine, 23 juin 1995, pp. 24-25.
-
[49]
Entretiens avec les responsables du mouvement Amal et du Hizb’Allah au sein du conseil d’administration d’Elyssar. Entretiens avec les aménageurs du projet Elyssar. Voir M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours… », op. cit.
-
[50]
Voir notamment : CCED (Centre consultatif d’études et de documentation ), La réalité et les besoins en services et en développement dans la banlieue sud, Haret-Hreik, CCED, 1993, rapport non publié ; CISED (Centre Imam al-Sadr pour les recherches et les études), Ta’assisan li mujtamaa’ muqawem (Fondations pour une société de la résistance), Beyrouth, 2000 ; Naïm Kassem, Hizb’Allah : la méthode, l’expérience, l’avenir, Beyrouth, Dar al-Hadi, 2002.
-
[51]
Ces affirmations sont basées sur nos observations dans divers quartiers de la banlieue sud et des entretiens avec des habitants.
-
[52]
Entretiens avec les aménageurs-consultants d’Elyssar, et le président du conseil d’administration d’Elyssar. Voir M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours… », op. cit. Voir aussi : République libanaise, Agence publique Elyssar, The Elyssar Project : Feasibility Study, Beyrouth, Dar al-Handasah, 1997, rapport non publié.
-
[53]
Voir M. Harb el-Kak, Politiques urbaines…, op. cit., M. Fawaz, Islam, Resistance …, op. cit. ; Waddah Charara, Dawlat Hizbu’llah, Lubnan mujtama‘un islamiyyun (L’État Hezbollah. Le Liban comme société islamiste), Beyrouth, Dar al-Nahar, 1996 ; Amal Saad-Ghorayeb, Hizbu’llah, Politics and Religion, Londres, Pluto Press, 2002.
-
[54]
Par exemple : Hala Jaber, Hezbollah. Born with a Vengeance, New York, Columbia University Press, 1997 ; Martin Kramer, « La morale du Hizbollah et sa logique », Maghreb-Machreq, n° 119, 1988, pp. 39-59 ; Toufic Al-Madini, Amal wa Hizbu’lla fi hilbat al-mujâbahât al-mahalliyya w-al-iqlîmiyya (Amal et le Hezbollah dans l’arène des conflits locaux et régionaux), Damas, al-Ahali, 1999.
-
[55]
« Les groupes déplacés de force qui se concentrent dans les quartiers squattés au centre-ville et dans la périphérie urbaine sont généralement des étrangers à la vie urbaine. Globalement, ils sont sans logis, sans propriété et sans racines, traumatisés par la peur, remplis de rage et de sentiments d’amertume et de trahison. Ils sont, de la sorte, dans mais pas de la ville. Par conséquent, ils ne s’attachent pas aux, ou n’apprécient pas les endroits dans lesquels ils se sont trouvés, et ne pourront sans doute pas exprimer d’intérêt quelconque à leur protection ou à leur enrichissement. En fait, pour beaucoup, ces quartiers précaires forment uniquement des endroits à occuper et des services à exploiter. » Samir Khalaf, Beirut Reclaimed, Beyrouth, Dar an-Nahar, 1993, p. 119.
-
[56]
Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968, p. 121.
-
[57]
Hanan el-Cheikh, Barîd Bayrût, Le Caire, Al-Hilâl, 1992, p. 22 (trad. fr., Michel Burési et Jamal Chehayed : Poste restante Beyrouth, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes arabes », 1995, p. 30).
-
[58]
W. Charafeddine, « La banlieue-sud de Beyrouth… », op. cit.
1 La banlieue sud de Beyrouth est un espace qui se démarque par ses caractéristiques politiques, spatiales, communautaires et sociales. Planifiée pour être une banlieue-dortoir, elle s’est constituée autour de la capitale et des plaines agro-industrielles de Hadath-Choueifat. Avec la guerre civile libanaise, sa structure démographique a été modifiée par des vagues successives de migration et par les conflits interconfessionnels. Les anciens villages de Bourj Brajneh, Mrayjeh, Haret-Hreik et Ghobeyri se sont très rapidement urbanisés pour donner lieu à un continuum urbain nommé, à partir de 1982, dâhiye (banlieue). La balance chiito-maronite a penché graduellement vers une hégémonie chiite, confortée par les apports de population déplacée. Une grande partie des populations déplacées s’est installée illégalement [1] sur le littoral dans des constructions en béton de plusieurs étages (Ouzai, Jnah), à proximité des camps palestiniens (Sabra, Bourj Brajneh), et aux périphéries de la banlieue sud-est (Raml el-Aali, Hayy el-Sellom). Ces secteurs illégaux caractérisent en partie l’espace urbain de la banlieue sud.
2 À Beyrouth, le terme dâhiye (pluriel : dawâhî [dahu]), qui désigne ordinairement les terres et les habitations entourant une ville, n’est pas seulement un équivalent arabe de « banlieue ». Il y possède différentes spécificités : dâhiye représente un territoire chiite, pauvre, anarchique, illégal et islamiste. Les caractéristiques de l’espace sont confessionnelles (chiite), sociales (pauvre), formelles (anarchique) et politiques (Hizb’Allah). Le terme désigne donc beaucoup moins une banlieue, au sens le plus courant, qu’un lieu contestataire qui cherche à se démarquer.
3 Aujourd’hui, la banlieue sud constitue un bastion communautaire au sein de la capitale. Elle est habitée par une population de cinq cent mille personnes, à majorité musulmane chiite, soit le tiers des habitants du Grand-Beyrouth. Les Chiites sont historiquement et communément connus comme étant les mahrûmin, les déshérités, c’est-à-dire les pauvres. La mobilisation politique de leur communauté fut initiée vers la fin des années 1960 à travers deux courants religieux, celui des sayyid Moussa al-Sadr et Mohamad Hussein Fadlallah. En 1974, al-Sadr dirige le Conseil supérieur chiite, puis crée le mouvement politique Amal. Suite à la confusion que provoque sa disparition en 1978 et aux dissensions politiques et idéologiques entre son successeur Nabih Berry et des proches de Fadlallah, une scission s’opère qui crée en 1982 le Hizb’Allah (ou Hezbollah, selon la graphie la plus courante en français, littéralement, « parti de Dieu »). Des conflits armés opposent Amal et Hizb’Allah jusqu’à la fin des années 1980 où le parti de Dieu évince le mouvement de Berry de la banlieue sud. À l’issue de la guerre du Liban et après le démantèlement des milices, la banlieue sud est contrôlée militairement et politiquement par le Hizb’Allah.
4 Aussi, la banlieue sud de Beyrouth évoque plusieurs images relatives à son espace, à ses acteurs politiques et à sa population. Ces images interpellent la plupart des habitants de l’agglomération beyrouthine qui connaissent cet espace principalement à travers les médias et un contact visuel souvent distant [2] ainsi que, dans une moindre mesure, à travers des relations personnelles ou professionnelles en banlieue sud.
5 Cet article traite de l’histoire d’une stigmatisation urbaine, à travers le parcours d’un nom commun, dâhiye, devenu, dans l’usage, nom propre. Il a pour objet les diverses représentations associées au mot étudié. Il examine : d’abord le processus de construction de ces stigmatisations dans le temps, et ensuite les usages et les réappropriations de la stigmatisation dans les lexiques aujourd’hui. Une attention particulière est portée aux producteurs et aux logiques de ces stigmatisations.
6 Le matériau sur lequel se base notre analyse est constitué par trente-six entretiens approfondis semi-directifs menés entre 1998 et 2000 avec des habitants de la banlieue sud, des aménageurs et des décideurs politiques ; nous avons également procédé à une analyse qualitative, à travers une observation microsociologique de sept familles résidant (ou ayant résidé) en banlieue sud, et avec lesquelles nous entretenons des liens personnels ; enfin nous avons mis à profit des échanges que nous avons eus avec nos étudiants dans plusieurs universités libanaises, ainsi que divers articles de presse.
La Dâhiye dans le temps : le processus de stigmatisation et ses producteurs
7 Les premiers projets urbains visant les banlieues de Beyrouth datent du mandat français. Ils furent élaborés dans le cadre du plan René Danger dans les années 1930. L’extension de la ville vers les « villages périphériques », qui intéressaient les aménageurs par leur potentiel foncier et économique, forma l’objectif majeur de l’intervention [3]. L’urbaniste français Michel Écochard, au début des années 1940, porta aussi un regard intéressé sur la périphérie dont il comptait faire des « quartiers nouveaux en créant des sociétés immobilières » [4]. Ces projets amèneront les aménageurs à y mettre en œuvre dans les années 1950 et 1960 de grands équipements urbains, et à concevoir des lotissements résidentiels et des plans directeurs pour une banlieue « de haut standing » [5]. Cependant, la banlieue suit d’autres chemins que ceux planifiés : des camps palestiniens s’y établissent dès 1948 et des quartiers illégaux logeant les travailleurs des chantiers des grands projets avoisinants s’y développent dans la décennie des années 1950.
Les débuts de la catégorisation (1970-1980) : hizâm al-bû’s (la ceinture de misère)
8 Durant la période 1960-1970, les banlieues de la capitale forment le hizâm al-bû’s, la « ceinture de misère », désignation motivée par l’existence de bidonvilles et de camps palestiniens. Elles contiennent également des baldât et diyâ‘ (petits pays, villages) hérités du tissu social plus ancien des quartiers périphériques de la ville. Comme ailleurs, on se réfère aussi aux hayy (quartiers) et au nom des rues (shâri‘) pour désigner des lieux spécifiques dans ces quartiers ou pour s’y repérer. Des articles scientifiques, en langue française, font référence à cette ceinture de misère de Beyrouth plus dans un souci d’analyse sociologique que dans une perspective de réforme urbaine [6]. Les bidonvilles forment alors des « quartiers suburbains constitués de baraques et de constructions provisoires réalisés avec des matériaux de récupération » tels la Quarantaine, Karm el-Zeitoun, Haouch Rahhal, Wata el-Mousseitbeh, etc., qui ne correspondent pas au territoire de la banlieue sud d’aujourd’hui. À partir du milieu des années 1970, la notion de périphérie se précise avec les ouvrages de quelques auteurs [7] qui évoquent les « banlieues » ou « suburbs » ou dawâhî.
9 La stigmatisation des banlieues porte alors sur les deux types d’espaces confondus : bidonvilles et camps palestiniens. Elle concerne des populations spécifiques : des réfugiés, des migrants, et des pauvres, majoritairement des Palestiniens et des Chiites. La « ceinture de misère » comme antécédent sémantique de l’actuelle dâhiye est toujours inscrite dans l’imaginaire des gens, qui s’y référent régulièrement pour justifier la situation socioéconomique inéluctable de la banlieue sud : « la banlieue sud a toujours été une ceinture de misère [8] », comme si une force historique empêchait cette mantiqa (région) d’être partie intégrante de la ville. Cette justification est corroborée par les rhétoriques de l’exode rural et de la croissance urbaine qui expriment la relation de la banlieue à la ville comme une relation d’inégalité sociale, économique, politique et urbaine.
10 La notion de ceinture de misère est élaborée simultanément par différentes sources, toutes institutionnelles. Des chercheurs travaillant dans une perspective d’analyse en termes de classes sociales la transmettent à leurs étudiants et la diffusent dans le milieu de la recherche locale, propageant une approche conceptuelle largement en vogue à l’époque [9]. Plusieurs thèses, maîtrises et articles réutilisent la notion, théoriquement et empiriquement [10]. Les dirigeants politiques chiites contribuent à ce lexique. Dès le milieu des années 1960, l’imam Moussa al-Sadr, principal leader de la mobilisation sociale et politique des Chiites, parle de l’oppression de ceux-ci dans la misère des banlieues due à l’absence de l’État [11].
11 Par ailleurs, dans les milieux publics, la Direction générale de l’urbanisme (DGU) produit en 1973 une étude clé mettant l’accent sur les rapports centre-périphérie : le Livre blanc. Pour les techniciens et les urbanistes, la ceinture de misère est le « fruit de l’exode rural et massif vers la ville […] d’une population encore peu habituée aux réglementations et aux déterminismes de la cité » [12]. Ils s’inquiètent surtout de la manière dont « tout aménagement urbain devrait tenir compte des divergences de mentalités que représenteraient de tels milieux en état de transition » [13]. Leurs propositions s’articulent autour du « relogement » de ces « taudis sur la ceinture périphérique » qui constituent un « obstacle à la croissance de la ville » et qui représentent « une promiscuité poussée [et] un niveau de vie très bas ».
12 Ces analyses urbaines se basent sur une approche en termes d’inégalités de classes et de modernité urbaine. Le but des études menées est l’intégration de la ceinture de la misère dans la ville, à travers la modernisation urbaine de la périphérie. Les hypothèses sont les suivantes : cette modernisation passe inévitablement par une réforme spatiale – axée sur les infrastructures, l’hygiène et « l’ordre urbain » – qui engendrerait progressivement une réforme sociale, soutenue par des politiques d’éducation et de santé, qui permettrait alors un rapprochement avec les citoyens de la ville. Deux types de population sont opposés : d’un côté les habitants de la ville, citoyens capables d’être urbains et modernes, et, de l’autre, ceux de la ceinture de misère, socialement et culturellement inadaptés à la ville moderne.
13 Ainsi, la stigmatisation urbaine ne se limite pas à l’espace, elle intègre une dimension sociale liée aux manières d’être des habitants de ces périphéries. Dans les années 1970, elle ne vise pas encore exclusivement la communauté chiite, mais plutôt « les ruraux » qui sont attirés par la ville, bien que le Livre blanc spécifie qu’ils sont en majorité du Liban sud, région à majorité chiite.
L’émergence du terme (1980-1990) : al-dâhiye al-janûbiyye, une banlieue sud rebelle
14 C’est vers le début des années 1980 que l’expression dâhiye janûbiyye (banlieue sud) commence à exister en tant que telle et à s’identifier à un territoire particulier habité par un groupe communautaire ayant des revendications politiques et identitaires. Ce processus est lié à la conjonction de plusieurs éléments. D’abord, l’acteur public contribue à la différenciation physique de la banlieue sud, à travers la production d’une série d’études urbaines, dans le cadre de la mission exploratoire pour l’étude de la région métropolitaine de Beyrouth (RMB) lancée sous le mandat du président Amine Gemayel. Ces rapports, rédigés en français, délimitent un périmètre qu’ils appellent « la banlieue sud de Beyrouth », et l’étudient en tant qu’objet isolé. Les auteurs mettent l’accent sur son caractère spécifique, ils y associent les termes d’illégalité, de pauvreté, de chaos et d’anarchie ainsi que la description des habitants qui sont chiites, pauvres, réfugiés, et ruraux [14].
15 Les propositions de réaménagement de la banlieue sud de l’époque 1970-1980 visent à exclure cet espace de la réalité urbaine en ayant recours à un interventionnisme radical de la part de l’État. On parle de dysfonctionnement, de constructions illégales, d’obstacles à la croissance et au développement, qui impliquent des projets de démolition et de relogement. On affirme que l’État doit produire « sa » ville à son image, en invoquant les principes modernistes et réformateurs de l’urbanisme de projet. Plus de quinze ans plus tard, les mêmes paradigmes guident le projet de réaménagement du littoral de la banlieue sud, le projet Elyssar. Il est vrai qu’aujourd’hui la spécificité sociale et politique de l’espace est prise en compte dans les négociations autour de la mise en place d’Elyssar. Cependant le modèle retenu prône toujours les principes hygiénistes du zonage, sur la base duquel la forme est censée créer l’usage et l’espace réformer la société [15].
16 L’intervention de l’État prend un tour violent en 1982 quand l’armée, dans une tentative de contrôle du territoire faisant des morts et des blessés, détruit quatre cents maisons illégales dans le quartier Ouzai en banlieue sud. Elle est suivie par l’établissement du Comité de développement de la banlieue sud, qui échoue dans sa tentative de négociation d’une politique urbaine avec le mouvement Amal. En 1984, l’État attaque les quartiers de Beyrouth ouest et de la banlieue sud ; l’armée se divise et la milice chiite prend le contrôle des quartiers musulmans, concrétisant la division de la capitale et des institutions publiques. Al-dâhiye al-janûbiyye (la banlieue sud) coïncide alors avec une réalité territoriale, sociale et politique.
17
En outre, les chercheurs propagent aussi un discours qui fixe
le terme dâhiye janûbiyye dans l’usage
académique. Wafa Charafeddine établit l’illégalité de la
dâhiye janûbiyye, et confirme la
coupure ville-banlieue, qu’elle explique par la politique urbaine
discriminatoire et confessionnelle de l’État ; elle fonde l’assimilation de la
banlieue sud à un « ghetto chiite […], dense, pauvre et dégradé »
principalement caractérisé par « l’habitat illégal », ainsi qu’à un « espace de
contestation sociale et politique […] qui échappe au contrôle de l’État [16] ». Salim Nasr inscrit ces
caractéristiques dans une analyse historico-politique mettant en exergue la
dimension religieuse des habitants :
Fouad Ajami confirme la stigmatisation urbaine inscrite dans l’espace des Chiites associé à des bidonvilles :« l’irruption des chiites à Beyrouth [est] perçue par beaucoup et présentée par les médias comme un phénomène massif, soudain, imprévu, essentiellement fondé sur la levée en masse d’un groupe social surtout mû et motivé par un revivalisme religieux effervescent et une démographie galopante [17] ».
Les médias reprennent ces qualificatifs, les vulgarisant et permettant leur circulation. Ils banalisent inégalités, ségrégations et hiérarchies, en important dans le langage courant un vocabulaire classifiant les populations et les territoires, délimitant les frontières spatiales et sociales, qualifiant la nature des appartenances et des exclusions. Les mots de la stigmatisation urbaine introduits par les institutions académiques et publiques sont repris et rediffusés par les journalistes qui réifient les configurations observées et en construisent des catégories homogènes et binaires d’analyse, largement réductrices des complexités sociales, culturelles et politiques.« the slums in which [the Shi’a] shantytowns had been erected over the preceding quarter-century were no places where men anxious about their self-esteem could take a stand [18] ».
18 Par conséquent, des termes spécifiques liés à des événements politiques et militaires particulièrement marquants au cours de la guerre libanaise s’intègrent de plus en plus à la mémoire collective – nous les traitons dans la seconde partie. En 1982, suite à l’invasion israélienne de Beyrouth, al-dâhiye al-janûbiyye devient associée à la mobilisation armée de la milice chiite Amal qui y établit son fief. Les quartiers de la banlieue sud connaissent des changements démographiques irréversibles : les habitants chrétiens vendent ou quittent leurs propriétés pour la partie orientale de la ville, souvent dans un climat d’hostilité violente alors que les déplacés chiites des banlieues nord-est, du Liban sud et de la Béqaa y arrivent en vagues successives. Deux tiers des habitants actuels de la banlieue sud s’y sont installés pendant la guerre. Simultanément, le Hizb’Allah y renforce son assise sociale et urbaine, à travers le développement de son réseau associatif, et le marquage de l’espace par une iconographie (effigies de Khomeyni et des leaders du Hizb’Allah ; calicots et banderoles avec inscriptions coraniques ; images de martyrs ; peintures dénonçant les États-Unis et Israël, et annonçant la conquête de Jérusalem, etc.). À partir du milieu des années 1980, le paysage urbain, social et politique de la dâhiye al-janûbiyye change considérablement : elle devient une ville dense habitée par une population exclusivement chiite de plus en plus politisée, possédant son propre système de gestion de services contrôlé par le Hizb’Allah, dont les liens avec l’Iran se consolident.
19 Dans la partie ancienne de la banlieue sud (Ghobeyri, Haret-Hreik, Bourj Brajneh), les nouvelles constructions se multiplient [19], alors que, dans la partie orientale et à la périphérie sud de la plaine, les secteurs illégaux s’étendent et/ou se densifient (Ouzai, Jnah, Horch el-Qatil, Sabra, Raml, Hayy el-Sellom, Amroussiyeh). Les Chiites migrants et déplacés ont leurs propres mosquées, cimetières et husayniyyât [20], et se distinguent des familles chiites originaires par leurs pratiques religieuses plus ostentatoires [21]. Ajoutons à cela des formes de regroupement familial et villageois assez spécifiques, dans des immeubles et dans des quartiers : des rues au nom d’un village de la Béqaa ou du Sud sont créées. Les migrants et déplacés investissent l’espace économique, non seulement en s’appropriant du foncier et/ou de l’immobilier, mais aussi en établissant des commerces, des services et de la petite industrie [22]. Enfin, sur le plan politique, les migrants et déplacés s’associent aux forces politiques chiites, Amal et Hizb’Allah, pour lesquelles, en tant qu’électorat [23], ils forment une clientèle potentielle intéressante et une base de mobilisation sociale et politique indéniable. En réaction, un mouvement de migration de la banlieue sud vers Beyrouth est entrepris par certaines familles chiites originaires qui se sentent de plus en plus étrangères et minoritaires dans ce nouveau territoire [24].
20 Ainsi la dâhiye se construit d’abord comme un espace central de représentation pour le pouvoir politique de la communauté chiite, ensuite comme un espace de contestation de l’autorité de l’État et, enfin, comme un espace de revendication des droits spoliés de cette communauté. D’abord menée principalement par le mouvement Amal, cette singularisation s’affirme avec le rôle croissant du Hizb’Allah qui, à partir de 1982, organise ses activités édilitaires en banlieue sud à travers un réseau d’acteurs et d’organisations [25]. En effet, vers le milieu des années 1980, la dâhiye al-janûbiyye commence à s’affirmer comme étant celle du Hizb’Allah (dâhiyet Hizb’Allah). En 1988, les rivalités entre le parti de Dieu et le mouvement Amal dégénèrent en conflits armés qui se terminent en 1989 par l’éviction de ce dernier de la banlieue sud-est. Depuis, le Hizb’Allah a fortement marqué l’espace de sa présence par un réseau associatif dense qui couvre la totalité de la banlieue sud et qui s’occupe des champs sanitaires, éducatif, social, religieux, économique et urbain. Quant au mouvement Amal, il s’est replié dans les secteurs ouest de la banlieue sud et, grâce à ses liens privilégiés avec les administrations étatiques [26], il distribue des services et des ressources à travers ses bureaux éducatifs et sociaux. Ainsi, l’image de la banlieue sud s’associe à celle du Hizb’Allah, écartant de l’analogie les autres banlieues et affirmant la spécificité identitaire et sociopolitique de l’espace.
21 La nouvelle identité du lieu s’établit et se confirme par le changement des pratiques sociales, par la politisation d’un groupe communautaire, par le marquage d’un espace revendiqué, et par l’usage d’un vocabulaire spécifique : al-dâhiye al-janûbiyye devient progressivement al-dâhiye, l’usage du suffixe al-janûbiyye (du sud) étant de plus en plus accessoire. La banlieue sud n’est plus seulement un espace distinct de la ville, elle se détache aussi des autres banlieues de Beyrouth, et s’affirme comme étant la seule banlieue contestataire ayant sa propre identité : al-dâhiye, la dâhiye, la banlieue. Pour parler des autres banlieues, on utilise le pluriel al-dawâhî.
22 Par conséquent, dans l’usage courant, al-dâhiye représente un territoire particulier, que le Beyrouthin identifie nettement par des limites plus ou moins clairement dessinées [27]. Il perçoit la dâhiyet Hizb’Allah (l’espace du Hizb’Allah) ou dâhiyet Khomeyni. Il identifie des quartiers caractérisés par leur ‘aj’a (densité), fawda (anarchie), bû’s (misère), wasakh (saleté), zbêle (ordures). Il y associe des habitants shî‘a (chiites), metwalî [28], mahrûmin (déshérités), qui sont dits daya‘jiyye (ruraux), muhajjarin (déplacés), ghayr shar‘i (illégaux) et mehtallin (occupants/squatters). Ainsi, dâhiye qualifie, catégorise et classe la population identifiée à cet espace, par des adjectifs spécifiques géographiquement, culturellement, socialement, économiquement et politiquement.
23 Directe, brutale voire violente, la stigmatisation de la banlieue sud vise un espace urbain jugé « sale, anarchique, illégal » et des populations considérées comme « islamistes, pauvres, paysannes ». Le regard porté de l’extérieur est craintif et inquiet, notamment à cause de la croissance démographique et urbaine liée à cet espace et à la menace latente d’explosion sociale et politique « aux portes de Beyrouth » dont celle-ci est le ferment [29]. C’est également un regard embarrassé associé à l’islam chiite perçu comme met’akhkhir (sous-développé), raj‘i (arriéré) et aussi, depuis la guerre, irhâbi (terroriste). Ces sentiments d’inquiétude et de honte sont, par ailleurs, clairement exprimés par les aménageurs de la banlieue sud qui n’hésitent pas à les utiliser pour justifier leurs intentions de destruction des secteurs illégaux et de relocalisation d’une partie des habitants dans des logements sociaux au sein du périmètre du projet Elyssar [30]. En effet, la dâhiye et les représentations que ce territoire traduit empêchent la bonne mise en œuvre de la modernisation urbaine lancée par les politiques de reconstruction du gouvernement Hariri pour recréer la ville globale de l’avant-guerre.
La Dâhiye aujourd’hui : usages et réappropriations de la stigmatisation
Inversions sémantiques (1990-2000) : al-dâhiye, espace banalisé ?
24 Depuis la fin de la guerre du Liban, les représentations associées à dâhiye semblent prendre un autre cours. La dâhiye est de plus en plus celle du Hizb’Allah, mais un Hizb’Allah qui n’inquiéterait plus autant, et dont il semblerait qu’on soit moins embarrassé. La dimension terroriste et islamiste du parti, et son association à l’Iran, deviennent moins stigmatisantes depuis la « libanisation » de son agenda politique, marquée par sa participation aux élections législatives de 1992 – un processus bien analysé par plusieurs auteurs [31]. Le Hizb’Allah s’associe à une tâche légitime, voire noble, cautionnée par l’État (notamment suite à l’attaque israélienne sur Cana en 1996) – celle de la résistance contre l’occupation israélienne [32]. Simultanément, les représentations associées à dâhiye s’en trouvent affectées. L’appellation dâhiye, qui était clamée violemment contre l’État, est revendiquée plus posément par les acteurs politiques et les habitants de la banlieue sud [33], comme un droit acquis et bien mérité, même s’ils en détournent les significations par des dénominations différentes dans leurs usages quotidiens – nous y reviendrons.
25 L’appellation dâhiye se banalise aussi dans le langage courant des Beyrouthins qui, après la normalisation politique, recommencent à circuler librement entre les différentes parties de la capitale. Il est vrai qu’on ne va pas se promener en banlieue sud, mais on la traverse pour aller au Liban sud ou à la montagne, et l’on aperçoit brièvement qu’elle n’est pas très différente des autres quartiers de Beyrouth [34]. On s’y rend aussi pour des services publics (le ministère de l’Emploi, les sièges des municipalités, les centres de développement social, etc.), et pour avoir accès à des services privés spécifiques (imprimeries, garages, ameublement, construction, etc.). L’image du Hizb’Allah n’est plus complètement différente. Ses cadres apparaissent au public comme professionnels et « modernes », porteurs d’un langage technique et rationnel qui impressionne Libanais et étrangers. Les institutions du Hizb’Allah travaillent en partenariat avec des agences internationales pour la gestion de services et pour la protection de l’environnement. Sa légitimité se renforce et se traduit par l’acceptation de son rôle social et politique dominant au sein de la communauté chiite.
26 En effet, pendant les années 1990, le contrôle social et politique du parti de Dieu s’inscrit dans des configurations institutionnelles solidement établies et fait la preuve d’une capacité de mobilisation impressionnante, traduite à la fois par les résultats électoraux et par le succès de la résistance militaire en mars 2000. Le Hizb’Allah n’a plus besoin d’un marquage territorial criant et quotidien – il le limite aux célébrations et aux commémorations de journées particulières. Son fief stratégique, al-dâhiye, n’a plus vraiment besoin d’être consolidé symboliquement, il s’ouvre, devient perméable et se banalise. Les limites de l’espace deviennent plus fluides, mais restent surveillées – quelques ingérences, voire quelques défis, sont tolérés, mais sans que jamais soient mises en cause l’autorité et la domination du Hizb’Allah.
27 Cette normalisation s’accompagne de modifications sémantiques : al-dâhiye désigne désormais un espace reconnu par les transports publics et privés qui en affichent la destination. L’administration inclut le terme dans son répertoire, et l’affiche sur les autoroutes, posant une limite claire à ses connotations contestataires. En incluant dâhiye dans ses registres administratifs, l’État accepte sa réalité en tant que territoire contestataire, mais choisit de rappeler la hiérarchie du pouvoir : dâhiyet Hizb’Allah existe bel et bien, mais seulement sous l’égide de « l’État » [35]. Le conflit entre les Chiites et les autres communautés au sein du système politique libanais semble toujours latent.
28 Cependant, cette quasi-normalisation n’empêche pas des retours aux catégories sémantiques stigmatisantes que nous avons déjà discutées. Les représentations associées à dâhiye restent ancrées dans l’imaginaire des Beyrouthins, des aménageurs, des décideurs, voire des chercheurs. Aujourd’hui, si la dâhiye n’inspire plus les mêmes peurs qu’avant (car le Hizb’Allah inquiète moins les Libanais), elle suscite néanmoins des inquiétudes toujours liées à cet « autre » qui y est associé [36]. En effet, le Hizb’Allah reste perçu comme une force politique chiite dominante, un parti islamiste affilié à l’Iran, disposant d’un pouvoir militaire considérable. La présence, même discrète, de sa police, ainsi que de ses informateurs, dans les rues de la banlieue sud contribue à renforcer la perception d’un espace contrôlé et surveillé, qui provoque crainte et appréhension [37]. Ces sentiments se manifestent dans le refus de « pénétrer » en banlieue sud [38] et dans des interrogations (très présentes, notamment, chez les étudiants que nous avons emmenés sur le terrain) sur la possibilité de circuler librement dans les quartiers, sur les particularités vestimentaires à adopter et les précautions à prendre.
29 Ainsi, dans la période qui fait suite à la guerre civile, de nouvelles utilisations du terme dâhiye se font jour, liées à la construction sociale et politique de la banlieue sud opérée et vécue par une diversité d’acteurs.
Usages de la stigmatisation : construction identitaire, résistance et contestation
30 Pour les habitants de la banlieue sud, dâhiye ne signifie pas l’ensemble de la banlieue sud mais seulement sa partie orientale. En effet, l’histoire urbaine de la banlieue sud permet de la diviser en deux zones, orientale et occidentale, séparées par l’ancien boulevard nord-sud de l’aéroport. Cette limite est progressivement en train de se déplacer vers l’ouest, vers la direction de l’autoroute construite en 1998 liant l’aéroport au centre-ville et concrétisant la coupure de la dâhiye de sa partie littorale. La partie orientale est celle qui regroupe les anciens villages de Ghobeyri, Bourj Brajneh, Haret-Hreik et Mrayjeh. Elle est dite al-dâhiye al-qadîme (l’ancienne banlieue) ou al-dâhiye al-haqîqiyye/al-mazbûta (la banlieue vraie/exacte), dénomination, courante chez ceux qui habitent la banlieue depuis plusieurs décennies, également évoquée par certains cadres du Hizb’Allah. La partie occidentale était, jusque dans les années 1950, formée en grande partie de dunes de sable et dite al-rumûl (les sables) – un terme encore en usage aujourd’hui chez les vieux habitants [39]. Les résidents l’appellent aujourd’hui par les noms des quartiers de Bir Hassan, Ouzai, Jnah, Sabra, Chatila. Depuis 1996, cette partie est parfois désignée par le nom du projet Elyssar qui correspond par ailleurs à ses limites [40]. Ainsi, certains habitants ont recours à des termes géographiques (les noms de quartiers) et/ou administratifs (Elyssar) qui divisent l’espace en précisant ses spécificités spatiales et historiques, et contredisent ainsi l’homogénéité implicitement contenue dans l’unicité du terme dâhiye.
31 Des habitants originaires qui résident toujours dans la banlieue sud refusent la stigmatisation contenue dans dâhiye, et revendiquent l’usage du nom de leurs quartiers [41]. Ils acceptent néanmoins que ceux-ci forment un ensemble dont l’identité est chiite, mais refusent l’assimilation de leur chiisme aux acteurs politiques dont ils se démarquent. Pour eux la dâhiye n’est pas seulement Hizb’Allah ou Amal. Elle inclut des Chiites qui ne sont pas politisés, mais n’en sont pas moins chiites. Ils réclament cette identité en ayant recours à la dénomination administrative publique de leur ensemble géographique, celle de sâhel al-Metn al-janûbi (le littoral du Metn sud). Néanmoins, ce terme a été rapidement associé à une dimension politique autrement stigmatisante, puisqu’il a été revendiqué par un parlementaire chiite de la banlieue sud proche du Premier Ministre Hariri. Mais il demeure en usage chez des associations locales et montre le besoin chez certains de poser un terme concurrent à dâhiye et de faire savoir qu’il existe d’autres identités dans ce territoire que celle qui est dominante et la plus visible [42].
32 Ainsi, pendant que diverses démarches se réapproprient informellement le terme stigmatisant pour le préciser géographiquement (banlieue sud-est/banlieue sud-ouest), certaines le rejettent et en récupèrent un autre, lié à des qualificatifs administratifs précis, qui auraient pour fonction de neutraliser les significations négatives liées à la désignation de l’espace.
33 Du côté des acteurs politiques, les réappropriations des termes al-dâhiye al-janûbiyye suivent d’autres parcours, dont on peut identifier deux dimensions, l’une cachée et l’autre plus visible. La partie visible est inscrite dans les discours des dirigeants du mouvement Amal et du Hizb’Allah. Entre ces deux organisations des différences idéologiques importantes existent. Par exemple, si Amal continue à parler de dâhiyet al-mahrûmin (la dâhiye des déshérités), le Hizb’Allah met l’accent sur celle des mustad‘afin (affaiblis), manifestant par là une différence essentielle dans l’approche politique et sociale des chiites [43]. En effet, dans ses discours, le Hizb’Allah insiste sur le fait que l’État a sciemment et historiquement spolié les Chiites de leurs droits sociaux, économiques et politiques, et qu’ils doivent eux-mêmes se renforcer, se construire, se mobiliser afin de réclamer leurs droits et remédier aux injustices et aux inégalités dont la communauté souffre et qui l’affaiblissent [44]. Le mouvement Amal adopte d’autres approches pour un objectif différent : l’État a spolié les Chiites, mais la récupération de leurs droits s’effectue à travers l’accès direct aux institutions étatiques et la participation au système politique confessionnel ; l’État a une dette envers les Chiites qu’il se doit de respecter. Le mouvement exige des régulations et des ressources multipliant ses possibilités d’entrée dans le système politique et la greffe sur les agences publiques [45]. Ainsi, pour le Hizb’Allah, affirmer l’existence de la dâhiye, voire la revendiquer, étaie sa thèse du complot et légitime son agenda d’empowerment. Pour Amal, la revendication de la dâhiye confirme son rôle sociopolitique et légitime sa lutte pour intégrer les institutions de l’État, grâce auxquelles les ressources publiques pourront être redistribuées à la communauté.
34 Lorsqu’on s’éloigne des discours médiatisés des acteurs politiques pour prêter attention à leurs échanges verbaux interpersonnels, on est frappé par le fait que dâhiye n’est pas un terme fortement en usage entre eux et qu’ils ont recours à d’autres mots pour dire l’espace. Ceux-ci sont issus de la terminologie de la guerre ainsi que des découpages militaires que chaque acteur a institués pendant les combats et qui se sont cristallisés en 1989. Les découpages du mouvement Amal et du Hizb’Allah sont à peu près similaires. Amal divise la banlieue sud en cinq zones alors que le Hizb’Allah en adopte six (la sixième zone du Hizb’Allah est une subdivision d’une des zones du mouvement Amal) ; les zones de chaque acteur ont presque les mêmes limites, les différences se situant à une échelle inférieure de découpage [46].
35 Pour Amal, la dâhiye se divise en cinq manâtiq (régions) qui portent des noms de quartiers bien connus et en usage. Ces régions incluent des shu‘ab (groupements) dont les noms s’associent à des lieux communs aux habitants : shu‘bat al-jâmi‘ (le groupement de la mosquée), shu‘bat al-markaz, (du centre [du mouvement Amal]), shu‘bat al-‘ayn (de la source), shu‘bat al-sharq (de l’est), shu’bat al-madrasa (de l’école), etc. Dans quelques-uns des vingt-cinq groupements – les plus étalés – une troisième échelle de division existe, celle du quartier (hayy). Quant au Hizb’Allah, al-dâhiye est pour lui un seul qit‘a (secteur) formé de six murabba‘ât (carrés), qui se découpent en plusieurs khaliyyât (cellules). La khaliyya est une unité de division particulière puisqu’elle est à la fois géographique et fonctionnelle. C’est-à-dire que deux niveaux se superposent, voire s’imbriquent : la division en khaliyyât (cellules) n’est pas seulement spatiale, le murabba‘ regroupe plusieurs cellules dirigées par des responsables gérant une fonction particulière : l’éducation, l’aide financière, l’aide médicale, l’aide sociale, les équipements urbains, etc. Les fonctions sont étroitement liées aux organisations du Hizb’Allah qui encadrent ces différents champs.
36 En dehors des appellations militaires qui concernent plusieurs échelles du quartier, les acteurs politiques ont recours à des désignations plus institutionnalisées pour les rues et les places publiques, utilisant les noms des dirigeants du mouvement Amal et du Hizb’Allah et de leurs chefs spirituels, ainsi que les noms des martyrs de la Résistance islamique. Cette tendance à nommer l’espace et à afficher le marquage identitaire et politique s’est intensifiée considérablement après la fin de la guerre, notamment avec l’entrée des membres du Hizb’Allah au Parlement en 1992 et 1996, puis dans les conseils municipaux en 1998. Les municipalités de la banlieue sud ont déjà officiellement nommé plusieurs carrefours et ont érigé plusieurs effigies à la gloire de la Résistance.
37 Ainsi, il semble que les acteurs politiques ont créé une nouvelle toponymie qui leur est propre, et dont l’usage est surtout interne. Pour eux, dâhiye est un donné qu’ils ont construit, produit, consolidé, intégré et dépassé. Ce terme continue à servir leur visibilité à l’échelle nationale, à participer à leur politique de mobilisation et à légitimer leurs actions sociales.
Réappropriations des lexiques de la stigmatisation
38 Nous l’avons vu dans la première partie, les images mentales qu’évoque l’espace de la dâhiye ont été construites dans le temps par des acteurs institutionnels : des aménageurs, des experts, des décideurs politiques, mais aussi des chercheurs chargés de penser la banlieue sud. Ce sont eux qui produisent, mais aussi font circuler certains mots et registres stigmatisants, surtout les catégorisations établies en français ou en anglais avant d’être traduites en arabe [47]. Dans cette tâche, ils sont largement épaulés par les médias qui se réapproprient les catégories des stigmatisations et les perpétuent [48]. Ils recomposent ainsi les perceptions urbaines, sociales, économiques et politiques de l’espace. Ils accentuent les dichotomies et les couples binaires tels légal/illégal, moderne/sous-développé, équipé/sous-équipé, planifié/anarchique, rural/urbain. Les articles et enquêtes s’attardent sur le sous-équipement en infrastructures, les conditions de vie précaires dans les secteurs illégaux, le Hizb’Allah islamiste, une dâhiye densément chiite, l’État toujours absent de la banlieue sud, etc.
39 Les acteurs politiques et les aménageurs recyclent les mots de la stigmatisation pour légitimer la nécessité de leurs actions en banlieue sud, quelles qu’elles soient [49]. Les pourvoyeurs de biens et de services, tels le Hizb’Allah et le mouvement Amal, insistent périodiquement sur la précarité actuelle des quartiers pauvres de la banlieue sud et les problèmes urbains aigus relatifs aux secteurs irréguliers. Ils soulignent les inégalités sociales et économiques avec la ville, les reliant aux politiques publiques différentielles du gouvernement et aux perceptions négatives que les classes dirigeantes ont de la banlieue sud. Ainsi, ils entretiennent les représentations en cours et utilisent les mêmes approches analytiques, confirmant une lecture binaire des rapports de force et des configurations de pouvoir, et consolidant leur position hégémonique de seuls représentants des populations « opprimées ». Dans ce sens, ils se rendent indispensables d’abord auprès de ces populations qui demeurent captives de leurs services, puisque ceux de l’État ne sont pas disponibles et, ensuite, auprès des agences gouvernementales qui semblent se décharger (volontairement ?) de leurs responsabilités à leur égard.
40 Notons également que les acteurs politiques en banlieue sud créent aussi un discours réflexif qui conforte des lexiques en usage au sein de leurs propres sphères [50]. Ainsi, la notion de mujtama‘ al-muqâwama (la société de la résistance) propre au Hizb’Allah, qui prône la construction d’une culture chiite codifiée dans les multiples dimensions de la vie quotidienne, est relayée par nombre de livres et cassettes audio auprès des personnes qui veulent y adhérer. Elle est aussi propagée par les cheikhs du Hizb’Allah et leurs représentants, qui détaillent oralement les processus d’hygiène, de prière, de sexualité, d’éducation enfantine… selon des codes spécifiques, mais informels [51]. Ainsi, un vocabulaire concernant des pratiques de la vie quotidienne propres à un groupe est produit et entretenu.
41 Quant aux aménageurs de la ville, les discours de la stigmatisation urbaine leur conviennent parfaitement pour justifier leur volonté d’intervention sur la ville. Pour eux, le moyen le plus efficace pour réformer les habitants de la dâhiye est celui de l’aménagement urbain : une ville propre, régulière, organisée, structurée permettra aux habitants sales, anarchiques, chaotiques, informels de s’adapter aux codes urbains de la modernité (hadâra, tatawur) [52]. Les urbanistes pourront enfin produire un espace urbain adéquat à la bonne gouvernance.
42
Les chercheurs, notamment les étrangers pris par une sorte
d’exotisme néocolonial, ont généralement une fascination particulière pour
la dâhiye, plus spécifiquement pour le
Hizb’Allah. Ils participent à leur tour à la production de représentations
liées au parti, à son action sociale et politique, à l’espace où il intervient
et aux groupes qui y sont associés. Deux catégories de qualification
apparaissent par le biais de leurs travaux. Les unes, plutôt positives,
soulignent le caractère « performant » du Hizb’Allah ainsi que ses capacités
d’adaptation sociale et politique impressionnantes liées à son savoir-faire et
à son inscription territoriale « par le bas » [53]. Les autres, plus stigmatisantes, étudient son
fonctionnement global en tant qu’organisation à visée islamiste, dépendante de
l’Iran et de la Syrie, et privilégient la dimension « fondamentaliste » et
militaire du parti [54]. Certains scellent la coupure ville/banlieue et
mettent en exergue l’impossibilité dans laquelle se trouvent les « anciens
ruraux » d’intégrer les codes urbains :
Ce lexique stigmatisant légitime l’intervention des aménageurs et leur fournit les meilleures raisons pour raser les quartiers illégaux qui sont habités par des Chiites incapables de s’inscrire dans le cadre urbain et d’y participer, perpétuant ainsi le non-droit des Chiites « à la vie urbaine », au sens d’Henri Lefebvre [56]. Il montre la prégnance de la stigmatisation contre les Chiites.« Dislocated groups that converge on squatted settlements in the city center and urban fringe are generally strangers to city life. On the whole, they are dislodged, dispossessed and unanchored groups, traumatized by fear and raging with feelings of bitterness and betrayal. They are, so to speak, in but not of the city [souligné par l’auteur]. Hence, they have no attachments to, or appreciation of the areas they found themselves in, and are not likely to display any interest in safeguarding or enriching its character. To many, in fact, their makeshift settlements are merely places to occupy and amenities to exploit [55]. »
43
Les romanciers peuvent aussi participer à la construction
d’images stigmatisantes de la banlieue. Dans Poste restante Beyrouth, de Hanan el-Cheikh, la
narratrice évoque sa désorientation, mettant l’accent sur l’anarchie,
l’insalubrité, et le désordre, assimilant la dâhiye aux ruelles de Hong-Kong, et l’écartant
de toute appartenance à la capitale :
Ces corpus servent à nombre de doctorants étrangers qui viennent étudier le Hizb’Allah à partir de la banlieue sud. Ces derniers disséminent à leur tour ces mots et ces lexiques concernant les lieux et leurs habitants, et contribuent ainsi à en figer certains : à leur manière, ils cautionnent l’usage de ces dénominations en leur conférant la légitimité scientifique que l’on prête à la sphère académique « étrangère ».« Peut-être étais-je désorientée à l’idée que je n’étais, ni en banlieue [fî-l-dâhiye], ni à Beyrouth, mais dans le tumulte des ruelles de Hong-Kong. Cela allait du tintamarre des chaudronniers au réglage des machines ; j’avais du sable dans mes chaussures. Partout ce n’était qu’animaux égorgés, mouches, marchands de légumes, vendeurs de matelas, flaques d’eau, chansons à plein volume ; les gens déferlaient de partout ; des immeubles bizarres poussaient dans tous les sens, comme des branches [57]. »
44 * * *
45 Périphérie, dawâhi (banlieues), hizâm al-bû’s (ceinture de misère), dâhiye janûbiyye (banlieue sud), dâhiye…, la stigmatisation de la banlieue sud a eu plusieurs temps et a incorporé différents lieux. Nous avons essayé de montrer le processus de construction d’un lexique stigmatisant polarisé autour du mot dâhiye. Plusieurs catégories d’acteurs y participent, plus ou moins directement : des acteurs politiques et religieux, des habitants de la banlieue, des habitants extérieurs, des chercheurs, des étudiants de passage, des aménageurs, des écrivains… Tous ont façonné, et continuent de le faire, des significations et des valeurs associées à dâhiye – significations géographiques, administratives, politiques, identitaires, fonctionnelles, etc. Nous avons essayé d’en dessiner les principaux registres et de discuter leurs modes de légitimation.
46 Pour celui qui choisit de se promener dans les quartiers de la banlieue sud après la fin de la guerre, la dâhiye n’est visuellement pas très différente des autres quartiers populaires de la capitale. Hormis les quartiers illégaux qui forment près de 30 % de son territoire [58], le paysage de la majorité de la banlieue sud affiche immeubles résidentiels de qualité, rues des banques, zones industrielles, centres commerciaux, lieux de loisirs, et le même mobilier urbain que la capitale (ainsi que les palmiers méditerranéens indispensables à l’image du Beyrouth d’après-guerre promue par Rafik Hariri !). Cependant, si la dâhiye fait à la fois honte et peur au Libanais, et s’il vaut mieux la cacher au touriste et à l’investisseur étrangers, ce n’est pas seulement à cause de son paysage urbain, mais des représentations stigmatisantes qui y sont associées et que nous avons tenté de déconstruire. Celles-ci ont la vie dure, même si elles empruntent des chemins parfois détournés, et il semble bien que d’autres chapitres racontant le parcours encore inachevé de dâhiye restent à écrire.
ANNEXE
1. Discussions avec des étudiants de l’université Saint-Joseph (février 1998), de l’université libanaise (mars 1999), et de l’université américaine de Beyrouth (semestre hiver 1999-2000).
À travers nos enseignements, nous avons pu constituer un corpus portant sur dâhiye, basé sur des discussions avec les étudiants. Ces trois universités recrutent des populations estudiantines différentes : l’USJ est une université jésuite francophone privée regroupant principalement des jeunes chrétiens qui, dans leur grande majorité, ne connaissent pas la banlieue sud ; l’UL est l’université publique libanaise dont les étudiants viennent d’une classe moyenne qui a plus de possibilités de contact avec la dâhiye ; enfin l’UAB est une université privée fréquentée par une élite très peu en contact avec des quartiers comme ceux de la banlieue.
2. Discussions avec des habitants de la banlieue sud.
Nos relations personnelles avec plusieurs personnes résidant en banlieue sud ont également alimenté nos observations sur les lexiques utilisés par les uns et les autres – selon leurs lieux d’origine, leurs profils professionnels, et leurs trajectoires.
3. Entretiens avec divers responsables du mouvement Amal, du Hizb’Allah, et du conseil d’administration d’Elyssar et de l’agence Dar al-Handasah, consultants pour Elyssar.
4. Articles de presse de quotidiens libanais.
5. Rapports non publiés de l’administration publique libanaise :
- République libanaise, Agence publique Elyssar, The Elyssar Project : Feasibility Study, Beyrouth, Dar al-Handasah, rapport non publié, 1997.
- République libanaise, Machru‘ inmâ’ al-dawâhî wa inchâ’ al-autostradât (al-qanûn 246) ; khitta inmâ’iyya li raf‘ mistawa al-khadamât fî dawâhî bayrut wa raf‘ mistawa ma‘ichat sukkaniha wa tahsîn madâkhil al-’asima [Projet de développement des banlieues et de construction d’autoroutes (loi n° 246) ; plan de développement pour améliorer les services dans les banlieues de Beyrouth, le niveau de vie de ses habitants et les accès à la capitale], Beyrouth, rapport non publié, 1994.
- République libanaise, Birnamij inmâ’i lil-dâhiya al-janûbiyya li madinat bayrut [Programme de développement pour la banlieue sud de Beyrouth], Beyrouth, Comité de développement de la banlieue sud, rapport non publié, 1990.
Notes
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[1]
Selon le lieu et le statut du terrain (propriété waqf, mushâa, publique, municipale, par actions, privée), l’illégalité revêt différentes formes et se situe à plusieurs niveaux. Elle peut concerner le foncier et/ou la législation de la construction.
-
[2]
La banlieue sud s’étend entre la ville de Beyrouth et l’aéroport. Les habitants de la capitale ont donc assez souvent l’occasion de la traverser. Depuis 1998, une nouvelle voie rapide reliant le centre-ville à l’aéroport permet désormais de la franchir sans s’y attarder visuellement.
-
[3]
Jean-Pierre Gaudin, « L’urbanisme au Levant et le mandat français », Architectures françaises outre-mer, Liège, P. Mardaga, 1992, p. 190.
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[4]
Ibid., p. 192.
-
[5]
Wafa Charafeddine, « La banlieue-sud de Beyrouth : structure urbaine et économique », thèse de doctorat en urbanisme, université de Paris VIII, 1987, p. 289.
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[6]
André Bourgey et Jean Pharès, « Les bidonvilles de l’agglomération beyrouthine », Revue de géographie de Lyon, vol. 48, n° 2, 1973, pp. 107-139.
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[7]
Voir par exemple : Fouad Khuri, From Village to Suburb. Order and Change in Greater Beirut, Chicago, University of Chicago Press, 1975 ; A. Bourgey, « L’évolution des banlieues de Beyrouth durant les deux dernières décennies », actes du colloque « Les espaces sociaux de la ville arabe » (non publié, dactylographié), Carthage, 1979 ; Jean Pharès, Une société banlieusarde dans l’agglomération de Beyrouth. Étude sociologique de certains aspects du développement suburbain, Beyrouth, Université libanaise, 1977.
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[8]
Entretiens avec des habitants de la banlieue sud.
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[9]
Voir notamment Claude Dubar et Salim Nasr, Les classes sociales au Liban, Paris, PFNSP, 1976.
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[10]
Voir A. Bourgey, « L’évolution des banlieues… », op. cit., et J. Pharès, Une société banlieusarde… op. cit., ainsi que Farid Bouzeid, « Hayy el-Sellom : un quartier à réaménager », mémoire de DESS en urbanisme, université de Paris VIII, 1985.
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[11]
Hussein Charafeddine, Al-imam Moussa al-Sadr, mahattat tarikhiyya, Iran, Najaf, Lubnan (L’imam Moussa al-Sadr. Étapes historiques : l’Iran, le Najaf, le Liban), Beyrouth, Dar al-arqam, 1996, pp. 127-128.
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[12]
République libanaise, Direction générale de l’urbanisme (DGU), Livre Blanc-Beyrouth 1985-2000, 1973, p. 24.
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[13]
Ibid., p. 27.
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[14]
République libanaise, DGU, Mission franco-libanaise pour le schéma d’aménagement de Beyrouth et sa banlieue, Banlieue sud de Beyrouth, mission exploratoire, Beyrouth, 1983.
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[15]
Voir nos articles sur ces questions : Mona Harb el-Kak, « Urban Governance in Post-War Beirut : Resources, Negotiations, and Contestations in the Elyssar Project », in Seteney Shami (éd.), Capital Cities : Ethnographies of Urban Governance in the Middle East, Toronto University Press, 2001, pp. 111-133 ; M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours sur l’aménagement de la banlieue-sud : le projet Elyssar », in Jean-Luc Arnaud (éd.), Beyrouth, Grand-Beyrouth ?, Beyrouth, Cermoc, 1997, pp. 191-207.
-
[16]
W. Charafeddine, « Formation des secteurs illégaux dans la banlieue-sud de Beyrouth », DESS en urbanisme, Paris, université de Paris VIII, 1985, pp. 141-142.
-
[17]
S. Nasr, « La transition des Chiites vers Beyrouth : mutations sociales et mobilisation communautaire à la veille de 1975 », in Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain, Mouvements communautaires et espaces urbains au Machreq, Beyrouth, Cermoc, 1985, pp. 87-116.
-
[18]
« Les bidonvilles dans lesquels les quartiers pauvres chiites ont été construits durant le quart de siècle dernier n’étaient pas des endroits où des hommes soucieux de leur estime de soi pouvaient s’exprimer ». Fouad Ajami, The Vanished Imam. Musa al-Sadr and the Shia of Lebanon, Ithaca and London, Cornell University Press, 1987, p. 119.
-
[19]
Le tiers des immeubles de la banlieue sud datent de la période de la guerre civile d’après les recensements de l’Administration centrale de la statistique en 1996.
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[20]
Les husayniyyât sont des salles ou bâtiments propres à la communauté chiite, évoquant la mémoire de l’imam Hussein, qui servent de lieux multifonctionnels où se tiennent des commémorations religieuses, des condoléances, des réunions municipales, des assemblées familiales, etc.
-
[21]
Nous avons notamment observé ces différences lors des funérailles et des condoléances où, chez les familles migrantes, les pleureuses expriment vivement leur douleur par des cris et des gestes évoquant la mémoire de l’imam Hussein. Ces pratiques ostentatoires dérangent celles plus modérées des familles originaires qui se trouvent d’ailleurs de plus en plus marginalisées dans ces réunions.
-
[22]
L’échelle et le statut réglementaire des investissements varient d’un lieu à l’autre. À Ouzai et Jnah, deux secteurs illégaux, les activités économiques sont toutes non-réglementaires, mais n’empêchent pas une desserte économique qui va jusqu’à Beyrouth (ameublement, maintenance et réparation de voitures, industrie du bâtiment). À Bir al-Abed et Haret-Hreik, quartiers anciens de la banlieue sud-est, les secteurs de l’édition, des banques et assurances, du vestimentaire, de la promotion immobilière permettent à la banlieue sud de se constituer en centre économique relativement autonome.
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[23]
Au Liban, le vote s’effectue dans la région d’origine de l’électeur qui y a été inscrit. Ainsi parmi les cinq cent mille personnes qui habitent la banlieue sud, seules les 30% qui y sont inscrites votent pour les députés au Parlement et les conseils municipaux. Le reste des habitants vote dans leurs villages d’origine au Sud-Liban et à la Béqaa, lieux où la présence du mouvement Amal et du Hizb’Allah est très forte.
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[24]
Aujourd’hui, les originaires forment 20 à 30% de la population de la banlieue sud.
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[25]
Voir M. Harb el-Kak, Politiques urbaines dans la banlieue sud de Beyrouth, Beyrouth, Cermoc, cahier n° 14, 1996.
-
[26]
Depuis 1992, le dirigeant du mouvement Amal, Nabih Berry, est président de l’Assemblée nationale. Aussi, depuis cette date, le mouvement a eu plusieurs ministres au sein du gouvernement Hariri ainsi que des députés suite aux élections législatives de 1992 et 1996. Les portefeuilles ministériels ainsi que la position de pouvoir de N. Berry a valu aux membres du mouvement Amal plusieurs postes de première catégorie au sein des administrations de l’État.
-
[27]
La banlieue sud s’étend du « Sud de la capitale » jusqu’à l’aéroport et de la mer, à l’ouest, et, à l’est, jusqu’à l’ancienne route de Beyrouth-Saïda.
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[28]
Ce qualificatif signifie les Chiites du Liban sud. Sa racine renvoie à « ceux qui sont avec [l’imam] Ali », le gendre du Prophète, que les Chiites considèrent comme son successeur légitime. Le terme est le plus souvent utilisé par les Sunnites d’une manière péjorative, se substituant à « chiite ». Une plaisanterie y est associée : elle renvoie à l’approximation de la prononciation du terme metwalî en français qui donnerait la locution « mets-toi au lit ». Ce jeu de mots est utilisé pour souligner la différence sociale existant entre Sunnites et Chiites, qui serait inscrite historiquement pendant la période du mandat français où les autorités mandataires employaient des chiites pour des travaux subalternes. Elle souligne notamment l’étendue de la stigmatisation dont les Chiites sont l’objet de la part des Sunnites. Voir aussi F. Ajami, The vanished imam…, op. cit. p. 55.
-
[29]
Discussions avec des étudiants libanais.
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[30]
Entretien avec le président du conseil d’administration d’Elyssar. Voir aussi M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours… », op. cit.
-
[31]
Voir par exemple : Nizar Hamzeh, « Lebanon’s Hizbullah : from Islamic Revolution to Parliamentary Accommodation », Third World Quarterly, vol. 14, n° 2, 1993, pp. 321-337 ; Judith Harik, « Between Islam and the System. Sources and Implications of Popular Support for Lebanon’s Hizballah », Journal of Conflict Resolution, vol. 40, n° 1, 1996, pp. 41-67 ; Augustus Richard Norton, Hezbollah of Lebanon : Extremist Ideals vs. Mundane Politics, New York, Council on Foreign Relations, 1999.
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[32]
Cette « libanisation » est confirmée, par exemple, par les visites qu’effectuent les responsables du gouvernement libanais au secrétaire général du Hizb’Allah, en banlieue sud, à l’occasion d’opérations réussies de la Résistance.
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[33]
Entretiens avec des habitants de la banlieue sud et avec des dirigeants des ONG du Hizb’Allah.
-
[34]
Discussions avec des étudiants libanais.
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[35]
Il est difficile de parler d’État au sens régalien au Liban, dans un contexte où « l’État structure les communautés autant que les communautés structurent l’État » ; lire à ce sujet Nadine Picaudou, La déchirure libanaise, Paris, Complexe, 1989, pp. 65 et 81. Quelle est la nature et le rôle de l’État libanais étant donné le poids politique des acteurs communautaires ? Nous pensons qu’il vaut mieux parler de système politique plutôt que d’État au Liban. Voir à ce propos : Élizabeth Picard, « Les habits neufs du communautarisme libanais », Cultures et conflits, n° 15-16, 1995, pp. 49-70.
-
[36]
Discussions avec des étudiants libanais.
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[37]
Entretiens avec des habitants de la banlieue sud qui n’appartiennent ni à la mouvance du Hizb’Allah ni à celle du mouvement Amal.
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[38]
Il est intéressant de noter cette idée de « pénétration » et « d’entrée » en banlieue sud, qui montre comment l’espace est bien délimité dans l’inconscient des gens qui évoquent le sentiment éprouvé d’un franchissement de frontière.
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[39]
Entretiens avec des habitants de la banlieue.
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[40]
Ibid.
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[41]
Entretiens avec des habitants originaires de la banlieue l’ayant quittée pour Beyrouth à cause des « changements politiques » qui y ont eu lieu.
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[42]
Entretien avec une habitante originaire de la banlieue.
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[43]
Entretiens avec un dirigeant du mouvement Amal et plusieurs cadres du Hizb’Allah. Voir aussi Mona Fawaz, Islam, Resistance and Community Development, The Case of the Southern Suburb of Beirut City, rapport de masters in City Planning, Boston, MIT, juin 1998, non publié.
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[44]
Entretien avec un cadre fondateur du Hizb’Allah, aujourd’hui responsable de son centre de recherches.
-
[45]
Entretien avec le délégué du mouvement Amal au sein du conseil d’administration d’Elyssar.
-
[46]
Les considérations qui suivent sont basées sur des entretiens avec les responsables des services sociaux chez le mouvement Amal et chez le Hizb’Allah.
-
[47]
Nous pensons aux concepts de banlieue, de périphérie, de société banlieusarde, d’illégalité, de modernité, de précarité urbaine, d’hygiène, d’urbanisme moderne, etc.
-
[48]
Voir notamment : « De Jourat al-Dahab à Bir Hassan et Maramil : des illégaux imposent des indemnités sur l’État », Al-Nahar, 18 février 1997, p. 7 ; « Lifting en deux ans sous l’égide d’Elyssar », Magazine, 23 juin 1995, pp. 24-25.
-
[49]
Entretiens avec les responsables du mouvement Amal et du Hizb’Allah au sein du conseil d’administration d’Elyssar. Entretiens avec les aménageurs du projet Elyssar. Voir M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours… », op. cit.
-
[50]
Voir notamment : CCED (Centre consultatif d’études et de documentation ), La réalité et les besoins en services et en développement dans la banlieue sud, Haret-Hreik, CCED, 1993, rapport non publié ; CISED (Centre Imam al-Sadr pour les recherches et les études), Ta’assisan li mujtamaa’ muqawem (Fondations pour une société de la résistance), Beyrouth, 2000 ; Naïm Kassem, Hizb’Allah : la méthode, l’expérience, l’avenir, Beyrouth, Dar al-Hadi, 2002.
-
[51]
Ces affirmations sont basées sur nos observations dans divers quartiers de la banlieue sud et des entretiens avec des habitants.
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[52]
Entretiens avec les aménageurs-consultants d’Elyssar, et le président du conseil d’administration d’Elyssar. Voir M. Harb el-Kak, « L’espace dans les discours… », op. cit. Voir aussi : République libanaise, Agence publique Elyssar, The Elyssar Project : Feasibility Study, Beyrouth, Dar al-Handasah, 1997, rapport non publié.
-
[53]
Voir M. Harb el-Kak, Politiques urbaines…, op. cit., M. Fawaz, Islam, Resistance …, op. cit. ; Waddah Charara, Dawlat Hizbu’llah, Lubnan mujtama‘un islamiyyun (L’État Hezbollah. Le Liban comme société islamiste), Beyrouth, Dar al-Nahar, 1996 ; Amal Saad-Ghorayeb, Hizbu’llah, Politics and Religion, Londres, Pluto Press, 2002.
-
[54]
Par exemple : Hala Jaber, Hezbollah. Born with a Vengeance, New York, Columbia University Press, 1997 ; Martin Kramer, « La morale du Hizbollah et sa logique », Maghreb-Machreq, n° 119, 1988, pp. 39-59 ; Toufic Al-Madini, Amal wa Hizbu’lla fi hilbat al-mujâbahât al-mahalliyya w-al-iqlîmiyya (Amal et le Hezbollah dans l’arène des conflits locaux et régionaux), Damas, al-Ahali, 1999.
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[55]
« Les groupes déplacés de force qui se concentrent dans les quartiers squattés au centre-ville et dans la périphérie urbaine sont généralement des étrangers à la vie urbaine. Globalement, ils sont sans logis, sans propriété et sans racines, traumatisés par la peur, remplis de rage et de sentiments d’amertume et de trahison. Ils sont, de la sorte, dans mais pas de la ville. Par conséquent, ils ne s’attachent pas aux, ou n’apprécient pas les endroits dans lesquels ils se sont trouvés, et ne pourront sans doute pas exprimer d’intérêt quelconque à leur protection ou à leur enrichissement. En fait, pour beaucoup, ces quartiers précaires forment uniquement des endroits à occuper et des services à exploiter. » Samir Khalaf, Beirut Reclaimed, Beyrouth, Dar an-Nahar, 1993, p. 119.
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[56]
Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968, p. 121.
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[57]
Hanan el-Cheikh, Barîd Bayrût, Le Caire, Al-Hilâl, 1992, p. 22 (trad. fr., Michel Burési et Jamal Chehayed : Poste restante Beyrouth, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes arabes », 1995, p. 30).
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[58]
W. Charafeddine, « La banlieue-sud de Beyrouth… », op. cit.