Genèses 2001/1 no42

Couverture de GEN_042

Article de revue

Transactions intimes

Pages 121 à 144

Notes

  • [1]
    Pour une étude et une synthèse quant à la place de la confiance dans la structure sociale, voir Bernard Barber, The Logic and Limits of Trust, New Brunswick, N. J., Rutgers UP, 1983.
  • [2]
    Pour un exposé de la thèse que de tels circuits naissent d’interactions sociales à petite échelle, voir Randall Collins, « Situational Stratification : A Micro-Macro Theory of Inequality », Sociological Theory, vol. 18, 2000, pp. 17-43.
  • [3]
    Robert Kuttner, Everything For Sale : The Virtues and Limits of Markets, New York, Knopf, 1997. Pour une perspective française parallèle, voir Viviane Forrester, L’horreur économique, Paris, Fayard, 1996.
  • [4]
    Jeremy Rifkin, The Age of Access, New York, Jeremy P. Tarcher/Putnam, 2000, p. 241.
  • [5]
    Pour des conceptions culturelles et politiques, voir notamment Kathleen Barry, The Prostitution of Sexuality, New York, New York UP, 1995 ; Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1990 ; Bodies that Matter, New York, Routledge, 1993 ; Wendy Chapkis, Live Sex Acts, New York, Routledge, 1997 ; Heidi Hartman, « The Family as the Locus of Gender, Class, and Political Struggle : the Example of Housework », Signs : Journal of Women in Culture and Society, vol. 6, 1981, pp. 366-394 ; Arlie Hochschild, The Managed Heart, Berkeley, University of California Press, 1983 ; Thomas Laqueur, Making Sex : Body and Gender from the Greeks to Freud, Cambridge, Mass., Harvard UP, 1990 ; Gayle Rubin, « The Traffic in Women : Notes on the “Political Economy” of Sex » in Rayna Rapp (éd.), Toward an Anthropology of Women, New York, Monthly Review Press, 1975.
  • [6]
    Richard A. Posner, Sex and Reason. Cambridge, Mass., Harvard UP, 1997 (1re éd. 1992).
  • [7]
    David D. Friedman, Law’s Order, Princeton, N. J., Princeton UP, 2000.
  • [8]
    Talcott Parsons, « The Changing Economy of the Family », in The Changing Economy of the Family : Report of an Interdisciplinary Seminary, Washington D. C., American Council of Life Insurance, 1978, p. 15.
  • [9]
    Harrison C. White, « Varieties of markets » in B. Wellman and S. D. Berkowitz (éd.), Social Structure : A Network Approach, New York, Cambridge UP, 1988, p. 232.
  • [10]
    Chris and Charles Tilly, Work under Capitalism. Boulder, Colorado, Westview, 1998, p. 22.
  • [11]
    Nicole Woolsey Biggart, Charismatic Capitalism, Chicago, University of Chicago Press, 1989.
  • [12]
    Viviana A. Zelizer, The Social Meaning of Money, New York, Basic Books, 1994.
  • [13]
    Dan M. Kahan, Mémoire inédit, Yale Law School, octobre 1999.
  • [14]
    Pour un examen plus complet de cette question, voir V. A. Zelizer, « The Purchase of Intimacy », Law & Social Inquiry, vol. 25 (Summer) 2000, pp. 817-848. Pour ce qui est de la pratique juridique, voir aussi Ann Laquer Estin, « Love and Obligation : Family Law and The Romance of Economics », William and Mary Law Review, vol. 36, 1995, pp. 989-1087 ; Beverly Horsburgh, « Redefining the Family : Recognizing the Altruistic Caretaker and the Importance of Relational Needs », University of Michigan Journal of Law Review, vol. 25, 1992, pp. 423-504 ; Katharine Silbaugh, « Turning Labor Into Love : Housework and the Law », Northwestern University Law Review, vol. 91, 1996 (Fall), pp. 1-85.
  • [15]
    Steven P. Crowley et Jon D. Hanson, « The Nonpecuniary Costs Of Accidents : Pain-And-Suffering Damages In Tort Law », Harvard Law Review, vol. 108, 1995, pp. 1785-1917.
  • [16]
    Margaret Jane Radin, Contested Commodities, Cambridge, Mass., Harvard UP, 1996.
  • [17]
    Margaret F. Brinig, From Contract to Covenant : Beyond the Law and Economics of the Family, Cambridge, Mass., Harvard UP, 2000.
  • [18]
    Lawrence Lessig, « The New Chicago School », The Journal of Legal Studies, vol. 27, 1998, pp. 661-691.
  • [19]
    Outre D. M. Kahan, Mémoire…, op. cit, voir L. Lessig, « The Regulation of Social Meaning », The University of Chicago Law Review, vol. 62, 1995, pp. 943-1045 ; « Social Meaning and Social Norms », University of Pennsylvania Law Review, n° 144, 1996, pp. 2181-2189 ; « The New Chicago School », op. cit.
  • [20]
    Cass Sunstein, Free Markets and Social Justice, New York, Oxford UP, 1997, p. 36.
  • [21]
    Sur la question de la commensurabilité, voir Wendy Nelson Espeland et L. Stevens Mitchell, « Commensuration as a Social Process », Annual Review of Sociology, vol. 24, 1998, pp. 313-343.
  • [22]
    C. Sunstein, Free Markets…, op. cit., p. 75.
  • [23]
    Ibid., p. 76.
  • [24]
    Ibid., p. 98.
  • [25]
    Ibid., p. 41.
  • [26]
    Carol Rose, « Rhetoric and Romance : A Comment on Spouses And Strangers », Georgetown Law Journal, vol. 82, sept. 1994, pp. 2409-2421.
  • [27]
    Reva B. Siegel, « The Modernization of Marital Status Law : Adjudicating Wives’ Rights to Earnings, 1860-1930 », Georgetown Law Journal, vol. 82, sept. 1994, pp. 2139-2140.
  • [28]
    Joan Williams, Unbending Gender : Why Family and Work Conflict and What to Do About It, New York, Oxford UP, 2000.
  • [29]
    Pour une introduction à un choix d’études sociales concernant les soins au personnes, voir Francesca M. Cancian et J. Oliker Stacey, Caring and Gender. Thousand Oaks, California, Pine Forge Press, 2000.
  • [30]
    Paula England et Nancy Folbre, « The Cost of Caring », in Ronnie J. Steinberg and Deborah M. Figart (éd), « Emotional Labor in the Service Economy », Special issue of The Annals of the American Academy of Political And Social Science, n° 561, janv. 1999, pp. 39-51.
  • [31]
    Deborah Stone, « Why We Need a Care Movement », The Nation, vol.13, mars 2000, pp. 13-15.
  • [32]
    Susan Himmelweit, « Caring Labor », in R. J. Steinberg and D. M. Figart (éd.), « Emotional Labor…» op. cit., pp. 27-38.
  • [33]
    D. Stone, « Care and Trembling », The American Prospect, vol. 43, 1999, pp. 61-67.
  • [34]
    Pour des exemples européens de variation des types de soins payés et de manipulation semblable des systèmes de paiement pour s’adapter aux relations, voir Clare Ungerson, « Gender, Cash, and Informal Care : European Perspectives and Dilemmas », Journal of Social Policy, vol. 21, 1995, pp. 31-52.
  • [35]
    Julie A. Nelson, « Labour, Gender and the Economic/Social Divide », International Labour Review, n° 137, 1998, pp. 44.
  • [36]
    J. A. Nelson, « Of Markets and Martyrs : Is It OK To Pay Well For Care ? », Feminist Economics, vol. 5, 1999, pp. 56.
  • [37]
    J. A. Nelson, « Labour, Gender… », op. cit., p. 33.
  • [38]
    J. A. Nelson, « Of Markets and Martyrs… », op. cit., p. 56.
  • [39]
    J. A. Nelson, « One Sphere or Two ? », in V. A. Zelizer (éd.), Special Issue on « Changing Forms of Payment », American Behavioral Scientist, vol. 41, 1998, pp. 1470.
  • [40]
    Ibid., p. 1470.
  • [41]
    Voir Nancy Cott, The Bonds of Womanhood, New Haven, Yale UP, 1977 ; Jeanne Boydston, Home & Work, New York, Oxford UP, 1990.
  • [42]
    Voir Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering : Psychoanalysis and the Sociology of Gender, Berkeley, University of California Press, 1978 ; Carol Gilligan, In A Different Voice : Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Mass., Harvard UP, 1982.

1 Loin de se produire dans un monde impersonnel, les transferts d’argent dépendent normalement des relations sociales intimes et les définissent. Prenons l’affaire qui fait jurisprudence opposant en 1971 Pascarelli au Commissioner (55 Tax Court 1082). Lillian Pascarelli, la requérante, avait vécu plusieurs années avec Anthony DeAngelis mais sans jamais se marier. Pendant la période de vie commune, A. DeAngelis avait transféré d’importantes sommes d’argent à L. Pascarelli. Elle, dans cette même période, « faisait sa lessive et son ménage, lui achetait des vêtements et accomplissait des tâches d’épouse. » La collaboration de L. Pascarelli ne s’arrêta pas là. Elle s’occupa de recevoir dans leur maison commune les associés d’A. DeAngelis et sortit leurs femmes au restaurant ou dans les magasins.

2 L’administration des impôts considéra que l’argent reçu par L. Pascarelli au cours de ces années constituait un dédommagement pour services rendus et donc un revenu imposable. Le tribunal, en revanche, estima que « la requérante et M. DeAngelis entretenaient des liens très étroits et que les services qu’elle avait rendus en recevant les associés de ce dernier relevaient d’un esprit de coopération semblable à celui qui pousserait une épouse à remplir de tels devoirs pour aider son mari à réussir en affaires, et non dans le but d’obtenir un dédommagement. » « Les raisons principales de M. DeAngelis dans le transfert de fonds à la requérante », devait conclure le tribunal, « étaient l’amour et l’affection et une générosité désintéressée. » Le jugement retenait aussi des caractéristiques particulières de la cohabitation de L. Pascarelli et A. DeAngelis. Du fait qu’elle avait des enfants adolescents, ils faisaient chambre à part dans la maison mais en voyage « ils vivaient comme mari et femme ».

3 Le tribunal jugea que les transferts monétaires constituaient des dons et non des dédommagements pour services rendus.

4 Une affaire différente de 1977, opposant Jones au Commissioner (T.C. Memo, 329) examina les sommes transférées par « James », un grand-père marié, à la requérante, Lyna Kathryn Jones, une barmaid. L. K. Jones fit la connaissance de James au restaurant Fann et Bill d’Atlanta. Ils eurent un rapport sexuel à l’hôtel où il logeait et il lui donna de l’argent. Dans l’année qui suivit, chaque fois que James se rendit à Atlanta, ils se revirent et non seulement il donna de l’argent à L. K. Jones mais il lui offrit des vêtements et même une bague de 450 dollars à Noël. Considérant que l’argent qu’elle recevait de James constituait des dons, L. K. Jones ne les déclara pas comme revenus imposables. Aux arguments selon lesquels elle était une prostituée et que James était l’un de ses nombreux clients, L. K. Jones au cours du procès répondit que « une fois établie sa relation avec James, elle était “une femme entretenue” et ne pratiquait pas la prostitution. »

5 Le tribunal écarta les accusations de prostitution comme étrangères au débat, considérant que quelle qu’ait été sa profession, l’argent qu’elle avait reçu de James ne pouvait être considéré comme des dons : « James donna cet argent à la requérante parce que la requérante avait des relations sexuelles avec lui quand il était à Atlanta… James n’avait pas donné d’argent à la requérante par sentiment d’affection, de respect, d’admiration, de charité ou toute autre motivation comparable. » « La requérante elle-même », indiquait le jugement, « a déclaré que “James en avait eu pour son argent”. » Le tribunal jugea en conséquence que les paiements de James constituaient des dédommagements pour service rendu et non des dons.

6 Par leurs jugements les tribunaux ont donc décidé qu’il y avait une différence. Mais pourquoi ? Dans les deux cas, des personnes non mariées ont entretenu sur une longue période des relations intimes et l’homme a donné de l’argent à la femme. Pourtant, les tribunaux ont jugé que, dans le premier cas, les transferts monétaires avaient valeur de dons alors que, dans le second, ils avaient valeur de dédommagement pour service rendu.

7 Regardons de plus près. Malgré l’opinion répandue que la loi juge l’action et l’intention individuelles, et malgré les concessions des jugements au langage de l’intention, les décisions dans ces deux affaires qui font jurisprudence n’ont pas dépendu des actes effectivement accomplis par les personnes en cause, ni de leurs intentions conscientes au moment où elles les accomplissaient, ni du caractère licite ou non de ces actes aux yeux de la loi. Juges et avocats semblent s’être accordés sur ces questions. Les décisions ont tenu, en revanche, aux qualifications des relations entre les personnes en cause : mari-épouse, client-prostituée, employeur-employée, maître-domestique, amant-maîtresse ou d’autres encore. De même qu’un observateur qui voit une femme tendre un billet de cent francs à un homme est incapable de dire si ce transfert monétaire est un pourboire, un pot-de-vin, un salaire, une pension, un achat régulier ou tout autre sorte de paiement sans s’être renseigné sur les rapports de ces deux personnes, de même les tribunaux ne peuvent décider si les transferts dans les affaires en question constituent des dons, des droits ou des dédommagements tant qu’ils n’ont pas déterminé les rapports existant entre les personnes. Le jugement dans Commissioner contre Duberstein de 1960 (363 U.S. 278,285) faisait depuis longtemps de l’intention du donneur un élément crucial pour la qualification d’un transfert comme don. C’est pourquoi les juges ont traduit les constatations relatives aux relations en termes d’intention individuelle. Les tribunaux doivent parvenir à des appréciations comparables chaque fois qu’ils traitent de transactions entre responsables publics, adjudicataires et membres de firmes privées.

8 Pourtant, dans nos deux affaires, le mélange d’intimité et de transferts monétaires rend cette appréciation problématique pour la loi. Et ce qui rend ces cas problématiques c’est le présupposé le plus souvent implicite, mais profond, qu’argent et intimité relèvent de sphères séparées. Les juges distinguent les relations selon des principes très puissants. Certaines relations intimes sont de la prostitution : elles consistent essentiellement en un échange de satisfactions sensuelles contre de l’argent, alors que d’autres relations intimes appartiennent au domaine tout à fait distinct de l’affection légitime. Au quel cas, les transferts d’argent ont valeur de don. La distinction repose sur une frontière très nette entre deux mondes différents.

9 Les cours de justice ne font que puiser dans un ensemble plus vaste de dichotomies. Tels des girafes retournant au même bon vieux point d’eau, ceux qui étudient la société considèrent depuis le xixe siècle que le monde social s’organise autour de principes concurrents et incompatibles : Gemeinschaft ou Gesellschaft, statut ou réussite, sentiment ou rationalité, solidarité ou intérêt personnel. Les mélanger, selon la théorie, revient à les contaminer l’un et l’autre : l’invasion du monde sentimental par la rationalité instrumentale a pour effet de le dessécher tandis que l’introduction du sentiment dans les transactions rationnelles entraîne inefficacité, favoritisme, copinage et autres formes de corruption. Boire de cette eau est souvent cause d’indigestion intellectuelle, comme c’est le cas de l’idée insoutenable que des marchés du travail non régulés offriraient les meilleures solutions à tous les participants. Pourtant les spécialistes des sciences sociales – y compris les sociologues de l’économie – continuent de venir s’abreuver à ces eaux impures.

10 Nulle part le dogme de l’incompatibilité des principes n’a fait plus de mal que dans l’analyse des relations sociales intimes. Que ce soit de manière explicite ou implicite, la plupart des spécialistes s’accordent avec les gens ordinaires pour estimer que l’irruption d’instruments tels que les moyens monétaires ou le décompte des frais dans les domaines de la prise en charge d’enfants ou d’adultes, de l’amitié, de la sexualité, des relations enfants-parents et de l’information personnelle les vide de leur richesse, d’où l’idée que les espaces d’intimité doivent, pour bien fonctionner, s’entourer de barrières de protection. Il se forme ainsi une conception de « mondes antagonistes » : domaines soigneusement séparés dont la saine gestion requiert des frontières bien tracées.

11 Insatisfaits de tels dualismes et désireux de présenter des tableaux unitaires de la vie sociale, des critiques des « mondes antagonistes » ont, à l’occasion, répliqué par des arguments réductionnistes du type « rien d’autre que » : le monde apparemment distinct des relations sociales intimes n’est alors rien d’autre que le cas particulier d’un certain principe général. Les tenants du « rien d’autre que » se divisent en fonction de trois principes : rien d’autre que la rationalité économique, rien d’autre que la culture, rien d’autre que la politique. Ainsi pour les tenants du réductionnisme économique, prise en charge, amitié, sexualité, relations enfants-parents deviennent des cas particuliers d’une rationalisation de choix individuels sous contrainte – bref, des cas particuliers de rationalité économique. Pour les réductionnistes culturels, ces phénomènes deviennent l’expression de croyances distinctes. D’autres insisteront sur les fondements politiques, coercitifs et exploiteurs de ces mêmes phénomènes.

12 Ni les formulations en « mondes antagonistes » ni les réductionnismes « rien d’autre que » ne conviennent pour traiter de l’intersection entre les liens sociaux intimes et les institutions normatives telles que l’argent, les marchés, les bureaucraties et les associations spécialisées. Les observateurs attentifs de ces institutions y relèvent toujours la présence, quand ce n’est pas la prolifération, de liens intimes. Si nous voulons décrire et expliquer ce qui se produit dans ces domaines, il nous faut dépasser les « mondes antagonistes » ou les « rien d’autre que » pour analyser des liens différenciés. Il faut reconnaître que dans toutes sortes de contextes sociaux les gens discriminent nettement entre différentes sortes de rapports interpersonnels, les repérant par des noms, des symboles, des pratiques et des canaux d’échange particuliers. Ces liens différenciés s’agrègent en circuits distinctifs, dont chacun intègre certaines différences dans les manières de s’entendre, les pratiques, informations, obligations, droits, symboles et canaux d’échange.

13 Des liens différenciés se forment dans tous les secteurs de la vie sociale, par exemple dans les établissements d’éducation, l’armée, les églises, les grandes entreprises et les associations. Comme c’est dans l’analyse des transactions intimes que les formulations du type « mondes antagonistes » et « rien d’autre que » ont causé le plus de confusions, concentrons-nous ici sur les problèmes posés par la prise en charge, l’amitié, la sexualité et les relations parents-enfants.

14 Pour ce qui est des transactions intimes, voici mes propositions générales :

  • les études de type « mondes anta-gonistes » ou « rien d’autre que » ne parviennent pas à décrire, et encore moins à expliquer, le fonctionnement réel des transactions intimes ;
  • les transactions intimes fonctionnent par le biais de « liens différenciés », que les participants distinguent les uns des autres à travers des pratiques, modes de compréhension et représentations bien établis ;
  • loin de déterminer la nature des rapports interpersonnels, les canaux d’échange (y compris les monnaies) intégrés à ces circuits s’articulent de manière particulière avec les formes de compréhension, les pratiques, informations, obligations, droits, symboles et phraséologies inscrits dans ces circuits ;
  • en fait, il est remarquable que ceux qui participent au fonctionnement de ces circuits modifient les canaux d’échange pour marquer des distinctions entre différentes sortes de relations sociales ;
  • chaque circuit entretient une structure de réseau et un ensemble de règles d’application qui lui sont propres, d’où il découle une forme caractéristique de confiance ;
  • le passage d’une relation ou d’un circuit à l’autre – par exemple des relations domestiques aux transactions des tribunaux – pose, de ce fait, de sérieux problèmes de traduction à tous les acteurs ;
  • dans le déroulement de ces traductions, les acteurs construisent et utilisent bel et bien des théories de type « mondes antagonistes » ou « rien d’autre que » à propos des rapports en question ;
  • il s’ensuit que les chercheurs ne doivent pas se contenter de rejeter ces théories mais doivent rechercher une explication systématique de leur construction et de leur usage.

Argent et intimité

15 Aujourd’hui l’idée que l’argent fonctionnerait comme un médium universalisant et standardisant a reçu de très fortes critiques. Chercheurs en sciences sociales, critiques de la société, acteurs économiques ordinaires reconnaissent que du point de vue pratique, sinon toujours du point de vue théorique, les tickets d’alimentation, les jetons de métro, les monnaies locales et les billets commerciaux ont tous, d’une certaine manière, valeur d’argent, tout en circulant à l’intérieur de circuits restreints plutôt que de se fondre en un médium homogène unique. Ce qui n’empêche pas une idée d’avoir la vie dure : à savoir qu’argent et intimité représentent des principes contradictoires dont l’intersection génère conflit, confusion et corruption. Ainsi voit-on se dérouler des débats passionnés sur la légitimité d’un paiement des mères porteuses, de la vente de sang, de la rémunération de la garde d’enfants ou de l’aide aux personnes âgées, d’un salaire des femmes au foyer.

16 Ce qui surprend dans ce genre de débat c’est qu’on ne veut pas voir à quel point les transactions sociales coexistent régulièrement avec des transactions monétaires : les parents paient des nourrices ou des puéricultrices pour qu’elles s’occupent de leurs enfants ; des parents adoptifs versent de l’argent pour obtenir des bébés, des époux séparés versent ou reçoivent des pensions alimentaires ou des contributions à l’éducation des enfants, les parents versent une allocation à leurs enfants ou subventionnent leurs études, les aident à faire face à leur premier emprunt foncier et les font bénéficier de legs substantiels dans leurs testaments. Amis et parents envoient de l’argent en guise de cadeau de mariage tandis qu’on se prête de l’argent entre amis. Les immigrants expédient de l’argent à leur famille restée au pays.

17 Collectivement, ces transactions intimes ne sont pas négligeables. Elles peuvent avoir d’importantes conséquences macro-économiques, par exemple par des flux considérables de transferts de pays riches vers des pays pauvres ou par la dévolution de la richesse d’une génération à l’autre. Comme le montre la dévolution entre générations, les transactions intimes peuvent aussi créer ou entretenir des inégalités de classe, de race, de communauté et même de sexe.

18 Tout le secret consiste à faire correspondre la bonne sorte de paiement à la transaction sociale donnée. Cette correspondance dépend en grande mesure de la définition de liens plus généraux entre les parties. En fait, les significations et les conséquences de transferts monétaires apparemment similaires comme les pensions, les versements d’immigrés, les honoraires, les pots-de-vin, les pourboires, les remboursements, les aumônes et les cadeaux occasionnels ne surgissent que de l’identification des liens sociaux en cause. Tous ces paiements, et d’autres, se manifestent normalement en liaison avec des transactions intimes, reçoivent leur signification des liens sociaux durables au sein desquels ces transactions interviennent et ont des conséquences variables qui sont fonction de ces liens durables – le cas limite et exceptionnel restant le lien purement momentané.

19 Dans cet article, les transactions intimes comprennent tous les échanges sociaux qui reposent sur une confiance importante. Négativement, la confiance assure à quelqu’un une information ou un lien relativement à quelqu’un d’autre qui, s’ils venaient à être plus largement accessibles, seraient dommageables au statut social de cette dernière personne. Positivement, la confiance donne une influence immédiate et profonde aux injonctions d’une personne concernant les actions et les sentiments d’une deuxième qui doit faire face à un risque et cela sans recours à la menace. La confiance est souvent une relation asymétrique, par exemple un jeune enfant fait plus confiance à ses parents qu’eux ne lui font confiance, mais des relations totalement intimes impliquent une confiance réciproque [1].

20 Font partie des transactions intimes : les soins corporels, les relations sexuelles, la gestion du psychique, le partage d’information concernant des malversations, la protection personnelle. Les relations comportant normalement des relations intimes concernent évidemment parents-enfants, conjoints, amants, ami(e)s mais sont également concernés prostitué(e)-client, espion-espionné, psychiatre-patient et garde d’enfant-client. Chacune de ces relations et chaque grand type de transaction à l’intérieur de chaque relation, engendre ses propres formes de transferts d’argent et crée ses propres circuits à l’intérieur desquels circulent des formes d’argent qui se différencient de manière significative [2]. Une telle situation pose de redoutables problèmes de description et d’explication pour les sociologues de l’économie, les juristes, les critiques féministes et autres observateurs des phénomènes sociaux. Tant que les observateurs s’imaginent que l’argent est unitaire, homogène et parfaitement transparent ces problèmes demeurent insolubles.

21 S’inspirant des grandes dichotomies, les auteurs qui traitent de l’argent et de l’intimité ont régulièrement développé la position des « mondes antagonistes ». Dans cette perspective, il existe une coupure entre liens personnels et transferts d’argent, rendant tout contact entre les deux sphères moralement compromettant. Pour prendre un seul exemple, pensons à l’analyse polémique des marchés contemporains par Robert Kuttner [3] : « Avec la vogue croissante du marché », écrit-il dans Everything for Sale, « des domaines auparavant régulés par des normes et des institutions étrangères au marché lui sont aujourd’hui livrés et le phénomène s’accélère de jour en jour » (p. 55). Cette « avancée systématique du marché et de ses valeurs », dit R. Kuttner, « fait de la plate image de l’homo œconomicus une prémonition qui se réalise aujourd’hui » (p. 57). Comme pour aller encore plus loin que la position déjà extrême de R. Kuttner, le critique militant Jeremy Rifkin explique qu’avec ses transferts instantanés d’argent et d’information, le monde de « l’hypercapitalisme » accélère et aggrave la substitution de transactions marchandes à des rapports authentiquement humains.

« Si l’âge nouveau a son talon d’Achille, il réside probablement dans l’idée erronée que des rapports placés sous le signe du commerce et des rapports reposant sur une médiation électronique peuvent remplacer des rapports et des communautés traditionnelles. Le principe même est sujet à caution. Ces deux formes d’organisation de l’activité humaine correspondent à deux ensembles complètement différents de points de vue et de valeurs, ce qui les rend incompatibles et non pas analogues. Les rapports traditionnels plongent leurs racines dans des choses comme la parenté familiale, ethnique, géographique et des idéaux partagés. Ce qui les cimente ce sont des notions d’obligations réciproques et des perceptions de destin commun. Ils sont entretenus par des communautés dont la mission est de reproduire et de préserver en permanence les significations partagées qui font une culture commune. Rapports et communautés sont tenus pour des fins.
Les rapports marchandisés, en revanche, sont instrumentaux par nature. Le seul ciment qui les fait tenir c’est le prix négocié de la transaction. Ces rapports sont de nature contractuelle plutôt que réciproque. Ils sont maintenus par des réseaux d’intérêts partagés aussi longtemps que les parties continuent d’honorer leurs obligations contractuelles [4]. »
Les doctrines des « mondes antagonistes » ont encore de beaux jours devant elles au xxie siècle.

22 Peu convaincus par ce genre de dichotomies des « mondes antagonistes », les chercheurs se sont souvent tournés vers trois sortes d’analyses de type « rien d’autre que » : l’une posant que les relations intimes ne sont rien d’autre que des rapports d’échange d’un type spécial ; une autre que ces relations sont purement et simplement l’expression de valeurs d’ordre général ou de codes idéologiques, quelle que soit par ailleurs leur liaison avec l’économie ; la troisième affirmant que ces relations ne sont que le résultat de processus politiques.

23 Si l’on prend l’ensemble des sciences sociales, c’est le réductionnisme économique qui a fourni l’alternative la plus cohérente et la plus solide aux conceptions des « mondes antagonistes » [5]. Dans ce groupe, nous avons l’exemple de Richard A. Posner [6], qui dans la tradition de Gary Becker pose l’équivalence de tous les transferts en tant qu’échanges rationnels quid pro quo. Si vous enlevez tout le camouflage culturel, nous disent ces théoriciens, vous découvrirez que les transferts intimes, qu’il s’agisse de sexe, d’enfants ou de sang, fonctionnent selon les mêmes principes que les transferts d’actions en bourse ou de voitures d’occasion. Voici comment R. A. Posner, le champion du paradigme connu dit de « la loi et l’économie » et l’un des pionniers de l’extension de cette analyse à la sexualité, justifie la « possibilité et l’intérêt d’une approche économique de [la sexualité] » :

« L’entreprise peut paraître donquichotesque, tant l’appartenance de la passion sexuelle au domaine de l’irrationnel est un lieu commun ; mais ce lieu commun est une erreur. On ne veut pas l’appétit sexuel mais on ne veut pas la faim non plus. Le premier n’exclut pas plus la possibilité d’une économie de la sexualité que la seconde n’exclut la possibilité d’une économie de l’agriculture. » (p. 4-5)
De même, David D. Friedman [7], autre partisan enthousiaste de « la loi et l’économie », explique pourquoi les contrats de longue durée marchent aussi bien dans le cas du mariage que dans le cas des affaires :
« Quand un couple est marié depuis un certain temps, les partenaires ont fait quantité d’investissements propres à leur relation, consenti des dépenses qui n’apporteront de bénéfice que s’ils restent ensemble. Chacun est devenu, et il lui en a coûté, un expert dans l’art de s’y prendre avec l’autre. Tous deux ont investi, matériellement et moralement, dans leurs enfants communs. Placés au départ sur un marché compétitif, ils se retrouvent unis en un monopole bilatéral qui a ses coûts de transaction. » (p. 172)
Ainsi voit-on les tenants de « la loi et l’économie » expliquer que les marchés fournissent des solutions efficaces et que ces solutions efficaces résolvent tous les problèmes juridiques que pose l’intimité. Les relations intimes, dans cette perspective, posent les mêmes problèmes de choix sous contrainte que d’ordinaires transactions marchandes.

24 Mais des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées non seulement contre les réponses économiques mais aussi contre les réponses culturelles et politiques opposées par les « rien d’autre que » aux « mondes antagonistes ». Dans les vingts dernières années, chercheurs en sciences sociales, juristes, avocates féministes, partant de points de vue très éloignés et dans un regrettable isolement les uns des autres, se sont efforcés de mieux rendre compte des processus économiques en renonçant aussi bien aux « mondes antagonistes » qu’au « rien d’autre que ». Dans chacun des domaines qui sont ceux des sociologues de l’économie, des juristes se préoccupant de processus économiques et des féministes concernées par l’inégalité entre les sexes, on a d’abord vu prévaloir les « mondes hostiles », puis se développer en réaction le « rien d’autre que », mais on constate plus récemment l’émergence d’études concurrentes adoptant les « liens différenciés » comme principe explicatif. Voyons d’abord cela dans le domaine de la sociologie économique.

Incertitudes sociologiques

25 Pour rendre compte des processus économiques, les sociologues balancent depuis longtemps entre « mondes antagonistes » et « rien d’autre que ». La première position repose sur une nette coupure entre économie et société, l’une incarnant la rationalité impersonnelle, l’autre les sentiments intimes. Des théoriciens comme Talcott Parsons ont considéré la sociologie comme apportant le contexte normatif et social aux marchés mais supposé aussi que les sphères économique et personnelle se différenciaient fortement l’une de l’autre et fonctionnaient sur la base de principes contradictoires. S’efforçant en 1977 de spécifier l’articulation entre la famille et le marché, T. Parsons reprenait des polarités familières : « L’institution prototype de l’économie moderne c’est le marché mais à l’intérieur de la famille tout ce qui ressemble trop à des rapports marchands, surtout s’ils sont concurrentiels, se trouve sinon exclu, du moins fortement limité [8]. »

26 En se développant pour devenir une spécialité autodéfinie, la sociologie économique a implicitement accepté ces divisions entre une sphère du marché et une sphère non économique. Toutefois ces sociologues ont été amenés à prendre en compte la structure sociale sous-jacente à ce qu’ils persistaient à considérer comme une sphère économique semi-autonome. D’où l’adoption d’une série d’explications recourant au « rien d’autre que ». Si dans le cas des études de la consommation et de l’économie domestique ont abondé les réductionnismes culturel et politique, c’est le réductionnisme économique qui l’a emporté dans la sociologie économique proprement dite. Les arguments de ce type se manifestent dans l’assimilation de toute une série de processus économiques à quelque chose qui s’apparente au paradigme néo-classique du choix individuel sous contrainte.

27 Récemment, les sociologues de l’économie ont déployé des efforts pour dépasser les positions antagonistes ou réductionnistes. Ils le font en traitant les processus économiques et les présupposés comportementaux, marchés, rationalité, intérêt personnel, comme produits de processus sociaux sous-jacents. Ainsi que l’écrit Harrison C. White [9], l’activité marchande est « intensément sociale, aussi sociale que les réseaux de parenté ou les armées féodales ». On pourrait citer d’autres auteurs. Toutefois les travaux actuels de sociologie économique n’ont pas totalement abandonné la tradition des « mondes antagonistes ». Ce domaine privilégie les entreprises, supposées relever de « vrais » marchés, et relèguent à un monde non marchand d’autres formes d’activité économique comme les transferts sous forme de dons, les économies informelles, la vie domestique et la consommation.

28 Mais certains chercheurs proposent des conceptions alternatives qui s’écartent radicalement des traitements standards des économies intimes : premièrement, en élargissant la notion de travail ; deuxièmement, en mettant l’accent sur la reconnaissance de liens sociaux différenciés ; troisièmement, en examinant le contenu effectif des transactions entre acteurs économiques ; enfin, quatrièmement, en situant le contenu culturel au sein même de ces transactions au lieu d’en faire des contraintes extérieures.

29 Chris et Charles Tilly, par exemple, donnent du travail une définition qui s’oppose directement à la conception duale des « mondes antagonistes » : « Le travail », affirment-ils, « inclut tout effort qui ajoute de la valeur d’usage aux biens et aux services ». « Seul un préjugé engendré par le capitalisme et ses marchés du travail industriel, disent-ils, s’en tient à l’effort pénible consenti pour un paiement en argent comme “travail véritable”, reléguant d’autres sortes d’efforts au statut de distraction, délit ou simple occupation ménagère [10]. » « Les nombreux mondes du travail » incluent donc l’emploi salarié mais aussi le travail domestique non payé, le troc, la petite production d’objets de consommation ainsi que le travail bénévole.

30 Paul DiMaggio et Hugh Louch par leur analyse du comportement des consommateurs illustrent le second changement qui consiste à prendre en compte les liens sociaux différenciés. En étudiant les liens non commerciaux préexistants entre acheteur et vendeur dans les transactions de consommateur concernant l’achat d’automobiles ou de logements ainsi que des services juridiques ou des travaux de réparation à domicile, P. DiMaggio et H. Louch constatent une proportion remarquable de ce qu’ils appellent des échanges de réseau. Un nombre important de ces transactions ont lieu non pas sur des marchés impersonnels mais entre parents, amis et connaissances. Notant que ce schéma s’applique fondamentalement à des transactions risquées et irréversibles qui entraînent un fort degré d’incertitude quant à la qualité et au bon fonctionnement, P. DiMaggio et H. Louch concluent que le consommateur aura d’autant plus recours à ces liens non commerciaux qu’il sera incertain du résultat.

31 Étudiant le contenu réel des transactions entre acteurs économiques, Nicole Woolsey Biggart [11] constate le rôle joué par les liens intimes au sein d’organisations de vente directe. Des compagnies comme Amway, Tupperware ou Mary Kay Cosmetics, loin de faire intervenir de strictes relations professionnelles, comptent sur des réseaux sociaux intimes pour commercialiser leurs produits. Ce sont des parents proches, conjoints, mères, filles, sœurs, frères, cousins, neveux, qui se parrainent pour l’entrée dans l’organisation. En outre, la vente directe est perçue comme une manière de renforcer les liens conjugaux et familiaux. Dans la classe ouvrière, les femmes définissent souvent la vente directe « comme un “à-côté” et non un vrai travail, qui leur procure la satisfaction de combiner gain d’argent et rôle de mère au foyer ». N. Woolsey Biggart rapporte le témoignage révélateur d’une vendeuse Tupperware :

« Je conduisais mon fils et quatre de ses amis à un anniversaire et je les entendais causer, à l’arrière, des mères qui travaillent. Et l’un des gosses demande : “Dis donc, est-ce que ta mère travaille ?” Et mon fils répond : “non”. C’est ce que je souhaite. Je ne veux pas qu’ils croient que je travaille. Ils n’imaginent même pas que j’ai un boulot parce que je ne suis pas partie de huit heures à cinq heures. » (p. 82)
L’ironie ici c’est qu’au moment où ils la nient dans les faits les participants eux-mêmes redonnent cours à la mythologie des « mondes antagonistes ».

32 Et qu’en est-il du contenu culturel ? Ma propre analyse des transferts monétaires situe le contenu culturel au sein des liens sociaux au lieu de le tenir pour un facteur externe. Ainsi les distinctions essentielles entre don, dédommagement et versement obligatoire montrent comment les gens différencient les formes de paiement en relation avec les définitions qu’ils donnent du type de rapport existant entre les parties. Ils adoptent des symboles, des rituels, des pratiques et des formes physiquement reconnaissables d’argent pour bien marquer les diverses relations sociales et formes de transferts monétaires [12].

33 Bref, les sociologues de l’économie étudiant les intersections entre transferts monétaires et liens intimes ont, dans leurs formulations, longtemps hésité « mondes antagonistes » et « rien d’autre que ». Ils ne sont jamais parvenu à se décider de manière satisfaisante entre ces points de vue parce que la réalité sociale dont il est question requiert non un choix entre les deux mais le dépassement de l’alternative. La reconnaissance de liens différenciés, entraînant chacun des formes particulières de paiement, permet de sortir de l’impasse.

Débats juridiques

34 Les juristes partagent certaines des préoccupations et des difficultés des sociologues de l’économie. En réaction à la longue tradition des « mondes antagonistes », un certain nombre de critiques et de théoriciens ont mis en cause le modèle des deux sphères. Avec R. A. Posner nous avons déjà rencontré une tentative d’écarter les « mondes antagonistes » en les remplaçant par une alternative « rien d’autre que » d’ordre économique. La position dite de « la loi et l’économie », ainsi que Dan M. Kahan [13] la décrit :

« […] présente une théorie globale des règles juridiques fondée sur le modèle de l’acteur rationnel. Sur le plan descriptif, elle présuppose des individus qui réagissent aux incitations légales d’une manière rationnellement calculée pour maximiser leur bien-être matériel. Sur le plan normatif, elle évalue les règles juridiques en fonction de leur contribution à la richesse sociale. Du point de vue prescriptif, elle présente une série programmatique de maximes et d’algorithmes visant à rendre la loi efficace. »
Ces dernières années, un certain nombre de juristes ont réagi contre ce paradigme économique si extraordinairement influent. Dans certains cas, les auteurs sont revenus à une argumentation de type « mondes antagonistes » en insistant pour dire qu’il existe tout de même certains secteurs du comportement social qui échappent à la corruption de la transformation en marchandise. D’autres ont choisi le réductionnisme culturel en mettant en avant les normes sociales, les significations et les valeurs comme alternative à la rationalité économique. D’autres encore ont donné des analyses plus fortement institutionnelles et relationnelles pour contrer l’étroitesse économiste du paradigme de « la loi et l’économie ».

35 À vrai dire, les juristes ne peuvent guère ne pas tenir compte d’un fait qui s’oppose aux versions extrêmes des « mondes antagonistes » comme du « rien d’autre que » : en dépit d’une phraséologie très « mondes antagonistes », dans la pratique les tribunaux ont souvent à se livrer à une évaluation monétaire de liens intimes. Ils y sont amenés dans les règlements de divorce, les contrats de mariage, les poursuites pour promesse non tenue et les questions de compensation en cas de décès ou d’invalidité d’un proche parent. Dans aucun de ces cas, les tribunaux n’adoptent un critère d’évaluation strictement marchand [14].

36 Par exemple, dans leur analyse des compensations pour préjudice subi en cas de souffrance physique ou morale, Steven P. Crowley et Jon D. Hanson [15] contestent l’idée régnante des juristes de l’économie qu’il faudrait éliminer pareilles compensations puisqu’il n’existerait, de la part des consommateurs, aucune demande de compensation pour des pertes non pécuniaires. S’appuyant sur un grand nombre de constatations empiriques, notamment le fait que des parents assurent leurs enfants, S. P. Crowley et J. D. Hanson maintiennent que les consommateurs sont prêts, en réalité, à quantifier des pertes personnelles même en dehors de tout préjudice financier. Pour expliquer la relative faiblesse du marché de l’assurance contre la souffrance malgré la demande existante de la part de consommateurs, S. P. Crowley et J. D. Hanson retiennent l’effet des normes sociales qui découragent de telles transactions. De manière encore plus intéressante, ils montrent comment la variation contextuelle requalifie la signification et la légitimité de transferts économiques contestés. Par exemple, l’assurance d’enfants a plus de succès comme investissement que l’assurance vie ; la compensation d’un préjudice, bien qu’elle représente explicitement l’équivalence financière de pertes non pécuniaires, se trouve légitimée, la raison en étant peut-être que l’attribution d’argent est conçue non comme un remplacement mais comme un adoucissement d’une perte d’ordre sentimental.

37 Plutôt que de passer en revue la totalité de ce débat animé, concentrons notre attention sur la manière dont les auteurs traitent de l’évaluation économique des relations sociales intimes, problème qui les a beaucoup plus préoccupés que les sociologues de l’économie.

38 Voyons les positions bien connues de la philosophe du droit Margaret Jane Radin [16]. Partant d’une critique des théories de la « marchandisation universelle » à la R. A. Posner et des travaux relevant des « mondes antagonistes », M. J. Radin, en dernière instance, revient à une version modifiée de cette position-là. Dans son ouvrage Contested Commodities, nous voyons M. J. Radin proposer un code de lois qui spécifierait et régulerait le secteur qu’elle désigne du terme de marchandisation incomplète, dans laquelle « les valeurs de la personne et de la communauté interagissent avec le marché et pour beaucoup de choses altèrent la pure forme de libre marché » (p. 114). Comme M. J. Radin l’indique clairement, ce secteur comprend les cas de relations sexuelles marchandisées et les liens parents-enfants. Dans son modèle, « paiement en échange de rapport sexuel » ainsi que « paiement en échange du renoncement à un enfant pour adoption » sont « des cas cruciaux de marchandisation contestée » (p. 131).

39 Les relations sexuelles, affirme-t-elle, « peuvent présenter à la fois des aspects de marché et de non-marché : les relations peuvent débuter et se poursuivre en partie pour des raisons économiques et en partie pour ce partage interpersonnel qui est un élément de notre idéal d’épanouissement humain » (p. 134). Toutefois, malgré son insistance sur l’interaction de la culture et de la loi ainsi que ses objections bienvenues à ce qu’elle appelle l’effet domino de la marchandisation, M. J. Radin présuppose qu’avec l’intervention de l’argent on aboutirait à une « marchandisation complète » en l’absence de protections institutionnelles, notamment juridiques. Dans le cas de la prostitution, par exemple, si elle plaide pour la dépénalisation de la vente de services sexuels, elle n’en insiste pas moins sur la nécessité « pour éviter l’effet domino » que la loi interdise « la libre entreprise de marché » qui profiterait de la dépénalisation et « pourrait intervenir en créant un marché organisé des services sexuels ». Différentes formes de régulation sont nécessaires, conclut-elle, « si nous sommes d’accord que la pénétration croissante de notre discours par le langage de la marchandisation modifierait la sexualité d’une manière que nous ne sommes pas prêts à accepter » (p. 135-136).

40 Quand on en vient aux marchés d’enfants, allant de ce qu’elle appelle « adoptions avec commission » à « l’adoption payée d’enfants “non voulus” » et incluant « les mères porteuses », M. J. Radin hésite encore plus. Alors que le don d’enfant constitue en fait un remarquable « acte d’altruisme », visant à la fois le bien-être de l’enfant et celui des parents adoptifs, la vente d’enfants viendrait remettre cet altruisme en question. Pourtant M. J. Radin concède qu’en principe les enfants pourraient relever d’un secteur de « marchandisation incomplète » où « coexisteraient des structures rhétoriques internes marchandisées et non-marchandisées » permettant l’altruisme et la vente (p. 139). Mais là encore, comme pour la prostitution, elle craint la prédominance finale du discours du marché.

« Si venait à exister un libre commerce du bébé, prédit-elle, comment chacun de nous, même s’il ne produisait pas d’enfants pour la vente, pourrait-il ne pas estimer la valeur monétaire de nos enfants ? Comment nos enfants pourraient-ils ne pas se poser la question de l’estimation de leur valeur monétaire ? De telles évaluations rendent notre discours sur nous-mêmes (si nous sommes enfants) et sur nos enfants (si nous sommes parents) comparable au discours que nous pouvons tenir sur des automobiles. » (p. 138)
M. J. Radin est à deux doigts de rejeter la dichotomie des « mondes antagonistes » mais, en dernière instance, elle hésite.

41 De la même manière, Margaret F. Brinig [17]est consciente des faiblesses des « mondes antagonistes » aussi bien que du « rien d’autre que » mais hésite quand il s’agit de préciser ce qui les dépasserait. Ainsi, elle critique frontalement le traitement juridique classique des relations familiales intimes. Nous ne pouvons pas, pense-t-elle, transférer tels quels à la sphère des interrelations familiales des concepts venus du commerce comme ceux de marché, d’entreprise ou de contrat. Tout en reconnaissant qu’un modèle contractuel ou marchand peut utilement s’appliquer au stade initial des relations familiales, comme dans la période où le futur couple se fréquente ou dans le cas d’adoption, M. F. Brinig défend l’idée qu’un tel modèle ne peut fonctionner pour des relations familiales déjà établies. Tout particulièrement, la législation du contrat « ne possède pas les concepts ou le langage aptes à traiter l’amour, la confiance, la fidélité et la solidarité, qui mieux que tout autre terme désignent ce qu’il y a d’essentiel dans la famille » (p. 3). S’efforçant d’aller au delà du réductionnisme économique orthodoxe, M. F. Brinig se rapproche souvent des polarités traditionnelles qu’on trouve dans les « mondes antagonistes », en déclarant :

« Les mariages, ou du moins la plupart des mariages, ne ressemblent pas à ces entrepreneurs toujours à la recherche d’efficacité que postule l’école de Chicago. Quand les mariages sont réussis, ils connaissent le sacrifice personnel, la mise en commun et un comportement attentif à l’autre, peut-être une vue plus féminine des choses. Ce sont des relations, non de simples contrats relationnels… En tant qu’appartenant à la société, nous y trouvons de nombreux encouragements à défendre une vue non contractuelle et non marchande du mariage. » (p. 18)
Ce n’est toutefois qu’avec prudence que M. Brinig se rapproche de paradigmes moins dualistes ou moins réductionnistes. Afin de remplacer le modèle moniste du contrat, elle établit une distinction entre contrat et engagement, le premier limité aux « accords garantis par la loi », le second aux « accords moins garantis par la loi que par les individus et leurs organisations sociales » (p. 1). L’engagement, précise en outre M. F. Brinig, « est une entente ou une promesse qui ne peut pas être facilement rompue même lorsqu’une des parties remplit incomplètement ou de manière insatisfaisante ses obligations. Il possède ainsi une durée de vie supérieure à celle de bien des entreprises et bien supérieure à l’horizon temporel du marché, où une transaction peut être tout à fait épisodique ou discrète » (p. 6). Ce type d’engagement, qui s’applique particulièrement aux relations banales mari/femme et parent/enfant, implique non seulement « amour inconditionnel et permanence », mais participation d’un tiers, que ce soit Dieu, la communauté ou les deux à la fois.

42 M. F. Brinig ne précise jamais tout à fait quelles différences dans les relations ou les transactions caractérisent ce qu’elle appelle contrat et engagement. Elle déclare :

« Même si la théorie de l’entreprise éclaire certains aspects du mariage, elle échoue en partie du fait des caractéristiques propres du mariage, qui sont essentiellement la vie privée et l’intimité. Elle peut, certes, nous dire pourquoi une succession continue de contrats ne fonctionnera pas dans le mariage et même pourquoi les gens se marient mais non pourquoi dans les mariages les plus réussis chaque époux est heureux d’apporter sa contribution sans “calculer les coûts”. Ici la nouvelle économie institutionnelle est bien plus satisfaisante. Par son insistance sur les coûts de transaction, l’économie institutionnelle évoque l’idée de l’engagement et les dimensions communautaires du mariage. » (p. 109)
Si on l’élargit un peu, la distinction faite par M. F. Brinig entre contrat et engagement ne traduit plus seulement des polarités mais offre un moyen approprié de représentation des relations sociales.

43 Comme M. J. Radin et M. F. Brinig, le théoricien du droit Cass Sunstein recherche une forme d’analyse supérieure qui se situerait entre les « mondes antagonistes » et le réductionnisme économique. C. Sunstein et d’autres partisans de ce que Lawrence Lessig [18] appelle « la nouvelle école de Chicago » du droit portent une grande attention aux significations et formes sociales [19].

44 De manière plus précise, dans son livre Free Markets and Social Justice, C. Sunstein dit bien :

« Nous devrions être d’accord que les normes sociales participent à la détermination des choix, que les choix des gens sont fonction de leur rôle social particulier, enfin que la signification sociale ou expressive des actes est un facteur du choix [20]. »
Remarquant que l’économie, « du moins telle qu’elle est utilisée dans l’analyse économique classique du droit, recourt souvent à des outils qui, sans être dénués d’intérêt, sont simplistes et peuvent conduire à de sérieuses erreurs », C. Sunstein conteste les analyses économistes de la motivation et de l’évaluation humaines. Très critique, en particulier, à l’égard des théories juridiques « monistes » de la valeur, C. Sunstein développe une argumentation convaincante en faveur de la multiplicité et de l’incommensurabilité des valeurs humaines, avec par exemple la distinction entre valeur instrumentale et valeur intrinsèque attachées aux biens et aux activités [21].

45 Quand on en vient à l’évaluation économique de l’intimité, la notion chez C. Sunstein d’incommensurabilité conditionnée par la norme introduit une différenciation nette entre échanges financiers et échanges intimes. Il fait ainsi remarquer que « si quelqu’un offre de l’argent à une personne séduisante (ou à son conjoint) pour obtenir des relations sexuelles » l’offre serait insultante dans la mesure où elle traduit une mauvaise conception de la nature de la relation [22]. Comme l’explique C. Sunstein :

« Il faut comprendre cette objection à la commercialisation comme cas particulier du problème général des différentes sortes d’évaluation. L’idée est que nous ne devrions pas faire commerce de la sexualité et de nos capacités reproductives parce que l’évaluation économique de ces “choses” est incompatible avec leur type (et non leur niveau) d’évaluation et susceptible même de gravement l’affaiblir [23]. »
Cependant C. Sunstein apporte à son analyse un élément contradictoire remarquable. Tout en faisant sienne l’idée qu’il existe certains types de transactions, dont les relations intimes, qui sont totalement incompatibles avec le marché, donc avec les transferts monétaires, il reconnaît d’autre part que les marchés et les transferts d’argent peuvent s’adapter à de multiples systèmes d’évaluation. Les marchés, souligne C. Sunstein,
« sont remplis d’accords de transfert de biens qui ne sont pas simplement évalués en fonction de leur usage. Les gens […] achètent de la sollicitude humaine pour leurs enfants […] Ils achètent des animaux domestiques pour lesquels ils éprouvent de l’affection et même de l’amour. »
Donc
« L’objection à recourir au marché dans certains domaines doit venir de l’idée qu’il aura un effet négatif sur des modes existants d’évaluation et il n’est pas facile de dire quand et pourquoi cela va être le cas. Pour toutes ces raisons, opposition à la commensurabilité et attachement à la diversité des modes d’évaluation n’équivalent pas par eux-mêmes à une opposition aux échanges sur le marché, où intervient le choix entre des biens que les participants évaluent de différentes manières [24]. »
De la même façon, il reconnaît que l’argent, plutôt que d’être inévitablement source de nivellement des biens et des évaluations, est lui-même socialement différencié :
« Les normes sociales produisent des différences qualitatives entre les biens et ces différences qualitatives correspondent à des opérations mentales fines impliquant des différences qualitatives parmi les différentes “sortes” d’argent [25]. »
Alors qu’au départ C. Sunstein donne l’impression de réagir au rien d’autre que « la loi et l’économie » par la proposition d’un rien d’autre que culturel, il aboutit en réalité à une analyse beaucoup plus fine des relations sociales.

46 Comme en sociologie de l’économie, après s’être longtemps efforcés d’utiliser au mieux « mondes antagonistes » et « rien d’autre que », les juristes s’orientent maintenant vers l’examen de la différenciation dans les liaisons existant entre relations intimes et transferts monétaires. Mais de manière plus nette qu’en sociologie de l’économie, la recherche des juristes manifeste la dépendance de positions normatives disputées envers les études descriptives et explicatives. D’où l’avantage d’une collaboration consciente entre sociologues et juristes. Les mêmes controverses et les mêmes promesses se rencontrent dans les récentes études féministes des relations intimes.

Alternatives féministes

47 La littérature féministe est pareillement soumise à une division entre « mondes antagonistes » et « rien d’autre que » et l’examen des liens différenciés peut donc lui être une source de progrès. Attachons-nous à deux thèmes qui se recoupent dans cette littérature : la question de la compensation et l’économie de la prise en charge.

48 La juste compensation, d’abord. Les juristes féministes sont en pointe pour contester et subvertir les principes juridiques bien ancrés fondés sur les « mondes antagonistes » car elles soutiennent que la séparation des deux sphères affaiblit la position des femmes. Faire du travail traditionnel des femmes une pure affaire de sentiment en obscurcit dangereusement la valeur économique. Les tribunaux américains, de l’avis de ces spécialistes, prêtent la main depuis longtemps à cette dépossession.

49 Carol Rose, par exemple, a fourni une puissante critique du raisonnement en « mondes antagonistes » dans le domaine du droit [26]. Soulignant que les transferts de biens se produisent largement au sein du foyer et que les rapports de propriété en dehors du foyer reposent sur des liens sociaux complexes, C. Rose rejette les frontières conventionnelles : « il n’existe pas un “dedans” de la famille et un “dehors” du travail […] Ces sphères sont en constante interaction » (p. 2417). La traditionnelle « rhétorique du partage et des vocations nourricières », prévient-elle, crée l’illusion que « les questions de propriété s’arrêtent au seuil de la maison. C’est faux » (p. 2414). Ce n’est qu’en soulevant ces questions que nous parviendrons à l’égalité hommes femmes pendant le mariage et après le divorce :

« Quand nous percevons les droits de propriétés inavoués qui dans les arrangements prennent le masque du “partage”, nous percevons aussi leur injustice et leur hypocrisie. Ce n’est que si nous négligeons les aspects de propriété du mariage que nous qualifierons d’égales des relations qui peuvent en réalité être profondément hiérarchiques. » (p. 2415)
Toutefois, les tribunaux, C. Rose le souligne, n’aiment pas traiter de différends familiaux en termes de propriété, refusant de manière révélatrice la prise en compte, par exemple, des apports économiques du travail ménager des femmes.

50 De fait, comme le prouve l’ample documentation rassemblée par Reva B. Siegel, opérer la coupure entre sphère du marché et sphère de la famille a donné beaucoup de mal aux juristes. Étudiant au xixe siècle les débats relatifs à l’évaluation du travail ménager, R. B. Siegel montre que les tribunaux ont soigneusement maintenu ce travail dans la catégorie des échanges non marchands. Alors que la législation accordait de plus en plus aux femmes mariées le droit de percevoir un salaire pour « travail personnel » effectué pour une tierce personne, cette législation excluait systématiquement le travail ménager effectué pour le mari et la famille. Les tribunaux, nous dit R. B. Siegel [27], « ont refusé le droit à des contrats entre conjoints pour le travail ménager en expliquant que de tels contrats transformeraient la relation de mariage en rapport de marché ». Ainsi les tribunaux adoptaient et justifiaient la thèse des « mondes antagonistes ». Leur stratégie a réussi. Plus d’un siècle après, comme l’indique R. B. Siegel :

« Nous vivons dans un monde dans lequel le travail ménager impayé fait figure d’anomalie inexpliquée mais ne demandant pas non plus d’explication. Dans ce monde, il faut un effort d’examen critique pour percevoir que les relations marchandes ont été systématiquement circonscrites et qu’une forme de travail indispensable à leur maintien a, tout aussi systématiquement, été soustrait à la propriété des femmes de manière permanente. » (p. 2210)
Démasquant elle aussi ce qu’elle nomme « la peur du marché », Joan Williams [28] écrit que « la peur d’un monde souillé par le passage au marché des relations intimes entretient le refus d’accorder aux femmes des droits à rétribution fondés sur leur travail ménager ». S’écartant plus radicalement que M. J. Radin des « mondes antagonistes », J. Williams remarque que, tout comme d’autres juristes traitant de ce qui relève du marché, M. J. Radin ne veut pas voir que « le grand problème des femmes tient à la limitation du marché et non à son extension » (p. 18).

51 J. Williams attire l’attention sur l’arbitraire discrimination de genre qui se manifeste dans le règlement des divorces. En application de la règle qu’elle nomme « lui qui l’a gagné le garde », les maris se voient attribuer une plus grande part de la propriété conjugale. Pour J. Williams, la thèse très « mondes antagonistes » qui prévaut dans les tribunaux et selon laquelle « le travail pour la famille est une manifestation d’amour » ne tient pas compte du fait que ce type d’occupation est aussi un vrai travail. J. Williams cite l’exemple éclairant des « affaires de diplômes » où des femmes, au moment du divorce, réclament compensation pour avoir financé le diplôme professionnel du mari. Elle décrit l’hostilité des tribunaux face à ces demandes, qui prend des formes très comparables aux jugements du xixe siècle mentionnés par R. B. Siegel. Dans une affaire de 1988 en Virginie, par exemple, le tribunal déclare que « caractériser les contributions conjugales comme des investissements mutuels où l’autre devient un capital humain équivaudrait à dégrader la notion de mariage » (p. 117).

52 Bien décidée à mettre un terme à cette sentimentalité pernicieuse, J. Williams envisage des réponses pour que les femmes obtiennent une juste compensation. Par exemple, sa proposition de copropriété reconnaîtrait la valeur économique du travail pour la famille, justifiant un partage de revenu après divorce. Ceci aurait pour effet de rendre caduc le présupposé des juges et des législateurs qui considèrent que « les hommes ont des droits et que la femme ne peut prétendre qu’à la charité » (p. 131).

53 Il arrive que la critique insistante des « mondes antagonistes » chez J. Williams, comme c’était aussi le cas chez M. F. Brinig, lui fasse côtoyer le réductionnisme économique. Elle prend pourtant soin de distinguer ses propositions sur le partage des revenus d’autres propositions qui reposent sur « des analogies forcées avec la législation de l’association commerciale » (p. 126). Ce faisant elle commence à reconnaître qu’il existe une différenciation des liens sociaux dans des contextes comme la famille, l’entreprise, le marché et les organisations. En même temps, il est vrai, elle demande une lecture de la loi dans laquelle toutes ces relations trouvent sur le plan juridique des projections qui sont financièrement équivalentes.

54 L’économie de l’intimité est revisitée dans la même optique par d’autres féministes dont les travaux concernent l’économie des soins aux personnes, aux États-Unis [29]. Le parallélisme avec les juristes est frappant et c’est loin d’être une coïncidence. Les conceptions des « mondes antagonistes » qui considèrent que l’amour et les soins se trouvent dégradés par l’argent, nous expliquent ces spécialistes des soins personnels, risquent en fait de conduire à une discrimination économique défavorable à ces activités de soins prétendument intangibles. Comme l’indiquent la sociologue Paula England et l’économiste Nancy Folbre [30] « le principe qui veut que l’argent n’achète pas l’amour peut déboucher sur l’effet imprévu et pernicieux d’une perpétuation des bas salaires dans les services de personne à personne ». Signalant que ce sont les femmes dont on attend qu’elles prennent en charge ce type de soins, nous devrions nous méfier, préviennent-elles, « de toute idée qu’un salaire convenable vient dégrader une noble vocation » (p. 48).

55 Avec le vieillissement de la génération du baby-boom et alors que la majorité des mères de famille aux États-Unis sont salariées, la charge des enfants, des personnes âgées et des malades devient pour le pays une question politique d’actualité. Dans un éditorial de The Nation, Deborah Stone [31] déclare : « Nous avons le Bill of Rights et nous avons les droits civiques. Nous avons besoin aujourd’hui d’un Droit à la prise en charge et il va falloir une campagne de revendication pour l’obtenir ». Après avoir noté les tensions psychiques et les astreintes des soignants non professionnels ainsi que l’exploitation économique systématique de ceux qui sont professionnels, D. Stone affirme :

« Nous avons besoin d’un mouvement pour démontrer que donner des soins n’est pas un service gratuit, que c’est un travail pénible et qualifié, que cela exige du temps et du dévouement et que les gens qui le font consentent des sacrifices. »
Dans leur effort pour trouver des solutions concrètes, les féministes se heurtent directement aux limitations découlant des idéologies des « mondes antagonistes ». Si le paiement est corrupteur de l’intimité, quelle compensation faut-il trouver pour ces soins personnels ? Faut-il que l’État subventionne les femmes, qui sont traditionnellement chargées de ces soins, afin qu’elles reviennent au foyer ? Qu’en est-il quand ces soins sont procurés en dehors de la parenté ? Les soins deviennent-ils des relations purement impersonnelles ? De plus en plus, les féministes se détachent des réponses traditionnelles et sont amenées à construire une nouvelle éthique des soins personnels. Remettant en cause l’idéalisation de la gratuité, ces auteurs examinent les possibilités théoriques et recherchent les voies pratiques qui permettent la coexistence fructueuse des soins et du paiement. Elles abandonnent les certitudes rigides qui veulent que l’argent soit corrupteur au profit d’une investigation réaliste des soins payés et des soins gratuits.

56 Comme exemple de cela, considérons la thèse de l’économiste féministe britannique Susan Himmelweit [32] selon laquelle « en pratique, il apparaît que les relations établies à l’occasion de soins payés et non payés diffèrent moins que ne le fait croire le discours des dichotomies rigides « public et privé », « payé non payé » et « marché non-marché » (p. 36). Signalant que des personnes payées, dans leur relation prolongée avec le destinataire des soins, vont souvent plus loin qu’ils ne sont tenus à le faire, S. Himmelweit rejette le présupposé que « des liens personnels ne peuvent s’établir au sein de rapports de marché ». « Ce n’est pas tant, explique-t-elle, que nous ajoutons du non payé au payé mais que les rapports payés eux-mêmes peuvent inclure de l’affectif et des liens personnels » (p. 32).

57 Voyez par exemple l’étude de D. Stone [33] consacrée aux travailleurs du secteur des soins personnels de Nouvelle-Angleterre. Malgré l’ambivalence de D. Stone face à ses propres constatations, elle établit deux faits de grande importance pour la thèse défendue ici :

  1. Un système de paiement fortement bureaucratisé pour les soins personnels n’entraîne en aucune façon une relation déshumanisée et froide entre qui donne et qui reçoit les soins.
  2. Ceux qui soignent manipulent le système de paiement pour bien adapter les soins à la relation.
Très préoccupée de la transformation de ces soins en une source de profit, D. Stone a enquêté sur la manière dont les changements intervenus dans le financement par l’Aide médicale (Medicare) et dans le cas des soins pris en charge, modifiaient la pratique des soins. Questionnant des fournisseurs de soins à domicile, elle découvrit un système de paiement qui ne prenait en compte que les soins corporels à l’exclusion de la conversation ou d’autres formes d’attention ou d’assistance. Elle constata également que ces prestataires de soins à domicile ne se transformaient pas en agents bureaucratiques indifférents mais demeuraient, selon D. Stone, « très conscients que ce type de soins est très intime et personnel » (p. 64).

58 Presque sans exception, par exemple, les travailleurs interrogés, qui comprennent des infirmier(e)s, des kinésithérapeutes et des aides à domicile, ont déclaré rendre visite à leurs clients pendant leurs jours de congé, souvent pour leur faire des courses ou les aider d’autre manière. La recommandation de l’agence d’éviter un rapport affectif avec le client manque de réalisme, de l’avis des enquêtés. « Si vous êtes humain ou si vous éprouvez des sentiments humains de compassion, vous n’y échappez pas » (p. 66). Pour s’adapter à un système de paiement inadéquat, ces travailleurs considèrent leur aide supplémentaire comme une manifestation d’amitié ou de bon voisinage. Ou bien, ils prennent des libertés avec les règles, par exemple en traitant d’autres problèmes que ceux officiellement prévus et parfois même en s’occupant de la santé du conjoint de leur patient [34]. Assurément, comme l’observe D. Stone, des modalités inadéquates de paiement exploitent la bonne volonté des donneurs de soins payés. En tout cas, ses entretiens démontrent clairement que des systèmes de paiement ne sont pas incompatibles avec cette sorte de soin et de relation.

59 L’économiste Julie A. Nelson exprime avec force arguments le nouveau scepticisme à l’égard des « mondes antagonistes ». Sa critique prend place à l’intérieur d’une révision plus générale de l’économie qui a cours de nos jours. Tant que le sujet de l’économie restera « l’étude des processus d’échange de choses telles que biens, services, avoirs financiers », soutient J. A. Nelson [35], « la majorité des activités non marchandes des femmes, s’occuper de la maison, des enfants, des parents malades ou âgés, sera considérée comme non économique et donc un sujet inapproprié pour les recherches en économie. Il y a d’importantes conséquences politiques à cette « relégation au second plan » des activités de soin [36]. « Dans les débats budgétaires », relève J. A. Nelson [37], « cela signifie que les programmes pour faire face à ces problèmes dans ces domaines ont tendance à passer pour secondaires, pour être un luxe et sont donc souvent reportés et se trouvent les premiers à être supprimés ou réduits dès la moindre restriction budgétaire ».

60 La coupure entre l’économique et le social entraîne le présupposé supplémentaire que le travail de soin devrait ne pas être payé ou recevoir une modeste récompense afin de prémunir ces tâches de la corruption des échanges marchands. J. A. Nelson [38] rejette catégoriquement ces distinctions, maintenant que les marchés et l’argent sont des dispositifs profondément sociaux, fonctionnant « au sein de réseaux de relations sociales ». Les soins payés, comme le dit J. A. Nelson, « ne sont donc pas secondaires sur le plan relationnel » [39].

61 Soulignant que le marché de la garde d’enfants est fortement social et relationnel, J. A. Nelson remarque que parents ou personnes chargées des enfants envisagent rarement ce marché « comme un échange purement impersonnel d’argent contre service […] les parties entretiennent toutes sortes de contacts personnels, se font confiance, bref s’engagent dans des relations interper- sonnelles. »

« Le spectre du marché grand corrupteur, explique-t-elle, refuse le fait que des gens, c’est le cas de beaucoup de ceux qui s’occupent d’enfants, puissent faire un travail qu’ils aiment, avec des gens qu’ils aiment et recevoir en même temps de l’argent [40]. »
Accordant aux soins personnels payés une légitimité sociale et morale, la position féministe cesse de se poser anxieusement la question du paiement ou non de ce travail pour porter son attention à la quantité et à la forme du paiement ainsi qu’à l’investigation des relations créées par cette activité. N. Folbre et J. A. Nelson (livre à paraître) le montrent très bien :
« Le jugement a priori qui veut que le marché améliore les soins donnés par un gain d’efficacité met un frein à la recherche plutôt qu’il ne la stimule. De même, le jugement a priori que le marché dégrade nécessairement et gravement les soins en remplaçant les motivations altruistes par l’intérêt est un blocage pour la recherche ». Au contraire, écrivent-elles, « l’interpénétration croissante de “l’amour” et de “l’argent” nous apporte l’obligation et nous offre l’occasion d’une recherche et d’une action originales ».
Assurément, les auteures féministes récentes ne sont pas les premières à percevoir ces enjeux. Les historiens ont depuis longtemps décrit, au xixe siècle, l’idéologie des sphères séparées isolant le monde domestique du monde du marché [41] ; les mouvements réclamant un salaire pour les tâches ménagères ont amené la question sur le terrain politique concret, tandis que les psychologues [42] ont largement étudié ces mondes du point de vue cognitif sexué. Toutefois, qu’elles mettent l’accent sur une juste compensation ou sur l’économie des soins, les critiques féministes des « mondes antagonistes » font ressortir encore plus nettement que leurs prédécesseurs et la construction sociale et les conséquences politiques et morales caractéristiques des sphères séparées.

* * *

62 Vénérables et bien ancrées, les dichotomies font obstacle à l’analyse des intersections entre transactions économiques et relations personnelles intimes. Tant que les chercheurs postuleront une division tranchée et catégorique entre un monde de la rationalité instrumentale et un autre monde de la solidarité affective, ils ne parviendront pas à décrire, expliquer, prescrire ou intervenir pour des espaces où liens intimes et transactions économiques coïncident. Une conception des transactions économiques en général comme se conformant à des liens différenciés dont l’intimité est variable en degré et en nature indique la voie pour échapper aux antinomies des « mondes antagonistes » aussi bien qu’à l’impasse du « rien d’autre que ».

63 Si l’on veut examiner sérieusement les liens différenciés, l’analyse économique doit repenser les effets des canaux d’échange. Deux pièges sont à éviter : le premier c’est de retomber subrepticement dans les « mondes antagonistes » ou le « rien d’autre que » en postulant une coupure entre la monnaie officielle et tous les autres canaux d’échange ; le second, à l’inverse, c’est de considérer que tous les canaux se ramènent à des représentations plus ou moins efficaces d’une certaine forme monétaire universelle, abstraite et parfaitement fluide. Il faut, au contraire, reconnaître que chaque canal d’échange est lié à un circuit d’échange donné et que chaque circuit incorpore une certaine structure institutionnelle, des manières de s’entendre et des pratiques communes, des relations interpersonnelles qui le distinguent des autres circuits. Ainsi faire le choix d’un canal ce n’est pas fondamentalement se soumettre à l’influence du canal en tant que tel mais c’est entrer dans un dispositif particulier de structure institutionnelle, de modes de compréhension et de pratiques communes, ainsi que de relations personnelles. Faire le choix de la monnaie officielle ce n’est pas plonger tête baissée dans l’amère rationalité instrumentale mais c’est entrer dans un dispositif particulier qui se trouve privilégier la monnaie officielle comme canal.

64 Sociologues de l’économie, théoriciens du droit et féministes abordent les transactions intimes sous des angles en partie différents. Les sociologues, en majorité, cherchent à étendre, compléter ou contester la conception de la production, de la consommation et de l’échange proposée auparavant par les économistes. Ils se divisent, de ce fait, sur la question de savoir s’il faut exclure les transactions intimes parce que non économiques, les réduire à de stricts calculs de fins et de moyens ou s’il faut construire des théories complètes pour remplacer les approches classiques. De toute manière, ces sociologues s’occupent surtout de décrire et d’expliquer alors que théoriciens du droit et féministes ont des préoccupations plus normatives.

65 Les théoriciens du droit cherchent légitimement à inventer des remèdes pour ce qu’ils considèrent comme des insuffisances, des injustices ou des inexactitudes dans les postures, les prescriptions et les pratiques juridiques régnantes. Comme les sociologues de l’économie, ils oscillent fréquemment entre doctrines des « mondes antagonistes » et du « rien d’autre que », les deux positions incluant désormais de forts éléments prescriptifs à côté des éléments descriptifs et explicatifs. Eux aussi ont recherché en vain une position moyenne entre de strictes dichotomies et de forts réductionnismes. Eux aussi ont désormais entrepris d’explorer la possibilité de formuler une conception plus riche des liens différenciés et par là d’échapper à une impasse théorique.

66 Le même déroulement s’observe chez les féministes. Bien qu’une génération plus ancienne de féministes ait parfois proposé sa propre version particulière de mondes nettement répartis en féminin et masculin, celles qu’on a examinées ici rejettent généralement ce point de vue comme perpétuant l’inégalité de genre. Elles ont essayé différentes variantes de réductionnismes, culturel, politique et économique. Mais récemment, elles évoluent vers une prise en compte plus directe des liens différenciés comme alternative au réductionnisme pur et simple. Ainsi observons-nous dans chacun de ces trois domaines, par ailleurs distincts, un frémissement comparable d’idées relationnelles et profondément sociologiques.

67 Il est sans doute prématuré de parler de convergence, à plus forte raison de synthèse. Il est pourtant encourageant de voir se dessiner une fructueuse division du travail. Même si l’analyse sociologique effective des liens intimes soulève des questions normatives, pour l’essentiel les sociologues concentrent à juste titre leurs efforts sur la description et l’explication. Théoriciens du droit et féministes, en revanche, partent fréquemment du normatif puis abordent progressivement le descriptif et l’explicatif. Nous pourrions aisément changer cette opposition en collaboration. Toute position normative valide repose, même si cela reste implicite, sur des affirmations concernant ce qui existe, pourquoi cela existe et ce qui serait susceptible de le changer. Toute description et explication valide de l’interaction sociale comporte des implications de positions normatives possibles. L’étude des transactions intimes constitue une magnifique invitation à la confrontation et la synthèse.

68 Traduction Michel Chambot

Notes

  • [1]
    Pour une étude et une synthèse quant à la place de la confiance dans la structure sociale, voir Bernard Barber, The Logic and Limits of Trust, New Brunswick, N. J., Rutgers UP, 1983.
  • [2]
    Pour un exposé de la thèse que de tels circuits naissent d’interactions sociales à petite échelle, voir Randall Collins, « Situational Stratification : A Micro-Macro Theory of Inequality », Sociological Theory, vol. 18, 2000, pp. 17-43.
  • [3]
    Robert Kuttner, Everything For Sale : The Virtues and Limits of Markets, New York, Knopf, 1997. Pour une perspective française parallèle, voir Viviane Forrester, L’horreur économique, Paris, Fayard, 1996.
  • [4]
    Jeremy Rifkin, The Age of Access, New York, Jeremy P. Tarcher/Putnam, 2000, p. 241.
  • [5]
    Pour des conceptions culturelles et politiques, voir notamment Kathleen Barry, The Prostitution of Sexuality, New York, New York UP, 1995 ; Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1990 ; Bodies that Matter, New York, Routledge, 1993 ; Wendy Chapkis, Live Sex Acts, New York, Routledge, 1997 ; Heidi Hartman, « The Family as the Locus of Gender, Class, and Political Struggle : the Example of Housework », Signs : Journal of Women in Culture and Society, vol. 6, 1981, pp. 366-394 ; Arlie Hochschild, The Managed Heart, Berkeley, University of California Press, 1983 ; Thomas Laqueur, Making Sex : Body and Gender from the Greeks to Freud, Cambridge, Mass., Harvard UP, 1990 ; Gayle Rubin, « The Traffic in Women : Notes on the “Political Economy” of Sex » in Rayna Rapp (éd.), Toward an Anthropology of Women, New York, Monthly Review Press, 1975.
  • [6]
    Richard A. Posner, Sex and Reason. Cambridge, Mass., Harvard UP, 1997 (1re éd. 1992).
  • [7]
    David D. Friedman, Law’s Order, Princeton, N. J., Princeton UP, 2000.
  • [8]
    Talcott Parsons, « The Changing Economy of the Family », in The Changing Economy of the Family : Report of an Interdisciplinary Seminary, Washington D. C., American Council of Life Insurance, 1978, p. 15.
  • [9]
    Harrison C. White, « Varieties of markets » in B. Wellman and S. D. Berkowitz (éd.), Social Structure : A Network Approach, New York, Cambridge UP, 1988, p. 232.
  • [10]
    Chris and Charles Tilly, Work under Capitalism. Boulder, Colorado, Westview, 1998, p. 22.
  • [11]
    Nicole Woolsey Biggart, Charismatic Capitalism, Chicago, University of Chicago Press, 1989.
  • [12]
    Viviana A. Zelizer, The Social Meaning of Money, New York, Basic Books, 1994.
  • [13]
    Dan M. Kahan, Mémoire inédit, Yale Law School, octobre 1999.
  • [14]
    Pour un examen plus complet de cette question, voir V. A. Zelizer, « The Purchase of Intimacy », Law & Social Inquiry, vol. 25 (Summer) 2000, pp. 817-848. Pour ce qui est de la pratique juridique, voir aussi Ann Laquer Estin, « Love and Obligation : Family Law and The Romance of Economics », William and Mary Law Review, vol. 36, 1995, pp. 989-1087 ; Beverly Horsburgh, « Redefining the Family : Recognizing the Altruistic Caretaker and the Importance of Relational Needs », University of Michigan Journal of Law Review, vol. 25, 1992, pp. 423-504 ; Katharine Silbaugh, « Turning Labor Into Love : Housework and the Law », Northwestern University Law Review, vol. 91, 1996 (Fall), pp. 1-85.
  • [15]
    Steven P. Crowley et Jon D. Hanson, « The Nonpecuniary Costs Of Accidents : Pain-And-Suffering Damages In Tort Law », Harvard Law Review, vol. 108, 1995, pp. 1785-1917.
  • [16]
    Margaret Jane Radin, Contested Commodities, Cambridge, Mass., Harvard UP, 1996.
  • [17]
    Margaret F. Brinig, From Contract to Covenant : Beyond the Law and Economics of the Family, Cambridge, Mass., Harvard UP, 2000.
  • [18]
    Lawrence Lessig, « The New Chicago School », The Journal of Legal Studies, vol. 27, 1998, pp. 661-691.
  • [19]
    Outre D. M. Kahan, Mémoire…, op. cit, voir L. Lessig, « The Regulation of Social Meaning », The University of Chicago Law Review, vol. 62, 1995, pp. 943-1045 ; « Social Meaning and Social Norms », University of Pennsylvania Law Review, n° 144, 1996, pp. 2181-2189 ; « The New Chicago School », op. cit.
  • [20]
    Cass Sunstein, Free Markets and Social Justice, New York, Oxford UP, 1997, p. 36.
  • [21]
    Sur la question de la commensurabilité, voir Wendy Nelson Espeland et L. Stevens Mitchell, « Commensuration as a Social Process », Annual Review of Sociology, vol. 24, 1998, pp. 313-343.
  • [22]
    C. Sunstein, Free Markets…, op. cit., p. 75.
  • [23]
    Ibid., p. 76.
  • [24]
    Ibid., p. 98.
  • [25]
    Ibid., p. 41.
  • [26]
    Carol Rose, « Rhetoric and Romance : A Comment on Spouses And Strangers », Georgetown Law Journal, vol. 82, sept. 1994, pp. 2409-2421.
  • [27]
    Reva B. Siegel, « The Modernization of Marital Status Law : Adjudicating Wives’ Rights to Earnings, 1860-1930 », Georgetown Law Journal, vol. 82, sept. 1994, pp. 2139-2140.
  • [28]
    Joan Williams, Unbending Gender : Why Family and Work Conflict and What to Do About It, New York, Oxford UP, 2000.
  • [29]
    Pour une introduction à un choix d’études sociales concernant les soins au personnes, voir Francesca M. Cancian et J. Oliker Stacey, Caring and Gender. Thousand Oaks, California, Pine Forge Press, 2000.
  • [30]
    Paula England et Nancy Folbre, « The Cost of Caring », in Ronnie J. Steinberg and Deborah M. Figart (éd), « Emotional Labor in the Service Economy », Special issue of The Annals of the American Academy of Political And Social Science, n° 561, janv. 1999, pp. 39-51.
  • [31]
    Deborah Stone, « Why We Need a Care Movement », The Nation, vol.13, mars 2000, pp. 13-15.
  • [32]
    Susan Himmelweit, « Caring Labor », in R. J. Steinberg and D. M. Figart (éd.), « Emotional Labor…» op. cit., pp. 27-38.
  • [33]
    D. Stone, « Care and Trembling », The American Prospect, vol. 43, 1999, pp. 61-67.
  • [34]
    Pour des exemples européens de variation des types de soins payés et de manipulation semblable des systèmes de paiement pour s’adapter aux relations, voir Clare Ungerson, « Gender, Cash, and Informal Care : European Perspectives and Dilemmas », Journal of Social Policy, vol. 21, 1995, pp. 31-52.
  • [35]
    Julie A. Nelson, « Labour, Gender and the Economic/Social Divide », International Labour Review, n° 137, 1998, pp. 44.
  • [36]
    J. A. Nelson, « Of Markets and Martyrs : Is It OK To Pay Well For Care ? », Feminist Economics, vol. 5, 1999, pp. 56.
  • [37]
    J. A. Nelson, « Labour, Gender… », op. cit., p. 33.
  • [38]
    J. A. Nelson, « Of Markets and Martyrs… », op. cit., p. 56.
  • [39]
    J. A. Nelson, « One Sphere or Two ? », in V. A. Zelizer (éd.), Special Issue on « Changing Forms of Payment », American Behavioral Scientist, vol. 41, 1998, pp. 1470.
  • [40]
    Ibid., p. 1470.
  • [41]
    Voir Nancy Cott, The Bonds of Womanhood, New Haven, Yale UP, 1977 ; Jeanne Boydston, Home & Work, New York, Oxford UP, 1990.
  • [42]
    Voir Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering : Psychoanalysis and the Sociology of Gender, Berkeley, University of California Press, 1978 ; Carol Gilligan, In A Different Voice : Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Mass., Harvard UP, 1982.
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