C’est en 1992 que la question de la fin de la vie m’a sollicité directement, et un peu par hasard puisque je remplaçais un collègue indisponible, quand je fus convié à participer à la formation de personnels soignants dans le cadre d’un diplôme universitaire de soins palliatifs, à Angers. Il s’agissait d’une formation à l’époque encore très pionnière et qui se voulait déjà pluridisciplinaire. Je savais parler de la mort à la façon de tous les enseignants de philosophie. Je me nourrissais de Jankélévitch, dont j’avais suivi jadis quelques cours. Je mobilisais les grands noms de la philosophie, tout en m’intéressant aux travaux d’anthropologie, notamment ceux de Louis-Vincent Thomas, que j’avais eu la chance de fréquenter.
Ma rencontre avec les personnels des soins palliatifs fut le début d’une aventure humaine et intellectuelle que je n’avais nullement préméditée. Elle m’a conduit à élargir les considérations habituelles sur la mort et la finitude pour aborder un autre continent, celui de la réponse qu’une société peut proposer « face à celui qui meurt », selon le titre d’un classique des soins palliatifs, signé par l’un des précurseurs français de cette discipline. Je découvrais que nos contemporains étaient davantage hantés par les conditions du mourir que par l’apprentissage de la mort, au sens où la tradition philosophique l’entendait, quand elle affirmait avec Montaigne « que philosopher c’est apprendre à mourir ». M’intéressant à ce que vivait mon auditoire, j’ai exploré au fil des ans le monde du soin et me suis mis à son écoute patiente, le plus modestement possible…