RFAS : Depuis la sortie de votre ouvrage en 2008, l’expérience du « devenir adulte » dans les sociétés européennes et mondiales a-t-elle évolué ?
Oui, et de façon frappante : quelque chose de commun a émergé, qui marquera le destin social et politique de cette génération. Je n’aurais pas imaginé une telle rupture historique quelques années auparavant. Celle-ci a pris corps dans le sillage de la crise, des politiques d’austérité, et d’une prise de conscience environnementale. L’expérience du devenir adulte se voit de plus en plus marquée par les contraintes d’une compétition sociale accrue, qui tend les choix de vie et nourrit certaines formes de colère et de désadhésion sociale, mais aussi de nouvelles résistances individuelles ou collectives. Que ce soit à Paris, Madrid, Santiago du Chili, Montréal ou Hong Kong, où j’ai réalisé mes enquêtes, les récits tendent à pointer la « violence » du processus de confrontation au marché, à l’issue des études ou pour se maintenir en emploi : devenir puis rester « compétitif », ajuster et réajuster son « être » aux règles du jeu social exigent désormais un travail d’adaptation sans cesse renouvelé, et considéré comme éprouvant sur le long terme. Au sein des parcours des jeunes générations, cette adversité se traduit désormais par une mise en tension fondamentale, parfois radicale, entre « l’être » et le « système ». L’enjeu central, tel qu’il est vécu et énoncé dans les récits de vie, devient : s’ajuster, jusqu’où ?
Ce travail d’ajustement se joue prioritairement au niveau socioprofessionnel, et prend de plus en plus la forme de déviations consenties pour pouvoir exister dans ce « système » – mot-valise qui revient de façon récurrente dans les entretiens, et qui désigne tout ou partie de l’organisation sociale, politique ou économique…