Notes
-
[1]
Remerciements : Jean-Marie Monnier, Carlo Vercellone, Marc de Basquiat, Léon Régent.
-
[2]
Nota : elle payait déjà la CSG dès les premiers euros gagnés.
-
[3]
Ce chiffre correspond au montant en 2016 du RSA socle pour une personne seule (535,17 euros), forfait logement compris, auquel on a ajouté le montant mensualisé de la prime de Noël (152,45 euros par an), aujourd’hui réservée aux bénéficiaires du RSA socle. Remarquons que la plupart des allocataires du RSA bénéficient d’une prestation dont sont déduits 64,22 euros de forfait logement, soit 484 euros pour une personne seule.
-
[4]
Par exemple, pour les revenus du travail, c’est l’actuel revenu imposable dont on ne déduit pas les frais professionnels.
-
[5]
Le montant a été calculé afin qu’une famille monoparentale avec un seul enfant ne soit pas perdante.
-
[6]
Voir http://www.revolution-fiscale.fr/. Les simulations ont été calibrées pour l’année 2013, et leurs résultats ont été revalorisés pour l’année 2016. Ce travail a été permis grâce à l’aide précieuse apportée par Marc de Basquiat.
-
[7]
Il est supposé que le ménage touche uniquement des revenus salariaux et qu’il ne bénéficie d’aucun abattement, réduction et crédit d’impôt en dehors de l’abattement de 10 % pour frais professionnels.
-
[8]
Dans cette comparaison, on a déduit du RSA socle le forfait logement (62,90 euros pour les personnes seules et 125,80 euros pour les couples en janvier 2017), d’où un gain affiché très élevé pour les couples. Le gain effectif serait donc moindre si les couples bénéficient du RSA forfait logement inclus ou des aides pour le logement.
-
[9]
Ceci correspond à une croissance annuelle de 2,1 %. Notons que le PIB nominal n’a connu que 1,5 % de croissance annuelle sur la période 2013-2015.
-
[10]
Évaluation des voies et des moyens, tome II : les dépenses fiscales [en ligne] http://www.performancepublique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2015/pap/pdf/VMT2-2015.pdf
-
[11]
Notons que la mise en œuvre d’un impôt négatif au lieu d’un véritable revenu universel ne permet pas d’obtenir ce résultat, puisque le montant de l’impôt négatif perçu par le travailleur à bas salaire dépendra toujours de son salaire (voir Hyafil, 2016b).
Introduction [1]
1Les élections présidentielles de 2017 ont été l’occasion de débattre de la proposition de remplacer le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et éventuellement les aides au logement (APL) par un revenu universel ou revenu de base, défini comme un revenu versé par la collectivité à tous les résidents adultes de façon inconditionnelle, universelle et individuelle. Les justifications théoriques d’un tel revenu universel sont diverses. Pour T. Paine (1796), il s’agit de la compensation du fait que les individus ont été dépossédés de leur droit naturel sur la terre et sur les fruits que celle-ci produit gratuitement. Pour J. E. Meade (1993) ou Y. Bresson (1977), il s’agit de l’héritage collectif des progrès techniques passés, qui permettent à chaque travailleur d’être plus productif, mais dont on ne saurait réserver les fruits uniquement aux travailleurs rémunérés et propriétaires du capital, idée que l’on retrouve chez ceux qui défendent un revenu universel pour faire face aux effets de l’automatisation et de la numérisation sur l’emploi (Conseil national du numérique, 2016). Pour J. M. Monnier et C. Vercellone (2006), il s’agit d’un revenu primaire, à savoir la rétribution sociale d’une dimension cognitive et immatérielle du travail qui joue un rôle croissant dans la production de richesse et de valeur : le revenu universel se justifie par le fait que le travail est de plus en plus cognitif et contributif et que ce dernier échappe aux critères traditionnels de sa mesure et de sa rémunération. Pour J. M.Ferry (1995), P. Van Parijs (1995), A. Gorz (1997), D. Graeber (2013) ou J.-E. Hyafil (2016), le revenu universel serait un moyen de désaliéner le travail en donnant au travailleur un pouvoir accru pour choisir un travail qui fait sens pour lui et refuser un emploi qu’il jugerait dénué de sens ou des conditions de travail indignes.
2Mais c’est d’abord comme piste de réforme des minima sociaux que le revenu universel nous intéresse ici : il s’agirait en somme d’universaliser le RSA. Le rapport du député Sirugue (Sirugue, 2016 ; Cauneau et al., 2016) s’est intéressé à cette proposition, avec notamment pour objectif de mettre fin au non-recours au RSA, de supprimer le stigmate qui peut peser sur ses allocataires et de simplifier le fonctionnement du dispositif.
3Précisons que nous parlons ici d’un revenu universel versé dès 18 ans qui ne remplacerait que les allocations de solidarité ciblées sur les ménages à bas revenu : le RSA, la prime d’activité et éventuellement les allocations logement. Ce revenu universel n’affecterait pas les autres piliers de la protection sociale que sont l’assurance chômage, le système de retraite ou l’assurance maladie. L’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation de solidarité avec les personnes âgées (ASPA, ciblée sur les adultes de plus de 65 ans ayant une retraite insuffisante) seraient maintenues, le revenu universel pouvant se déduire de leur montant. Les multiples mécanismes d’aide aux enfants (allocations familiales, complément familial, allocation rentrée scolaire, supplément enfant du RSA et quotient enfant de l’impôt sur le revenu) peuvent être remplacés par une allocation forfaitaire par enfant (de Basquiat et Lecomte, 2015). Enfin, une allocation supplémentaire serait maintenue pour les familles monoparentales pour que celles-ci ne soient pas pénalisées par le passage à une allocation individualisée.
4Cet article doit permettre de comprendre les enjeux d’une réforme sociofiscale introduisant un revenu universel, de mettre en évidence ses effets redistributifs potentiels ainsi que ses conséquences pour les actuels allocataires de minima sociaux. Dans une première partie, nous appréhenderons le revenu universel et son financement comme une réforme sociofiscale globale afin d’avoir une meilleure compréhension de l’enjeu financier. Dans une deuxième partie, nous poserons la question du montant d’un tel revenu universel et des prestations qu’il pourrait remplacer (soit uniquement le RSA et la prime d’activité, soit aussi les APL). Dans une troisième partie, nous formulerons une proposition de réforme fiscale introduisant un revenu universel dont nous tâcherons de mettre en évidence les effets redistributifs dans la quatrième partie. Dans la dernière partie, nous nous intéresserons aux conséquences d’une telle réforme pour les actuels allocataires de minima sociaux – notamment concernant les questions de non-recours et de prévisibilité de l’allocation – ainsi que ses effets potentiels sur l’offre de travail.
Comprendre le financement du revenu universel
5Les chiffres du budget brut d’un revenu universel semblent colossaux : 307 milliards (12,7 % du PIB) pour un revenu universel à 500 euros par mois, 461 milliards (19,0 % du PIB) pour 750 euros par mois. Pour autant, toutes les propositions de revenu universel (Basquiat et Koenig, 2014 ; Hyafil et Laurentjoye, 2016) vont de pair avec une réforme fiscale qui permet de couvrir ce coût budgétaire. Lorsque l’on envisage le revenu universel et son financement comme un tout, comme une réforme sociofiscale globale, il apparaît alors que ce sont les effets redistributifs de la réforme globale qu’il est pertinent d’analyser. En effet, le financement d’un revenu universel par un changement du barème et de l’assiette de l’impôt sur le revenu peut produire des effets redistributifs comparables à ceux de l’actuel couple RSA et impôt sur le revenu (IRPP) comme l’illustre le schéma 1 ci-dessous. Certes, l’aller-retour des transferts entre l’État et les individus (revenu universel et hausse des impôts sur les ménages) conduit à augmenter très fortement les indicateurs de dépenses publiques et de recettes fiscales, mais ceci n’a aucune conséquence économique.
6Bien évidemment, une partie du financement du revenu universel peut reposer sur d’autres prélèvements que l’impôt sur le revenu : renforcement des impôts sur le patrimoine, lutte contre l’évasion fiscale, meilleure imposition des bénéfices des sociétés multinationales, réductions de certaines subventions à l’emploi (exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires, crédit d’impôt compétitivité emploi), etc.
Schéma 1. Comprendre le financement du revenu universel
Schéma 1. Comprendre le financement du revenu universel
Lecture : Aujourd’hui, une personne sans revenu bénéficie du RSA. Si elle gagne 100 euros de salaire, le RSA qu’elle touche (+ prime d’activité) diminue de 38 euros. À partir d’un certain seuil qui se situe un peu au-dessus du SMIC, elle ne touche plus ni RSA ni prime d’activité. Au-delà de ce seuil, elle commence à payer l’impôt sur le revenu (IRPP) [2].Si l’on passe au revenu de base, cette même personne ne voit pas son allocation diminuer quand elle touche un salaire. En revanche, l’IRPP est quant à lui prélevé à la source dès les premiers euros gagnés. C’est cette réforme de l’IRPP qui permet de financer le revenu de base.
Quel montant et quelles prestations remplacées ?
7Quelles sont les prestations que le revenu universel pourrait remplacer ? Deux scénarios alternatifs peuvent être envisagés : soit un revenu universel au niveau de l’actuel RSA pour une personne seule, soit entre 484 euros et 548 euros en 2017 (suivant que l’on prend ou non en compte le forfait logement [3]), soit un montant plus élevé afin d’absorber aussi les aides au logement (APL).
8Cette seconde option aurait plusieurs intérêts. Elle permettrait de déconnecter l’allocation du montant du loyer, et donc de supprimer l’effet inflationniste des APL sur les loyers (Fack, 2005 ; Laferrère et Le Blanc, 2002). Elle aplatirait aussi le taux marginal d’imposition implicite du couple RSA + APL, taux qui varie entre 38 % et 75 % en montagnes russes en dessous du SMIC (Hyafil et Laurentjoye, 2016).
9Cependant, contrairement au revenu universel qui est une allocation individuelle, les APL sont très fortement familialisées, plus encore que le RSA. Ainsi, le cumul du RSA socle et des APL peut atteindre au maximum 794 euros pour une personne seule en zone I du calcul des APL, contre seulement 1 065 euros pour un couple, soit seulement 34 % de plus. Pour remplacer avantageusement le RSA et les APL sans faire de perdants parmi les adultes seuls et les familles monoparentales, il faudrait donc un revenu universel de 741 euros, voire 794 euros en zone I.
Familialisation du système social actuel versus individualisation du revenu universel (en 2017)
Familialisation du système social actuel versus individualisation du revenu universel (en 2017)
* Dans le calcul du RSA pour un ménage avec enfant, il faut déduire du montant les allocations familiales et le complément familial, ainsi que l’éventuelle allocation de soutien familial (ASF) versée aux familles monoparentales qui ne reçoivent pas de pension alimentaire. L’allocation de soutien familial étant maintenue dans la réforme introduisant un revenu universel présentée ici. En revanche, nous ajoutons au complément pour les familles monoparentales (qui s’ajoute à l’ASF) afin d’éviter qu’elles soient perdantes à la réforme.10Un revenu universel à 741 euros, voire à 794 euros, aurait un coût budgétaire très élevé et ferait de grands perdants parmi les ménages aisés qui sont les contributeurs nets à son financement. Les gagnants seraient les couples modestes, qui verraient leur revenu disponible bondir de plus de 400 euros (660 euros s’ils ne touchent pas les APL). Au contraire, les personnes seules ou les familles monoparentales, plus vulnérables que les couples, ne verraient pas leur revenu disponible augmenter.
11Un revenu universel à 548 euros permettrait de remplacer avantageusement le RSA et les APL pour un couple (1 096 euros contre 1 065 euros), mais pas pour une personne seule (548 euros contre 795) ni pour une famille monoparentale (748 euros contre 1 065 euros). Nous proposons une réforme globale intégrant un revenu universel à 548 euros remplaçant le RSA et les APL, auquel s’ajouterait une prestation sous condition de ressources (et éventuellement conditionnée à une démarche d’insertion professionnelle) ciblée sur les personnes seules et les familles monoparentales.
Une proposition de réforme fiscale intégrant un revenu universel
12Nous formulons ici une proposition de revenu universel à 548 euros, qui ne remplace que le RSA et la prime d’activité. Les aides au logement sont remplacées par un dispositif ciblé sur les personnes isolées et familles monoparentales.
13Pour simplifier l’analyse, nous proposons que le financement repose uniquement sur une réforme de l’impôt sur le revenu :
- le barème de l’actuel impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) est modifié : les trois premières tranches – imposées à 0 %, 14 % et 30 % – sont remplacées par une vaste tranche imposée à un taux de 32 %. L’IRPP serait donc prélevé dès les premiers euros gagnés au-delà du revenu universel. Ajoutons que l’impôt serait prélevé à la source ;
- l’assiette de cet impôt est constituée du revenu imposable, les abattements étant supprimés [4], tout comme les réductions et crédits d’impôt ;
- cet impôt serait individualisé, mais on peut imaginer maintenir un système de quotient conjugal, comme développé par Hyafil et Laurentjoye (2016).
14Le choix de simuler une réforme dans laquelle le revenu universel n’est financé que par l’impôt sur le revenu ne reflète pas une préférence de l’auteur ; il permet uniquement de ne pas dissimuler le potentiel coût net de la mesure pour les ménages aisés qui seraient les contributeurs nets, dans le cas où l’État ne parviendrait pas à diversifier le financement de cette mesure. Cette proposition constitue donc un scénario « de base », à partir duquel on peut modifier les paramètres à loisir suivant les marges fiscales que l’État peut dégager par ailleurs.
Proposition de barème de l’impôt sur le revenu pour financer un revenu universel à 548 euros
Tranche d’imposition | Actuel taux marginal d’imposition | Taux marginal d’imposition avec un revenu universel | |
---|---|---|---|
Tranche 1 | De 0,00 € à 9 700 € | 0 % | 32 % |
Tranche 2 | De 9 700 € à 26 791 € | 14 % | 32 % |
Tranche 3 | De 26 791 € à 71 826 € (59 826 € dans la version avec un revenu universel) | 30 % | 32 % |
Tranche 4 | De 71 826 € (59 826 €) à 152 108 € | 41 % | 41 % |
Tranche 5 | Au-delà de 152 108 € | 45 % | 45 % |
Proposition de barème de l’impôt sur le revenu pour financer un revenu universel à 548 euros
Note : Assiette de l’impôt sur le revenu : revenus du travail sans abattement + revenus de remplacement bruts + revenus financiers bruts.15Ajoutons que, dans ce modèle de base, l’ensemble des allocations pour les enfants (allocations familiales, complément familial, supplément enfant du RSA, allocation de rentrée scolaire) ainsi que le quotient enfant de l’impôt sur le revenu seraient remplacés par une allocation forfaitaire par enfant de 185 euros de 0 à 13 ans et 250 euros de 14 à 17 ans (pour plus de détails, voir de Basquiat et Lecomte, 2015). En outre, une aide spécifique de 241,83 euros [5] serait attribuée aux familles monoparentales en plus de l’actuelle allocation de soutien familial afin d’éviter qu’elles soient perdantes.
16Pour estimer les recettes à attendre de la réforme fiscale proposée, nous avons réalisé une simulation à partir de l’échantillon de 821 815 individus représentatifs de la société française collecté par C. Landais, T. Piketty et E. Saez (2011) [6]. Le tableau 3 ci-dessous montre que le budget de la réforme est équilibré : la dépense publique et les recettes de l’impôt sur le revenu y augmentent de 325,5 milliards d’euros par an.
Budget équilibré pour le revenu universel
REVENU UNIVERSEL À 547,88 € | |||
---|---|---|---|
BUDGET DES PRESTATIONS ACTUELLES REMPLACÉES OU MODIFIÉES (en milliards d’euros) | BUDGET DES NOUVELLE PRESTATIONS (en milliards d’euros) | ||
RSA et prime d’activité (1) | 15,0 | REVENU UNIVERSEL adulte (3) | 336,5 |
Allocations familiales, complément familial, allocation de rentrée scolaire (1) | 17,6 | REVENU UNIVERSEL enfant | 38,9 |
PAJE de base (1) | 4,5 | ||
Allocation de soutien familial (1) | 1,4 | Nouvelle ASF | 5,0 |
Aides au logement (1) | 18,6 | Aides ciblées personnes seules et familles monoparentales | 12,0 |
Minimum vieillesse | 3,6 | Minimum vieillesse | 1,0 |
Allocation pour adulte handicapé (1) | 8,9 | Allocation pour adulte handicapé (3) | 3,5 |
Coût actuel des bourses étudiantes (2) | 1,9 | ||
Total prestations actuelles (A) | 71,5 | Total prestations avec revenu universel (B) | 397,0 |
Variation de la dépense (B-A) | + 325,5 | ||
Budget des prélèvements actuels modifiés ou supprimés (en milliards d’euros) | Nouveaux prélèvements obligatoires (en milliards d’euros) | ||
CSG et CRDS (4) | 102,7 | CSG et CRDS (4) | 102,7 |
Impôt sur le revenu des personnes physiques (4) | 70,2 | Impôt sur le revenu des personnes physiques (3) | 395,7 |
Manque à gagner sur l’IRPP lié aux dépenses fiscales | 34,0 | ||
Total des recettes actuelles (C) | 172,8 | Total recettes avec revenu universel (D) | 498,4 |
VARIATION DES RECETTES (D-C) | + 325,6 |
Budget équilibré pour le revenu universel
(1) Estimation 2016 à partir des données CAF pour 2014 [en ligne] http://data.caf.fr/dataset/les-depenses-tousregimes-de-prestations-familiales-et-sociales/resource/64f6f137-4a74-4ab9-abd2-82f64c44eee4.(2) Source : Sénat [en ligne] http://www.senat.fr/commission/fin/pjlf2014/np/np21/np214.html
(3) Estimation à partir d’une microsimulation sur l’échantillon récolté par Landais, Saez et Piketty, pour l’année 2013. Voir http://www.revolution-fiscale.fr/
(4) Source : INSEE.
Effets redistributifs de la proposition
17Pour mettre en évidence les effets redistributifs de cette réforme sociofiscale, deux méthodes sont possibles : la première consiste à prendre des cas-types et à voir comment leur revenu disponible est affecté par la réforme. La seconde consiste à partir d’un échantillon représentatif de la population française et à mettre en évidence les effets de la réforme sur leur revenu disponible par décile de niveau de vie et suivant le type de ménage, ainsi que les masses de revenus transférés entre les différentes catégories de ménage.
Analyse à partir de cas-types
18Les graphiques 1 et 2 ci-dessous présentent la variation de revenu disponible mensuel en absolu et en relatif suivant le salaire brut [7]. Pour ces simulations, nous avons choisi trois ménages types : une personne seule, un couple sans enfant et une famille monoparentale avec un enfant – l’effet de la réforme suivant le nombre d’enfants ayant déjà été mis en évidence plus haut.
19Les principaux gagnants de cette réforme sont les couples qui touchent moins de 3 000 euros brut par mois, puisqu’ils voient leur revenu disponible augmenter de près de 400 euros par mois [8], du fait de l’individualisation du revenu universel. Les personnes seules et les familles monoparentales à bas salaire sont aussi légèrement gagnantes (entre 50 euros et 180 euros jusque 2 500 euros de revenu net).
Effets redistributifs du revenu universel (en euros)
Effets redistributifs du revenu universel (en euros)
Effets redistributifs du revenu universel (en %)
Effets redistributifs du revenu universel (en %)
20Le seuil de revenu brut à partir duquel le ménage commence à subir une perte de revenu disponible est de 2 700 euros brut pour une personne seule, 4 000 euros pour une famille monoparentale et 5 500 euros pour un couple. La perte relative en revenu disponible ne dépasse pas les -5 % pour des ménages ne bénéficiant pas des dépenses fiscales sur l’IRPP. Rappelons que cette simulation n’a pas pris en compte la possibilité que le ménage bénéficie de dépenses fiscales dans la situation actuelle (en dehors de l’abattement pour frais professionnels).
Analyse des transferts entre ménages à partir d’un échantillon représentatif
21L’analyse par cas-type ne peut suffire puisqu’elle ne rend pas compte de l’extrême diversité des compositions familiales et des sources de revenu, ou encore de la possibilité de bénéficier d’une dépense fiscale, etc. Nous avons simulé les effets de notre réforme sociofiscale sur le revenu disponible de l’échantillon de 821 815 individus représentatifs de la société française collecté par C. Landais, T. Piketty et E. Saez (2011). Ce travail nous permet d’analyser les transferts de revenu entre les différentes catégories de population classées par décile de niveau de vie et par composition du ménage.
22Avant d’analyser les effets redistributifs du couple revenu universel/réforme fiscale, on peut commencer par observer les conséquences de la seule réforme de l’IRPP. Le tableau 4 ci-dessous compare la répartition, par décile de niveau de vie, de l’assiette et des recettes de l’IRPP avant et après la réforme. On observe d’abord une augmentation de l’assiette de l’IRPP de 862,6 à 1 104,5 milliards, ainsi qu’une variation des recettes de l’IRPP (nettes de la prime pour l’emploi) de 60,8 à 371,7 milliards (la simulation est faite sur l’année 2013). On voit que si les deux derniers déciles de niveau de vie contribuent à l’IRPP aujourd’hui respectivement à hauteur de 9,9 (16 % du total) et 40 milliards (66 % du total), ils contribueraient à hauteur de 55,4 milliards (15 % du total) et 117,4 milliards (32 % du total) après la réforme. La réforme répartit bien évidemment la charge de l’IRPP sur un plus grand nombre de ménages.
Répartition de l’assiette et des recettes de l’ancien et du nouvel IRPP par décile de niveau de vie, pour l’année 2013 (en milliards d’euros)
Décile de niveau de vie | Assiette de l’actuel IRPP | Assiette du nouvel IRPP | Recettes de l’actuel IRPP, dont prime pour l’emploi(1) | Recettes du nouvel IRPP |
---|---|---|---|---|
D1 | 13,3 | 15,2 | -0,4 | 5,0 |
D2 | 33,7 | 38,0 | -0,6 | 12,5 |
D3 | 46,9 | 53,9 | -0,7 | 17,7 |
D4 | 60,9 | 71,1 | -0,1 | 23,4 |
D5 | 69,3 | 84,2 | 1,0 | 27,7 |
D6 | 78,0 | 97,4 | 2,1 | 32,0 |
D7 | 88,2 | 112,7 | 3,7 | 37,0 |
D8 | 101,5 | 132,9 | 5,9 | 43,7 |
D9 | 125,6 | 168,4 | 9,9 | 55,4 |
P90-P95 | 81,2 | 109,9 | 9,0 | 36,3 |
P95-P99 | 95,2 | 127,5 | 14,5 | 43,5 |
P99-P100 | 68,9 | 93,3 | 16,5 | 37,6 |
Total | 862,6 | 1104,5 | 60,8 | 371,7 |
Répartition de l’assiette et des recettes de l’ancien et du nouvel IRPP par décile de niveau de vie, pour l’année 2013 (en milliards d’euros)
(1) L’impôt est négatif pour les premiers déciles car ils bénéficiaient de la prime pour l’emploi, qui est un crédit d’impôt.23Après ce constat, on peut mieux comprendre les effets redistributifs de la réforme prise dans son ensemble. Une première analyse consiste à identifier les contributeurs nets et les bénéficiaires nets à la réforme sociofiscale (voir tableau 5). D’après notre simulation, les bénéficiaires nets sont les six premiers déciles de niveau de vie, tandis que les contributeurs nets sont surtout les trois derniers déciles. Les deux premiers déciles de niveau vie bénéficieraient en net respectivement de 15,8 et de 10,4 milliards de transferts, dont 6,8 milliards seraient associés à la suppression du non-recours au RSA. Les deux derniers déciles contribueraient en net respectivement à hauteur de 8,9 milliards et 33 milliards. La hausse de la contribution nette des 1 % les plus aisés (en niveau de vie) atteindrait 13,7 milliards.
Masse de revenus transférés entre catégories de population par type de ménage et décile de niveau de vie (en milliards d’euros)
Masse de revenus transférés entre catégories de population par type de ménage et décile de niveau de vie (en milliards d’euros)
24Par ailleurs, l’analyse des transferts par type de ménage montre que les personnes seules et les familles monoparentales sont en moyenne bénéficiaires nettes (pour respectivement 4,1 et 6,1 milliards). Cela s’explique par le fait que les actifs seuls et les familles monoparentales sont surreprésentés parmi les premiers déciles de niveau de vie (voir tableau 6), ainsi que par le fait que le nouveau système est plus généreux avec les familles monoparentales modestes. Les couples sans enfant et les retraités seuls sont, quant à eux, en moyenne contributeurs nets pour 3,6 milliards chacun.
Répartition de la population par type de ménage et décile de niveau de vie (en % de la population totale)
Répartition de la population par type de ménage et décile de niveau de vie (en % de la population totale)
25Les tableaux 7 et 8 mettent en évidence les variations de revenu disponible mensuel en euros et en pourcentage (hors ménages ne recourant pas à leur droit au RSA). On retrouve le fait que les individus des deuxième et troisième déciles de niveau de vie bénéficient de hausses de niveau de vie respectivement de 166 euros et 128 euros par mois, soit un peu plus que les individus du premier décile de niveau de vie (119 euros). Les couples et les familles monoparentales restent en moyenne gagnants à la réforme jusqu’au 7e, voire 8e décile de niveau de vie, tandis que les adultes seuls sont perdants en moyenne à partir du 6e décile.
Variation moyenne du niveau de vie mensuel par type de ménage et décile de niveau de vie pour l’année 2013 (en euros, hors non-recours)
Variation moyenne du niveau de vie mensuel par type de ménage et décile de niveau de vie pour l’année 2013 (en euros, hors non-recours)
Variation relative moyenne du revenu disponible par type de ménage et décile de niveau de vie pour l’année 2013 (en %, hors non-recours)
Variation relative moyenne du revenu disponible par type de ménage et décile de niveau de vie pour l’année 2013 (en %, hors non-recours)
26Au contraire, la baisse du niveau de vie mensuel atteindrait 165 euros en moyenne (-6,1 % de revenu disponible) pour les individus du 9e décile, et respectivement 279 euros (-8,2 %), 510 euros (-10,5 %) et 2 506 euros (-16,2 %) pour les individus se situant respectivement dans les centiles 90 à 94, 95 à 99 et dans le dernier centile. Si les derniers centiles de niveau de vie subissent une perte de revenu disponible plus forte en moyenne que ce que l’on observe dans l’analyse des cas-types, c’est parce que ces derniers bénéficient largement de dépenses fiscales supprimées par la réforme, dépenses fiscales qui ne sont pas prises en compte dans l’analyse des cas-types.
27Il faut enfin rendre compte de l’extrême diversité des situations au sein même des déciles de niveau de vie actuelle, car si les ménages des premiers déciles de niveau de vie sont en moyenne gagnants à la mesure, certains ménages parmi ces déciles peuvent malgré tout être perdants.
28Le tableau 9 présente, par décile de niveau de vie, la répartition des individus en catégories de variation relative du revenu disponible. On remarque d’abord que la réforme fait autant d’individus gagnants (49,9 %) que d’individus perdants (50,1 %). 61,1 % de la population observe une variation de revenu disponible comprise entre -10 % et +10 %. Si ce chiffre représente la majorité, on note tout de même que 38,9 % de la population subit des variations fortes (pertes supérieures à -10 % ou gains supérieurs à +10 %).
Répartition des individus gagnants et perdants à la réforme par décile de niveau de vie (en %)(1)
Répartition des individus gagnants et perdants à la réforme par décile de niveau de vie (en %)(1)
(1) Si la population de chaque décile ne représente pas exactement 10 % de la population totale, c’est parce que les déciles ont été définis en prenant comme unité le ménage, tandis que les proportions ici prennent comme unité l’individu.2915 % de la population subit une baisse de revenu disponible supérieure à 10 %. On remarque que la réforme fait malgré tout des perdants parmi les trois premiers déciles, même s’ils sont peu nombreux (respectivement (3,0 %, 1,6 % et 6,8 %). Ce résultat semble contradictoire avec ceux obtenus à l’analyse des cas-types. Il peut s’agir, entre autres, d’étudiants qui pouvaient cumuler une bourse étudiante et un salaire sans être imposés sur ce salaire, mais qui se voient alors taxer dès le premier euro sur le salaire. Une réforme spécifique pour les étudiants (non traitée dans cet article) pourrait répondre à cette limite.
30On note que le nombre de perdants parmi les déciles 4 et 5 n’est pas négligeable : respectivement 23,9 % et 44,1 %, avec respectivement 3 % et 10 % qui subissent une perte de revenu disponible supérieure à 10 %. Les perdants deviennent majoritaires à partir du 6e décile, et représentent la grande majorité des quatre derniers déciles de niveau de vie, avec certains ménages du dernier décile subissant des pertes supérieures à 20 % (le maximum observé étant de -52 %).
31À l’inverse, 23,9 % de la population profite d’une hausse de revenu disponible supérieure à 10 %. Les personnes concernées sont particulièrement concentrées parmi les quatre premiers déciles de niveau de vie (respectivement 8,1 %, 7,8 %, 4,3 % et 2,4 % de la population totale).
32Les résultats obtenus doivent être relativisés compte tenu d’une part des limites de la représentativité de l’échantillon. En outre, l’exercice peut donner des résultats inattendus, notamment du fait que nous avons construit dans l’échantillon une correspondance des foyers fiscaux et des foyers sociaux par un algorithme élaboré par Marc de Basquiat (2011). Enfin, la complexité de l’échantillon original et des calculs de prestations et des prélèvements sur cet échantillon ne nous met pas à l’abri de certaines erreurs. Un travail sur un échantillon plus actuel et plus fiable pourrait donner d’autres résultats.
Encadré. Méthode
Cette microsimulation permet d’estimer les coûts de la réforme sociale et les recettes de la réforme fiscale, donc de vérifier l’équilibre budgétaire de la mesure. Elle permet aussi de mettre en évidence les effets redistributifs de la mesure, en identifiant les gagnants et les perdants en termes de revenu disponible. En revanche, il est supposé que les revenus sont fixes : la microsimulation ne prend donc pas en compte les éventuels effets dynamiques de la mesure : effets sur l’offre de travail, effets sur la demande globale liée à l’augmentation de revenu disponible des ménages modestes. Les éventuelles économies de fonctionnement liées à la réforme sont elles aussi exclues de l’analyse.
Le tableau présentant le budget équilibré concerne, quant à lui, l’année 2016. Il a été construit en prenant les chiffres simulés sur l’année 2013 et en les multipliant par un facteur 1,064, ce qui correspond à l’augmentation du RSA entre 2013 et 2016 [9].
L’avenir des subventions à l’emploi et des dépenses fiscales
33Cette proposition peut servir de base à la réflexion sur le paramétrage possible d’une réforme fiscale introduisant un revenu universel. On peut aussi diversifier le financement en faisant peser une partie du coût du revenu universel sur le patrimoine, afin d’alléger l’impôt sur le revenu, ou encore en luttant plus efficacement contre l’optimisation fiscale faite par les multinationales.
34On pourrait aussi profiter de la réforme pour supprimer les subventions à l’emploi à bas salaire comme les exonérations de cotisations sur les bas salaires ou le CICE, qui représentent 40 milliards d’euros. Pour éviter une augmentation du coût du travail, on peut supprimer ces subventions sans augmenter le salaire superbrut, donc en diminuant le salaire net : en effet, le revenu universel – et une diminution du taux marginal d’imposition sur les salaires jusqu’à 1,6 fois le SMIC – compense l’effet de cette baisse du salaire net sur le revenu disponible des travailleurs. Une réforme telle produit une hausse de revenu disponible plus faible pour les ménages salariés gagnant moins de 1,6 SMIC, ce qui implique logiquement que les contributeurs nets à la réforme subiront une baisse de revenu disponible plus faible. La réforme pourrait être un peu plus acceptable politiquement (Hyafil, 2017 ; Hyafil et Laurentjoye, 2016).
35Par ailleurs, toutes les propositions de financement d’un revenu universel ou presque reposent au moins sur une réforme de l’impôt sur le revenu qui remet en cause l’existence des dépenses fiscales sur l’impôt sur le revenu (34 milliards de manque à gagner sur l’impôt sur le revenu en 2015 [10]). Or certaines dépenses fiscales jouent par exemple un rôle de protection sociale (Zemmour, 2013), comme les réductions et crédits d’impôt pour frais de garde d’enfant ou pour dépenses d’aide au service d’une personne âgée ou dépendante. Hyafil et Laurentjoye (2016, p. 133-138) proposent de remplacer ces abattements et réductions d’impôt par un chèque service universel livré par l’administration sociale, sur le modèle du chèque emploi service universel (CESU prépayé) : par exemple un « chèque universel garde d’enfant » versé pour chaque enfant de 0 à 3 ans, utilisable pour payer des frais dans une structure de garde collective (publique ou privée) ou pour rémunérer une assistante maternelle à domicile. Ces subventions directes seraient plus redistributives que les actuels abattements et réductions sur l’impôt sur le revenu qui bénéficient uniquement aux ménages redevables de l’impôt sur le revenu.
Conséquences pour les actuels allocataires de minima sociaux
36Les conséquences d’un tel revenu universel pour les actuels allocataires de minima sociaux et les travailleurs pauvres ne se réduisent pas à la simple augmentation du revenu disponible. Tout d’abord le revenu universel, parce qu’il est versé de façon inconditionnelle et automatique, permet la fin du non-recours aux droits sociaux, qui concernait 30 % des ménages ayant droit au RSA socle et 68 % des ménages ayant droit au RSA activité en 2011 (Warin, 2011), à condition évidemment de parvenir à faire ouvrir un compte social et fiscal à tous les résidents légaux, y compris les plus marginalisés.
37En outre, la transformation des transferts entre l’État et l’individu qu’implique cette réforme a des conséquences sur la capacité du ménage à anticiper ses revenus futurs, et même éventuellement sur son offre de travail. En effet, aujourd’hui, le montant du RSA et de la prime d’activité est calculé et révisé tous les trois mois pour chaque allocataire à partir des revenus primaires qu’il a perçus sur les trois mois précédents. Par conséquent, pour les ménages ayant des revenus variables d’un mois sur l’autre, les transferts nets s’ajustent aux revenus primaires perçus avec trois mois de retard. En outre, la plupart des allocataires ne calculent pas à l’avance le montant de prestation auquel ils ont droit et sont ainsi dans une situation d’incertitude qui ne leur permet pas d’anticiper leur allocation à venir : Y. Boget (2013) parle ainsi de « trappe à incertitude ». Depuis 2017, la séparation du RSA en RSA socle et prime d’activité a d’ailleurs pu rendre plus complexe encore le calcul de l’allocation pour les bénéficiaires. Si l’on ajoute le fait que certains allocataires pensent que le RSA est une allocation différentielle qu’ils perdraient s’ils reprenaient une activité, comme l’était le RMI, ou encore la crainte de subir de longs délais pour récupérer le RSA s’ils prenaient un emploi de façon temporaire, on comprend que ce système, en plus de maintenir les travailleurs pauvres dans l’incertitude, peut éventuellement perpétuer des phénomènes de trappe à inactivité.
38Le revenu universel est, quant à lui, identique pour tous et son montant ne varie pas avec l’activité. L’incertitude sur son montant à venir est donc supprimée. Chacun est certain de le conserver s’il reprend une activité et de ne pas subir de délai pour le récupérer si cette activité devait cesser. Le risque de « trappe à inactivité » et de « trappe à incertitude » est réduit. En outre, avec la réforme fiscale introduisant le revenu universel, c’est le montant de l’impôt prélevé à la source qui s’ajuste au revenu mensuel perçu par l’individu, et ce en temps réel si cet impôt est prélevé à la source. Ainsi, alors que l’ajustement des transferts au revenu mensuel se fait avec trois mois de décalage pour le RSA et la prime d’activité, la réforme avec un revenu universel permet un ajustement simultané des transferts nets (revenu universel – impôt sur le revenu) au mois près. La variabilité du revenu disponible mensuel est alors réduite pour les travailleurs aux revenus variables d’un mois sur l’autre [11].
39Enfin, la dimension individuelle du revenu universel qui a des conséquences non négligeables sur les allocataires (contrairement au RSA qui est familialisé). Nous ne développerons pas dans cet article les enjeux de l’individualisation des minima sociaux, qui ont déjà été mis en évidence ailleurs (Lanquetin et al., 2004 ; Hyafil, 2016).
Conclusion
40Suite à notre analyse d’une proposition de revenu universel à 548 euros financé intégralement par une réforme de l’impôt sur le revenu, nous pouvons souligner que celle-ci a des avantages certains : suppression du non-recours et de l’incertitude des allocataires du RSA, augmentation du revenu disponible des travailleurs pauvres, simplification de l’administration de la redistribution et redéploiement des fonctionnaires vers des fonctions d’accompagnement. Toutefois, selon nos simulations, le coût net de la mesure (ses effets redistributifs) est suffisamment important pour que l’on puisse penser qu’elle sera difficile à financer uniquement par l’impôt sur le revenu, sauf si les ménages aisés et contributeurs nets acceptent une réduction non négligeable de leur revenu disponible (de -5 % jusqu’à -16 % pour le dernier centile de niveau de vie). Des simulations sur un échantillon plus actualisé pourraient certes donner d’autres résultats. Mais il nous semble que, à moins qu’une croissance du PIB et une augmentation des revenus primaires des ménages les plus modestes ne viennent diminuer le coût net de la mesure, la mise en œuvre d’un revenu universel nous semble difficilement applicable politiquement sans une diversification des sources de financement : lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales, réorientation des subventions à l’emploi vers l’individu, renforcement des impôts sur le patrimoine, etc.
41Il demeure toutefois une incertitude sur l’effet d’une telle réforme sociofiscale sur les comportements d’offre de travail. Dans nos simulations, compte tenu du montant relativement faible du revenu universel proposé, nous avons estimé qu’il est peu probable qu’une telle réforme conduise à une baisse de l’offre de travail. Et ce d’autant plus que cette réforme garantit que l’on conserve son revenu universel lorsque l’on reprend une activité et pourrait ainsi paradoxalement conduire à un accroissement de l’offre de travail. Pour autant, on ne peut être certain que la mise en œuvre réelle ne produira aucun changement dans les comportements d’offre de travail des individus.
42C’est la raison pour laquelle il nous semble qu’une première étape vers la mise en œuvre d’un revenu universel pourrait par exemple être d’expérimenter l’automatisation du versement du RSA et de la prime d’activité à tous ceux qui y ont droit (Hyafil, 2015), afin d’observer les éventuelles modifications de comportement d’offre de travail suite au versement automatique d’un revenu sans exigence de contrepartie. Si ces expérimentations ne conduisent pas à une réduction massive de l’offre de travail, alors on pourra envisager la généralisation de la mesure dans un second temps. Enfin, on pourra envisager – si les marges fiscales le permettent – de mettre en œuvre des réformes sociofiscales permettant d’introduire un véritable revenu universel.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
-
[1]
Remerciements : Jean-Marie Monnier, Carlo Vercellone, Marc de Basquiat, Léon Régent.
-
[2]
Nota : elle payait déjà la CSG dès les premiers euros gagnés.
-
[3]
Ce chiffre correspond au montant en 2016 du RSA socle pour une personne seule (535,17 euros), forfait logement compris, auquel on a ajouté le montant mensualisé de la prime de Noël (152,45 euros par an), aujourd’hui réservée aux bénéficiaires du RSA socle. Remarquons que la plupart des allocataires du RSA bénéficient d’une prestation dont sont déduits 64,22 euros de forfait logement, soit 484 euros pour une personne seule.
-
[4]
Par exemple, pour les revenus du travail, c’est l’actuel revenu imposable dont on ne déduit pas les frais professionnels.
-
[5]
Le montant a été calculé afin qu’une famille monoparentale avec un seul enfant ne soit pas perdante.
-
[6]
Voir http://www.revolution-fiscale.fr/. Les simulations ont été calibrées pour l’année 2013, et leurs résultats ont été revalorisés pour l’année 2016. Ce travail a été permis grâce à l’aide précieuse apportée par Marc de Basquiat.
-
[7]
Il est supposé que le ménage touche uniquement des revenus salariaux et qu’il ne bénéficie d’aucun abattement, réduction et crédit d’impôt en dehors de l’abattement de 10 % pour frais professionnels.
-
[8]
Dans cette comparaison, on a déduit du RSA socle le forfait logement (62,90 euros pour les personnes seules et 125,80 euros pour les couples en janvier 2017), d’où un gain affiché très élevé pour les couples. Le gain effectif serait donc moindre si les couples bénéficient du RSA forfait logement inclus ou des aides pour le logement.
-
[9]
Ceci correspond à une croissance annuelle de 2,1 %. Notons que le PIB nominal n’a connu que 1,5 % de croissance annuelle sur la période 2013-2015.
-
[10]
Évaluation des voies et des moyens, tome II : les dépenses fiscales [en ligne] http://www.performancepublique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2015/pap/pdf/VMT2-2015.pdf
-
[11]
Notons que la mise en œuvre d’un impôt négatif au lieu d’un véritable revenu universel ne permet pas d’obtenir ce résultat, puisque le montant de l’impôt négatif perçu par le travailleur à bas salaire dépendra toujours de son salaire (voir Hyafil, 2016b).