Couverture de RFAS_162

Article de revue

Les soins en psychiatrie : organisation et évolutions législatives récentes

Pages 21 à 30

Notes

  • [1]
    C’est à dire, la responsabilité d’une population sur un territoire donné.
  • [2]
    L’Organisation des soins psychiatriques : les effets du plan « Psychiatrie et santé mentale 2005-2010 », rapport de la Cour des comptes, décembre 2011.
  • [3]
    Coldefy M. et Tartour T., en collaboration avec Nestrigue C. (Institut de recherche et documentation en économie de la santé – Irdes) (janvier 2015), « De l’hospitalisation aux soins sans consentement en psychiatrie : premiers résultats de la mise en place de la loi du 5 juillet 2011 », Question d’économie de la santé, n° 205.
English version

1 Le système français de prise en charge des troubles psychiques se caractérise par une grande pluralité des acteurs, des organisations, des structures et des modalités d’accompagnement. Il fait également l’objet d’une organisation et d’une législation spécifiques par rapport au reste du champ sanitaire. Cette spécificité est liée à plusieurs dimensions :

  • le caractère souvent durable et évolutif des pathologies mentales, qui nécessite des prises en charge complexes et variées pour répondre aux différentes phases de la maladie ;
  • l’intrication forte des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux et des passerelles, allers-retours entre les différents champs, nécessaire à une approche globale de la prise en charge ;
  • les limites du champ pathologique de la psychiatrie à la santé mentale font débat au sein des professionnels et vont influer sur l’étendue des missions et, donc, sur les pratiques ;
  • le caractère médico-légal de cette spécialité qui partage ainsi une frontière avec la justice ;
  • la non-demande de soins en psychiatrie ; la personne souffrant de troubles psychiques n’a pas toujours conscience de son besoin de soins, et le déni de soins fait partie intégrante de la maladie mentale ;
  • une forte stigmatisation de la maladie mentale, des personnes concernées et également des professionnels et structures opérant dans ce champ.

2 Depuis la seconde moitié du xx e siècle, l’organisation des soins psychiatriques dans le champ sanitaire a beaucoup évolué. À l’instar de la plupart des pays occidentaux, la France s’est engagée dans le processus de désinstitutionalisation des soins psychiatriques, soit le passage d’une prise en charge exclusivement hospitalière vers une prise en charge au plus proche du lieu de vie de la personne, permettant son maintien dans la société, en favorisant le développement de prises en charge ambulatoires. En France, ce mouvement s’est appuyé sur la politique de sectorisation psychiatrique. Le secteur, en privilégiant une approche intégrée (entre prise en charge hospitalière et ambulatoire), apparaît comme un dispositif original novateur. La politique de sectorisation psychiatrique, établie par la circulaire du 15 mars 1960, visait à mettre en place une coordination globale du parcours de santé, depuis la prévention, les soins et jusqu’à la réinsertion, fondée sur les principes de continuité et de proximité des soins. Cette organisation s’appuie sur l’engagement d’une équipe pluriprofessionnelle, placée sous l’autorité d’un médecin psychiatre, à assumer une responsabilité géopopulationnelle [1]. Le secteur est donc conçu autour de trois principes : la continuité de la prise en charge, de la prévention au soin et à l’insertion ; la pluridisciplinarité de la prise en charge ; la proximité et l’égalité de traitement des patients via la mise en place d’un découpage géographique en secteurs psychiatriques. Il faudra attendre la loi du 25 juillet 1985 pour introduire le secteur dans un cadre législatif.

3 Plusieurs structures et acteurs interviennent dans le champ de la santé mentale et de la psychiatrie. Au sein du secteur sanitaire, différents types d’établissements sont autorisés pour la prise en charge des pathologies psychiatriques : les établissements publics spécialisés dans le champ de la santé mentale (anciens centres hospitaliers spécialisés), les établissements publics pluridisciplinaires qui disposent d’un service de psychiatrie (centres hospitaliers généraux ou universitaires), les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) et les établissements privés à but lucratif. Les établissements spécialisés, publics et ESPIC ont pour la plupart été créés dans le cadre de la loi de 1838, imposant la création d’un établissement (asile) spécialisé par département ; ils sont souvent situés à la périphérie des villes. L’implantation des services de psychiatrie dans les établissements pluridisciplinaires est plus récente et correspond à la volonté de proposer des soins au plus proche du lieu de vie du patient et de déstigmatiser la prise en charge des maladies mentales, tout en favorisant la prise en charge somatique des personnes vivant avec un trouble psychique.

4 Parallèlement à ces prises en charge en établissement de santé, il existe également une prise en charge en ville par les professionnels libéraux. Le médecin généraliste, le psychiatre, le psychologue vont ainsi jouer un rôle important dans l’accompagnement et le suivi des troubles les plus fréquents.

5 Enfin, le secteur sanitaire n’est pas le seul acteur à intervenir dans le cadre des maladies mentales. Les établissements et les services des secteurs social et médico-social jouent également un rôle important dans l’hébergement et l’accompagnement des personnes en situation de handicap psychique. La reconnaissance de la notion de handicap psychique par la loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » prend ainsi en considération les limitations d’accès des personnes vivant avec un trouble psychique aux différents registres de la citoyenneté (accès aux droits, à l’emploi, au logement, aux loisirs, à la culture, à la formation, etc.). C’est aussi cette loi qui a permis le développement des « groupes d’entraide mutuelle » (GEM), associations, ateliers, lieux de rencontre entre pairs, gérés par et pour les usagers et ex-usagers de la psychiatrie. Ils visent à rompre l’isolement et l’exclusion sociale des personnes vivant avec un trouble psychique, en favorisant leur maintien dans la cité, à travers la restauration et la continuité des liens sociaux.

6 Un autre dispositif a vu sa place fortement croître depuis les années 2000, il s’agit des conseils locaux de santé mentale (CLSM). Les CLSM sont des plateformes de concertation et de coordination entre les élus locaux d’un territoire, les services de psychiatrie et les partenaires locaux concernés par les problèmes de santé mentale. Ils intègrent les usagers et les habitants, ainsi que tous les services sociaux (bailleurs sociaux, services municipaux …), médico-sociaux et sanitaires (publics et privés) et favorisent la planification et le développement des politiques locales de santé mentale. Ils ont une action de décloisonnement des pratiques professionnelles et visent l’amélioration de l’accès aux soins et à la lutte contre l’exclusion des personnes vivant avec un trouble psychique. C’est un outil opérationnel de démocratie participative en santé, dont l’importance a été entérinée début 2016 par son inscription dans la loi de modernisation de notre système de santé.

7 La prise en charge de la maladie mentale s’appuie sur une large gamme de modalités de soins et d’accompagnement dans l’objectif de favoriser l’intégration et le maintien de la personne dans la cité et de répondre aux différentes phases de la maladie. Sont généralement distinguées :

  • les prises en charge à temps complet, au sein desquelles l’hospitalisation classique à temps plein, qui s’effectue dans des lieux de soins où les patients sont placés sous surveillance soignante vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle est réservée aux situations aiguës et aux malades les plus sévèrement atteints, qui requièrent des soins intensifs. À côté de l’hospitalisation à temps plein se sont développées en nombre limité des formes de prise en charge à temps complet alternatives, telles que les centres de postcure (unités de moyen séjour destinées à assurer, après la phase aiguë de la maladie, le prolongement des soins actifs ainsi que les traitements nécessaires à la réadaptation en vue du retour à une existence autonome), les appartements thérapeutiques (structures de soins hors de l’hôpital, mises à disposition de quelques patients, favorisant la réadaptation et l’insertion dans le milieu social, avec un accompagnement vers l’apprentissage de l’autonomie par une équipe de soins), l’accueil familial thérapeutique (placement dans des familles d’accueil de patients de tous âges, dont le maintien ou le retour à leur domicile ou dans leur famille naturelle ne paraît pas souhaitable ou possible, permettant d’assurer une transition entre l’hospitalisation et le retour au domicile) et l’hospitalisation à domicile ;
  • les prises en charge à temps partiel se font au sein de structures plus ou moins médicalisées, ne donnant pas lieu à un hébergement, à l’exception de l’hôpital de nuit. L’hôpital de jour prodigue des soins polyvalents et intensifs durant la journée, un ou plusieurs jours par semaine. L’hôpital de nuit consiste en une prise en charge thérapeutique en fin de journée et une surveillance médicale de nuit, voire en fin de semaine. Les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) dispensent des activités thérapeutiques (soutien et thérapie de groupe) et occupationnelles ayant pour objectif de favoriser la reconstruction de l’autonomie et la réadaptation sociale. Les ateliers thérapeutiques fournissent des activités thérapeutiques et occupationnelles (activités artisanales, artistiques ou sportives) ayant pour but de favoriser l’exercice d’une activité professionnelle ou sociale ;
  • les prises en charge ambulatoires ne font pas intervenir d’hospitalisation et prennent le plus souvent la forme de consultations et de démarches d’accompagnement. Elles sont réalisées en centre médico-psychologique (CMP) dans le cadre de la psychiatrie de secteur. Les CMP sont des unités extrahospitalières d’accueil et de coordination des soins. Ils organisent toutes les actions extrahospitalières des équipes soignantes en les articulant avec les unités d’hospitalisation, en termes de prévention, de diagnostic, de soins et d’interventions à domicile ou en institutions substitutives au domicile. Les prises en charge réalisées en ville par les médecins généralistes, psychiatres libéraux et psychologues constituent également des prises en charge ambulatoires. Enfin, peuvent être intégrés ici les services d’accompagnement médico-social pour les personnes en situation de handicap psychique, même si la prise en charge dépasse le champ sanitaire.

8 Au cours de la période récente, le contexte institutionnel et législatif a évolué en matière de santé, et le champ de la psychiatrie et de la santé mentale n’y a pas échappé.

9 En 2009, la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) met en place les agences régionales de santé (ARS) visant à décloisonner les différents secteurs de la santé (hôpital, prévention, ambulatoire, médico-social) et définit le territoire de santé comme cadre territorial d’exercice de la psychiatrie. Ce souhait d’intégrer la psychiatrie à la planification générale des soins et à la politique générale de santé était déjà sensible dans l’ordonnance de simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé du 4 septembre 2003. Les établissements de santé sectorisés sont ainsi appelés à exercer leurs missions dans le cadre des territoires de santé, au même titre que les établissements privés et autres acteurs de la prise en charge de la santé mentale. Les fonctions initialement dévolues au secteur (organisation territorialisée des soins, coordination des interventions de prévention, de soins et d’insertion, continuité des soins, interventions à domicile) ont été progressivement attribuées à l’ensemble des établissements de santé, publics et privés. Pour la Cour des comptes (2011 [2]), cet effacement progressif de la notion de secteur a été perçu différemment par les professionnels et par le ministère. Là où les professionnels voient une perte de la singularité du secteur, le ministère argue que les fonctions confiées au secteur ont été progressivement et implicitement étendues par les textes généraux d’organisation des soins aux autres disciplines. Le cadre juridique de l’organisation des soins psychiatriques est apparu fragilisé, incohérent, la loi HPST introduisant une ambiguïté quant à son devenir, la notion de secteur apparaissant dans certains textes et disparaissant dans d’autres. Cette ambiguïté va être en partie levée par la loi de modernisation de notre système de santé votée en janvier 2016, qui réaffirme les principes de la sectorisation psychiatrique en créant une mission de psychiatrie de secteur au sein de l’activité plus large de psychiatrie, elle-même inscrite dans une politique globale de santé mentale : « Article L. 3221-3. – I. – L’activité de psychiatrie peut être exercée par l’ensemble des établissements de santé, universitaires ou non, indépendamment de leur statut juridique. Au sein de cette activité, la mission de psychiatrie de secteur, qui concourt à la politique de santé mentale définie à l’article L. 3221-1, consiste à garantir à l’ensemble de la population : 1° un recours de proximité […] en coopération avec les équipes de soins primaires […] ; 2° l’accessibilité territoriale et financière […] ; 3° la continuité des soins psychiatriques, […] y compris par recours à l’hospitalisation, […] en assurant si nécessaire l’orientation vers d’autres acteurs afin de garantir l’accès à des prises en charge non disponibles au sein des établissements assurant la mission de psychiatrie de secteur […] ». L’article 69 de la loi replace l’organisation de la psychiatrie dans une politique globale de santé mentale, comprenant les actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale, et associant tous les acteurs et notamment le système de soins de premier recours (médecins libéraux et psychologues) et les acteurs sociaux et médico-sociaux (du logement, de l’hébergement et de l’insertion). Il fait ainsi une distinction claire entre la politique de santé mentale et l’organisation de la psychiatrie, la santé mentale n’étant pas de la responsabilité exclusive de la psychiatrie, mais la psychiatrie devant impérativement s’intégrer dans la politique de santé mentale. À cet égard, le législateur opère une clarification sur la responsabilité des différents acteurs qui interviennent dans le champ de la santé mentale et inscrit ainsi la politique de santé mentale dans un cadre coopératif large, incarné par le projet territorial de santé mentale. Il y a là une volonté assumée du législateur de reconnaître les spécificités de la prise en charge en santé mentale et de son articulation avec d’autres dispositifs d’accompagnement dans le domaine social, éducatif et judiciaire.

La contrainte aux soins, une exception psychiatrique au cadre légal renouvelé

La loi du 5 juillet 2011, modifiée en septembre 2013 qui légifère sur les soins psychiatriques sans consentement s’inscrit dans la suite des lois de 1838 et de 1990. La contrainte aux soins constitue une exception psychiatrique, le consentement aux soins étant une condition indispensable à toute prise en charge thérapeutique (article L. 1111-4 du Code de santé publique). Cependant, dans le cas de troubles psychiatriques sévères où la conscience du trouble ou du besoin de soins peut être altérée sur une courte durée, la loi prévoit le recours aux soins sans consentement afin de corriger le préjudice pour le patient, voire pour la société, résultant de l’absence de soins. La loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques vise à faire évoluer l’exercice des soins sous contrainte en psychiatrie en France dans quatre directions majeures. La réforme introduite par la loi du 5 juillet 2011 vient légaliser certaines pratiques et répondre à certaines critiques. Le rôle des patients et celui de leurs représentants ont été importants dans cette évolution.
  • L’hospitalisation à temps plein n’est plus la seule modalité de prise en charge sans consentement, qui peut aussi l’être en ambulatoire ou à temps partiel dans le cadre d’un programme de soins. L’objectif des soins ambulatoires sans consentement est d’améliorer la continuité des soins psychiatriques et de proposer une alternative à des prises en charge hospitalières, étendant ainsi la politique de désinstitutionalisation psychiatrique aux personnes prises en charge sans leur consentement. Des pratiques déjà existantes, comme les sorties d’essai, sont ainsi entérinées afin de favoriser la guérison, la réadaptation ou la réinsertion sociale des personnes ;
  • l’intervention d’un juge des libertés et de la détention (JLD) vient renforcer les droits des personnes hospitalisées et répond à une exigence constitutionnelle. Depuis le milieu des années 1990, une série de rapports publics et de jurisprudences notent la nécessité de repenser en profondeur les termes éthiques et empiriques des soins contraints. Deux décisions rendent urgentes les modifications : la Cour européenne des droits de l’homme fait état du non-respect par la France d’un article de la Convention, relatif à la liberté des personnes, et le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelle l’hospitalisation sans consentement, sans le contrôle d’un juge des libertés et de la détention. Ainsi, le législateur prévoit le contrôle systématique de la mesure d’hospitalisation complète sans consentement par un juge des libertés et de la détention au plus tard au quinzième jour d’hospitalisation du patient (délai réduit à douze jours par les modifications d’octobre 2013), puis au plus tard au sixième mois de l’hospitalisation. Le juge valide ou invalide la mesure en cours en prononçant le maintien de la mesure ou sa levée. Le patient peut opposer à tout moment son droit de recours et demander une audience au JLD ;
  • de plus, la loi établit un mode légal d’admission sans tiers (soins en cas de péril imminent – SPI) permettant l’accélération de certaines procédures d’admission. Les SPI permettent de pallier une insuffisance du dispositif précédent (loi de 1990). Cette procédure peut en effet être utile en cas d’absence de tiers connu (pour des personnes désocialisées notamment), de refus des membres de l’entourage du patient de prendre une telle décision d’admission en soins psychiatriques, qui semble pourtant nécessaire. Le directeur d’établissement peut alors prononcer l’admission sur proposition du psychiatre. Cette procédure allégée, ne requérant qu’un certificat médical dans un premier temps (et non deux) et ne nécessitant pas la signature d’un tiers, accélère la procédure d’admission. La loi prévoit également qu’un tiers doit être recherché et sollicité au plus vite afin de faire basculer la prise en charge du patient sous un mode légal à la demande d’un tiers (soins psychiatriques à la demande d’un tiers – SDT), le cas échéant ;
  • enfin, la loi prescrit une plus ample information aux patients afin de les mettre en capacité de recourir à leurs droits.
(extrait de Coldefy et Tartour, 2015 [3])

Notes

  • [1]
    C’est à dire, la responsabilité d’une population sur un territoire donné.
  • [2]
    L’Organisation des soins psychiatriques : les effets du plan « Psychiatrie et santé mentale 2005-2010 », rapport de la Cour des comptes, décembre 2011.
  • [3]
    Coldefy M. et Tartour T., en collaboration avec Nestrigue C. (Institut de recherche et documentation en économie de la santé – Irdes) (janvier 2015), « De l’hospitalisation aux soins sans consentement en psychiatrie : premiers résultats de la mise en place de la loi du 5 juillet 2011 », Question d’économie de la santé, n° 205.
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