Notes
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[*]
Chargée de mission, Mission Recherche de la DREES.
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[1]
J.-P. Le Crom, « Les années ?fastes? de la Revue française du Travail (1946-1948) », dans ce numéro.
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[2]
Ce qui justifie que l'on usera à chaque fois que c?est possible dans cet article du terme de « ministères sociaux » pour ne pas alourdir le texte.
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[3]
Les articles signés d?au moins quatre noms d?auteurs ont été considérés comme anonymes par excès d?auteurs, l'implication respective des uns et des autres dans l'écriture pouvant être très variable et non décelable.
-
[4]
L. Pitti, « Une source pour l'histoire des problèmes sociaux. Présentation de l'indexation thématique et des auteurs de la RFT et de la RFAS », dans ce numéro.
-
[5]
Un récent article autour des soixante ans de la revue Population n?évoque malheureusement pas le profil des auteurs présents aux sommaires (Rosental, 2006).
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[6]
Malgré les recherches menées, les 49 cas restés non élucidés se répartissent entre des initiales seules (surtout avant 1967), des Dominique et des Claude, ainsi que quelques prénoms étrangers rares.
-
[7]
La féminisation du personnel chercheur du département des sciences humaines et sociales du CNRS s?établit à 43,2 % au 31 décembre 2004 (chiffres du Bilan social 2004 du CNRS).
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[8]
De 1967 à 1986, 99 sur 146 fonctionnaires des ministères sociaux sont ainsi localisables, et 139 sur 160 pour la période 1987-2004.
-
[9]
DHOS : Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins ; DGS : Direction générale de la santé ; DGSH : Direction générale de la santé et des hôpitaux ; DAS : Direction de l'action sociale ; DPM : Direction de la population et des migrations ; DSS ; Direction de la Sécurité sociale.
-
[10]
DDASS, DRASS : directions départementales, directions régionales des affaires sanitaires et sociales ; ARH : agences régionales de l'hospitalisation.
-
[11]
La licence de sociologie ne sera créée qu?en 1959.
-
[12]
Gallimard, 1946.
-
[13]
Voir également sur ce point l'article de J.-C. Barbier, « Main-d??uvre, emploi, travail, catégories et référentiels : voyage à travers les pages de la Revue du Travail et de la Revue française des Affaires sociales (1946-1989) » dans ce numéro.
-
[14]
Le « personnel » RFAS, secrétaires ou rédactrices en chef, n?est pas ici pris en compte.
1Chaque mois dans la Revue française du Travail, des militants syndicalistes, des hauts fonctionnaires, des personnalités politiques, des chefs d?industries, des universitaires aborderont les grands problèmes sociaux français et étrangers : dès les premières lignes de l'éditorial du n° 1 de la Revue française du Travail (titre abrégé en RFT dans la suite de l'article) en 1946, ses concepteurs affichent une ferme volonté de voir se mêler à son sommaire des signatures issues d?horizons professionnels et institutionnels contrastés. Devraient être réunis au chevet des « grands problèmes sociaux » des compétences, des expertises, des opinions et des savoirs puisés dans les mondes économique ? en respectant la dualité, représentants des personnels et patrons ? administratif à son plus haut niveau, politique et scientifique.
2Cet article se propose d?observer et, autant que possible, de mesurer comment se manifeste et évolue une politique des auteurs, au fil des sommaires de la RFT jusqu?en 1966, puis de la Revue française des Affaires sociales (titre abrégé en RFAS dans la suite de l'article) qui prend sa suite. Les militants syndicalistes et les chefs d?industries annoncés en 1946 s?effaçant très rapidement, comme le montre bien l'article de J.-P. Le Crom [1], ce sont principalement des hauts fonctionnaires et des universitaires qui resteront en présence, avec le renfort, à géométrie variable, de divers professionnels et experts des secteurs santé/social sollicités au gré des matières à traiter. Esquisser les profils des uns et des autres et discerner les équilibres successifs s?instaurant entre ces différentes sources du contenu rédactionnel de la revue constituent son objectif principal. Une attention particulière sera portée à l'introduction des sciences sociales dans la revue ? quelles disciplines et par quelles filières ? ? lorsque celles-ci se saisissent des objets au c?ur des préoccupations centrales du (ou des) ministère(s) dont celle-ci émane ; les configurations ministérielles en charge du « social », étant éminemment variables entre 1946 et 2004 [2].
3Le corpus sur lequel repose cette enquête sur les auteurs est composé des articles et études « de fond » parus dans les livraisons de 1946 à 2004 inclus de la revue, signés d?au plus trois noms d?auteurs [3]. Le recensement initial des articles repose sur la base de données constituée par Laure Pitti [4] et sur un travail complémentaire d?identification des auteurs : sexe, fonction et institution d?appartenance au moment de la publication. Celui-ci est plus ou moins aisé selon les périodes, puisque les renseignements fournis sur les auteurs dans la revue elle-même varient considérablement au fil du temps, quand ils existent. Des éléments d?identification, plus ou moins précis, peuvent figurer dans le sommaire, en note de l'article, ou depuis 1997 dans les pages « présentation des auteurs ». Des recherches complémentaires ont donc mobilisé les ressources d?annuaires, de dictionnaires biographiques, de catalogues de bibliothèques et de moteurs de recherche internet. Pour les auteurs ayant publié plusieurs articles, les identités prises en considération sont celles correspondant à leurs première et dernière publications dans la revue.
4La recherche menée se heurte à deux limites principales. D?une part, la regrettable absence d?archives de la revue qui fourniraient, au vivier des auteurs publiés, le contrepoint de celui des auteurs « recalés ». D?autre part, l'impossibilité de confronter cet essai de radiographie des auteurs RFT/RFAS à d?autres bilans de même type portant sur des revues comparables dans leurs longévité et champs d?interventions [5]. Il faut en outre garder présent à l'esprit le fait que la caractérisation accolée à son nom par un auteur, en note de son article ou dans les lignes de présentation autobiographique qui lui sont désormais demandées, procède toujours d?un choix personnel « d?affichage ».
Avant de proposer un gros plan sur le groupe spécifique des auteurs « récurrents », c?est-à-dire apparaissant plusieurs fois aux sommaires de la revue, l'article fournit dans un premier temps des données de cadrage général sur l'ensemble de la période 1946-2004, puis détaille, de façon périodisée, les principaux traits des profils d?auteurs repérés.
Portrait de groupe, 1946-2004
5Sur le total de 2 342 études et articles de fond publiés dans la revue entre 1946 et 2004, recensés par Laure Pitti, 2 232 sont retenus dans l'enquête sur les auteurs ; la différence provenant des articles anonymes, au sens strict, ou considérés comme tels. Ces 2 232 articles ont été signés par 1 696 auteurs différents et ces 1 696 auteurs constituent donc la population étudiée, le « corpus auteurs ».
Si le plus élémentaire calcul assigne en moyenne à chaque auteur la production d?1,3 article pour la revue, la réalité est plus contrastée puisque 1 401 auteurs soit 82,6 % d?entre eux, n?ont signé qu?un seul article, proportion qui paraît assez considérable, mais souffre de ne pas pouvoir être comparée. Sur l'ensemble de la période, 194 auteurs ont signé deux articles (11, 4 %) et 101, seulement, en ont signé trois ou plus (5,9 %). Parmi eux, trois, sur lesquels on reviendra, figurent entre 10 et 16 fois ? record à battre ? au sommaire. Le noyau des auteurs récurrents ne réunit donc au total que 295 auteurs ayant publié au moins deux fois dans la revue (cf. tableau 1).
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : nombre d?articles par auteurs
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : nombre d?articles par auteurs
6Avec 542 femmes parmi les 1 647 auteurs du corpus dont le sexe a pu être identifié [6], c?est exactement au tiers que s?établit la féminisation moyenne de cette population (32,9 %). Mais quand on ne considère plus que les auteurs récurrents, la présence des femmes recule légèrement : à 30,9 %, déjà parmi les 291 auteurs de sexes connus qui ont écrit au moins deux articles, et même à 28,7 % parmi les 101 auteurs de trois articles au moins.
Les origines professionnelles/institutionnelles des auteurs sollicités par la revue se répartissent en trois grandes catégories, appelées à être sous-divisées pour les études périodisées plus fines : les administrateurs (en grande partie hauts fonctionnaires des ministères sociaux), les chercheurs (enseignants-chercheurs des universités et chercheurs des organismes de recherche, essentiellement publique) et ceux qu?on désignera génériquement par les termes de « professionnels et experts », groupe composite incluant aux côtés de membres de professions « économiques » (les « chefs d?industrie » de l'éditorial de 1946),mais surtout de professions médicales, sanitaires et sociales, les représentants des mondes syndicaux et, de plus en plus, associatifs, appelés à écrire à partir de leur expertise ou de leur expérience. Si la définition des trois univers d?origines des auteurs comporte évidemment une part d?arbitraire inhérente à tout classement de ce genre, ces catégories, en admettant un certain nombre de combinaisons nécessaires entre elles pour rendre compte de l'existence de « doubles profils » se révèlent, appliquées au corpus, assez pertinentes. Est qualifié de « double profil », par exemple, un chercheur qui au moment où il écrit dans la RFAS est chargé de mission dans un ministère, ce qui le définit chercheur/administrateur, ou dans une association, ce qui fait de lui un chercheur/professionnel-expert. 13,4 % de l'ensemble des auteurs présentent ainsi un double profil. Sur les 1 696 auteurs, 12 seulement n?ont pu être aucunement « situés » (tableau 2). Si les intentions initiales de la RFT de 1946, en termes d?ouverture à la diversité de la politique des auteurs, restent lisibles globalement sur les sommaires de l'ensemble de la période, un équilibre favorable au monde de la recherche s?est finalement imposé sur le long terme puisque plus de 4 auteurs sur 10 en sont issus, que l'on tienne compte ou non de la redistribution des profils doubles (en comptant une fois comme chercheur et une fois comme administrateur un double profil chercheur/administrateur par exemple). Les administrateurs s?établissent juste au tiers du corpus, avec redistribution, mais à 27,6 % seulement sans, et les professionnels et experts au cinquième, avec redistribution, mais à 14,4 % seulement sans. La revue partant, dans ses deux années d?origine étudiées par J.-P. Le Crom, d?une situation très favorable aux hauts fonctionnaires du ministère du Travail et aux partenaires sociaux, la périodisation des observations devra mettre en évidence un renversement favorable aux chercheurs, qui induira la question de l'identification des chercheurs qui s?imposent, parallèlement à celle de l'identification des administrateurs qui résistent ; le vivier des professionnels et experts servant d?appoint en fonction des besoins, notamment pour les sommaires des numéros spéciaux ou thématiques les plus pointus.
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : origines professionnelles/ institutionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : origines professionnelles/ institutionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : féminisation par origines professionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : féminisation par origines professionnelles
7Le tiers de femmes repéré parmi l'ensemble des auteurs se nuance selon leurs origines professionnelles (tableau 3). Les femmes sont légèrement surreprésentées (de 5 points) parmi les signatures issues du monde de la recherche, ce qui reflète la féminisation des sciences sociales et humaines auxquelles ressortissent majoritairement les auteurs sollicités de ce côté [7]. Elles sont au contraire logiquement un peu sous-représentées (de 2,5 points), parmi les hauts fonctionnaires auxquels la revue fait appel, et surtout ? on n?en compte plus qu?une sur quatre auteurs ? chez les professionnels et experts puisant aux plus hauts échelons hiérarchiques et de représentativité des univers professionnels concernés, au premier rang desquels le monde médical. Les interprétations concernant la répartition sexuée des doubles profils doivent rester extrêmement prudentes, étant donné les très petits groupes concernés, mais le contraste observé entre la parité quasiment atteinte (47,9 %de femmes) chez les chercheurs/administrateurs et la féminisation la plus ténue mesurée chez les professionnels/chercheurs (18,3 %) suscite néanmoins des interrogations. À titre d?hypothèse, on peut imaginer que dans le premier cas, des femmes universitaires et chercheuses dont on commence à bien connaître par ailleurs les embûches et autres plafonds de verre limitant les évolutions de carrières (Les femmes dans l'histoire du CNRS, 2004, et Delavault, Boukhbza, Hermann et al., 2002) sont plus enclines que leurs collègues masculins à entrer dans des parcours de mobilité les rapprochant, au moins un temps, de fonctions d?administration. Du côté des professionnels et experts, catégorie déjà la plus masculinisée du corpus des auteurs, aller se frotter à la recherche semble constituer, au contraire, une démarche sur sélectionnée sexuellement au bénéfice des hommes.
Les pratiques de coécriture, c?est-à-dire d?écriture d?un article en s?y mettant à plusieurs ? en l'occurrence dans ce corpus à deux ou trois auteurs ?, ont été systématiquement relevées au niveau de l'article « de rang 1 » pour chaque auteur : article unique pour les 1 401 auteurs qui s?arrêtent à celui-là et article le plus ancien pour les 295 qui en écrivent deux ou plus. Sur les 1 696 articles de rang 1 considérés, 515 sont signés en compagnie d?un ou de deux coauteurs, soit 30,4 % des articles, proportion qui semble relativement élevée et qu?il serait intéressant de pouvoir comparer avec les scores constatés dans d?autres revues. Le groupe des 515 auteurs ayant signé avec un ou deux coauteur(s) est un peu plus féminisé que la population globale des auteurs : à hauteur de 37 % au lieu du tiers dans l'ensemble. La recherche de liens éventuels entre les pratiques de coécriture et les catégories d?origines professionnelles des auteurs explique au moins en partie ce constat (tableau 4). La moyenne de 30,4 % d?auteurs coécrivant cache en réalité une nettement plus forte propension des chercheurs à se partager le travail. Ils sont à hauteur de 37,9 % adeptes de cette formule, alors que chez les administrateurs et chez les professionnels et experts, comme chez les profils mixtes, il ne reste plus que le quart des auteurs, au mieux, pour agir de la sorte. La surféminisation de la coécriture devient donc logique, puisqu?elle s?applique dans le groupe d?auteurs le plus féminisé.
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : pratiques de coécriture par origines professionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : pratiques de coécriture par origines professionnelles
8Le dernier caractère général de l'ensemble des auteurs sollicités entre 1946 et 2004 que l'on relèvera avant d?ajuster les observations aux différents temps de l'histoire de la revue, porte sur la géographie de leur recrutement et plus précisément sur la mesure de la petite part d?entre eux que l'on va chercher hors des frontières de l'Hexagone. Seulement 171 des 1 696 signataires d?articles, soit 10,1 %, font état d?une adresse ou d?un rattachement institutionnel hors de France, ce qui témoigne globalement d?une assez faible ouverture de la revue aux contributions étrangères. Celles qui sont publiées émanent dans près des trois quarts des cas de chercheurs (72,5 %) et dans une bien moindre mesure d?administrateurs (14,6 %) provenant au total d?une petite trentaine de pays, dont le détail sera précisé dans l'étude périodisée. La place des auteurs provinciaux, repérés comme tels mais possiblement sous-estimés, 16,9 %, dans cette revue éditée à Paris se révèle un peu moins marginale que celle des auteurs étrangers. L?apparent « parisianisme » de la revue est à regarder de plus près et se modère depuis 1987, on y reviendra, au moins du côté des administrateurs, du fait du caractère déconcentré des organes de l'administration sanitaire et sociale dont est issue une partie des auteurs.
Une revue à quatre temps
9Affiner la connaissance des auteurs présents aux sommaires de la RFT de 1946 à 1966, puis de la RFAS, de 1967 à 2004, suppose d?en passer par la distinction des quatre périodes qui jalonnent leur histoire. Ces époques sont de durées inégales,mais se définissent en cohérence avec l'esprit et le fonctionnement de la revue, notamment du point de vue de l'exercice de la responsabilité rédactionnelle.
10Les quatre temps peuvent se résumer ainsi :
- de 1946 à 1948, la RFT s?affiche comme une revue « militante » que l'article de J.-P. Le Crom ausculte ;
- de 1949 à 1966, la RFT perd son tonus initial et ne publie plus que très peu d?articles de fond. Albert Ziegler (Ziegler, 1986) qualifie cette période d?« années faibles » ou d?« années difficiles » pour la revue. Les années 1965 et 1966 voient s?amorcer un renouveau, avec une réorganisation liée à la mise en place d?un directeur, d?un secrétaire général (A. Ziegler) et d?un comité de rédaction « fonctionnarisé » ;
- de 1967 à 1986 : la RFAS se substitue à la RFT, à la suite de la création en 1966 d?un grand ministère des Affaires sociales réunissant les anciens ministères de la Santé publique et de la Population, d?une part, du Travail et de la Sécurité sociale, d?autre part. Les ministères se sépareront à nouveau en 1969, mais la revue gardera sa forme et son appellation. Les années 1967-1986 sont marquées par le long secrétariat général d?A. Ziegler et par la stabilité du comité de rédaction composé d?administrateurs jusqu?en 1984. En 1985 estmis en place un nouveau comité de rédaction ouvert cette fois à des chercheurs et à diverses personnalités, appelé à remplir véritablement son rôle ;
- de 1987 à 2004 : la RFAS tend vers le modèle « revue scientifique », avec un comité de rédaction mixte et, à partir de 1987, une rédaction en chef.
11Dès lors que l'on distingue les quatre tranches chronologiques, l'enquête sur les auteurs se recentre de fait sur les années RFAS, puisque le corpus des 1 696 auteurs recensés de 1946 à 2004 se constitue, à hauteur de 90 %, pendant cette deuxième phase de l'histoire de la revue ; et encore plus spécifiquement sur la dernière étape définie, de 1987 à 2004, années qui génèrent à elles seules 54 % des noms relevés aux sommaires. L?extrême ouverture du recrutement des auteurs pendant ces années-là, se traduit également au niveau du rapport théorique indicatif nombre de pages/auteurs, qui atteint alors son plus bas niveau. L?afflux d?auteurs « neufs » pèse aussi sur la réduction nette de la présence relative des auteurs récurrents, même si la mesure peut être faussée par le raccourcissement du recul permettant d?apprécier la réapparition des auteurs : de 31 % des auteurs de 1946-1948 devenant récurrents, on n?en compte plus que 14 % parmi ceux des années 1987-2004. Les deux périodes extrêmes de l'histoire de la revue, RFT de 1946-1948 et RFAS de 1987-2004, s?opposent radicalement sur tous ces indicateurs liés à la constitution du vivier des auteurs.
Profil dominant : de l'administrateur au chercheur (voire à la chercheuse)
12Aux sommaires de la RFAS, version post 1987, les auteurs issus du monde de la recherche occupent la place exacte ? frôlant les 55 % ? qui était celle des hauts fonctionnaires dans la RFT des deux premières années (tableau 5). La substitution s?est opérée en relative douceur, avec un recul régulier des membres de l'administration, parallèle à la montée en puissance, un peu plus saccadée et avec accélération sur la dernière période, des chercheurs. Le groupe des professionnels et experts, plus présent au départ que les chercheurs, du fait du volontarisme des initiateurs de la revue de rendre compte du front des relations socio-économiques, est devenu un groupe d?appoint, mobilisé surtout lors de la conception de numéros spéciaux. Il connaît néanmoins une heure de gloire dans la période 1967-1986, soutenue par la présence accentuée de la profession médicale lorsque le périmètre du champ couvert par la revue se redéfinit en s?ouvrant davantage aux questions relatives à la santé publique, notamment après la création de la revue Travail et Emploi en 1979. Ce premier temps de la RFAS se caractérise en outre par son « équilibre » le mieux partagé entre les trois courants qui alimentent son contenu rédactionnel : un tiers d?administrateurs, un tiers de chercheurs, près d?un petit quart de professionnels et experts, et le complément fourni par des auteurs à doubles casquettes. L?évolution sur le long terme de la proportion de ces derniers ne se prête guère à interprétation, en raison de la faiblesse numérique de ces groupes dès lors que l'on introduit le découpage chronologique.
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : évolution des origines professionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : évolution des origines professionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : évolution de la féminisation par catégories d?origines professionnelles
Auteurs RFT/RFAS 1946-2004 : évolution de la féminisation par catégories d?origines professionnelles
13Au fil du temps et déclinée par origines professionnelles/institutionnelles des auteurs, la proportion globale d?un tiers de signatures féminines dans la revue se nuance (tableau 6). Si celle-ci a augmenté de façon continue, partie de 8,6 % pour atteindre 36,7 %, les représentantes du secteur de la recherche en demeurent les « locomotives » puisque du côté des chercheurs écrivant dans la RFAS, on compte désormais quatre femmes sur dix auteurs. Viennent en deuxième position (5 points d?écart) les administratrices, puis, à parts sensiblement égales (5 points en retrait encore), les professionnelles et expertes ainsi que l'ensemble des profils doubles. Entre les deux temps RFAS, si la féminisation gagne globalement, passant de 30,5 à 36,7 %, les écarts constatés entre les filières se sont creusés : plus de dix points d?écarts, depuis 1987, entre la place prise par les femmes chez les chercheurs et celle qui leur revient parmi les auteurs de profils doubles, quand, entre 1967 et 1986, six points seulement séparaient les groupes les plus mixtes, doubles profils et chercheurs, et celui qui l'était le moins, des professionnels et experts.
L?évolution de la revue vers des sommaires de plus en plus confiés aux enseignants-chercheurs et chercheurs se reflète encore dans la croissance continue du recours à la coécriture des articles. La fréquence moyenne de recours à cette pratique, établie à 30,4 % sur le long terme, a connu en effet une assez spectaculaire progression, passant de 5,7 % des articles entre 1946 et 1948, à 17,6 % entre 1949 et 1966, puis 25,6 % entre 1967 et 1986, pour atteindre enfin 36,6 % depuis.
Quels administrateurs ?
14La RFT/RFAS, revue « fille » du ministère du Travail, en grande partie écrite à l'origine par ses fonctionnaires ? le gros plan de J.-P. Le Crom sur les années 1946-1948 le montre bien ?, restant dans le giron des ministères sociaux lorsque ceux-ci changent de configuration, a continué à confier, certes de moins en moins on l'a vu, ses colonnes au monde administratif. Il est donc intéressant d?isoler de l'ensemble des administrateurs sollicités, ceux qui appartiennent au(x) ministère(s) de tutelle de la revue et dont la présence relative est susceptible de fournir un indicateur d?« emprise » ou de « déprise » du rédactionnel de la revue à l'égard de la famille de ses pères fondateurs.
15Le repérage de 371 administrateurs appartenant aux ministères sociaux, parmi tout le vivier des 1 696 auteurs, donc sur l'ensemble de la période, affecte à ces derniers une présence à hauteur d?un peu plus du cinquième (21,9 % exactement) des signataires d?articles. Mais cette moyenne cache un effacement spectaculaire et régulier, puisqu?on en comptait :
- de 1946 à 1948 : 35 sur 71 auteurs, soit 49,3 % ;
- de 1949 à 1966 : 30 sur 86 auteurs, soit 34,9 % ;
- de 1967 à 1986 : 146 sur 622 auteurs, soit 23,5 % ;
- et de 1987 à 2004 : 160 sur 917 auteurs, soit 17,44 %.
Auteurs de profils « administration » : part des auteurs dépendant des ministères sociaux
Auteurs de profils « administration » : part des auteurs dépendant des ministères sociaux
16Si l'on rapporte la part des administrateurs en poste dans les ministères sociaux à la seule part de leurs collègues administrateurs (tableau 7), et non plus à la population totale des auteurs, on s?aperçoit que ceux-ci gardent quand même assez logiquement, et assez haut la main, la prééminence sur ce groupe. Certes ils ne comptent plus pour les trois quarts des hauts fonctionnaires auteurs, comme en 1946-1948, mais en 1987-2004 ils en représentent encore plus de la moitié (53,5 %). Si, sur les deux périodes RFAS seulement afin de faciliter les comparaisons, l'on resserre encore l'objectif en observant à quelles directions ou services appartiennent majoritairement les auteurs fonctionnaires des ministères sociaux, une constante, des contrastes et des évolutions deviennent lisibles. La constante, c?est le « vivier dans le vivier » constitué par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) : entre 1967 et 1986, 17 % des fonctionnaires localisables [8] dans les ministères sociaux en proviennent, et 21 % entre 1987 et 2004. L?IGAS constitue donc une réserve potentielle d?auteurs toujours sollicitée, et même relativement de plus en plus. Les contrastes entre les deux périodes RFAS tiennent en partie à la montée en puissance depuis 1987 d?un service, puis d?une direction, dévolus aux études, statistiques (SESI), et désormais également recherche (DREES, depuis 1998, à laquelle est rattachée la RFAS) d?où proviennent désormais près d?un quart (23,7 %) des auteurs administrateurs localisés dans les ministères sociaux. Un effet de vases communicants de ce recrutement préférentiel provoque le recul des auteurs puisés dans les directions opérationnelles : de 19,2 à 10,8 % pour l'ensemble DHOS/DGS/DGSH, de 11,1 à 7,9 % pour la DAS, de 10,1 % à 5 % pour la DPM, et le plus spectaculaire, de 17,1 % à 5 % pour la DSS [9]. À noter encore, parmi les évolutions, la part croissante prise par les auteurs appartenant aux services déconcentrés (DDASS, DRASS, ARH [10], etc.), qui doublent quasiment en passant de 7 % en 1967-1986 à 13,7 % entre 1987 et 2004.
Quels chercheurs ?
17Si, au total, de 1946 à 2004, les enseignants-chercheurs et chercheurs signataires d?articles dans la RFT/RFAS relèvent d?une trentaine de disciplines scientifiques « molles » et « dures » (tableau 8), cet éparpillement apparent masque la concentration des trois quarts d?entre eux dans cinq spécialités : la sociologie, reine, avec un tiers des auteurs chercheurs, l'économie avec 22,8 %, le droit avec 9,9 %, puis, à égalité, la démographie et les sciences politiques avec 4,7 % des auteurs chercheurs chacune.
Répartition des chercheurs par disciplines et par périodes
Répartition des chercheurs par disciplines et par périodes
18Si les quelques universitaires présents aux touts débuts de la revue relèvent majoritairement des disciplines les plus traditionnelles, à commencer par l'histoire (quatre sur 13 chercheurs en 1946-1948) et le droit (trois), ils sont suivis déjà de deux sociologues, et pas des moindres, sensiblement plus jeunes que les historiens et juristes qui voisinent avec eux aux sommaires de la revue. Madeleine Guilbert est née en 1910 et Georges Friedmann en 1902, quand Georges Lefebvre ou Henri Lévy-Brulh, pour ne citer qu?eux, sont nés dans le dernier quart du XIXe siècle. Avec la présence, dès le n° 8 de 1946, de Madeleine Guilbert, licenciée de philosophie [11] appelée comme chargée de mission par Ambroise Croizat, ministre du Travail, au Centre d?études et de statistiques de son ministère pour y enquêter sur le travail des femmes (Chaperon, 2001), relayée au sommaire du n° 10 de 1947, par Georges Friedmann, titulaire de la chaire d?histoire du travail au CNAM depuis 1945, qui vient de publier un an plus tôt sa thèse, Problèmes humains du machinisme industriel [12], la sociologie du travail, commence à s?écrire dans la RFT [13] en même temps qu?elle se structure, cinq ans avant la création, en 1951, de l'Institut des sciences sociales du travail, pourvoyeur par la suite de nombreux auteurs, et bien avant la création d?une revue qui lui sera dévolue : Sociologie du travail, née en 1959 (Bidet, 2004). Cette apparition initiale et remarquable de la discipline sous les noms de deux auteurs que l'on retrouvera comme récurrents, est suivie d?une assez longue éclipse, puisque si, dans la période « creuse » de la RFT, de 1949 à 1966, pauvre en articles de fond et en recrutement d?auteurs, l'on dénombre bien 15 sociologues parmi les 30 chercheurs repérés, ceux-ci ne réapparaissent qu?à partir de 1964. Six d?entre eux appartiennent à l'Institut des sciences sociales du travail fondé au sein de la faculté de droit de Paris par Marcel David, avec le soutien du ministère du Travail, pour la formation des syndicalistes et la recherche en sciences sociales du travail (Tanguy, 2006). Georges Friedmann appuie l'initiative. Le lien très fort entre l'Institut et la RFT passe par la personne de Yves Delamotte, contrôleur général de la sécurité sociale qui a participé à la création de l'Institut, en a été secrétaire général (Reynaud, 2000) et en deviendra directeur, et qui est en 1965 nommé directeur de la RFT. Il le reste, quand celle-ci se transforme en RFAS, et le demeure jusqu?en 1968. L?apparition au sommaire de la revue de noms comme ceux de Marc Maurice, Alain Touraine, ou Jean-Daniel Reynaud autour de 1965, est en pleine cohérence avec cette filiation et cette proximité Friedmann/ISST/Delamotte/RFT. La poignée de chercheurs sollicités entre 1949 et 1966, outre sa moitié de sociologues, aligne aussi trois juristes et trois psychologues. Ces derniers, auxquels on peut adjoindre un ergonome, ressortissent à la branche psychologie sociale, psychologie du travail, et s?inscrivent dans la mouvance du Centre d?études et recherches psychotechniques du ministère du Travail, que Serge Moscovici, l'un des trois psychologues rencontrés, a dirigé à partir de 1955.
Au cours des deux périodes RFAS, les cinq disciplines de sciences humaines et sociales les plus présentes dans la revue conservent ensemble le même poids, en fournissant les trois quarts des auteurs issus du monde de la recherche. La principale différence entre ces deux temps réside dans l'inversion des deux positions dominantes : l'économie entre 1967 et 1986, suivie par la sociologie, tandis que depuis 1987, la sociologie a pris la tête, suivie par l'économie. On observe que la domination des économistes sur les sommaires de la RFAS, au moment où la revue s?ouvre d?avantage à la santé publique, est contemporaine de l'affirmation académique du champ de l'économie de la santé, propre à la décennie 1970 (Benamouzig, 2006). Il faudrait encore préciser la chronologie de l'inversion aux premier et deuxième rangs entre économistes et sociologues en rapportant l'effet induit par la création de la revue Travail et Emploi en 1979, entraînant avec elle des économistes du travail. Le droit reste stable pour sa part, frôlant les 10 % de chercheurs, en troisième position ; aux quatrième et cinquième places, la démographie et les sciences politiques se sont inversées ? la démographie fermant désormais le peloton de tête.
Quels professionnels et experts ?
19Le troisième grand groupe d?origines des auteurs, celui des professionnels et experts, se caractérise par sa grande hétérogénéité, entre les différentes périodes de l'histoire de la revue, et à l'intérieur même de ces périodes ? en particulier pour les deux temps de la RFAS ? par la diversité de ses composantes. Il est donc difficile d?en proposer une vision d?ensemble et même d?en dresser un simple tableau récapitulatif, mais on peut en revanche tenter de suivre la présence d?une de ses composantes importantes, les membres des professions médicales, au moins depuis le début de la RFAS. Sur ces deux premières décennies, de 1967 à 1986, on dénombre en effet 95 médecins et professeurs de médecine sur 200 professionnels et experts, soit 47,5 %, qui représentent 15,27 % de l'ensemble de tous les auteurs. Entre 1987 et 2004, ne restent que 57 médecins et professeurs de médecine parmi les 159 professionnels et experts, soit 35,84 %, qui ne comptent plus que pour 6,21 %, tous auteurs confondus. Dans le même temps, il semble que les profils médicaux sollicités évoluent, passant du profil simple de professionnel, témoin ou expert en son domaine, à une plus grande fréquence des doubles profils professionnel/chercheur, comptant maintenant pour les deux tiers. Du temps de la RFT, les profils médicaux relevés au sommaire étaient, logiquement, liés à la médecine du travail : médecins inspecteurs du travail et professeurs de médecine du travail.
20Sur les deux premières années de la revue, de 1946 à 1948, sur les douze auteurs ressortissant à la catégorie « professionnels et experts », sept étaient issus du monde syndical, dont quatre liés à la CGT. Par la suite, dans la RFT de 1949 à 1966, maigre en auteurs, les seulement douze profils de professionnels et experts rencontrés sont dominés par la profession médicale, toujours dans sa composante liée au travail (six auteurs). Le monde syndical a disparu des sommaires, mais le secteur industriel maintient une petite présence d?ordre « technicienne ». Le monde associatif commence, lui, à émerger, avec des auteurs liés à l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et à l'Union nationale des foyers de jeunes travailleurs (UFJT).
21Dans les colonnes de la RFAS, les professionnels et experts sont souvent sollicités à l'occasion des numéros hors série ou thématiques pointus. De 1967 à 1986, l'impact de ces numéros sur le recrutement d?auteurs qui ne deviendront pas récurrents, parce que très spécialisés, est sensible : par exemple, le numéro sur « Démographie et sécurité sociale » de 1977 fait appel à plusieurs présidents et directeurs de caisses, celui sur les femmes médecins de 1982 n?est écrit que par des femmes médecins et professeurs de médecine (à l'exception d?un article demandé au professeur Jean Bernard), celui sur « santé et information du consommateur » en 1985 mobilise des journalistes et autres communicants, tandis que celui sur les médecines parallèles en 1986 est confié à des auteurs médecins à exercices particuliers.
22Depuis 1987, l'impact des numéros spéciaux sur le recrutement des auteurs semblerait plutôt moindre, même si le numéro sur la santé en prison de 1997 amène encore son lot d?auteurs ponctuels liés au monde pénitentiaire et à la justice, ou si un numéro portant sur une aire géographique spécifique conduit à son sommaire une série d?auteurs qui en proviennent. C?est le cas par exemple du numéro consacré à « L?État providence nordique » en 2003, pourvoyeur d?auteurs scandinaves.
On pourra enfin noter que si le monde de l'entreprise est encore assez présent chez les auteurs entre 1967 et 1986, celui des associations tend à s?y substituer depuis 1987.
Et où va-t-on les chercher ?
23La moyenne, dans toute l'histoire de la RFT-RFAS, de 10,1 % d?auteurs provenant d?autres contrées ne connaît pas d?évolutions quantitatives remarquables. La revue est passée de 7 % en 1946-148, à 13,9 % en 1949-1966, 9,8 % en 1967-1986, et à 10,1 % en 1987-2004. Au cours des deux premières périodes, les contributions de l'étranger sont le fait, majoritairement, d?administrateurs : tous en 1946-1948 et pour moitié d?entre eux en 1949-1967, rejoints par trois chercheurs et deux professionnels et experts.
24Le bassin de recrutement, européen au départ, commence alors à s?entrouvrir, en direction d?un universitaire des États-Unis, le directeur de l'Institut des relations industrielles de l'université du Minnesota.
25Dans les temps RFAS, ce sont, et de plus en plus, des chercheurs que l'on va solliciter hors des frontières : 62,3 % des signatures étrangères en 1967-1986 et 89,2 % après 1987, les administrateurs qui se maintenaient encore à hauteur de 16,4 % dans la première RFAS en font les frais. Sur la période 1967-1986, si dix-neuf pays fournissent les 61 auteurs non hexagonaux, trois d?entre eux en alignent la moitié : la Suisse avec quatorze signatures (dont douze universitaires), les États-Unis dix (dont huit universitaires) et la RFA sept (dont cinq administrateurs). La contribution considérable, et a priori surprenante, des chercheurs suisses, appartenant pour la plupart aux universités de Genève et Lausanne, est à rapprocher des origines suisses du secrétaire général de la revue pendant toute cette période, Albert Ziegler. Il y a là un effet manifeste d?activation d?un réseau intellectuel personnel. Des dix-neuf pays présents au sommaire, huit sortent d?Europe : les États-Unis déjà cités et le Canada pour le continent américain, le Japon du côté de l'Asie, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie pour l'Afrique du Nord, le Cameroun et le Centrafrique pour le reste du continent africain. Pour ces cinq derniers pays, un seul auteur présent dans chaque cas, professionnel ou administrateur.
26Les pays sollicités entre 1987 et 2004 sont au nombre de vingt et un, dans une configuration beaucoup plus équilibrée que la précédente. La Suisse a perdu sa prééminence et cinq pays contribuent désormais, à parts quasiment égales, à regrouper la moitié des auteurs étrangers : l'Allemagne, le Canada, la Belgique, l'Italie et la Grande-Bretagne. Sauf exceptions, ce sont des universitaires que l'on va chercher là. Des États non encore rencontrés font en outre leur timide apparition, comme la Roumanie, ou la Croatie avec un auteur chacun, ou rentrent plus massivement, soutenus par un numéro spécial, comme les pays scandinaves.
Parmi les auteurs français, la part globale des provinciaux avérés (au moins dans leur adresse institutionnelle), 16,9 % que l'on peut supposer en deçà de la réalité par omission d?informations, cache une augmentation franche au fil des ans. Les deux premières années de la RFT n?alignaient à leurs sommaires que 1,4 % de provinciaux avérés, les années 1949-1966, 7 %, la première RFAS, de 1967 à 1986, 10,8 % et la deuxième, de 1987 à 2004, 23,1 %. Le « parisianisme » du vivier des auteurs semble donc en régression, à la fois sous l'effet de la tendance à la substitution du milieu des universitaires à celui des hauts fonctionnaires, et parmi ces fonctionnaires sous l'effet de la déconcentration/décentralisation des organes régissant les activités et le champ sanitaire et social. Les contrastes entre les deux périodes définies pour la RFAS sont assez éloquents en matière de provincialisation : entre 1967-1986 et 1987-2004 la part des administrateurs non parisiens (doubles profils compris) passe de 3,5 % à 12,4 % et du côté des chercheurs, on passe de 18,7 % à 30,3 % (doubles profils compris).
Gros plan sur les auteurs les plus récurrents
27101 noms figurent trois fois ou plus aux sommaires de la RFT-RFAS entre 1946 et 2004 et les auteurs concernés méritent d?être regardés d?un peu plus près, puisque l'on a vu que très majoritairement (à hauteur de 82,6 %), les auteurs ne proposaient qu?un seul article à la revue.
28C?est dans la RFAS que commencent à écrire les quatre cinquièmes de la centaine d?auteurs récurrents : sur les 101, dix-huit seulement font leur apparition du temps de la RFT, cinquante, soit la moitié, surgissent entre 1967 et 1986 et les trente-trois derniers apparaissent entre 1987 et 2004. Par rapport au total des auteurs réunis à chaque époque, ceux qui ont signé au moins trois articles tendent à voir se réduire leur proportion : ils représentaient 11 % du corpus des auteurs de la RFT, 8,1 % de celui de la RFAS, de 1967 à 1986, et 3,6 % de l'ensemble des auteurs RFAS après 1987 ? mais l'on sait que sur cette dernière période le manque de recul peut minorer leur part. Sur le long terme, le renouvellement du recrutement des auteurs et sa diversification s?affirment comme une tendance forte de la revue.
29Sur les huit auteurs de la première RFT, de 1946 à 1948, qui proposeront au moins trois articles à la revue, on saluera la présence de trois femmes remarquables. Aux côtés de Madeleine Guilbert, déjà repérée, sociologue ayant un pied dans le ministère du Travail, figurent également dans ce petit groupe d?auteurs récurrents deux administratrices : Olga Raffalovitch, directrice adjointe du travail, et Renée Petit, chef du bureau des conventions collectives. Parmi les cinq hommes, Georges Friedmann, déjà rencontré, est le seul chercheur ; trois appartiennent au ministère, dont Pierre Laroque, le cinquième est professeur de médecine du travail à Paris. Au niveau des auteurs qu?elle « lance », la RFT de 1946-1948, accueillante aux femmes et à la jeune sociologie du travail, apparaît comme une revue relativement d?avant-garde.
30Entre 1949 et 1966, la RFT plus terne, réunit néanmoins encore quatre femmes parmi les dix auteurs qu?elle ajoute au vivier de ceux qui signeront au moins trois fois dans ses colonnes. Sur les quatre, trois qui sont engagées dans la recherche rallient la revue seulement au milieu des années 1960, tandis qu?une administratrice civile du ministère, côté Sécurité sociale, Jeanne Dulong, commence à y écrire en 1949. Les jeunes chercheuses, Antoinette Catrice-Lorey, Monique Haicault et Mireille Dadoy, s?intéressent toutes à la sociologie du travail, à l'ISST pour la première, dans le ministère, au Centre d?étude et de recherche sur les conditions d?emploi et de travail des jeunes (CERCETJ) pour la deuxième et bientôt au Laboratoire d?économie et de sociologie du travail (LEST) pour la troisième. Sans être tous des auteurs récurrents, les membres de ces trois centres ou laboratoires fourniront d?ailleurs de façon générale à la revue de nombreux articles, à partir du milieu des années 1960. Parmi les six hommes que l'on voit arriver entre 1949 et 1966 et qui écriront plus de trois fois, figurent côté recherche, au moins en partie, Yves Delamotte et Marc Maurice déjà mentionnés, rejoints par un juriste suisse conseiller au Bureau international du travail, un inspecteur du travail, un conseiller technique à la direction de la sécurité sociale, et le médecin chef du CERCETJ.
31La première époque de la RFAS, 1967-1986, est la plus productive en auteurs fidèles, et parmi les 51 qui écriront au moins trois fois, se trouvent même 17 des 22 « champions » de toute l'histoire RFT-RFAS, auteurs de cinq articles ou plus. La cinquantaine qui en signent au moins trois compte 14 femmes, et se situe pour moitié, 26, dans le monde universitaire et de la recherche, avec le complément de 19 administrateurs, le reste mixant les profils, sans laisser place aux professionnels et experts purs et durs. Depuis 1987, avec 32 auteurs récurrents d?au moins trois interventions jusqu?en 2004, le paysage est comparable : 18 chercheurs, 10 administrateurs, les autres combinant ces deux profils. En revanche, seulement huit femmes dans cette petite population, présence relativement moindre qu?auparavant.
32Du côté des 22 auteurs les plus féconds, dont les noms figurent cinq fois et plus au sommaire [14] on constate que les représentants de l'administration et ceux du monde de la recherche arrivent à égalité, alignant dix noms chacun (auxquels s?ajoutent deux profils doubles ? un professionnel/administrateur et un chercheur/professionnel). Parmi les dix hauts fonctionnaires écrivant au moins cinq fois, figurent quatre membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ainsi que Pierre Laroque, auteur de sept articles entre le n° 1 de la RFT en 1946 et le n° 3 de la RFAS en 1985. Du côté des onze chercheurs auteurs d?au moins cinq articles, les sociologues et les économistes ? avec quatre auteurs pour chacune de ces deux disciplines ? sont les plus présents, rejoints par un juriste, un démographe et un chercheur en gestion. Des trois chercheurs totalisant chacun dix articles au moins, deux sont membres du comité de rédaction de la revue de 1985 à 1998 : Patrick de Laubier, professeur de sociologie à Genève, seize articles du n° 3 de 1971 au n° 4 de 1995, et William Grossin, professeur de psychosociologie à Nancy, quatorze articles du n° 1 de 1967 au n° 1 de 1976. Le troisième est le sociologue du travail (CNRS puis Paris VII et Lille III) Pierre Dubois, publiant dix fois dans la revue entre le n° 1 de 1970 et le n° 2 de 1985.
33Pour aller plus loin dans la connaissance des auteurs qui ont « fait » la RFT puis la RFAS, de 1946 à nos jours, il resterait bien sûr à sortir de l'approche « comptable » qui a été seule mobilisée ici et qui pose un premier jalon, indispensable, vers un portrait collectif. Il est évident qu?interroger les auteurs, et notamment les plus présents, sur leur perception de la revue serait éclairant.
Des évolutions que l'on voit poindre, que cela réponde à une politique des auteurs délibérée ou non, ce qu?il faudrait pouvoir apprécier à l'aide d?archives, écrites (inexistantes) ou orales (à constituer), des réunions du comité de rédaction, la ligne la plus claire est celle d?une ouverture de plus en plus franche à la recherche en sciences humaines et sociales ? sociologie en premier lieu ?, s?accompagnant d?une régression de la place des représentants des ministères de tutelle dans la revue. Ce recul mériterait d?être analysé plus avant, notamment en terme de renouvellement des générations des « élites du Welfare » et de l'évolution de leurs profils intellectuels.
Bibliographie
- BENAMOUZIG D., (2006), « L?institutionnalisation de l'économie de la santé en France (1950-1990) », Journal d?économie médicale, vol. 24, n° 1, p. 55-63.
- BIDET A., (2004), « Retour sur la sociologie du travail : un impensé technique », Revue de l'IRES, n° 44, p. 157-169.
- CHAPERON S., (2001), « Une génération d?intellectuelles dans le sillage de Simone de Beauvoir », Clio, histoire, femmes, société, n° 13, p. 99-116.
- DELAVAULT H., BOUKHBZA N., HERMANN C. et al., (2002), Les enseignantes chercheuses à l'université : demain la parité ?, Paris, L?Harmattan.
- Les femmes dans l'histoire du CNRS, (2004), Paris, Mission pour la place des femmes au CNRS, Comité d?histoire du CNRS.
- REYNAUD J.-D., (2000), « De l'analyse des relations professionnelles à la théorie de la régulation sociale », entretien avec J.-D. Reynaud, Gérer et comprendre, n° 73, p. 4-13.
- ROSENTAL P.-A., (2006), « Jean St?tzel, la démographie et l'opinion : autour des soixante ans de Population », Population, vol. 61, n° 1-2, p. 31-44.
- TANGUY L., (2006), Les instituts du travail : la formation syndicale à l'université de 1955 à nos jours, sous la direction de L. Tanguy, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des Sociétés ».
- ZIEGLER A., (1986), « Biographie d?une revue », RFAS, n° 4 octobre-décembre, p. 3-34.
Notes
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[*]
Chargée de mission, Mission Recherche de la DREES.
-
[1]
J.-P. Le Crom, « Les années ?fastes? de la Revue française du Travail (1946-1948) », dans ce numéro.
-
[2]
Ce qui justifie que l'on usera à chaque fois que c?est possible dans cet article du terme de « ministères sociaux » pour ne pas alourdir le texte.
-
[3]
Les articles signés d?au moins quatre noms d?auteurs ont été considérés comme anonymes par excès d?auteurs, l'implication respective des uns et des autres dans l'écriture pouvant être très variable et non décelable.
-
[4]
L. Pitti, « Une source pour l'histoire des problèmes sociaux. Présentation de l'indexation thématique et des auteurs de la RFT et de la RFAS », dans ce numéro.
-
[5]
Un récent article autour des soixante ans de la revue Population n?évoque malheureusement pas le profil des auteurs présents aux sommaires (Rosental, 2006).
-
[6]
Malgré les recherches menées, les 49 cas restés non élucidés se répartissent entre des initiales seules (surtout avant 1967), des Dominique et des Claude, ainsi que quelques prénoms étrangers rares.
-
[7]
La féminisation du personnel chercheur du département des sciences humaines et sociales du CNRS s?établit à 43,2 % au 31 décembre 2004 (chiffres du Bilan social 2004 du CNRS).
-
[8]
De 1967 à 1986, 99 sur 146 fonctionnaires des ministères sociaux sont ainsi localisables, et 139 sur 160 pour la période 1987-2004.
-
[9]
DHOS : Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins ; DGS : Direction générale de la santé ; DGSH : Direction générale de la santé et des hôpitaux ; DAS : Direction de l'action sociale ; DPM : Direction de la population et des migrations ; DSS ; Direction de la Sécurité sociale.
-
[10]
DDASS, DRASS : directions départementales, directions régionales des affaires sanitaires et sociales ; ARH : agences régionales de l'hospitalisation.
-
[11]
La licence de sociologie ne sera créée qu?en 1959.
-
[12]
Gallimard, 1946.
-
[13]
Voir également sur ce point l'article de J.-C. Barbier, « Main-d??uvre, emploi, travail, catégories et référentiels : voyage à travers les pages de la Revue du Travail et de la Revue française des Affaires sociales (1946-1989) » dans ce numéro.
-
[14]
Le « personnel » RFAS, secrétaires ou rédactrices en chef, n?est pas ici pris en compte.