Couverture de RFS_582

Article de revue

L'ouverture sociale par le marché ?

Sociologie de la captation des classes populaires à l'université d'Oxford

Pages 233 à 265

Notes

  • [1]
    On utilise ici la notion d'« ouverture sociale » comme catégorie autochtone.
  • [2]
    Ce constat repose sur un travail de catégorisation sociale des individus effectué par l'institution, établi à partir d'un croisement de diverses variables relatives à la profession des parents, à leur niveau d'études, au choix des établissements scolaires et des filières, à la zone d'habitation, etc.
  • [3]
    On ne postule pas ici que l'ouverture sociale, ni même le système éducatif dans son ensemble relèvent effectivement d'une relation marchande. Il s'agit plutôt de considérer que la relation marchande participe d'une relation sociale plus générale, celle de la coordination, que l'on trouve particulièrement dans le cas des marchés économiques mais qui s'en émancipe largement.
  • [4]
    L'approche par la captation permet par ailleurs de comprendre la place des logiques marchandes à l'école. Elle illustre à ce titre la très grande pénétration des pratiques inspirées du marché dans l'espace de l'enseignement supérieur, y compris pour des objets dont les acteurs se réclament des valeurs d'égalité et de solidarité à l'égard des classes populaires. De ce point de vue, on voit comment l'approche par la sociologie des marchés permet d'aller au-delà du tabou social que représente la mise en marché de l'éducation, comme l'a par exemple déjà souligné Sophie Dubuisson-Quellier (1999).
  • [5]
    On parlera ici du cas anglais et non britannique, étant donné que la politique d'enseignement supérieur est dévolue à chacune des « nations » qui composent le Royaume-Uni.
  • [6]
    En conséquence, les programmes d'ouverture sociale qui y sont développés se fondent sur une approche par les classes sociales et non par l'ethnicité, plus centrale aux États-Unis. L'exemple de l'affirmative action « à l'américaine » est quant à lui mobilisé pour illustrer le caractère moralement inacceptable des quotas ethniques dans le cadre légal européen (Sabbagh, 2005).
  • [7]
    La littérature sur les admissions apparait en effet centrée sur les effets scolaires et sociaux de la sélection sur les individus.La sociologie de la reproduction a développé une théorie des admissions vues comme un rite de passage qui, limité par les bornes temporelles du concours, viendrait certifier scolairement les dispositions sociales des individus. Dans cette perspective, les procédures de sélection se voient attribuer le statut d'une boite noire qui valide « comme par magie » les acquis de la socialisation reçue au préalable, en particulier au sein des classes préparatoires aux Grandes écoles pour le cas français (Bourdieu, 1989). Des études plus récentes ont cherché à « ouvrir » cette boite noire, en tentant d'appréhender les logiques institutionnelles qui président aux décisions d'admission (Karabel, 2005 ; Darmon, 2012). Elles s'inscrivent dans un renouveau des travaux sur la sélection et la socialisation au sein des formations d'élite, particulièrement fécond aux États-Unis (Anteby, 2013 ; Gaztambide-Fernández, 2009 ; McDonough, 1997). Parmi ces études, l'enquête menée par Mitchell Stevens (2008) au sein du service de recrutement d'une université d'élite américaine souligne l'importance de l'organisation matérielle de l'université (en particulier le travail de tri des candidatures par les personnels administratifs) comme une variable déterminante dans les décisions de sélection.
  • [8]
    Lors de ces observations, l'auteur s'est vu assigner un rôle de soutien logistique aux agents de l'ouverture sociale dans l'accueil des visiteurs. Concrètement, il s'agissait de guider élèves et enseignants dans les locaux, même si notre rôle ne relevait pas du recrutement des élèves à proprement parler. Notre étude et son caractère scientifique étaient également soulignés, tout comme notre nationalité (française), et assuraient une distance avec le message institutionnel de l'université et une différenciation des rôles avec les agents observés.
  • [9]
    Il s'agit de noms fictifs.
  • [10]
    Statistiques de l'université d'Oxford, année 2012.
  • [11]
    Selon la production institutionnelle, ce qui caractérise l'origine sociale d'un individu n'est plus son appartenance à la classe ouvrière mais son immersion dans un milieu caractérisé par des ressources financières limitées et une limitation dans la possibilité des choix scolaires qui s'ouvrent à lui au lycée. Cela s'accompagne d'une paupérisation de l'espace de vie qui entraine une dégradation de l'accès à un capital social utile à l'entrée dans le supérieur et sur le marché du travail (Milburn, 2009).
  • [12]
    La formation des cadres et des hauts fonctionnaires ne relève d'ailleurs pas des compétences originelles de ces deux ancient universities, exception faite de l'administration coloniale impériale (Vernon, 2004).
  • [13]
    Les chiffres présentés dans le tableau reposent sur une nomenclature par zones urbaines plutôt que par catégories socioprofessionnelles ou par origine scolaire des élèves, alors que cette dernière approche est celle traditionnellement retenue par les universités afin d'identifier l'origine sociale de leurs étudiants. Depuis 2010-2011, le développement et la diffusion de nomenclatures comme POLAR permet d'identifier l'origine géographique des élèves âgés de 18 à 20 ans et, par recoupement avec la CSP de leurs parents, de déterminer les zones où la participation à l'enseignement supérieur est la plus faible. La nomenclature se fonde sur cinq niveaux de participation, dont le quintile 5 est le plus faible. On reprend ici les chiffres du quintile 5 qui, rapportés à la population générale étudiante de première année pour chaque établissement, permettent de souligner à la fois la sélectivité sociale d'Oxford et sa position dans un espace d'offres de formation similaires.
  • [14]
    Toutefois, la publicisation de ces données apparait très aléatoire, selon la bonne volonté des universités et des autorités publiques, ce qui en limite fortement l'accès. Plusieurs types de calculs et de nomenclatures existent, sans qu'ils ne soient cohérents les uns avec les autres.
  • [15]
    La notion de potentiel est une notion d'origine managériale associée à certains tests psychotechniques de sélection. Elle vise à établir l'admission sur des critères alternatifs aux résultats scolaires afin de faciliter la diversité sociale. Par extension, cette notion contribue finalement à créer une catégorie alternative qui désigne les bons élèves de classes populaires dans le système éducatif sélectif (Allouch, 2013).
  • [16]
    Historiquement, les 34 colleges d'Oxford sont d'ailleurs les premières entités d'Oxford. Semblables, par leur architecture, à des monastères, ils assurent la formation, le logement et les loisirs des élèves, généralement lors de leurs trois premières années d'études. Ils se différencient en cela des départements, création récente, plutôt en charge des activités de recherche et d'encadrement des étudiants de Master (postgraduates) et des doctorants.
  • [17]
    En 2015-2016, ce chiffre équivaut à 6,15 millions de livres sterling.
  • [18]
    Ce nouveau service souligne également l'importance de la politisation de cette question sur les bureaucraties universitaires et la manière dont elle segmente les publics : les agents sont exclusivement chargés du recrutement des élèves de milieux populaires et non des publics internationaux ou des candidats à l'entrée en Master, qui dépendent d'autres directions. Ces changements organisationnels illustrent plus largement le travail de standardisation impulsé par l'université centrale sur la fonction des admissions, puisque le service des admissions centrales remplace à la fois l'Oxford Central Admission Office (OCAO), géré par les colleges, et l'Oxford Access Scheme, géré par l'Union des étudiants.
  • [19]
    Notre calcul se fonde sur l'étude systématique des petites annonces publiées par la gazette de l'université (Oxford University Gazette) entre 2003 et 2015.
  • [20]
    C'est également le cas de Sally, âgée de 22 ans lors de notre enquête, et qui est employée par Holbein en complément de Liz sur un contrat à mi-temps et en CDD. Si le choix de ce métier, pour cette jeune diplômée de littérature anglaise du Hockney College et ancienne bénéficiaire de ces dispositifs, relève d'un goût développé pendant ses années de bénévolat dans le secteur associatif, il s'agit également pour elle de trouver un emploi au plus vite après sa licence.
  • [21]
    Reconnu par les institutions publiques pour son caractère flexible et relativement peu coûteux (Sutton trust, 2008 ; Milburn, 2009), ce procédé d'outreach se décline en une multitude d'activités de formation visant à élever les ambitions (« aspiration raising ») d'élèves issus de milieux populaires. Ces activités n'ont pas pour but exclusif de capter de nouveaux candidats vers les procédures de recrutement des universités qui les organisent. Selon le contexte institutionnel dans lequel elles s'inscrivent, elles peuvent également s'articuler à une mission de promotion de l'enseignement supérieur pour tous, selon un discours de justification qui relève de la défense de l'égalité des chances.
  • [22]
    Extrait d'observation à Holbein College, 3 juillet 2009.
  • [23]
    Observation à Holbein College, mai 2009.
  • [24]
    Extrait d'Aspiration Day à Holbein College, 17 mai 2009.
  • [25]
    Entretien avec HE, administratrice de Hockney College, mai 2009.
  • [26]
    Observation d'un forum du supérieur (Higher Education Fair) dans un lycée de la région de Birmingham, 3 mai 2009.
  • [27]
    Extraits de l'observation des Teachers' Days des 26 et 27 juin 2009, université d'Oxford.
  • [28]
    L'accent du nord de l'Angleterre fait l'objet d'une lecture sociale dans l'imaginaire national, qui associe plus largement les habitants de villes industrielles comme Manchester ou Liverpool aux classes populaires et au milieu ouvrier (working class).
  • [29]
    « L'ordre temporel des évènements (ou la séquentialité) est une propriété fondamentale des policy narratives (ou récits). Les trames ainsi construites reposent sur l'exactitude ou la fausseté des éléments de l'histoire. [...] À ce titre, ils transmettent donc du sens et suggèrent de l'action. » (Radaelli, 2010, p. 549).
  • [30]
    Les données sont tirées du site www.ox.ac.uk (dernière consultation : novembre 2016).
  • [31]
    Avant 2006, les données relatives au Sixth Form College ne sont pas disponibles. Cette catégorisation institutionnelle n'est par ailleurs pas reprise par les autorités de régulation au niveau national, ce qui explique que le Tableau 1 mobilise des données issues de la nomenclature POLAR. Ces différentes nomenclatures et l'usage variable dont elles font l'objet illustrent le caractère controversé des données relatives à l'origine sociale des populations étudiantes en Angleterre. Elles font par ailleurs écho à la difficulté d'accès aux données quantitatives que nous avons rencontrées sur le terrain.
  • [32]
    Pour plus d'éléments sur ce point, voir A. Allouch (2013).

1Les dispositifs d’ouverture sociale [1] lancés dans les filières d’excellence peuvent-ils convertir les élèves de milieux populaires à un projet académique et professionnel particulier, au nom de l’égalité des chances ? À partir d’une approche inspirée par la sociologie des marchés, cet article vise à affiner la compréhension du travail de l’ouverture sociale et ses effets sur l’organisation et le fonctionnement des institutions d’élite.

2La vaste majorité de la littérature en sociologie de l’éducation relative à l’organisation de l’ouverture sociale considère cette dernière sous l’angle de la socialisation institutionnelle « à marche forcée » d’élèves issus de milieux populaires et de la mesure de ses effets sur les élèves, leur réussite, et éventuellement sur leur environnement (Archer et al., 1999 ; van Zanten, 2010). Sous cet angle, elle parait comme une activité de transmission de savoirs et des hiérarchies scolaires comme une autre, qui vise à rétablir une égalité des chances selon une approche compensatoire et individualisée des handicaps sociaux et scolaires.

3À partir de l’étude de l’université d’Oxford, on postule que ce type de dispositif relève également d’une activité qui vise à combler une disjonction entre une institution d’élite et un public en quelque sorte « inattendu » : celui d’élèves issus de milieux populaires dont les dispositions sociales et scolaires ne correspondent pas, a priori, aux routines institutionnelles de l’enseignement supérieur sélectif. Les élèves concernés par l’ouverture sociale sont ainsi définis par un ensemble de dispositions sociales marquées par un « déficit sociocognitif » relatif à leur environnement familial et scolaire [2]. Or ce déficit est compris comme une source d’incertitude dans les processus de choix scolaires des élèves : non seulement il restreint l’horizon des possibles d’orientation, en les empêchant de qualifier l’offre pédagogique d’Oxford, mais il contraint aussi leur jugement à des calculs et des stratégies illégitimes (choix de la proximité, influence des pairs, etc.) jugées contraires à l’offre. Comment dès lors assurer la coordination entre ces deux groupes ?

4Les études de sociologie économique qui se penchent sur les déterminants sociaux de relation entre offre et demande au sein d’un espace marchand fournissent une grille de lecture pertinente pour comprendre les processus de coordination étudiés ici. Selon ces auteurs, le rapport entre offre et demande n’est possible qu’à la condition de la « captation » d’un client vers une offre sur un marché. Celle-ci reposerait sur un ensemble de dispositifs sociotechniques et un réseau d’acteurs en interaction qui contribueraient à orienter le choix des individus, puis à s’assurer de la continuité de leur engagement dans la relation marchande (Cochoy, 2004 ; Dubuisson-Quellier, 1999). En retour, la captation peut contraindre les dispositions du client lorsqu’elle repose sur un dispositif sociotechnique particulier, qui permet l’encadrement très resserré de l’individu vers l’offre (Trompette, 2005). Les auteurs soulignent ainsi l’importance de la relation entre le dispositif de captation et les dispositions des individus ciblés (Cochoy, 2004, p. 18), mais également l’importance des relations entre le dispositif et les dispositions des agents qui le mettent en oeuvre. Dans ce cas, la coordination marchande n’est jamais seulement déterminée par les seules qualités de l’offre (« Oxford est trop élitiste », pour reprendre le discours de sens commun) ni par les seules dispositions des clients (« les étudiants de milieux populaires ne sont pas intéressés par l’université d’Oxford ») et elle dépend également de l’environnement matériel et symbolique dans lequel elle s’inscrit (Trompette, 2005) [3]. Recourir à la sociologie de la « captation » permet alors de comprendre les logiques à l’oeuvre au sein de dispositifs visant à susciter l’engagement d’élèves de milieux populaires, ainsi que la manière dont ces dispositifs tentent, par le biais de l’usage stratégique d’un environnement matériel donné, d’affecter et d’orienter les choix scolaires des élèves, sans que cela n’affecte nécessairement leurs dispositions sociales.

5L’usage de la captation nuance et complète à la fois la lecture par la socialisation dont fait souvent l’objet l’espace scolaire. Dans son ouvrage sur la socialisation, Muriel Darmon identifie, à la suite de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, trois formes possibles du processus en contexte scolaire : la socialisation de renforcement des dispositions sociales des élèves (comme dans le cas des Grandes écoles qui renforcent les dispositions sociales des élèves déjà privilégiés) ; la socialisation de conversion des dispositions (comme dans le cas des institutions totales qui convertissent l’habitus des individus) ; et, enfin, la socialisation de transformation, plus inspirée de la sociologie de Bernard Lahire, qui souligne le caractère limité ou inachevé de la plupart des socialisations de conversion (Darmon, 2006). On postule donc que la socialisation scolaire sous toutes ces formes, qu’elle entende la transformation de dispositions ou la transmission et l’intériorisation de connaissances et de hiérarchies sociales, ne limite pas l’horizon des possibles quant à la relation qui se noue entre une institution scolaire et un individu. La référence à la sociologie des marchés offre alors un cadre théorique propice à l’analyse de ces formes alternatives d’interactions prises dans un contexte de mise en marché de l’éducation [4] et éclaire, le cas échéant, la manière dont la captation s’articule avec des activités de socialisation au sens strict.

6L’étude du cas de l’université d’Oxford, institution traditionnellement associée à la formation des élites britanniques (Rothblatt, 2007) [5] apparait particulièrement pertinente pour comprendre les changements induits par l’ouverture sociale dans les dynamiques organisationnelles dans ce type d’établissement, et leurs conséquences sur le type d’interactions à l’oeuvre entre l’institution et ses publics. Tout d’abord, le système d’enseignement supérieur anglais se caractérise par une forte segmentation entre filières d’élite et universités plus ou moins « massifiées », créatrice d’une forte ségrégation sociale à l’entrée (Boliver, 2005 ; Shavit et al., 2007) [6]. Ensuite, l’Angleterre s’impose comme un espace pertinent pour étudier les réformes des institutions du supérieur dans un contexte de libéralisation de l’éducation (Gewirtz, 2001 ; Ball, 2007), parce que le marché y est perçu à la fois comme un levier possible de régulation de la qualité de l’offre éducative (BIS, 2011) et comme un moyen de réduire les inégalités scolaires par une simplification de l’accès à l’information des élèves de milieux populaires (McCraig, 2011). L’exemple anglais permet alors d’éclaircir les modalités de l’articulation des politiques d’ouverture sociale avec d’autres enjeux institutionnels, comme ceux visant à la mise en marché de l’enseignement supérieur. En ce sens, l’ethnographie de l’institution universitaire au travail permet de comprendre les conditions organisationnelles et la complexité des logiques institutionnelles qui prévalent lors de la sélection et de l’admission des élèves, alors que cette dimension est largement passée sous silence dans l’abondante littérature disponible sur la question [7]. Les différentes étapes de la captation illustrent donc non seulement le travail de coordination de l’institution à ses publics, mais également la manière dont la position de l’université dans l’espace de l’enseignement supérieur affecte ce travail avec les élèves.

ENCADRÉ 1. – Note méthodologique

Cet article se fonde sur 300 heures d’observation participante menées entre 2008 et 2010 lors de séances d’activités pédagogiques de trois colleges d’Oxford, dans le cadre de notre thèse de doctorat (Allouch, 2013) [8]. Afin de compléter nos données d’observation, nous avons réalisé une cinquantaine d’entretiens semi-directifs auprès des agents responsables de l’ouverture sociale et des enseignants engagés dans ces dispositifs. Parallèlement, nous avons mené une analyse documentaire des rapports officiels produits par l’université entre 1993 et 2010.
Nous nous concentrerons ici sur le cas de Gainsborough et de Holbein College [9], considérés comme les colleges les plus prestigieux de l’université. Aux yeux de nos enquêtés, ce prestige s’incarne particulièrement dans leur architecture gothique, qui reflète leur ancrage historique et leurs liens avec la Couronne et l’Église britannique. Fondés l’un et l’autre entre le XIIIe et le XVIe siècle, Gainsborough et Holbein College figurent parmi les plus anciens colleges d’une université, elle-même créée au XIIIe siècle. Cette position académique privilégiée nourrit un taux de sélection drastique. Pour l’année 2012, chacun de ces colleges a en effet attiré près de 3 000 candidatures pour moins de 200 places [10]. Leur taux d’admission des élèves issus de state schools (lycées publics non sélectifs) est également le plus faible de l’université. Gainsborough College attire ainsi 63,5 % de candidatures venues de lycées publics mais seulement 49,5 % de ses admis en sont effectivement issus. Holbein présente des chiffres tout à fait similaires : 62 % des candidatures viennent de candidats scolarisés dans le secteur public, pour moins de 48 % d’admis. Ainsi, selon les disciplines, 70 % à 80 % des étudiants d’Oxford sont issus de classes moyennes et supérieures (Zimdars et Amoah, 2007).
Ces deux colleges se caractérisent également par les liens traditionnellement entretenus entre leurs équipes enseignantes et celles de deux public schools anglaises, Eton pour Gainsborough et Winchester College pour Holbein, qui recrutent une très large majorité d’élèves issus de catégories supérieures (Halsey, 2000). Plus généralement, la position d’Oxford dans le champ de l’enseignement supérieur et les critiques d’élitisme à son égard sont associées à l’omniprésence de leurs diplômés dans les secteurs économiques et .../... administratifs. Un rapport public récent souligne ainsi le quasi-monopole des universités d’Oxford et de Cambridge dans l’accès à certaines professions : 75 % des juges britanniques, 59 % des ministres du Gouvernement de coalition Cameron/Clegg ou encore 47 % des éditorialistes de la presse écrite et audiovisuelle seraient diplômés de l’une de ces deux universités, alors que leurs anciens étudiants représentent moins de 1 % de la population générale du Royaume-Uni (Milburn, 2014).
Ces éléments de contexte justifient notre focale sur ces deux établissements, qui n’épuisent ni la réalité oxonienne, très diverse du point de vue des admissions, ni notre travail d’enquête. Cette diversité se traduit ici par la présentation d’extraits d’observations et d’entretiens avec des personnels attachés à d’autres colleges et à d’autres services de l’université. Notre enquête de terrain a été menée quelques mois avant la mise en oeuvre de la seconde réforme de l’enseignement supérieur visant à la hausse des frais d’inscriptions universitaires (BIS, 2011). À ce titre, les données présentées illustrent l’importance des logiques informelles de commodification du secteur, bien antérieures à la réforme du gouvernement Cameron/Clegg. Elles soulignent également le poids des caractéristiques de l’offre et du positionnement spécifique de l’établissement dans le processus de marchandisation

Les admissions de l'université d'Oxford saisies par l'ouverture sociale

7Pour comprendre le travail de l'ouverture sociale et ses effets sur l'organisation des admissions à l'université d'Oxford, il faut revenir sur le modèle de gouvernance de celle-ci et sur la manière dont il s'insère dans l'espace de l'enseignement supérieur et des politiques éducatives anglaises. Ce modèle repose sur une organisation collégiale qui met en tension les services de l'université centrale et les colleges, traditionnellement en charge de l'admission et de la formation des étudiants. Dans un contexte national qui valorise la régulation, par des agences, des processus de sélection au nom de l'égalité des chances, l'ouverture sociale d'Oxford illustre le glissement du pouvoir des admissions des colleges vers une bureaucratie spécialisée et centralisée, qui encadre le travail des enseignants. Elle illustre également le mouvement de segmentation des candidats selon leurs caractéristiques sociales et scolaires, induit par la pression des politiques nationales visant à « diversifier » la population étudiante.

Le New Labour et la régulation accrue de l'enseignement supérieur

8La politique institutionnelle de l'université d'Oxford apparait largement dépendante des reconfigurations politiques et institutionnelles qui affectent le système éducatif anglais depuis les années 1990. En effet, l'arrivée au pouvoir du New Labour en 1997 ratifie le changement de paradigme des travaillistes sur l'éducation. Plutôt que de continuer à soutenir une politique égalitariste portée par les comprehensive schools, le parti se convertit à la notion d'égalité des chances et valorise une approche plus individualisante des inégalités scolaires. Celle-ci accompagne un tournant néolibéral plus général des politiques sociales anglaises, qui promeuvent la responsabilité des citoyens et la dérégulation des services publics (Tournadre-Planck, 2010 ; Bartlett et al., 1998). Il s'agit également, dans un contexte de crise budgétaire, d'encourager la délégation des questions éducatives à de nouveaux acteurs non étatiques (Ball, 2007). C'est particulièrement le cas des universités, identifiées comme un maillon central des trajectoires de mobilité sociale et académique (Milburn, 2009).

9La promotion d'un traitement individualisé des inégalités scolaires aboutit à la segmentation de l'offre éducative non plus seulement destinée aux plus défavorisés, mais aussi à des élèves identifiés comme les plus méritants (Ball, 2009). Les programmes Gifted and Talented ou encore Aimhigher, créés en 1998 (Chilosi et al., 2010), ciblent ainsi des jeunes ayant obtenu de bons résultats, malgré un environnement social jugé handicapant [11]. L'ensemble de ces mesures doit permettre d'atteindre l'objectif de l'accès de 50 % d'une classe d'âge à l'université, fixé comme la condition de l'émergence d'une « économie de la connaissance » (Tapper, 2007).

10Cette approche apparait relativement contradictoire avec la posture de retrait qu'entretiennent traditionnellement les universités d'Oxford et de Cambridge à l'égard des besoins du marché du travail et des injonctions de l'État (Ramirez, 2007) [12]. Initialement dédiées à la formation du clergé catholique et anglican, ces missions glissent au XVIIe siècle vers l'éducation des héritiers de l'aristocratie anglaise (Soares, 1999). Celle-ci assure en retour leur financement par le biais de donations et par des droits d'inscription élevés, ce qui permet à Oxford de bénéficier de capitaux économiques et symboliques importants mais également de conserver son indépendance à l'égard du budget de l'État.

11L'accroissement de la part de l'État dans les finances de l'université à partir de 1945 met fin à ce retrait traditionnel (Soares, 1999). Ce processus s'amplifie dans les années 1980 sous la pression croissante d'autorités gouvernementales comme le Higher Education Funding Council (HEFCE). Détentrice de leviers de régulation financiers, l'HEFCE impose également une lecture politique et citoyenne du rôle de l'enseignement supérieur : l'intérêt général de la nation (common good) dans un contexte d'économie de la connaissance doit devenir le référentiel au fondement des dynamiques institutionnelles. Le cas de l'université d'Oxford parait ainsi symptomatique d'un environnement normatif écartelé entre injonction à la démocratisation de l'accès en première année, intérêt économique et légitimation politique, dans une institution d'élite caractérisée traditionnellement par sa sélectivité sociale. Il faut toutefois noter que cette sélectivité s'est élargie avec les réformes liées à la hausse des frais d'inscription dans l'enseignement supérieur en 2010-2011. Il existe plusieurs types de chiffres concernant la population étudiante, qui sont avant tout classés par origine scolaire (selon le type d'établissement fréquenté dans le secondaire ­  public ou privé). De par leur caractère controversé, les chiffres par origine sociale (CSP des parents) sont publiés à fréquence irrégulière, généralement dans le cadre de rapports parlementaires. Depuis 2010-2011, la diffusion de la nomenclature POLAR (Participation of Local Areas) permet d'identifier les zones de Grande-Bretagne où la participation dans l'enseignement supérieur des jeunes de 18 à 20 ans est moindre. Ces chiffres sont repris dans le Tableau 1 pour 2015-2016 [13].

12La pression croissante sur les établissements d'enseignement supérieur en matière d'ouverture sociale s'illustre par la mise en  uvre d'un système national de régulation et d'évaluation par les résultats géré par une agence indépendante : l'Office for Fair Access (OFFA). Créée en 2004, elle est la cheville ouvrière d'une politique de contractualisation de grande ampleur, qui engage les universités à respecter des objectifs chiffrés sur la diversité sociale du corps étudiant. Il s'agit de favoriser l'augmentation du nombre d'étudiants issus de milieux populaires, ce qui signifie que l'université doit être désormais capable de produire des données sur les caractéristiques sociales de sa population [14]. En assurant une régulation par l'évaluation de résultats, cette autorité contribue donc à asseoir le pouvoir du ministère de l'Enseignement supérieur sur les institutions.

13L'ouverture sociale légitime également la politique gouvernementale de dérégulation des frais d'inscription lancée en 1997 par le rapport Dearing, qui fait l'objet d'une forte controverse parmi les parlementaires travaillistes (Watson, 2007). En contrepartie du respect des objectifs chiffrés, les universités se voient accorder la possibilité d'augmenter leurs droits d'inscription, à cette date encore fixés à un plafond de 3 000 livres sterling. Ainsi, loin de s'inscrire exclusivement dans une logique de solidarité, l'ouverture sociale anglaise relève de logiques de marché où les élèves de milieux populaires « à potentiel » [15] permettraient de répondre aux injonctions contradictoires posées à l'université par l'État et par le marché de l'enseignement supérieur. La segmentation des publics par caractéristiques sociales et scolaires (« les bons élèves issus de milieux populaires ») permet ainsi de répondre à ces demandes institutionnelles particulières.

TABLEAU 1. ­ Pourcentages et effectifs des élèves de première année issus des quartiers les plus défavorisés du pays, en 2015-2016, dans quinze universités sélectives anglaises

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TABLEAU 1. ­ Pourcentages et effectifs des élèves de première année issus des quartiers les plus défavorisés du pays, en 2015-2016, dans quinze universités sélectives anglaises

Source : Higher Education Statistics Agency.

14 Pour comprendre la forme institutionnelle prise par l'ouverture sociale à Oxford, il faut également l'inscrire dans le mouvement plus large du renouvellement des pratiques d'admission en première année et du changement de rapport aux usagers qui, de simples candidats anonymes, deviennent tout à la fois des « consommateurs éclairés » (BIS, 2011) et des usagers dotés de droits à l'égard d'institutions désormais responsables (accountable) (Feintuck et Stevens, 2013). Un tel glissement engendre une reconfiguration du travail des enseignants du supérieur, qui voient leur monopole sur les admissions remis en cause par de nouveaux personnels administratifs, en amont de la décision de sélection.

15

« En soi, les admissions sont un service à l'institution parce qu'elles constituent un mécanisme qui assure la transition des étudiants entre le lycée et un cours à l'université. Maintenant, ça va être bien plus qu'une procédure. Il va falloir que les gens en charge des admissions développent un ethos de service (service ethos) parce qu'ils vont être confrontés à des consommateurs qui répondent à leurs propres intérêts au sein de l'institution. C'est quelque chose que les personnels ne voient pas forcément parce que les admissions répondent d'abord à une fonction administrative. Les élèves, c'est d'abord des fichiers administratifs, vous les traitez, puis un jour ils rentrent à la fac, ou non. Ce n'est plus le cas : il faut rencontrer les parents, les enseignants, les services d'orientation et bien sûr les élèves. [...] Maintenant, il faut informer, rassurer, assurer la transparence : tout ce qui fait la stratégie d'un service client se retrouve dans les admissions. Du coup, les managers doivent se rendre compte que leur rôle ne se limite plus à amener des étudiants à occuper des places disponibles. » (Administratrice d'un organisme national chargé de l'enseignement supérieur, septembre 2010).

16Dans ces conditions, le service des admissions des universités devient un interlocuteur à part entière des candidats et de leur famille : principal pourvoyeur d'informations sur les épreuves d'entrée en première année, il n'est plus seulement une procédure bureaucratique et anonyme mais se doit d'être « un guichet accueillant ». Ces reconfigurations nationales valident l'existence d'une nouvelle bureaucratie, spécifiquement tournée vers le « recrutement » d'élèves d'un public segmenté et qui gère les relations avec les candidats sans l'aval des enseignants.

17Le recrutement des élèves de milieux populaires à Oxford peut donc être compris comme « un fait social total » qui met en branle un grand nombre d'institutions autour d'un échange qui s'apparente à un appariement économique. En l'occurrence, le recrutement étudiant, en réduisant l'incertitude sur la qualité de ces élèves, rend possible l'échange entre un bien offert par l'université (un diplôme) et les caractéristiques sociales des participants, dont la valeur est instituée par les normes nationales fixées par les agences de régulation universitaire.

18Néanmoins, la forte politisation de l'ouverture sociale en Angleterre n'a pas d'effet mécanique sur sa légitimité institutionnelle au sein de chaque université, et ces nouvelles bureaucraties peinent à s'émanciper des logiques de compétition interne liées à l'organisation des admissions, d'autant plus que la sélection demeure, à Oxford, l'apanage des enseignants.

Les admissions à l'université d'Oxford : une organisation complexe

19Comme on l'a dit, les admissions relèvent traditionnellement de la prérogative des universités, qui peuvent organiser leur sélection et fixer leurs exigences scolaires de manière indépendante. Une telle prérogative reflète à la fois le développement tardif d'un système d'enseignement supérieur massifié et l'autonomie de gestion dont bénéficient les universités britanniques, particulièrement pour celles qui, comme Oxford et Cambridge, apparaissent comme les mieux dotées en capitaux symboliques et financiers. Néanmoins, cette indépendance diminue à partir des années 1980, sous la pression de nouvelles agences gouvernementales chargées de réguler le secteur (comme l'University Central Admission Service ­ UCAS) au nom de la maitrise des dépenses publiques (Deem, 2007).

20Cette autonomie relative des pratiques d'admission explique l'absence de bureaucratie unifiée à Oxford (Tapper, 2007). En effet, les admissions n'y sont pas centralisées en une direction unique mais relèvent de fonctions transversales communes à plusieurs services. Au niveau « fédéral », elles dépendent d'une administration centrale chargée de la gouvernance et dirigée par le vice-chancellor, élu par un collège d'enseignants tous les sept ans. Au niveau « fédéré », les admissions reviennent également aux colleges, puissantes unités de formation dont le prestige et l'ancienneté légitiment l'autonomie organisationnelle et financière vis-à-vis des services centraux [16]. Les admissions reposent donc principalement sur la coopération de deux instances. Le service des admissions de l'université centrale reçoit les dossiers de candidature et répond aux questions des élèves et des familles, mais c'est le college qui assure leur examen académique. Le college peut d'ailleurs fixer un numerus clausus qui correspond à ses capacités d'accueil, chaque college hébergeant en moyenne une dizaine d'élèves par discipline et par année (Evans, 2010). Dans ces conditions, le candidat est dans un premier temps pris en charge par les admissions centrales, qui assurent la distribution de son dossier aux deux ou trois colleges qu'il aura préalablement choisis. Par la suite, son college de prédilection devient son interlocuteur principal.

21C'est aux enseignants des colleges que revient la prérogative de la décision d'admission en dernière instance. L'organisation des épreuves et leur conformité aux standards universitaires relèvent ainsi de la responsabilité d'un universitaire, the tutor for admissions, assisté d'un ou deux personnels administratifs. Celui-ci invite les enseignants de chaque discipline à organiser les épreuves et à concevoir les sujets des examens (pour les disciplines comportant des épreuves écrites, comme les langues étrangères). À Oxford, l'épreuve considérée comme le ressort principal des admissions est celle de l'interview. Cet examen, fondé sur un entretien d'une demi-heure entre le candidat et l'enseignant, vise à tester la motivation de l'étudiant ainsi que ses capacités de réflexion et d'analyse. L'universitaire a par ailleurs connaissance du dossier scolaire complet du candidat ainsi que des notes éventuellement obtenues lors de tests écrits. C'est donc à lui que revient la décision « couperet » de l'admission, celle qui assure la catégorisation institutionnelle des individus et la distinction entre « admis » et « non-admis » (Bourdieu, 1989). C'est également à lui que revient la bonne adéquation entre « excellence » scolaire, qui assure la gestion du statut symbolique de l'institution, et impératif de justice sociale, qui en assure le maintien dans un contexte de massification scolaire (Rothblatt, 2007). Ce pouvoir de décision individualisé dote également l'enseignant d'un droit de regard sur ses futurs étudiants, puisque la structure de l'interview anticipe une situation d'apprentissage particulière à Oxford et à Cambridge : celle du tutorat (tutorial). En effet, pendant ses trois premières années d'études, l'étudiant entretient une relation pédagogique privilégiée avec un universitaire qui assure sa formation par des rencontres fréquentes, selon une configuration qui évoque la pédagogie socratique. Dans ces conditions, l'épreuve de l'entretien permet aux enseignants d'avoir le contrôle des caractéristiques scolaires et sociales de leurs publics, tout en garantissant le maintien de leurs conditions de travail, puisqu'ils peuvent juger in vivo de la capacité de chaque candidat à investir le cadre d'apprentissage spécifique du tutorial (Zimdars et Amoah, 2007). Cette organisation explique que l'interview se trouve régulièrement au centre de controverses, dans la mesure où elle incarnerait le caractère arbitraire du jugement des enseignants dans les établissements d'élite. La focale sur l'épreuve de l'entretien explique en partie la nature des politiques d'ouverture sociale à Oxford : l'émergence d'espaces de recrutement qui interviennent avant la sélection (voir ci-dessous), tout comme le recours à des outils comme les tests psychotechniques doivent ainsi permettre l'encadrement du jugement des universitaires. Ils illustrent, à ce titre, le glissement des pouvoirs au sein des institutions des enseignants vers les managers (Musselin, 2001), et plus largement le déclin de leur statut depuis les années 1960 (Halsey, 1995, 2000).

22Toutefois, la mobilisation des enseignants, l'appui dont ils bénéficient dans les colleges ainsi que la multiplication anarchique des tests d'entrée depuis les années 2000 concourent à limiter l'efficacité de ces nouvelles techniques (Allouch, 2013). L'effort financier et organisationnel se concentre donc rapidement sur l'émergence de nouveaux espaces dédiés à l'admission en amont du travail de sélection, pris en charge par une nouvelle bureaucratie spécialisée incarnée par ses agents : les access officers.

La naissance de l'ouverture sociale à Oxford : bureaucratisation et segmentation des publics

23La politique nationale d'ouverture sociale visant à la meilleure coordination entre des institutions d'élite et de bons élèves issus de groupes sociaux marginaux au sein du corps étudiant est le produit d'une dérégulation des admissions par une évaluation a posteriori, dans un contexte d'individualisation du rapport entre les institutions et leurs candidats. À l'université d'Oxford, la bureaucratisation apparait comme une réponse pragmatique aux injonctions étatiques. Il s'agit alors de se plier aux directives des agences, sans pour autant sacrifier l'organisation traditionnelle de la sélection à l'université, gage du maintien de son statut. Cette situation encourage la mise en  uvre de pratiques et d'instruments qui élargissent le pool des candidats correspondant aux critères, plutôt qu'ils ne réforment les conditions du jugement académique. Là encore, la segmentation des publics rend possible la sauvegarde du système de sélection traditionnel mais elle affaiblit également les bureaucraties correspondantes.

24Sur le terrain, la politique incitative d'égalité des chances et d'orientation active en vigueur au niveau de l'enseignement secondaire suscite une explosion des demandes d'informations et de visites de la part des lycées, des parents mais également des agences gouvernementales qui exigent désormais, comme c'est le cas de l'OFFA, d'avoir à leur disposition des indicateurs relatifs à la composition sociale du corps étudiant. Afin de répondre à cette demande, une ligne budgétaire spécifique à l'ouverture sociale est créée en 2003, alimentée à la fois par l'université centrale, les colleges et des donateurs privés. En 2006-2007, l'université déclare consacrer un million de livres sterling à cette mission dans son contrat avec l'OFFA, en plus des bourses destinées aux étudiants [17].

25Dans cette perspective, l'administration centrale de l'université crée en 2006 une nouvelle direction dédiée, l'Undergraduate Admissions and Outreach Office, dont les missions se divisent en deux domaines, celui de l'ouverture sociale et celui du recrutement (student recruitment), qui reposent non pas sur la sélection mais sur la captation des candidats en amont. C'est par exemple le cas de l'Admission Information Centre, véritable call center de l'université, qui développe des techniques issues de la communication et du marketing afin d'attirer les étudiants et leurs familles et d'expliciter l'offre de formation. Le transfert de personnels d'un service à l'autre, ainsi que l'arrivée de plusieurs chefs de service venus des médias nationaux (comme une journaliste de la BBC) accélèrent la conversion à ces techniques [18]. Le registre militant de la démocratisation des filières d'élite demeure toutefois central dans le discours de ces agents : la croyance pragmatique dans la possibilité d'une méritocratie par le « marché » assure ainsi la continuité de l'engagement dans des pratiques de recruitment proches du démarchage, et évite les stratégies d'exit.

26La réforme de l'administration centrale entraine également la relative professionnalisation de l'ouverture sociale au sein des colleges. Trente-trois agents spécialisés, les chargés de mission « Ouverture sociale » (access and widening participation officers), sont ainsi employés à cette fin entre 2001 et 2011 et se chargent du traitement bureaucratique de la demande de visites et d'informations émanant de l'enseignement secondaire. Toutefois, cette bureaucratisation « en cascade » n'est pas synonyme d'une plus grande cohésion entre les services, qui demeurent autonomes les uns vis-à-vis des autres. Ce nouvel espace ne s'accompagne pas non plus d'une légitimité accrue pour les personnels qui en ont la charge. Dix-huit des trente-trois access and widening participation officers employés sur la période ne bénéficient que d'un contrat précaire (CDD et temps partiel) et, pendant la réalisation de notre enquête de terrain, seule une personne fut nommée sous le régime du CDI et à temps plein. De même, ces personnels ne sont jamais détenteurs d'un pouvoir de décision auprès du college ou de l'administration centrale. La comparaison systématique des salaires associés aux fonctions administratives à Oxford souligne par ailleurs leur position ambiguë au sein de l'organisation de l'université : classés dans la grille indiciaire entre les échelons 3 et 5 (sur dix échelons), ils sont confinés au statut de « personnels de support » avec un salaire moyen de 1 800 livres sterling par mois. Seule une personne bénéficiera d'un classement à un échelon supérieur (associé aux fonctions pédagogiques et de recherche), mais avec un salaire plus faible que la moyenne des employés relevant de cet échelon (environ 2 200 livres sterling par mois contre 3 500 en moyenne pour cet échelon) [19].

27C'est dans ces conditions que le Gainsborough College, qui concentre les attributs symboliques et matériels du projet oxonien de formation des élites, développe, à partir de 2004, son offre d'ouverture sociale. Il emploie à cet effet une jeune diplômée de français, Liz, recrutée sur la base de sa connaissance intime de l'université. Mais son statut (elle bénéficie de deux CDI à mi-temps à Gainsborough et à Holbein College) ainsi que sa jeunesse la placent dans une position de relatif inconfort à l'intérieur du college. Le profil de Liz, fille d'une secrétaire et d'un agent de maitrise, est un bon exemple de la trajectoire professionnelle de ces chargés de mission, catégorie d'agents largement féminisée (sur une cinquantaine de personnes, on compte seulement deux hommes), formée de jeunes diplômés (entre 25 et 30 ans en moyenne) pour qui il s'agit souvent du premier emploi [20]. Les dispositions des agents renforcent ainsi la position dominée de leurs fonctions.

28L'environnement institutionnel de l'ouverture sociale contraint ses personnels à une position dominée à l'intérieur de l'université. Toutefois, le recours à des processus de coordination relevant d'une démarche inspirée du marketing n'apparait justement possible qu'à la condition d'une domination relative des agents qui, pour des raisons organisationnelles mais également sociologiques, n'ont d'autre choix que de s'y convertir. C'est l'ensemble de ces processus de recrutement que l'on nomme ici « captation ».

Ce que capter veut dire : principes d'organisation du dispositif de l'ouverture sociale

29L'analyse du contenu des séances d'une vingtaine d'événements observés entre septembre 2008 et juillet 2009 illustre les modalités de la captation des élèves à l'université d'Oxford. Elle repose non pas sur une socialisation (voire une acculturation) de longue haleine à des normes scolaires et culturelles élitaires, mais sur la production de cadres narratifs qui mettent en scène l'environnement de l'université, dans une tension constante entre la nécessité de sauvegarder le signal de l'excellence et celle de décrypter ses codes à destination d'un public non initié. Concrètement, la captation est mise en  uvre au sein d'une série de séquences d'apprentissage très courtes appelées séances d'outreach[21]. Comprises entre une journée et une semaine, elles ont toujours lieu sur le campus de l'université et concernent des lycéens des classes équivalentes à la seconde, la première et la terminale, même si un effort particulier est mis sur les élèves de première, qui bénéficient d'un temps supplémentaire pour préparer leur orientation. Chaque groupe se compose en moyenne d'une vingtaine d'individus, qui peuvent avoir été présélectionnés par leurs enseignants, avec ou sans leur accord. On présentera ici les deux principes qui structurent la captation à Oxford : l'explicitation du caractère distinctif de l'offre de formation tout d'abord, où les agents s'imposent comme des prescripteurs qui qualifient l'offre de formation, en particulier parce que l'élève est défini par une position d'incertitude face à cette offre ; le second principe est relatif à la neutralisation sociale des espaces de l'université : la conquête de l'élève ne procède dès lors pas du changement de ses dispositions mais de l'adaptation de l'offre.

Expliciter le contenu d'une offre universitaire spécifique

30Le contenu des séances d'outreach apparait globalement similaire d'un college à un autre : établi par les chargés de mission en accord avec leurs collègues, il consiste à familiariser l'élève à l'enseignement supérieur et à l'offre de formation particulière proposée à Oxford. Toutefois, cet apprentissage relève d'une relation pédagogique magistrale, où le chargé de mission s'adresse à un groupe d'« usagers » (élèves et enseignants), auquel il délivre un « message ». La spécificité de l'outreach repose également sur le cadre matériel dans lequel il s'inscrit, celui du campus, qui doit permettre à l'élève de mettre à distance son environnement scolaire routinier et ainsi susciter une projection dans ses études à venir. Dans le cas de Gainsborough et Holbein College, les séances ont toujours lieu dans une salle ­ de cours ou de réunion ­ où la pompe liée à la décoration (plafonds gothiques, moquette épaisse et cramoisie, boiseries et stucs, etc.) rappelle le caractère exceptionnel du lieu dans lequel prend place ce rapport pédagogique. Ce que l'outreach met en scène, c'est donc l'enchâssement de l'ordinaire (la classe, les pairs, le rapport magistral) dans un environnement extraordinaire (l'histoire du pays, la religion, les pratiques culturelles et sociales légitimes d'une classe dominante, etc.). En cela, cette procédure se contente de reproduire, dans un temps limité, ce qui fait la spécificité implicite de l'offre académique du diplôme d'Oxford, à savoir la possibilité d'inclure une trajectoire individuelle dans l'histoire d'une classe sociale déterminée.

31Les événements d'outreach abordent toutes les questions jugées centrales par l'institution (admissions, finances, offre pédagogique et sociale, etc.), en divisant la journée de visite en une série de présentations d'une heure, suivies d'une discussion puis d'une visite guidée du college. L'élève est ainsi invité à s'approprier les particularités de l'institution et de ses ressources, définies sous quatre types de caractéristiques : organisationnelles, pédagogiques, matérielles et financières. Les séances abordent en premier lieu la structure collégiale de l'université. Elle y est décrite comme une organisation fédérale, qui tranche avec la structure des autres établissements anglais, à l'exception de Cambridge et de Durham. Ce rappel est jugé nécessaire par les agents, dans la mesure où le college peut s'avérer être un obstacle potentiel dans le processus de choix d'Oxford comme alma mater. C'est ce qu'indique un enseignant d'histoire du St Jerome College, qui tente d'anticiper les déterminants du choix d'un lycéen : « À quelle université candidater ? Eh bien, Oxford n'a pas l'air mal quand on regarde toutes les universités. Donc, quel college choisir ? [Rires] Mais c'est quoi ce truc, un college ? Bon, finalement, je candidate à Manchester ! » Échelon déterminant dans les processus de socialisation étudiante à Oxford, le choix du college représente donc un risque supplémentaire de « perdre » le candidat et nécessite que l'on explicite à plusieurs reprises l'organisation de l'université (trois ou quatre fois par séance en moyenne). Afin d'éviter tout effet d'imposition discursif qui recréerait une relation hiérarchique entre les colleges sur la base de leur ancienneté ou de leur réputation, ces derniers sont d'ailleurs décrits de manière euphémisée, comme « des chocolats différents dans une même boite de chocolats » [22]. Cette prévention militante apparait en fait toute théorique : de facto, l'organisation de la visite dans un college introduit nécessairement un biais dans la représentation de ce qu'est un college. De ce point de vue, l'outreach entretient l'hétérogénéité et la hiérarchie entre les structures qui caractérisent l'espace interne de l'université.

32La spécificité de l'offre oxonienne repose également sur son contenu disciplinaire original, qui reflète la distance traditionnelle entre l'université et le marché du travail (Ramirez, 2007). Ce mode de structuration des savoirs, qui ne valorise qu'à la marge les doubles parcours et l'interdisciplinarité, est présenté comme spécifique à l'université. En choisissant Oxford, les élèves s'engagent donc dans un système pédagogique fortement différencié et qui n'est pas, selon les mots des agents, « adapté à tout le monde ». L'absence de disciplines relevant davantage d'une formation professionnelle à rendement immédiat est par ailleurs compensée par la possibilité de participer à une activité étudiante. Le recours à la vie sociale permet ainsi de mettre en scène l'expérience étudiante sur un registre de l'intime et du quotidien qui s'accommode de l'exceptionnalité du lieu. Enfin, l'accent est mis sur les ressources matérielles de l'université. Toutefois, il s'agit moins de valoriser les bourses, pourtant nombreuses, que l'ensemble des biens à la disposition des élèves pendant leurs années à Oxford. C'est par exemple le cas du parc informatique (« Dix mille ordinateurs, deux milliards de dotation pour l'achat de matériel scientifique pour douze mille étudiants ! ») ou de la bibliothèque de l'université, la célèbre Bodleian Library, présentée comme un fonds de « plus de onze millions de livres, quatre-vingt mille titres de presse, trois-cents miles d'étagères » [23]. Le recours à des chiffres, dont la valeur doit frapper les esprits, forme ainsi système avec l'environnement exceptionnel de l'université.

33Les rituels scolaires de l'université ne sont quant à eux pas directement abordés par les agents, sauf si les lycéens les sollicitent sur ce point. L'espace-temps d'Oxford est en effet saturé de cérémonies académiques (d'admissions, d'examens, de remise de diplômes, de passage à l'année suivante, etc.), imbriquées au sein de rituels religieux. C'est par exemple le cas de la cérémonie de matriculation, lors de laquelle les nouveaux entrants sont bénis en latin par les autorités de l'université. Cette sacralisation des étapes de la formation, qui s'inscrit parfaitement dans la mission traditionnelle de formation des élites de l'institution, apparait souvent, aux yeux des agents, comme incompatible avec une logique d'ouverture sociale dont le public a été généralement scolarisé au sein d'établissements laïcs et publics. En d'autres termes, les agents normalisent le caractère religieux de l'espace pourtant consacré, dès lors ramené à une fonction d'attraction pour les touristes présents sur place. Une autre spécificité de l'outreach repose sur la présence d'étudiants chargés de l'organisation de la visite de leur college. On joue ici la carte de l'identification avec des jeunes d'un âge proche, qui doit favoriser la familiarisation avec les lieux de la vie quotidienne. Chaque séance d'outreach avec les intermédiaires est suivie d'une visite du college organisée avec des étudiants volontaires, en l'absence des intermédiaires administratifs. À Holbein College, la visite commence toujours par les toilettes, très sérieusement présentées « comme les plus vieilles d'Oxford ». Hormis l'intérêt pratique de cette indication, elle souligne la rupture de ton entre la présentation de l'université par les intermédiaires et la visite organisée par les étudiants. Par la suite, ces derniers se concentrent exclusivement sur les lieux de vie (visites de différents types de chambres « habitées », salles communes, lieu de restauration, etc.), en évitant soigneusement les lieux dédiés aux enseignements (salle des enseignants, salles de cours, à l'exception de la bibliothèque où le groupe fait un bref passage). Un intérêt particulier est porté à la salle commune où les undergraduates du college se rejoignent pour se détendre, regarder la télévision ou jouer à des jeux vidéo. Les étudiants expliquent que la gestion de la salle répond à des règles démocratiques, qu'une assemblée d'étudiants élus se réunit toutes les semaines pour prendre des décisions relatives à leur vie quotidienne. On revient sur quelques spécificités de l'histoire et de l'architecture du college, sans s'appesantir sur les aspects les plus ritualisés, et en précisant à nouveau que la fréquentation de la chapelle datée du XVe siècle et classée au patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO n'est pas obligatoire.

34L'observation des séances d'outreach ainsi que l'analyse des grands principes d'organisation rhétorique matérielle qui les traversent permettent de spécifier la nature du travail de captation mis en  uvre. Celui-ci repose sur une logique de socialisation paradoxale et inachevée, où l'élève est invité dans un temps très court (au plus quelques heures) à intérioriser certains caractères distinctifs de l'offre universitaire à partir d'un cadre narratif déterminé a priori. Le recours à des ressorts émotionnels (par la personnalisation du discours de l'agent, par la présence d'étudiants et le déplacement de l'élève sur le campus) et chiffrés vise à « frapper les esprits » et doit permettre de pallier ces conditions d'encadrement temporel limitées. Toutefois, ces cadres narratifs concernent avant tout l'univers scolaire (une grande bibliothèque, un suivi pédagogique individuel, une approche disciplinaire traditionnelle, la vie associative, etc.). Les éléments relevant plus explicitement d'une position sociale élitaire, ou plus sujets à controverse, font quant à eux l'objet d'un travail de « neutralisation sociale », qui illustre la manière dont l'institution adapte son offre aux dispositions des élèves plus qu'elle ne leur propose de les transformer.

Gérer l'exceptionnel : l'ouverture sociale au prisme du patrimoine symbolique et matériel d'Oxford

35Les procédés discursifs de « neutralisation sociale » consistent principalement à déconstruire le caractère exceptionnel de l'ensemble symbolique et architectural universitaire tel qu'il est imbriqué dans la ville d'Oxford, et plus globalement dans l'histoire monarchique et religieuse du pays. Ce travail de dévoilement et de mise en transparence repose sur l'usage rhétorique de la figure du « mythe » (myth debunking), définie comme l'ensemble des représentations communes ayant trait à l'université d'Oxford, telles qu'elles sont diffusées par la presse britannique et par le système scolaire. Considérés comme un ensemble systémique, ces mythes forment alors « la réputation » de l'institution.

36

« Oxford, c'est snob et chic, c'est une université riche seulement faite pour les riches. Il y a un code secret pour y rentrer. Personne ne sait vraiment de quoi il s'agit mais ça doit être lié à ce que vos parents ont pu faire dans leur vie. Là-bas, c'est tous des rats de bibliothèque, ils n'ont pas de vie, ne voient personne, les tutors sont des gens bizarres (weird) [...]. Et puis, on les fait venir ici et ils se rendent compte que ce n'est pas forcément la vérité. La manière dont je parle d'Oxford dans ma présentation est radicalement différente de celle dont on parle d'Oxford en général [...]. La manière dont je parle d'Oxford est différente parce que les images des pinacles, des colleges grandioses rebutent les étudiants des zones avec lesquelles je travaille. On peut en parler plus tard, mais il faut qu'ils se soient d'abord bien appropriés ce qu'est un college avant que je leur dise qu'il a été fondé au XVIIe siècle. » (Chargée de mission du Reynolds College).

37En supposant que la réputation agisse de manière décisive sur le choix des récipiendaires de l'outreach, les agents conduisent les élèves à valider l'existence de ces mythes autant que la démonstration de leur caractère faussé. Ce faisant, ils tentent de familiariser les élèves à un comportement de mise à distance réflexive des déterminants de leurs choix académiques, c'est-à-dire qu'ils les invitent à tester la validité des outils cognitifs traditionnels mis à leur disposition par leur milieu social d'origine, leurs parents, leurs enseignants. En retour, les élèves doivent embrasser les outils proposés par l'université comme autant de dispositifs de jugement légitimes. On valorise ainsi le goût personnel pour une discipline plutôt que l'influence des pairs ; l'attraction du challenge intellectuel ; l'expérience étudiante au sens social comme au sens académique du terme, etc. De ce point de vue, la captation se donne effectivement les « atours » d'une socialisation, mais ne doit servir qu'à réduire les biais de lecture de l'offre par les candidats potentiels lorsqu'ils formulent leur choix (voir Encadré 2).

ENCADRÉ 2. ­ « Qui entre à Oxford (ou pas) ? » Le travail de démythification des critères d'admission

La déconstruction des mythes associés à Oxford se fonde sur l'anticipation des représentations des élèves concernant les critères d'entrée à l'université. Les mythes constituent donc ­ avec les bourses et les conditions d'entrée et de formation ­ un passage « obligé » des séances d'outreach. Le 17 mai 2009, je suis conviée par Liz à une séance d'outreach auprès d'élèves de la ville de Nottingham. Les extraits d'observation suivants illustrent la teneur du travail de démythification.
« Liz [s'adressant aux élèves] : Qui entre à Oxford ? Il y a des critères qui ne sont pas pris en compte [Liz accompagne son discours par de grands gestes théâtraux] : être riche, snob, être un rat de bibliothèque ou d'une famille qui est allée à l'université ; venir d'un certain type d'école [sous-entendu d'une public school, NDLR] ; en fait, il n'y a qu'un admis sur un million de candidats [rires de l'auditoire]. Une fois cela dit, il y a des critères qui sont vraiment pris en compte : si votre discipline vous passionne ; si vous avez obtenu trois A ou A* aux A-levels  ; vous avez envie de travailler dur (tout en ayant une vie sociale) ; vous voulez être le meilleur, quelle que soit votre origine. »
De même, l'obligation éventuelle de faire de l'aviron ­ image stéréotypée de l'activité de l'élève oxonien ­ est relativisée par les chargés de mission sur le ton de l'humour et de l'autodérision. La personnalisation du discours fait effet de ressort émotionnel qui doit convaincre de l'authenticité du discours : « Liz [s'adressant aux élèves] : L'aviron ce n'est pas pour tout le monde, moi y compris ! Ça a été un désastre ! Mais c'est quelque chose qu'on fait très souvent quand on arrive ici. » [24].
C'est donc le travail de neutralisation du caractère socialement situé de la réputation de l'université qui se donne ici à voir. Il s'accompagne d'un gommage paradoxal du caractère exceptionnel de l'élection scolaire, fourni par l'examen d'entrée. L'admission à Oxford n'est en ce sens plus impossible, mais à la condition qu'elle repose sur des ressorts de volonté, de goût et de combativité individuels, principes au c ur du message de l'outreach. Par la présentation et la démythification de l'université, c'est donc la question du rapport au travail scolaire et à la docilité attendue qui devient centrale. Ainsi, les chargés de mission oscillent constamment entre nécessité de rappeler qu'un minimum de travail scolaire est nécessaire afin de remplir l'exigence minimale des trois A aux A-levels, et la peur de générer une résistance des enseignants qui pourraient juger qu'un tel investissement scolaire sera probablement peu couronné de succès dans l'espace du supérieur. La nécessité de s'attacher la croyance des enseignants afin de « capter » le public des élèves s'effectue donc par la négociation avec les normes scolaires les plus légitimes dans l'espace universitaire.

38Cet effort de « démythification » des catégories d'entendement académique s'accompagne d'un travail in situ de prise de connaissance de l'espace universitaire, propre à la visite. Il s'agit ainsi de déconstruire les codes symboliques (blasons, devises latines, références aux anciens élèves célèbres, etc.) et architecturaux (omniprésence des lieux de culte anglicans, organisation des lieux de vie étudiante qui s'intègrent dans des ensembles initialement dédiés à la vie monacale, etc.), jugés socialement marqués. Cet élément est fortement intériorisé par tous les acteurs académiques ou administratifs de l'université, pour qui les éléments gothiques ou néo-gothiques de l'architecture pris comme marqueurs culturels et sociaux ne doivent pas constituer un motif de dissuasion des élèves des classes populaires. Il ne s'agit pas pour autant de négliger le signal spécifique de l'ancienneté de l'université, qui ancre matériellement sa réputation d'excellence dans une authentique tradition multiséculaire de formation des élites.

39

« Je pense que le message qui sous-tend tout ce que nous faisons, c'est celui de mettre un terme aux clichés en disant : ‟Oui, c'est vrai, nous avons des bâtiments anciens mais les gens qui y vivent sont normaux.” Quand je travaillais dans les relations publiques, j'étais responsable de la brochure de l'université qui s'inscrit évidemment dans ce que nous pensons être à la pointe de... de notre stratégie de vente, si vous voulez. Mon idée concernant la couverture de la brochure, c'est que les lecteurs veulent des gens normaux devant des bâtiments magnifiques, parce que ce serait idiot de dire que nous avons des bâtiments ordinaires et que c'est d'ailleurs ça qui fait la réputation d'Oxford, ce qui la distingue. Mais tu as besoin de dire que les gens font des choses normales dans cet environnement. [...] Je pense que l'architecture très traditionnelle des colleges ne nous aide pas. Ils ont une grande porte de bois, pas de nom sur leur fronton. C'est un style monacal qui remonte à leurs origines. Tous les colleges les plus anciens ont un air intimidant. Si vous n'avez aucune raison d'y entrer, vous restez à l'extérieur. » (Administratrice, service des admissions, administration centrale, juin 2009).

40C'est cette logique de neutralisation sociale des espaces universitaires qui irrigue l'ensemble de l'offre d'outreach proposée à Oxford. Pour ce faire, l'institution a recours à une « ludicisation » du scolaire qui doit pallier le sentiment d'anxiété qui peut découler de l'anticipation de la vie sur le campus et de ses pratiques de travail. C'est également dans ce sens qu'est évoqué, à de nombreuses reprises, le tissu dense d'associations étudiantes. De même, le dévoilement des caractéristiques sociales de l'espace se fonde sur un ensemble de références à la culture populaire censées stimuler l'imaginaire des élèves. L'immense salle à manger des étudiants et des enseignants du Christ Church College devient consécutivement la salle à manger de l'école des sorciers dans les films tirés de l'ouvrage de J. K. Rowling, Harry Potter, ou encore le lieu de vie de Lewis Caroll, celui-ci s'étant inspiré de nombreux objets présents dans la salle dans son livre Alice au pays des merveilles. Les portraits du cardinal Wolfsey, conseiller d'Henri VIII et fondateur du college, ou encore du philosophe et ancien élève du college John Locke, qui ornent les murs, sont quant à eux passés sous silence. Il semble alors que l'on assiste à une véritable « économie des ancêtres » propre à l'outreach, où sont exhibés des alumni avant tout contemporains et associés au monde des médias (le scientifique Stephen Hawking, le présentateur vedette de la BBC Rowan Atkinson, des médaillés olympiques britanniques, etc.) ou du politique (David Cameron, Tony et Cherie Blair, Bill et Chelsea Clinton, etc.).

41La notion de « trappes à ancêtres », développée par Mary Douglas (1999) à la suite d'Evans-Pritchard, permet de comprendre le recours aux anciens élèves dans les dispositifs d'ouverture sociale. Selon elle, l'appel aux ancêtres dans les sociétés dites primitives correspond à une volonté de mise en scène d'une vision égalitariste de la société où tous les individus seraient inscrits dans un même lignage, celui des ancêtres. En utilisant l'image de ces alumni, même s'ils sont associés à des pratiques culturelles « populaires » et « générationnelles », c'est donc paradoxalement le processus de construction de ce lignage qui se donnerait à voir. Dans un contexte ludique qui se veut en rupture avec le temps scolaire, le recours aux anciens, aux étudiants présents, mais également à la culture populaire sert de grille de lecture d'un monde social marqué par sa proximité explicite avec la sphère religieuse et avec les pratiques scolaires des groupes sociaux élitaires. Les élèves apparaissent d'ailleurs particulièrement sensibles à ce type de références, qu'ils s'approprient avec grande aisance. L'enquête de terrain souligne l'importance, dans le dispositif, de l'arrivée dans le cloitre de l'Holbein College, lieu de tournage de nombreux films populaires. Après les réactions ébahies, l'espace offre en fait l'occasion à l'élève de se mettre en scène avec ses pairs dans le décor de l'université, à l'aide des photos et vidéos prises depuis son téléphone portable. Cette réception favorable encourage les agents à y avoir régulièrement recours et ainsi « s'assurer que la glace soit brisée ».

42L'étude de la structure des séances permet d'éclairer les processus de captation des classes populaires dans l'espace de l'outreach, où la coordination relève de la prescription de principes de jugement académique alternatifs. Pour ce faire, cet espace se voit doté d'intermédiaires (les agents) et d'un dispositif sociotechnique spécifique (les présentations et les visites) qui visent à orienter les individus vers une offre de formation socialement « neutralisée ». Le recours à des techniques qui mobilisent des références à une culture juvénile et populaire, ainsi qu'à une forme de personnalisation émotionnelle de l'offre (incarnée par les étudiants présents) permet, en théorie, de pallier le caractère temporellement limité des séances, qui limite de facto toute possibilité de conversion des dispositions. On se contente donc de prescrire des principes et plus encore des « impressions » (un environnement amical, accessible, etc.) qui orienteront le jugement de l'élève lorsque sera venu le moment de l'orientation. Néanmoins, ce dispositif apparait fragile et se heurte rapidement à un certain nombre de limites qui peuvent en effet mettre à mal les liens établis avec d'autres acteurs du réseau formé par le programme d'ouverture sociale, et en premier lieu avec les enseignants.

Les limites de la « captation » : une démarche mal maitrisée

43Les ambiguïtés de la bureaucratisation de l'ouverture sociale à Oxford et la position spécifique de l'université dans l'espace de l'enseignement supérieur anglais contribuent à « gripper » les rouages de la coordination entre l'université et ses publics. L'analyse de ces limites et de la tentative de réparation dont le processus de captation fait l'objet éclaire le rôle attribué aux enseignants du secondaire dans l'outreach mais également la lutte de légitimité autour du rôle de prescripteur principal entre les agents, les enseignants, ainsi que les autres universités. Cette situation ne se dénoue que par la capacité des agents à jouer sur un ensemble de ressorts émotionnels visant à établir un « contrat de confiance », à défaut de bénéficier d'un lien institutionnel de longue durée.

Le rôle ambigu des enseignants dans le processus de captation

44Les enseignants occupent un rôle central lors de l'entrée des élèves dans le dispositif d'ouverture sociale et lorsqu'ils sont effectivement confrontés au message délivré par l'institution. Une partie du travail consiste donc à garantir leur coopération lors de ces deux moments-clés. L'arrivée des élèves dans le dispositif est déterminée par le type d'interaction entre l'institution et les personnels enseignants des lycées. À ce titre, l'entretien de liens privilégiés, renouvelés d'année en année, constitue un avantage qui permet de s'assurer de la collaboration « éclairée » de tous les personnels. En l'absence de ce premier contact, les chargés de mission tentent d'eux-mêmes d'entrer en relation avec leurs interlocuteurs de l'enseignement secondaire, en développant une stratégie d'offre de services fondée sur la diversité et l'intensité, en fonction de l'âge et du niveau de l'élève, qui se traduit par une production documentaire institutionnelle foisonnante (brochures, CD-ROM, posters, etc.). En 2007-2008, Liz développe ainsi une offre pléthorique d'activités à destination d'élèves du secondaire, de la classe de troisième à la terminale. Elle organise ainsi pendant l'année soixante-douze événements, dont quarante-sept journées de visite à Oxford, et visite à son tour quinze lycées partenaires. Au fur et à mesure de la multiplication des acteurs concurrentiels dans le champ (c'est-à-dire d'une offre émanant d'autres universités), cette diversification devient essentielle puisque toutes visent le même type de populations d'élèves « à potentiel » issus de lycées publics et défavorisés. Elle doit ainsi soutenir le caractère distinctif de l'université aux yeux des enseignants, enjeu d'autant plus important qu'Oxford demeure tributaire d'un recrutement national et international, donc d'un recrutement qui, a priori, ne s'ancre pas dans une configuration locale précise.

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« La plupart des universités ont une aire d'influence sur laquelle elles se concentrent. À Londres, la plupart des étudiants viennent de Londres. Évidemment, ce n'est pas le cas pour nous, mais ça nous laisse aussi beaucoup plus de liberté, d'une certaine façon. Mais il faut que l'on fasse aussi attention de ne pas marcher sur les plates-bandes des autres. Je travaille dans le pays tout entier. Par exemple, si tu travailles avec des élèves plus jeunes, il est possible que tu dupliques ce que font déjà des universités locales et qui le font de la même manière, notamment pour ce qui concerne l'élévation des aspirations (aspiration raising). » (Administratrice, Hockney College).

46En l'absence de liens forts avec les lycées, l'offre d'Oxford n'apparait plus que comme une proposition parmi d'autres, dont la légitimité est par ailleurs affaiblie par la constance de sa réputation d'élitisme (Archer et al., 1999). Afin de pallier cette situation, la réponse de l'institution consiste à identifier, pour mieux s'y adapter, les besoins en informations mais également les contraintes temporelles des enseignants. On évitera par exemple de contacter l'enseignant lors de certaines périodes de l'année, propices aux examens. Ce travail d'ajustement, qui peut également inclure des formes de rétribution symboliques et matérielles sous la forme d'envoi de bons d'achat de livres ou d'invitations lors de conférences à l'université, est décrit par l'administratrice du Hockney College par le terme fine tuning. Par ce terme, elle désigne le travail de mise en correspondance entre l'offre de l'université et la demande d'outreach[25], qui doit assurer l'engagement de l'enseignant dans la procédure. Faute de coordination, ou si l'agent est pris dans des conflits de concurrence avec d'autres universités, l'incertitude sur l'efficacité du lien avec les publics demeure. Il est ainsi fréquent que l'agent s'aperçoive, une fois arrivé au lycée, que la présentation qu'il avait initialement prévue n'est pas adaptée au public présent ou au contexte institutionnel de la visite. Ainsi, une visite programmée comme étant l'exclusivité d'Oxford peut devenir un « forum de l'enseignement supérieur » plus large, où la présentation d'Oxford sera mise en concurrence avec celle d'autres universités, ce qui contraint le chargé de mission à « bricoler » son message institutionnel au tout dernier moment [26].

47Cette situation est également perceptible lors des séances d'outreach où les enseignants apparaissent cantonnés à un rôle d'encadrement disciplinaire. Puisque leur jugement est considéré comme central dans le processus d'assignation statutaire des élèves de milieux populaires, il est marginalisé dans le dispositif de l'outreach à la faveur des chargés de missions, qui y détiennent le monopole de la prescription légitime en matière de choix scolaire. Une fois le principe de la visite adopté, le rôle de l'enseignant se limite donc à garantir le respect des normes routinières de la discipline scolaire et il n'est jamais invité à s'exprimer, sauf à titre exceptionnel. Les rappels à l'ordre concernant les bavardages, la perte d'attention ou encore l'assurance de la présence effective de tous les élèves à chaque moment de la visite participent de ce fait à l'encadrement matériel de la captation, dans la mesure où les règles de discipline permettent de garantir la transmission du message de l'ouverture sociale. Toutefois, ce travail de neutralisation apparait aléatoire parce que les enseignants, interlocuteurs habituels des élèves, ne se plient pas nécessairement au rôle qui leur est dévolu. Il s'agit moins ici de déroger à la fonction d'encadrement disciplinaire que de détourner le sens de la captation par des comportements de « mise en concurrence ».

48Le Holbein College accueille un groupe de vingt-cinq élèves de seconde issus d'un lycée public de la grande couronne de Londres. À midi, le groupe est convié à déjeuner dans le réfectoire où j'interroge les trois enseignants présents sur les raisons de leur visite. Je suis surprise de constater que leur venue relève moins d'une croyance dans la cause que d'une routine professionnelle : payée par son employeur pour assurer la tâche de coordinateur de l'ouverture sociale dans son lycée, Jenny, enseignante d'histoire âgée de 40 ans, m'indique que l'université d'Oxford fait partie d'une série de visites d'universités prestigieuses déjà entamée quelques mois auparavant. Néanmoins, après la London School of Economics et l'Imperial College, elle fait figure d'étape-clé, notamment parce que l'emploi du temps du groupe a interdit la visite de Cambridge (« On a dû choisir entre les deux », regrette-t-elle, sous le regard approbateur de ses collègues) (Extraits d'observation, 11 décembre 2008).

49La multiplication des visites d'ouverture sociale apparait ici contraire à l'émergence d'une forme de loyauté spécifique à l'université d'Oxford dont l'offre, faute d'une captation plus intensive ou de liens institutionnels renouvelés dans le temps, peut ne rester qu'une proposition parmi d'autres offres similaires. La seconde limite du processus est relative à l'adhésion des enseignants au message de l'ouverture sociale, notamment lorsqu'ils ont connaissance de la réputation de l'université. La sociologie du choix scolaire souligne en effet le rôle de la réputation dans les processus de coordination ordinaires entre les institutions éducatives et leurs publics (Ball et al., 2002). Elle apparait ainsi comme l'un des déterminants de l'élection d'un établissement ou d'une filière, en particulier pour les classes moyennes. Or, ici, la réputation suscite plutôt l'interrogation des enseignants qui peuvent questionner la moralité de l'offre qui leur est faite. La séance du 18 novembre 2008 à Holbein College offre un exemple caractéristique de ce processus.

50J'assiste à une séance de questions/réponses avec trois étudiants du Holbein College. Ian est en première année de science politique. Claire étudie les langues. Robin, quant à lui, suit un cursus de philosophie. Ils s'adressent à une quarantaine d'élèves issus de différentes cohortes « Aim Higher » de Birmingham, âgés entre 14 et 17 ans, ainsi qu'à leurs cinq enseignants. À titre exceptionnel, les questions de ces derniers sont également sollicitées.

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« Question d'une élève : Qu'est-ce que ça apporte d'aller à l'université ?
Robin : Devenir indépendant (mais ce n'est pas propre à Oxford !).
Ian : Ça ouvre l'esprit ! On étudie ce qui nous passionne. On a plus d'autonomie et on peut s'engager dans des associations. Ça reste une grande étape à franchir et quelques étudiants peuvent avoir le mal du pays. Mais au bout d'un moment, les choses deviennent plus confortables. [...]

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Question d'un enseignant : Y a-t-il parmi vos camarades des enfants d'anciens élèves ?
Robin : Oui, il y a ici le fils de Benazir Bhutto et l'une des actrices d'Harry Potter. Mais le but ce n'est pas de croiser des gens célèbres, plutôt de s'éclater, quitte à devenir célèbre après [...]. » (Extraits d'observation, 18 novembre 2008).

53 Ce jour-là, les élèves abordent les thèmes suivants : la différence de niveau scolaire entre le lycée et l'université ; les raisons de leur choix d'université et de college ; l'intensité et le type de travail demandé pendant les vacances ; la possibilité de rejoindre des associations étudiantes. Les enseignants abordent quant à eux des thèmes relatifs aux biais sociaux induits par l'université : la compatibilité d'un emploi étudiant ; les frais d'inscription ; la gestion du temps scolaire et extrascolaire pendant le trimestre (« Comment parvenez-vous à tout faire ? ») ; les options choisies lors des épreuves du baccalauréat et la manière dont elles sont perçues par le jury chargé des admissions.

54S'il est difficile de tirer des conclusions sur le niveau général d'adhésion des enseignants au programme, ces questions révèlent une lecture de l'espace et de l'expérience universitaires qui rompt avec le travail de neutralisation sociale prescrit. Ainsi, s'interroger sur les familles des élèves, c'est instiller un doute sur la « moralité méritocratique » des critères de jugement en vigueur lors de la sélection à Oxford. À partir de là, le processus de captation ne peut que se heurter au « monopole du jugement scolaire légitime » détenu par les enseignants, surtout lorsque les chargés de mission ne bénéficient que d'une légitimité institutionnelle limitée pour garantir la continuité de la coordination.

Entre pompe académique et transparence « Réparer » le processus de captation

55L'ouverture sociale ne se définit pas par une relation contractuelle avec les enseignants ou par un prix qui déterminerait la délivrance d'une prestation/allocation. Alors que l'université agit sous le coup d'injonctions normatives et financières, elle ne peut donc, in fine, imposer ni la participation des publics populaires, ni leur candidature effective. Cet enjeu est d'autant plus crucial que le temps de l'admission est un temps long, la candidature survenant au mieux trois mois après les séances d'outreach (pour le cas des terminales), au pire deux ans plus tard (pour le cas des secondes). Comment faire, dès lors, pour assurer la continuité de l'engagement des élèves ? L'institution répond à ce problème par deux voies : l'une, institutionnalisée, consiste à proposer des séances d'outreach à destination d'un public enseignant ; l'autre relève quant à elle du savoir-faire professionnel des agents de l'ouverture sociale, qui mettent en scène la proximité de leurs dispositions avec celles des usagers.

56Alors que les dispositifs d'ouverture sociale sont lancés depuis quelques années, plusieurs départements et colleges inaugurent, entre 2006 et 2009, un ensemble d'évènements ciblant les enseignants, considérés comme les principaux prescripteurs d'orientation des élèves et dont la loyauté doit assurer l'engagement des élèves dans le processus. Deux types d'offre sont alors développés : dans le premier, les départements disciplinaires ­ mais exclusivement ceux qui peinent à recruter ­ proposent des stages disciplinaires de courte durée autour de l'actualité de la recherche en lettres classiques, en histoire, etc. À mi-stage, une séance obligatoire est réservée à la question des admissions et des filières offertes. Les cours, assurés par les universitaires d'Oxford, fonctionnent alors comme des « produits d'appel » d'autant plus efficaces qu'ils jouent sur les ressorts de l'identité professionnelle. Le second type d'offre, plus répandu dans les colleges, se fonde quant à lui sur une série de conférences autour de la philosophie, de l'organisation matérielle et des critères d'admission. À partir d'une approche plus technique, il s'agit de faire des enseignants les détenteurs d'une expertise sur le jugement académique délivré par l'institution. Dans ce cas-là, la loyauté doit également émaner d'une dynamique identificatoire avec les universitaires en charge des admissions, ce qui explique le rôle secondaire dévolu au chargé de mission.

57Le 25 mai 2009 est organisé, au Gainsborough College, un stage technique sur les admissions à destination des enseignants [27]. Lors de mon arrivée dans la grande salle d'apparat qui accueille l'évènement, treize enseignants sont déjà présents. J'ai la surprise de constater qu'il s'agit en majorité de professeurs déjà rencontrés lors de séances d'outreach précédentes. J'en déduis que l'évènement vise à faire des enseignants des usagers mais également une « clientèle » d'habitués, capables de reproduire le message de l'université dans divers espaces scolaires. L'effectivité de cette approche repose sur leur « enfermement temporaire » puisqu'ils sont logés au sein même du college, mais aussi sur leur proximité avec les universitaires et les responsables du college, dont le Dean, son Président, tous présents pendant la séance. Dans ces circonstances, la parole ne revient plus à la chargée de mission présente mais à Isabelle Flower, une historienne de l'art en charge des admissions pour les disciplines associées aux sciences humaines et sociales. En guise d'introduction, le Dean de Gainsborough College interpelle les participants en ces termes : « Notre mission est celle d'enseigner à tous les élèves talentueux, curieux et dotés de potentiel, quelles que soient leurs origines sociale, scolaire et ethnique. Aidez-nous à les trouver et à les toucher (Help us reach them). » Le second principe qui régit les séances est celui de la technicité. À partir d'une série de présentations et d'exercices, les participants sont invités à décortiquer tous les ressorts organisationnels des admissions, y compris dans leurs volets administratifs en théorie les plus communs (« Comment la secrétaire traite-t-elle la candidature de l'élève après réception ? »). Cette mise en scène ne relève pas seulement d'une volonté de transparence qui s'opposerait au « mystère routinier des admissions » mais doit également instiller chez l'enseignant l'impression du partage d'un savoir expert, qui le distingue désormais du caractère profane des images d'Épinal diffusées par la presse (« Vous en savez désormais infiniment plus sur Oxford que toute la presse réunie » conclut le Dean à la fin du stage.) L'analyse des questions posées par les enseignants souligne un changement d'approche par rapport à celles de la séance d'outreach : on n'évoque plus de manière détournée les biais sociaux liés aux conditions de jugement ou d'accueil, mais on se concentre sur les aspects techniques et curriculaires liés à l'admission (« La réforme du bac va-t-elle être répercutée dès cette année sur les admissions ? », « Quelles sont les disciplines du baccalauréat étudiées pour entrer en histoire ? ») (Extraits d'observation, 25 mai 2009).

58Si l'on ne peut préjuger de la loyauté des enseignants au message de l'ouverture sociale de l'université, l'observation des séances permet de souligner les ressorts qui doivent assurer la « dépolitisation » de leur posture. Dans ce cas, la captation ne relève plus de la neutralisation sociale des espaces de l'université, mais plutôt d'une mise en scène d'un prestige académique et de la levée partielle des techniques associées au jugement universitaire. Une deuxième modalité du processus de captation des enseignants consiste à confirmer la moralité de la démarche d'ouverture sociale de l'université. Cela nécessite un travail de la part de l'agent qui réside dans la mobilisation discursive de sa trajectoire sociale et scolaire, comme preuve de l'authenticité du message institutionnel. La chargée de mission du Reynolds College, née au nord de l'Angleterre, met ainsi en avant son accent comme un indice de sa mobilité sociale et géographique [28].

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« Pour moi, c'est très important qu'ils m'entendent parler car ce n'est généralement pas ce à quoi ils s'attendent. Lorsque je téléphone à l'enseignant, la communication passe tout de suite mieux. Les enfants réagissent aussi très bien à mon accent. Même lorsqu'ils viennent du sud de l'Angleterre, je n'hésite pas à leur dire que je viens du nord du pays. C'est un signal fort. Et je suis certaine que c'est l'une des raisons pour lesquelles ils m'ont recrutée. » (Chargée de mission, Reynolds College).

60On retrouve systématiquement ce travail de mise en scène de soi lorsque l'on observe les séances d'outreach, selon un scénario immuable qui rappelle la trame séquentielles des policy narratives décrites par Claudio Radaelli [29] : après une bonne scolarité dans un lycée défavorisé ou géographiquement isolé, l'agent a l'opportunité ­ avec l'aide d'un adjuvant, généralement un enseignant ­ d'entrer à Oxford ou dans une université prestigieuse. À la joie de l'entrée succède alors le choc (la plupart du temps euphémisé et concentré sur la différence de niveau d'exigence scolaire) de l'entrée dans un milieu reposant sur des normes culturelles, sociales et scolaires propres aux classes moyennes et supérieures, différentes du milieu d'origine. Malgré la prise de conscience de son altérité sociale, grâce à une capacité de résilience et au soutien de son environnement académique, l'étudiant réussit brillamment sa scolarité et entre sur le marché du travail.

61Comme les guichetiers décrits par Vincent Dubois (1999), l'agent cherche ainsi à s'assurer des conditions de transmission du message institutionnel par la mise en scène de ses dispositions et de sa trajectoire. La création d'un lien de connivence et d'attachement doit aboutir à un rapport de confiance avec l'élève mais également avec l'enseignant. Pascal Ughetto (2003) suggère dans ses travaux sur la confiance qu'un tel lien ne peut s'établir dans le cadre d'une économie de service, précisément parce que ce service y est par nature trop personnalisé. La personnalisation limite en effet la capacité du consommateur à établir des comparaisons entre les offres qui lui sont proposées, les offres se différenciant trop fortement les unes des autres. Cela plonge alors le client dans une situation d'incertitude qui peut interrompre sa relation avec la firme. Dans le cas étudié, c'est précisément la mise en scène des caractéristiques sociales et scolaires de l'agent qui assure la continuité du lien, parce qu'elle permet une mise en équivalence entre sa trajectoire et celle de l'élève. Ce faisant, elle contribue à réduire le spectre des incertitudes potentielles (scolaires, sociales, éventuellement financières) liées à la candidature en première année. Par ailleurs, la confiance instaure entre les parties un contrat moral, dont les ressorts fortement affectifs pourraient « obliger » l'élève au mieux à candidater à Oxford ou, au « pire », à envisager l'offre comme une alternative crédible.

Et les élèves ? La captation limitée des élèves de milieux populaires à l'université d'Oxford

62Une fois analysés les ressorts de la captation, il faut s'interroger sur la participation des élèves à ce processus. Comment celui-ci affecte-t-il leurs principes de jugement, leurs aspirations et, à plus longue échéance, leurs pratiques d'orientation ? Si les agents déplorent leur passivité lors des séances, les extraits d'entretien et d'observation fournis ci-dessus permettent de noter que l'outreach investit les élèves d'un rôle de « consommateur éducatif ». Doté d'un pouvoir de choisir qui fait de lui un acteur important de nombreux intérêts financiers et politiques pour l'institution et qu'il convient à ce titre de capter, l'élève de l'outreach est ainsi considéré dans une perspective qui n'est plus celle du bénéficiaire ­ plus passif ­ des politiques sociales. Toutefois, ce rôle d'acteur n'affecte pas de manière drastique les logiques qui président à la démarche de candidature.

63L'analyse des données produites par le service des statistiques d'Oxford [30] souligne en effet que le pool de candidats issus du secteur public n'est pas en extension, malgré la vague de massification universitaire des années 2000 (le nombre de candidats passe de 9 340 en 1997 à 18 377 en 2015). Or, l'augmentation du pool soutient justement la démarche de l'ouverture sociale par l'outreach, dans la mesure où le nombre de candidats doit mécaniquement « démocratiser l'université » en l'absence d'un changement drastique de ses modes de sélection.

TABLEAU 2. ­ Candidatures à l'entrée en première année à l'université d'Oxford par origines scolaires (en %)

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TABLEAU 2. ­ Candidatures à l'entrée en première année à l'université d'Oxford par origines scolaires (en %)

Source : Statistiques de l'université d'Oxford.

64Par ailleurs, les élèves issus des établissements les plus subventionnés par l'État (Further Education et Sixth Form Colleges), qui sont précisément ciblés par les politiques d'ouverture sociale, ne voient guère le nombre de leurs candidats augmenter sur la période [31]. Si l'université d'Oxford ne fournit pas ces chiffres au public, des agences indépendantes comme la Higher Education Statistics Agency indiquent que le nombre d'élèves scolarisés en première année à Oxford, issus de milieux employés et ouvriers (catégories 4 à 7 dans la nomenclature britannique) est resté à 11 % de la promotion des élèves de première année en 2012-2013 (Milburn, 2013).

TABLEAU 3. ­ Pourcentage de candidatures (sur la totalité des candidats) à l'université d'Oxford issues de Sixth Form College et Further Education College (%)

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TABLEAU 3. ­ Pourcentage de candidatures (sur la totalité des candidats) à l'université d'Oxford issues de Sixth Form College et Further Education College (%)

Source : Statistiques de l'université d'Oxford.

65Si ces données semblent indiquer le faible impact de ces processus dans la fabrication d'un « marché » de candidats, la captation n'a-t-elle pour autant aucun effet sur les aspirations et les principes de jugement des élèves ? L'analyse sommaire des questionnaires anonymes distribués par les agents à la fin de la séance d'outreach du 27 juillet 2009 fournit un premier élément de réponse. Interrogés sur une candidature éventuelle à l'université d'Oxford, les soixante-quatorze élèves de niveau première d'un lycée de Leicester répondent comme suit.

66La majorité des élèves interrogés semblent avoir été convaincus par les principes de jugement alternatifs proposés dans le cadre de la séance. De ce point de vue, il faut souligner l'importance des cadres narratifs relatifs à la démythification et à l'accessibilité de la sélection : 32,4 % des répondants indiquent le rôle central de cette approche dans leur démarche. La lecture de la vie académique par la vie associative et quotidienne semble également porter ses fruits puisque cet élément est mobilisé par plus de la moitié des élèves souhaitant présenter leur candidature. À court terme, et comme le confirment nos entretiens avec les élèves réalisés a posteriori[32], le message de l'ouverture sociale semble effectivement limiter les mécanismes d'autosélection à l' uvre dans les choix d'orientation. Ce faisant, qu'est-ce qui explique que cet engouement n'aboutisse pas à une candidature effective ? Une première hypothèse consiste à souligner le rôle des représentations des enseignants dans cette démarche mais également celui des parents, acteurs complètement invisibilisés par l'outreach. Les entretiens menés avec les élèves suivis dans plusieurs universités anglaises soulignent par ailleurs l'importance des procédures de recrutement à l'entrée des dispositifs dans les logiques d'orientation. De ce point de vue, le poids du sentiment d'élection, c'est-à-dire l'importance du jugement scolaire positif porté de l'extérieur sur l'élève, aurait un « effet-cliquet » dans le processus de captation vers la candidature, renforçant du même coup l'effet des autres principes de neutralisation sociale et de valorisation du goût scolaire (Allouch, 2013).

TABLEAU 4. ­ « Souhaiteriez-vous présenter votre candidature en première année à l'université d'Oxford et pourquoi ? »

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TABLEAU 4. ­ « Souhaiteriez-vous présenter votre candidature en première année à l'université d'Oxford et pourquoi ? »

Source : Questionnaire d'évaluation distribué par les agents du Gainsborough College, 27 juillet 2009.

67Le processus de captation se caractérise donc ici par son caractère limité. Toutefois, ce manque d'efficacité à terme ne doit pas induire le chercheur à dévaluer l'intérêt heuristique de cette approche. Par le recours au processus de captation, on accède à des modes de fonctionnement de l'institution scolaire qui ne sont jamais parfaitement solubles dans des processus de socialisation.

68L'analyse des politiques d'ouverture sociale de l'université d'Oxford souligne l'émergence d'un nouveau mode de relation entre une université initialement dédiée à la formation des élites et de nouveaux publics populaires. Or, cette relation ne se limite ni à la catégorisation institutionnelle des individus « qui viennent à elle » lors des épreuves de sélection, ni à leur socialisation académique et sociale dans le cadre de leur scolarité. Elle s'émancipe également d'un contrat normatif et financier qui régit normalement les interactions entre l'étudiant et l'université, et qui est généralement scellé par une décision d'admission puis par le paiement de frais d'inscription. Il n'existe pas davantage de contrat moral entre l'institution et son public, ce qui justifie l'intervention d'un agent qui se « met en scène ».

69Si elle ne peut se réduire à des relations contractuelles déjà existantes, quels sont donc les ressorts de cette relation disjointe mise au jour par l'ouverture sociale ? L'ouverture sociale institue en réalité un lien marqué, comme dans le cas des processus de captation sur les marchés funéraires (Trompette 2005), par l'activation d'un levier émotionnel. Ce recours à l'affect rompt avec les pratiques antérieures, liées à la standardisation du traitement des candidats mise en  uvre dans les épreuves écrites de l'après-guerre, où les étudiants étaient souvent laissés dans un relatif anonymat (Allouch, 2013). De ce point de vue, il est le produit logique du glissement des admissions d'une standardisation à une individualisation du traitement des candidats.

70La difficulté des agents à garantir la continuité du lien entre l'institution et l'élève souligne également l'inversion relative du rapport de force entre les deux parties. L'institution académique n'y est plus présentée comme « toute puissante » mais, au contraire, comme une organisation dont le fonctionnement routinier dépend fortement des publics qui viennent à elle. D'où la nécessité d'investir en amont dans la construction de ces publics par le biais de processus de segmentation, qui permettent de résoudre la disjonction entre les deux parties. Cela ne signifie pas que cette relation de captation des publics n'existait pas auparavant, par exemple sous la forme de parrainage (Turner, 1966), mais qu'elle existe désormais sous une forme renouvelée. En effet, les politiques d'ouverture sociale frappent d'illégitimité les formes anciennes de captation, notamment celles qui reposaient sur une entente entre l'université d'Oxford et les enseignants des Public Schools, désormais considérées comme contraires à une lecture éthique et morale de la sélection. L'ouverture sociale ne permet donc pas seulement de « politiser » les admissions (Darmon, 2012), elle les moralise également.

71L'approche par la captation permet de relativiser le poids souvent exorbitant donné aux épreuves de sélection dans l'analyse des structures universitaires d'élite. Les procédures de sélection en première année, leur caractère méritocratique ambigu, le mystère des critères de jugement mis en  uvre ­ d'ailleurs savamment orchestré par les institutions elles-mêmes ­, tendent alors à obscurcir le travail formel et informel de coordination entre l'institution académique et ses publics. Loin d'être limité à un rôle de validation des inégalités sociales déjà existantes dans le système scolaire, l'établissement du supérieur d'élite « crée » donc également ses publics, selon les intérêts qu'il a à défendre.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : CAPTATION, CONCOURS, MARCHÉS ÉDUCATIFS, ÉLITE, OUVERTURE SOCIALE, DÉMOCRATISATION

Mise en ligne 29/06/2017

https://doi.org/10.3917/rfs.582.0233

Notes

  • [1]
    On utilise ici la notion d'« ouverture sociale » comme catégorie autochtone.
  • [2]
    Ce constat repose sur un travail de catégorisation sociale des individus effectué par l'institution, établi à partir d'un croisement de diverses variables relatives à la profession des parents, à leur niveau d'études, au choix des établissements scolaires et des filières, à la zone d'habitation, etc.
  • [3]
    On ne postule pas ici que l'ouverture sociale, ni même le système éducatif dans son ensemble relèvent effectivement d'une relation marchande. Il s'agit plutôt de considérer que la relation marchande participe d'une relation sociale plus générale, celle de la coordination, que l'on trouve particulièrement dans le cas des marchés économiques mais qui s'en émancipe largement.
  • [4]
    L'approche par la captation permet par ailleurs de comprendre la place des logiques marchandes à l'école. Elle illustre à ce titre la très grande pénétration des pratiques inspirées du marché dans l'espace de l'enseignement supérieur, y compris pour des objets dont les acteurs se réclament des valeurs d'égalité et de solidarité à l'égard des classes populaires. De ce point de vue, on voit comment l'approche par la sociologie des marchés permet d'aller au-delà du tabou social que représente la mise en marché de l'éducation, comme l'a par exemple déjà souligné Sophie Dubuisson-Quellier (1999).
  • [5]
    On parlera ici du cas anglais et non britannique, étant donné que la politique d'enseignement supérieur est dévolue à chacune des « nations » qui composent le Royaume-Uni.
  • [6]
    En conséquence, les programmes d'ouverture sociale qui y sont développés se fondent sur une approche par les classes sociales et non par l'ethnicité, plus centrale aux États-Unis. L'exemple de l'affirmative action « à l'américaine » est quant à lui mobilisé pour illustrer le caractère moralement inacceptable des quotas ethniques dans le cadre légal européen (Sabbagh, 2005).
  • [7]
    La littérature sur les admissions apparait en effet centrée sur les effets scolaires et sociaux de la sélection sur les individus.La sociologie de la reproduction a développé une théorie des admissions vues comme un rite de passage qui, limité par les bornes temporelles du concours, viendrait certifier scolairement les dispositions sociales des individus. Dans cette perspective, les procédures de sélection se voient attribuer le statut d'une boite noire qui valide « comme par magie » les acquis de la socialisation reçue au préalable, en particulier au sein des classes préparatoires aux Grandes écoles pour le cas français (Bourdieu, 1989). Des études plus récentes ont cherché à « ouvrir » cette boite noire, en tentant d'appréhender les logiques institutionnelles qui président aux décisions d'admission (Karabel, 2005 ; Darmon, 2012). Elles s'inscrivent dans un renouveau des travaux sur la sélection et la socialisation au sein des formations d'élite, particulièrement fécond aux États-Unis (Anteby, 2013 ; Gaztambide-Fernández, 2009 ; McDonough, 1997). Parmi ces études, l'enquête menée par Mitchell Stevens (2008) au sein du service de recrutement d'une université d'élite américaine souligne l'importance de l'organisation matérielle de l'université (en particulier le travail de tri des candidatures par les personnels administratifs) comme une variable déterminante dans les décisions de sélection.
  • [8]
    Lors de ces observations, l'auteur s'est vu assigner un rôle de soutien logistique aux agents de l'ouverture sociale dans l'accueil des visiteurs. Concrètement, il s'agissait de guider élèves et enseignants dans les locaux, même si notre rôle ne relevait pas du recrutement des élèves à proprement parler. Notre étude et son caractère scientifique étaient également soulignés, tout comme notre nationalité (française), et assuraient une distance avec le message institutionnel de l'université et une différenciation des rôles avec les agents observés.
  • [9]
    Il s'agit de noms fictifs.
  • [10]
    Statistiques de l'université d'Oxford, année 2012.
  • [11]
    Selon la production institutionnelle, ce qui caractérise l'origine sociale d'un individu n'est plus son appartenance à la classe ouvrière mais son immersion dans un milieu caractérisé par des ressources financières limitées et une limitation dans la possibilité des choix scolaires qui s'ouvrent à lui au lycée. Cela s'accompagne d'une paupérisation de l'espace de vie qui entraine une dégradation de l'accès à un capital social utile à l'entrée dans le supérieur et sur le marché du travail (Milburn, 2009).
  • [12]
    La formation des cadres et des hauts fonctionnaires ne relève d'ailleurs pas des compétences originelles de ces deux ancient universities, exception faite de l'administration coloniale impériale (Vernon, 2004).
  • [13]
    Les chiffres présentés dans le tableau reposent sur une nomenclature par zones urbaines plutôt que par catégories socioprofessionnelles ou par origine scolaire des élèves, alors que cette dernière approche est celle traditionnellement retenue par les universités afin d'identifier l'origine sociale de leurs étudiants. Depuis 2010-2011, le développement et la diffusion de nomenclatures comme POLAR permet d'identifier l'origine géographique des élèves âgés de 18 à 20 ans et, par recoupement avec la CSP de leurs parents, de déterminer les zones où la participation à l'enseignement supérieur est la plus faible. La nomenclature se fonde sur cinq niveaux de participation, dont le quintile 5 est le plus faible. On reprend ici les chiffres du quintile 5 qui, rapportés à la population générale étudiante de première année pour chaque établissement, permettent de souligner à la fois la sélectivité sociale d'Oxford et sa position dans un espace d'offres de formation similaires.
  • [14]
    Toutefois, la publicisation de ces données apparait très aléatoire, selon la bonne volonté des universités et des autorités publiques, ce qui en limite fortement l'accès. Plusieurs types de calculs et de nomenclatures existent, sans qu'ils ne soient cohérents les uns avec les autres.
  • [15]
    La notion de potentiel est une notion d'origine managériale associée à certains tests psychotechniques de sélection. Elle vise à établir l'admission sur des critères alternatifs aux résultats scolaires afin de faciliter la diversité sociale. Par extension, cette notion contribue finalement à créer une catégorie alternative qui désigne les bons élèves de classes populaires dans le système éducatif sélectif (Allouch, 2013).
  • [16]
    Historiquement, les 34 colleges d'Oxford sont d'ailleurs les premières entités d'Oxford. Semblables, par leur architecture, à des monastères, ils assurent la formation, le logement et les loisirs des élèves, généralement lors de leurs trois premières années d'études. Ils se différencient en cela des départements, création récente, plutôt en charge des activités de recherche et d'encadrement des étudiants de Master (postgraduates) et des doctorants.
  • [17]
    En 2015-2016, ce chiffre équivaut à 6,15 millions de livres sterling.
  • [18]
    Ce nouveau service souligne également l'importance de la politisation de cette question sur les bureaucraties universitaires et la manière dont elle segmente les publics : les agents sont exclusivement chargés du recrutement des élèves de milieux populaires et non des publics internationaux ou des candidats à l'entrée en Master, qui dépendent d'autres directions. Ces changements organisationnels illustrent plus largement le travail de standardisation impulsé par l'université centrale sur la fonction des admissions, puisque le service des admissions centrales remplace à la fois l'Oxford Central Admission Office (OCAO), géré par les colleges, et l'Oxford Access Scheme, géré par l'Union des étudiants.
  • [19]
    Notre calcul se fonde sur l'étude systématique des petites annonces publiées par la gazette de l'université (Oxford University Gazette) entre 2003 et 2015.
  • [20]
    C'est également le cas de Sally, âgée de 22 ans lors de notre enquête, et qui est employée par Holbein en complément de Liz sur un contrat à mi-temps et en CDD. Si le choix de ce métier, pour cette jeune diplômée de littérature anglaise du Hockney College et ancienne bénéficiaire de ces dispositifs, relève d'un goût développé pendant ses années de bénévolat dans le secteur associatif, il s'agit également pour elle de trouver un emploi au plus vite après sa licence.
  • [21]
    Reconnu par les institutions publiques pour son caractère flexible et relativement peu coûteux (Sutton trust, 2008 ; Milburn, 2009), ce procédé d'outreach se décline en une multitude d'activités de formation visant à élever les ambitions (« aspiration raising ») d'élèves issus de milieux populaires. Ces activités n'ont pas pour but exclusif de capter de nouveaux candidats vers les procédures de recrutement des universités qui les organisent. Selon le contexte institutionnel dans lequel elles s'inscrivent, elles peuvent également s'articuler à une mission de promotion de l'enseignement supérieur pour tous, selon un discours de justification qui relève de la défense de l'égalité des chances.
  • [22]
    Extrait d'observation à Holbein College, 3 juillet 2009.
  • [23]
    Observation à Holbein College, mai 2009.
  • [24]
    Extrait d'Aspiration Day à Holbein College, 17 mai 2009.
  • [25]
    Entretien avec HE, administratrice de Hockney College, mai 2009.
  • [26]
    Observation d'un forum du supérieur (Higher Education Fair) dans un lycée de la région de Birmingham, 3 mai 2009.
  • [27]
    Extraits de l'observation des Teachers' Days des 26 et 27 juin 2009, université d'Oxford.
  • [28]
    L'accent du nord de l'Angleterre fait l'objet d'une lecture sociale dans l'imaginaire national, qui associe plus largement les habitants de villes industrielles comme Manchester ou Liverpool aux classes populaires et au milieu ouvrier (working class).
  • [29]
    « L'ordre temporel des évènements (ou la séquentialité) est une propriété fondamentale des policy narratives (ou récits). Les trames ainsi construites reposent sur l'exactitude ou la fausseté des éléments de l'histoire. [...] À ce titre, ils transmettent donc du sens et suggèrent de l'action. » (Radaelli, 2010, p. 549).
  • [30]
    Les données sont tirées du site www.ox.ac.uk (dernière consultation : novembre 2016).
  • [31]
    Avant 2006, les données relatives au Sixth Form College ne sont pas disponibles. Cette catégorisation institutionnelle n'est par ailleurs pas reprise par les autorités de régulation au niveau national, ce qui explique que le Tableau 1 mobilise des données issues de la nomenclature POLAR. Ces différentes nomenclatures et l'usage variable dont elles font l'objet illustrent le caractère controversé des données relatives à l'origine sociale des populations étudiantes en Angleterre. Elles font par ailleurs écho à la difficulté d'accès aux données quantitatives que nous avons rencontrées sur le terrain.
  • [32]
    Pour plus d'éléments sur ce point, voir A. Allouch (2013).
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