Couverture de RFS_561

Article de revue

Les différences entre salariés du public et du privé après le tournant managérial des États en Europe

Pages 47 à 73

Notes

  • [1]
    L’expression « middle class » ne correspond pas à celle de « classes moyennes » en France, mais englobe les classes dominantes et la fraction supérieure des professions intermédiaires françaises (Bidou-Zachariasen, 2000).
  • [2]
    Ils sont majoritairement fonctionnaires et plus rarement salariés du public mais aucune statistique officielle ne donne la répartition selon le statut d’emploi.
  • [3]
    À définition équivalente, les écarts entre séries statistiques qui relèvent de sources administratives ou d’enquêtes sont de l’ordre de 670 000 salariés (ONS, 2005).
  • [4]
    L’étude porte sur l’Italie, la France et la Grande-Bretagne.
  • [5]
  • [6]
    Il s’agit d’une enquête menée dans une large série de pays incluant le Bangladesh, la Bulgarie, le Canada, Chypre, la République tchèque, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hongrie, Israël, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, les Philippines, la Pologne, le Portugal, la Russie, la Slovénie, l’Espagne, la Suède, la Suisse et les États-Unis d’Amérique.
  • [7]
    En Norvège, les salariés du secteur public sont même vus comme des swing voters des réformes du secteur public (Rattsø et Sørensen, 2004).
  • [8]
    Allemagne, Belgique, Danemark, France, Grande-Bretagne, Irlande, Italie et Pays-Bas.

1 Au début du XXe siècle, le développement d’une sphère publique occupant une part croissante du salariat a incité nombre de sociologues à réfléchir aux valeurs et aux pratiques en vigueur dans cet univers, par opposition à celles du secteur privé, voire à celles des indépendants. Parmi les pères fondateurs de la discipline, Max Weber ([1920] 1971, p. 222) a largement contribué à penser cette distinction, en soulignant la spécificité des acteurs qui agissent au nom de la rationalité bureaucratique. Robert K. Merton (1952) a quant à lui essayé d’établir un lien entre les structures bureaucratiques et la personnalité de celles et ceux qui les composent. Mais c’est surtout à la faveur des débats sur les transformations des classes sociales que le clivage entre public et privé a donné lieu à controverses.

2 À la fin des années 1970 et tout au long des années 1980, de nombreux sociologues ont montré la pertinence de ce clivage pour penser les différences entre fractions de classes. En France, les travaux de Pierre Bourdieu avaient déjà attiré l’attention sur les variations de goûts entre cadres du public et du privé (Bourdieu, 1979, p. 130) ; quelques années plus tard, la description statistique de François de Singly et Claude Thélot a mis en lumière les différentes modalités que pouvait prendre cette « grande différence », tant dans les parcours sociaux et professionnels que dans les modes de vie (Singly et Thélot, 1988). Des perspectives comparables ont été développées dans les pays scandinaves, où plusieurs auteurs ont préconisé d’analyser les salariés du public comme un groupe spécifique (Hoff, 1985 ; Hoff et Andersen, 1989). Récusant le terme classe dans son sens marxiste, Jens Hoff considère que le secteur public possède son propre mode d’organisation, et que ce dernier est relativement autonome par rapport au privé. D’autres auteurs vont plus loin et défendent la thèse qu’en Norvège, en Suède et au Danemark, la classe moyenne du secteur public forme une classe sociale spécifique, qu’ils nomment la « nouvelle classe » (Hoel et Knutsen, 1989). En revanche, au Royaume-Uni, les travaux de John Goldthorpe ont conduit à privilégier une représentation du monde social qui ne tient pas compte de cette différence : dans sa nomenclature, les managers et les professionals sont unifiés dans la catégorie de service class englobant les cadres du management, administratif ou technique, qu’ils appartiennent aux secteurs public ou privé. L’argument souvent avancé pour traiter indistinctement les travailleurs du public et du privé est que les différences entre classe ouvrière, classe moyenne et classe supérieure sont bien plus importantes que celles qui renvoient au statut ou au secteur d’emploi. Il existe néanmoins un courant important de la sociologie britannique pour qui l’opposition entre public et privé constitue un critère de description pertinent des transformations de la middle class[1]. Ces sociologues analysent les années 1980 et la période Thatcher comme un tournant au cours duquel le clivage public-privé a pris le pas sur le clivage entre classes sociales (Edgell et Duke, 1991). Avec l’arrivée des conservateurs, le secteur public se trouve menacé par la croissance du secteur privé, mais il devient aussi un enjeu central dans les conflits qui traversent la société britannique. Par exemple, les managers du secteur public ont des intérêts qui divergent de ceux du secteur privé, lequel met la main sur les missions qu’ils assuraient jusque-là.

3 Dans les études comparant les structures sociales des différents pays européens, le clivage public-privé apparaît rarement comme critère de description des groupes sociaux : pour montrer que les variables de classe ont encore un pouvoir explicatif, les sociologues et les statisticiens ont majoritairement repris à leur compte les hypothèses du modèle dit EGP (en référence à Erikson, Goldthorpe et Portocarero, 1979), qui privilégie un niveau de regroupement agrégé fondé sur les relations d’emploi (Erikson et Goldthorpe, 1992). Deux arguments principaux sont avancés pour justifier de ne pas prendre en considération le statut (public ou privé) dans la définition des positions de classe. Premièrement, il existerait de trop fortes différences entre États quant au périmètre de ce que l’on peut entendre par « secteur public » (Rose, Pevalin et Elias, 2001, p. 81). L’appartenance au secteur public n’a en outre pas le même sens dans tous les pays. La France reste emblématique d’une fonction publique de carrière qui se caractérise par la centralité du concours et la garantie d’un emploi à vie. Dans les pays scandinaves et en Grande-Bretagne, l’administration est davantage organisée, depuis les années 1990, sur le mode de la fonction publique d’emploi : recrutement sans concours de fonctionnaires statutaires sélectionnés au terme d’un entretien d’embauche (Eymeri-Douzans, 2012, p. 324). Cependant, malgré des caractéristiques d’organisation différentes, les comparaisons européennes indiquent que l’appartenance au secteur public favorise une plus grande sécurité de l’emploi (Dieckhoff, 2011) et engage un type de rapport au travail différent de celui des salariés du privé. Deuxièmement, ceux qui récusent la pertinence du secteur d’emploi s’appuient sur le constat selon lequel le tournant du New Public Management a accéléré le rapprochement des conditions d’emploi et de travail entre public et privé. Si ce processus de convergence est désormais bien documenté en France (Torterat, 2009 ; Guillemot et Jeannot, 2013), il n’implique pas nécessairement que les travailleurs du public partagent les mêmes représentations et adoptent les mêmes comportements que ceux du privé.

4 Pour en prendre la mesure, nous avons choisi de nous intéresser aux travaux abordant le clivage public-privé à l’échelle européenne et au niveau national, dans les années 1990-2000, en concentrant l’attention sur quatre pays : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et la Suède. Ce choix s’explique par trois raisons principales. D’abord, ces pays ont un poids important au sein de l’Union européenne, du fait de la taille de leur population active et des modèles étatiques qu’ils incarnent. Ensuite, tout en étant marqués par des histoires différentes quant à la construction de l’État, ils ont un secteur public qui joue un rôle important et concerne une part significative de leur salariat. Enfin, dans ces quatre pays, la réflexion sur les inégalités sociales est restée très dynamique, notamment pour mesurer les différents régimes de mobilité sociale en Europe (Erikson et Goldthorpe, 1992). Le prix de cette généralisation est néanmoins d’occulter le clivage entre travailleurs du public et du privé qui reste pourtant très prégnant dans de nombreux travaux analysant la structure sociale à l’échelle nationale. En Grande-Bretagne et en Suède, le débat s’est focalisé sur les différenciations internes aux middle classes, tandis qu’en France et en Allemagne il a une portée plus générale. Cette contradiction entre des travaux comparatifs occultant le rôle du secteur d’emploi et des travaux nationaux y accordant une grande importance incite à réfléchir aux caractéristiques sociales que partagent les salariés du public : ils entretiennent un rapport à l’État, à leur mission et à leur avenir qui demeure spécifique. C’est sans doute dans le domaine des opinions politiques et des pratiques syndicales que ce clivage est le plus saillant, mais il peut aussi induire des différences dans le rapport au travail, dans les pratiques culturelles ou encore dans les pratiques de consommation.

5 Cette revue de littérature est aussi l’occasion de revenir sur les débats qui, depuis les années 1990, portent sur l’existence d’un ethos professionnel commun aux salariés du public. Nous proposons ici de l’articuler à la notion d’habitus qui, au-delà des valeurs professionnelles, implique de penser les représentations que partagent les salariés du public comme des « principes générateurs et organisateurs de pratiques » (Bourdieu, 1980, p. 88) dans les domaines culturel, politique et économique. Ce déplacement vise notamment à souligner la spécificité des « classes moyennes du public », et, tout particulièrement, le lien entre les représentations et les dispositions incorporées par ces salariés et leur position dans la hiérarchie sociale. Les réformes managériales des États en Europe ont redessiné le contour des secteurs publics, entérinant un clivage plus net entre dirigeants et cadres intermédiaires ou agents subalternes. L’objectif poursuivi n’est donc pas de substituer une distinction selon le secteur d’emploi à une analyse en termes de classes sociales. Notre intention est plutôt de montrer que, dans de nombreuses recherches européennes en sciences sociales, l’opposition entre secteur public et secteur privé demeure une dimension, certes secondaire mais structurante, des hiérarchies sociales.

Le halo du secteur public européen

6 La frontière qui, en Europe, sépare le secteur public du secteur privé est souvent floue et varie considérablement selon l’évolution des États et le rythme des réformes administratives. Elle est plus présente dans les pays où la fonction publique conserve un poids très important et où son statut est constitutif de différences très prononcées (comme en France et en Allemagne). Elle est en revanche beaucoup plus poreuse dans les pays comme la Grande-Bretagne et la Suède, où les réformes libérales ont considérablement remodelé le fonctionnement et le périmètre de l’intervention de l’État, par le biais de privatisations et par la généralisation d’agences exécutives. Ce clivage recoupe d’ailleurs pour partie celui qui oppose une fonction publique de carrière, composée d’emplois fermés structurés par corps, à une fonction publique d’emploi, composée de postes ouverts selon l’orientation professionnelle (Bezes, 2008, p. 224).

7 Selon si l’on retient le statut de l’emploi, la qualité publique ou privée de l’employeur ou la façon dont se déclarent les salariés, on peut faire varier considérablement les contours de la population que l’on entend étudier. Pour réduire ces ambigüités taxinomiques, on a choisi de distinguer les fonctionnaires statutaires et les agents du public dont l’emploi remplit des « fonctions d’intérêt public » (Audier et Bacache-Beauvallet, 2007). Cette approche permet de comparer l’emploi public dans tous les pays européens, en retenant l’idée qu’il s’agit d’un halo composé d’un noyau dur d’emplois statutaires et de strates périphériques offrant des types de contrat très variables d’un pays à l’autre.

Les fonctionnaires statutaires

8 Dans le sens du droit communautaire, le statut de fonctionnaire est défini par deux critères : l’exercice de pouvoirs conférés par le droit public et la responsabilité de défendre l’intérêt général de l’État ou de la société civile (Demke, 2004, p. 100). Dans la plupart des pays européens, il s’agit, a minima, d’emplois correspondant à certains postes ou missions relevant de la souveraineté nationale : juges, militaires, agents des impôts ou des douanes, policiers ou encore employés ministériels. Mais, pour le reste, la frontière entre fonctionnaires statutaires et agents du public varie d’un pays à l’autre : dans certains pays, les premiers peuvent représenter jusqu’à 90 % de l’emploi public et, dans d’autres, à peine 15 %. La structure administrative est également variable : en France et en Allemagne, les ministères disposent d’un grand nombre d’agents pour concevoir et appliquer les politiques sur l’ensemble du territoire. En revanche, au Royaume-Uni et en Suède, les ministères ont plutôt une forme relativement réduite et se consacrent à la formulation des politiques publiques dont la mise en œuvre est confiée à des agences.

9 En France, la plupart des agents du public – 83 % en 2009 (DGAFP, 2011) – ont le statut de fonctionnaire, statut d’emploi très différent de celui du secteur privé en termes de sécurité de l’emploi, de rémunération, de promotion et de retraite (Friot, 2012). Ils se répartissent essentiellement entre fonction publique d’État, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière, chacune comprenant des « corps » et des grades auxquels correspondent des niveaux déterminés de rémunération.

10 En Allemagne, la fonction publique est plus ancienne que dans la plupart des autres pays européens : son statut (Berufsbeamtentum) émerge au XVIIIe siècle et prend sa source dans l’histoire de la Prusse. Conformément à la conception traditionnelle de l’Obrigkeitsstaat, les fonctionnaires allemands sont au service de l’État, ce qui implique certaines protections et obligations (Derlien, 2003) : ils sont tenus au devoir de neutralité et de loyauté envers la Constitution, ils ne peuvent pas faire grève mais bénéficient d’un emploi garanti à vie et sont supposés faire leur carrière au service de la puissance publique. En 2003, ils étaient encore 1,7 million de fonctionnaires statutaires, ce qui représentait environ 40 % de l’emploi dans le secteur public (Bossaert et Demke, 2005, p. 32).

11 À première vue, la Suède apparaît comme le pays ayant le secteur public le plus important (31 % de la population active). Mais ce constat doit être atténué par le fait que l’écrasante majorité de ces agents dépendent de règles et de dispositions légales qui ne diffèrent pas fondamentalement de celles de leurs homologues du privé. Moins de 1 % des travailleurs du public ont le statut de fonctionnaire, pour la plupart des juges (Demke, 2005, p. 33). Le concours n’est pas le mode de recrutement majoritaire et les règles juridiques publiques ont, dès les années 1960, contribué au rapprochement entre fonction publique et secteur privé, notamment en matière de rémunération individuelle liée à la performance et au mérite (Modeen, 2004).

12 En Grande-Bretagne, la fonction publique a un sens très différent : loin d’être un pur instrument d’intervention au service de l’État, elle se conçoit comme une instance de médiation entre les intérêts des différents groupes sociaux (Knill, 2001, p. 73). En dépit d’une industrialisation précoce, le développement de l’État social est intervenu plus tard qu’en Allemagne (Esping-Andersen, 1990). Comme il n’existe pas de statut de la fonction publique unifié, les modalités de recrutement et d’avancement correspondent à un système d’emploi et non de carrière. L’administration est organisée en deux niveaux : le gouvernement central qui comprend les ministères et les forces armées, et le gouvernement local qui englobe l’enseignement, les services sociaux et la police. Considérés comme des « serviteurs de la couronne », les civils servants peuvent être démis de leur fonction sur décision politique mais leur carrière est relativement protégée par le législateur qui leur a octroyé des droits spécifiques. Ils représentent seulement 10 % de l’emploi dans le secteur public, soit approximativement 550 000 agents (Bossaert et Demke, 2005, p. 32). En sont exclus de nombreux agents exerçant des missions d’intérêt général comme les magistrats, les policiers. Beaucoup de professionnels de santé ou de l’éducation sont employés par des agences exécutives.

13 La persistance d’un noyau de fonctionnaires statutaires n’empêche pas que les règles auxquelles ils se soumettent évoluent avec la diffusion de la nouvelle gestion publique : introduction d’objectifs chiffrés, modulation des rémunérations selon les performances, incitation à la formation continue et à la mobilité à l’intérieur de l’organisation (Emery et Giauque, 2005, p. 686).

Les agents du public

14 Dans tous les pays européens, de plus en plus de missions de service public sont assurées par des agents qui ne bénéficient pas d’un statut garanti à vie, mais relèvent de situations d’emploi plus ou moins stables. Pour les distinguer des fonctionnaires statutaires, on a choisi de les qualifier d’agents du public.

15 En France, la catégorie agents du public renvoie aux travailleurs des entreprises publiques et aux non-titulaires de la Fonction publique qui, en 2010, représentaient 22,4 % des effectifs (principalement dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières), mais sur les dix dernières années, leur nombre a augmenté deux fois plus vite que celui des fonctionnaires (2,8 % contre 1,3 % par an). Les statuts de ces agents du public sont multiples, de droit public ou de droit privé, pouvant aller de chargés de mission à agents temporaires, en passant par toutes les formes d’auxiliariat. Certains peuvent être, à terme, titularisés par le biais de plans de réduction de l’emploi précaire dont le périmètre varie selon les époques.

16 En Allemagne, les agents du public embauchés sur une base contractuelle sont le plus souvent des employés et des ouvriers qui travaillent habituellement dans le secteur social, la santé et pour des gouvernements locaux, c’est-à-dire des communes et des regroupements de communes (Gemeinden/Gemeindeverbände). Ils ne font pas automatiquement toute leur carrière dans le même emploi, sont soumis aux conventions collectives du secteur privé et peuvent être licenciés. Leur salaire peut être négocié et dépend non pas de leur grade mais de l’emploi qu’ils occupent. En outre, tandis que la retraite des fonctionnaires est de la responsabilité directe de l’État, il existe une caisse fédérale d’assurance pour les employés (Bundesversicherungsanstalt für Angestellte) et différentes agences d’assurance des Länder (Landsversicherungsanstallten) pour les ouvriers. Néanmoins, certains agents du public peuvent exercer le même emploi pendant longtemps en ayant une progression salariale comparable à celle des fonctionnaires statutaires. Comment savoir si une personne nouvellement recrutée doit l’être en tant que fonctionnaire ou en tant que salariée de droit privé ? Il ne semble pas y avoir de règle claire : au sein d’un même établissement, des enseignants peuvent être employés les uns comme Beamte et les autres comme Angestellte (Keller, 1999, p. 57) [2]. On constate également une augmentation des emplois à temps partiel : ils représentent aujourd’hui plus d’un quart des effectifs du secteur public allemand et concernent majoritairement les employés et ouvriers travaillant dans les Länder.

17 En Suède, les relations d’emploi des agents du public tendent à se rapprocher, voire à se confondre, avec celles du privé. L’accord historique de 1965, donnant la possibilité aux syndicats de négocier des conventions collectives, a constitué l’amorce du remplacement de la grille de salaires unique par un système de rémunération proche du secteur privé (OCDE, 1993, p. 121-122). En effet, si le principe d’une grille générale des salaires a perduré jusqu’à la fin des années 1970, les pouvoirs publics suédois ont progressivement obtenu la possibilité discrétionnaire d’aménager la correspondance entre un poste et un grade, en fonction de l’aptitude et de la compétence des salariés. La loi de décentralisation de 1986 a alors entraîné la disparition de la grille collective des salaires et a débouché, en 1989, sur un accord cadre qui organise les rémunérations des salariés suédois du secteur public sur le modèle du secteur privé (ibid., p. 123-124). La signature d’une « convention sur la sécurité d’emploi » permet ainsi aujourd’hui aux pouvoirs publics de se séparer de certains fonctionnaires (à l’exception des juges et des militaires), à condition de leur donner un préavis et de leur proposer des mesures de reclassement et de formation. Pour les autres employés du secteur public, le pouvoir de recruter et de définir les conditions de travail repose essentiellement sur les municipalités (Kommuner) et les institutions régionales (Landsting) dont les compétences ont été élargies par plusieurs réformes entre la fin des années 1980 et les années 1990. En 2004, on estimait ainsi que 83 % de l’emploi public suédois était le fait des administrations locales (Biland, 2012, p. 21).

18 En Grande-Bretagne, les agents du secteur public regroupent tous les personnels employés par les collectivités locales (local government service) et par des agences d’exécution sous tutelle des administrations centrales. Ils sont recrutés sur des contrats de droit privé et soumis à la législation générale du travail au même titre que les salariés du privé. Jusque récemment, certains se recrutaient parmi les public corporations – équivalents des entreprises publiques françaises – mais ceux-ci ont en grande partie disparu avec les privatisations des années 1980 (les télécommunications, la gestion des ports, l’aérospatiale, le secteur ferroviaire, etc.). De nouveaux modèles d’organisation proches du secteur privé se sont développés, à l’instar des PPP (Public-Private Partnership) et des agences exécutives. Enfin, un vaste programme de décentralisation a conduit à ce que l’emploi public soit de plus en plus souvent pris en charge par les collectivités plutôt que par l’État central (Bach et Winchester, 1999).

Repli ou redéploiement du secteur public ?

19 Dans tous les pays européens, le secteur public a été affecté quantitativement et qualitativement par les réformes du New Public Management. La tendance à la réduction des effectifs de fonctionnaires peut être analysée comme un recul massif de la sphère publique en Europe ou comme un redéploiement des statuts associés aux missions de service public.

20 En Allemagne, le secteur public a été totalement réorganisé après l’unification du pays, ce qui a entraîné un repli conséquent, notamment dans les Länder de l’Est : le nombre d’agents travaillant pour les pouvoirs publics est passé de 6,4 millions en 1991 à 4,2 millions en 2003.

21 En Grande-Bretagne, l’absence d’un statut unifié de la fonction publique rend difficile la mesure de l’emploi public [3]. On peut néanmoins estimer que, entre les années 1980 et 1990, l’emploi public est passé de 7 millions de salariés (soit 30 % de l’emploi salarié) à un peu plus de 5 millions (22 %) (Roberts, 2001). Cette chute a été particulièrement importante dans les public corporations qui ont été privatisées (500 000 emplois passés du public au privé). Si la part de l’emploi public dans l’emploi total s’est stabilisée autour de 20 % dans les années 2000, les effectifs sont passés d’un peu plus de 5 millions au milieu des années 1990 à 5,8 millions en 2005, notamment en raison de l’augmentation importante des effectifs du National Health Service (Hicks et al., 2005). Le processus de réforme de la fonction publique britannique a donc conduit à une réduction de son périmètre, mais ce processus masque un accroissement des emplois relatifs aux fonctions d’intérêt public : dans les années 1980 et 1990, la part des emplois relatifs aux missions d’intérêt public est passée de 24 % à plus de 30 % (Audier et Bacache-Beauvallet, 2007). Ce sont principalement les missions éducatives, sociales et de santé qui se sont redéployées pendant cette période, bouleversant ainsi les différenciations internes au salariat moyen et supérieur (Roberts, 2001 ; Crompton, 2008).

22 Si le secteur public européen a incontestablement été métamorphosé au cours des trois dernières décennies, il serait erroné de s’en tenir à la seule réduction de la taille de son périmètre. Le déclin de la bureaucratie se matérialise aussi par le reflux d’un certain type d’autorité administrative, au profit d’un poids plus important accordé aux compétences et donc au capital culturel (Savage et al., 1992 ; Butler et Savage, 1995). Dans cette perspective, la réduction du secteur public s’accompagne d’une montée en puissance du pouvoir des professionals, qui connaissent des augmentations de revenu plus importantes que les autres groupes professionnels. Le déclin des effectifs ouvriers du public est compensé par le développement des secteurs sociaux, éducatifs et de santé. Et si l’État n’est plus toujours en position d’employeur direct, il continue d’intervenir comme donneur d’ordre. C’est notamment le cas pour les professionals dont l’autonomie et le pouvoir continuent d’être fondés sur l’intervention de l’État (certification et diplôme, régulation de ces secteurs, dépenses sociales, etc.) (Savage et al., 1992, p. 72-76).

ENCADRÉ 1. – La place du clivage public-privé dans les nomenclatures nationales

Le clivage entre secteur public et secteur privé est pris en compte de façon très variable par les différents pays étudiés dans cet article. En Allemagne, la statistique publique repose sur le concept très ancien de statut d’occupation (Stellung im Beruf) qui répartit la société entre ouvriers (Arbeitern), employés (Angestellten) et fonctionnaires (Beamten). Cette représentation de la société selon le statut d’emploi a été beaucoup critiquée par les sociologues allemands, à la fois en raison de son obsolescence et de l’impossibilité d’en tirer des enseignements pour des comparaisons avec d’autres pays (Pfeuffer et Schultheis, 2002). C’est pour cette raison, parmi d’autres, que certains d’entre eux utilisent la nomenclature EGP pour travailler sur les inégalités sociales. En France, le recensement de la population comprend des questions permettant de distinguer les salariés de la fonction publique de ceux du privé. Ce découpage apparait également dans la nomenclature des catégories socioprofessionnelles mais seulement au niveau détaillé en 24 postes, qui est de plus en plus rarement utilisé dans les publications de l’INSEE (Pierru et Spire, 2008). En Suède, la « Swedish Labour Force Survey » n’intègre qu’une partie des salariés des entreprises détenues par les pouvoirs publics (environ 5 % de la population active). En outre, la Swedish Socio-Economic Classification (SEI) utilisée jusqu’au milieu des années 1990 dans plusieurs recherches académiques n’intègre pas la distinction public-privé. Au Royaume-Uni, la distinction public-privé n’apparait pas dans les nomenclatures socioprofessionnelles utilisées par les statisticiens. Les publications de l’ONS se contentent en général de dresser une évolution de l’emploi public selon ses différentes composantes (central government, local authorities, public corporations). Toutefois, l’appareil statistique a été amélioré dans les années 2000 et offre désormais des comparaisons entre l’enquête « Emploi » (« Labour Force Survey ») et les sources administratives, ce qui permet d’étudier les caractéristiques sociodémographiques et les conditions d’emploi des salariés du privé et du public (ONS, 2005).

Des différences qui perdurent dans la sphère professionnelle

23 On voudrait maintenant aborder les différences significatives qui perdurent entre mondes du public et du privé, en puisant dans les travaux sociologiques consacrés à cette question et fondés sur des données quantitatives. Dans le domaine des conditions de travail, de nombreux chercheurs ont décrit le rapprochement des pratiques du public et du privé, évoquant même un processus continu d’hybridation entre les deux sphères (Emery et Giauque, 2005, p. 690). Pourtant, la convergence grandissante entre les deux secteurs du point de vue des conditions de travail n’est pas contradictoire avec la persistance d’importantes différences qui ressortent aussi bien au niveau européen qu’à l’échelle nationale.

Des conditions d’emploi plus stables et moins inégalitaires

24 Bien que s’appuyant sur des régimes juridiques différenciés, le salariat public des pays européens s’est constitué en dehors des règles du marché du travail, notamment sur le principe d’une plus grande sécurité des emplois – envisagée d’abord comme une protection vis-à-vis des responsables politiques à la tête des administrations – et d’un système de rémunération en fonction du statut et de la qualification des agents et non des richesses qu’ils produisent ou du travail qu’ils accomplissent (Weber, [1920] 1971, p. 22).

25 Le clivage lié à la sécurité de l’emploi demeure encore aujourd’hui relativement pertinent. D’après les données de l’European Community Household Panel, les salariés du public ont, sans surprise, moins de risques que les autres de connaître le chômage (Dieckhoff, 2011, p. 240-241). Il faut y ajouter les différentes ressources que procurent ces emplois. Au Royaume-Uni, l’accès à la formation continue est plus élevé dans le public que dans le privé, de même que le bénéfice d’une couverture santé ou d’un meilleure niveau de pension (Bach et Winchester, 1999 ; Meyer et Bridgen, 2008). La probabilité plus forte, dans le public, d’avoir accès à la formation continue ou à une couverture retraite est confirmée par d’autres études et pour un spectre plus large de pays européens (Oesch, 2006, p. 155, p. 206).

26 En matière de conditions d’emploi, les travaux de comparaison des secteurs public et privé ont surtout porté sur les différences de revenu et de salaire, ce que les économistes appellent le public sector pay gap. Dans ce domaine, il existe des différences entre États. La France est ainsi marquée par un décrochage progressif des salaires du public par rapport à ceux du privé, en raison d’un tassement des salaires du bas de la hiérarchie et d’une dévalorisation relative des rémunérations dans les catégories les plus élevées (Baudelot et al., 2014, p. 49). D’après une étude de la Banque centrale européenne, il ne s’agit pas d’un cas isolé : entre 1995 et 2009, le rapport entre les salaires du public et les salaires du privé est légèrement inférieur à un en France, en Allemagne et en Belgique, alors qu’il est supérieur en Autriche, Espagne, Italie, Grèce, Portugal, Irlande et Slovénie. En outre, sa mesure est complexe car il faut pouvoir contrôler des effets liés aux structures socioprofessionnelles et aux qualifications des deux secteurs (Giordano et al., 2011). Toutes choses égales par ailleurs, certaines catégories de salariés du public auraient un avantage salarial sur celles du privé, à savoir les femmes et les agents positionnés dans le bas de la hiérarchie salariale (Lucifora et Meurs, 2006 ; Giordano et al., 2011). Toutefois, cet avantage tend à diminuer si l’on prend en compte le salaire mensuel – plutôt que le salaire horaire – et si l’on restreint la comparaison aux salariés des entreprises privées de grande taille. Par ailleurs, ces écarts sont très comparables que les pays soient très avancés ou pas en matière de réforme de l’État (Giordano et al., 2011). Autrement dit, le tournant managérial n’a pas, semble-t-il, rapproché le secteur public du secteur privé en ce qui concerne les conditions de rémunération. De ces études sur les écarts salariaux, on peut retenir un élément structurant des représentations différenciées entre ces deux secteurs : les niveaux de rémunération sont moins inégalitaires dans le public que dans le privé. Ainsi, l’éventail des salaires y est plus resserré (Oesch, 2006, p. 113) et les écarts entre hommes et femmes moins prononcés (Meurs et Ponthieux, 2005) [4].

Les caractéristiques sociales des travailleurs du public

27 Les différences entre secteur public et secteur privé sont également repérables lorsque l’on compare la morphologie sociale des salariés. La première caractéristique structurante du secteur public concerne la proportion de femmes. Les femmes ont largement bénéficié de l’expansion du secteur public (Kolberg, 1991), mais leur taux d’emploi y est très variable d’un pays à l’autre : en 2010, elles représentaient 52 % du secteur public en Allemagne et 65 % au Royaume-Uni (d’après les chiffres du BIT) [5]. Au-delà de cette implantation significative, les femmes demeurent encore aujourd’hui moins présentes que les hommes aux postes de direction.

28 En France, la féminisation de l’emploi public est importante (59 %), mais néanmoins différenciée selon les tutelles administratives (fonctions publiques d’État, hospitalière et territoriale) et les catégories sociales. Lorsque l’on observe la distribution sexuée des différentes catégories de salariés de la Fonction publique, on constate ainsi un pôle très majoritairement féminisé (plus de 60 % de femmes) regroupant les métiers de la santé et du social (« Professions intermédiaires »), ceux de l’enseignement primaire (« Professeur des écoles et assimilés »), et les agents de service (« Employés ») et un pôle composé presque uniquement d’hommes, à l’image des emplois de policiers et militaires et d’ouvriers (moins de 20 % de femmes) (Hugrée, 2011, p. 70-71).

29 En Allemagne, où la fonction publique comporte la part la plus importante de managers (Oesch, 2006, p. 112), les femmes représentent seulement un tiers des hauts fonctionnaires et la moitié des cadres supérieurs. Leur situation est néanmoins plus enviable que celle de leurs homologues du privé : à diplôme équivalent, les femmes sont mieux payées dans le secteur public tandis que, pour les hommes, c’est le secteur privé qui est plus rémunérateur (Melly, 2005).

30 Au Royaume-Uni, le salariat du secteur public est très féminisé (65 % de femmes en 2004) par rapport au privé (41 % de femmes), ce qui se traduit par le fait que le temps partiel y est plus développé, 30 % des emplois contre 24 % dans le privé (ONS, 2005).

31 En Suède, 50 % de l’ensemble des femmes travaillent dans le secteur public, alors que cette proportion est de 23 % pour les hommes, ce qui représente l’un des écarts les plus importants parmi les pays européens (Oesch, 2006, p. 112). Dans les pays scandinaves, le développement de l’État social a procuré d’importantes opportunités aux femmes inactives et à celles occupées dans les industries déclinantes (Kolberg et Kolstad, 1993, p. 60). Pour les femmes, le secteur public a ainsi joué le rôle de sas d’intégration au marché du travail même si, en Suède, l’avantage salarial qu’elles en retirent est particulièrement modeste (Gornick et Jacobs, 1998, p. 707).

32 Le second trait caractéristique des travailleurs du public est qu’ils sont plus âgés que ceux du privé. C’est particulièrement le cas en France, où la proportion des plus de 50 ans parmi les agents du secteur public est de 28 %, alors qu’elle est de 18 % dans le privé (Demke, 2004, p. 31). À l’exception des policiers et militaires où les moins de 35 ans sont majoritaires, les salariés du secteur public français (fonctionnaires et contractuels) sont ainsi marqués par une démographie largement tributaire des vagues de recrutement externe et de promotion interne ainsi que par le fort développement de la fonction publique territoriale (Hugrée, 2011, p. 69-70). Ceci va de pair avec une ancienneté chez le même employeur plus élevée dans le public que dans le privé. L’écart d’âge est également perceptible au Royaume-Uni, quoique de manière moins prononcée : la part des plus de 50 ans était en 2004 de 28 % dans le public et de 25 % dans le privé et, surtout, celle des 35-49 ans de 44 % contre 36 %. De même, les salariés qui, en 2004, sont dans leur emploi depuis dix ans et plus représentent 40 % des salariés du public contre 28 % de ceux du privé (ONS, 2005).

La persistance d’un ethos de service public

33 L’appartenance au secteur public ne saurait se réduire au statut d’emploi et aux caractéristiques sociales de celles et ceux qui le font fonctionner. Ces salariés partagent également un ensemble de valeurs qui sont pour partie celles des institutions auxquelles ils appartiennent et par lesquelles ils donnent sens à leur mission : neutralité, égalité, défense de l’intérêt général. Les travaux sociologiques sur l’État ont largement montré que son autorité s’impose d’autant plus efficacement qu’elle ne repose pas uniquement sur la contrainte physique, mais également sur une légitimité symbolique susceptible de produire de l’adhésion et du consensus de la part des représentants de l’État comme de la part des usagers (Bourdieu, 2012). En Grande-Bretagne, plusieurs auteurs se sont efforcés de définir ce qui caractérise l’ethos de service public : le fait de placer le bien public au-dessus des intérêts personnels, de travailler avec les autres de façon collective et anonyme et de résoudre les différents problèmes en toute intégrité (O’Toole, 1993). Le débat qui divise les sociologues – notamment britanniques – est alors de savoir si ces valeurs spécifiques perdurent au-delà des bouleversements induits durant les trois dernières décennies.

34 D’un côté, plusieurs sociologues avancent le caractère spécifique des normes de comportement au sein du service public (Du Gay, 2000, p. 12) : en dépit des réformes qui ont secoué l’administration britannique tout au long des années 1980 et 1990, ils soutiennent que certaines valeurs, comme la responsabilité (accountability), l’honnêteté et l’impartialité, le service de l’intérêt général et la loyauté peuvent se concevoir comme un ethos de service public qui se maintient au fil du temps (Pratchett et Wingfield, 1996). Ces valeurs ne sont cependant pas communes à tous les services publics et dans les services locaux, les agents pouvant en privilégier certaines plus que d’autres (Greenaway, 1995). Des auteurs relèvent néanmoins la dissonance entre le discours tenu par les gouvernants et les fonctionnaires sur les valeurs du secteur public et la réalité des pratiques sur le terrain après dix-huit ans de réforme conservatrice (Richards et Smith, 2000, p. 47).

35 D’un autre côté, analysant les effets des réformes impulsées par Margaret Thatcher, des travaux de sociologie soutiennent que la diffusion du New Public Management a totalement mis à mal l’ethos de service public : la prise de décision collective aurait été remplacée par le devoir de rendre des comptes individuellement, les grilles de salaire uniformes par des rémunérations à la performance, la logique de coopération par l’esprit de compétition (O’Toole, 1993, p. 5). Certains considèrent que la combinaison des normes du public et du privé a favorisé l’émergence d’un nouvel ethos propre aux organismes – publics et privés – impliqués dans la nouvelle gouvernance ; l’importation de normes du privé ferait basculer les agents d’un ethos du secteur public à un ethos de service public, incluant des valeurs comme celles du pragmatisme, de la transparence procédurale et de la relation au client (Brereton et Temple, 1999, p. 471). Dans cette perspective, on peut se demander si l’on ne retrouve pas ce sens du service public ou de l’intérêt général chez certains travailleurs du privé, par exemple dans l’industrie nucléaire ou dans les entreprises de production d’électricité (Linhart, 2009, p. 125). D’autres ont également développé cette idée en insistant plutôt sur des valeurs qui trouvent une signification différente dans le public et dans le privé, mais qui peuvent aussi servir de support à un processus de rapprochement entre les deux sphères : motivation, professionnalisme, confiance ou impartialité (Plant, 2003). Toutes ces études semblent suggérer que les multiples réformes des services publics ont contribué à rapprocher l’ethos spécifique des agents du public de celui du privé. Pourtant, rares sont celles qui étayent ce constat de données empiriques.

36 L’ethos de service public ne saurait se réduire à un ensemble de valeurs ; il renvoie également à un rapport subjectif au travail. Dans leur grande majorité, les agents du service public montrent des taux de satisfaction au travail plus élevés que leurs homologues du privé (Baudelot et al., 2003) ; en revanche, sur des aspects particuliers comme les rémunérations, l’autonomie ou les possibilités de promotion, ils peuvent se déclarer moins satisfaits (Rainey et Bozeman, 2000, p. 459).

37 En Grande-Bretagne, ils sont significativement plus nombreux à qualifier leur métier comme étant « utile à la société » ou « permettant d’aider les autres », et cette différence se maintient toutes choses égales par ailleurs (John et Johnson, 2008, p 10). L’ethos de service public se trouve ainsi défini à travers le désir d’avoir un travail socialement utile et, pour ceux qui sont en poste, d’en être satisfaits. En dépit des discours alarmistes sur la fin de l’esprit de service public, ces écarts dans les manières de se représenter son travail se sont creusés après le passage au pouvoir du New Labour (ibid., p. 119-121). Les agents du service public accordent aussi une valeur plus grande à ce qui est bénéfique aux autres et à la société, aux principes de responsabilité et d’intégrité et considèrent moins souvent l’argent et les hautes rémunérations comme les finalités ultimes de la vie professionnelle (Rainey et Bozeman, 2000, p. 460). Cette plus grande indifférence des salariés du public à leur rémunération n’est cependant pas immuable. En France, elle persiste mais tend à s’atténuer : ceux qui travaillent pour l’État s’en préoccupent désormais davantage et l’intègrent plus directement dans l’appréciation de leur travail, probablement du fait d’une dégradation objective des rémunérations dans ce secteur (Baudelot et al., 2014, p. 144-149).

38 L’hypothèse d’un ethos du service public a pu également être appliquée à un ensemble beaucoup plus vaste de pays industrialisés. En utilisant les réponses aux questions sur les orientations dans le travail contenues dans l’International Social Survey Program (ISSP) [6], Pippa Norris montre que, dans les pays européens, notamment dans l’ancien bloc communiste, l’idée de travailler pour le public est associée à celle d’aider les autres. Par contraste, les gens qui préfèrent travailler pour le privé donnent une plus grande priorité à l’autonomie et à l’indépendance (Norris, 2003, p. 84). En définitive, si les conditions de travail du public et du privé tendent à se rapprocher, la façon de se représenter et d’investir sa mission reste spécifique à chaque secteur. Les travailleurs du privé éprouvent une plus grande liberté au travail, tandis que ceux du public sont contraints par la nécessité de rendre des comptes, de répondre à des normes transparentes et d’assurer l’équité entre les usagers. Les managers du secteur public ont moins de liberté que leurs équivalents dans le privé, mais ils ont un plus fort sentiment d’accomplissement lié à leur rôle social et à la plus grande sécurité de leur emploi. Toutes ces différences se conjuguent pour former un ethos de service public par-delà les configurations particulières à chaque espace national.

Des syndicats plus forts dans le public que dans le privé

39 L’implication dans un syndicat constitue également un point de clivage important entre salariés du public et du privé, toujours sur le plan de la sphère professionnelle. En effet, la décision de rejoindre un syndicat peut répondre à certaines considérations politiques, mais elle renvoie d’abord à une volonté d’être mieux protégé dans son travail, qu’il s’agisse des rémunérations, des conditions de travail, ou plus généralement de la volonté d’être défendu en cas de conflit avec l’employeur.

40 Dans la plupart des pays de l’OCDE, le taux de syndicalisation et le nombre de conflits sociaux ont significativement diminué à partir des années 1980 et 1990, notamment en raison de l’augmentation du chômage. Les explications de cette désaffection sont multiples. Dans la littérature économique, le taux de syndicalisation est étudié à l’aune des différents avantages qu’offrent les organisations syndicales selon les pays et d’agrégats macro-économiques comme le taux de chômage, le taux d’inflation ou encore le niveau des prestations garanties aux demandeurs d’emploi (Checchi et Visser, 2005). Pourtant, dès qu’est introduite la variable du secteur d’emploi (privé ou public), des différences importantes apparaissent dans l’évolution du niveau de syndicalisation au sein des différents pays européens.

41 Alors que, dans les années 1970, les entreprises privées du secteur industriel constituaient le bastion du syndicalisme européen, c’est désormais le secteur public qui affiche les plus forts taux de présence syndicale, ce qui incite certains auteurs à lier le déclin du syndicalisme au processus de désindustrialisation (Scheuer, 2011, p. 66). Dans l’ensemble, les taux de syndicalisation tendent à être plus bas dans le secteur privé, dans les petites entreprises, parmi les travailleurs ayant des emplois instables ou étant soumis au temps partiel (Ebbinghaus et Visser, 2000). Dans son étude portant sur l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède et la Suisse, Daniel Oesch montre qu’à la fin des années 1990, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d’être syndiqué est nettement plus importante dans le public que dans le privé (Oesch, 2006, p. 173-178).

42 Cependant, ce constat général peut être précisé de plusieurs façons selon les pays. En France, le taux de syndicalisation a toujours été historiquement bas et reste encore aujourd’hui l’un des plus faibles d’Europe : les différentes centrales représentaient 8 % des salariés en 2004, avec de grosses disparités selon le secteur d’emploi ; dans la fonction publique, 1 salarié sur 6 est effectivement syndiqué, alors qu’ils sont un sur vingt à l’être dans le secteur privé (Amossé et Pignoni, 2006, p. 409). La différence avec le cas suédois, où les relations professionnelles se fondent sur une syndicalisation forte, est « saisissante » (Anxo et al., 1998, p. 7) : en 2007, environ 70 % des salariés suédois étaient syndiqués (OCDE, 2008) et, d’après la Confédération européenne des syndicats, il s’agissait, pour plus de la moitié d’entre eux, d’agents du secteur public. Au Royaume-Uni, la présence syndicale dans le secteur public reste significativement plus élevée que dans le privé, même si elle tend à décliner : le taux de syndicalisation est passé de 64,4 % en 1993 à 58,4 % en 2004 (Blanchflower, 2007, p. 4). En Allemagne, le syndicalisme a connu une érosion considérable depuis le début des années 1990, mais il a beaucoup mieux résisté dans le secteur public. Si les travailleurs du privé sont moins syndiqués que leurs collègues du public et si cette différence tend à s’accroître, c’est en partie parce qu’il s’agit de lieux de travail plus petits où les syndicats sont moins implantés, notamment dans le cas du secteur des services (Scheuer, 2011). De plus, les caractéristiques sociales qui distinguent les travailleurs syndiqués des non-syndiqués ne sont pas les mêmes dans les deux secteurs. Au Royaume-Uni, par exemple, le fait d’avoir un niveau d’étude et de qualification élevé augmente, dans le secteur public, la probabilité d’être syndiqué, alors que, dans le secteur privé, ces caractéristiques se retrouvent davantage parmi les non-syndiqués (Blanchflower, 2007, p. 8).

Public-privé : des visions du monde différentes ?

43 Alors que la sociologie et la science politique états-uniennes disposent d’études quantitatives d’ensemble démontrant les différences entre salariés du public et du privé (Brewer, 2003), les travaux européens sont davantage ciblés, tantôt sur un pays, tantôt sur un certain type de pratiques. Plusieurs d’entre eux mettent en lumière des comportements différents dans les deux secteurs, dans des domaines aussi variés que les pratiques culturelles, les relations familiales ou les stratégies éducatives. Le caractère en apparence éclaté de ces thématiques révèle en réalité une dimension d’un même rapport au monde que l’on pourrait qualifier de style de vie (Bourdieu, 1979, p. 56). Si l’on considère également les effets du clivage public-privé sur les orientations politiques, on peut se demander si les différences entre les salariés des deux secteurs ne dépassent pas largement le strict cadre des conditions d’emploi.

Styles de vie et pratiques culturelles

44 Les différences entre salariés du public et du privé ne se limitent pas à la sphère professionnelle, mais rares sont les recherches qui les abordent de manière exhaustive : elles ont le plus souvent un ancrage empirique national et ne traitent qu’une dimension singulière, ce qui confère à la notion de style de vie un caractère hétéroclite. Le plus souvent, elles s’appliquent néanmoins à un même groupe, celui de la middle class.

45 Concernant les pratiques culturelles, plusieurs sociologues britanniques ont souligné le relatif désinvestissement culturel des classes populaires, par opposition à l’engagement très prononcé de la middle class. Au sein de celle-ci, les public servants et les enseignants se montrent plus « omnivores » que les managers du privé et plus proches de la culture légitime (Savage et al., 2009, p. 181). Certains se proposent d’explorer les clivages internes à la middle class en dégageant des styles de vie (Devine et al., 2005). Ils observent notamment les pratiques de consommation et de loisirs et identifient trois fractions au sein de la middle class : un groupe dont les pratiques culturelles et de loisirs sont ascétiques et qui correspond plutôt au public sector professionals (les professeurs, les médecins, les employés du Welfare State), un groupe qualifié de « post-moderne » composé des private sector professionals et un groupe « indifférencié », autrement dit dont l’engagement culturel est plus faible et moins distinctif, regroupant plutôt les managers du privé et du public (Savage et al., 1992, p. 108-110). Ce découpage, s’il ne correspond pas entièrement à un clivage public-privé, est toutefois traversé par la question de l’appartenance au secteur public. La proximité d’une grande partie des professionals au secteur public est déterminée par le fait que ses membres s’appuient principalement sur leur capital culturel, capital fortement dépendant de l’État qui, par le biais du système scolaire, assure sa reproduction et sa valorisation. Il en résulte une nouvelle partition entre, d’un côté, les classes moyennes du public – composées de professionals et de plus en plus féminisées – et, de l’autre, les classes moyennes du privé, plus souvent possédantes et entrepreneuriales (ibid., p. 218). On peut d’ailleurs relier cette conclusion aux analyses d’Edmond Préteceille sur les phénomènes de ségrégation urbaine résultant des stratégies résidentielles : les cadres d’entreprise tendent à se concentrer dans les secteurs occupés par les élites économiques et financières, tandis que ceux du public resteraient dans des territoires plus mixtes socialement (Préteceille, 2006, p. 85), tout en maintenant une sélectivité sociale des lieux de scolarisation.

46 Sur le versant des relations familiales, certaines études montrent que le fait de travailler dans le secteur public favorise une meilleure conciliation travail et vie de famille. En Suède, par exemple, les pères qui travaillent dans le public ont tendance, toutes choses égales par ailleurs, à utiliser beaucoup plus significativement leur congé parental que leurs homologues du privé (Bygren et Duvander, 2006). Le secteur public ayant des horaires de travail plus flexibles et une pression hiérarchique moins importante, les salariés qui y travaillent sont, dans l’ensemble, moins exposés aux conflits familiaux (Scherer et Steiber, 2007).

47 L’appartenance au secteur public ou au privé conditionne, enfin, certaines pratiques ou certains choix dans l’orientation scolaire des enfants. À partir d’une étude longitudinale sur les trajectoires d’enfants nés en 1971, des chercheurs britanniques ont montré que les parents des classes moyennes du public ont beaucoup plus de chances d’envoyer leurs enfants dans les écoles publiques que ceux qui travaillent dans le secteur privé ; de surcroît, le passage par l’une ou l’autre filière (publique ou privée) affecte durablement les représentations, les dispositions et donc, in fine, les trajectoires des élèves concernés (Power et al., 2003). Cette forme de fidélité au secteur public avait déjà été relevée dans le cas de la France : une scolarité passée intégralement dans l’école publique augmente significativement les chances d’exercer une activité professionnelle ultérieure dans le public : pour les hommes scolarisés dans le public, la probabilité de travailler dans le public est de 44 %, alors qu’elle est de 25,5 % pour ceux qui viennent du privé (Langouet et Léger, 1997, p. 114).

Orientations politiques

48 Sur le plan des orientations politiques, le clivage entre travailleurs du public et du privé est très remarquable, même si les outils pour le mesurer peuvent prêter à caution, car il s’agit davantage de sondages d’opinion. Traditionnellement, les suffrages des salariés du public se portent davantage vers les partis qui défendent le maintien de l’État social et la défense de l’accès aux biens publics [7], tandis que ceux du privé sont davantage sensibilisés aux lois du marché et plus exposés aux effets de la concurrence internationale (Kitschelt, 1994).

49 En France, l’importance numérique des salariés du public (entre un quart et un tiers des électeurs) confère à ce groupe un poids politique particulièrement important, régulièrement souligné par les politistes (Boy et Mayer, 1997 ; Rouban, 2005). D’après l’« European Social Survey » de 2004-2005, c’est en France que le clivage public-privé est le plus significatif en termes d’orientation politique : un agent du public a 1,6 fois plus de chances qu’un travailleur du privé d’avoir voté à gauche à la dernière élection ; ce rapport est aussi significatif pour l’Allemagne (1,3) et un peu moins pour la Suède et le Royaume-Uni (1,1) (Mayer, 2010, p. 114).

50 En Suède, le clivage entre secteurs public et privé a beaucoup été analysé sous l’angle des valeurs politiques (Hoel et Knutsen, 1989, p. 198). Les salariés du secteur public se déclarent plus significativement attachés à l’État social que ceux du privé, même si cette différence tend à se réduire (Svallfors, 1995, p. 68). À partir d’une étude longitudinale du vote selon la classe sociale, le secteur d’emploi et le genre entre 1970-1995, Oddbjørn Knutsen (2001, p. 313) souligne que l’opposition entre salariés du public et du privé recouvre plusieurs dimensions : des intérêts économiques divergents, des environnements culturels distincts et des expériences professionnelles différentes. Dans la seule sphère professionnelle, la relation de service assurée par de nombreux travailleurs du public les expose à des problèmes sociaux auxquels ils doivent répondre en puisant dans les valeurs du service public. Ces valeurs recoupent d’ailleurs en partie celles qui leur ont été enseignées tout au long de leur parcours scolaire. La comparaison d’enquêtes menées en 1970 et 1995 au Danemark, en Suède et en Norvège conduit l’auteur à avancer que l’impact des classes sociales sur le vote baisse, tandis que celui du genre et du secteur d’emploi augmente (Knutsen, 2001, p. 345).

51 En Grande-Bretagne, les différences d’orientation politique entre agents du public et du privé ont également été largement analysées. Les travaux de Patrick Dunleavy (1980) ont montré que les classes populaires pouvaient être réparties sur deux axes, selon qu’ils sont employés dans le public ou dans le privé et selon qu’ils sont syndiqués : les travaillistes sont plus puissants dans les secteurs syndiqués du public et les conservateurs davantage implantés chez les groupes moins syndiqués et plus exposés aux contraintes fiscales. Cette partition se retrouve dans l’orientation politique des membres de la middle class qui entretiennent un rapport différencié à l’État. L’analyse des enquêtes électorales dans les années 1980 montre que les professionals, majoritairement associés au public, votent relativement plus pour le Labour Party, tandis que les managers optent davantage pour les conservateurs (Savage et al., 1992, p. 194-197 ; Butler et Savage, 1995, p. 286). Cette différenciation politique implique deux rapports différents à l’État : les professionals, souvent payés ou financièrement dépendants de l’État, ont un intérêt à défendre le maintien d’un certain niveau d’intervention de ce dernier dans la société, tandis que les managers, souvent employés dans le privé, y sont moins enclins, bénéficiant de l’externalisation et de la privatisation des missions publiques. Ce résultat est confirmé dans une étude plus récente, réalisée à partir de la « British Household Panel Study » de 1997 : les travailleurs du public s’opposent par la mobilisation et par le vote aux conservateurs, tandis que ceux du privé forment le soutien aux réformes des conservateurs, mais ce clivage est modulé selon la composition sociale du lieu d’habitation des uns et des autres (Dorling et al., 2001, p. 65). De même, les cols blancs du public ont été les plus fervents défenseurs d’un service public de santé et d’éducation, incitant certains à en déduire un nouveau clivage politique entre, d’un côté, des usagers ouvriers unis aux managers et aux professionals du secteur public et, de l’autre, les classes moyennes du privé (Roberts, 2001).

52 Le lien entre secteur d’emploi et orientation politique peut donc se décliner de différentes manières selon chaque pays. Dans une étude qui porte sur huit pays industrialisés [8], à partir des données fournies par l’Eurobaromètre, O. Knutsen (2005) prolonge sa réflexion sur la spécificité des agents du secteur public en matière de choix politiques. Le secteur d’emploi – public ou privé – a un impact significatif mais modeste dans tous les pays étudiés : la corrélation est la plus forte pour le Danemark, représentatif d’un État social démocrate, et la plus faible pour l’Irlande, incarnation d’un État social libéral (Knutsen, 2005, p. 604). À partir d’une autre source, l’« European Social Survey » de 2002, portant sur 22 pays européens et extra-européens, Luc Rouban (2005) dégage lui aussi plusieurs résultats significatifs quant à l’impact du secteur d’emploi sur la culture sociopolitique des salariés en Europe. Tout d’abord, les salariés du public votent plus souvent que ceux du privé (ils ont un taux de participation de 85 % contre 74 % pour ceux du privé) ; ils sont aussi en moyenne plus souvent engagés dans des partis politiques, notamment au Danemark et en Suède (ce sont d’ailleurs les fonctionnaires français souvent réputés pour leur niveau de mobilisation qui sont, avec les Espagnols, les plus réticents à s’engager politiquement). Même au Royaume-Uni, où le secteur public a été touché très tôt par les réformes libérales, les salariés du public se déclarent à 54 % proches d’un parti politique (contre 50 % pour ceux du privé) (Rouban, 2005, p. 62). Dans une étude plus récente, également réalisée à partir de l’« European Social Survey », Markus Tepe (2012, p. 253) affine les constats établis précédemment en introduisant des distinctions entre secteurs : les agents des administrations votent, à diplôme égal, comme ceux du privé, alors que, dans la santé et l’éducation, ils conservent un ancrage à gauche ; néanmoins, ces derniers peuvent se rapprocher de la droite lorsque leur position hiérarchique augmente.

L’habitus des classes moyennes du public

53 De nombreux travaux empiriques et théoriques ont donc montré que la particularité des missions confiées aux agents du secteur public les incitait à partager certaines valeurs, notamment du fait de leur exposition aux problèmes sociaux. Le plus souvent, ces traits communs sont rassemblés derrière la notion d’ethos de service public qui se conçoit tantôt comme une simple conséquence du travail, tantôt comme un effet de secteur (Davies, 2012, p. 29-30). Au terme du panorama bibliographique que nous avons pu dresser, il nous semble que l’idée d’un ethos du public puisse être amendée sur plusieurs points.

54 Tout d’abord, l’ethos de service public, défini comme l’ensemble des valeurs partagées par les salariés travaillant au service de l’État, prend des significations différentes selon la place occupée dans la hiérarchie sociale. De plus, les valeurs qui définissent l’ethos de service public ne sont pas données une fois pour toutes. L’introduction, puis la diffusion, des normes du New Public Management font de ces valeurs des enjeux de luttes entre les agents eux-mêmes (McDonough et Polzer, 2012). Pour les agents qui continuent à se reconnaître dans les missions de service public, ces valeurs dépassent largement le seul cadre de la sphère professionnelle : dans ces cas-là, le clivage entre public et privé a des répercussions sur les styles de vie, les pratiques culturelles et les orientations politiques, ce qui inciterait plutôt à privilégier le terme habitus, plus large et plus englobant que celui d’ethos. La socialisation professionnelle au sein du secteur public a des répercussions qui dépassent largement la seule conception du métier. Dans une étude menée auprès de médecins d’hôpitaux publics confrontés à l’introduction de partenaires privés, une sociologue britannique a pu montrer que la modification des structures de travail dans un sens plus managérial affecte assez peu les représentations et les croyances des médecins qui tiennent compte de ces impératifs tout en continuant à développer des pratiques conformes à leur habitus : ils défendent une conception du service public qui, loin d’être une résistance individuelle, renvoie à une position commune de ce groupe d’acteurs confrontés à des patients (McDonald, 2009).

55 S’il existe bien un ensemble de représentations et de dispositions incorporées et partagées par les travailleurs du public au-delà de leur sphère professionnelle, celles-ci doivent donc être appréhendées à l’aune de la position de ces salariés dans l’espace social. Dans la période récente, les cadres supérieurs du public (top official ou senior managers) ont connu d’importants changements du point de vue de leur rôle et de leur statut : leurs droits et leurs protections ont été réduits, tandis qu’en échange leurs salaires ont augmenté. Ainsi, au Royaume-Uni, environ 40 % des postes dirigeants sont ouverts à la concurrence de cadres venus du privé (Demke, 2004, p. 150). Inversement, dans certains cas, ils peuvent être licenciés s’ils n’ont pas atteint leurs objectifs. Cet effacement de la frontière entre secteurs public et privé concernant le recrutement des cadres supérieurs n’est pas sans effets sur les cultures professionnelles, et plus généralement sur les représentations. Comme l’a très bien montré Janette Webb (1999), il existe une fracture de plus en plus importante entre les cadres entrepreneuriaux (entrepreneurial strategists) et les professionnel-le-s du social (welfare professionals) : les premiers, le plus souvent des hommes, adoptent les valeurs de l’entreprise et s’y identifient, tandis que les autres, majoritairement des femmes, privilégient les valeurs d’assistance (caring values) (Webb, 1999, p. 763). Si tous semblent appartenir au même monde, la frontière qui sépare les deux groupes est en réalité très marquée, y compris dans les représentations partagées de part et d’autre : les cadres dirigeants considèrent les professionnels du social comme de purs idéalistes, tandis que ces derniers les perçoivent comme des représentants du pouvoir (ibid., p. 763). Cet écart grandissant entre la « main droite » et la « main gauche » de l’État (Bourdieu, 1993) est confirmé par d’autres travaux qui s’attachent à montrer la convergence, sur le plan des valeurs et de la conception de la mission, entre les managers du public et ceux du privé (Rainey et Bozeman, 2000 ; Buelens et Van den Broeck, 2007). D’ailleurs, les sociologues qui insistent sur le phénomène d’hybridation des valeurs entre le public et le privé prennent le plus souvent appui sur des entretiens avec des cadres assez hauts placés dans leur organisation. Ainsi, Michael Brereton et Michael Temple (1999, p. 464) citent les propos d’un directeur d’une autorité sanitaire départementale estimant que les relations avec les partenaires du secteur privé sont « stimulantes ». Dans les années 1990, des sociologues britanniques ont même souligné l’effet des réformes de l’État sur les transformations de la state middle class. Ils montrent que ces réformes (décentralisation, managérialisation, renforcement du contrôle, flexibilisation des échelons subalternes, etc.) favorisent d’abord les top-managers à qui l’on confie plus de responsabilités, qui sont mieux payés (primes, bonus) et acquièrent de nouvelles compétences. La resyndicalisation des employés du public et l’accroissement des conflits sociaux dans les administrations illustreraient ce processus de fragmentation interne au sein du salariat du public (Carter et Fairbrother, 1995). À la lumière de ces travaux, on mesure que l’expérience du New Public Management, notamment en Grande-Bretagne, expose les groupes socioprofessionnels composant le secteur public, d’un côté, à des forces centripètes qui font converger les dispositions et les représentations des classes moyennes du public et, de l’autre, à des forces centrifuges propices au rapprochement des hauts cadres du public et du privé.

56 L’hypothèse d’un habitus commun aux classes moyennes du public est particulièrement soulignée par plusieurs travaux consacrés aux front line workers, c’est-à-dire à tous ceux – cadres intermédiaires ou agents subalternes – qui sont au contact du public (McDonough, 2006 ; Serre, 2009, p. 300). Dans leur majorité, ils partagent une vision de l’universel qui place la chose publique au-dessus des intérêts privés. À travers leurs pratiques quotidiennes, ils incarnent et reproduisent cette conception du bien public en phase avec les structures objectives du service public, ce qui la fonde comme un « allant de soi ». Bien évidemment, cette vision n’est jamais donnée une fois pour toutes : elle fait l’objet de luttes et de remises en question, surtout depuis l’introduction des réformes de la nouvelle gestion publique. À cet égard, la question de l’appartenance à un secteur d’emploi (public-privé) doit être aujourd’hui articulée aux conditions du déclin ou du maintien d’une représentation de la société en termes de classes sociales. La catégorie socioprofessionnelle et le secteur public sont en France nettement discriminants dans la déclaration du sentiment d’appartenance à une classe sociale et dans le positionnement subjectif au sein des classes moyennes (Pélage et Poullaouec, 2007). Au-delà du cas français, ces résultats constituent aussi des jalons originaux pour renouveler les débats autour des effets symboliques de l’appartenance au secteur public en Europe.

57 Le clivage entre travailleurs du public et du privé ne saurait se substituer à une analyse en termes de classes sociales dont les contours restent à préciser au niveau européen. Il n’en reste pas moins que, à l’intérieur d’un même groupe social, l’appartenance à la sphère étatique constitue un marqueur fort des pratiques sociales et des visions du monde. Si le clivage entre secteurs public et privé apparaît relativement rarement dans les études statistiques et comparatives à l’échelle européenne, il demeure une dimension importante à l’échelle nationale, pour l’ensemble des pays étudiés (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Suède). À la suite des réformes introduites dans la plupart des pays européens au nom du New Public Management, de nombreux travaux ont montré une convergence du point de vue des conditions de travail entre les normes du public et celles du privé. Pourtant, en dépit de ces réformes successives et des différentes réalités juridiques que recouvre la notion de secteur public en Europe, le fait de travailler au service de la collectivité induit encore aujourd’hui un ensemble de spécificités. L’appartenance au secteur public ne saurait donc se réduire à l’ensemble des conditions de travail et des rapports hiérarchiques qui y ont cours. Elle implique aussi un rapport particulier à l’État, à l’intérêt général, ou encore à la chose publique, perceptible dans des pratiques culturelles, syndicales et politiques. Cette corrélation est pourtant loin d’être universelle et tendrait même à s’estomper aux niveaux hiérarchiques les plus élevés, à mesure que se diffusent les réformes des États.

58 Cet état des lieux bibliographique invite à ne pas évacuer trop rapidement la prise en compte de ce clivage dans ce qui pourrait constituer une nomenclature socio-économique européenne. Dans le cadre du consortium ESeC (European Socio-economic Classification) qui s’est attelé, entre 2004 et 2006, à concevoir ce type d’outil statistique, cette question a été soulevée par les travaux français, et plus généralement lorsqu’il a fallu décrire les structures sociales des pays du sud de l’Europe (Rose et Harrison, 2010). Toutefois, dans la continuité de ces travaux centrés sur la comparaison des possibilités de mobilité sociale dans différents pays (Erikson et Goldthorpe, 1992), les projets de nomenclature européenne n’accordent aucune visibilité à la différence entre travailleurs du public et du privé (Rose, Pevalin et Elias, 2001 ; Rose et Harrison, 2006). Ainsi, son intégration dans les variables constitutives du prototype ESeC ne fait pas consensus parmi les experts appelés à se prononcer (Brousse, 2008 ; Penissat et Rowell, 2012). De surcroît, dans le projet plus récent porté par l’INSEE et intitulé ESeG, la volonté de tenir compte du clivage public-privé s’est heurtée à l’absence de variable harmonisée à l’échelle européenne et susceptible de le quantifier. Pourtant, les deux secteurs d’emploi se différencient encore nettement : le salariat public se révèle en effet bien plus féminisé et plus diplômé dans tous les pays européens. Le passage en revue des différents travaux consacrés aux salariés du public invite à faire le pari de la « descriptibilité », notamment statistique, de ce groupe, malgré les écarts importants des histoires nationales du point de vue politique et salarial. La distinction public-privé se présente bien comme un enjeu suffisamment partagé et diffusé pour approcher les processus sociologiques qui façonnent les salariats à l’échelle de l’Europe. C’est en effet à la condition de ce type d’approche que l’on ne réduit pas le salariat européen à un axiome ou à un artefact bureaucratique.

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Mots-clés éditeurs : H, ECTEUR PUBLIC, E, S, ALARIAT, É, C, THOS, ABITUS, TAT, LASSES SOCIALES

Date de mise en ligne : 03/04/2015

https://doi.org/10.3917/rfs.561.0047

Notes

  • [1]
    L’expression « middle class » ne correspond pas à celle de « classes moyennes » en France, mais englobe les classes dominantes et la fraction supérieure des professions intermédiaires françaises (Bidou-Zachariasen, 2000).
  • [2]
    Ils sont majoritairement fonctionnaires et plus rarement salariés du public mais aucune statistique officielle ne donne la répartition selon le statut d’emploi.
  • [3]
    À définition équivalente, les écarts entre séries statistiques qui relèvent de sources administratives ou d’enquêtes sont de l’ordre de 670 000 salariés (ONS, 2005).
  • [4]
    L’étude porte sur l’Italie, la France et la Grande-Bretagne.
  • [5]
  • [6]
    Il s’agit d’une enquête menée dans une large série de pays incluant le Bangladesh, la Bulgarie, le Canada, Chypre, la République tchèque, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hongrie, Israël, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, les Philippines, la Pologne, le Portugal, la Russie, la Slovénie, l’Espagne, la Suède, la Suisse et les États-Unis d’Amérique.
  • [7]
    En Norvège, les salariés du secteur public sont même vus comme des swing voters des réformes du secteur public (Rattsø et Sørensen, 2004).
  • [8]
    Allemagne, Belgique, Danemark, France, Grande-Bretagne, Irlande, Italie et Pays-Bas.

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