Notes
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[1]
Erhard Friedberg n’emploie pas le terme « réflexivité » mais celui d’« autonomie » pour désigner la capacité de distance critique que possèdent les acteurs vis-à-vis des structures de régulation auxquelles ils participent (Friedberg, 1993, p. 233).
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[2]
Dans leur dernier travail, Neil Fligstein et Doug McAdam (2011) placent la réflexivité au cœur de leur programme, mais ils ambitionnent de proposer une théorie plus large du social en le concevant comme un ensemble de « champs stratégiques d’action ».
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[3]
Selon l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), en 2011, 62 700 tonnes de pesticides ont été utilisées, ce qui représente en moyenne plus de 5 kilogrammes de pesticides et de matières actives déversés par hectare cultivé.
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[4]
C’est le cas de l’étude épidémiologique lancée en 2005 sur la cohorte Agrican et financée en partie par la Mutualité sociale agricole (MSA). Elle vise à mieux évaluer les risques de cancer dans les populations agricoles.
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[5]
G. Prete est membre de l’Iris à l’université Paris 13.
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[6]
Précisons que la partie de notre enquête portant sur l’histoire de l’interdiction de l’arsenite de soude ne repose pas sur des entretiens avec les utilisateurs finaux de ce produit. Les représentants institutionnels des agriculteurs, exploitants ou salariés n’ont pas pris part au processus d’interdiction étudié ici.
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[7]
L’expression revêt ici un caractère polémique, tant elle renvoie implicitement, en France, à la gestion du dossier de l’amiante au cours des années 1970 à 1990. Elle rend cependant bien compte d’une option de prévention qui, tout en reconnaissant un danger, s’efforce de le rendre acceptable par la mise en place d’un ensemble de dispositifs supposément protecteurs pour les travailleurs exposés : valeurs-limites, équipements de protection, etc.
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[8]
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adoptée en 2014, prévoit désormais le transfert des produits phytopharmaceutiques de l’AMM à l’ANSES.
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[9]
Sur les procédures d’évaluation du risque et leur historicité, on pourra se référer à Soraya Boudia (2014).
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[10]
Le terme anglais est acceptable operator exposure level (AOEL).
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[11]
Ces modèles, initialement utilisés en Grande-Bretagne (modèle UK Poem) et en République fédérale allemande (modèle BBA) font actuellement l’objet d’une harmonisation européenne sous l’égide de l’EFSA.
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[12]
Le calendrier de la loi d’avenir agricole prévoit que l’ensemble de ces missions sera effectué par la seule ANSES à compter de l’été 2015.
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[13]
Ses autres missions ont trait à la couverture des dépenses sociales relatives à la vieillesse, la maladie, la maternité, la famille et au chômage.
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[14]
Sur les quatorze premiers tableaux de maladies professionnelles agricoles créés en 1955, seuls deux concernaient les pesticides les plus dangereux. Ils ont peu évolué par la suite. Il a fallu attendre 1986 pour que le tableau 10 reconnaisse l’origine professionnelle de certains cancers induits par l’arsenic et ses dérivés, pourtant interdits par le ministère de l’Agriculture depuis le début des années 1970 en raison de leurs effets cancérigènes. Notons toutefois que le ministère de l’Agriculture et la MSA ont rouvert le dossier de la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides ces dernières années au sein de la Commission supérieure des maladies professionnelles (COSMAP) qui réunit les représentants des salariés et des exploitants agricoles. Cette commission a ainsi reconnu en 2012 la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle susceptible d’être induite par les pesticides.
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[15]
Lors des dix premières années de son fonctionnement à l’échelle nationale, le réseau de toxicovigilance a recueilli 1 909 signalements, dont 1 554 ont été validés comme conséquences d’une exposition aux pesticides et intégrés dans une base de données.
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[16]
Comme le précise le rapport d’expertise de l’INRA et du CEMAGREF (Aubertot et al., 2005, p. 9), il n’existe pas de données réellement fiables qui permettent d’établir le nombre d’agriculteurs exposés. Précisons cependant que, selon le recensement agricole, la France comptait, en 2010, 604 000 exploitations agricoles et que plus d’un million de personnes participaient à leurs activités.
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[17]
En 2010, la viticulture constituait l’activité principale de 80 % des exploitations héraultaises et représentait plus de 10 000 emplois à temps plein sur le département (données Agreste, 2011).
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[18]
La viticulture occupe 3 % de la surface agricole utile française et représente près de 20 % de la consommation des pesticides du pays, principalement des fongicides.
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[19]
Tous les noms et prénoms des personnes interrogées ont été modifiés.
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[20]
Profil caractérisé notamment par une période d’exposition s’étendant sur près de deux mois par an, contre quelques jours dans le cas de viticulteurs traitant eux-mêmes leur propre parcelle.
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[21]
Pour une analyse plus détaillée de cette méthode d’observation et de ses conditions sociales de possibilité, voir Dedieu et Jouzel (2015).
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[22]
Sur ce sujet, voir J. Munoz (2014).
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[23]
Lors des dernières élections des délégués de la MSA, en 2010, près de la moitié des délégués élus dans le collège « exploitants » étaient affiliés à la FNSEA.
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[24]
Lors de ces mêmes élections, la Confédération française démocratique du travail a recueilli 35 % des voix, devant la Confédération générale du travail (21 %) et la Confédération générale des cadres (19 %). Le taux d’abstention était de 71 % dans le collège « salariés » contre 55 % dans les collèges « exploitants » et « employeurs ».
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[25]
On observe plus généralement une évolution des messages de prévention de la MSA, qui mettent de plus en plus l’accent sur des modes d’organisation (relatifs au stockage des produits dans la « base phytosanitaire » ou à la définition d’aires dédiées à la préparation des bouillies et au nettoyage des produits), plutôt que sur le port d’EPI.
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[26]
Nous utilisons ici le terme déplacement dans un sens différent de celui employé par S. Rayner (2012). Ce dernier désigne les stratégies par lesquelles un objet ou une activité conçus pour informer le management en viennent à devenir l’objet même du management. Nous l’entendons quant à nous comme l’exercice rhétorique visant à interpréter la critique d’une activité professionnelle donnée dans un sens conforme à ses orientations ordinaires.
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[27]
Pour leur grande majorité, ces demandes d’étude complémentaire portent sur les résistances que développent les parasites face aux traitements chimiques (127). Les autres demandes d’étude concernent l’impact des pesticides sur la biodiversité (21).
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[28]
Selon les acteurs de l’ANSES interrogés, il y aurait un accroissement de 30 % des dossiers au cours des quatre dernières années.
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[29]
Entretien avec le directeur général de l’UIPP, organisme représentant les producteurs de pesticides, février 2012.
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[30]
Depuis plusieurs années, l’European Crop Protection Association, qui représente les producteurs de produits phytosanitaires au niveau européen, a mis en place une Safe use initiative consistant à faire des études d’exposition, principalement dans les pays d’Europe du Sud, afin d’aider à la conception d’équipements de protection individuels plus efficaces.
-
[31]
Six heures pour les traitements en extérieur, 24 heures pour les produits irritants, 48 heures pour les produits pouvant entraîner une sensibilisation de l’organisme par voie dermique ou respiratoire.
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[32]
Le rapport du CGAAER en témoigne. Il surinterprète le rôle du réseau de toxicovigilance dans l’interdiction de l’arsenite de soude et en tire une conclusion rassurante sur ce dernier : « En raison du caractère déclaratif et volontaire du dispositif, il est délicat d’en apprécier la représentativité. Il a cependant permis diverses mesures de prévention et de protection des usagers, dont le retrait du marché de l’arsenite de soude à la suite d’une étude d’exposition lancée à partir des données préoccupantes remontées par le réseau. » (CGAAER, 2011, p. 19).
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[33]
« Le dispositif nécessite à présent des clarifications et un renforcement notable pour répondre à l’enjeu de garantie sanitaire et environnementale élevée qui en est attendue. » (CGAAER, 2011, p. 5).
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[34]
La nouvelle loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt prévoit un suivi permanent de l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé. Le texte précise que l’ANSES a la charge de cette mission. Cependant, à l’heure où nous écrivons, aucun moyen spécifiquement dédié à cette mission n’existe au sein de l’Agence.
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[35]
Interview du directeur général de l’UIPP dans 20 minutes, 12 décembre 2011.
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[36]
Selon la définition qu’en donne le Trésor de la langue française informatisé « qui concerne, qui a pour objet l’interprétation des textes religieux ou philosophiques, en particulier des Écritures saintes ».
1 Comment a-t-on pu aussi longtemps méconnaître les effets sanitaires de produits notoirement toxiques, comme le tabac ou l’amiante ? Pourquoi la démonstration de la nocivité de ces produits a-t-elle pris autant de temps ? Ces questions alimentent aujourd’hui l’émergence d’un champ de recherche sur la production de l’ignorance dans le domaine de la santé publique. Héritières des travaux pionniers de Robert K. Merton (1987) sur les savoirs incomplets, de Mary Douglas (1995) sur la mémoire institutionnelle, ou encore de Niklas Luhmann (1998) sur l’écologie de l’ignorance, ces recherches s’efforcent de montrer que, contrairement à l’idée communément admise, l’ignorance ne peut être définie comme une simple absence de savoir (Heimer, 2012) ou un « vide originel » (Proctor, 2012) que l’accumulation de connaissances permettrait de combler. Elles envisagent à l’inverse l’ignorance comme le produit d’une construction sociale, d’effets de sélection par lesquels des acteurs individuels ou collectifs utilisent certains savoirs disponibles et en laissent d’autres de côté. Telle que nous l’entendons, l’ignorance recouvre donc des situations dans lesquelles des savoirs potentiellement disponibles pour l’action ne sont pas utilisés.
2 Pour une série de travaux s’inscrivant dans ce champ de recherche, l’ignorance est le produit de stratégies conscientes, portées par les acteurs ayant intérêt à ce que les risques liés à certains matériaux ou à certaines technologies demeurent méconnus. C’est ce qu’illustrent les travaux de Naomi Oreskes et Erik M. Conway (2010) sur les « marchands de doute » et de Robert N. Proctor (2012) sur les industriels du tabac : sous couvert d’une recherche de précision et d’une plus grande rigueur scientifique, l’industrie du tabac s’est attachée à maintenir le plus longtemps possible des controverses ouvertes sur la nocivité de la cigarette afin d’entretenir le doute. Depuis quelques années, un courant de recherche situé à l’intersection de la sociologie des sciences et de la science politique propose une lecture alternative des situations de méconnaissance des risques sanitaires et environnementaux, qui met au contraire l’accent sur les formes involontaires et systémiques de production d’ignorance. Ces travaux montrent que les organisations chargées d’évaluer et de contrôler les risques sont structurellement dépendantes de disciplines et d’instruments scientifiques orientant leur manière de voir – et de ne pas voir – les dangers qu’elles doivent prévenir. Les tests et les standards qu’utilisent ces organisations leur permettent de rendre mesurables, et, par conséquent contrôlables, ces dangers. Mais ils en réduisent en contrepartie la « complexité écologique » (Frickel et Vincent, 2007), en les ramenant à leurs dimensions les plus aisément quantifiables. Les autorités en charge de l’évaluation et de la gestion des risques sanitaires en viennent à en savoir « de plus en plus sur de moins en moins de choses » (Frickel et Edwards, 2014). Sur le temps long, ce tropisme du nombre tend à « institutionnaliser l’ignorance » (Kleinman et Suryanarayanan, 2013) en excluant de façon systématique des savoirs disponibles mais peu compatibles avec les routines sur lesquelles les pouvoirs publics s’appuient pour repérer et prévenir les risques sanitaires.
3 La littérature sur la production involontaire de l’ignorance constitue une piste stimulante pour comprendre les causes de la méconnaissance qui entoure certains risques. Toutefois, et de façon paradoxale, alors qu’elles se réfèrent souvent à l’ignorance comme au produit d’une « organisation » (Frickel et Edwards, 2014) qui sélectionne les savoirs disponibles, ces recherches ne tirent guère parti des apports de la sociologie des organisations. Il en résulte deux lacunes, dont la discussion constitue l’objet de cet article. En premier lieu, les travaux sur la production involontaire de l’ignorance semblent à leur tour ignorer la question de la réflexivité des acteurs qu’ils étudient, une dimension pourtant centrale dans les travaux classiques de sociologie des organisations (Friedberg, 1993) [1] et des institutions (Fligstein et McAdam, 2011) [2] à la suite des travaux d’Anthony Giddens sur la « dualité du structurel » (1984). En mettant l’accent sur les dynamiques d’appariement entre des formes de savoirs et les « cadres politiques » de la gestion du risque, ces approches font en effet peu de cas de la capacité des acteurs des organisations de prévention des risques à prendre un recul critique vis-à-vis des instruments qu’ils utilisent pour mener à bien leurs missions. Elles ont dès lors beau jeu d’imputer la construction de l’ignorance à des dynamiques « involontaires », puisque les acteurs qu’elles étudient semblent, précisément, dénués de volonté propre. Pourtant, il n’est pas difficile d’imaginer que les acteurs utilisant ces instruments, par exemple les tests in vivo de mesure de la toxicité des substances présentes dans l’environnement, sont conscients, au moins autant que les politistes et les sociologues pourrait-on dire, des dimensions oubliées de leur production scientifique et réglementaire. On est alors fondé à penser qu’ils peuvent mettre à profit cette capacité réflexive pour faire émerger des questions que l’instrumentation routinière de leur action tend structurellement à laisser dans l’ombre et, par conséquent, à initier des dynamiques de changement institutionnel. Se pose dès lors une seconde question complémentaire, également absente des travaux sur les formes involontaires d’ignorance organisée : comment les organisations réagissent-elles aux critiques et remises en question qu’implique inévitablement cette capacité réflexive lorsqu’elle révèle les zones d’ignorance que produisent leurs routines ? Tout un courant de recherche s’intéressant à la production du secret dans les organisations apporte des pistes de réponse. Les travaux de Diane Vaughan (1996) sur les secrets industriels montrent ainsi comment la spécialisation des tâches et la séparation géographique et sociale entre les agents de la NASA ont conduit à ignorer les signaux d’alerte précurseurs de l’accident de la navette spatiale Challenger en 1986. Plus récemment, dans une perspective wébérienne qui aborde le secret comme une caractéristique inhérente des bureaucraties, des travaux montrent comment les structures des bureaucraties gouvernementales maintiennent des secrets bien gardés indépendamment de la connaissance que peuvent en avoir leurs membres (Maret et Goldman, 2009).
4 À la suite de ces réflexions, nous souhaitons explorer ici un mécanisme de production d’ignorance peu étudié, en nous intéressant à la manière dont l’organisation fournit à ses acteurs les ressources pour légitimer et perpétuer l’ignorance, et pour continuer à ne pas tenir compte des surprises qu’ils peuvent rencontrer. Pour cela, cet article étudie le cas des politiques de prévention des maladies professionnelles liées aux pesticides agricoles. La France fait partie des principaux utilisateurs mondiaux de produits phytopharmaceutiques permettant de protéger les récoltes et d’améliorer leurs rendements [3]. La main-d’œuvre agricole est largement exposée à ces produits, par définition toxiques pour les organismes vivants. Pourtant, leurs effets pathogènes sur les travailleurs demeurent obstinément invisibles. Si, depuis une décennie environ, quelques dizaines de maladies professionnelles ont été reconnues en lien avec une exposition aux pesticides par le régime agricole de la Sécurité sociale, ces chiffres paraissent très faibles au regard des données disponibles (Jouzel et Prete, 2013). En France, les premières enquêtes épidémiologiques sur cette question n’ont vu le jour qu’à partir de la fin des années 1990, et leurs résultats restent parcellaires [4]. Pourtant, celles qui ont porté sur cette question dans des pays étrangers mettent en évidence un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et certaines maladies neurodégénératives (notamment la maladie de Parkinson) ainsi que certains cancers (du sang et de la vessie). Ces données, obtenues dans des contextes qui diffèrent de la France en termes de populations concernées ou de pratiques culturales, sont difficilement extrapolables, mais elles suggèrent une situation de sous-reconnaissance massive des maladies professionnelles liées aux pesticides dans notre pays.
5 Dans un article antérieur (Jouzel et Dedieu, 2013), nous avons pu montrer que cette méconnaissance était pour partie le fruit de dynamiques involontaires de production d’ignorance au sein des organisations en charge de la protection de la santé au travail des exploitants et salariés agricoles, au premier rang desquelles le ministère de l’Agriculture et le régime agricole de la Sécurité sociale. Les instruments que ces institutions utilisent pour rendre visibles et prévenir les intoxications professionnelles liées aux pesticides les rendent en effet structurellement aveugles aux conséquences pathogènes de nombreuses formes d’exposition des travailleurs à ces produits. Dans cet article, nous souhaitons aller plus loin en montrant que ces acteurs conservent une capacité à repérer les limites de ces instruments. Pour rendre compte de cette capacité, nous retracerons l’histoire d’une enquête conduite au début des années 2000 par un ensemble d’acteurs de la prévention des maladies professionnelles agricoles pour rendre visibles des intoxications liées à l’utilisation en viticulture d’un produit phytosanitaire cancérigène, l’arsenite de soude. Les résultats de leurs observations révélaient les lacunes des modalités ordinaires d’identification et de contrôle des intoxications des travailleurs exposés aux pesticides. Pourtant, une décennie plus tard, ces modalités n’ont pas changé, et les connaissances issues de l’enquête sur l’arsenite de soude demeurent obstinément ignorées par les organisations de prévention des risques professionnels en agriculture. Ce cas témoigne donc de la capacité du dispositif officiel de gestion des risques professionnels en agriculture à produire des savoirs révélant les limites de son propre mode de fonctionnement, mais, en même temps, à continuer de les ignorer.
6 Pour rendre compte d’un tel processus, nous nous appuyons sur les résultats d’une enquête qualitative consistant en une centaine d’entretiens semi-directifs approfondis (de une heure trente à quatre heures) avec l’ensemble des acteurs des controverses en cours sur la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides, dans le cadre d’un programme de recherche collective conduit par les auteurs avec Giovanni Prete [5]. Cet article repose plus spécifiquement sur une série d’entretiens menés par les auteurs avec la plupart des acteurs ayant participé, à un moment ou à un autre, au processus scientifique, politique et administratif qui a conduit à l’interdiction de l’arsenite de soude. À cela s’ajoute un travail d’exploitation documentaire (articles scientifiques, documents de la Mutualité sociale agricole, etc.) qui nous a permis de comprendre la manière dont l’arsenic et ses dérivés ont été utilisés en viticulture [6]. Nous procèderons en trois temps : nous montrerons d’abord comment les instruments et les principes du dispositif d’évaluation et de gestion des risques professionnels en agriculture obstruent les connaissances relatives aux maladies des agriculteurs exposés aux pesticides. Ensuite, la description de l’enquête sur les expositions à l’arsenite de soude nous permettra de mettre en évidence la capacité réflexive et critique des acteurs de ce dispositif vis-à-vis des instruments et des principes sur lesquels repose le contrôle des expositions aux pesticides. Enfin, nous montrerons comment les règles, la division du travail et les instruments du dispositif de gestion des risques encouragent la mise à l’écart de ces critiques. Nous conclurons en démontrant que l’ignorance est « organisée » dans la mesure où elle est profondément inscrite dans les structures du dispositif de gestion des risques qui constituent autant de moyens de domestiquer le sens critique de ses membres.
Les intoxications invisibles
7 L’existence de maladies affectant spécifiquement les travailleurs exposés aux pesticides est un enjeu controversé, caractérisé par une forte incertitude scientifique. Parmi les substances actives autorisées à des fins de phytoprotection, des dizaines de molécules cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) ont été mises sur le marché. Si les plus nocives d’entre elles sont aujourd’hui retirées, rien n’exclut qu’elles provoquent des maladies chroniques, en raison de périodes de latence parfois longues de plusieurs décennies. De plus, nombre de molécules « préoccupantes pour l’homme en raison d’effets CMR possibles » restent commercialisées. Toutefois, les agriculteurs sont supposés être protégés des intoxications par un arsenal de mesures et de normes qui s’est progressivement renforcé depuis plus d’un demi-siècle. Nous allons montrer ici que les règles, les principes et les instruments du dispositif officiel de contrôle des risques professionnels induits par les pesticides, tant à son niveau national que local, entretiennent la méconnaissance des effets de ces produits sur le corps des travailleurs de l’agriculture.
8 Même s’il n’a pas d’existence juridique à proprement parler, on peut identifier un dispositif organisationnel de gestion et de prévention des risques professionnels liés à l’exposition des travailleurs agricoles aux pesticides. Il prend la forme d’un ensemble hétérogène d’organisations et d’instruments, apparus au fil d’un temps relativement long, de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1990. Il se compose essentiellement de la MSA, organisme en charge du régime agricole de la Sécurité sociale, du ministère de l’Agriculture, et d’une commission en charge de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux liés aux pesticides, appartenant aujourd’hui à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), après avoir longtemps été placée sous l’autorité du ministère de l’Agriculture. La gouvernance des risques chimiques et professionnels en agriculture repose sur trois piliers règlementaires et fonctionnels : le calcul a priori des effets toxiques sur la santé des travailleurs et d’un seuil « acceptable » d’exposition, la recommandation de règles d’usage permettant aux travailleurs de ne pas dépasser ce seuil et un suivi « post-homologation » des intoxications alimentant la réflexion sur les conditions d’usage des produits phytosanitaires. Ces principes relèvent d’une politique d’« usage contrôlé » [7] (Décosse, 2013) des pesticides : si ceux-ci sont reconnus comme de potentielles menaces pour les travailleurs, leurs dangers sont envisagés comme des risques gérables par les utilisateurs au moyen de valeurs-seuils et d’équipements de protection. C’est dans ce postulat, et dans son instrumentation scientifique, que réside une source de production d’ignorance sur les liens entre pesticides et santé des travailleurs.
Les pesticides aux champs : des toxiques professionnels sous contrôle mais méconnus
9 Les pesticides font l’objet d’une autorisation préalable de mise sur le marché (AMM), dont l’enjeu est de garantir que les produits commercialisés sont efficaces et qu’ils ne sont pas dangereux pour la santé humaine et l’environnement. L’évaluation des risques des substances actives est réalisée au niveau de l’Union européenne, selon des critères progressivement harmonisés par la directive 91/414/CEE adoptée en 1991, puis par le règlement 1107/2009 adopté en 2009. Elle est aujourd’hui confiée à l’European Food Safety Authority (EFSA). Les risques inhérents aux préparations commerciales dans lesquelles entrent ces substances demeurent quant à eux évalués par les États membres, qui décident de leur autorisation éventuelle. En France, le ministère de l’Agriculture a effectué à la fois les missions d’évaluation et de gestion des risques jusqu’en 2005. Depuis cette date, l’évaluation des risques n’est plus assurée par une commission interne au ministère, mais par une administration indépendante, qui est aujourd’hui l’ANSES. Celle-ci produit un avis relatif à la dangerosité des pesticides, sur lequel le ministère s’appuie pour décider d’une éventuelle AMM [8]. Tous les dix ans, les produits phytopharmaceutiques doivent de plus faire l’objet d’un renouvellement de leur homologation. Aux niveaux communautaire et national, ces procédures d’évaluation des risques comportent un volet d’hygiène industrielle, dont l’objectif est de définir les conditions dans lesquelles l’usage professionnel de la substance évaluée ne présente pas de danger pour l’opérateur effectuant les traitements. Il repose classiquement sur une évaluation du danger et une évaluation de l’exposition [9], qui permettent théoriquement de connaître les risques professionnels induits par les pesticides et de les contrôler de manière efficace.
10 Si les connaissances produites lors de cette évaluation de risques permettent d’identifier et de mesurer les effets indésirables des pesticides sur les populations de travailleurs exposés, elles n’en restent pas moins limitées en raison de leur caractère a priori. Les modèles utilisés pour mesurer les dangers des pesticides et les expositions des travailleurs sont, par construction, des simplifications qui ne rendent qu’imparfaitement compte des interactions entre ces substances et le corps des agriculteurs. Les limites des instruments de mesure des dangers utilisés dans le contexte de cette évaluation ont déjà été pointées (Nash, 2004 ; Jouzel et Dedieu, 2013). Reposant essentiellement sur des tests de toxicité in vivo réalisés sur des animaux de laboratoire, la mesure des dangers est d’abord adaptée à l’identification des effets aigus et subaigus d’expositions ponctuelles à des doses relativement élevées d’un pesticide isolé. Elle est en revanche peu pertinente pour repérer les effets chroniques d’expositions, répétées sur un temps long, à de faibles doses de multiples substances phytosanitaires telles que celles qui peuvent survenir lors des travaux effectués de manière routinière dans les champs traités (irrigation, taille, récolte, etc.). Le calcul de la dose « acceptable » [10] d’exposition des travailleurs vise principalement à éviter la survenue d’effets indésirables lors de la manipulation du produit ou lors de la « réentrée » dans les champs traités, et laisse largement dans l’ombre les effets d’expositions plus diffuses.
11 Les limites de la mesure des expositions des travailleurs dans le cadre de l’évaluation a priori des risques liés aux pesticides ont en revanche fait l’objet de moins d’attention. Cette mesure repose essentiellement sur des modèles [11] alimentés par des données issues d’études en champ produites, pour la plupart, par les industriels. Ces données ne couvrant pas, loin s’en faut, toutes les situations d’exposition, elles sont extrapolées pour l’ensemble des cultures concernées par le produit soumis à autorisation. De plus, les modèles quantifient, sous forme de coefficients, la protection assurée par les divers équipements existants (gants, masque, combinaison). Ils utilisent à cette fin des hypothèses relatives aux voies de pénétration des produits dans les organismes des travailleurs exposés. En pratique, ils retiennent principalement la voie dermale, et secondairement la voie pulmonaire. Ils ne tiennent en revanche pas compte de la pénétration digestive des produits, conçue comme relevant de la volonté délibérée (comme dans le cas des tentatives de suicide avec des pesticides) ou de la négligence caractérisée des travailleurs (par exemple lorsqu’ils fument ou s’alimentent sur le lieu où ils effectuent les traitements). Sur la base de ces modèles, l’industriel désireux d’obtenir l’homologation doit montrer que, dans des conditions d’utilisation normales, et, au besoin, au moyen d’équipements de protection, la dose à laquelle les travailleurs sont exposés est inférieure à la dose acceptable. Il revient à la Commission d’évaluation des risques de valider ces calculs et au ministère de l’Agriculture [12] d’approuver ou non la mise sur le marché des pesticides. Ces modèles conduisent à placer les équipements de protection individuels (EPI) au cœur de la prévention des intoxications professionnelles aux pesticides. Ce choix paraît problématique au regard d’une série de travaux récents en ergonomie et en épidémiologie (Garrigou, Baldi et Dubuc, 2008 ; Baldi et al., 2012), qui soulignent l’inefficacité relative de certains EPI préconisés sur l’étiquette des produits homologués. L’évaluation a priori des risques professionnels liés aux pesticides est quant à elle peu propice à la prise en compte de ces données ergonomiques de terrain. Elle reste aujourd’hui centrée sur la définition des doses acceptables d’exposition et sur la préconisation des règles d’usage – notamment en matière de port d’EPI – permettant d’éviter le dépassement de ces doses.
Des corps intoxiqués qui se dérobent au regard des institutions de prévention
12 Ce cadrage des intoxications professionnelles liées aux pesticides comme enjeu sanitaire contrôlable au moyen de valeurs-limites d’exposition, de recommandations d’usage et d’équipements de protection influe sur l’action de terrain des agents locaux des politiques de santé au travail en milieu agricole, en aval de l’homologation des produits. Ces agents appartiennent pour la plupart à un organisme central pour notre propos : la Mutualité sociale agricole (MSA). Cet organisme privé, gouverné paritairement par les représentants élus des employeurs, des exploitants et des salariés agricoles, a reçu délégation de la gestion du régime agricole de la Sécurité sociale, instauré en 1952. Il assure par conséquent une mission à la fois de prévention et de réparation des maladies professionnelles agricoles [13]. Sa mission de prévention incombe aux « services de santé au travail », composés de médecins du travail agricole et de conseillers en prévention. Les 280 conseillers en prévention de la MSA effectuent depuis 1973 des missions d’évaluation des risques professionnels dans les exploitations qui en font la demande et organisent des formations à destination des travailleurs agricoles. Les 380 médecins du travail agricole assurent, quant à eux et depuis 1966, la surveillance médicale des travailleurs et le dépistage des maladies professionnelles notamment grâce aux visites médicales – obligatoires pour les salariés agricoles. Ils consacrent de plus un tiers de leur temps à des missions de prévention en milieu de travail. La mission de réparation de la MSA est quant à elle confiée à environ 200 médecins-conseils, qui instruisent les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle des travailleurs agricoles dont peuvent bénéficier les salariés depuis 1955 et les exploitants depuis 2002. L’ensemble de ces acteurs évolue au sein des Caisses locales de la MSA qui couvrent le territoire français métropolitain.
13 Jusqu’à une date relativement récente, ces acteurs n’ont pour la plupart prêté qu’une attention assez marginale aux enjeux de santé au travail liés aux pesticides (Jas, 2010). Sur le plan de la réparation, la MSA n’a pratiquement reconnu aucune maladie professionnelle en lien avec les pesticides jusqu’à la fin des années 1990. Seuls quelques rares tableaux de maladies professionnelles du régime agricole, fixés par un décret du ministère de l’Agriculture, mentionnaient de telles maladies, pour la plupart bénignes et n’ouvrant pas droit à des montants compensatoires significatifs [14]. Sur le plan de la prévention, l’existence d’une procédure d’homologation en amont de la mise sur le marché a longtemps constitué, aux yeux de la MSA, la garantie d’une protection efficace pour les travailleurs exposés aux pesticides.
14 À partir des années 1980, la MSA a cependant commencé à inscrire la question des intoxications professionnelles liées aux pesticides à son agenda. En 1991, elle a ainsi mis en place un réseau de toxicovigilance, qui couvre l’ensemble du territoire métropolitain depuis 1997. Ce réseau associe les médecins du travail et les conseillers en prévention de la MSA, chargés de faire remonter les signalements d’intoxication que leur font parvenir les agriculteurs, et des toxicologues qui se prononcent sur l’imputabilité de la pathologie au produit utilisé. Les signalements déclenchent la visite d’un médecin du travail agricole et/ou d’un conseiller en prévention auprès de l’exploitant ou du salarié concerné. L’objet de ces visites est de comprendre les causes de l’intoxication, et elles peuvent éventuellement être aussi l’occasion de constater les limites des préconisations découlant de l’homologation du produit incriminé. Ce réseau constitue aujourd’hui le seul dispositif de suivi post-homologation régulier des risques professionnels liés aux pesticides. Une de ses fonctions est d’alimenter la réflexion conduite au sein de la commission en charge de l’évaluation a priori des risques dans le cadre de l’homologation des produits, sur la base de retours « de terrain ».
15 Pour autant, le réseau ne saisit qu’un très faible nombre de cas d’intoxication : en moyenne, 200 signalements sont effectués chaque année [15], un chiffre faible au regard des surfaces traitées, du nombre d’agriculteurs exposés [16], ainsi que des données d’enquête par questionnaire de la MSA, qui font état d’un travailleur agricole sur cinq ressentant chaque année des troubles physiques liés à l’utilisation de produits phytosanitaires (Dupupet et al., 2007). Les causes de cette sous-déclaration sont multiples. Elles sont pour partie liées aux attitudes de « déni » et de « défi » (Nicourt et Girault, 2009) qu’entretiennent les agriculteurs vis-à-vis d’intoxications qui leur paraissent inévitables compte tenu des contraintes techniques et économiques pesant sur leurs activités. Elles sont également liées à l’instrumentation du réseau de toxicovigilance. Ce dernier est structurellement dépendant des savoirs produits lors de l’évaluation des risques pour appréhender les causes des intoxications. Pour les toxicologues du réseau, comme pour les médecins du travail et les conseillers en prévention de la MSA, les intoxications professionnelles résultent a priori du dépassement ponctuel de la dose acceptable d’exposition, généralement imputable à des erreurs de l’utilisateur, à de mauvaises pratiques qui s’éloignent des préconisations portées à sa connaissance sur l’étiquette : absence de port des EPI recommandés, mauvaise hygiène, traitement par vent trop fort, utilisation de quantités trop importantes, etc. Dans ces conditions, les agriculteurs ressentant des troubles physiques lors de l’utilisation de produits phytosanitaires sont spontanément peu enclins à les signaler aux autorités médicales compétentes, par crainte de recevoir une sanction symbolique, sous la forme d’un blâme, de la part des agents de prévention de la MSA (Jouzel et Dedieu, 2013).
16 Aux niveaux central et local, l’organisation de la prévention des risques professionnels liés à l’utilisation de produits phytosanitaires en agriculture produit donc une méconnaissance des effets de ces produits sur le corps des travailleurs exposés. Cette méconnaissance semble ici de nature systémique, liée à la dépendance de cette organisation vis-à-vis de formes de connaissance qui construisent l’intoxication comme le résultat d’expositions ponctuelles à de hautes doses de produits isolés, et donc comme la conséquence d’accidents survenant en cours de traitement. Elle semble irréductible à la possible « mauvaise volonté » des acteurs de cette organisation. Qu’ils le veuillent ou non, ces derniers sont contraints par leurs instruments à ignorer la réalité des intoxications professionnelles liées aux pesticides. Ces acteurs ne restent pas pour autant passifs et disposent de marges d’autonomie importantes au sein de leur organisation. Ces marges leur assurent une capacité à percevoir les limites des instruments sur lesquels l’institution s’appuie pour contrôler les intoxications des travailleurs exposés aux pesticides, et à proposer des formes de correction pour les rendre plus performants. C’est du moins ce que suggère l’histoire de l’enquête conduite voici un peu plus de dix ans par la Caisse de la MSA de l’Hérault, qui a permis d’identifier des formes d’intoxication inattendues des travailleurs viticoles exposés à l’arsenite de soude.
Sur la piste de l’arsenite de soude : la production officielle d’un savoir inconfortable
17 La MSA constitue une organisation décentralisée, formée par un réseau de Caisses locales dont la Caisse centrale est la tête. Si cette dernière peut impulser des politiques de prévention à destination des agriculteurs, celles-ci restent largement définies au niveau des Caisses locales. Ce haut degré d’autonomie est justifié par la nécessité d’agir au plus près du terrain et de tenir compte des spécificités locales des modes de production agricole pour mener à bien une prévention efficace. Il caractérise également l’action des agents de prévention au sein des Caisses : les médecins du travail agricole comme les conseillers en prévention ont d’importantes marges de manœuvre pour définir leurs propres priorités en matière de prévention des risques professionnels. Certaines de ces initiatives locales ont notamment porté sur les intoxications professionnelles liées aux pesticides avant même que la Caisse centrale ne l’inscrive à son agenda institutionnel. C’est le cas dans l’Hérault, où une série d’initiatives individuelles d’agents de prévention ont posé les bases d’une authentique volonté de savoir comment les travailleurs agricoles étaient exposés aux pesticides. L’histoire de l’enquête sur l’arsenite de soude témoigne de la capacité des membres du dispositif de prévention des risques professionnels en agriculture à faire preuve de réflexivité vis-à-vis des limites des instruments d’évaluation du risque, en enquêtant sur les conditions réelles de travail et d’exposition des viticulteurs. Ces observations aboutissent à une série de conclusions « inconfortables » sur le mode d’évaluation officiel des expositions professionnelles aux pesticides parce qu’elles révèlent d’importants écarts entre l’évaluation a priori des risques et la réalité des expositions.
Enquêter sur des intoxications inexpliquées
18 La viticulture, principale activité agricole de l’Hérault [17], constitue le secteur le plus fortement consommateur de produits phytosanitaires [18]. Certains de ces pesticides sont particulièrement dangereux pour l’homme. Tel est notamment le cas de l’arsenite de soude, fongicide utilisé pour lutter contre l’esca, une maladie qui attaque le bois des vignes. Alors que l’ensemble des pesticides arsenicaux ont été interdits par le ministère de l’Agriculture en 1971, en raison de leur trop grande toxicité humaine, une exception fut faite pour l’arsenite de soude dont l’usage continua d’être autorisé en viticulture, en l’absence de produit de substitution. Au sein des institutions de prévention des risques professionnels en agriculture, l’idée prévalait alors que l’exposition des travailleurs à l’arsenite de soude était trop modérée pour entraîner des effets indésirables. Une enquête par prélèvements biométrologiques de la MSA, conduite en 1982 dans le vignoble bordelais, étaya cette hypothèse en mettant en évidence une contamination limitée : les traitements contre l’esca n’ayant lieu qu’en période hivernale et durant quelques jours, les durées d’exposition étaient considérées comme trop brèves pour que l’arsenite de soude puisse s’accumuler dans le corps. Le classement de l’arsenite de soude comme cancérigène avéré par le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) en 1987 n’a pas remis pas en cause cette option de gestion du risque.
19 Pourtant, à la fin des années 1990, un médecin du travail agricole héraultais du secteur de Béziers, Gilles Bernard [19], s’inquiète de ce qu’il perçoit comme une recrudescence d’intoxications de travailleurs viticoles en lien avec les traitements à l’arsenite de soude. Il capte une partie de ces signaux d’intoxications dans l’exercice de ses fonctions, lors de visites médicales rendues à des salariés agricoles, qui lui signalent à cette occasion des symptômes préoccupants : troubles digestifs, démangeaisons, paresthésies de courte durée, etc. Mais la plus grande partie de ces signalements lui parvient en dehors de son activité professionnelle. Étant lui-même viticulteur, ce médecin est en contact régulier avec des salariés et exploitants agricoles qui lui font part d’intoxications dont sont victimes des travailleurs n’osant pas signaler leur cas aux autorités de prévention. Les témoignages convergent : les viticulteurs déclarent que leurs troubles interviennent après l’utilisation de l’arsenite de soude. La proximité sociale du médecin avec le milieu viticole local lui permet de contourner la réticence des travailleurs agricoles à verbaliser les maux pouvant être associés aux expositions chimiques. Le médecin note, de plus, que plusieurs de ces signalements concernent des salariés d’entreprises spécialisées dans les traitements phytosanitaires. Au cours des années 1980 et 1990, le recours à cette main-d’œuvre s’est accru pour effectuer les traitements, en raison des mutations économiques du vignoble héraultais. Le nombre d’exploitations s’étant réduit, la taille moyenne des parcelles a considérablement augmenté, ce qui permet aux exploitants de réaliser des économies d’échelle en externalisant les traitements. Il en résulte l’apparition d’un nouveau profil d’exposition professionnelle à l’arsenite de soude [20], non pris en compte au moment du maintien de ce produit sur le marché en 1971, puis de l’enquête de la MSA dans le vignoble bordelais en 1982.
20 En 1999, Gilles Bernard décide de mettre en place une enquête sur les intoxications des viticulteurs exposés à l’arsenite de soude. À cette fin, il sollicite et obtient l’appui de la Caisse centrale de la MSA, qui lui envoie une interne en thèse de médecine afin de réaliser une campagne de prélèvement d’échantillons d’urine des travailleurs exposés. L’enquête porte sur quatre groupes d’une quinzaine d’individus, caractérisés par des profils d’exposition propres : des salariés d’entreprises spécialisées exposés pendant plusieurs semaines ; des travailleurs – exploitants ou salariés – effectuant ponctuellement les traitements sur leurs propres parcelles ; des travailleurs effectuant des tâches dans les vignes dans les deux semaines qui suivent le traitement ; et une population témoin, a priori non exposée mais résidant à proximité de la population enquêtée. Les données des prélèvements mettent en évidence l’existence de contaminations importantes chez les travailleurs des deux premiers groupes (Grillet et al., 2004). Ces résultats constituent une alerte : ils indiquent la présence d’un produit cancérigène dans l’organisme des travailleurs agricoles, et notamment des salariés spécialisés exposés sur des durées longues à l’arsenite de soude. Le réseau de toxicovigilance de la MSA fournit un signal faible mais concordant, puisqu’il a reçu une quinzaine de signalements d’intoxications à l’arsenite de soude lors de ses deux premières années de fonctionnement à l’échelle nationale, en 1997 et 1998. Cette alerte se double d’une énigme : les salariés spécialisés sont a priori considérés comme mieux protégés vis-à-vis des dangers des pesticides. Ils sont formés et disposent d’équipements de protection individuels et de tracteurs censés garantir leur protection. Les résultats de cette première enquête suggèrent donc que le respect des « bonnes pratiques agricoles » recommandées lors de l’homologation ne constitue pas une protection efficace.
21 Pour comprendre ce mystère, Gilles Bernard se met en quête d’une méthode d’observation lui permettant de comprendre comment les travailleurs viticoles s’intoxiquent lorsqu’ils utilisent l’arsenite de soude. Il se rapproche à cette fin de Jules Vernon, responsable du service de prévention de la Caisse de la MSA de l’Hérault. Ce dernier, ergonome de formation, s’intéresse depuis plusieurs années à la problématique des intoxications phytosanitaires. Il a créé à la fin des années 1990 un outil d’« autodiagnostic phyto » à destination des agriculteurs, censé leur permettre de prendre conscience des sources d’intoxication dans le cours de leurs activités de traitement. Ensemble, le médecin et le préventeur conçoivent un instrument d’observation des contaminations par l’arsenite de soude, qui prend la forme d’un séquençage permettant de noter, au fil de la journée de travail, chaque geste susceptible d’induire un contact de l’organisme avec le produit [21]. La Caisse centrale de la MSA les aide à recruter des agents dans des Caisses locales couvrant dix départements viticoles (Aude, Charente, Gard, Hérault, Indre-et-Loire, Lot, Maine-et-Loire, Pyrénées-Orientales, Rhône et Tarn), qui réalisent l’observation de 35 travailleurs tout au long des journées consacrées au traitement contre l’esca, et prélèvent leur urine pour repérer d’éventuelles contaminations par l’arsenite ainsi que les circonstances dans lesquelles elles surviennent. Les résultats de cette étude font l’objet d’un mémoire pour l’obtention du diplôme de médecine agricole en 2001 (Durand, 2001).
22 Le volet biométrologique de cette nouvelle enquête démontre encore une fois la corrélation évidente entre niveau d’exposition et niveau de contamination observé dans les urines. Le volet ergonomique de l’enquête permet quant à lui de comprendre les circonstances des contaminations, et propose trois conclusions surprenantes. Premièrement, les zones les plus propices aux contaminations ne sont pas celles où les travailleurs sont en contact direct avec le produit (préparation de la bouillie, intervention sur le matériel de traitement en cours d’épandage, etc.), mais celles dites « mixtes », où ils passent d’une zone « souillée » (par exemple le matériel automoteur de pulvérisation) à une zone « propre » (par exemple la cabine du tracteur en début de traitement). Ces transitions dans l’activité favorisent la survenue d’incidents en chaîne : par exemple, après avoir préparé la bouillie phytosanitaire, le travailleur retire ses gants couverts de produit et, ce faisant, souille ses mains, ses équipements de protection et son matériel de travail (tracteur, pulvérisateur, etc.). Deuxièmement, l’existence de multiples souillures entraîne d’inévitables contacts entre les mains maculées et la bouche, soit lors de pauses non précédées d’un lavage de mains (pour l’alimentation ou la consommation tabagique), soit à la faveur de gestes inconscients dans le cours normal de l’activité. Enfin, dernière conclusion découlant des précédentes, les salariés s’intoxiquent alors même qu’ils respectent les consignes d’usage et portent leurs équipements de protection individuels. Même les travailleurs les mieux formés et protégés, salariés d’entreprises spécialisées, ne peuvent éviter les contaminations.
La production officielle des savoirs inconfortables
23 La démarche innovante, mise en place lors de l’enquête sur l’arsenite, produit un ensemble de données « gênantes » (Heimer, 2012), dont la prise en compte est problématique parce qu’elle est source de désorganisation sociale. À la suite de Steve Rayner (2012), il est possible de décrire ces données comme des « savoirs inconfortables » pour les institutions qui les produisent ou en sont destinataires. Ces savoirs fragilisent les « solutions précaires » (clumsy solutions) que les institutions apportent aux « problèmes pernicieux » (wicked problems). Le cas du contrôle des intoxications professionnelles aux pesticides invite à élargir cette définition. Ce contrôle relève en effet d’arrangements qui, loin d’être précaires, sont au contraire fortement routinisés. Fruit d’une longue histoire institutionnelle, ce mode de contrôle paraît efficace aux yeux des acteurs qui en ont la charge, mais les règles et les accords institutionnels bien établis, dont la légitimité semblait a priori peu contestable, sont remis en cause par les savoirs inconfortables que génère l’enquête sur l’arsenite. Les faits résultant de l’enquête mettent ainsi en évidence trois limites aux modes usuels de prévention et d’évaluation des risques liés à l’exposition des travailleurs agricoles aux produits phytosanitaires. Ils soulignent d’abord l’erreur consistant à ne pas tenir compte de la voie de pénétration digestive pour évaluer les risques des pesticides pour les travailleurs. En objectivant l’existence de contaminations d’autant plus préoccupantes qu’elles concernent une substance cancérigène, l’enquête interroge plus généralement la qualité de l’évaluation a priori des risques professionnels liés aux pesticides, et suggère que des substances paraissant sous contrôle du point de vue des pouvoirs publics peuvent fort bien ne pas l’être. En rendant visible l’écart entre les modèles d’évaluation des risques, d’une part, et la réalité des intoxications des travailleurs agricoles, de l’autre, elle atteste de la nécessité d’un contrôle post-homologation plus rigoureux. Enfin, elle montre combien la confiance accordée par les institutions de prévention aux équipements de protection individuels relève d’une forme d’illusion. En somme, l’enquête, voulue et financée par la MSA, montre la capacité de l’institution à prendre ses distances avec les instruments sur lesquels elle s’appuie ordinairement pour mener à bien sa mission de prévention.
24 Le caractère inconfortable de ces résultats permet à l’enquête de se frayer un chemin rapide jusqu’au niveau central de l’organisation de la prévention des risques professionnels en milieu agricole. Avant même la publication définitive des résultats, la Commission en charge de l’évaluation des risques des produits phytosanitaires au sein du ministère de l’Agriculture envisage l’interdiction de l’arsenite de soude et la suppression des stocks existants. Le ministère de l’Agriculture suit cet avis par un arrêté du 8 novembre 2001. Compte tenu de l’absence de substituts aux produits arsenicaux pour lutter contre l’esca, la réactivité des autorités peut surprendre. Cependant, la Commission d’évaluation des risques et le ministère n’avaient guère le choix, du fait du caractère certain de la cancérogénicité de l’arsenite de soude. Un maintien de l’AMM ou de l’autorisation d’usage de ce produit aurait été d’autant moins tenable que la Commission d’évaluation des risques s’est aperçue, lors de la restitution des résultats de l’enquête sur l’arsenite de soude, qu’elle en avait sous-estimé les effets cancérigènes depuis près de quinze ans : alors que ces effets étaient, pour le moins, « avérés » depuis 1987, l’étiquetage des produits contenant cette molécule n’indiquait que des « effets cancérigènes suspectés ». La rapidité avec laquelle cette molécule a été interdite tient également au fait que les industriels avaient de toute façon renoncé à solliciter une reconduction de son homologation, dont l’échéance arrivait en 2002 : l’intérêt commercial de ce produit réservé à la « niche » viticole leur semblait trop faible pour investir dans un dossier de ré-homologation qui avait de fortes chances de ne pas « passer », compte tenu du durcissement des conditions de mise sur le marché des produits phytosanitaires.
La domestication organisationnelle des savoirs inconfortables : comment continuer à ignorer lorsque l’on sait ?
25 Les leçons tirées de l’enquête de la MSA ne s’arrêtent pas à l’interdiction de l’arsenite de soude. Les organisations en charge du contrôle des pesticides ont cherché à s’appuyer sur cette enquête pour ouvrir une réflexion sur l’amélioration des instruments d’évaluation et de gestion des risques professionnels induits par ces produits. Un groupe de travail fut notamment créé à cet effet au sein de la Commission en charge de l’évaluation des risques liés aux produits phytosanitaires. Pourtant, plus de dix ans après leur mise en place, ces initiatives n’ont pas eu de conséquences notables. Les modèles d’évaluation des risques professionnels liés aux pesticides reposent toujours sur l’hypothèse que la voie digestive de pénétration n’est pas pertinente, et qu’un usage contrôlé des pesticides par les agriculteurs est possible. Le suivi post-homologation des expositions professionnelles n’a quant à lui guère évolué. Cette absence de changement ne résulte ni d’un oubli dans lequel seraient tombés l’enquête sur l’arsenite et ses résultats, ni même d’une volonté d’étouffer ces savoirs inconfortables. Même conscients de la portée critique des données de l’enquête, les acteurs de la prévention des intoxications professionnelles liées aux pesticides sont parvenus à en diminuer le caractère inconfortable pour eux-mêmes et pour leurs organisations d’appartenance. Ce processus de domestication des savoirs inconfortables est le produit de l’architecture réglementaire et organisationnelle du dispositif de gestion et de prévention des risques professionnels en agriculture. La spécialisation des tâches, les règles, les outils et les professions qui composent ce dispositif interorganisationnel fournissent autant de ressources et de bonnes raisons aux acteurs pour écarter ces savoirs inconfortables. Trois mécanismes composent ce processus de domestication des savoirs inconfortables : la fragilisation de la perspective de recherche interdisciplinaire, qui a rendu l’enquête possible, le déplacement de ses conclusions inconfortables, qui autorise leur traduction dans des termes compatibles avec les grandes orientations de la prévention et de la gestion des risques liés aux pesticides, et le morcellement de la responsabilité du suivi post-homologation des intoxications professionnelles, qui entretient l’illusion d’une surveillance efficace des effets pathogènes des pesticides sur la santé des travailleurs.
Fragilisation : l’impossible reproduction d’une enquête interdisciplinaire
26 L’histoire de l’enquête sur l’arsenite de soude montre que le croisement des perspectives disciplinaires et des façons d’observer les intoxications professionnelles induites par les pesticides rend visible ce qui ne l’est pas lorsqu’une seule perspective domine. Pourtant, cette démarche interdisciplinaire inédite et fructueuse n’a été renouvelée qu’une fois par la MSA, sous la forme d’une enquête réalisée en 2002 et 2003 sur l’exposition des viticulteurs à un ensemble de fongicides dénommés les dithiocarbamates. Celle-ci portait sur 56 sujets, observés à l’aide de l’outil conçu lors de l’enquête sur l’arsenite de soude. Elle a permis de démontrer un effet protecteur du port du masque, et l’absence d’efficacité du port de gants. Toutefois, ces résultats ne constituaient en rien une validation des données de l’enquête sur l’arsenite de soude : ce composant étant liquide alors que les dithiocarbamates sont commercialisés à l’état de poudre, les formes d’exposition observées lors des deux enquêtes demeuraient difficilement comparables. Faute de reproduction de ce protocole d’observation et de mesure des expositions sur des pesticides dont le conditionnement et les modes de pulvérisation sont comparables à ceux de l’arsenite de soude, les résultats de l’enquête menée dans l’Hérault n’ont jamais pu être généralisés, ce qui en limite considérablement le caractère inconfortable ou gênant pour les organisations en charge de l’évaluation et de la prévention des risques induits par les pesticides. Rien ne prouve, de fait, que les observations réalisées sur les travailleurs exposés à l’arsenite de soude sont valables pour d’autres produits.
27 L’organisation de la MSA explique en grande partie pourquoi ces démarches pluridisciplinaires, pourtant pertinentes en termes de production de données d’exposition de terrain, sont très peu pérennes. Deux grandes explications peuvent être avancées. La première est liée au cloisonnement entre médecins du travail et conseillers en prévention. La forte autonomie dont disposent ces agents pour organiser leur activité, conjuguée à de fortes asymétries statutaires, les conduit à travailler séparément. Les médecins du travail agricole consacrent un tiers de leur temps de travail au développement de projets de recherche ou à des actions de prévention spécifiques telles que des formations, des opérations de sensibilisation ou d’information. Or, ils conçoivent souvent cette activité comme annexe. Particulièrement coûteux en temps, ces projets se feraient au détriment de leur mission principale, la surveillance médicale recouvrant de nombreux aspects tels que les visites d’embauche, les visites de reprise et de pré-reprise ou encore les divers examens de surveillance [22]. Symétriquement, les conseillers en prévention sont souvent réticents à utiliser leurs budgets pour construire des programmes de travail collaboratifs avec les médecins, en raison de l’inégalité statutaire qui caractérise ces deux groupes professionnels. Tandis que les médecins du travail agricole bénéficient du statut protégé des professions médicales, les préventeurs forment un groupe professionnel éclaté, dont les membres sont issus de formations hétérogènes. Outre le fait qu’ils ont le sentiment que les médecins peuvent les considérer comme leurs subordonnés, les conseillers en prévention craignent que les ressources symboliques dont jouissent les médecins du travail les rendent seuls bénéficiaires des projets qui seraient menés conjointement.
« Dans le système de la MSA, il y a une dichotomie entre les médecins et les préventeurs : les médecins ont le statut ; les préventeurs n’ont pas le statut mais l’argent. Donc, celui qui a le statut s’en sert pour avoir l’argent. Les cotisations de médecine du travail servent à payer les visites, donc une fois qu’on a payé les examens médicaux, etc., ils ont des budgets peanuts ; la prévention, au contraire, a des plus gros budgets, et le médecin qui a envie d’aller sur le travail lorgne sur les budgets. Il y a donc une guerre entre les médecins qui ont ce statut et les préventeurs qui sont, au mieux, responsables de service, et au pire chargés de mission. La MSA, c’est les inspecteurs sociaux, les assistantes sociales, etc. Ils ont tous été alignés sur les mêmes conventions, alors que les médecins, c’est la ruralité et le statut historique, l’agriculteur il lui dit : “Bonjour docteur”, c’est les seuls que l’on appelle comme ça. Il y a ce rapport-là. » (Entretien avec Jules Vernon, septembre 2010).
29 L’enquête ayant mené à l’interdiction de l’arsenite de soude fournit l’illustration concrète de ces différents obstacles. Sa mise en place a d’abord tenu au soin que le docteur G. Bernard a porté à la neutralisation de l’asymétrie statutaire entre médecins et préventeurs en adoptant un « profil bas » auprès du responsable des conseillers en prévention de sa propre caisse de MSA. Ensuite, la collaboration entre le docteur G. Bernard et J. Vernon reposait sur la convergence conjoncturelle des intérêts des deux hommes. Pour G. Bernard, cette alliance a constitué un point de passage obligé pour l’obtention de moyens humains nécessaires à la réalisation d’une enquête de ce type. Pour J. Vernon, elle a représenté une opportunité de mettre en avant le savoir-faire acquis sur les circonstances de contamination des agriculteurs exposés aux pesticides, et de promouvoir sa diffusion parmi ses collègues préventeurs d’autres caisses de MSA. C’est grâce à cette alliance que les deux hommes sont parvenus à convaincre leurs collègues de s’engager dans l’enquête. Le succès de l’opération tint notamment en grande partie à l’énergie déployée par J. Vernon pour enrôler les conseillers en prévention d’autres caisses dans la campagne de prélèvements urinaires et d’observations.
« Il y a eu une réunion à Paris [...] qui a été capitale, animée par les médecins du travail de la Caisse centrale [...]. Il y avait les médecins du service prévention de Lyon, de Bordeaux, de Nantes, de toutes les grosses régions viticoles, le Maine-et-Loire [...]. Le machin s’enlisait parce que tous les médecins ne voulaient pas tous faire le boulot, parce qu’ils n’avaient pas tous le même degré d’investissement, loin de là, que Gilles et les préventeurs ne les soutenaient pas parce qu’ils ne voulaient pas être les porteurs d’eau. [...] À la MSA, il faut faire adhérer et convaincre, ça marche sur l’adhésion volontaire [...]. Je vois immédiatement l’intérêt de faire fructifier ce que l’on avait fait [...] sur le travail : on observe et on va jusqu’à la mesure biologique – de l’activité de travail à la mesure. Je dis à mes collègues [préventeurs] : “Mais on ne peut pas passer à côté d’un truc comme ça.” [...]. Donc du coup, comme j’avais une super-réputation auprès de mes collègues préventeurs [...] j’ai retourné la salle. [...] Je me suis bagarré et mon copain [responsable du service prévention de la Caisse de MSA] d’Angers m’a appuyé et m’a soutenu et a embrayé, et on est partis. » (Entretien avec Jules Vernon, septembre 2010).
31 Pourtant, la collaboration entre ce médecin et ce conseiller en prévention n’a pas survécu à cette enquête. J. Vernon s’est en effet trouvé marginalisé dans le processus de publication scientifique des données de l’enquête sur l’arsenite de soude : quatrième auteur du premier article publié, il disparaît des suivants, dont les auteurs sont tous médecins. Les changements organisationnels au sein de la MSA, au cours de la dernière décennie, ont pourtant promu une plus grande interdisciplinarité parmi les différentes catégories d’agents de prévention. À la suite de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 qui instaure le principe de pluridisciplinarité des services de santé au travail, la médecine du travail agricole et le conseil en prévention de la MSA ont fusionné dans de nouveaux services de santé au travail. Cette fusion constituait l’occasion d’un rapprochement entre médecins et préventeurs. Si ce rapprochement a pu avoir lieu sous divers aspects, la fusion n’a pas été sans effet pervers, notamment parce qu’elle a été vécue par certains conseillers en prévention comme une mise sous tutelle, la direction des services fusionnés revenant le plus souvent à des médecins du travail agricole. La fusion des services de santé au travail a notamment conduit J. Vernon à quitter la MSA, faute de trouver un poste à sa mesure dans le nouveau service fusionné.
32 Le second obstacle à la pérennisation des démarches pluridisciplinaires au sein de la MSA tient à la dépendance structurelle de cette organisation vis-à-vis de la profession agricole. La Caisse centrale, comme chacune des 35 Caisses locales, est dirigée par un conseil d’administration comptant 29 membres élus, dont 27 représentent la profession agricole à travers trois collèges : celui des salariés, celui des exploitants et celui des employeurs de main-d’œuvre. Ce mode de représentation assure une forte domination aux chefs d’exploitation, qui se trouvent représentés en tant qu’exploitants et en tant qu’employeurs. Cette domination est renforcée par la puissance de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), de loin la principale organisation représentative des exploitants [23], alors que la syndicalisation des salariés agricoles reste faible et éclatée [24]. Ce mode de gouvernance ne favorise donc pas la conduite régulière, par les caisses de MSA, d’enquêtes d’exposition susceptibles de priver la profession de l’usage de produits phytosanitaires jugés indispensables pour les cultures et le bon rendement des exploitations. Si le poids de la profession au sein de la MSA n’entrave pas entièrement les initiatives des agents de prévention, qui conservent une forte marge d’autonomie, il peut en limiter la portée. Ainsi, à la suite de l’interdiction de l’arsenite de soude, jugée très dommageable par la profession viticole, la Caisse de la MSA de l’Hérault a refusé de prendre part à une enquête épidémiologique sur les liens entre pesticides et santé des travailleurs agricoles, en partie financée par la Caisse centrale.
Déplacement : l’interprétation ambiguë des données de l’enquête
33 La marginalisation des données de l’enquête sur l’arsenite de soude au sein des services de santé au travail passe également par une volonté des agents de les réinterpréter pour les mettre en conformité avec les principes préventifs qui structurent leurs missions officielles. La politique de l’« usage contrôlé » qui oriente l’action du dispositif de gestion des risques professionnels liés aux pesticides repose sur l’idée que les produits phytosanitaires sont intrinsèquement dangereux mais que leur utilisation est sûre tant que les agriculteurs suivent les consignes précisées sur l’étiquette à l’issue de la phase d’homologation. Les actions préventives de formation et d’information des services de santé au travail de la MSA doivent permettre d’appuyer et de renforcer ce dispositif. C’est donc au prisme de cette orientation résolument préventive, incarnée dans les règlements, les missions mais aussi les professions des agents qui composent ce dispositif, que les leçons de l’enquête sur l’arsenite de soude vont être tirées. Les acteurs font l’économie d’une réflexion sur le caractère systémique et inévitable des intoxications révélées par l’enquête, en argumentant, au prix d’une certaine ambigüité, que ce problème peut être maîtrisé par de meilleures recommandations d’usage. Les données inconfortables de l’enquête sont alors comme déplacées vers les principes ordinaires de l’usage contrôlé des pesticides.
34 Certes, les acteurs qui ont participé à cette enquête, et notamment le médecin du travail qui en a eu l’initiative, sont conscients du caractère inconfortable de ces données et des failles qu’elles révèlent dans le dispositif de protection des travailleurs exposés aux pesticides. Ils reconnaissent les limites des instruments de prévention qui reposent sur la croyance en l’efficacité des préconisations relatives au port d’EPI pour protéger les agriculteurs utilisant les pesticides.
« En gros, on arrive à la conclusion qu’on a beau expliquer à l’agriculteur la manière de pratiquer, c’est tellement complexe qu’il n’y arrivera pas. Donc aller vers la formation, vers le port des équipements de protection individuels, c’est un leurre, c’est un alibi réglementaire. [...] La consigne est faite pour être enlevée, détournée. » (Entretien avec le docteur G. Bernard, avril 2009).
36 Pour autant, ces acteurs relativisent la portée critique des résultats de l’enquête sur l’arsenite de soude. Plus précisément, ils les passent au tamis d’une perspective « fonctionnelle » (Dodier, 1994) d’amélioration des dispositifs existants qui vient borner leur capacité à tenir compte de ce qu’ils savent des intoxications. Les médecins et conseillers en prévention de la MSA, tout comme les experts évaluant les risques, s’attachent à interpréter les données objectivant le caractère inévitable des intoxications afin de se montrer cohérents avec les principes de l’usage contrôlé. Admettre que les contaminations par les pesticides sont provoquées par des contacts mains-bouche inconscients et par les aléas du travail quotidien reviendrait à reconnaître qu’elles sont incontrôlables, ce qui est difficilement concevable pour des acteurs dont la prévention des risques constitue le cœur de métier. Ces conclusions étant trop abrasives pour être réinscrites dans une perspective fonctionnelle d’amélioration de l’existant, elles sont tout simplement écartées.
37 Les médecins du travail qui ont participé à l’enquête soutiennent alors qu’un usage contrôlé des pesticides reste possible, même si les modalités doivent, selon eux, en être revues. Ainsi, le mémoire de recherche médicale issu de la seconde phase de l’enquête sur l’arsenite de soude cherche, dans ses conclusions, à redéfinir les formes d’une prévention efficace, en promouvant notamment des modes d’organisation du travail de traitement impliquant deux professionnels pour limiter les passages des « zones propres » aux « zones souillées ». Le médecin qui a rédigé le rapport convient in fine que « l’idée d’une protection théorique pour chaque zone existe mais [qu’] elle est quasiment impossible en pratique » (Durand, 2001, p. 71), mais il n’en inscrit pas moins ses conclusions dans l’horizon de pensée de l’usage contrôlé des pesticides. Du reste, le docteur G. Bernard a créé, à la suite de l’interdiction de l’arsenite de soude et avec l’appui de la MSA, une formation originale nommée Phyto-théâtre, qui met en scène des situations susceptibles d’entraîner des contaminations telles que celles observées lors de l’enquête. L’objectif de cette formation est de donner à voir aux agriculteurs les circonstances favorisant leur contamination et les modes d’organisation du travail permettant de les limiter, sinon de les éviter [25].
« Mon Phyto-théâtre sert à faire prendre conscience à l’opérateur, lorsqu’on déroule des situations de travail comme ça, scénarisées, que c’est pas si facile que ça, ce qu’il a à faire, et que la meilleure solution pour gérer son problème, c’est pas d’essayer de faire mieux, mais d’essayer de trouver quelques moyens pour pas que les évènements arrivent. Alors Phyto-théâtre a été repris par les firmes Phyto. Parce qu’elles y ont vu le premier élément : il faut former les agriculteurs. » (Entretien avec le docteur G. Bernard, avril 2009).
39 L’ancrage du docteur G. Bernard dans le milieu viticole local, rétif à aborder les problématiques sanitaires liées aux pesticides, n’a fait qu’encourager son souci de promouvoir ce type de solutions préventives et peu contraignantes pour les viticulteurs. On relèvera alors le caractère dual de la proximité des agents de la MSA avec le monde agricole pour la reconnaissance des dangers associés aux pesticides : si elle permet d’identifier des voies d’intoxication « réelles » qui constituent les points aveugles des modèles d’évaluation officiels, elle conduit aussi à relativiser la portée critique qu’induit le dévoilement de tels écarts. Le déplacement [26] des savoirs inconfortables vers les principes de l’usage contrôlé s’opère donc sous l’influence des effets de « position » liés à des fonctions organisationnelles et de « disposition » associés à un ancrage social particulier (Boudon, 1986).
40 De même, les membres de la Commission d’évaluation des risques maintiennent-ils le postulat d’un possible usage contrôlé des pesticides, même s’ils conviennent de la nécessité de mieux informer l’utilisateur par l’intermédiaire de l’étiquetage des produits pour qu’il puisse organiser sa propre protection de manière efficace. Il paraît dès lors possible aux membres de la commission de justifier la non-prise en compte de la voie digestive dans les modèles d’évaluation du risque, alors même qu’ils ont conscience des données de l’enquête indiquant que les contacts mains-bouche ont pour conséquence l’ingestion de produits phytosanitaires. Intégrer la voie orale et le caractère systémique des intoxications dans l’évaluation des risques reviendrait pour eux à admettre qu’il faut évaluer les risques en fonction des expositions réelles, même lorsque celles-ci contreviennent de façon manifeste aux préconisations issues de l’homologation. Une telle réorientation de l’homologation risquant de déboucher sur une interdiction massive des pesticides, il semble justifié de conserver les modèles d’évaluation des expositions existants.
« La voie orale, non, on ne la prend pas en compte parce que, globalement, il est quand même fortement recommandé, dans le cadre d’une utilisation de produits phytopharmaceutiques, de ne pas manger son sandwich pendant l’application et de ne pas fumer, parce c’est évident que là on se contamine par la voie orale. C’est un peu la problématique : doit-on évaluer la pratique qui est recommandée ou doit-on évaluer toutes les pratiques ? Sachant que si l’on évalue les pratiques qui ne sont pas recommandées, on va aboutir au fait que, dans la grande majorité des cas, c’est inacceptable d’utiliser le produit. » (Entretien avec un responsable de l’évaluation de risque des préparations phytosanitaires à l’ANSES, janvier 2011).
42 Les agents de prévention de la MSA et les experts de l’ANSES interprètent les conclusions de l’enquête en conformité avec les principes de l’usage contrôlé non pas tant parce que les règles et les principes qui encadrent leurs missions et leur profession leur dictent une manière de penser, mais avant tout parce qu’ils cherchent à se montrer cohérents vis-à-vis de leur fonction. Cette recherche de cohérence au cœur de ce mécanisme de déplacement des savoirs inconfortables est marquée par une forte ambiguïté. Si les acteurs défendent les principes de l’usage contrôlé, ils reconnaissent également qu’ils sont en grande partie « théoriques » et bien éloignés des pratiques réelles. Entretenir l’ambigüité est donc un moyen de résoudre les dissonances cognitives (Festinger, Riecken et Schachter, 1956) que soulèvent les capacités réflexives des acteurs dans l’organisation du contrôle des pesticides sur les lieux de travail.
Morcellement : comment se maintient l’illusion d’une surveillance efficace des pesticides
43 L’enquête sur l’arsenite de soude a démontré l’existence de contaminations professionnelles induites par un produit pourtant utilisé dans les conditions prévues par l’homologation. Elle a donc mis en évidence le manque de suivi post-homologation dans le dispositif d’AMM, et contribué à inaugurer, au sein de la commission en charge de l’évaluation des risques liés aux préparations phytosanitaires, une réflexion sur l’organisation d’une surveillance plus efficace des intoxications professionnelles causées par l’usage de ces produits. Pourtant, alors même que le suivi post-homologation des effets indésirables des pesticides est une obligation prévue par le règlement européen 1107/2009, peu d’attention reste accordée à la question des intoxications professionnelles associées aux pesticides. De récents rapports officiels pointent de façon explicite cette lacune. Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) établit que, en 2010, seules trois demandes d’études complémentaires émises par le ministère de l’Agriculture ou par l’ANSES après la mise sur le marché d’un produit concernaient la santé de l’applicateur (CGAAER, 2011, p. 17) [27]. De même, le rapport de la mission d’information du Sénat intitulé Pesticides : vers le risque zéro (Bonnefoy, 2012, p. 11) concluait que « le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels ».
44 La faiblesse du suivi post-homologation est le produit de l’architecture administrative et organisationnelle du dispositif de gestion des risques professionnels en agriculture. Le règlement européen 1107/2009 prévoit trois dispositions relatives à ce suivi. La première offre au ministère de l’Agriculture et à l’ANSES la possibilité de demander aux industriels des informations complémentaires relatives aux effets indésirables d’une préparation phytosanitaire lors de la délivrance d’une AMM (art. 31). L’article 44 de la règlementation européenne prévoit de plus que les autorités doivent s’appuyer sur toutes les informations disponibles pour revoir les conditions d’homologation des pesticides quand elles l’estiment nécessaire. Enfin, les industriels sont soumis à une obligation d’information concernant les effets indésirables pour la santé humaine des produits qu’ils commercialisent (art. 56). Dans les faits, très peu d’informations sur la dangerosité des pesticides pour les opérateurs sont demandées par les autorités et produites par les industriels une fois l’homologation attribuée.
45 Lors de la délivrance de l’AMM, les instances en charge de l’évaluation et de la gestion du risque demeurent réticentes à exiger des industriels des études d’exposition complémentaires, pour deux raisons principales. La première est liée à la forte pression temporelle qui pèse sur ces acteurs. Dans le cas où des demandes d’information complémentaire sont exigées auprès de l’industriel, l’homologation ne peut être délivrée que pour trois ans avant un nouvel examen du dossier. Or, repousser la délivrance définitive d’une AMM revient à retarder le processus d’homologation alors même que la priorité de l’Agence, devant l’accroissement récent du nombre de dossiers, est de l’accélérer [28]. Plus fondamentalement encore, les experts ne voient pas l’utilité de demander des études de suivi complémentaires tant ils jugent efficace la méthodologie qu’ils utilisent pour estimer a priori les effets des pesticides sur la santé des agriculteurs. Attachés à une « éthique de l’objectivisation » (Roqueplo, 1997), ils considèrent que les données indiquant les écarts entre cette méthodologie et la réalité sont trop peu nombreuses pour justifier davantage de demandes de suivi assorties à l’AMM des pesticides. En l’absence de reproduction de la démarche interdisciplinaire entreprise lors de l’enquête sur l’arsenite de soude, les résultats de cette dernière restent difficiles à prendre pleinement en considération pour les agents qui évaluent les risques des préparations phytosanitaires.
46 Une fois le produit mis sur le marché, les incitations à en exiger une surveillance plus rigoureuse sont également faibles. La principale raison en est l’existence du réseau de toxicovigilance de la MSA, que l’ensemble des acteurs du système d’évaluation et de gestion du risque considèrent comme un dispositif de suivi suffisant. Du reste, les données produites par ce réseau ne sont pas perçues par ces acteurs comme particulièrement alarmantes. Les 200 signalements d’intoxication professionnelle que ce réseau rend visibles chaque année semblent être un chiffre faible, n’incitant pas à solliciter les industriels à produire des données supplémentaires. Ces derniers n’ont donc guère de difficultés à satisfaire les exigences réglementaires concernant le suivi post-homologation des intoxications professionnelles liées à leurs produits, dont ils admettent qu’elles restent « encore un peu théoriques » [29]. Ils peuvent à bon droit estimer que c’est à l’ANSES et au ministère de l’Agriculture de leur demander des études d’exposition complémentaires lors de l’homologation, et qu’ils dépendent de la MSA et de son réseau de toxicovigilance pour les alimenter en informations sur les intoxications professionnelles. Les industriels soutiennent d’ailleurs qu’ils vont au-delà des exigences réglementaires à travers les « démarches de progrès » qu’ils entreprennent en s’associant à des académiques pour mettre en place des projets d’évaluation des expositions des opérateurs effectuant les traitements et de l’efficacité des équipements de protection disponibles [30].
47 Les agents du dispositif de prévention des risques cultivent donc un double discours sur l’efficacité de ce réseau : s’ils reconnaissent qu’il produit des résultats limités, ils considèrent aussi qu’il est la preuve qu’un dispositif régulier de suivi post-homologation destiné à mieux prendre en considération les conditions réelles de l’exposition existe. Ce réseau semble d’autant mieux remplir cette fonction qu’il a permis en deux occasions de faire émerger des données d’exposition ayant eu des conséquences en termes d’évaluation et de gestion des risques professionnels liés aux pesticides : la première est l’interdiction de l’arsenite de soude en 2001 (pour laquelle les données du réseau sont venues renforcer les soupçons initiaux concernant les intoxications des travailleurs de la viticulture) ; la seconde est l’introduction dans la réglementation, en 2006, de délais légaux de réentrée dans les champs traités, pouvant aller de quelques heures à plusieurs jours en fonction de la toxicité des produits utilisés [31], à la suite de plusieurs signalements reçus par le réseau. Mais ces cas restent isolés, notamment en raison des limites intrinsèques de cet outil déjà pointées dans cet article. Alors même que ces épisodes indiquent des failles du dispositif de protection des travailleurs exposés aux pesticides, ils sont au contraire considérés par les acteurs de la surveillance comme une preuve que celui-ci fonctionne et peut alerter les pouvoirs publics sur l’existence de contaminations inattendues [32]. Cette croyance partagée dans le bon fonctionnement du réseau de toxicovigilance occulte le fait que ce dernier ne fournit que très peu de données relatives au suivi de long terme des populations de travailleurs exposés aux pesticides susceptibles d’alimenter des études épidémiologiques sur les maladies chroniques induites par ces produits. Ainsi, aucun suivi n’a été mis en place à la suite de l’enquête sur l’arsenite de soude, alors même que cette dernière montrait que ce produit cancérigène, susceptible d’avoir des effets à très long terme, avait contaminé le corps des travailleurs viticoles observés. Pour les acteurs de la MSA, cette absence se justifie par le fait qu’ils contribuent par ailleurs à la conduite de l’étude Agrican, enquête épidémiologique portant sur les cancers dans la population agricole. Mais la Caisse de la MSA de l’Hérault, qui s’est trouvée contestée par la profession viticole locale à la suite de l’interdiction de l’arsenite de soude, a refusé de participer à cette étude, qui ne constitue donc en rien un suivi de l’état de santé des travailleurs interrogés dans l’étude sur l’arsenite de soude. En somme, l’invisibilité statistique des maladies professionnelles susceptibles de résulter de l’exposition des travailleurs agricoles aux pesticides renforce la légitimité du système de prévention, alors qu’elle en est, en partie, le produit.
48 Le constat des lacunes du suivi post-AMM effectué par le rapport du CGAAER [33], pas plus que les leçons tirées de l’épisode de l’arsenite de soude n’ont conduit à un changement substantiel du système actuel [34]. Mieux, les acteurs impliqués ne voient aucune nécessité de le faire puisque le suivi régulier des intoxications professionnelles est selon eux bel et bien assuré. La dilution des responsabilités afférentes au suivi post-homologation renforce l’illusion de contrôle entretenue par le réseau de surveillance de la MSA. En rendant plusieurs acteurs responsables de cette mission, la division du travail au sein de ce dispositif en morcelle tellement la responsabilité qu’elle n’est pas réellement prise en charge alors que les acteurs ont le sentiment inverse. Chacun d’eux estime remplir ses obligations en matière de suivi, et renvoie à d’autres la responsabilité de demander ou de produire des informations éventuellement manquantes. Les responsabilités respectives de l’ANSES et du ministère de l’Agriculture en la matière restant définies de manière très floue, ces administrations s’appuient essentiellement sur les données produites par le réseau de toxicovigilance de la MSA pour repérer d’éventuels problèmes de santé au travail liés aux pesticides. Tout en reconnaissant la faiblesse de ce réseau, ils renvoient la responsabilité de son amélioration sur la MSA. Cette dernière rappelle que la production de ce type de données ne fait pas partie de ses missions officielles, et qu’il appartient à l’ANSES et au ministère de l’Agriculture de systématiser les demandes de suivi post-homologation adressées aux industriels lors de la phase d’évaluation du risque, comme le prévoient les dispositions réglementaires européennes citées plus haut. Ce mécanisme demorcellement assure une « distribution de l’ignorance » (Heimer, 2012) sur les intoxications des travailleurs exposés aux pesticides, qui donne à chaque acteur du système de bonnes raisons de croire que celui-ci fonctionne. Comme dans la notion de « secret structurel » élaborée par Diane Vaughan (1996) à partir du cas de l’industrie aérospatiale américaine, la division du travail au sein de ce système organisé obstrue l’identification de problèmes potentiels. On peut ajouter que, dans notre exemple, et en cas de doute sur la fiabilité du système, les acteurs conservent in fine la possibilité d’imputer aux utilisateurs de pesticides la responsabilité de leur propre protection, faute de données suffisamment solides pour démontrer le caractère fallacieux de ce raisonnement. La croyance partagée des acteurs du système d’évaluation et de gestion des risques professionnels induits par les produits phytosanitaires dans l’existence de règles d’usage assurant la protection de l’utilisateur renvoie de facto sur ce dernier la responsabilité des souffrances que ces substances peuvent engendrer. Les contaminations par contact mains-bouche se trouvent ainsi ramenées au rang de manquements aux règles d’hygiène élémentaires. Dès lors, chacun peut se rassurer en rappelant qu’après tout « un produit correctement utilisé ne doit pas entraîner d’accident » [35].
49 L’ignorance des intoxications professionnelles liées aux pesticides est « organisée » dans la mesure où elle est profondément liée à la manière dont est structuré le dispositif de régulation des risques professionnels en agriculture. Toutefois, le cas de l’enquête sur l’arsenite de soude démontre que les acteurs de ce dispositif disposent de marges de manœuvre qui leur permettent d’en percevoir les limites et de chercher à les corriger. Ils ont une capacité à produire des données « inconfortables » qui mettent au jour les failles de leurs institutions d’appartenance et la fragilité du contrôle des pesticides en milieu de travail. Mais, en retour, l’organisation du dispositif de prévention des maladies professionnelles induites par les pesticides contribue à domestiquer ces savoirs inconfortables et à les « mettre en conformité » avec les modalités ordinaires du contrôle de ces produits. L’organisation du système de contrôle des pesticides fournit à ses acteurs les ressources pour continuer à ignorer ce qu’ils ont appris par le recours à des innovations épistémiques. En fragilisant les alliances d’acteurs qui les ont produits, en déplaçant la signification de leurs résultats et en morcelant la responsabilité de la surveillance des intoxications professionnelles, l’organisation rend progressivement ces savoirs compatibles avec ses orientations ordinaires. Capable de produire des faits gênants, elle fait obstacle à leur reproduction et à leur consolidation. La structure organisationnelle fournit, si l’on préfère, les appuis rendant possible une herméneutique des savoirs inconfortables. Génériquement entendue comme l’interprétation des textes sacrés [36], l’herméneutique désigne ici l’interprétation de données gênantes dans un sens conforme aux règles routinières qui structurent l’organisation. En ce sens, les structures organisationnelles jouent bien un rôle d’« architecte cognitif » (Michaud et Thoenig, 2001) qui influe sur le sens que leurs agents donnent à leurs actions (Weick, 1995), mais ce cadrage cognitif n’est pas mécanique. Il prend des formes souples et complexes qui intègrent les capacités réflexives des acteurs tout en parvenant à les domestiquer.
50 Notre travail permet donc de dépasser l’opposition entre formes volontaires et involontaires de production de l’ignorance. L’ignorance involontaire cesse a priori de l’être dès lors que les acteurs concernés en prennent conscience à travers la production de données inconfortables. Mais l’ignorance n’est pas non plus le fruit de stratégies délibérément construites. Elle est plutôt le produit d’une construction organisationnelle et institutionnelle initiée, dans le cas des risques associés aux pesticides, il y a plus de soixante-dix ans. L’architecture organisationnelle qui découle de cette histoire longue contraint les acteurs à laisser de côté certains problèmes embarrassants afin de se montrer cohérents vis-à-vis des orientations politiques, techniques et scientifiques qui sous-tendent leurs missions officielles. Considérer que la recherche de cohérence est au cœur de la construction de l’ignorance permet de soutenir que cette dernière exerce une fonction particulière au sein des systèmes organisés : elle est un fondement de l’organisation routinière au même titre que ses structures formelles, ses règles, ses principes, sa division du travail, dont elle est le corolaire.
51 Peut-on déduire de nos conclusions que toute alerte émise par des agents au sein des institutions en charge du contrôle des risques sanitaires serait systématiquement vouée à l’échec ? Notre travail met en tout cas en évidence la capacité de ces institutions à vivre avec des alertes potentiellement abrasives pour leurs propres logiques d’action. La question plus large qui se pose alors est : les dispositifs officiels en charge de la gestion des risques seraient-ils ainsi condamnés à n’entreprendre des changements institutionnels qu’après des crises ou des « affaires » ? Pour y répondre, il conviendrait d’étudier, en complément de notre analyse, la manière dont les organisations de gestion des risques parviennent à domestiquer des savoirs inconfortables dans le long terme : les font-elles disparaître ou conservent-elles des traces qui, agrégées à d’autres facteurs, peuvent conduire à de profonds changements institutionnels ?
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : RODUCTION DE L’IGNORANCE, VALUATION DES RISQUES, GRICULTEURS, S, A, É, ESTICIDES, ANTÉ AU TRAVAIL, P
Mise en ligne 03/04/2015
https://doi.org/10.3917/rfs.561.0105Notes
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[1]
Erhard Friedberg n’emploie pas le terme « réflexivité » mais celui d’« autonomie » pour désigner la capacité de distance critique que possèdent les acteurs vis-à-vis des structures de régulation auxquelles ils participent (Friedberg, 1993, p. 233).
-
[2]
Dans leur dernier travail, Neil Fligstein et Doug McAdam (2011) placent la réflexivité au cœur de leur programme, mais ils ambitionnent de proposer une théorie plus large du social en le concevant comme un ensemble de « champs stratégiques d’action ».
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[3]
Selon l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), en 2011, 62 700 tonnes de pesticides ont été utilisées, ce qui représente en moyenne plus de 5 kilogrammes de pesticides et de matières actives déversés par hectare cultivé.
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[4]
C’est le cas de l’étude épidémiologique lancée en 2005 sur la cohorte Agrican et financée en partie par la Mutualité sociale agricole (MSA). Elle vise à mieux évaluer les risques de cancer dans les populations agricoles.
-
[5]
G. Prete est membre de l’Iris à l’université Paris 13.
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[6]
Précisons que la partie de notre enquête portant sur l’histoire de l’interdiction de l’arsenite de soude ne repose pas sur des entretiens avec les utilisateurs finaux de ce produit. Les représentants institutionnels des agriculteurs, exploitants ou salariés n’ont pas pris part au processus d’interdiction étudié ici.
-
[7]
L’expression revêt ici un caractère polémique, tant elle renvoie implicitement, en France, à la gestion du dossier de l’amiante au cours des années 1970 à 1990. Elle rend cependant bien compte d’une option de prévention qui, tout en reconnaissant un danger, s’efforce de le rendre acceptable par la mise en place d’un ensemble de dispositifs supposément protecteurs pour les travailleurs exposés : valeurs-limites, équipements de protection, etc.
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[8]
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adoptée en 2014, prévoit désormais le transfert des produits phytopharmaceutiques de l’AMM à l’ANSES.
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[9]
Sur les procédures d’évaluation du risque et leur historicité, on pourra se référer à Soraya Boudia (2014).
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[10]
Le terme anglais est acceptable operator exposure level (AOEL).
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[11]
Ces modèles, initialement utilisés en Grande-Bretagne (modèle UK Poem) et en République fédérale allemande (modèle BBA) font actuellement l’objet d’une harmonisation européenne sous l’égide de l’EFSA.
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[12]
Le calendrier de la loi d’avenir agricole prévoit que l’ensemble de ces missions sera effectué par la seule ANSES à compter de l’été 2015.
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[13]
Ses autres missions ont trait à la couverture des dépenses sociales relatives à la vieillesse, la maladie, la maternité, la famille et au chômage.
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[14]
Sur les quatorze premiers tableaux de maladies professionnelles agricoles créés en 1955, seuls deux concernaient les pesticides les plus dangereux. Ils ont peu évolué par la suite. Il a fallu attendre 1986 pour que le tableau 10 reconnaisse l’origine professionnelle de certains cancers induits par l’arsenic et ses dérivés, pourtant interdits par le ministère de l’Agriculture depuis le début des années 1970 en raison de leurs effets cancérigènes. Notons toutefois que le ministère de l’Agriculture et la MSA ont rouvert le dossier de la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides ces dernières années au sein de la Commission supérieure des maladies professionnelles (COSMAP) qui réunit les représentants des salariés et des exploitants agricoles. Cette commission a ainsi reconnu en 2012 la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle susceptible d’être induite par les pesticides.
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[15]
Lors des dix premières années de son fonctionnement à l’échelle nationale, le réseau de toxicovigilance a recueilli 1 909 signalements, dont 1 554 ont été validés comme conséquences d’une exposition aux pesticides et intégrés dans une base de données.
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[16]
Comme le précise le rapport d’expertise de l’INRA et du CEMAGREF (Aubertot et al., 2005, p. 9), il n’existe pas de données réellement fiables qui permettent d’établir le nombre d’agriculteurs exposés. Précisons cependant que, selon le recensement agricole, la France comptait, en 2010, 604 000 exploitations agricoles et que plus d’un million de personnes participaient à leurs activités.
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[17]
En 2010, la viticulture constituait l’activité principale de 80 % des exploitations héraultaises et représentait plus de 10 000 emplois à temps plein sur le département (données Agreste, 2011).
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[18]
La viticulture occupe 3 % de la surface agricole utile française et représente près de 20 % de la consommation des pesticides du pays, principalement des fongicides.
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[19]
Tous les noms et prénoms des personnes interrogées ont été modifiés.
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[20]
Profil caractérisé notamment par une période d’exposition s’étendant sur près de deux mois par an, contre quelques jours dans le cas de viticulteurs traitant eux-mêmes leur propre parcelle.
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[21]
Pour une analyse plus détaillée de cette méthode d’observation et de ses conditions sociales de possibilité, voir Dedieu et Jouzel (2015).
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[22]
Sur ce sujet, voir J. Munoz (2014).
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[23]
Lors des dernières élections des délégués de la MSA, en 2010, près de la moitié des délégués élus dans le collège « exploitants » étaient affiliés à la FNSEA.
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[24]
Lors de ces mêmes élections, la Confédération française démocratique du travail a recueilli 35 % des voix, devant la Confédération générale du travail (21 %) et la Confédération générale des cadres (19 %). Le taux d’abstention était de 71 % dans le collège « salariés » contre 55 % dans les collèges « exploitants » et « employeurs ».
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[25]
On observe plus généralement une évolution des messages de prévention de la MSA, qui mettent de plus en plus l’accent sur des modes d’organisation (relatifs au stockage des produits dans la « base phytosanitaire » ou à la définition d’aires dédiées à la préparation des bouillies et au nettoyage des produits), plutôt que sur le port d’EPI.
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[26]
Nous utilisons ici le terme déplacement dans un sens différent de celui employé par S. Rayner (2012). Ce dernier désigne les stratégies par lesquelles un objet ou une activité conçus pour informer le management en viennent à devenir l’objet même du management. Nous l’entendons quant à nous comme l’exercice rhétorique visant à interpréter la critique d’une activité professionnelle donnée dans un sens conforme à ses orientations ordinaires.
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[27]
Pour leur grande majorité, ces demandes d’étude complémentaire portent sur les résistances que développent les parasites face aux traitements chimiques (127). Les autres demandes d’étude concernent l’impact des pesticides sur la biodiversité (21).
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[28]
Selon les acteurs de l’ANSES interrogés, il y aurait un accroissement de 30 % des dossiers au cours des quatre dernières années.
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[29]
Entretien avec le directeur général de l’UIPP, organisme représentant les producteurs de pesticides, février 2012.
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[30]
Depuis plusieurs années, l’European Crop Protection Association, qui représente les producteurs de produits phytosanitaires au niveau européen, a mis en place une Safe use initiative consistant à faire des études d’exposition, principalement dans les pays d’Europe du Sud, afin d’aider à la conception d’équipements de protection individuels plus efficaces.
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[31]
Six heures pour les traitements en extérieur, 24 heures pour les produits irritants, 48 heures pour les produits pouvant entraîner une sensibilisation de l’organisme par voie dermique ou respiratoire.
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[32]
Le rapport du CGAAER en témoigne. Il surinterprète le rôle du réseau de toxicovigilance dans l’interdiction de l’arsenite de soude et en tire une conclusion rassurante sur ce dernier : « En raison du caractère déclaratif et volontaire du dispositif, il est délicat d’en apprécier la représentativité. Il a cependant permis diverses mesures de prévention et de protection des usagers, dont le retrait du marché de l’arsenite de soude à la suite d’une étude d’exposition lancée à partir des données préoccupantes remontées par le réseau. » (CGAAER, 2011, p. 19).
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[33]
« Le dispositif nécessite à présent des clarifications et un renforcement notable pour répondre à l’enjeu de garantie sanitaire et environnementale élevée qui en est attendue. » (CGAAER, 2011, p. 5).
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[34]
La nouvelle loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt prévoit un suivi permanent de l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé. Le texte précise que l’ANSES a la charge de cette mission. Cependant, à l’heure où nous écrivons, aucun moyen spécifiquement dédié à cette mission n’existe au sein de l’Agence.
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[35]
Interview du directeur général de l’UIPP dans 20 minutes, 12 décembre 2011.
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[36]
Selon la définition qu’en donne le Trésor de la langue française informatisé « qui concerne, qui a pour objet l’interprétation des textes religieux ou philosophiques, en particulier des Écritures saintes ».