Notes
-
[1]
Selon Castel (1998), l’exclusion du marché du travail peut tenir à une incapacité propre à l’individu de satisfaire aux exigences requises pour occuper une place dans la société, mais une autre situation renvoie à une carence de l’organisation sociale, qui ne fournit pas à ses membres les moyens nécessaires pour s’intégrer.
-
[2]
Peugny (2010) distingue trois types de déclassement : le déclassement intergénérationnel, le déclassement survenant au cours du cycle de vie et le déclassement synonyme du concept anglo-saxon d’overeducation, qui renvoie à la situation d’individus qui seraient trop qualifiés pour les emplois qu’ils occupent. C’est dans cette dernière acception que l’on entend le terme déclassement.
-
[3]
La souffrance sociale « naît lorsque le désir du sujet ne peut plus se réaliser socialement, lorsque l’individu ne peut plus être ce qu’il voudrait être. C’est le cas lorsqu’il est contraint d’occuper une place sociale qui l’invalide, le disqualifie, l’instrumentalise ou le déconsidère » (Gaulejac, 1996, p. 131).
-
[4]
Les occupants des immeubles moins insalubres voient peu leurs conditions de logement évoluer. Ils obtiennent parfois des travaux, mais ceux-ci sont essentiellement réalisés dans les parties communes et, dans les cas où ils le sont dans les parties privatives, ils ne résolvent en rien les problèmes de suroccupation, très répandus. Leur position dans la hiérarchie résidentielle est donc relativement stable.
-
[5]
Goffman (1963) analyse les symboles de stigmate comme des signes dont l’effet est d’attirer l’attention sur une faille honteuse dans l’identité de ceux qui les portent, et qui détruisent ce qui aurait pu être un tableau d’ensemble cohérent.
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[6]
Les personnes disposant des conditions de vie les pires sont celles qui invitent le moins d’amis chez elles : seuls 46 % d’entre elles invitent régulièrement alors que ce taux est de 53 % pour celles qui ont des conditions de vie moyennes et de 71 % pour celles qui jouissent des meilleures situations. L’influence de la qualité du logement est moins nette quand il s’agit de la famille : 35 % de ceux qui souffrent des conditions de vie les pires reçoivent régulièrement pour 41 % de ceux ayant des conditions de vie moyennes et 51 % de ceux disposant des meilleures conditions de vie. Les personnes déclarent inviter moins la famille que les amis, car certaines n’ont pas de famille en France ou en région parisienne.
-
[7]
Mouvement Pact Arim pour l’amélioration de l’habitat.
-
[8]
En Île-de-France, les loyers sociaux sont en moyenne deux fois moins élevés que ceux pratiqués dans le privé et jusqu’à quatre fois moins au centre de l’agglomération (Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France [AORIF]), Chiffres-clés. Le logement en 2006 en Île-de-France).
-
[9]
Office public d’aménagement et de construction.
-
[10]
Société anonyme de gestion immobilière.
-
[11]
Pour une synthèse des effets du déplacement dans la hiérarchie sociale, voir l’article de Peugny (2006).
-
[12]
Ceci fait écho à la théorie de la « privation relative », selon laquelle le malaise naît quand les voisins sont plus aisés.
-
[13]
Ici, la notion de quartier est subjective. Cependant, le fait que les gens affirment avoir changé de quartier est révélateur de leur sentiment d’éloignement par rapport à leur ancien lieu de vie.
-
[14]
Inversement, il existe un lien entre la qualité des conditions de travail et ce que l’on attend de son logement. Selon Halbwachs, les ouvriers qui travaillent en atelier n’ont pas les mêmes prétentions par rapport au logement que les employés et les fonctionnaires, pour qui rentrer dans des logements aussi spartiates représenterait une régression par rapport à leur lieu de travail ([1942] 2008).
1 Depuis les années 1990, la crise du logement s’intensifie dans les grandes villes françaises. La raréfaction du foncier, l’explosion des coûts de construction et la faiblesse de l’offre de logements par rapport à la demande ont eu pour conséquence un envol des prix sur les marchés immobiliers urbains. La situation est particulièrement critique dans la capitale, où, entre 1998 et 2008, les prix des appartements se sont accrus de 185 % (Gallot, Leprévost et Rougerie, 2011). Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP), les loyers à la relocation ont augmenté de 50 % en dix ans. Dans ces conditions, l’accès à un logement de qualité est devenu difficile pour une partie importante de la population, dépassant largement les couches populaires. La marge de manœuvre en termes de choix résidentiels se rétrécit et, pour améliorer leurs conditions de logement, de nombreuses personnes sont contraintes de s’éloigner de la capitale. Les plus dépourvus en ressources économiques doivent quant à eux se rabattre sur des solutions précaires (logement insalubre, hébergement, camping à l’année, etc.).
2 Cette conjoncture conduit à prendre en compte une situation nouvelle : à l’instar de ce qui se passe sur le marché de l’emploi [1], certaines personnes sont « invalidées » par le marché immobilier alors qu’elles ne souffrent d’aucun handicap social spécifique (Ballain et Jaillet, 1998). Les occupants de logements dégradés parisiens rendent bien compte de cette situation : si certains sont confrontés à une forte marginalité sociale, d’autres ont été mis hors jeu par la sélectivité accrue du marché (Dietrich-Ragon, 2011). Cette invalidation des valides marque une rupture par rapport aux Trente Glorieuses, durant lesquelles l’obtention d’une certaine position sociale se traduisait par l’accès aux conditions de logement qui la matérialisaient – les parcours résidentiels étaient ascendants et menaient à la propriété, incarnant ainsi la mobilité sociale du ménage sur le marché du travail et plus largement dans la société. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de tenir son rang sur le plan résidentiel, quand bien même le logement est de plus en plus décisif dans le marquage social et le déroulement des destins (Maurin, 2004).
3 Cette déconnexion entre les positions sociale et résidentielle peut être assimilée à un déclassement [2]. La position sociale renvoie aux différents types de capitaux détenus : économique, culturel, social et symbolique (Bourdieu, 1987). On ajoutera que pour les immigrés, dont il sera beaucoup question dans cet article, le statut administratif est également un élément crucial. Quant à la position résidentielle, elle résulte de trois éléments : la localisation du logement, ses caractéristiques matérielles (taille, nombre de pièces, structure du bâti, niveau de confort, etc.) et, enfin, le statut d’occupation (propriété, location, logement à titre gratuit, etc.) (Grafmeyer, 2010). Si la question du déclassement résidentiel commence à émerger dans certaines études et à être mise en avant comme un élément du malaise social contemporain, en particulier pour les classes moyennes (Cusin, Burckel et Juillard, 2010), l’expérience des populations concernées reste peu interrogée. Or, comme pour les diplômés dont les titres scolaires sont dévalués mais continuent de susciter des aspirations (Bourdieu, 1978), ce déclassement est potentiellement producteur d’une « souffrance sociale [3] ». L’apparition d’une non-congruence entre les chances objectives d’atteindre les buts légitimes proposés par la société (dont le logement fait à l’évidence partie) et les aspirations des individus peut même être à l’origine de comportements déviants et facteur d’anomie (Merton, [1953] 1968). Quels sont dès lors les effets de ce type de décalage dans le champ de l’habitat et comment les individus y font-ils concrètement face ?
4 La littérature sociologique a depuis longtemps mis en évidence les liens étroits qu’entretiennent les positions sociale et résidentielle. Selon les travaux d’inspiration structuraliste, l’ordre résidentiel est sous bien des aspects le reflet de l’ordresocial. L’importance des atouts sociaux détenus conditionne le type de logement auquel les individus peuvent accéder et leur place dans l’espace physique. Pour Bourdieu, l’espace fait l’objet de luttes, dont les mieux dotés en capitaux économique, culturel et social sortent gagnants. Au contraire, les plus dépourvus de ces capitaux sont tenus à distance des biens socialement les plus rares et condamnés à côtoyer les personnes ou les biens les plus indésirables et les moins rares (Bourdieu, 1993). Dans cette conception, tout décalage entre les positions sociale et résidentielle est mal vécu, chaque lieu d’habitation exigeant tacitement de ses habitants certaines dispositions sociales, sans quoi ils ne parviennent pas à l’habiter à proprement parler. Le relogement des habitants modestes dans les rues chic de Paris, qui suscite des tensions psychologiques et sociales (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2004), illustre ce phénomène. Avec une autre approche, les travaux de l’École de Chicago envisagent également la mobilité résidentielle comme la traduction du parcours social. Les localisations résidentielles sont appréhendées comme étroitement liées au statut socioéconomique (Duncan et Duncan, 1955), la ville sélectionnant les individus les mieux à même de vivre dans un secteur particulier qui remplit dès lors une fonction spécifique (Park, 1917). Par exemple, pour les migrants, le ghetto ethnique a une fonction d’assimilation à la société d’installation (Wirth, 1928). Il existe dès lors une « carrière urbaine du citadin » (Burgess, 1925) durant laquelle la mobilité résidentielle vers des quartiers distants des zones d’arrivée est associée à l’intégration. D’une façon générale, l’avancée dans la « carrière urbaine » est synonyme d’ascension sociale. Là encore, quand l’individu évolue dans un environnement inadapté, où il se trouve en décalage, il peut en résulter des problèmes de comportement.
5 D’autres travaux soulignent cependant que l’espace résidentiel n’est pas le reflet parfait de l’espace social. Par exemple, selon Bonvalet et Gotman (1993), la distinction entre les statuts de propriétaire et locataire (le premier étant fortement valorisé dans les représentations) ne recoupe que très imparfaitement la hiérarchie des ressources ou celle des positions socioprofessionnelles. La notion de stratégie résidentielle marque aussi la volonté de contrebalancer une vision trop déterministe des pratiques résidentielles selon laquelle les individus, en fonction de leur revenu et de leur classe sociale, seraient promis à un statut d’occupation, à un type d’habitat et à une localisation déterminés (Bonvalet et Fribourg, 1990). Si ordres social et résidentiel sont incontestablement liés, il ne faudrait donc pas adopter une vision trop normative de la hiérarchie résidentielle, ni minimiser les capacités d’action des individus. En outre, en opposition à la conception anglo-saxonne qui considère que le regroupement spatial d’individus partageant une même origine ethnique et bien souvent sociale remplit une fonction intégratrice, la sociologie urbaine française voit dans la ségrégation urbaine une pathologie qui ajoute des « effets propres » aux différences sociales et renforce les inégalités (Bonvalet et Brun, 1998). Inversement, la confrontation à des milieux plus favorisés est pensée comme un facteur favorisant la mobilité sociale des individus (Maurin, 2004). Analyser les relations entre positions sociale et résidentielle implique donc de prendre en compte leurs interactions réciproques et de considérer que les situations de décalage ne sont pas neutres en termes de positionnement social.
6 Partant du principe que l’espace social ne recoupe pas totalement l’espace résidentiel et que ces deux ordres interagissent, cet article questionne la façon dont sont vécues les situations de décalage, les interdépendances entre ces deux positions, et la manière dont peuvent s’exercer des ajustements. Existe-t-il des différences dans l’expérience des problèmes de logement selon l’importance du décalage ? Comment les personnes tentent-elles de jouer sur leurs positions respectives ? Par exemple, comment luttent-elles contre la déchéance sociale liée à la relégation sur le marché immobilier et comment essaient-elles de s’élever socialement en accédant à une meilleure position résidentielle ? Comment, enfin, font-elles face à une situation qui, en particulier en cas d’accession au logement social, les coupe parfois de leur milieu social d’origine ? Afin de comprendre les liens réciproques entretenus par les positions sociale et résidentielle, il s’agit donc d’analyser les parcours en lien avec leurs implications sur l’identité et l’expérience vécue par les individus, c’est-à-dire en tenant compte des dimensions objective (les statuts et les positions) et subjective (les évolutions des perspectives selon lesquelles l’individu se perçoit).
7 Pour éclairer ces questions, cet article s’appuie sur le cas des occupants de logements dégradés parisiens. Cette population, en majorité issue de l’immigration (voir Encadré 1), fait partie des perdants de la « lutte des places » (Gaulejac et Taboada Léonetti, 1994) sur le marché immobilier et est en attente d’une revalorisation résidentielle. Étudier les personnes privées d’un logement satisfaisant, en montrant ce qui fait défaut, permet de mettre en exergue les enjeux du logement en termes de positionnement social. D’autant plus que les immigrés attachent une importance toute particulière à l’habitat pour se positionner socialement. Dans ce milieu où ils sont ravalés au rang des travailleurs bon marché voués aux tâches les plus ingrates, toute référence au statut professionnel est bannie alors que l’habitat est quasiment l’unique élément pris en compte pour la définition du statut social (Boudimbou, 1992).
8 Cette population est en outre susceptible de faire l’expérience de deux sortes de décalage : le déclassement résidentiel mais aussi, suite à un éventuel relogement par les institutions, le surclassement résidentiel (quand le statut social n’est pas à la hauteur de la position résidentielle). Ce ne sont cependant généralement pas les mêmes personnes qui sont confrontées à ces situations. Si les occupants des logements dégradés les plus dotés en atouts sociaux font l’expérience du déclassement résidentiel (le décalage entre statuts social et résidentiel est chez eux très marqué), il ne faut pas évacuer une situation tout aussi commune correspondant au cas des personnes socialement marginalisées qui vivent dans un habitat marginal lui aussi : ici, logement et position sociale sont relativement cohérents, si tant est que l’on puisse s’exprimer ainsi à propos de logements insalubres offrant des conditions de vie « intolérables » (Dietrich-Ragon, 2011). Ces personnes, peu concernées par le déclassement résidentiel, sont en revanche fréquemment amenées à faire l’expérience du surclassement résidentiel, situation beaucoup plus rare pour les mieux dotés socialement. Dans le cadre du plan de résorption du logement dégradé mis en place à Paris en 2002 (voir Encadré 1) et du fait de la logique de l’urgence (Dietrich-Ragon, 2010), seuls les occupants des logements les plus insalubres, qui sont aussi les plus précaires socialement, accèdent en effet au logement social en priorité [4] et, en raison de l’objectif de mixité sociale, sont parfois relogés dans les quartiers aisés de la capitale, d’où une expérience du surclassement. Au travers de ces deux situations opposées, l’étude de la population occupant les logements dégradés permet donc d’analyser la façon dont logement et position sociale interagissent.
9 Dans un premier temps, les implications du logement dégradé sur la position sociale seront mises en évidence. On s’interrogera tout particulièrement sur les effets du déclassement résidentiel en termes de perception de soi et sur les différentes attitudes des mal-logés pour faire face à cette situation. En observant la façon dont ils essaient de se hisser vers une position plus valorisée, on étudiera également le rôle du logement social dans les stratégies des ménages précaires en vue de s’élever socialement. Dans un second temps, la façon dont s’opère le « reclassement » par le relogement sera abordée : une telle opération n’est pas sans ambiguïtés et certains individus ont du mal à s’adapter à la nouvelle place qui leur est attribuée.
ENCADRÉ 1. –Le terrain, l’enquête et la population occupant les logements dégradés
Cette recherche s’appuie sur des méthodes qualitatives et quantitatives. Ayant bénéficié d’un contrat CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche) dans le cadre de mon doctorat, j’ai travaillé à la SIEMP pendant trois ans et demi. J’ai effectué de nombreuses visites avec les acteurs de terrain et réalisé quarante-huit entretiens semi-directifs auprès d’acteurs institutionnels, une trentaine avec des occupants de logements dégradés et cinq avec des militants associatifs. Par ailleurs, 520 questionnaires ont été administrés en face à face auprès des mal-logés. Un objectif était que l’échantillon des immeubles enquêtés soit représentatif des différents dispositifs institutionnels tout en évitant les bâtiments en relativement « trop bon état » dont les habitants se seraient sentis peu concernés par le problème de l’insalubrité. Les immeubles sujets à de grosses difficultés ont donc été surreprésentés tandis que ceux qui ne comportaient que des problèmes dans les parties communes ont été écartés. Ce travail de sélection a été effectué avec l’aide des acteurs institutionnels et à partir des descriptifs de chaque immeuble en prenant en compte différents critères : l’état de dégradation de l’immeuble, sa taille, les statuts d’occupation, la situation géographique et l’origine des occupants (sociale et géographique). La méthode consistait ensuite à enquêter dans ces bâtiments les premiers logements à gauche de chaque étage dans le sens des aiguilles d’une montre quand l’enquêteur se trouvait dos à l’escalier. Cependant, au regard des difficultés liées au terrain, il est arrivé que les entretiens se fassent au gré des opportunités. Pour la même raison, les enquêteurs n’avaient pas de consigne particulière pour la sélection de la personne interrogée au sein du ménage. Environ deux ans plus tard, afin de saisir le devenir des enquêtés dans le temps, j’ai à nouveau réalisé des entretiens qualitatifs, puis organisé la passation de la seconde vague de questionnaires auprès de l’échantillon déjà interrogé. La trace de 363 personnes sur les 520 de l’échantillon précédent a été retrouvée et 271 personnes ont été effectivement réinterrogées.
En fin de compte, même s’il n’est pas représentatif au sens statistique du terme, l’échantillon enquêté reflète la population occupant les immeubles dégradés parisiens. La population immigrée représente plus de 80 % de l’échantillon, dont près d’un tiers de « sans-papiers ». 16 % des enquêtés ne disposent pas de titre d’occupation de leur logement, 10 % sont logés à l’hôtel, 53 % sont locataires et moins de 10 % propriétaires. Il s’agit d’une population peu qualifiée (32 % des personnes n’ont jamais été scolarisées ou très peu, 45 % sont allées jusqu’au collège ou au lycée) et très précaire économiquement (40 % disposent de moins de 300 euros mensuels par personne du ménage). En même temps, cette population revêt aussi une grande hétérogénéité. Si certaines personnes font face à une forte marginalité sociale, d’autres travaillent (40 % exercent un emploi régulier), sont en situation régulière (21 % sont nées en France et 56 % des étrangers sont en situation régulière) et ont même suivi des études supérieures (23 % des personnes enquêtées, ce qui est loin d’être négligeable quand on sait qu’en France, en 2009, ce taux est de 27 % pour les hommes et de 31 % pour les femmes [Insee, 2012]). Notons qu’au regard de la problématique de l’article le matériau qualitatif a été particulièrement mobilisé ici alors que les résultats statistiques ont surtout fourni des données de cadrage et ont permis de compléter les données issues de l’observation et des entretiens.
Logement disqualifié, position sociale disqualifiée
10 L’occupation d’un logement dégradé implique un statut social dévalorisé marquant profondément l’identité de ceux qui en font l’expérience. Cette situation résidentielle est cependant vécue très différemment selon les atouts sociaux détenus et selon que l’on éprouve ou non un sentiment de déclassement. En outre, loin de rester passives, les personnes tentent de lutter contre la dégradation statutaire qu’implique cet habitat et de se reclasser sur le plan résidentiel. Dans cette perspective, le logement social est bien souvent la seule issue envisageable.
Le déclassement résidentiel
11 Le sentiment de relégation des mal-logés a été mis en évidence dans différents travaux et à différentes époques. Sayad et Dupuy (1995) ont par exemple montré l’humiliation, l’indignité sociale et les souffrances liées au fait d’habiter un bidonville. Aujourd’hui encore, ces observations sont valables pour les personnes qui se situent au plus bas de la hiérarchie résidentielle. Elles vivent cependant cette situation avec un sentiment d’injustice varié. Pour les mal-logés qui cumulent les handicaps sociaux (exclusion du marché du travail, faible qualification, situation d’irrégularité sur le territoire, etc.), le logement dégradé est en quelque sorte la suite « logique » de tous ces désagréments. Ils peuvent développer une certaine rationalisation de leur situation en la considérant comme transitoire ou comme étant dans l’ordre des choses. Par exemple, les sans-papiers acceptent dans une certaine mesure le passage par ce « purgatoire ». Un squatteur explique qu’avant d’être régularisé il lui fallait se satisfaire de ses conditions de vie puisque son statut ne lui permettait pas d’en obtenir de meilleures. À l’époque, ceci ne le révoltait pas outre mesure :
« Si j’avais pas été régularisé, je m’en contenterais. Dans ce pays, on nous a appris que, si vous n’avez pas de papiers, vous n’avez presque droit à rien. Mais du moment où depuis quatre ans je suis régularisé, je vois pas pourquoi je suis ici. Je devrais être logé, quoi. C’est à partir du moment où j’ai obtenu mes papiers, à partir du moment où j’ai travaillé, j’ai eu des ressources, je me suis senti mal à l’aise ici. Moi je disais, honnêtement on peut pas trouver mieux, si j’étais pas régularisé. » (entretien no 67).
13 M. Y. attend quant à lui sa régularisation :
« D’une manière générale [je suis satisfait de mes conditions de vie]. Jusqu’à ce que j’aie, j’aie quand même mes papiers. Pour pouvoir vivre plus, quoi. Là sinon je suis content… » (entretien no 53).
15 Les personnes au chômage ou qui travaillent au noir ont également tendance à considérer que leurs difficultés résidentielles sont le reflet de celles rencontrées sur le marché du travail et pensent que la situation s’améliorera avec l’obtention d’un emploi. Au contraire, les personnes intégrées socialement, qui travaillent et sont en situation régulière, vivent le fait de ne pas être logées convenablement comme un déclassement et une mise en danger de leur position symbolique dans la société. Elles ont toutes les caractéristiques qui devraient les classer dans la catégorie des personnes insérées et respectables, mais leurs conditions de logement les discréditent et constituent une ombre à un tableau qui aurait pu être relativement cohérent [5]. Leur « identité sociale virtuelle » (celle qu’autrui peut attribuer sur la base d’attributs manifestes) est en décalage avec leur « identité sociale réelle » (les attributs effectivement possédés par l’individu), d’où un fort sentiment de stigmatisation (Goffman, 1963). M. C., qui occupe un emploi de manager, témoigne du hiatus entre ses conditions de vie et la façon dont il se situe dans la société :
« Vous avez le sentiment d’être dans la classe la plus défavorisée, à Paris ?
– Bah, défavorisée… Non, mais défavorisée, non. Non. Ça, non. Je ne vais pas dire ça parce que pour moi, quelqu’un de défavorisé, c’est quelqu’un qui n’a rien. D’accord ? C’est là que je vois les choses. Un SDF qui n’a rien, c’est ça. Euh… Moi, j’ai un travail, pourtant. Et un putain de travail ! J’ai là, voilà, j’ai un portable. Là, je suis parti à Auchan, j’ai claqué vingt euros pour les courses. D’accord ? Je ne suis pas défavorisé. […] Je demande que [un logement décent]. Et ça, on l’a pas. Et je me dis : “Mais tiens, c’est bizarre, j’ai de l’argent, mais j’arrive pas à avoir ce que je veux.” » (entretien no 77).
17 Mme P., une retraitée française, ressent elle aussi ce désaccord en permanence :
« Quand je vois des gens dans la rue, ils me disent : “C’est pas possible, vous habitez là-dedans, une dame comme vous ?” Les gens se disent : “Qu’est-ce qu’elle fait dans cet immeuble, cette dame bien ?” » (entretien no 80).
19 Ces habitants disposent donc d’atouts sociaux qui devraient leur garantir l’accès à une meilleure situation résidentielle et se trouvent d’une certaine manière rétrogradés dans des logements disqualifiés. L’image qu’ils se font d’eux-mêmes (du fait de leur trajectoire et de l’avenir qu’ils projettent) est supérieure à celle que leur renvoient leurs conditions de vie. Le sentiment de décalage est tout particulièrement au fondement de la révolte des Maghrébins de la deuxième génération, qui ont connu une ascension sociale par rapport à leurs parents sans que cela se traduise par une amélioration de leur situation en termes de logement. Leur rancœur naît du fait que l’engagement dans le combat pour l’intégration et l’obtention de titres scolaires n’empêchent pas de vivre dans des taudis, comme leurs pères manœuvres. Leur expérience est similaire à celle des fils d’ouvriers qui ont bénéficié de la démocratisation scolaire et, en obtenant des diplômes, avaient espéré échapper au monde de l’usine, mais s’aperçoivent qu’il n’en est rien (Beaud et Pialoux, 1999).
Facteurs explicatifs de la non-satisfaction par rapport au logement actuel (régression logistique ordonnée)
Variables | Coefficient | Significativité |
Intercept Intercept Intercept |
- 1,71
- 0,66 1,31 | *** * *** |
Qualité du logementa Qualité du logement la moins mauvaise Qualité moyenne Qualité la plus mauvaise |
Réf. 0,84 2,09 | *** *** |
Statut d’occupation Locataire Propriétaire Squatteur Autre statut |
Réf. - 0,31 0,81 - 0,11 |
n.s. ** n.s. |
Présence d’enfant(s) dans le logement Pas d’enfant dans le logement Enfant(s) dans le logement |
Réf. 0,43 | * |
Sentiment d’injustice face à sa situation résidentielle
au regard de sa situation sociale Sentiment d’inadéquation (la situation sociale devrait permettre d’accéder à meilleur logement) Sentiment d’adéquation (la situation sociale est cohérente avec le logement) Refuse de se prononcer car le logement est indigne quelle que soit la situation sociale (« personne ne devrait être logé dans un tel logement ») NSP |
Réf. - 1,37 1,01 - 0,97 | *** *** *** |
Sexe Homme Femme |
Réf. 0,13 | n.s. |
Âge Moins de 30 ans 30 à 50 ans Plus de 50 ans |
Réf. 0,07 0,01 |
n.s. n.s. |
Qualification de la profession Profession non qualifiée Profession moyennement qualifiée Profession qualifiée N’a jamais travaillé |
Réf. - 0,04 - 0,34 - 0,13 |
n.s. n.s. n.s. |
Facteurs explicatifs de la non-satisfaction par rapport au logement actuel (régression logistique ordonnée)
Champ : Personnes occupant des immeubles pris en compte dans les dispositifs institutionnels de résorption du logement dégradé à Paris. Effectif : 497.Note : * P < 0,05 ; ** P < 0,01 ; *** P < 0,001 ; n.s. : non significatif.
a L’indicateur de la qualité du logement a été construit à partir d’éléments décrivant le confort, la salubrité et l’espace disponible par personne dans le logement. Dans le modèle, quel que soit le niveau d’insatisfaction (les conditions de logement peuvent être jugées « inacceptables », « très insuffisantes », « moyennes » ou « satisfaisantes »), la variable explicative agit de la même manière sur l’appréciation par rapport au logement occupé. Ainsi, une variable agit positivement (ou négativement) sur l’augmentation du niveau d’insatisfaction.
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs, le fait de vivre avec des enfants dans son logement fait que l’on est significativement plus insatisfait par rapport à son logement que quand il n’y a pas d’enfant.
20 Ces mal-logés sont alors particulièrement révoltés par leurs conditions de vie. Afin de mesurer l’influence du décalage entre les situations résidentielle et sociale, on a réalisé une régression logistique ordinale (ceci se justifie car la variable à expliquer est ordonnée [Bender et Grouven, 1997]). On a contrôlé les éléments définissant la position résidentielle (le confort, la salubrité et l’espace disponible par personne dans le logement ont été pris en compte grâce à l’indicateur synthétique de la qualité du logement [Tableau 1], et le statut d’occupation a également été introduit). Comme on pouvait s’y attendre, il apparaît que la plus ou moins bonne qualité de l’habitat est déterminante pour expliquer l’insatisfaction par rapport au logement. De même, à conditions de logement « égales », ne pas détenir de titre d’occupation augmente significativement le risque d’être insatisfait. Surtout – et c’est cela qui nous intéresse ici au premier chef –, toutes choses égales par ailleurs, les personnes qui ressentent un décalage entre leur situation résidentielle et leur situation sociale sont plus critiques que celles qui les estiment cohérentes. Les statistiques confirment donc les observations qualitatives et soulignent bien l’influence décisive du sentiment d’injustice lié au déclassement sur l’appréhension de la situation résidentielle. Dans les entretiens, les enquêtés confrontés à un tel déclassement ne mâchent pas leurs mots pour dénoncer la condition qui leur est réservée. M. R., un Malien en situation régulière qui travaille en tant que vigile, parle au sujet de son squat de « ghetto » :
« Cet immeuble, ça n’a aucune image. Ça dénote tout simplement quelque chose de… de marginalisation, qui marginalise ceux qui habitent là-dedans. » (entretien no 81).
22 Pour M. B., Français d’origine mauritanienne, le logement dégradé est, selon son expression, le signe d’une position de « dominé », ce qui lui procure un fort sentiment d’humiliation :
« J’arrive pas à le décrire. C’est pire que du racisme. Le racisme empêche pas d’avoir un toit si tu as de l’argent. C’est un problème de respect de la personne. » (entretien no 65).
24 La rancœur sociale se focalise d’autant plus sur l’habitat que celui-ci est considéré comme la seule ombre au tableau. Un homme explique qu’il ne manque rien à son épanouissement, si ce n’est un logement adapté :
« Je travaille, j’ai des fiches de paie, j’ai un enfant : j’ai tout ! » (entretien no 69).
26 Dans ces conditions, le logement dégradé est vécu comme une anomalie, un problème intolérable, car on ne peut lui trouver aucune justification liée à une défaillance personnelle. Comme certains cadres mal payés étudiés par Dubet (2006) qui ont l’impression qu’on leur a accordé un « pseudo-statut » et de n’être que de « faux cadres », le logement dégradé est pour ces mal-logés le signe d’un statut « au rabais » dans la société française. Le déclassement résidentiel menace leur identité sociale. De la même façon que les chômeurs se sentent assimilés aux fainéants (Schnapper, [1981] 1994), ils pensent être relégués au rang des marginaux et font l’expérience de la « honte sociale », liée à la sensation d’être différent des autres (Gaulejac, 1996). Face à la crainte des jugements négatifs, ils tentent cependant de sauver la face.
Les stratégies de dissimulation et de distinction sociale
27 Dans l’ensemble, les mal-logés sont attentifs à lutter contre la dégradation statutaire qu’impliquent leurs conditions de logement. Pour les personnes les plus marginalisées, il s’agit d’éviter que leur habitat ne les stigmatise encore davantage. Pour celles socialement plus intégrées, l’enjeu est que la position résidentielle « contamine » le moins possible la position sociale.
28 À ces fins, les mal-logés utilisent différentes stratégies. Certains essayent d’améliorer leur habitat afin de le rendre acceptable, au moins d’un point de vue extérieur. M. D., Français d’origine algérienne qui exerce la profession de chauffeur-livreur, met tout en œuvre pour que son bâtiment n’ait pas l’air d’un squat :
« Si vous passez ici par exemple, vous connaissez pas l’immeuble, vous allez pas dire : “C’est un squat.” On le remarque pas, parce qu’il est propre. » (entretien no 78).
30 D’après l’enquête statistique, 67 % des personnes ont réalisé des travaux dans leur logement. Il est cependant très difficile d’exercer une influence positive sur ces lieux : les travaux ne tiennent pas et les efforts de maintenance se trouvent rapidement réduits à néant. Beaucoup préfèrent donc cacher leur lieu de vie. Près du tiers des enquêtés déclarent ne jamais recevoir d’amis chez eux et 16 % rarement. Les personnes exposées au déclassement craignent tout particulièrement les moqueries et sont le plus fortement affectées par la honte (chez elles, le risque de dégradation de l’image qu’elles renvoient aux autres est fort). M.N., hébergé par ses parents alors qu’il occupe un emploi régulier, est catégorique :
« Et vous invitez parfois des amis ?
– Ah non ! C’est la honte ! Je les invite jamais. C’est trop petit. Il y a mon lit dans un coin, là celui de mes parents. On se voit dehors. Je me sens pas bien chez moi. » (entretien no 71).
32 Dans la vie quotidienne, M. A., qui occupe un poste d’agent de production, tient à marquer le plus de distance possible par rapport à son logement :
« J’ai jamais invité quelqu’un chez moi. On peut me surprendre ici, mais je préfère aller au café ou chez des amis, des Français. J’ai des amis, des intellectuels, de toutes nationalités, mais alors là ils savent pas où j’habite. » (entretien no 67).
34 Le terme « surprendre » signifie bien que croiser des gens près de chez lui est accidentel. La honte va parfois jusqu’à impliquer une rupture des liens sociaux afin de sauvegarder son identité. Par exemple, M. N. ne voulait pas que sa petite amie vienne chez lui et, comme elle insistait, il a préféré la quitter (entretien no 71). Les occupants opèrent aussi un tri parmi les personnes qu’ils font venir à leur domicile et ne font pénétrer chez eux que les proches qui ne les jugent pas et en qui ils ont confiance. D’après les statistiques, l’influence de la dégradation du logement sur la probabilité de recevoir chez soi est ainsi beaucoup plus forte pour les amis que pour la famille [6] : on craint moins les moqueries des parents proches que des connaissances amicales qui risquent de juger.
35 Une autre stratégie déployée consiste à se distinguer par rapport à son lieu de vie et à l’image négative qu’il véhicule. Face à un habitat qui tend à les stigmatiser en les associant à des mœurs déviantes et à une vie déstructurée, les occupants mettent en valeur leur moralité et l’exemplarité de leur comportement, gages de leur légitimité à être relogés. Dans les entretiens, tous se donnent pour projet une vie sans histoire, dans la discrétion et l’entente cordiale avec le voisinage :
« J’aimerais bien habiter dans la propreté, hein. Ben voilà. Si j’aurais un appartement HLM, moi, je montre aux gens comment j’habite. Voilà. J’aime bien être chez moi, propre, tranquille, hein. […] Bah oui, on arrive du boulot, bien fatigué. On prend une douche, on sort quelque chose comme ça, on regarde la télé, on est tranquille. Je suis pas… J’éteins le téléphone et voilà, je suis tranquille. Tranquille. Je cherche la tranquillité, franchement. » (entretien no 78).
37 De même, Mme G., Française d’origine camerounaise, qui travaille dans un pressing :
« J’aime avoir un petit chez-moi ! Être tranquille ! Avec mon petit boulot. C’est-à-dire je suis tranquille et je n’ennuie personne ! […] Déjà je suis casanière. Alors quand je sors, je vais à mon travail, je rentre, je suis chez moi. » (entretien no 51).
39 De cette façon, les individus essaient d’éviter que leur respectabilité sociale soit entachée par leur statut résidentiel. Certains développent aussi des stratégies de distinction face à ceux qui se situent juste en dessous d’eux dans la hiérarchie sociale ou dont les comportements sont disqualifiés. Les attitudes de mise à distance sont courantes chez les personnes dont l’identité sociale est menacée. Les assistés catégorisent les « indésirables » pour donner d’eux-mêmes une image plus favorable et avoir le sentiment d’appartenir à un groupe respectable, bien qu’il n’ait pas pour autant d’existence réelle (Paugam, [1991] 2002). Dans les grands ensembles, les personnes issues des classes moyennes développent de telles stratégies face aux classes populaires et essaient de recréer une distance qu’il faut marquer d’autant plus nettement que les conditions objectives sont proches (Chamboredon et Lemaire, 1970). Chez les occupants de logements dégradés parisiens, ces stratégies s’expriment le plus souvent à l’encontre des vagues d’immigration les plus récentes. Les Maghrébins cherchent à se distinguer des personnes originaires d’Afrique subsaharienne affublées de tous les maux : elles ne sauraient pas « habiter », feraient trop d’enfants, profiteraient illégitimement des relogements et de l’assistance… Un autre groupe visé est celui des habitants des banlieues populaires. Pour les personnes rencontrées, mieux vaut être mal logé dans la capitale que bien logé en banlieue. Mme V., une Camerounaise auxiliaire de vie, évoque l’insécurité qui règne en banlieue :
« Ici, les voisins fument de la drogue dans le couloir. Comme la porte ne ferme pas, c’est gênant. Mais la banlieue, là, c’est les vendeurs qui sont là-bas ! Et en plus ils sont armés. » (entretien no 59).
41 La présentation récurrente de cette zone comme totalement étrangère est une façon de montrer que l’on ne fait pas partie de « ces gens-là ». Ce rejet de la « cité » a également été observé chez les personnes originaires des grands ensembles qui ont accédé à la propriété pavillonnaire : leur passé en HLM les conduit à une forme de détestation sociale de la cité, tandis qu’à leurs yeux devenir propriétaire est la condition pour devenir une famille respectable (Cartier et al., 2008). Pour les occupants de logements dégradés parisiens, c’est surtout rester dans les frontières de la capitale qui assure cette respectabilité. Ceci tient au fait que le territoire parisien est souvent le seul élément positif lié à leur habitat, d’où son utilisation pour compenser le stigmate : puisque le bâtiment de résidence est porteur d’une image négative, il ne reste que l’affirmation d’une identité parisienne pour se valoriser. Une telle stratégie de valorisation de soi grâce à un ancrage au cœur de la ville se retrouve chez la population maghrébine du quartier Belsunce à Marseille, qui a « récupéré » la valeur symbolique bourgeoise du bâti ancien réhabilité pour se rehausser (Mazzella, 1996). Pour les habitants des grandes villes exposés à la précarité sociale, la centralité constitue un enjeu distinctif. Chez les mal-logés les plus intégrés socialement, la distinction passe aussi par l’affichage de certaines ambitions en matière d’habitat, en référence non pas au logement des personnes socialement disqualifiées, mais plutôt à celui des Français et, d’une façon générale, des gens insérés socialement. Mme G. (entretien no 51) veut un logement « à la française », en termes de confort, de répartition de l’espace et surtout d’image, comme en témoigne cette personne du PACTE [7] qui s’est occupée de son dossier :
« Cette personne avait une très forte envie d’avoir un logement comme tout le monde et de… d’accéder à un logement aux normes, aux normes sociales actuelles. […] [Son logement] ne cadrait pas avec la façon de vivre de tout le monde actuellement. Maintenant tout le monde aspire à avoir un séjour, une chambre pour les parents, et une chambre pour les enfants. Et voire une chambre par enfant. Et si on cadre dans la tranche haute de la société, tout le monde aspire à avoir en plus une chambre supplémentaire, qui serve de bureau ou qui serve de bricolage. » (entretien no 14).
43 Ces personnes souhaitent des conditions de logement cohérentes avec leurs prétentions sociales. Elles revendiquent aussi un relogement dans un voisinage auquel elles aimeraient être assimilées. Mme M. (entretien no 88) veut « un coin où il y a des Blancs ». Souvent, les personnes affublent le quartier idéal de leurs propres qualités : un lieu tranquille, propre et sans problèmes. Le discours de M. N. est révélateur :
« Je cherche comme tout le monde : du calme, un bâtiment propre. Parce que moi, je suis bien propre, je suis calme. Je suis tranquille. » (entretien no 71).
45 Face au stigmate que constitue l’occupation d’un logement dégradé, les mal-logés tentent donc de lutter contre la déchéance symbolique en déployant des stratégies de distinction sociale par rapport aux personnes encore plus disqualifiées qu’eux ou en tentant de se rapprocher du groupe social auquel ils aspirent. De cette façon, ils essaient de limiter les effets néfastes que leur position résidentielle risque d’avoir sur leur image sociale. Parallèlement, ne disposant pas des moyens de se loger convenablement sur le marché privé, ils fondent tous leurs espoirs sur l’accès à un logement social, seule façon pour eux de parvenir à un reclassement à la fois social et résidentiel.
L’espoir d’un reclassement par le logement social
46 Sans surprise, les occupants de logements dégradés disposent d’une très faible marge de manœuvre sur le marché immobilier privé. Le taux d’effort qu’ils devraient assumer dans ce secteur pour disposer d’un logement de qualité, adapté à leur composition familiale, témoigne de leur peu d’alternatives (Encadré 2). Dans cette situation théorique, seuls 19 % des ménages consacreraient moins de 30 % de leurs revenus aux dépenses de logement et 35 % seraient dans la situation irréaliste d’y dédier plus de 100 % (Tableau 2).
ENCADRÉ 2. –Part du revenu que les mal-logés devraient consacrer au loyer pour disposer d’un logement de meilleure qualité sur le marché immobilier privé parisien (taux d’effort virtuel)
Part du revenu que les mal-logés devraient consacrer au loyer pour disposer d’un logement de qualité sur le marché privé parisien (Encadré 2)
Taux d’effort virtuel | Pourcentage de la population |
Moins de 30 % | 19 |
De 30 à 50 % | 20 |
De 50 à 100 % | 26 |
Plus de 100 % | 35 |
Total | 100 |
Part du revenu que les mal-logés devraient consacrer au loyer pour disposer d’un logement de qualité sur le marché privé parisien (Encadré 2)
Champ : Population occupant les immeubles du plan de résorption du logement dégradé parisien ; N = 493.Lecture : 19 % des enquêtés consacreraient moins de 30 % de leurs revenus à un potentiel logement adapté à leur composition familiale sur le marché immobilier privé « ordinaire ». 35 % des enquêtés y consacreraient plus de la totalité de leurs revenus.
47 Pour les mal-logés les plus précaires, la marge de manœuvre est quasi nulle. Le logement social constitue alors la seule lueur d’espoir pour sortir de l’exclusion sociale. Quant aux occupants disposant de revenus plus élevés, ils pourraient certes parfois consacrer un plus grand budget à leur loyer pour améliorer leur situation résidentielle, mais ils seraient alors contraints de réduire leurs dépenses de consommation de façon drastique, ce qui équivaudrait à une autre forme de déclassement. Le « reste-à-vivre », c’est-à-dire le budget disponible pour les dépenses autres que le logement, risquerait de se transformer en « reste-à-survivre » (Vanoni et Robert, 2007). Selon M.C., cette situation serait synonyme de « prolétarisation », c’est-à-dire reviendrait à entrer dans la spirale des restrictions :
« J’aimerais bien que mon fils, eh ben il ait sa chambre, avec ses jouets. Comme tout le monde. J’ai les moyens de lui acheter des jouets ou de lui acheter sa chambre et tout ça. Mais par contre, j’ai malheureusement… j’ai pas les moyens de payer 1 300 euros [de loyer] par mois. D’accord ? Après le reste, après, c’est un cercle vicieux. Je pourrais plus acheter de quoi manger, ni acheter un petit jouet pour mon fils. Donc, là, je rentre dans un système de classe sociale défavorisée. » (entretien no 77).
49 Ce squatteur fait le même constat :
« Si je gagne 1 200 euros, le privé, il va me louer à 600 euros et ça m’arrange pas, moi aussi. Donc je donne la moitié de mon salaire pour un logement. C’est trop. Je préfère un petit HLM, tranquille, à 400 euros, une allocation logement à 150, ou quoi. Je paye 250, il me reste pour manger, il me reste pour m’habiller, je laisse un petit peu pour les vacances : je vis. […] Là, ce qui détruit les gens, c’est le logement, hein, le loyer. Voyez, des fois les gens ils payent 800, 700 euros par mois. Lui, il travaille, sa femme elle travaille pas, elle est au chômage ou elle est à la maison. Donc, il a pas de loisirs, il part pas en vacances, il est toujours en détresse, il est toujours malheureux. Il a des problèmes, il regarde les autres et il va dire : “Voilà !” Il a même pas un sou pour boire un verre avec ses copains ou payer quelque chose, une tournée. Donc il est malheureux, il dit : “Voilà. J’habite Paris mais… Pfff !”. » (entretien no 78).
51 S’acquitter d’un loyer trop élevé signifie l’entrée dans une ère de privation. À quoi bon avoir un logement satisfaisant si l’on est obligé de se restreindre en permanence ? Le dilemme cornélien auquel les personnes se trouvent confrontées consiste à choisir entre vivre et habiter dignement. La plupart d’entre elles ne pensent donc pas leur avenir dans le parc privé et toutes leurs attentes convergent vers le logement social, qui offre de bonnes conditions de logement sans nécessiter en contrepartie des privations excessives [8], elles aussi humiliantes socialement. Cet habitat est au fond la seule façon de s’élever dans la hiérarchie résidentielle sans impliquer un déclassement par les pratiques de consommation. Au-delà du coût financier, le logement social est aussi très recherché pour la sécurité qu’il garantit, pensée comme une protection sociale pour l’avenir. Les locataires du parc public ont droit au maintien dans les lieux, la durée du contrat de location étant indéterminée. Les mal-logés sont très attachés à cette stabilité :
« Franchement, je vais vous dire la vérité. Ça, c’est une vérité. Je préférerais avoir un logement OPAC [9]. Franchement, je vous dis, un logement OPAC, SAGI [10], un logement de l’HLM.
– Pourquoi ? Parce que…
– Pourquoi ? Parce que j’estime que c’est plus confiant.
– Oui. Vous avez peur…
– J’ai peur de quoi ? Demain, si c’est un logement privé, demain le monsieur peut dire : “Moi je veux vendre mon logement.” […] Si il dit à la justice : “Mon fils va s’installer” et effectivement, son fils n’a pas de logement, la justice va dire : “Cherchez-vous un logement, s’il vous plaît.” Voilà.
– Et oui. Donc c’est pour la sécurité ?
– La sécurité. Franchement, la sécurité. Faut jouer la sécurité dans… En tant qu’étrangers, on joue la sécurité. » (entretien no 76).
53 Pour nombre d’enquêtés dont la vie professionnelle est chaotique et qui se heurtent aux discriminations, l’HLM est inséparable de la tranquillité, de la stabilité, et donc d’une certaine sérénité. Ceci recoupe le constat de Bourdieu au sujet de l’emploi : les individus sans instruction, sans formation professionnelle et sans capital aspirent à un emploi sûr et attachent parfois plus d’importance à la régularité des revenus qu’à leur montant (Bourdieu et al., 1963). Au fond, l’HLM est une façon de stabiliser sa position sociale dans le futur en se protégeant face aux risques sociaux qui pourraient impliquer une chute sociale. Certains en attendent même une relative ascension sociale grâce à la limitation des dépenses consacrées au loyer, qui pourront être réinvesties dans les autres domaines de la vie. En quelque sorte, le logement social sera un moyen d’échapper aux privations et à l’ascétisme, qui sont le propre de la condition populaire (Schwartz, [1990] 2002). De la même façon que la fonction publique constitue une voie privilégiée par les enfants issus de ces catégories souhaitant s’élever socialement (Gollac, 2005), cet habitat est donc mobilisé par les plus précaires pour accéder à une meilleure situation sociale et résidentielle.
54 Pour toutes ces raisons, les mal-logés parisiens entretiennent un rapport spécifique au logement social. Alors que ce statut est couramment situé en bas de la hiérarchie des statuts résidentiels et davantage présenté comme un stigmate qu’un signe positif, c’est l’inverse pour cette population. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes d’origine immigrée, et a fortiori africaine. Celles-ci se comparent fréquemment à leurs connaissances qui ont réussi à accéder au logement social, présenté comme une forme de réussite et d’intégration sociale :
« Parce que dans notre société, pour vous dire un truc, hein, franchement, si on se connaît dans la société africaine, lorsque vous avez un logement HLM, vous avez… excusez-moi si je me trompe, vous êtes un peu privilégié. […] Si bien que y a des gens ici, lorsqu’il a un logement HLM, et ben, c’est comme une… c’est la consécration ! » (entretien no 76).
56 L’enjeu du relogement, au-delà du confort, est de devenir à nouveau respectable aux yeux des autres membres de la communauté :
« Parce que ceux-là, demain, ils vous critiquent. Demain, ils parlent de vous : “Ça fait trente ans il est en France, celui-là, il vit en squat, il est près des poubelles.” C’est une humiliation totale, donc il faut fermer les oreilles et puis chercher un logement HLM jusqu’à ce que quand vous l’avez, et ben, vous levez la tête, vous leur dites : “Bon, tiens, maintenant, j’ai le logement. Venez, si vous parlez, je peux parler aussi.” C’est comme ça, dans le milieu africain, c’est comme ça, tel que je le connais. […] Donc vous savez, lorsque vous allez à l’hôtel, c’est le rabaissement total ! C’est une humiliation. C’est l’humiliation suprême. » (entretien no 76).
58 On comprend donc la lutte qui existe dans ces milieux pour l’accession à une HLM et, a contrario, le rejet de toute solution précaire, comme l’hôtel ou l’hébergement d’urgence. Bien sûr, cette valorisation du logement social est aussi liée à la situation très spécifique de l’espace parisien. Dans un contexte où les plus économiquement vulnérables sont repoussés en dehors des frontières de la capitale, il est clair qu’habiter intra-muros est considéré comme un privilège. Mais dans tous les cas, ce n’est pas par dépit que les mal-logés se tournent vers le parc public : celui-ci est un marqueur social positif (en tant qu’habitat de qualité et de surcroît situé intra-muros) et fortement convoité (pour son prix accessible et la stabilité qu’il implique). Ces aspects expliquent la forte mobilisation autour des procédures d’attribution des HLM et le fait que le moment du relogement soit crucial dans la vie de ces personnes. Il s’agit non seulement d’accéder à de meilleures conditions de vie, mais aussi de valider un reclassement social souvent attendu depuis des années.
Relogement et reclassement
59 Les occupants de logements dégradés entendent parvenir à une nouvelle place, autant physique que sociale. Par conséquent, la phase d’acceptation d’un logement social constitue un moment décisif où toutes les préférences, les exigences mais aussi les craintes sociales des habitants s’expriment. Il s’agit d’obtenir de bonnes conditions de logement mais aussi la place la plus « juste » par rapport à l’image que l’on a de soi dans la société. Ceci se traduit régulièrement par des refus de propositions, même si ce comportement peut paraître irrationnel. En outre, une fois relogés, et donc installés à une nouvelle « place », certains éprouvent des difficultés d’adaptation, surtout quand ils se trouvent « surclassés » et font une expérience du décalage inverse à celle explicitée précédemment.
Vers une nouvelle place
60 Au moment de l’attribution d’un logement social, les mal-logés sont à même de redéfinir leur position et leur image sociales. Contre toute attente et même si ce phénomène demeure minoritaire, il n’est pas rare qu’ils refusent des propositions de relogement. À tel point que, le 12 mai 2006, Le Monde publiait un article de plusieurs pages intitulé « Des refus qui étonnent ». Selon la présidente de la SIEMP, en 2005, sur 620 dossiers traités, 170 ménages ont refusé le logement qui leur était proposé. D’après notre enquête, 20 % des personnes ayant déjà reçu une proposition de logement ont opposé au moins un refus. Les motifs de rejet sont souvent inattendus et peuvent paraître déplacés au regard des conditions de vie des personnes : un ballon d’eau chaude insuffisant, une cuisine américaine, le manque d’aération, un duplex, un mauvais agencement, le vertige aux étages élevés… Certaines personnes émettent même des refus alors qu’elles risquent de se retrouver à la rue. Les acteurs institutionnels se trouvent totalement désarçonnés face à ces comportements. « Quand on voit d’où ils viennent… », soupire le directeur de l’éradication de l’insalubrité à la SIEMP (entretien no 21).
61 Ces refus répondent cependant à une certaine logique. S’ils tiennent à une multitude de raisons, le fait que l’accès à une HLM constitue une opération de reclassement social apporte une explication essentielle. D’une façon générale, les locataires ou candidats à la location ne cherchent pas uniquement un logement mais de l’habitat porteur de sens, pour être socialement valorisés (Chignier-Riboulon, 2006). Cette attention au sens de l’habitat est valable pour les plus démunis. Les candidats aux HLM se montrent exigeants car ils veulent que le nouveau logement soit le signe de la reconnaissance sociale tant attendue. Dans ces conditions, le mécanisme de la comparaison est primordial. La connaissance de personnes ayant obtenu un meilleur logement incite à exiger un logement aussi bon, voire supérieur. Si le relogement constitue un reclassement, il est difficile d’accepter un bien inférieur à celui obtenu par des personnes auparavant plus mal logées que soi ou socialement plus défavorisées. Le bouleversement de la hiérarchie des mal-logés par les décisions institutionnelles suscite de profonds sentiments d’injustice qui conduisent au refus. Dans cette attention au signe social renvoyé par le logement, la localisation est bien sûr aussi cruciale. Avant même de se voir proposer un logement, les occupants des immeubles dégradés parisiens affirment leur attention à l’entourage. M.D. explique que le jour où il recevra une proposition, il prendra le temps de visiter le quartier et de connaître le voisinage pour être dans un environnement agréable :
« Moi, avant que j’habite, j’habite le voisin d’abord. Il faut “habiter le voisin.”
– Comment ça, il faut “habiter le voisin” ?
– “Habiter le voisin”, c’est un proverbe. Voir le voisin d’abord avec qui vous allez habiter. » (entretien no 78).
63 Ces personnes craignent par-dessus tout d’être relogées dans un quartier avec de la « racaille », étiqueté « cité ». Mme M. aimerait habiter n’importe où à Paris, « mais dans un coin où il y a pas trop de voyous » (entretien no 88). Un jeune homme souhaite « un quartier avec des Français, pas seulement avec des Blacks et des Arabes » (entretien no 84). Selon M. E., certaines personnes relogées dans les cités abandonnent leur logement car l’environnement serait trop mal fréquenté (entretien no 76). Le nouveau logement doit donc être adapté en termes de confort et d’organisation de l’espace, mais aussi implanté dans un environnement social cohérent avec la position sociale escomptée, d’où certains refus malgré la qualité des logements proposés. Comme l’explique la directrice du service relogement de la SIEMP :
« Ces gens ont été catalogués “mal-logés”. Ils ne veulent pas, pour le relogement, être catalogués “cités”. » (entretien no 26).
65 L’accession à un espace stigmatisé constituerait une forme de déclassement qui annulerait les gains en termes de qualité du logement. À l’autre extrême, le relogement dans des quartiers chic très valorisés socialement et la peur de l’inconnu soulèvent aussi des réticences et peuvent impliquer des refus, comme en témoigne un militant du DAL :
« Moi j’ai une famille, elle avait huit gosses. Elle avait été traitée par la Ville directe- ment. Donc ils lui ont trouvé le 122 m2 . Donc c’est un quatre pièces, il y a 122 m2 à Saint-Augustin. C’est dans le 8e arrondissement. Donc la famille effectivement, elle a trouvé tous les prétextes du monde en disant : “C’est un quatre pièces, mais nous on est… moi j’veux des chambres.” Mais le véritable motif c’est qu’elle avait pas de magasins africains en bas de chez elle pour aller faire ses courses. C’est que elle se sentait perdue. » (entretien no 24).
67 Les personnes sont donc en demande d’un lieu ni spécialement stigmatisé, ni trop coté. Elles aspirent à se sentir à leur place. D’ailleurs, une fois dans leur nouveau logement, celles qui font face à un trop fort décalage entre leurs positions sociale et résidentielle peuvent souffrir de cette situation.
À une nouvelle place
68 L’accession au logement social constitue incontestablement une opération de reclassement positive. La plupart des occupants tirent profit du relogement. En même temps, celui-ci a aussi un certain coût financier, social et parfois psychologique, en particulier pour les personnes disposant de peu d’atouts sociaux. Or, les plus précaires, particulièrement mal logés, accèdent davantage au relogement (Tableau 3), souvent dans des quartiers plus aisés que ceux qu’ils habitaient auparavant. Un décalage se crée donc parfois entre leurs positions sociale et résidentielle, cette fois dans le sens d’un surclassement, ce qui peut susciter un nouveau type de malaise.
Situation résidentielle lors de la seconde phase de l’enquête selon les caractéristiques sociales des habitants (au moment de la première phase) (en %)
Resté dans le même logement | Relogé | Déménagé par ses propres moyens | Logement provisoire | Total | |
Né en France en situation régulière Immigré régulier Sans-papiers |
60,0 38,7 43,2 |
12,0 41,2 19,8 |
26,7 16,2 18,5 |
1,3 3,9 18,5 |
100 100 100 |
Très pauvre (- de 300 € mensuels
par personne) Pauvre (entre 300 et 800 €) Moins pauvre (+ de 800 €) |
40,1 42,6 61,9 |
33,6 31,9 15,9 |
15,3 22,0 20,6 |
11,0 3,5 1,6 |
100 100 100 |
Profession non qualifiée Profession intermédiaire Profession qualifiée N’a jamais travaillé |
41,7 48,0 66,7 33,4 |
35,7 28,0 11,8 21,2 |
14,3 24,0 19,6 33,3 |
8,3 0,0 1,9 12,1 |
100 100 100 100 |
Jamais scolarisé ou primaire Collège ou lycée Enseignement supérieur |
38,0 50,0 49,4 |
39,7 28,7 12,0 |
12,4 17,3 33,3 |
9,9 4,0 5,3 |
100 100 100 |
Situation résidentielle lors de la seconde phase de l’enquête selon les caractéristiques sociales des habitants (au moment de la première phase) (en %)
Source : Enquêtes SIEMP/ERIS (2005, 2007).Effectif : N = 360.
Champ : Population occupant les immeubles dégradés parisiens.
Note : Pour chacune des caractéristiques sociales mobilisées, Khi2 < 0,001.
Les gains du reclassement
69 Le relogement implique pour les anciens mal-logés l’accès à de bien meilleures conditions de logement. De ce point de vue, la grande majorité d’entre eux expriment une forte satisfaction. Parmi les 65 personnes relogées interrogées dans la seconde phase de l’enquête, 71 % estiment leurs conditions de logement satisfaisantes, 24 % moyennes et seulement 6 % insuffisantes. 82 % considèrent leur logement « beaucoup mieux » que le précédent, 15 % « plutôt mieux » et seulement 3 % ont un avis plus mitigé. La plupart accueillent le nouveau confort avec une sorte d’émerveillement, comme M.R. :
« La nuit, je me lève et je demande à ma femme : “Est-ce que c’est vrai que cet appartement, c’est pour nous ?” [Rires] Et c’est cela qui fait le plus souvent rire ma femme. Elle me dit : “Mais c’est pour nous !”. » (entretien no 81).
71 78 % des relogés vont jusqu’à se déclarer « fiers » de leur logement. Être parvenu à « cette place-là » procure un sentiment de reconnaissance. Le confort et l’espace signifient l’accès à un nouveau statut social et la fin de l’indignité : « “Réhabiliter” c’est, au sens initial, relever de déchéances, d’incapacités consécutives à une faillite, à une condamnation. C’est rendre des droits perdus et l’estime publique, c’est blanchir, innocenter. » (Davault et Pasquier-Merlet, 1992, p. 387). Le nouveau logement constitue la preuve que l’on est enfin capable de tenir sa place dans la société :
« Même si dans ton logement HLM tu n’as pas une table à manger, ou tu n’as pas une chaise, mais à partir du moment où tu as ton logement, tu payes ton logement : c’est bien. Tu sais où dormir, c’est bien. Et si tu as une femme aussi, ça fait l’honneur de ta femme. Voilà. Donc. C’est comme ça, hein. C’est pour ça que, dès que les gens ont des logements HLM, ils sont rehaussés, ils se disent rehaussés. Vraiment, le logement HLM rehausse l’Africain vivant à Paris. » (entretien no 76).
73 Pour les immigrés, après la position stigmatisée associée au taudis, le relogement représente une première marque d’intégration dans la société française, ce dont témoigne M. R. :
« On sent qu’on fait partie de la France présentement. On a droit à être répondu quand on salue, on a droit à un certain regard, et non à l’indifférence des gens. Parce que je rencontre mes voisins, y a pas… le dialogue ne passe pas entre nous, mais y a le sourire, la salutation. Maintenant, je me sens en France. […] On est accepté parce qu’on nous salue. On se dit qu’il a les moyens de se payer un habitat, donc il est quelqu’un. » (entretien no 81).
75 Il s’agit aussi du réel début de la vie en France. Enfin, on peut profiter pleinement des avantages du pays d’accueil :
« Je pense que maintenant je dois apprécier à sa juste valeur la vie en France. Parce que franchement, vivre dans les trucs... dans les squats et dans les conditions particulières dans lesquelles nous on était, on ne pouvait pas forcément apprécier ce qu’est la France. » (entretien no 67).
77 Ces habitants se sentent « arrivés ». Ils accèdent à la modernité occidentale et au monde des « Blancs ». M. R. est fier d’avoir une clef :
« Avant, j’avais pas de clef. Maintenant, j’ai une clef pour la boîte aux lettres, pour mon appartement. Je rentre chez moi comme un Français, ou plutôt comme un Blanc ! » (entretien no 81).
79 Le logement social permet donc l’accession à une nouvelle place autant dans l’espace physique que symbolique. Il est frappant de constater à quel point, pour les immigrés, être reclassé sur le plan résidentiel revient à se rapprocher des « Blancs ». Grâce au relogement, certaines personnes prennent un nouvel élan dans la vie. 70 % considèrent que le changement de logement a eu un effet bénéfique sur leur santé ou celle de leurs enfants. 83 % jugent que cela a eu un effet positif sur leur moral. Certains retrouvent la force d’étudier ou de rechercher un emploi. D’autres peuvent construire une vie familiale. Ces personnes accèdent donc à bien davantage qu’au confort et à l’espace : elles se voient aussi requalifiées socialement. Cependant, les comportements face au relogement ne sont pas toujours aussi positifs et les plus disqualifiés socialement ont parfois des difficultés à se saisir pleinement de cette opportunité.
Le coût financier du reclassement
80 Le témoignage de M.R. (entretien no 81), ancien occupant d’un squat communautaire du 19e arrondissement de Paris relogé dans le 14e arrondissement, est particulièrement révélateur de l’ambiguïté du relogement. Il y sera ici fait beaucoup référence mais, si M.R. exprime avec une franchise particulière les difficultés rencontrées (il n’est pas toujours facile de faire état de son « incapacité » à s’adapter au bien tant espéré), il n’est pas un cas isolé : de nombreux entretiens laissent transparaître cette ambivalence des sentiments. Les difficultés d’adaptation au nouveau logement sont d’abord liées à son coût financier, auquel les plus précaires ont du mal à faire face. Par exemple, pour les anciens squatteurs, l’HLM exige des dépenses inconnues jusqu’alors :
« Qui dit habitation nouvelle, ça demande chez les habitants, chez les locataires, beaucoup d’efforts. Et beaucoup de discipline. Et beaucoup de changements de comportements qu’on peut pas dire si c’est positif ou si c’est négatif. […] Ça demande des dépenses économiques également qu’il faut accepter. […] Tu dégrades quelque chose, tu vas payer. Même si tu sais réparer quelque chose, on te dit : “Il faut pas le réparer.” Y a toujours des spécialistes qui sont venus. Là encore. On peut rien faire. Alors que [l’ancien logement], on peut tout faire. Quand y a d’autres trucs qui se dégradent, c’est toi, toi-même qui es ton maçon, c’est toi-même qui es ton plombier.
– En fait, c’est cette perte d’indépendance par rapport au logement qui vous gêne ?
– Voilà. Donc… Ce prix d’intégration, c’est d’accepter de donner de l’argent comme les vrais Français qui en ont. De débourser de l’argent. Mais par rapport à ça, nous on a des salaires misérables par rapport à celui des Français. On gagne pas beaucoup. Et s’il faut engloutir plus de la moitié de ton salaire dans un logement. Vous voyez ? Donc ça demande vraiment une certaine discipline sur soi. Pour parvenir. Et même ça, ça ne suffit pas souvent. » (entretien no 81).
82 Concrètement, un tiers des relogés disent avoir des difficultés à payer leur loyer. Moins d’un quart y consacrent moins de 30 % de leurs revenus, la moitié de 35 à 50 % et un peu plus d’un quart plus de 50 %. Même si ces chiffres doivent être pris avec précaution car les enquêtés ne déclarent parfois pas tous leurs revenus ou les aides dont ils bénéficient, ceux-ci donnent une idée de l’effort financier fourni. À titre de comparaison, selon une étude de l’ADIL 75 (Association départementale de l’information sur le logement) datée de février 2009, les Parisiens consacrent en moyenne un peu plus du tiers de leurs revenus au paiement de leur loyer. 50 % des anciens mal-logés considèrent que leur situation financière s’est dégradée. Au-delà du coût du loyer, le déplacement dans la hiérarchie résidentielle implique de nouvelles exigences en termes de consommation. Il faut s’aligner sur les pratiques du nouveau milieu social :
« Vous diriez que, depuis que vous avez été relogé, votre niveau de vie économique a diminué ?
– Comme je dis, je suis tenté d’apparaître comme les habitants de Paris. Donc ça me donne d’autres dépenses à effectuer.
– Comme quoi ? Vous pouvez me donner quelques exemples ?
– Lorsque j’étais dans le squat, je peux sortir, je peux avoir un mobilier :“Na na na, fini, il a changé de mobilier. Il a mis ça dans la rue.” Je ramasse, je le mets chez moi. Une table pour mettre ma télé. Mais là où je suis venu, je me suis dit : “Voilà un appartement joli. Et il faut dépenser en fonction de ça.” Donc tout ce que j’ai chez moi, c’est neuf. C’est neuf et c’est la corde au cou.
– Et pourquoi ? Parce que ce serait… Ça vous semble incohérent de prendre des trucs dans la rue pour les mettre dans un nouvel appartement ?
– Mais entre nous, ici, en tant que Maliens, quand tout le monde le fait, personne ne se gênera de le faire. Mais quand tu vas dans un milieu où on fait pas ça, tu es tenté de faire comme eux. Peut-être toi tu peux supporter, mais tes enfants ne le supporteront pas. » (entretien no 81).
84 La nouvelle place implique une forte pression par rapport à l’ancienne vie en communauté, où tout le monde était confronté aux mêmes difficultés. Tenir sa place a un coût important et, si l’on ne parvient pas à l’assumer, on s’expose à nouveau à la honte et à l’humiliation. Ceux qui occupent des professions en bas de l’échelle sociale et ont de faibles revenus souffrent évidemment plus de ces nouvelles exigences. 43 % des relogés qui exercent ou ont exercé dernièrement une profession non qualifiée ont des difficultés à payer leur loyer, alors que c’est le cas de moins de 20 % des rares relogés plus qualifiés. Près de la moitié des « très pauvres » (percevant moins de 300 euros mensuels par personne) sont dans cette situation, pour un tiers des « moyennement pauvres » (percevant entre 300 et 800 euros) et un pourcentage nul chez les plus aisés (percevant plus de 800 euros). D’ailleurs, malgré les loyers conventionnés, la part du revenu consacrée au loyer est inversement liée à l’importance des revenus. Un tiers des « moins pauvres » se disent plus à l’aise financièrement du fait du relogement, alors que cela concerne moins de 15 % de ceux qui disposent de moindres revenus. De fait, une bonne partie des plus démunis étaient en squat et ne payaient pas de loyer, d’où la brutalité de la transition. Ces résultats s’éclairent aussi à la lumière des dépenses d’équipement pour le logement. Les plus pauvres n’avaient souvent pas pu investir auparavant : 80 % des « très pauvres » ont assumé des dépenses d’équipement, pour 60 % des « moins pauvres ». Les moins dotés en capital économique font donc face à l’effort financier lié au relogement le plus conséquent. Dans l’étude de Coing (1966), il apparaissait également que pour certaines personnes relogées les aspirations suscitées par cette nouvelle situation pouvaient se voir brimées par les contraintes financières du fait des dépenses imprévues liées au logement neuf. Bourdieu a excellemment explicité ce drame : « Le logement devient paradoxalement l’obstacle à l’entrée dans la vie moderne qu’il semblait promettre. Le confort échappe au moment où on croyait le tenir. On en vient à ne plus travailler que pour avoir le droit d’y vivre en se privant. » (Bourdieu et al., 1963, p. 372-373). Dans l’enquête, beaucoup d’occupants sont obnubilés par la nécessité de faire des économies. Un ancien occupant d’hôtel meublé ne branche son frigo que par intermittence pour limiter la consommation d’électricité (entretien no 68). À l’inverse, les plus aisés sont prêts à payer davantage pour plus de qualité. Pour les plus pauvres, le reclassement résidentiel peut donc se voir contrecarré par un déclassement sur le plan de la consommation, risque que le conventionnement des loyers était censé limiter. Ce type de constat se retrouve chez les personnes peu fortunées qui accèdent à la propriété et doivent faire face à de nouvelles dépenses fragilisant leur budget, les obligeant à accepter des sacrifices ou encoreà différer desdépenses enmatière d’aménagement (Cartier et al., 2008). Cette situation a des effets négatifs sur le rapport au monde des individus. D’ailleurs, le coût du relogement n’est pas seulement financier : il peut aussi être d’ordre psychologique. Quand les anciens occupants de taudis sont relogés dans des quartiers plus aisés, ce coût est de surcroît lié à la confrontation à un nouveau milieu social.
Le coût psychologique et social du reclassement
85 Quand le déplacement dans la hiérarchie résidentielle est trop brutal ou quand les personnes sont « placées » dans un milieu qui leur est étranger, elles peuvent se sentir perdues et désorientées. D’après la théorie de Sorokin (1927), la mobilité sociale, d’une façon générale, implique des risques car les individus déplacés, privés de leurs repères initiaux, sont suspendus entre deux identités [11]. À partir du cas exemplaire du boursier, Hoggart (1957) a bien décrit le malaise éprouvé par les personnes issues des classes populaires qui accèdent à un milieu social plus élevé que celui dont elles sont issues. Du fait de problèmes d’ajustement social, ces « déclassés par le haut » connaissent une expérience de l’anxiété : si leur réussite scolaire a été suffisante pour les couper de leur classe d’origine, l’entrée dans une autre catégorie sociale ne leur est pas ouverte. Les situations de décalage social sont donc potentiellement à l’origine d’un fort malaise social. Les recherches portant sur les effets du déracinement lié au relogement font des constats assez similaires. La population immigrée souffre particulièrement de la rupture avec un milieu protecteur : quand le déménagement intervient avant que la phase d’adaptation au nouvel environnement soit achevée, celui-ci revêt une certaine violence du fait du changement de mode de vie qu’il implique et comporte des effets négatifs liés à la déstructuration des liens sociaux (Young et Willmott, 1957 ; Coing, 1966 ; Pétonnet, 1979). Il était donc prévisible que les mal-logés les plus disqualifiés accédant au relogement fassent l’expérience d’une nouvelle forme de souffrance.
86 Il est difficile pour les anciens occupants de logements dégradés d’exprimer les difficultés et les déceptions liées au relogement. Comment ne pas se réjouir complètement de la sortie du taudis sans être incompris et s’attirer un jugement réprobateur ? C’est pourquoi les sentiments de frustration transparaissent moins dans les questionnaires que dans les entretiens, où les interviewés sont mis en confiance et peuvent se justifier. L’analyse statistique permet malgré tout de mettre au jour les bémols par rapport à l’appréciation générale du relogement, forcément positive. C’est dans les nuances que percent les angoisses et le malaise des individus. D’après les statistiques, les personnes retirent un moindre bénéfice du relogement quand elles font un bond trop grand dans la hiérarchie résidentielle. C’est le cas quand elles se trouvent relogées dans des quartiers beaucoup plus aisés qu’auparavant. L’effet positif sur leur moral est ainsi moins présent quand elles se sentent différentes des gens du voisinage. Seuls 63 % de celles qui se sentent plutôt différentes considèrent que le relogement a eu un effet positif sur leur moral, contre 87 % de celles qui se sentent plutôt semblables. Le fait de se sentir relativement semblable aux gens du quartier fait aussi que l’on s’y trouve mieux : « seuls » 67 % des personnes qui se sentent plutôt différentes des gens du quartier apprécient l’ambiance du quartier, pour plus de 91 % de celles qui se sentent plutôt semblables. En cas de décalage, les anciens mal-logés prennent conscience de leur position sociale disqualifiée, alors que l’ancien milieu rendait ce sentiment moins aigu. La proximité physique avec des personnes mieux loties que soi aggrave les différences et la perception des inégalités. Vivre pauvre dans un quartier riche est ainsi parfois plus préjudiciable que vivre pauvre dans un quartier pauvre (Kirszbaum, 2006) [12]. De fait, la comparaison à une personne dans une moins bonne situation que la sienne a un effet bénéfique sur le bien-être, tandis que la comparaison à une personne mieux lotie conduit à développer des sentiments de jalousie, d’hostilité et de frustration, et contribue à la construction d’une image de soi négative (Croizet et Leyens, 2003). On comprend que le déplacement dans un univers où les « comparaisons descendantes » sont impossibles et laissent place à des « comparaisons ascendantes » soit coûteux psychologiquement. Chamboredon et Lemaire (1970), au sujet des grands ensembles, constatent ainsi que le rapprochement et la confrontation avec des groupes plus favorisés nourrissent le sentiment de relégation et l’impression de n’être pas à la hauteur des exigences du nouveau logement. Dans notre enquête, ces sentiments sont aussi liés à la difficulté qu’éprouvent les anciens mal-logés à nouer des relations dans un milieu social qui n’est pas le leur. Ils lient plus de contacts quand ils ont déménagé dans les arrondissements populaires : 62 % de ceux qui habitent le Nord de Paris disent avoir beaucoup de contacts avec les gens du quartier contre 31 % de ceux qui habitent le Sud ou les arrondissements centraux.
87 Au cours des entretiens, les réserves exprimées dans les questionnaires quant à la nouvelle situation résidentielle se transforment souvent en déception, voire en souffrance. M. R. témoigne du décalage qu’il ressent avec son nouveau lieu de résidence :
« Et tu vois là-bas, c’est un beau quartier. Là-bas, y a peu de Blacks. C’est tout, je dis pas, le quartier est beau, mais je vois pas les Blacks. […] Dans le 14e, les courses coûtent plus cher. À 21 heures, les rues sont désertes. Il n’y a pas d’animation. Les gens sont timorés. On est tous des inconnus. On se parle pas. […] Dans le métro, les gens se regardent sans rien dire. On te dévisage si tu parles un peu plus fort. » (entretien no 81).
89 De même, un ancien occupant d’hôtel meublé du 18e arrondissement relogé dans le 17e dit souffrir du manque de relations sociales :
« Ici, il n’y a pas de conversation : juste la politesse. » (entretien no 91).
91 Quand il est arrivé dans le quartier, les gens le regardaient bizarrement, ce qui le mettait mal à l’aise. Nombreux sont ceux qui incriminent le peu de chaleur humaine de leur nouveau lieu de vie. La solidarité et la rue « vivante » manquent à un ancien occupant d’hôtel relogé dans un quartier uniquement résidentiel du 20e arrondissement, où il éprouve une sensation de « dortoir » (il parle à ce sujet d’un « urbanisme de confort monotone »). Au fond, ces personnes sont nostalgiques de ce que Agier (1999) appelle la « ville familière », dans laquelle on peut circuler, rencontrer le « proche » et s’approprier l’espace. Là encore, ce sont les personnes faiblement dotées en atouts sociaux qui bénéficient le moins du changement et éprouvent le plus de regrets par rapport à leur vie antérieure. Celles occupant ou ayant occupé dernièrement une profession qualifiée déclarent ne ressentir aucun effet négatif sur leur moral lié au déménagement, alors que c’est le cas de 19 % des professions non qualifiées. Ces effets sont d’autant plus exacerbés pour les plus précaires qu’ils sont relogés en priorité et préférentiellement dans les quartiers aisés afin de promouvoir la mixité sociale. En outre, ces personnes éprouvent des difficultés particulières à maintenir les relations avec l’ancien milieu social. Près de 60 % des gens voient moins souvent leurs anciennes relations qu’auparavant mais moins les personnes disposent d’atouts sociaux, plus cela se vérifie. Pour les plus disqualifiés socialement, le déménagement se traduit donc par un affaiblissement des liens sociaux qui constituaient un soutien psychologique et matériel. M.R., qui occupait auparavant un squat communautaire, évoque son attachement à son ancien mode de vie :
« Sans quoi, avant, si c’était pas cette façon de critère de beauté, de belle image à l’intérieur de notre immeuble, le courant passait, parce que nous étions ici à 90 % de Maliens, venant du même pays. Aucune porte n’était fermée. Mes enfants, ils peuvent venir chez le voisin comme ils veulent, comme les voisins peuvent causer avec ma femme comme ils veulent. Quand y a un problème ici, nous sentons que c’est un problème que nous traitons à l’africaine, au malien… […] Le courant passait. Hein, on n’était pas du tout dépaysés ici. […] Et la seule souffrance, c’est certainement la souffrance de nos enfants qui sont nés en France, qui ont eu à faire des connaissances ailleurs que par notre immeuble, qui ont un certain complexe d’accepter leurs amis dans cet immeuble parce que c’est dégradé. Notre problème, c’était un peu ça. » (entretien no 81).
93 Un homme parle des gens de son ancien hôtel comme d’une famille :
« On restait dehors jusqu’à une heure du matin », commente-t-il avec nostalgie (entretien no 91).
95 La perte de la proximité avec les personnes qui partageaient le quotidien représente un déficit de sécurité et d’entraide. Le déplacement des plus pauvres dans l’espace résidentiel a donc un double effet : non seulement ils peinent à s’adapter au nouveau milieu avec lequel la distance sociale est forte, mais en plus ils ne parviennent pas à conserver les liens avec le milieu qui était le leur.
96 Tous ces éléments expliquent le rapport ambigu des personnes à leur nouveau lieu de vie. Pour celles qui ont changé de quartier [13] (90 % de ceux qui ont déménagé), la satisfaction par rapport à celui-ci s’est légèrement améliorée. Toutefois, près de la moitié des gens disent en même temps regretter leur ancien quartier. Comme on pouvait s’y attendre, ceux qui disposent du plus d’atouts sociaux s’adaptent mieux. 7 % des « moins pauvres » ont eu des difficultés d’adaptation, pour 31 % des « plus pauvres ». Les personnes occupant ou ayant occupé dernièrement une profession qualifiée n’ont eu aucun problème, tandis que 22 % des professions non qualifiées en ont rencontrés. Malgré leurs difficultés à entretenir leurs anciennes relations sociales, les plus disqualifiés socialement ont alors du mal à rompre avec tout ce qui était lié à leur ancienne place. Moins les gens disposent d’atouts sociaux, plus ils reviennent dans leur quartier d’origine. Un homme fait systématiquement un détour par « sa rue » quand il passe dans les parages. Quant à une ancienne occupante d’hôtel, elle continue à faire ses courses rue d’Aubervilliers, dans le 19e arrondissement, pour revoir le quartier. Nombre de personnes regrettent d’ailleurs les commerces auxquels elles avaient autrefois accès. Beaucoup de retraités maghrébins retournent tous les matins au café, non loin du bâtiment démoli. Ces personnes peinent donc à s’adapter à la nouvelle place qui leur a été attribuée par les institutions et tentent de conserver des liens avec l’ancienne sans parvenir à entretenir les relations interpersonnelles qui faisaient toute sa richesse. Les immigrés font alors doublement l’expérience de la « double absence » (Sayad, 1999) : ils la vivent tout d’abord suite à l’émigration (ils ne se sentent tout à fait chez eux ni en France, ni dans leur pays d’origine), puis le relogement réenclenche ce processus au niveau du quartier (ils ne sont plus de l’ancien quartier sans se sentir chez eux dans le nouveau).
97 Au fond, le malaise apparaît quand un décalage se crée entre position résidentielle et position sociale : quand la situation sociale ne suit pas, on ne se sent pas à sa place dans le nouvel espace occupé. Comprendre le désarroi des personnes les plus disqualifiées socialement nécessite alors d’avoir à l’esprit que l’amélioration de la position résidentielle n’améliore pas pour autant la situation sociale et que les autres problèmes restent prégnants. L’accès au logement de qualité fait même émerger des difficultés auparavant reléguées au second plan. Au cours d’une réunion à la SIEMP sur le suivi social des familles, une personne du PACTE parle de « phénomène de décompression » :
« Rien n’est réglé après le relogement. Les situations problématiques restent. Parfois, le relogement amplifie même les problèmes. Quand les gens avaient des problèmes de logement, ils mettaient leur colère sur le logement. Mais avec le nouveau logement, il n’y a plus ce motif : ils se mettent à nu. Les autres problèmes reviennent au premier plan. » (Femme, PACTE, 50 ans).
99 Et au sujet d’un homme récemment divorcé qui déprime depuis qu’il a reçu une proposition de HLM :
« Il était dans sa “bulle de drame”. Il disait qu’il était mal logé et qu’il était pour rien dans ses problèmes. Il se disait victime. Subitement, on lui propose un appartement : tout s’écroule. » (Femme, chef du service social de la SIEMP, 45 ans).
101 Selon Goffman (1963), les individus affligés d’un stigmate s’en servent pour justifier des insuccès rencontrés pour d’autres raisons. Quand le stigmate disparaît, ils s’aperçoivent que la vie n’est pas simple, même pour les « normaux » qui ne souffrent pas de ce stigmate. Nombre de mal-logés mettaient leurs difficultés professionnelles, familiales et d’intégration sur le compte du taudis. Or, une fois logés convenablement, celles-ci n’en sont pas pour autant résolues.
102 De surcroît, il est courant que l’amélioration des conditions de vie sur un point donné modifie les aspirations concernant les autres domaines de l’existence. Par exemple, la sortie de la cité et du grand ensemble pour l’installation dans un lotissement où les classes moyennes sont fortement représentées modifie le rapport à l’emploi dans le sens d’une élévation des prétentions (Cartier et al., 2008). De même, l’amélioration de l’habitat suscite une plus forte attention à la qualité du lieu de travail (Ackermann et Moscovici, 1959 ; Zweig, 1961) et conduit à ne plus supporter certaines choses que l’on acceptait auparavant [14]. Notre enquête confirme ces effets en chaîne liés à un nouvel habitat. Une femme, anciennement mal logée, souffre de problèmes physiques et psychologiques depuis qu’elle a signé son bail :
« On a l’impression que tout se déclenche. Depuis qu’elle a changé de logement, elle ne supporte plus la saleté sur elle, elle ne supporte plus son incontinence. », explique la chef du service social.
104 Pour ceux dont le logement n’était pas la « pièce manquante » à l’intégration sociale, c’est-à-dire qui souffraient de nombreux autres problèmes sociaux, le changement peut donc s’effectuer dans la douleur, les autres manques étant vécus de façon plus douloureuse qu’auparavant. D’une certaine façon, le surclassement rend la disqualification sociale encore plus évidente et violente. Une chargée de relogement résume :
« Même si le logement est bien, les gens ne sont pas forcément heureux. »
106 Bien sûr, ce constat ne doit pas éluder le cas de toutes les personnes qui parviennent à profiter du reclassement résidentiel et prennent un nouveau départ dans la vie, mais il souligne les limites d’une intervention publique principalement centrée sur le logement.
107 Aujourd’hui peut-être davantage que par le passé, le logement est au cœur des enjeux de placement dans la société. Les plus marginalisés socialement sont les plus affectés par la relégation dans la hiérarchie résidentielle. Cependant, en raison de l’élargissement de la crise du logement, des personnes plus intégrées sont amenées à faire l’expérience du déclassement résidentiel. C’est le cas d’une partie des occupants de logements dégradés parisiens. Ils vivent cette situation douloureusement car ils la considèrent comme une injustice et une forme de rupture du contrat social, mais aussi parce que leurs conditions de logement dégradent leur perception d’eux-mêmes et leur statut dans la société. Bien sûr, ces personnes tentent de s’opposer à cette déchéance sociale : elles luttent contre la stigmatisation et la contamination de leur statut social et mettent tout en œuvre pour s’élever résidentiellement et socialement. Tout le problème réside dans le fait que, pour les plus démunis, les positions résidentielle et sociale fonctionnent comme des vases communicants : contraints d’arbitrer entre logement et consommation, il leur est impossible de s’élever dans l’un des ordres sans se voir rabaissés dans l’autre. D’où une sollicitation massive du logement social. Aux yeux des mal-logés, cet habitat permet la reconnaissance sociale, assure une certaine sécurité et garantit un effort financier raisonnable. Grâce au loyer modéré, ils espèrent maintenir ou accéder à un certain niveau de vie et échapper aux privations propres à la condition populaire. On ne peut ici qu’être frappé par l’importance de ces logements dans les projets de mobilité sociale des personnes défavorisées. La hiérarchie des statuts résidentiels, qui disqualifie généralement le statut de locataire d’un logement social, apparaît donc toute relative : selon les situations, cet habitat peut passer de statut honnis (par exemple, pour les « pavillonnaires ») à statut rêvé (pour les mal-logés du secteur privé).
108 À l’autre extrémité, le surclassement résidentiel est parfois porteur d’un sentiment de malaise social. Les privations en termes de consommation qu’implique la nécessité de s’acquitter de son loyer, la prise de conscience des inégalités liée à la possibilité de se comparer à un milieu social plus élevé et la persistance des difficultés professionnelles et familiales renvoient d’une certaine façon ces personnes à la place qu’elles avaient espéré quitter. Pour les plus précaires, positions sociale et résidentielle continuent de fonctionner comme des vases communicants malgré la modération des loyers. La rupture avec les anciennes attaches peut être un facteur supplémentaire de fragilisation. Si les individus s’étaient établis dans certains quartiers, c’est qu’ils y avaient noué des liens et s’y trouvaient d’une certaine façon protégés. C’est là qu’ils se sentaient chez eux et eux-mêmes, car s’ils n’étaient pas nécessairement semblables aux autres, du moins étaient-ils acceptés socialement et trouvaient-ils certains réseaux de solidarité. La rupture avec ce type d’ancrage, si les personnes sont fragiles et n’y sont pas préparées, est lourde de conséquences. Déstabilisés, les relogés tentent parfois de renouer avec leur ancienne place. Cependant, la rupture avec celle-ci est souvent irréversible et il est difficile de conserver les protections qui y étaient liées (fraternité, entraide). Ces personnes, qui ne se sentent pas à leur place, en subissent le coût psychologique et social. Certes, une partie des relogés, souvent les mieux dotés en atouts sociaux, s’adaptent à leur nouvelle vie. Mais, pour les autres, l’expérience du décalage peut être vécue avec douleur. Ordres social et résidentiel sont à ce point imbriqués que toute modification dans l’un des deux non suivie d’une modification similaire dans l’autre implique un sentiment de malaise. Une enquête réalisée sur une plus longue durée aurait peut-être permis d’observer des ajustements entre ces deux hiérarchies. Il reste que ces constats montrent à quel point une politique du logement ne peut être pensée indépendamment des politiques visant les autres champs de la vie sociale. Alors que, dans l’esprit des décideurs politiques, le déplacement des personnes dans l’espace résidentiel est bien souvent pensé comme une solution aux problèmes sociaux, il apparaît que le seul bouleversement de l’ordre résidentiel ne peut porter ses fruits sans une réduction des inégalités sociales, et que la mixité sociale ne se décrète pas par un simple transfert de populations.
109 Plus largement, ces constats mettent en évidence le rôle largement sous-estimé de la crise du logement dans le développement de l’aigreur sociale. Ils amènent à considérer l’importance pour une société de s’attacher à ce que la promotion sociale s’accompagne d’un déplacement similaire dans la hiérarchie résidentielle. Le malaise social et les sentiments d’injustice apparaissent quand ces deux ordres ne fonctionnent plus ensemble. La question à laquelle les décideurs politiques ont donc aujourd’hui à répondre est : comment réparer la machine qui, durant les Trente Glorieuses, faisait que les parcours résidentiels « collaient » à la mobilité sociale du ménage dans la société ?
ANNEXE. – Entretiens cités
110 14 - Femme, PACTE de Paris, coordinatrice OAHD, 37 ans.
111 21 - Homme, SIEMP, directeur de l’éradication de l’insalubrité, 60 ans.
112 23 - Homme, SIEMP, directeur de la Sous-direction de l’Aménagement (SDA), 45 ans.
113 51 - Mme G. : locataire relogée « grâce » au saturnisme, célibataire, 1 enfant, Française d’origine camerounaise, blanchisseuse, 40 ans.
114 53 - M. Y. : squatteur, marié, 1 enfant, Ivoirien, sans-papiers, travailleur au noir, 30 ans.
115 59 - Mme V. : locataire, mariée, 4 enfants, Camerounaise, situation régulière, auxiliaire de vie, 45 ans.
116 65 - M.B. : squatteur, marié, 3 enfants au pays, Français d’origine mauritanienne, employé à la voierie, 38 ans.
117 67 - M.A. : squatteur, marié, 3 enfants, Sénégalais, situation régulière, agent de production/cariste, 36 ans (revu 2 ans plus tard : relogé).
118 69 - M.Q. : locataire, séparé, 1 enfant, Tunisien, situation régulière, employé dans les transports routiers, 38 ans.
119 71 - M. N. : hébergé chez ses parents, séparé, sans enfant, Algérien, situation régulière, chauffeur de camion, 35 ans.
120 76 - M. E. : squatteur, divorcé, 1 enfant, Ivoirien, situation régulière, plombier, 49 ans.
121 77 - M. C. : locataire, marié, 1 enfant, Français d’origine marocaine, manager, 29 ans.
122 78 - M. D. : squatteur, marié, sans enfant, Français d’origine algérienne, chauffeur-livreur, 40 ans (revu 2 ans plus tard : resté sur place).
123 80 - Mme P. : locataire, divorcée, 2 enfants, Française, retraitée, 75 ans.
124 81 - M. R. : squatteur, marié, 3 enfants, Malien, situation régulière, vigile, 50 ans.
125 88 - Mme M. : squatteuse, mariée, 2 enfants en France, 1 en Côte-d’Ivoire, Ivoirienne, situation régulière, chômeuse, 28 ans.
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Mots-clés éditeurs : CATÉGORIES POPULAIRES, LOGEMENT DÉGRADÉ, MOBILITÉ SOCIALE ET RÉSIDENTIELLE, PAUVRETÉ, LOGEMENT SOCIAL
Date de mise en ligne : 11/06/2013.
https://doi.org/10.3917/rfs.542.0369Notes
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[1]
Selon Castel (1998), l’exclusion du marché du travail peut tenir à une incapacité propre à l’individu de satisfaire aux exigences requises pour occuper une place dans la société, mais une autre situation renvoie à une carence de l’organisation sociale, qui ne fournit pas à ses membres les moyens nécessaires pour s’intégrer.
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[2]
Peugny (2010) distingue trois types de déclassement : le déclassement intergénérationnel, le déclassement survenant au cours du cycle de vie et le déclassement synonyme du concept anglo-saxon d’overeducation, qui renvoie à la situation d’individus qui seraient trop qualifiés pour les emplois qu’ils occupent. C’est dans cette dernière acception que l’on entend le terme déclassement.
-
[3]
La souffrance sociale « naît lorsque le désir du sujet ne peut plus se réaliser socialement, lorsque l’individu ne peut plus être ce qu’il voudrait être. C’est le cas lorsqu’il est contraint d’occuper une place sociale qui l’invalide, le disqualifie, l’instrumentalise ou le déconsidère » (Gaulejac, 1996, p. 131).
-
[4]
Les occupants des immeubles moins insalubres voient peu leurs conditions de logement évoluer. Ils obtiennent parfois des travaux, mais ceux-ci sont essentiellement réalisés dans les parties communes et, dans les cas où ils le sont dans les parties privatives, ils ne résolvent en rien les problèmes de suroccupation, très répandus. Leur position dans la hiérarchie résidentielle est donc relativement stable.
-
[5]
Goffman (1963) analyse les symboles de stigmate comme des signes dont l’effet est d’attirer l’attention sur une faille honteuse dans l’identité de ceux qui les portent, et qui détruisent ce qui aurait pu être un tableau d’ensemble cohérent.
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[6]
Les personnes disposant des conditions de vie les pires sont celles qui invitent le moins d’amis chez elles : seuls 46 % d’entre elles invitent régulièrement alors que ce taux est de 53 % pour celles qui ont des conditions de vie moyennes et de 71 % pour celles qui jouissent des meilleures situations. L’influence de la qualité du logement est moins nette quand il s’agit de la famille : 35 % de ceux qui souffrent des conditions de vie les pires reçoivent régulièrement pour 41 % de ceux ayant des conditions de vie moyennes et 51 % de ceux disposant des meilleures conditions de vie. Les personnes déclarent inviter moins la famille que les amis, car certaines n’ont pas de famille en France ou en région parisienne.
-
[7]
Mouvement Pact Arim pour l’amélioration de l’habitat.
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[8]
En Île-de-France, les loyers sociaux sont en moyenne deux fois moins élevés que ceux pratiqués dans le privé et jusqu’à quatre fois moins au centre de l’agglomération (Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France [AORIF]), Chiffres-clés. Le logement en 2006 en Île-de-France).
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[9]
Office public d’aménagement et de construction.
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[10]
Société anonyme de gestion immobilière.
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[11]
Pour une synthèse des effets du déplacement dans la hiérarchie sociale, voir l’article de Peugny (2006).
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[12]
Ceci fait écho à la théorie de la « privation relative », selon laquelle le malaise naît quand les voisins sont plus aisés.
-
[13]
Ici, la notion de quartier est subjective. Cependant, le fait que les gens affirment avoir changé de quartier est révélateur de leur sentiment d’éloignement par rapport à leur ancien lieu de vie.
-
[14]
Inversement, il existe un lien entre la qualité des conditions de travail et ce que l’on attend de son logement. Selon Halbwachs, les ouvriers qui travaillent en atelier n’ont pas les mêmes prétentions par rapport au logement que les employés et les fonctionnaires, pour qui rentrer dans des logements aussi spartiates représenterait une régression par rapport à leur lieu de travail ([1942] 2008).