Couverture de RFS_541

Article de revue

Modernisation et bureaucratie, l'administration d'État à l'aune du privé

Pages 83 à 110

Notes

  • [*]
    L’enquête « Changement organisationnel et informatisation » a été financée par les services statistiques du ministère du Travail (Dares) et par la Direction générale de l’administration de la fonction publique (DGAFP), et réalisée par l’Insee. Le travail présenté ici a bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR), programme « entreprise », Projet COI-COSA animé au Centre d’étude de l’emploi (CEE) par Nathalie Greenan.
  • [1]
    Les entreprises publiques opérant dans les secteurs marchands sont, dans l’enquête COI, assimilées aux entreprises privées. Leur poids dans l’échantillon est trop faible pour que l’on puisse les analyser séparément. C’est donc par commodité que le terme « privé » sera par la suite utilisé pour désigner les entreprises marchandes publiques et privées et leurs salariés, analysés dans COI.
  • [2]
    La chronologie de la coupure est délicate à établir, Bezes évoque les années 1950, cependant le mouvement de la rationalisation des choix budgétaires, dans les années 1960, semble en grande partie ressortir encore à la visée de bureaucratisation (Poinsard, 1987).
  • [3]
    La Direction générale de la modernisation de l’État a promu dans les préfectures et les services du ministère de la Justice certains aspects les plus prescriptifs de ces démarches comme les plans de classement. Cet organisme joue aussi sur les sigles en défendant une démarche LEAN : Leviers d’efficacité pour une administration nouvelle.
  • [4]
    Pour une synthèse récente de ces travaux, voir Jeannot (2008).
  • [5]
    L’enquête COI exclut de son champ les enseignants, magistrats et le ministère de la Défense (voir Encadré méthodologique), et nous excluons ici de la comparaison les salariés de la fonction publique hospitalière.
  • [6]
    Les formulations du questionnaire COI sont reprises en italiques.
  • [7]
    « The official is set for a “career” within the hierarchical order for the public service. He expects to move from the lower, less important and less well paid, to the higher positions. The average official naturally desires a mechanical fixing of the conditions of promotion : if not of the offices, at least of the salary levels. He wants these conditions fixed in terms of “seniority”, or possibly according to grades achieved in a system of examination. » (Weber, [1922] 1968, p. 963).
  • [8]
    Le nombre d’outils comparables avec le privé est limité, on vérifie cependant sur une liste beaucoup plus importante de 28 outils informatiques et de gestion, mais dont une partie ne figure pas dans le questionnaire auprès des employeurs privés, que le niveau d’équipement du ministère de l’Économie (63 %) est supérieur à celui de tous les autres ensembles d’administration retenus ici (moyenne :45 %). La croissance du taux d’équipement en outils de gestion est partagée par toutes les composantes de l’administration, le taux moyen déclaré pour 2003 dans la même enquête était de 29 %. Les résultats détaillés concernant l’enquête à destination des responsables de service sont présentés dans Jeannot et Guillemot (2010).
  • [9]
    Cet argument peut être soutenu par l’analyse des outils de ressources humaines, sur lesquels l’enquête COI apporte des informations pour le seul secteur public (Jeannot et Guillemot, 2010).

1 Le discours et les actions de réforme des administrations publiques se sont construits durant les trois dernières décennies autour de la mise en avant conjointe d’un problème, la bureaucratie, et d’un espace de solutions, le secteur privé. Évaluer de manière empirique l’impact de ces réformes rapporté à l’intention de leurs promoteurs conduit à poser deux questions. La gestion des administrations publiques est-elle aujourd’hui alignée sur celle des entreprises privées ? Et dans quelle mesure cet alignement peut-il être compris comme une débureaucratisation ? L’extension à la fonction publique de l’État de l’enquête statistique « Changement organisationnel et informatisation » (COI), initialement réalisée auprès des entreprises marchandes et de leurs salariés, offre une perspective inédite dans la mesure où elle permet de décrire les pratiques de gestion et de travail dans l’administration publique en les comparant à celles enregistrées dans le privé [1] (voir Encadré méthodologique en Annexe). Cependant, dans la mesure où ce dispositif d’enquête a été conçu dans le contexte des débats sur l’évolution de la gestion des entreprises privées, la réponse aux deux questions posées doit se faire dans les catégories propres à ce débat et non dans celles mobilisées traditionnellement pour l’analyse des bureaucraties publiques. Ainsi cet instrument de mesure ne permet-il pas d’aborder des thèmes importants comme les formes de dépendance entre élus et fonctionnaires. Mais il permet, en revanche, d’observer finement les pratiques de contrôle du travail ou de différenciation salariale des fonctionnaires. Il en ressort que si les pratiques gestionnaires dans certains ministères se rapprochent de celles observées dans certains secteurs du privé, c’est pour rejoindre des tendances bureaucratiques qui s’y sont développées. L’appropriation de pratiques de gestion issues du privé revendiquée et en partie atteinte se traduit donc moins par un affaiblissement de la bureaucratie que par son plus net accomplissement.

Projet de débureaucratisation et transfert d’outils de gestion

2 La problématisation du fonctionnement interne des administrations publiques est marquée, selon Bezes (2009, p. 17), par un grand retournement. Depuis le XIXe siècle, les politiques de réforme de l’administration renvoyaient à l’invention et à la mise en place de principes et de règles d’administration bureaucratique (création de hiérarchie, professionnalisation des employés, rationalisation). Dans la situation contemporaine [2], le mouvement est au contraire celui d’une mise en cause de ces règles historiques. « L’administration bureaucratique n’est plus la solution, l’institution qu’il faudrait parfaire pour renforcer l’efficacité du pouvoir : elle est devenue le problème. » (ibid., p. 23). Les solutions proposées conduisent en particulier à démanteler les grandes organisations hiérarchiques au profit de plus petites unités rendant des comptes en fonction d’objectifs ou régulées par des marchés internes de prestation, à remplacer un traitement formel et égalitaire des agents par leur responsabilisation sur des objectifs précis et une différenciation en fonction de leurs résultats, et, enfin, à substituer à une mise à distance des usagers garante de l’impartialité de l’État la recherche d’une meilleure adéquation aux spécificités des destinataires, parfois appelés « clients ».

3 La critique contemporaine de la bureaucratie trouve ses racines dans la réponse de la sociologie américaine à une lecture (partiellement tronquée [Weiss, 1983 ; Chazel, 1995]) de l’œuvre de Weber. Merton (1940) a mis en avant l’émergence d’une mentalité bureaucratique qui conduit à confondre les moyens et les fins : les règles deviennent absolues et prennent le pas sur les visées d’efficacité qui les sous-tendaient. Selznick (1949), reprenant des éléments sur les organisations informelles de Roethlisberger, Dickson et Wright (1939), étendra l’argument d’un détournement des buts de l’organisation au profit de règles de fonctionnement propres à des sous-groupes de l’organisation. Cette figure du détournement sera reprise par des économistes autour de la question des incitations (Downs, 1967). Selon Niskanen (1971), les responsables de bureau visent à renforcer leur propre importance en augmentant les dépenses de leur administration. D’autres auteurs, prenant une posture moins radicalement critique, souligneront l’ambiguïté des potentialités des bureaucraties. Gouldner (1954) remarque que la conceptualisation par Weber de la question du contrôle conduit à une double légitimité de celui-ci, liée aux règles elles-mêmes mais aussi au savoir des agents, et il montre, dans une étude de cas, la possibilité de règles discutées entre la hiérarchie et l’exécution. Blau (1955) met en évidence des capacités d’apprentissage des bureaucraties. Les travaux de Crozier (1963) en France, dont les débuts s’inscrivent directement dans cette filiation américaine, porteront aussi sur l’analyse des formes d’adaptation et la théorisation du changement (Crozier et Friedberg, 1977). Thoenig, pour sa part, mettra en avant dans différents cas de figure l’ouverture et la souplesse des fonctionnaires vis-à-vis de leur environnement (Crozier et Thoenig, 1975 ; Dupuy et Thoenig, 1985).

4 Les critiques de la bureaucratie n’ont jamais été limitées aux administrations publiques. La montée de la technocratie dans les grandes entreprises américaines était en particulier visée par les travaux classiques comme ceux de Burnham (1941) ou de Gouldner (1954). Plus récemment, des travaux portant sur le renouvellement des formes de rationalisation de l’activité productive ont réactivé la discussion sur la bureaucratisation des entreprises (Courpasson, 2000 ; du Gay, 2000 ; Courpasson et Reed, 2004). Des enquêtes empiriques convergentes ont aussi relativisé les différences entre public et privé à ce propos, les spécificités du public apparaissant limitées aux fonctions personnel et achat (Rainey et Bozeman, 2000).

5 Cependant, comme le soulignent Rainey et Bozeman dans le titre de leur article de synthèse, « le pouvoir de l’a priori » semble l’emporter sur toute mesure : le monde du privé, saisi comme un bloc, reste le plus souvent opposé à celui du public et présenté dans le débat international sur la gestion publique comme la référence incontournable pour abolir la bureaucratie. Cela a pu conduire tout d’abord, sous l’influence des économistes, à de pures et simples privatisations, mais par la suite cette inclination se cristallisera dans un programme de réforme introduisant certaines pratiques du secteur privé dans l’administration : le New public management. L’ouvrage de Osborne et Gaebler (1992), traditionnellement considéré comme la référence de ce courant, établit explicitement le lien entre le projet d’abattre la bureaucratie et la glorification du secteur privé dans toutes ses composantes. Ce programme est loin d’être un ensemble cohérent (Hood, 1991) et les déclinaisons seront très variables selon les pays. Dans le cas de l’Europe continentale, France comprise, c’est surtout la diffusion d’outils de gestion issus du secteur privé qui a longtemps dominé (Pollitt et Bouckaert, [2000] 2004), diffusion souvent appelée « modernisation » par ses promoteurs.

6 Les thèmes combinés de la débureaucratisation et du modèle du privé émergent en France dans les années 1980. Le thème de la « maladministration » était bien présent antérieurement, mais ces critiques avaient conduit à des réponses juridiques ou administratives (création d’un médiateur de la République en 1973, lois de 1978 et 1979 sur l’accès aux documents, la motivation des actes administratifs, la simplification des formulaires, etc.). Après 1984, le thème de la qualité émerge d’abord sous les gouvernements Fabius puis Balladur, pour se cristalliser en 1989 avec le projet du « renouveau du service public » porté par Michel Rocard. Le projet de débureaucratisation passe alors par l’importation de certains outils de gestion qui se diffusent dans le secteur privé. L’objectif est de détendre certaines rigidités du fonctionnement quotidien des services en promouvant la participation des agents (cercles de qualité, puis projets de services) et la responsabilisation des chefs d’unités (centres de responsabilité) (Chaty, 1997), dans un contexte de contrôle par la société, au travers des démarches d’évaluation et de comités d’usagers (Spenlehauer, 1998). Après un certain essoufflement (Gibert et Thoenig, 1993 ; Barouch, 1994), cette vision de la réforme « par l’aval » (les agents des administrations et le contrôle social par les usagers) est remise en cause. L’attaque de la bureaucratie passe alors, en se rapprochant des pratiques anglo-saxonnes du New public management, par le renforcement de contrôles externes. C’est tout particulièrement le cas, en 2000, avec la Loi organique sur les lois de finances (LOLF) renforçant le contrôle du budget par le Parlement, puis avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP), en 2007, reposant sur un audit centralisé de l’efficacité des différents segments administratifs. Ce sont alors d’autres instruments qui sont importés, comme les tableaux de bord portant sur des objectifs chiffrés pour le premier cas ou des composantes du Lean management pour le second [3]. Par ailleurs, de manière continue et plus discrète, la transformation de l’administration passe aussi par l’appropriation d’outils informatiques de gestion (des progiciels de gestion intégrée ou ERP) ou de communication avec les administrés (e-administration). Après toutes ces années de réforme, la question de la débureaucratisation reste cependant posée. Certains acteurs, en particulier parmi les promoteurs des réformes des années 1980, s’interrogent sur l’oubli de l’objectif de confiance (Cannac et Trosa, 2007), le décalage flagrant entre les indicateurs de la LOLF et la réalité visée (Brunetière, 2006) ou sur une dérive instrumentale de la gestion (Bartoli, 2008).

L’administration à l’aune du privé

7 Les transformations de l’administration française ont très peu été saisies par des approches quantitatives. Les principaux travaux quantitatifs ont été menés dans les contextes nord-américain et britannique. Dans le cas nord-américain, outre les travaux comparatifs sur la gestion entre public et privé déjà évoqués (Rainey et Bozeman, 2000 ; Boyne, 2002), la question de la bureaucratie a aussi été abordée sous l’angle des complications faites aux usagers et de la paperasserie (Pandey et Scott, 2002). Dans le cas britannique, les observations ont porté sur le développement du contrôle et de la pression sur le travail (Hoggett, 1996 ; Foster et Hogget, 1999), concluant à une intensification du travail plus marquée que dans le privé (Green, 2004) sans toutefois que cette évolution soit accompagnée d’une délégation de responsabilité des ressources humaines aux niveaux inférieurs de la hiérarchie (Kirkpatrick et Hoque, 2005). C’est aussi dans ce pays que les travaux sur l’impact des nouveaux principes de gestion ont été les plus développés (Boyne et al., 2003 ; Andrews et al., 2008). Dans d’autres pays d’Europe, quelques mesures de la diffusion des outils de gestion ont été engagées : en Allemagne (Kuhlmann, Bogumil et Grohs, 2008), Norvège (Lægreid, Roness et Rubecksen, 2006), Espagne (Torres, Pina et Royo, 2005). En France, les enquêtes quantitatives permettant de comparer les secteurs public et privé concernent principalement la dimension des conditions de travail. Les travaux de Gollac et Volkoff ([2000] 2007, p. 46-49) ont ainsi mis en évidence une certaine protection des agents publics vis-à-vis de la pression du marché et des fluctuations de la demande, mais aussi de plus fortes contraintes liées au contact direct avec le public ou à des astreintes de service public. Des enquêtes européennes permettent de compléter la connaissance des conditions de travail (Jettinghoff et Houtman, 2009) ou d’éclairer des questions de motivation au travail (Rouban, 2010). La possibilité de comparer les administrations avec le secteur privé a cependant été largement contrainte, jusqu’à présent, par la limitation du champ de beaucoup de grandes enquêtes aux entreprises des secteurs marchands et à leurs salariés.

8 L’édition 2006 de l’enquête COI a été élaborée dans le cadre du débat sur l’évolution du secteur privé, avec en particulier des interrogations sur les formes de prescription et de contrôle du travail. Étendue à la fonction publique de l’État, l’enquête COI permet ainsi d’aborder la question de la bureaucratie d’État dans les catégories du débat sur le secteur privé : les questions essentielles, dans la perspective wébérienne, de la patrimonialité ou de la relation entre les politiciens et les bureaucrates (Weber, [1918] 2004) ne peuvent être appréhendées. La création d’agences autonomes ou les nouvelles relations en réseaux entre entités administratives (partenariat ou joined-up government), points parmi les plus débattus par les sciences politique et administrative, sont difficilement saisissables par cet outil. Il en va de même de la perception par les destinataires de l’action publique des défauts supposés de la bureaucratie (distance, complexité, paperasserie). Ce sont donc moins les dimensions amont et aval de la bureaucratie que le cœur de son fonctionnement interne quotidien qui peuvent être mis en lumière par l’enquête. En outre, la comparaison des réponses au questionnaire doit être abordée avec prudence. Les mêmes questions peuvent prendre des sens différents pour les répondants de l’administration et des entreprises privées. C’est le cas, par exemple, de celles qui utilisent le terme « procédure ». Si ce dernier correspond dans le privé à des démarches formalisées de prescription de l’activité, il peut évoquer, dans l’administration, des procédures à caractère juridique. C’est ainsi que les taux de réponses positives associées à ce terme sont plutôt élevés dans la police, alors que les démarches de qualité y sont quasiment inexistantes. Certains résultats peuvent être interprétés diversement, comme l’usage de l’écrit. Cette pratique est présentée par Weber comme une caractéristique de la bureaucratie et de l’encadrement de l’activité, mais elle peut être comprise, dans le contexte de mise en œuvre de procédures de qualité, comme le signe de la prise en compte du point de vue des exécutants (Cochoy, Garel et Terssac, 1998).

9 Avec ces restrictions, l’extension de l’enquête COI à l’administration d’État permet cependant d’aborder de manière originale la question du devenir de la bureaucratie dans un contexte marqué par la référence au marché et au modèle de gestion du privé. Le questionnaire à destination des salariés offre la possibilité d’approcher de manière fine deux dimensions importantes du fonctionnement des organisations : les modalités de rétribution (évaluation, salaire variable) et le processus de définition et de suivi de l’activité (prescription, contrôle, coopération). D’autres questions sont mobilisées ici, notamment le jugement porté par les salariés sur diverses dimensions de leur travail et de son évolution récente. Cela permet de brosser un tableau du fonctionnement des organisations tel qu’il est perçu de manière concrète par ses divers agents. L’objectif étant d’appréhender le travail administratif, le volet salarié de l’enquête a porté sur un échantillon d’agents de l’État, hors ministère de la Défense, enseignants et magistrats (les données sur l’Éducation nationale concernent ainsi les agents travaillant dans les académies ou rectorats ou le personnel administratif des lycées). Le dispositif d’enquête COI inclut aussi un questionnaire à destination des employeurs (les directions centrales et déconcentrées des ministères) les interrogeant sur l’utilisation de différents outils informatiques et de gestion, questionnaire partiellement comparable à celui destiné aux employeurs privés. Le couplage des réponses des employeurs avec celles des salariés permet d’associer aux caractéristiques observées du travail l’équipement en outils informatiques ou de gestion. Il s’agit ici de statistiques descriptives qui ne prétendent pas expliquer les différentes figures de la bureaucratie, cependant des informations institutionnelles ou des travaux sociologiques qualitatifs menés dans différents ministères [4] permettent de remettre en contexte les résultats issus de l’enquête.

10 Deux partis pris ont orienté l’analyse présentée ici. Le premier a été de rapporter les données concernant l’administration à celles observées dans le privé, ce qui est rendu possible par le fait que le questionnaire à destination des salariés est le même pour tous. Les différences public/privé mises en avant sont contrôlées au moyen de régressions logistiques permettant de tenir compte des effets de composition (fonction exercée, catégorie sociale, contact avec le public sont contrôlés). Lorsque ces différences sont importantes, on ne présente que les statistiques descriptives (Tableaux 1 à 4) ; lorsqu’elles sont plus délicates à établir, on s’appuie sur les résultats des régressions (Tableaux 5 à 7). Il est ainsi possible de comparer les pratiques de travail dans l’administration et dans différentes composantes du secteur privé et de documenter la thèse de la proximité entre ces pratiques. Le second parti pris a consisté à différencier les ministères ou groupements de ministères. Ce choix contraste avec la plupart des analyses économiques, qui saisissent « l’administration » ou le « secteur public » comme un bloc quand les analystes du secteur privé interrogent plus souvent des différences entre secteurs ou entre modèles d’organisation (Veltz et Zarifian, 1993 ; Lorenz et Valeyre, 2005 ; Amossé et Coutrot, 2008). En effet, si, comme l’a montré Bezes (2009), les impulsions de réforme de l’État reposent sur le Premier ministre, les observateurs du management public ont souvent mis en avant l’engagement très variable des différentes composantes ministérielles dans la réforme : les ministères ingénieurs (Équipement et Agriculture) apparaissent ainsi sous les feux de la rampe au début des années 1990, quand les ministères économiques et financiers émergent aujourd’hui, ne serait-ce qu’institutionnellement avec l’attribution de la réforme de l’État dans leur périmètre, au cœur des changements contemporains. C’est en tenant compte de ces analyses historiques et des contraintes propres à la taille de l’échantillon qu’une segmentation des ministères, centrale pour l’analyse des limites de la débureaucratisation, a été établie.

Moins de différenciation des agents que dans le privé

11 Les caractéristiques du travail des salariés du privé et du public sont, de manière générale, peu différentes : le travail quotidien rapproche (Guillemot, Jeannot et Peyrin, 2010). Les rythmes et horaires, la collaboration et l’entraide, le contrôle et l’autonomie dans les fonctions administratives de l’État [5] et les entreprises des services marchands, tels qu’ils sont mesurés par l’enquête COI, apparaissent proches notamment au regard des différences internes aux organisations entre cadres et employés ou ouvriers (Guillemot et Peyrin, 2011).

12 Dans ce contexte de relative convergence entre l’administration et les entreprises, la question des incitations salariales et plus largement des modalités de différenciation des agents se distingue. Dans l’enquête COI, les agents de l’État déclarent en effet nettement moins souvent que les salariés du privé avoir une part de salaire qui est variable, que l’augmentation de la rémunération ou l’avancement dépend surtout de leur travail ou de celui de l’équipe[6], que l’évaluation de leur travail a des conséquences concrètes sur la rémunération ou encore, lorsqu’ils sont responsables hiérarchiques ou évaluateurs, ils disent nettement moins avoir de l’influence sur les salaires, primes ou promotion des salariés encadrés ou évalués (Tableau 1).

13 Pour ces quatre indicateurs, les salariés des entreprises sont deux à trois fois plus nombreux à être concernés que les agents de l’État. En revanche, six agents de l’État sur dix déclarent avoir un entretien d’évaluation annuel portant sur des critères précis et/ou mesurables contre la moitié des salariés des entreprises : ces entretiens, développés dans de nombreux ministères dès le début des années 1990 (Rangeon, 1992), étaient déjà bien répandus en 2006, au moment de l’enquête. Mais si les agents interrogés disent assez fréquemment que ces entretiens ont des conséquences sur leur carrière (la moitié) ou sur les formations suivies (un tiers), ils débouchent peu sur une différenciation en termes salariaux (un sur cinq). La pratique de l’entretien d’évaluation concerne une forte majorité de cadres dans les deux secteurs, mais alors qu’elle est presque autant développée parmi les employés et ouvriers du public ces catégories sont nettement moins concernées dans le privé (Tableau 4). On peut interpréter cette absence, au sein de l’administration publique, de hiérarchisation de l’entretien d’évaluation selon la catégorie de personnel comme un indice de son caractère relativement formel, et de son intégration dans la gestion administrative des carrières.

14 Si ces traits caractérisent la gestion salariale des agents de l’État en général, on observe néanmoins des variations selon les ministères, probablement significatives de différences dans la mise en œuvre de réformes cherchant à introduire, au sein de la fonction publique, des formes d’incitation salariale (Tableau 1). Ainsi, le ministère de l’Économie et les ministères ingénieurs se caractérisent par des entretiens d’évaluation annuels quasi systématiques (neuf agents sur dix), portant pour l’essentiel sur des critères précis, qui influencent les rémunérations dans moins d’un tiers des cas, mais quand même sensiblement plus que dans les autres ministères. On est encore loin des entreprises marchandes, dans lesquelles les entretiens ont une fois sur deux, pour les salariés concernés, des conséquences sur les rémunérations. Mais dans la mesure où ils sont nettement plus fréquents dans ces ministères, c’est finalement la même proportion de salariés que dans le privé – un sur quatre – qui déclarent que des entretiens d’évaluation ont un impact sur les rémunérations, contre un agent sur dix pour les autres ministères. De la même manière, les évaluations ont des conséquences sur les carrières pour la moitié des agents des ministères ingénieurs et de l’Économie, contre un peu plus d’un quart dans les entreprises et dans les autres ministères. Ces deux ministères se distinguent néanmoins sur le rôle de l’encadrement dans cette politique des incitations salariales : la proportion de responsables hiérarchiques qui, au ministère de l’Économie, évaluent leurs subordonnés et déclarent avoir de l’influence sur les salaires ou carrières est faible, alors qu’elle est particulièrement élevée dans les ministères ingénieurs. S’opposent ici une organisation en équipes de grande taille chargées du traitement procédural de dossiers, typique de directions du ministère de l’Économie comme celle des impôts, aux petites équipes techniques qui jalonnent le territoire dans les Directions départementales de l’équipement. Le ministère de l’Éducation, et dans une moindre mesure la police se situent à l’opposé : des évaluations annuelles encore peu répandues, qui influencent les rémunérations dans moins d’un cas sur dix, et finalement très peu d’augmentations « au mérite ». Les carrières des policiers semblent cependant davantage dépendre des évaluations lorsqu’elles existent.

TABLEAU 1

Différenciation des salariés dans les ministères Déclaration des agents de l’État et des salariés du privé (en %)

Une partie
du salaire est variable
Augmen
tation
dépend du travail
L’évaluateur a de l’influence sur le salaire
ou la
carrière1
Entretien d’évaluation
annuel
Entretien d’évaluation
sur des
critères
précis
L’évaluation a des conséquences sur la rémuné
ration2
L’évaluation a des conséquences sur la carrière2
Ministère Économie 22 39 22 90 80 28 53
Ministère Éducation 13 20 14 40 34 23 41
Ministères ingénieurs 29 36 41 88 84 28 44
Police 20 20 15 54 50 7 67
Autres ministères 22 32 46 82 66 15 42
Ensemble FPE 20 29 24 68 60 22 49
Activités financières 40 65 52 83 79 42 49
Services entreprises 36 61 54 51 45 48 50
Autre privé 42 66 55 49 45 52 53
Ensemble entreprises 41 65 54 55 50 49 52
figure im1

Différenciation des salariés dans les ministères Déclaration des agents de l’État et des salariés du privé (en %)

Note :Parmi les responsables hiérarchiques et évaluateurs.
2 Parmi les évalués.
Champ : Salariés de l’État : hors enseignants, magistrats et ministère de la Défense. Salariés des entreprises : entreprises de plus de 20 salariés, hors agriculture, industries extractives et services aux particuliers. Dans le cas de l’influence des évaluateurs sur le salaire ou la carrière, le champ est celui des supérieurs hiérarchiques et/ou des évaluateurs, et dans celui des conséquences des évaluations, il correspond aux salariés évalués.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.

15 Le modèle bureaucratique de rétribution tel que décrit par Weber ([1922] 1968) dans son idéaltype de la bureaucratie (un salaire lié au rang et non à l’activité) semble largement prévaloir. La prise en compte de l’évaluation du travail dans le déroulement de la carrière existe bien, mais concerne en 2006 une minorité d’agents. La dérive d’une progression uniforme à l’ancienneté, pressentie par Weber [7], et évoquée dans diverses recherches (Dupuy et Thoenig, 1985), apparaît bien effective dans plusieurs ministères. Loin des pratiques du secteur privé, la mise en œuvre à grande échelle des outils d’évaluation individuelle ne semble pas avoir produit beaucoup d’effets sur l’individualisation des salaires. L’outil de gestion semble ici ne pas suffire à peser sur l’évolution effective des pratiques, ce qui peut correspondre à des « détournements » par les responsables hiérarchiques d’injonctions de différenciation des individus sous leurs ordres entrant en tension avec le statut de la fonction publique (Desmarais, 2003).

Moins de prescription, autant de contrôle, plus de coopération

16 Du côté des modes de prescription du travail, le tableau est plus nuancé. Les écarts entre les déclarations des agents de l’État et celles des salariés du privé sont de moins grande ampleur, et si une tendance se dégage – le travail des agents de l’État apparaît moins prescrit –, tous les indicateurs ne vont pas dans le même sens (Tableau 2). Les formes très précises de prescription sont, dans l’ensemble, moins développées dans l’administration de l’État que dans le privé. La part des salariés déclarant appliquer strictement des ordres ou consignes, procédures ou modes d’emploi ou que les supérieurs hiérarchiques disent comment faire le travail (plutôt que seulement les objectifs) est sensiblement la même qu’ils travaillent dans le public ou le privé (les différences ne sont pas ou peu significatives en contrôlant les fonctions et catégories sociales – Tableau 5), mais les deux tiers des salariés du privé disent suivre des procédures de qualité strictes contre la moitié de ceux du public. Et si une majorité d’agents de l’État déclare devoir atteindre des objectifs précis, c’est significativement plus fréquent dans le privé – de même que l’impossibilité de modifier les objectifs.

TABLEAU 2

Prescription et contrôle du travail Déclaration des agents de l’État et des salariés du privé (en %)

Prescription Contrôle
Application stricte des consignes Les
supérieurs
disent comment
faire
Procédures de qualité strictes Objectifsquanti
tatifs
précis
Objectifs
non
modifiables
Tauxencadre
ment
Contrôle fréquent
du
travail
Contrôle
par le
chef
Contrôle par les collègues Surveil
lanceinforma
tique
Ministère Économie 53 22 62 75 44 25 38 83 38 50
Ministère Éducation 39 13 45 36 17 29 26 69 25 8
Ministères ingénieurs 44 15 39 52 23 28 28 82 35 22
Police 62 29 51 50 25 34 56 76 34 38
Autres
ministères
44 12 36 44 21 23 29 61 19 20
Ensemble FPE 48 18 47 51 26 28 34 74 30 26
Activités financières 42 19 59 68 42 24 29 79 32 31
Services entreprises 44 20 63 58 29 31 29 70 21 26
Autre privé 44 21 69 62 33 30 39 72 26 25
Ensemble entreprises 44 21 66 62 34 30 36 73 26 26
figure im2

Prescription et contrôle du travail Déclaration des agents de l’État et des salariés du privé (en %)

Champ : Salariés de l’État : hors enseignants, magistrats et ministère de la Défense. Salariés des entreprises : entreprises de plus de 20 salariés, hors agriculture, industries extractives et services aux particuliers.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.

17 En revanche, le contrôle du travail fait apparaître très peu de différences significatives entre public et privé (Tableaux 2 et 4). La proportion d’agents de l’État et de salariés des entreprises déclarant avoir des personnes sous [leur] ordre ou autorité (mesurant un taux d’encadrement), que leur travail est contrôlé au moins une fois par semaine, que ce contrôle est exercé par le supérieur hiérarchique ou encore qu’ils sont surveillés, dans le travail, par des moyens informatiques, n’est pas significativement différente. Lorsque l’on tient compte des fonctions, des catégories sociales et du contact avec le public, la probabilité que les agents de l’État déclarent que le travail est contrôlé par d’autres collègues est cependant significativement supérieure à celle de leurs homologues du privé (Tableau 5).

18 Par ailleurs, que les questions soient exprimées en termes d’entraide (en cas de surcharge ou pour accomplir un travail délicat, en cas de difficultés avec le public ou de problèmes techniques) ou en termes de travail régulier avec d’autres, les collaborations sont plus fortes dans le public que dans le privé (Tableau 3). Les différences entre public et privé sont significatives dans toutes les composantes de l’administration de l’État, lorsque l’on contrôle la catégorie sociale, la fonction exercée et le contact avec le public (Tableau 6). La coopération avec l’extérieur est particulièrement développée chez les employés de l’administration, ce qui les rapproche des pratiques de cadres (Tableau 4). Le niveau de collaboration est particulièrement élevé dans la police, y compris avec les chefs, d’ailleurs plus nombreux que dans d’autres administrations (voir infra). Cela correspond à une organisation en petites équipes soudées dans lesquelles les premiers niveaux de hiérarchie sont directement engagés dans l’action. Les agents du ministère de l’Économie déclarent moins de relations externes à l’équipe (travail régulier avec d’autres services, avec l’extérieur et avec l’extérieur hors usagers), au contraire de ceux du ministère de l’Éducation et des petits ministères, qui combinent un niveau d’entraide et un niveau de collaboration externe élevés, tout au moins des cadres. En revanche, toutes les catégories d’agents des ministères ingénieurs se distinguent par leurs niveaux élevés de participation à des réunions et groupes de travail et de collaborations régulières avec l’extérieur, qui peuvent correspondre à des activités plus liées à la mise en œuvre de politiques publiques partenariales sur les territoires qu’à des traitements de masse de dossiers.

TABLEAU 3

Collaborations et entraide Déclaration des agents de l’État et des salariés du privé (en %)

Participe
à des réunions
Travail régulier avec les collègues Travail régulier
avec
l’extérieur
Travail délicat : aidé par le chef Travail délicat : aidé par
les
collègues
Problèmes techniques :
aidé par
les
collègues
Difficultés
avec le
public : aidé par
les
collègues1
Discutefréquem
ment avec les collègues
Bonne ambiance avec les collègues Bonne ambiance
dansl’entreprise/administration
Ministère Économie 75 93 54 43 79 47 28 65 81 48
Ministère Éducation 76 86 56 39 78 51 16 60 80 63
Ministères ingénieurs 86 92 75 39 73 43 14 65 80 45
Police 74 97 79 62 93 46 51 70 90 59
Autres
ministères
73 93 65 31 77 46 20 49 80 50
Ensemble FPE 77 91 64 42 80 47 25 62 82 54
Activités financières 92 89 50 46 69 42 25 66 82 59
Services entreprises 63 82 57 37 72 35 16 57 76 61
Autre privé 70 85 52 44 76 37 13 63 77 58
Ensemble entreprises 72 85 53 43 74 38 16 63 78 58
figure im3

Collaborations et entraide Déclaration des agents de l’État et des salariés du privé (en %)

Note :Champ des personnes en contact avec le public.
Champ : Salariés de l’État : hors enseignants, magistrats et ministère de la Défense. Salariés des entreprises : entreprises de plus de 20 salariés, hors agriculture, industries extractives et services aux particuliers.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.
TABLEAU 4a

Variations des déclarations sur la différenciation salariale, l’évaluation, la prescription, le contrôle du travail et la coopération dans le travail selon les catégories sociales : déclaration des cadres et professions intermédiaires de l’État et du privé (en %)

Une partie du salaire
est
variable
Augmen
tation
dépend du
travail
Entretien
d’éva
luation
annuel
L’évaluation a des conséquences sur la carrière1 Appli
cation stricte des consignes
Procédures de qualité
strictes
Surveil
lanceinforma
tique
Travail
régulier avec les collègues
Travail
régulier
avec
l’extérieur
Ministère Économie 25 40 93 52 55 68 52 92 66
Ministère Éducation 17 20 34 32 29 41 10 82 81
Ministères ingénieurs 27 41 91 51 51 35 20 94 77
Police ns ns ns ns ns ns ns ns ns
Autres
ministères
27 36 71 41 33 19 14 89 78
Ensemble FPE 23 33 71 47 43 45 28 89 75
Activités financières 49 75 87 54 41 54 31 91 61
Services
entreprises
42 68 71 54 37 67 25 86 77
Autre privé 47 78 64 63 36 68 24 85 73
Ensemble entreprises 46 76 70 57 37 65 25 86 72
figure im4

Variations des déclarations sur la différenciation salariale, l’évaluation, la prescription, le contrôle du travail et la coopération dans le travail selon les catégories sociales : déclaration des cadres et professions intermédiaires de l’État et du privé (en %)

Note :Parmi les évalués.
Champ : Salariés de l’État : hors enseignants, magistrats et ministère de la Défense. Salariés des entreprises : entreprises de plus de 20 salariés, hors agriculture, industries extractives et services aux particuliers. Dans le cas des conséquences des évaluations sur la carrière, le champ est celui des salariés évalués.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.
TABLEAU 4b

Variations des déclarations sur la différenciation salariale, l’évaluation, la prescription, le contrôle du travail et la coopération dans le travail selon les catégories sociales : déclaration des employés et ouvriers de l’État et du privé (en %)

Une partie du salaire
est
variable
Augmen
tation
dépend du
travail
Entretien
d’éva
luation
annuel
L’évaluation a des conséquences sur la carrière1 Appli
cation stricte des consignes
Procédures de qualité
strictes
Surveil
lanceinforma
tique
Travail
régulier avec les collègues
Travail
régulier
avec
l’extérieur
Ministère Économie 17 38 87 54 50 53 46 95 37
Ministère Éducation 11 19 44 46 47 47 6 90 38
Ministères ingénieurs 30 32 86 38 38 44 23 91 74
Police 21 19 51 71 65 52 37 97 78
Autres
ministères
17 29 90 43 53 49 24 96 54
Ensemble FPE 18 25 66 50 51 49 25 93 55
Activités financières 24 45 76 39 43 69 32 86 30
Services entreprises 29 52 28 40 52 57 28 78 34
Autre privé 38 57 38 45 50 69 26 86 37
Ensemble entreprises 35 55 40 43 50 68 27 85 36
figure im5

Variations des déclarations sur la différenciation salariale, l’évaluation, la prescription, le contrôle du travail et la coopération dans le travail selon les catégories sociales : déclaration des employés et ouvriers de l’État et du privé (en %)

Note :Parmi les évalués.
Champ : Salariés de l’État : hors enseignants, magistrats et ministère de la Défense. Salariés des entreprises : entreprises de plus de 20 salariés, hors agriculture, industries extractives et services aux particuliers. Dans le cas des conséquences des évaluations sur la carrière, le champ est celui des salariés évalués.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.

19 Si la bureaucratie se définit par une distribution claire des rôles dans la hiérarchie (Weber, [1922] 1968) et une application stricte de règles, les données rapportées ici ne correspondent pas complètement à cette définition. Le travail n’est pas plus contrôlé que dans le privé, mais ce contrôle prend plutôt la forme d’un respect strict de consignes que celle d’objectifs ou de procédures de qualité à suivre. L’entraide entre collègues et la débrouillardise occupent aussi une place importante. On aurait ainsi une bureaucratie tempérée dans laquelle les fonctionnaires peuvent résoudre des problèmes pratiques dans un contexte de règles tatillonnes. Ainsi, alors que, pour ce qui concerne les dimensions d’incitation, on constatait une forme bureaucratique à la fois achevée et résistante aux injonctions de changement, c’est plutôt une forme d’inachèvement qui se révèle ici. Ces résultats sur l’ensemble de l’administration de l’État recouvrent cependant des variations importantes entre ministères et l’un d’eux, le ministère de l’Économie, offre un tableau dont l’interprétation est sensiblement différente.

La spécificité du contrôle au ministère de l’Économie

20 Si le travail des agents de l’État est, en moyenne, un peu moins prescrit que celui des salariés des entreprises, ce n’est pas le cas de celui des agents du ministère de l’Économie, qui se distingue fortement dans diverses dimensions.

TABLEAUX 5

Contrôle, prescription et jugements sur le travail (régressions logistiques)

Contrôle fréquent Surveil
lanceinforma
tique
Contrôle
du
supérieur
Contrôle
des
collègues
Taux
d’encadrement
Appli
cation
strictes consignes
Objectifs précis Objectifs
non
modifiables
Procédures
qualité
strictes
Ensemble
1
FPE
ns - 0,17* ns 0,26** ns ns - 0,33*** - 0,34*** - 0,49***
Ministère Économie 0,28* 1,08*** 0,46** 0,77*** - 0,85*** 0,43*** 0,77*** 0,77*** ns
Ministère Éducation - 0,70*** - 1,60*** ns ns ns ns - 1,06*** - 0,90*** - 0,88***
Ministères ingénieurs ns ns 0,56** 0,54*** ns ns ns - 1,38* - 1,18***
Police 0,61* ns ns 0,56** 0,80*** 0,65** ns ns - 0,48*
Autres
ministères
- 0,56*** ns - 0,61*** ns - 0,49** ns ns ns - 1,20***
Activités financières ns ns ns 0,51** - 0,92*** ns ns 0,40** ns
Services
entreprises
ns ns ns - 0,21* ns ns - 0,23*** ns - 0,21**
figure im6
Se sent
débordé au moins une fois
par semaine
Fréquemment
+ parfois
impossible
de respecter qualité et délais
Travail jugé utile Travail reconnu à
sa juste
valeur
Apprend des choses nouvelles 3 dernières
années :
changements importants et très importants
3 dernières
années :
changements
plutôt
positifs
Ensemble
1
FPE
ns ns 0,41*** - 0,15* 0,50*** 0,24** - 0,30**
Ministère Économie ns 0,41** ns - 0,50*** 0,57** 0,69*** - 0,77***
Ministère Éducation ns ns ns ns ns ns ns
Ministères ingénieurs - 0,43* ns 0,90** - 0,43** 0,75*** ns - 0,71**
Police ns ns 1,07* - 0,49* 1,07*** 0,64** ns
Autres
ministères
ns ns ns ns ns ns ns
Activités financières 0,41** ns ns - 0,64*** ns 0,47*** - 0,65***
Services
entreprises
ns ns ns ns - 0,32*** - 0,29*** ns
figure im7

Contrôle, prescription et jugements sur le travail (régressions logistiques)

Note :Référence : ensemble du privé. Pour les ministères et les services marchands, référence : autres secteurs marchands. Les variables suivantes sont contrôlées : fonctions exercées (5 postes), catégorie sociale (4 postes) et contact avec le public (permanent ou occasionnel). La procédure « surveylogit » a été utilisée pour tenir compte de la nature du sondage (stratification selon la taille et le secteur).
Lecture : ns : non significatif au seuil de 10 %, * significatif au seuil de 10 %, ** au seuil de 5 %, *** au seuil de 1 %.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.

21 Les agents du ministère de l’Écomonie sont significativement plus nombreux que les salariés du privé (hors services aux entreprises et activités financières), pris en référence, à considérer être l’objet de contrôle régulier du travail, d’une surveillance par moyens informatiques, de contrôle par les collègues, et ils déclarent plus fréquemment recevoir des ordres, des consignes, suivre des procédures ou modes d’emploi et les appliquer strictement, devoir atteindre des objectifs précis et ne pas avoir la possibilité de [les] modifier (Tableaux 5). Ils ne s’en distinguent pas sur le fait de suivre des procédures de qualité strictes. Ce cumul de ce que l’on peut qualifier de méthodes bureaucratiques traditionnelles de prescription du travail et d’une forte pénétration des instruments de prescription procédurale se double d’un niveau de contrôle très élevé qui, là aussi, est d’un niveau comparable (contrôle fréquent) ou supérieur à celui déclaré par les salariés des entreprises, y compris des institutions financières (contrôle du supérieur hiérarchique, des collègues, surveillance informatique). En particulier, la moitié des agents du ministère de l’Économie déclarent être surveillés dans [leur] travail par des moyens informatiques, contre un tiers des salariés des banques et assurances et un quart de l’ensemble des salariés.

22 Leurs marges d’autonomie dans le choix des moyens apparaissent moindres que celles des salariés du privé en général, les différences les plus marquées concernant les instruments de contrôle indirect par l’informatique. Une mise sous tension de l’activité est perceptible au travers de l’expression de l’impossibilité de concilier qualité et délais. Par ailleurs, si le niveau d’entraide locale avec les collègues est important, les services sont plus cloisonnés que dans les autres administrations. L’ambiance dans l’administration est moins souvent jugée bonne qu’ailleurs, et ces agents considèrent significativement, plus que dans les autres ministères et dans le secteur privé, que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Il semble bien que les agents ne se considèrent pas écoutés comme cela est en principe le cas dans des procédures de qualité ouvertes.

TABLEAUX 6

Collaboration et entraide (régressions logistiques)

Participe à des réunions Participe à
un groupe
de travail
Travail
régulier
avec des
collègues
Travail
régulier avec
son chef
Travail
régulier avec
d’autres
services
Travail
régulier avec
l’extérieur
Travail
régulier avec
l’extérieur (hors client,
usagers)
Ensemble
1
FPE
ns ns 0,71*** 0,32*** 0,53*** 0,28*** 0,53***
Ministère Économie ns ns 0,88*** ns ns - 0,33* ns
Ministère Éducation ns ns ns ns 0,50*** ns 0,36**
Ministères ingénieurs 0,94*** 0,48** 0,73** ns 0,46** 0,65*** 0,53***
Police ns ns 2,00*** 2,00*** 0,97** ns 0,70***
Autres
ministères
ns ns 0,89** ns 0,46* ns 0,55**
Activités financières 1,17*** ns 0,49** ns ns - 0,87*** - 0,63***
Services
entreprises
- 0,76*** - 0,25** - 0,24** - 0,54*** - 0,60*** ns ns
figure im8
Travail
délicat : aidé
par le chef
Travail
délicat : aidé
par les
collègues
Problèmes techniques :
aidé par
les collègues
Difficultés
avec le
public : aidé
par les
collègues2
Discute
fréquemment
avec les
collègues
Bonne
ambiance
avec les
collègues
Bonne
ambiance dans l’entre
prise/
administration
Ensemble
1
FPE
ns 0,44*** 0,36*** 0,75*** ns 0,26** - 0,22**
Ministère Économie ns ns 0,35** 1,07*** ns ns - 0,51***
Ministère Éducation ns 0,22* 0,40*** 0,60** ns ns ns
Ministères ingénieurs ns ns 0,30* ns ns ns - 0,50***
Police 0,85*** 1,89*** 0,45* 2,36*** ns 1,21*** ns
Autres
ministères
- 0,61*** ns ns 0,67** - 0,65*** ns - 0,38*
Activités financières ns ns ns 0,98*** ns ns ns
Services
entreprises
- 0,36*** ns ns 0,32** - 0,39*** ns ns
figure im9

Collaboration et entraide (régressions logistiques)

Note :Référence : ensemble du privé. Pour les ministères et les services marchands, référence : autres secteurs marchands.Champ des personnes en contact avec le public. Les variables suivantes sont contrôlées : fonctions exercées (5 postes), catégorie sociale (4 postes) et contact avec le public (permanent ou occasionnel). La procédure « surveylogit » a été utilisée pour tenir compte de la nature du sondage (stratification selon la taille et le secteur).
Lecture : ns : non significatif au seuil de 10 %, * significatif au seuil de 10 %, ** au seuil de 5 %, *** au seuil de 1 %.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.

23 Cette spécificité du ministère de l’Économie ne saurait en aucun cas être interprétée comme la marque d’un retard dans la diffusion de ces pratiques de gestion issues du privé. En effet, le ministère de l’Économie se caractérise également par un niveau élevé d’équipement en outils de gestion. L’enquête auprès des employeurs offre la possibilité d’en comparer la diffusion de quelques-uns [8] dans les différentes administrations et le privé, mesurée ici par la probabilité des agents d’être dans un service utilisant un outil de gestion donné (Tableau 7). Les bases de données centrales, les « fichiers », outil général du travail correspondant à l’image de la bureaucratie, sont fortement présents dans les administrations ayant à gérer de grandes masses d’information (économie, éducation). Les outils modernes de traitement intégré de ces informations (les progiciels de gestion intégrés, ou ERP) équipent le ministère de l’Économie davantage que les autres administrations de l’État (qui utilisent surtout des applications « maison ») et autant que les entreprises privées – à un niveau cependant un peu inférieur à celui observé pour les activités financières. Se distinguant plus fortement encore des autres administrations, le ministère de l’Économie dispose davantage d’outils de normalisation des processus (normes ISO) et d’outils orientés clients (engagements de délais, services en ligne) que l’ensemble du secteur privé. En outre, les salariés de ce ministère sont plus nombreux que ceux des autres ministères (hors police) à déclarer un changement important (Tableaux 5). Cette « mise en mouvement de Bercy » (Bert, 2004) est, enfin, également documentée par des observations internes (Ughetto, Pernot et Grimault, 2005).

TABLEAU 7

Outils utilisés dans l’entreprise/administration (régressions logistiques)

Base de données centraledans
l’entreprise/ administration3
ERP dans
l’entreprise/ administration3
Normalisation des processus
(ISO) dans
l’entreprise/ administration3
Engagement délai client dans
l’entreprise/
administration3
Services clients sur internet dans
l’entreprise/
administration3
Centre d’appels dans l’entreprise/ administration3
Ensemble
1
FPE
ns - 0,52** - 1,22*** - 1,34*** 0,96*** - 0,74***
Ministère Économie 0,68*** ns 0,41** 0,94*** 2,96*** ns
Ministère Éducation 0,68*** - 0,52*** - 2,06*** - 2,13*** 2,39*** - 1,10***
Ministères ingénieurs - 0,36* - 0,80*** - 1,00*** - 1,03*** ns - 1,42***
Police - 0,93*** - 0,99*** - 1,71*** - 2,16*** - 1,62*** - 0,43*
Autres
ministères
ns - 0,47** - 2,3*** - 2,01*** 0,78*** ns
Activités financières 1,56*** 0,36** ns ns 1,58*** 1,66***
Services
entreprises
ns - 0,26*** - 0,25*** ns - 0,62*** - 0,31***
figure im10

Outils utilisés dans l’entreprise/administration (régressions logistiques)

Note :Référence : ensemble du privé. Pour les ministères et les services marchands, référence : autres secteurs marchands.
2 Au moins 3 fonctions de l’entreprise/administration sur 4 équipées.
3 Déclaration de l’employeur, reportée sur le salarié : l’entreprise dans laquelle il travaille dans les secteurs marchands, la direction de l’administration dans le cas de la FPE (voir Encadré méthodologique en Annexe).
Les variables suivantes sont contrôlées : fonctions exercées (5 postes), catégorie sociale (4 postes) et contact avec le public (permanent ou occasionnel). La procédure « surveylogit » a été utilisée pour tenir compte de la nature du sondage (stratification selon la taille et le secteur).
Lecture : ns : non significatif au seuil de 10 %, * significatif au seuil de 10 %, ** au seuil de 5 %, *** au seuil de 1 %.
Enquête COI, statistique publique, CEE, Dares, DGAFP et Insee. Données pondérées.

24 Le ministère de l’Économie se différencie ainsi des autres ministères sur ces questions de contrôle. Sur beaucoup des questions examinées, le contraste est tout à fait marqué avec l’administration du ministère de l’Éducation ou dans une moindre mesure avec les « autres ministères ». Dans de nombreux cas, on observe pour ces deux ensembles des différences significatives avec le privé, mais de sens opposé. Le travail administratif à l’Éducation nationale apparaît moins contrôlé qu’il ne l’est dans le privé. Des marges d’autonomie apparaissent ainsi, combinées à une capacité de coopération locale et de débrouillardise. Les ministères ingénieurs occupent une position intermédiaire entre le cas de l’Économie et celui de l’Éducation nationale. Sur certains aspects, le niveau de contrôle semble plus élevé que dans d’autres ministères, mais on observe des indicateurs de stress plus bas et des formes d’organisation collective du travail explicites plus élevées (voir Tableaux 6, sur les groupes de travail). Le niveau très élevé du contrôle dans la police ne doit pas être interprété comme une proximité avec le ministère des Finances, le contexte est très différent : la hiérarchie y est beaucoup plus développée, les relations interpersonnelles au sein de l’équipe et avec la hiérarchie plus actives et les outils d’informatisation et de gestion moins répandus. Ces résultats correspondent tout à fait à la description faite par Monjardet (1996) de la tension entre la logique de l’organisation et celle de la profession.

Discussion

25 L’expérience quotidienne du travail dans l’administration, mesurée par l’enquête COI, apparaît globalement relativement proche de celle des salariés du privé. Les différences observées sont souvent moins marquées que celles repérées entre catégories socioprofessionnelles ou entre secteurs d’activité. Cette convergence en moyenne peut cependant recouvrir des différences marquées selon les ministères, de l’Éducation nationale, où le travail est nettement moins prescrit et contrôlé que dans le privé, au ministère de l’Économie, où il l’est plus, les ministères ingénieurs occupant une position moyenne. Cet échelonnement correspond à celui de l’engagement des ministères dans la réforme, le ministère de l’Économie étant chef de file de celle-ci et les ministères ingénieurs ayant été pilotes dans les années 1990. Il correspond aussi au degré de pénétration des outils de gestion dans ces administrations.

26 Les politiques d’incitation et de différenciation des employés distinguent en revanche nettement les administrations de l’État des entreprises marchandes. La question du statut, dont on sait par ailleurs qu’il détermine des comportements différents hors du monde du travail (Singly et Thélot, 1989), se trouve au cœur de cette divergence. Dans une certaine mesure, il semble bien que, si le travail peut rapprocher, le statut continue à séparer les gens du public et les gens du privé. Cette divergence trouve son origine historique dans la constitution de fonctions publiques indépendantes face au politique (Silberman, 1993 ; Dreyfus, 2000) ; cette dimension de la constitution des bureaucraties d’État a ainsi peu à voir avec les questions d’incitation économique. L’enquête confirme une certaine stabilité de cet aspect de la bureaucratie : même des politiques assez volontaristes de généralisation des entretiens d’évaluation n’ont pas suffi à faire évoluer sensiblement la situation. Les variations entre ministères suggèrent cependant des changements en cours, dont les conséquences sont encore difficiles à discerner.

27 La relative proximité des niveaux de contrôle du travail entre administration et entreprises recouvre un équilibre entre des tendances contradictoires. Dans certains ministères, sous des formes différentes, ils apparaissent plus élevés que dans le privé. Pour la police, les niveaux de contrôle élevés sont associés à une hiérarchie très diffuse et qui accompagne l’activité au plus près, dans un contexte de faible présence d’outils de gestion. Pour le ministère de l’Économie, au contraire, la hiérarchie est plus lointaine et le contrôle est associé à des outils de gestion très présents, prenant notamment la forme d’un contrôle indirect par le biais d’outils informatiques. Ce ministère apparaît ainsi aligné sur le secteur privé financier et aller parfois au-delà. Les ministères ingénieurs occupent une position intermédiaire qui combine un niveau conséquent de contrôle avec des formes organisées de coopération et une pression sur le travail réduite. Il est possible d’y voir les effets conjugués de la trace des politiques participatives des années 1990 [9] et de formes de travail partenarial. À l’opposé, l’autonomie des agents des services administratifs de l’Éducation nationale et des petites administrations est particulièrement marquée. Elle est associée à un contexte de relativement faible équipement en outils de gestion.

28 Le fonctionnement quotidien de ces dernières administrations (Éducation nationale, Préfecture, petits ministères) a suscité peu d’études dans la mesure où elles n’ont jamais été à la pointe de la modernisation. Les données de l’enquête COI offrent un aperçu limité mais important à la mesure de cette relative méconnaissance. Il en ressort que ces administrations échappent encore largement au mouvement de transformation du travail dont on observe les effets au ministère de l’Économie et dans les ministères ingénieurs. La caractérisation de la situation est cependant délicate. Ces administrations, spontanément décrites par leurs agents comme « bureaucratiques » (Linhart, 2006), sont en fait marquées par un fort niveau d’autonomie des agents, et un niveau conséquent, significativement plus élevé que dans le secteur privé, de coopération et d’entraide non seulement avec les collègues proches, mais aussi avec des collègues plus éloignés et avec l’extérieur. Le constat d’une ouverture de l’administration à son environnement est ancien ; en revanche, l’association d’une coopération interne à une ouverture externe ne correspond plus au tableau donné par Dupuy et Thoenig (1985) d’une opposition entre rigidité interne et ouverture externe. Même si les réformes ont été moins marquées dans ces ministères, on peut y lire les traces d’un certain décloisonnement qui pourrait répondre à un argument fort des critiques de la bureaucratie. Cela peut correspondre (rappelons que l’enquête à l’Éducation nationale ne porte que sur les fonctions administratives et exclut les enseignants) à une certaine solidarité des agents administratifs dans les rectorats, qui se sentent négligés face aux enseignants (Linhart, 2006), ou à l’activité de certains cadres, comme les chefs d’établissements scolaires (Dutercq et Lang, 2001 ; Albanel, 2005), qui assurent diverses fonctions de coordination relativement autonomes dans des réseaux internes et externes.

29 Le cas du ministère de l’Économie ressort fortement dans l’analyse du fait du niveau élevé de la prescription et du contrôle. Celui-ci est associé à une forte insatisfaction, notamment devant les changements, et une pratique de différenciation salariale des agents (encore) faible en comparaison avec le privé, même si elle est supérieure à celle observée dans d’autres ministères. Cette dernière caractéristique correspond à la situation décrite dans le cas de la Suisse et du Canada par Giauque (2003) et de la Grande-Bretagne par Kirkpatrick et Hoque (2005). On y observe aussi une difficulté, pour de multiples raisons, à déléguer les décisions concernant les ressources humaines. Ces proximités avec les expériences d’autres pays marqués par le New public management confirment, dans le cas de ce ministère, que le mouvement de transcription à la France de ces doctrines est bien engagé, après avoir été longtemps l’objet de rapports officiels successifs sans véritable mise en œuvre (Bezes, 2009). Le paysage qui se dessine au travers de l’enquête correspond même plutôt aux derniers développements de ce mouvement de réforme, marqués par la multiplication des indicateurs (Le Galès et Scott, 2008) et une centralisation croissante du contrôle (Christensen et Lægreid, 2007).

30 Dans la perspective du débat sur la bureaucratie, cette configuration du ministère de l’Économie peut faire l’objet d’interprétations différentes. Au regard du projet du New public management (Osborne et Gaebler, 1992) de « mettre à bas la bureaucratie », cela peut être lu comme une situation « paradoxale » dans laquelle cette orientation est largement mise en œuvre sur l’un de ses volets (l’organisation) et très peu sur un autre (les ressources humaines) (Emery et Giauque, 2007). Si l’on revient à la perspective wébérienne,. il s’agirait non d’une « bureaucratie paradoxale » mais bien d’une bureaucratie achevée à la fois dans la dimension de la rationalisation de la production et dans celle de la codification des ressources humaines. Ce qui se jouerait alors dans les transformations de ce ministère serait la réalisation du second volet de la rationalisation de l’administration, après celui de la constitution de ces bureaucraties autour de l’autonomisation de la fonction publique. Cette rationalisation repose sur la mobilisation d’outils les plus sophistiqués de prescription et de suivi de l’activité. Il y a là aussi une invalidation du scénario des réformateurs, rappelé en introduction, de conjonction entre transfert d’outils de gestion du secteur privé et débureaucratisation et une validation des inquiétudes des observateurs attachés à un certain relâchement de la prescription du travail (Bartoli, 2008).

31 Les variations entre ministères peuvent répondre à des orientations de gestion (contrôler le travail par l’informatique versus par supervision directe), mais aussi à des caractéristiques des activités accomplies (gérer un lycée versus attribuer une subvention à un agriculteur). Dans des contextes d’action différents cependant, la bureaucratie semble être tempérée, dans la plupart des ministères, de manière convergente par l’ouverture à l’externe : les activités de réunions dans les ministères ingénieurs porteurs de politiques publiques territorialisées, par un travail dans des petites équipes soudées dans les commissariats, ou par une solidarité entre agents administratifs des lycées, académies ou rectorats. On retrouve ici des formes de valorisation des savoirs et des apprentissages décrites par les études classiques sur la bureaucratie (Gouldner, 1954 ; Blau, 1955). Pour les destinataires des prestations offertes par ces administrations, ces modalités de travail peuvent laisser du champ à des modalités d’ajustement de l’offre en situation, décrites dans des enquêtes qualitatives (Warin, 2002 ; Weller, 2007). La situation spécifique du ministère de l’Économie correspond à la fois à des traitements de masse de dossiers et à des orientations de gestion affichées par ce ministère, et mesurées par le taux d’équipement en outils informatiques et de gestion. Ces deux aspects peuvent se conforter. Cependant, le fait que les niveaux de contrôle mesurés par l’enquête soient supérieurs à ceux observés dans les activités financières du secteur privé suggère que cette spécificité ne peut être complètement associée à la nature des prestations. Pour les agents, cela se traduit par une mise sous pression du travail, conforme à celle observée dans d’autres pays (Green, 2004), s’exprimant notamment par une perception négative des changements. Pour les destinataires, toutefois, le renforcement de la prescription n’est pas nécessairement synonyme d’uniformisation de traitement : la différenciation des destinataires peut en effet passer, comme dans le cas des entreprises publiques, par des procédés de segmentation de clientèles (Hatchuel, 1995 ; Poupeau, 2010) : les procédures sont rigides au sein d’une catégorie de clientèle, mais peuvent varier fortement entre catégories. Ce modèle de rationalisation de l’activité, que l’on peut interpréter comme accomplissement de la bureaucratie, semble s’inscrire dans les tendances plus générales à la standardisation mises en évidence dans le secteur privé par l’enquête COI (Greenan, Hamon-Cholet et Ughetto, à paraître), et parfois même aller au-delà.

32 Le double parti pris de comparaison des données de l’enquête COI avec le privé (pris dans son ensemble ou pour certains secteurs) et de segmentation des données par groupements de ministères a permis de faire émerger une figure singulière de rationalisation du travail dans l’administration. Cette figure, celle du ministère en charge de l’Économie, est isolée. Cependant, puisque ce ministère s’est vu confier ces dernières années les principaux instruments de la réforme dans l’ensemble de l’administration d’État (Direction générale de la modernisation de l’État pour les méthodes de gestion et l’accompagnement de la Révision générale des politiques publiques, Direction générale de la fonction publique pour les questions de statut), et que les autres ministères semblent le suivre dans le mouvement d’équipement en outils de gestion, cette configuration pourrait indiquer une voie possible d’évolution de l’ensemble de l’administration d’État.


ANNEXE. – Encadré méthodologique

L’enquête COI 2006
L’enquête « Changement organisationnel et informatisation » (COI) auprès des employeurs et de leurs salariés a été conçue et coordonnée par le Centre d’études de l’emploi, et réalisée en partenariat avec l’Insee, la Dares, la DGAFP et la Drees. Les employeurs sont interrogés sur les changements d’organisation et les outils informatiques et de gestion adoptés par leur entreprise ou administration. Les salariés sont questionnés sur différentes dimensions de leur travail et les outils informatiques qu’ils utilisent. Nous nous appuyons principalement ici sur le volet « salariés » ; quelques questions posées aux employeurs relatives à l’utilisation par l’entreprise ou l’administration d’outils informatiques ou de gestion sont néanmoins utilisées comme variables de contexte du travail des salariés (Tableau 7).
Champ de l’enquête
Une première édition de l’enquête menée en 1996 (Greenan et Hamon-Cholet, 2000 ; Greenan et Mairesse, 2006) était centrée sur les entreprises industrielles (coordonnée par le CEE, en partenariat avec la Dares, le Sessi, l’Insee). L’enquête de 2006 a notamment été étendue aux services marchands, à la fonction publique d’État (en partenariat avec la DGAFP) et aux hôpitaux (avec la Drees) (Greenan, Guillemot et Kocoglu, 2010). Le champ de l’enquête auprès des employeurs dans les secteurs marchands inclut les entreprises d’au moins 20 salariés (pour sa partie couplée) des secteurs marchands non agricoles, y compris les secteurs financiers et recherche-développement (habituellement exclus des enquêtes de l’Insee auprès des entreprises), mais ne prend pas en compte les services aux particuliers. Le champ de l’enquête dans la fonction publique de l’État est concentré sur les fonctions administratives, il comprend les directions d’administrations centrales et déconcentrées des ministères (la taille minimale est de 10 agents), à l’exception de celui de la Défense, et hors établissements publics. Il ne comprend pas les enseignants, ni les magistrats.
Échantillons
Les entreprises et administrations ont été échantillonnées, dans un premier temps, puis les salariés ont été tirés au sort parmi un sous-échantillon d’employeurs ayant répondu au premier volet. Au sein de la fonction publique de l’État, tous les agents, fonctionnaires ou contractuels, du champ de l’enquête « employeurs » font partie du champ « salariés », à l’exception notable des enseignants et magistrats, considérant que leur activité spécifique n’a pas d’équivalent dans le secteur privé marchand (mais les autres personnels des ministères concernés sont inclus dans le champ). Cette méthode permet de mettre en relation les réponses des deux questionnaires (enquête dite « couplée »). Au total, environ 15 000 salariés appartenant à 7 000 entreprises ont été interrogés dans les secteurs marchands et 1 200 d’environ 300 directions d’administration centrale ou déconcentrée dans la fonction publique de l’État. Le même questionnaire a été utilisé pour tous les salariés alors que les directions de la fonction publique de l’État et les hôpitaux ont répondu à des questionnaires adaptés comportant des questions communes, principalement sur les outils informatiques et de gestion.
Regroupement des ministères
La taille réduite de l’échantillon d’employeurs de la fonction publique de l’État ne permet pas de traiter isolément tous les ministères. Après avoir isolé les ministères de l’Économie et des Finances et la partie administrative du ministère de l’Éducation nationale, qui constituent des ensembles de taille suffisante, les traitements ont mis en évidence la spécificité de la police par rapport au reste du ministère de l’Intérieur et celle des ministères de l’Équipement et de l’Agriculture par rapport à l’ensemble des autres ministères. Nous avons ainsi créé une catégorie « police », une catégorie « ministères ingénieurs » regroupant l’Équipement et l’Agriculture et une catégorie « administration générale » regroupant le reste de l’échantillon.
Modélisations logistiques
Les modélisations logistiques mises en œuvre (Tableaux 5 à 7) ont pour objectif de vérifier la significativité des écarts dans les réponses des agents de l’État aux questions qui nous intéressent, relativement aux salariés du privé (première ligne) et aux salariés des différents ministères ou regroupements de ministères, ainsi qu’aux salariés des activités financières (banques et assurances) et services aux entreprises (ces deux secteurs ayant des activités davantage comparables aux activités de l’État) relativement aux autres secteurs du privé, regroupant l’industrie, les transports, la construction et le commerce. L’introduction dans les modèles de variables portant sur la fonction (fonction exercée par le salarié en 5 postes), la catégorie sociale (4 postes) et l’existence d’un contact avec le public (permanent, occasionnel, pas de contact) permet d’isoler les différences liées à l’employeur plutôt qu’à un effet de structure portant sur ces variables. D’autres modèles introduisant aussi le sexe, l’âge et le diplôme ont été testés, ils donnent des résultats très proches. Les régressions mises en œuvre s’appuient sur une procédure (surveylogit de SAS) permettant de tenir compte des caractéristiques du sondage.
Nous avons fait apparaître dans les tableaux les coefficients issus de ces régressions (pour les variables d’intérêt, c’est-à-dire caractérisant l’employeur) lorsqu’ils sont significatifs au seuil de 10 %.

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Mots-clés éditeurs : SALAIREÀ LA PERFORMANCE, OUTILS DE GESTION, CONTRÔLE, TRAVAIL, FONCTIONNAIRE

Date de mise en ligne : 01/03/2013

https://doi.org/10.3917/rfs.541.0083

Notes

  • [*]
    L’enquête « Changement organisationnel et informatisation » a été financée par les services statistiques du ministère du Travail (Dares) et par la Direction générale de l’administration de la fonction publique (DGAFP), et réalisée par l’Insee. Le travail présenté ici a bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR), programme « entreprise », Projet COI-COSA animé au Centre d’étude de l’emploi (CEE) par Nathalie Greenan.
  • [1]
    Les entreprises publiques opérant dans les secteurs marchands sont, dans l’enquête COI, assimilées aux entreprises privées. Leur poids dans l’échantillon est trop faible pour que l’on puisse les analyser séparément. C’est donc par commodité que le terme « privé » sera par la suite utilisé pour désigner les entreprises marchandes publiques et privées et leurs salariés, analysés dans COI.
  • [2]
    La chronologie de la coupure est délicate à établir, Bezes évoque les années 1950, cependant le mouvement de la rationalisation des choix budgétaires, dans les années 1960, semble en grande partie ressortir encore à la visée de bureaucratisation (Poinsard, 1987).
  • [3]
    La Direction générale de la modernisation de l’État a promu dans les préfectures et les services du ministère de la Justice certains aspects les plus prescriptifs de ces démarches comme les plans de classement. Cet organisme joue aussi sur les sigles en défendant une démarche LEAN : Leviers d’efficacité pour une administration nouvelle.
  • [4]
    Pour une synthèse récente de ces travaux, voir Jeannot (2008).
  • [5]
    L’enquête COI exclut de son champ les enseignants, magistrats et le ministère de la Défense (voir Encadré méthodologique), et nous excluons ici de la comparaison les salariés de la fonction publique hospitalière.
  • [6]
    Les formulations du questionnaire COI sont reprises en italiques.
  • [7]
    « The official is set for a “career” within the hierarchical order for the public service. He expects to move from the lower, less important and less well paid, to the higher positions. The average official naturally desires a mechanical fixing of the conditions of promotion : if not of the offices, at least of the salary levels. He wants these conditions fixed in terms of “seniority”, or possibly according to grades achieved in a system of examination. » (Weber, [1922] 1968, p. 963).
  • [8]
    Le nombre d’outils comparables avec le privé est limité, on vérifie cependant sur une liste beaucoup plus importante de 28 outils informatiques et de gestion, mais dont une partie ne figure pas dans le questionnaire auprès des employeurs privés, que le niveau d’équipement du ministère de l’Économie (63 %) est supérieur à celui de tous les autres ensembles d’administration retenus ici (moyenne :45 %). La croissance du taux d’équipement en outils de gestion est partagée par toutes les composantes de l’administration, le taux moyen déclaré pour 2003 dans la même enquête était de 29 %. Les résultats détaillés concernant l’enquête à destination des responsables de service sont présentés dans Jeannot et Guillemot (2010).
  • [9]
    Cet argument peut être soutenu par l’analyse des outils de ressources humaines, sur lesquels l’enquête COI apporte des informations pour le seul secteur public (Jeannot et Guillemot, 2010).

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