Couverture de RFS_454

Article de revue

La formation des prix : le marché des vins de Bourgogne

Pages 653 à 680

Notes

  • [*]
    Nous remercions vivement, pour leurs suggestions critiques, nos collègues Jean-Marc Touzard et Fabrice Dreyfus, ainsi que Sophie Dubuisson-Quellier et le comité de lecture de la Revue française de sociologie.
  • (1)
    Nous invitons toutefois vivement les lecteurs intéressés par cette question à prendre connaissance de l’ouvrage publié récemment par un groupe de chercheurs en sociologie et en sciences de gestion. Défendant un usage « pragmatique » de l’économie des conventions et de la sociologie des sciences, les auteurs proposent une analyse des dispositifs de cadrage du jugement propices à l’échange économique dans des contextes d’incertitude sur la qualité, à travers des études de cas contrastés (Dubuisson-Quellier et Neuville, 2003).
  • (2)
    Les différents courants de l’économie « hétérodoxe » (économie des conventions, économie néo-institutionnaliste, théorie de la régulation, etc.) sont plus ou moins intégrés à ce champ selon les auteurs (Steiner, 1999 ; Chantelat, 2002).
  • (3)
    Sociétés privées produisant et commercialisant du vin à partir de raisin produit et acheté.
  • (4)
    Ce décret fixe uniquement les cépages et modes de conduite de la vigne autorisés, les rendements maximum et le degré alcoolique minimum.
  • (5)
    Terme réservé aux entreprises produisant et commercialisant du vin et disposant d’un vignoble, ce qui exclut les coopératives. Au nombre de 2 800 environ, les domaines représentent 76 % de la production totale des vins de Bourgogne ; 8 % des surfaces sont la propriété de négociants, soit 25 % des surfaces en grands crus.
  • (6)
    Ce constat rejoint certaines hypothèses développées dans les recherches en marketing qui abordent la fixation des prix en tant que compétence spécifique de l’entreprise (Dutta et al., 2003).
  • (7)
    Ils font l’objet de publications mensuelles par le Bureau Interprofessionnel des Vins et sont définis par appellation.
  • (8)
    Toutes les citations entre guillemets et en italique sont issues de la retranscription d’extraits de discours de producteurs de vins de Bourgogne.
  • (9)
    Seules 3 entreprises fixent d’emblée 2 tarifs différents, ce qui donne 31 tarifs au total proposés par les 28 domaines enquêtés.
  • (10)
    Une pièce équivaut à 228 litres sur le marché vrac, ce qui représente 300 bouteilles.
  • (11)
    D’après nos résultats, le tarif particulier peut plus largement être considéré comme un indicateur du niveau général des prix pratiqués par le producteur, indépendamment de l’année et du circuit. Cette hypothèse nous a été confirmée par plusieurs négociants.
  • (12)
    Un des domaines n’a pas été pris en compte faute d’une information suffisante.
  • (13)
    Celle-ci est calculée à partir de la moyenne annuelle des cours du vrac associés aux appellations composant le parcellaire du domaine, pondérée des surfaces consacrées à chaque appellation.
  • (14)
    D’une manière générale, la vente en vrac est considérée comme moins rémunératrice mais plus sûre que la vente en bouteille, permettant ainsi d’assurer la trésorerie de l’exploitation.
  • (15)
    Selon l’idée de Favereau et al. (1994) que les « marchés » définis par White s’associent à des conventions spécifiques, ces deux cas peuvent aussi amener à identifier un marché particulier, lié à une « grandeur marchande », parmi les entreprises raisonnant leurs prix par rapport au coût. Nous chercherons à approfondir la question de la « marge » dans nos analyses futures de façon à préciser son mode de calcul et la façon dont elle distingue éventuellement des conventions et des marchés.

1Les processus de formation des prix sont aujourd’hui l’objet d’un renouvellement des recherches en économie et en sociologie. La question n’est évidemment pas nouvelle puisqu’elle était au centre des travaux des fondateurs de l’économie politique, à l’image d’Adam Smith expliquant les mécanismes d’ajustement du « prix marchand » d’une marchandise autour de son « prix naturel », en se référant aux observations de comportements de commerçants (Smith, [1776] 2000). Les sociologues classiques tels que Weber ou Simmel s’y sont également intéressés, mais d’un point de vue plus historique et philosophique, en défendant une vision intégrée des « marchés » (Swedberg, 1994). L’analyse de la formation des prix a ensuite été laissée aux économistes qui en ont majoritairement adopté une représentation simplifiée, formelle et idéalisée, issue du modèle walrassien du marché concurrentiel. Dans ce cadre, les prix résultent de la « rencontre » entre courbes d’offre et de demande et le mécanisme concret qui permet cette rencontre est évacué de l’analyse, généralement évoqué par analogie avec le déroulement d’enchères, supervisées par un hypothétique commissaire-priseur (Guerrien, 1992). L’évolution des deux disciplines sur les vingt dernières années a conduit néanmoins à reconsidérer cette vision simplifiée et tend à faire de nouveau de la formation des prix une question de recherche à part entière. D’une part, l’extension et la contestation du modèle néo-classique ont amené les économistes à prendre en compte une pluralité de situations d’échange ainsi que le rôle spécifique de l’information (Walliser, 2000). D’autre part, le développement de la « nouvelle sociologie économique » a réaffirmé la question de la construction sociale des marchés et des prix comme l’un des thèmes importants de la sociologie (Granovetter et Swedberg, 1992).

2Au-delà des évolutions propres à chaque discipline, le regain d’intérêt pour l’analyse de la formation des prix est aussi lié au développement des travaux sur « l’économie de la qualité ». Selon la définition qu’en donne Karpik (1989), celle-ci caractérise les situations d’échange de produits différenciés dont la qualité est incertaine, peut être évaluée selon plusieurs dimensions et fonde la concurrence entre offreurs. Dès lors que la diversité et l’incertitude sur les qualités des biens échangés sont prises en compte, sociologues et économistes sont amenés à adopter une représentation plus complexe de la formation des prix. D’une part celle-ci est considérée comme la conséquence d’un processus, d’une succession de décisions et d’interactions entre agents abstraits ou concrets. Cette dimension processuelle, plus ou moins décomposée, est par exemple aussi bien présente dans les travaux sur les contrats incomplets prenant en compte différentes séquences de négociation (Hart et Moore, 1988) que dans l’analyse précise des interactions sociales autour d’un marché physique (Jorion, 1990). D’autre part, ce processus s’opère dans un cadre structurel (institutionnel, culturel et/ou relationnel) qui peut être hérité ou construit à travers les interactions mêmes du processus. Cette dimension est avancée avec force par la nouvelle sociologie économique à travers la notion d’« encastrement » et l’attention portée à l’analyse des réseaux sociaux (Granovetter, 1985). Elle est aussi explorée en économie, avec, au-delà de la prise en compte de différents contextes ou arrangements institutionnels de la transaction, des références croissantes aux structures relationnelles (Kirman, 2001). Toutefois, encore peu de travaux vont jusqu’à expliciter comment s’élaborent concrètement les prix dans des situations d’incertitude sur la qualité. À l’occasion d’un récent état des lieux des travaux sur la « qualité » (Musselin et al., 2002), un appel a ainsi été lancé pour s’intéresser plus directement à cette question et notamment préciser la nature et le rôle des « réseaux » dans ce processus.

3Notre article propose d’aller en ce sens. Il s’inscrit dans le cadre des travaux qui étudient la formation des prix de biens différenciés comme un processus contextualisé, encastré dans des réseaux sociaux. Nous voulons analyser les situations où l’offreur affiche des prix en suivant une procédure de décision, ces prix pouvant ensuite être modifiés lors des phases de négociation avec l’acheteur. Il s’agit alors de montrer comment, dans un contexte d’incertitude sur la qualité des biens, la nature de ces procédures, les réseaux sociaux et les statuts peuvent intervenir conjointement dans la formation des prix, révélant toute la complexité de l’organisation sociale d’un marché de biens de qualité. L’exemple retenu est celui des ventes du vin à la production en Bourgogne où les producteurs affichent avant les transactions un « tarif », c’est-à-dire une liste de prix pour leur gamme de vins. Nous nous référons donc à une figure particulière de « marché » où les offreurs sont des producteurs nombreux, où les qualités sont variables et incertaines pour l’acheteur, où les prix de transaction dépendent de prix affichés par les offreurs.

4Dans une première partie nous revenons sur la façon dont des économistes insatisfaits du modèle de concurrence parfaite ont traité la question de la formation des prix de biens différenciés et nous présentons les perspectives ouvertes par la sociologie économique. Dans une deuxième partie, nous montrons en quoi la viticulture bourguignonne constitue un cas exemplaire pour analyser le processus de formation des prix comme la conséquence d’une procédure de décision à la fois attachée à l’offreur et encastrée, et nous exposons la méthode développée. La troisième partie présente nos principaux résultats que nous discutons en dernière partie, en référence aux hypothèses et programme de recherche de la nouvelle sociologie économique.

La formation des prix des biens de qualité : des modèles économiques aux propositions de la sociologie économique

La prise en compte de la qualité dans les modèles économiques

5Dans le modèle économique canonique du marché parfait, le bien échangé est homogène, ses caractéristiques sont connues de tous et son prix s’impose comme la résultante de l’offre et de la demande, c’est-à-dire de forces économiques qui échappent aux agents. Mais confrontés à l’importance des questions de différenciation et d’évaluation de la « qualité » des biens dans les marchés réels, les économistes ont proposé différents modèles, plus ou moins en rupture avec celui du marché parfait.

6Une première famille de modèles s’appuie sur l’idée que les biens échangés sont l’objet d’une évaluation relative selon des attributs qui définissent leur qualité. Ces biens restent donc en concurrence dans un marché globalisé défini par une catégorie générale de produit. Si l’information est parfaite, comme c’est le cas dans le modèle de base de Lancaster (1966), le prix tend à se fixer sur le coût de production de chaque niveau de qualité. Cette condition est toutefois rarement respectée parce que les acheteurs ne peuvent généralement pas évaluer la qualité antérieurement à un achat. Celle-ci peut soit être vérifiée après achat (biens d’expérience), soit rester supposée (biens de confiance) (Nelson, 1970). La prise en compte de la qualité conduit donc à envisager l’existence d’une asymétrie d’information entre offreur et demandeur : l’un, généralement l’offreur, connaît la qualité, l’autre non. Mais de telles conditions entraînent une instabilité permanente entre évaluation de la qualité et définition du prix (Akerlof, 1970), qui aboutit à une impossibilité des transactions. La réalisation des échanges de biens de qualité suppose alors que les offreurs et les demandeurs trouvent en amont une solution pour lever cette asymétrie : réputation, utilisation de vecteurs d’information hors marché, etc. Cette solution est supposée influer sur la relation prix-qualité et jouer sur le processus qui in fine fait émerger le prix de marché, parce qu’elle détermine la forme de raisonnement des acteurs. C’est donc la qualité qui fait le prix, mais la manière dont elle le fait dépend de la structure du système d’information, c’est-à-dire des vecteurs que retiennent les opérateurs pour lever l’incertitude sur la qualité.

7Une seconde famille de modèles considère que la différenciation des qualités se traduit par l’individualisation de produits particuliers attachés à une entreprise, ce qui d’emblée résout la question de l’incertitude. C’est l’approche retenue par Chamberlin (1953) dans le modèle de concurrence monopolistique. L’entreprise raisonne comme un monopole, par rapport à une demande propre qu’elle connaît et qui connaît son produit. Le prix n’est plus la conséquence d’un raisonnement construit en référence à un marché globalisé qui regroupe des produits comparables : il s’explique par la contrainte qu’exerce sur l’entreprise la substituabilité entre des produits singuliers et par le pouvoir associé à la relation individualisée que l’entreprise entretient avec son client.

8Ces deux familles de modèles économiques se réfèrent donc à deux types de constructions sociales déterminant la formation par les entreprises des prix de biens différenciés : le système d’informations sur la qualité qui permet de régler la question de l’asymétrie à condition d’être fondé sur des vecteurs d’informations partagés ; les relations privilégiées qui attachent l’entreprise à ses clients et lui donnent le moyen d’isoler ses produits par rapport à ceux de ses concurrents. Mais ces constructions sont postulées en amont des modélisations et s’imposent de fait à l’analyste.

9D’autres modèles ou analyses prennent alors en compte explicitement la construction de contrats, de conventions, de dispositifs institutionnels ou de « réseaux », permettant l’évaluation de la qualité et/ou la stabilisation des relations entre l’entreprise et ses clients. Les travaux se référant à la théorie des contrats incomplets ou à l’Économie des Coûts de Transaction accordent ainsi une place importante aux engagements contractuels permettant de réduire l’asymétrie d’information sur la qualité du bien échangé (Ménard, 2000). La spécificité des investissements engagés par chaque partie pour réduire cette incertitude permet notamment de justifier la construction de « formes hybrides » qui vont stabiliser les qualités et les transactions. Le programme de l’économie des conventions approfondit les conditions d’émergence et de coexistence d’une pluralité de « conventions de qualité » permettant l’accord entre agents sur un marché globalisé (Eymard-Duvernay, 1989). D’autres travaux associant économie et sociologie ont également cherché à éclairer les dispositifs d’intermédiation entre producteurs et clients qui contribuent à singulariser le produit et à y attacher l’acheteur (Callon et al., 2000). Toutefois, la plupart de ces travaux se focalisent sur la nature des contrats ou la justification économique des institutions de la qualité sans analyser spécifiquement les mécanismes conduisant à la formation des prix.

10S’il s’agit de comprendre comment s’élaborent les prix, ces analyses présentent donc deux types de limites. D’une part, elles ne s’intéressent généralement qu’à une seule composante du processus : les ajustements conduisant à des prix d’équilibre dans une figure de marché donnée (globalisé vs individualisé) ou la définition des institutions de la qualité  [1]. D’autre part, l’analyse de la relation entre prix et qualité suppose de choisir a priori un type de représentation du marché et par conséquent de postuler une même forme de raisonnement pour l’ensemble des offreurs. Or rien ne permet d’affirmer que tous s’y prennent de la même manière pour définir, une fois leur production achevée, le prix de leurs biens. Les travaux récents en sociologie économique offrent alors la possibilité de développer une vision à la fois plus intégrée et plus diversifiée des processus de formation des prix, à partir de l’examen de situations réelles.

La perspective ouverte par la sociologie économique

11La sociologie économique s’est construite en grande partie contre le modèle de la théorie économique standard en partant d’un postulat qui complexifie l’analyse de l’action économique en cherchant à réintégrer sa dimension sociale. Ce courant connaît un nouvel élan depuis le début des années quatre-vingt-dix, formalisé au travers du programme de la « nouvelle sociologie économique » (Granovetter et Swedberg, 1992). Celui-ci réunit sociologues et économistes « hétérodoxes »  [2] qui, dans la lignée de Polanyi (1944), cherchent à approfondir la question de l’« encastrement » de l’action économique dans les structures sociales, en particulier dans les réseaux sociaux (Favereau et Lazega, 2002). H. C. White, un des principaux fondateurs de ce courant de pensée, propose ainsi une représentation des « marchés » en tant que structures d’interactions au sein desquelles chaque entreprise fonde ses décisions non pas sur l’observation directe de la demande, mais sur un ensemble d’informations relatives à d’autres entreprises qu’elle considère comme équivalentes (White, 1981). Il n’y a donc plus un mais des marchés, que l’on peut identifier à partir des entreprises liées par un système d’observations réciproques. Dans ce modèle, chaque entreprise cherche à occuper une niche, caractérisée à la fois par un produit singulier au sein d’un ordre de qualité et par un revenu global, définis en référence au chiffre d’affaires et au volume produit par ses pairs. White n’a toutefois pas cherché à expliciter le processus concret de fixation du prix d’offre par une entreprise, s’intéressant davantage à modéliser les conditions de stabilité de différents types de marchés en fonction des choix des entreprises sur la quantité et la nature du produit (White, 2002a).

12D’autres travaux abordent plus directement cette question en se plaçant du point de vue des entreprises et en cherchant à faire le lien avec leur encastrement dans des réseaux sociaux (encastrement relationnel). Uzzi et Lancaster (2001), dans le cas des firmes de services aux entreprises (publicité, défense juridique, etc.), montrent ainsi en quoi les différents types de relations dans lesquelles ces firmes sont encastrées permettent la diffusion d’informations non publiques et le développement d’une gouvernance informelle qui jouent sur leurs prix d’offre. Les liens non marchands avec les clients encouragent la création de la confiance, réduisent les coûts de transaction et incitent les offreurs à partager ces gains avec leurs clients en réduisant leurs prix ; les liens avec des tiers (concurrents, experts, etc.) fournissent aux offreurs une information qui leur permet de différencier leurs produits vis-à-vis de leurs concurrents en attribuant cette fois des prix plus élevés ; enfin, des relations avec des clients d’autres firmes pratiquant des prix hauts accroissent le statut de l’entreprise et lui donnent ainsi les moyens d’augmenter ses prix.

13Au-delà de mettre en avant l’encastrement relationnel, les sociologues anglo-saxons s’accordent en effet pour reconnaître le « statut » comme une variable-clé dans le fonctionnement des marchés et la formation des prix en particulier, même si la définition et le rôle de cette variable font débat. Podolny, notamment, part du principe que le statut d’une firme est non seulement lié aux relations qu’elle entretient avec clients et tiers, comme l’évoque Uzzi, mais aussi à sa « réputation », au sens où l’ont définie les économistes (Shapiro, 1983), à savoir à l’évaluation par les usagers des qualités qu’elle a proposées précédemment (Podolny, 1993). Dans l’exemple des wineries[3] californiennes, il montre ainsi que les niveaux de prix du vin pratiqués par les firmes sont positivement corrélés à leur statut, mesuré à la fois par les cotations qui leur sont attribuées dans les guides professionnels et leurs échanges marchands relatifs aux différentes appellations de vins (Benjamin et Podolny, 1999). Le statut est supposé jouer sur le niveau des prix pratiqués dans la mesure où il constitue un « signal » qui permet de lever l’incertitude des consommateurs sur la qualité de l’offre.

14Ces travaux développés en sociologie économique anglo-saxonne ainsi confirment, précisent ou discutent des éléments déjà mis en avant par des économistes comme Akerlof ou Chamberlin. Ils invitent d’ailleurs à une articulation étroite entre économie et sociologie en montrant, aussi bien dans le cas des firmes de services que des wineries, que l’impact de l’encastrement relationnel sur les prix n’est pas indépendant de variables économiques propres à l’entreprise (taille, chiffre d’affaires, etc.) ou à son environnement marchand (prix des matières premières, régularité/exclusivité des échanges vendeurs-clients, rôle joué par les intermédiaires, etc.). Dans la lignée du modèle des marchés proposé par White, ils amènent aussi à penser que les interactions développées par les entreprises d’une part se « découplent » dans des institutions, qui en retour participent à cadrer leurs pratiques économiques, d’autre part sont liées à des « conventions » parmi les offreurs (White, 2002b). Podolny montre notamment en quoi les relations marchandes des wineries contribuent à construire et hiérarchiser le système d’appellations des vins californiens, qui s’autonomise en tant qu’institution de marché participant à fonder le statut des différentes entreprises. Par ailleurs, sans aller jusqu’à définir des conventions au sens de repères cognitifs collectifs (Eymard-Duvernay, 1989), il distingue aussi les motivations des producteurs de vins, en identifiant deux types, love vs. money, qui influent sur leur insertion au sein du système marchand, et finalement sur leur politique de prix (Scott Morton et Podolny, 2002). Si l’encastrement relationnel et le statut d’une firme jouent dans la façon dont elle élabore ses prix, il s’agit alors aussi de montrer en quoi ces facteurs sont liés à des caractéristiques économiques d’une part, à des institutions, des valeurs morales ou bien des conventions d’autre part, à même de conditionner leur nature et leur impact.

15C’est parmi les sociologues français ayant participé à la fin des années quatre-vingt au regain d’intérêt de la discipline pour les marchés que l’on trouve alors des ouvertures pour progresser en ce sens. Les travaux de Karpik, sur le cas du marché des avocats (1989), forment de ce point de vue une contribution marquante. Celui-ci examine la façon dont des réseaux sociaux interviennent dans la pratique des avocats pour fixer le « juste prix » de leurs honoraires, à savoir celui auquel ils ont droit, du fait de leur ancienneté, de leur compétence et de leur spécialité. Les interactions sociales entre membres de la profession forment des « réseaux-producteurs » qui diffusent des informations non seulement sur les prix mais aussi sur celui qui les pratique, ce qui renseigne alors sur la relation statut-prix et conduit à la formation d’un système généralisé de prix à travers des barèmes. Ces derniers s’interprètent alors comme une institution « découplée » des interactions développées au sein des réseaux-producteurs, qui eux-mêmes s’imbriquent dans des « réseaux-échanges », où circulent des jugements sur les offres des avocats en termes de services proposés et de prix. De ces réseaux émerge un ordre de qualité légitimé, dont la stabilisation reste toutefois temporaire, au gré de la mise à l’épreuve répétée de l’offre par les clients et de l’entretien de la confiance interpersonnelle. Mais Karpik montre également en quoi les relations professionnelles entre les avocats et leurs clients sont aussi empreintes d’exigences de moralité et de justice, qui aident à maintenir cette confiance et contribuent à la fixation d’honoraires d’un montant « raisonnable ». Ceci conduit alors Karpik à évoquer le principe d’une « économie de la modération », consistant à supposer des formes d’échange équilibré entre la profession et le public motivées par des valeurs d’équité ou d’amitié.

16La contribution de la sociologie économique, de tradition anglo-saxonne mais aussi française, à l’analyse de la formation des prix présente donc l’intérêt d’associer les avancées et questions que fournit l’extension du modèle néo-classique à une prise en compte du rôle des structures sociales et de l’encastrement relationnel en particulier. L’influence des différents types de réseaux sociaux, leur découplage éventuel dans des institutions et leurs fondements moraux restent toutefois à approfondir, dans la lignée des analyses de Karpik notamment. L’exemple des vins de Bourgogne se prête à une approche compréhensive des procédures de formation des prix par leurs offreurs pouvant contribuer à cet approfondissement.

Une approche compréhensive de la formation des prix des vins en Bourgogne

Un cas d’étude exemplaire

17La Bourgogne viticole est une entité forte, que l’on peut caractériser à travers un processus commun d’élaboration des vins : ceux-ci sont essentiellement monocépages, produits pour les rouges à partir de Pinot noir et pour les blancs à partir de Chardonnay. À l’exception des crémants, ce sont des vins secs et tranquilles. La production bourguignonne n’en est pas moins fortement diversifiée : pour la seule vente au caveau, les domaines proposent directement plus de 20 000 références de vins en bouteille, différenciées à la fois par leur origine géographique soutenue par une appellation, par le millésime et par le nom du domaine.

18Cette diversité des produits s’accompagne d’une forte hétérogénéité des prix à la consommation. Cette hétérogénéité n’est toutefois pas aléatoire. Elle est fortement liée au système d’appellations d’origine mis en place à la fin des années trente à partir de la distinction et de la hiérarchisation de « terroirs ». Cette différenciation peut s’analyser comme un compromis entre la capacité naturelle de certains sols à produire des vins de garde aux arômes complexes et les rapports de force qui existaient alors entre grands propriétaires et petits producteurs (Laferté, 2004). La centaine d’appellations géographiques de Bourgogne se répartit selon quatre niveaux hiérarchiques : régionales, communales, premiers crus et grands crus. Comme le montrent les travaux de Laporte (2000), ce système, en levant pour partie l’asymétrie d’information sur la qualité entre producteur et consommateur, sert finalement de base à la construction d’un système de prix : à chaque niveau d’appellation et pour chaque dénomination d’origine correspond une fourchette de prix.

19Toutefois, même si le système d’appellation paraît ex post cadrer la formation des prix en Bourgogne en tant qu’institution découplée des interactions entre producteurs, il n’empêche pas une variabilité importante des prix au sein d’une même appellation. En effet, l’appellation n’est pas suffisante pour définir et caractériser un type de qualité pour l’ensemble des produits qui en sont issus. La qualité dépend des choix techniques de chaque producteur, dans la limite des règles imposées par chaque décret d’appellation  [4], et ces choix s’inscrivent dans la durée. Elle fluctue également d’une année sur l’autre, en fonction du millésime. De plus, le système d’agrément des vins autorise une grande diversité de produits au sein d’une même appellation : l’ensemble des vins des producteurs d’une même commune sont dégustés par un jury constitué majoritairement de vignerons membres du syndicat de village. Au fait que les critères de dégustation ne sont pas stipulés par les règlements, s’ajoute la question de la capacité des producteurs d’un village, en général dominé par une appellation, à évaluer d’autres appellations.

20En effet, les domaines  [5] se distinguent non pas tant par leur surface (85 % ont moins de 10 hectares) que par la diversité et la valeur économique de leur gamme d’appellations ou « portefeuille d’appellations ». La plupart des domaines possèdent plusieurs appellations, mais leur gamme peut être concentrée autour d’appellations régionales ou, à l’inverse, orientée vers les crus les plus prestigieux. Les domaines se différencient également par leur système commercial, à savoir par les circuits de vente utilisés et les clients associés. Le vin peut être vendu au négoce, généralement en vrac. Il est alors très souvent assemblé avec d’autres vins de la même appellation, avant d’être commercialisé par le négociant sous son propre label. La production peut également être vendue en bouteille, sous le label du producteur. Réservée à une minorité jusque dans les années soixante-dix, cette pratique concerne désormais tous les domaines, au moins pour une partie de leurs vins. Son adoption est progressive et s’appuie souvent sur une étape préliminaire de constitution d’une clientèle de « particuliers », qui intéresse peu les négociants. La plupart des producteurs diversifient ensuite leur clientèle et proposent leurs vins à des intermédiaires, restaurateurs, grossistes représentant des chaînes de magasins spécialisés, cavistes ou encore importateurs, avec lesquels ils entretiennent en général des relations régulières. En revanche, ils pratiquent très peu la vente à la grande distribution française, jugée trop contraignante et surtout dévalorisante.

21S’il ne pose pas de difficultés techniques ou financières, le passage du vrac à la vente en bouteille suppose toutefois de savoir trouver et fidéliser des clients, mais aussi d’être capable de fixer des prix « justes », ce qui amène des négociants à déplorer une concurrence déloyale de la part de producteurs fixant des prix trop bas pour certaines appellations  [6]. Contrairement au marché du vrac, où des cours de référence sont calculés et connus  [7], dans le cas de la vente en bouteille, le producteur n’a pas directement accès à des données-prix publiques. Seuls les prix proposés aux particuliers qui viennent acheter des vins au caveau sont affichés par les domaines, sans que pour autant cette information circule dans son exhaustivité. Quant au prix conclu entre un producteur et un intermédiaire, il constitue en général une information stratégique qui reste confidentielle. Même si l’appellation est un repère fondamental, le producteur est donc confronté à une incertitude forte pour construire le prix d’offre des vins qu’il vend en bouteille sous son propre label : il doit estimer la relation que le prix peut entretenir avec le niveau général de la qualité qui résulte de ses choix techniques et peut faire varier ce prix en fonction de l’effet millésime. De plus, même si en Bourgogne la production est relativement stable en volume et peu influencée par les interventions publiques, elle s’inscrit dans le processus de mondialisation des marchés des vins, qui se traduit par de nouvelles formes de concurrences (Garcia-Parpet, 2001) pouvant déstabiliser les producteurs.

22Pour un millésime donné, chaque producteur peut néanmoins obtenir des informations multiples et variées, à même d’intervenir dans sa formulation d’un prix d’offre. Au-delà des données propres à son entreprise (coût de production, caractéristiques des produits, état des stocks, etc.), la presse professionnelle diffuse des études sur l’évolution de la consommation et de la concurrence, par circuit et par pays ; les guides spécialisés publient régulièrement leurs jugements sur les vins de producteurs ainsi que des « prix consommateurs » ; l’état général des stocks à la propriété est l’objet de parutions régulières ; les clients eux-mêmes, notamment les importateurs ou les grossistes, fournissent des informations aux producteurs… La procédure de formation d’un prix d’offre peut alors se caractériser par les éléments ou signaux pris en compte par le producteur et la manière dont il les combine pour fonder sa décision. Rien ne dit que tous les producteurs procèdent de la même manière, étant donné leur diversité, notamment en termes de portefeuille d’appellations et de système commercial.

Une démarche construite sur la base de « variables d’intégration »

23Nous avons cherché à comprendre comment les producteurs de vins de Bourgogne, dans leur diversité, procèdent pour fixer les prix-bouteille qu’ils affichent au caveau. Nous voulions en particulier tester et préciser l’influence de l’encastrement relationnel des domaines sur leurs façons de raisonner et leurs niveaux de prix, tout en considérant les facteurs économiques, dans l’idée d’une approche conjointe entre les deux disciplines. Il s’agissait alors :

  • de caractériser les procédures de formation des prix d’offre des vins pour une période donnée, de repérer les régularités et les variantes,
  • d’étudier la relation entre procédures et prix,
  • d’analyser les liens entre procédures et caractéristiques des entreprises, en identifiant ces dernières à travers deux variables a priori discriminantes, à savoir le portefeuille d’appellations et le système commercial.

24Par rapport à l’objectif visé, ces deux variables présentaient l’intérêt de posséder une double dimension, à la fois économique et sociologique, et d’être à même de constituer des indicateurs de l’encastrement relationnel de l’entreprise. Sachant que les vins sont rarement déclassés, le portefeuille d’appellations explique en effet pour une large part le chiffre d’affaires des domaines. Mais il représente également l’inscription dans une institution de marché hiérarchisée, le système d’appellations, et fonde alors une dimension du statut. Quant au système commercial, que l’on peut caractériser par la répartition de la production entre vrac et bouteille d’une part, marché national et export d’autre part, il peut dans un premier temps être considéré dans une dimension économique : bouteille et export sont, à dire d’experts, les circuits de vente les plus rémunérateurs. Mais ce système présente aussi une dimension sociologique puisque, en tant que système de relations marchandes, il forme un ensemble d’interlocuteurs et d’informations avec lesquels le producteur est en contact. Portefeuille d’appellations et système commercial forment alors ce que nous avons appelé des « variables d’intégration », sur lesquelles nous avons fondé notre démarche.

25Le travail a été conduit à partir d’enquêtes directes, réalisées entre mars et mai 2002, auprès de 28 domaines viticoles de Côte de Beaune et de Côte de Nuits. L’échantillon comprenait des domaines appartenant à des viticulteurs ou à des négociants, représentatifs d’une diversité de portefeuilles d’appellations, de systèmes commerciaux et de niveaux de prix figurant sur le « tarif particulier » valable au 31 décembre 2001. Les tarifs recueillis ont été répartis en 3 niveaux : élevé (6 domaines), intermédiaire (4 domaines), bas (18 domaines), voir Annexe.

26L’entretien s’est fondé à la fois sur des questions fermées, permettant de décrire de manière précise les domaines, leur gamme de produits et système commercial, et sur des questions ouvertes visant à caractériser les procédures de formation des tarifs.

Régularités et variantes dans les procédures de formation des prix

Un principe partagé : l’ajustement d’un tarif de référence et une sélection de critères de décision

27Pour l’ensemble des producteurs, la construction du tarif de l’année respecte une règle générale : les prix doivent être relativement stables pour « garder la confiance de la clientèle » : dix-neuf d’entre eux le mentionnent de façon tout à fait explicite. « On raisonne par rapport aux années antérieures pour être stable sur les prix »  [8] ; « On recherche un tarif avec pas trop d’écart entre les produits ». La stabilité ou l’augmentation modérée des prix, de même que la cohérence d’ensemble, sont des principes constitutifs des tarifs et sont justifiées par le souci de sécuriser les ventes, mais aussi parce que « la plupart deviennent des amis, à force ». Avant de raisonner « marché » ou « profit », ces entreprises raisonnent « clientèle », vis-à-vis de laquelle, précise l’un des producteurs, « on essaie de garder une politique de petit prix ». La procédure de construction du tarif est donc fondamentalement celle d’un ajustement limité d’une année sur l’autre et qui a lieu en général une fois par an. Ce résultat d’enquêtes rejoint ainsi les conclusions de Karpik (1989) sur le principe d’une « économie de la modération » mis en avant dans le cas des avocats et qui pourrait plus largement caractériser le fonctionnement des marchés de biens de qualité.

28Les producteurs fixent en général un tarif pour chaque circuit de distribution (vente directe, export, cafés-hôtels-restaurants, etc.) : ceci vaut pour toutes les appellations et leurs éventuelles subdivisions. La démarche consiste en général à établir un seul tarif de référence  [9] : pour les uns, c’est le tarif « particulier » qui s’applique à la vente au caveau, pour d’autres, le tarif « export » destiné à des intermédiaires opérant sur les marchés internationaux (agents ou importateurs). Les tarifs des autres circuits sont calculés à partir du tarif de référence selon un taux fixe, identique pour l’ensemble de la gamme, mais variable d’un circuit à l’autre et différent selon les producteurs.

29Les producteurs fixent leur tarif de référence à partir d’éléments très hétérogènes. Certains correspondent à des informations chiffrées internes à l’entreprise (coût de production, coût de conditionnement, quantité) ou externes, plus ou moins aisément accessibles (inflation, taux de change, prix pratiqués par les autres). À l’inverse, d’autres correspondent à l’estimation du contexte (l’état du marché) ou d’une caractéristique (la qualité du millésime) jugée indispensable au raisonnement, sans qu’il soit toujours possible d’identifier la voie retenue pour cette évaluation. L’« état du marché », notamment, peut être associé à l’offre de vins globale, à celle d’une ou de plusieurs appellations, ou encore défini par rapport à un pays, etc.

TABLEAU I.

Fréquence de citation des éléments pris en compte dans

TABLEAU I.
TABLEAU I. – Fréquence de citation des éléments pris en compte dans l’élaboration du tarif de référence (catégorisation d’après déclarations spontanées, sur la base de 31 tarifs) Élément mentionné Citation positive* Citation négative** Élément principal Élément secondaire Coût de production 8 2 0 Coût de conditionnement 7 0 0 Cours du vrac 7 0 1 Prix pratiqués par les autres 6 3 3 Aucun 5 - - État du marché 4 10 5 Qualité du millésime 3 9 3 Quantité et/ou stock 1 4 0 Inflation/taux de change 0 5 0 * Élément explicitement cité comme intervenant dans la procédure ** Élément explicitement cité comme n’intervenant pas dans la procédure Source : Enquêtes 2002.

Fréquence de citation des éléments pris en compte dans

Enquêtes 2002.

30Nous pouvons ainsi identifier :

  • 20 producteurs qui construisent un seul tarif de référence, à partir de la sélection d’un ou deux éléments explicitement cités comme les critères décisifs de la procédure, d’autres éléments pouvant intervenir ensuite pour affiner les prix,
  • 3 producteurs qui construisent deux tarifs de référence, sur la base d’un ou deux critères qui diffèrent d’un tarif à l’autre,
  • 5 producteurs pour lesquels le tarif de l’année s’inscrit simplement dans la continuité des tarifs précédents, sans qu’il soit possible de dégager un critère qui fonderait la procédure : le tarif est « subi », ajusté d’une année sur l’autre de façon très limitée, « si on peut » et plutôt « au hasard ».

31Le cours du vrac, lorsqu’il intervient dans la construction du tarif, est toujours un critère décisif. À l’inverse, l’état du marché, la qualité ou les prix affichés par d’autres peuvent tour à tour être mis en avant comme critères décisifs, comme éléments d’affinage des prix seulement ou même être cités comme sans intérêt. Cette diversité de références peut s’expliquer par des difficultés d’évaluation. Certains producteurs considèrent aussi que ces critères ne sont tout simplement pas pertinents pour la construction du tarif : « La qualité du millésime n’est pas importante dans le prix : de toute façon les jeunes millésimes sont moins chers que les vieux » ; « Le prix n’est pas lié à la qualité : en 2000 on a augmenté, malgré le millésime, car on n’avait pas augmenté depuis 3 ans » ; « La situation du marché du vin et les prix par rapport aux autres ne sont pas importants ». La diversité des éléments retenus ne s’explique donc pas seulement par l’opacité du marché, les difficultés d’accès à l’information ou la complexité du calcul : elle semble aussi refléter une divergence de points de vue sur ce qui doit être pris en compte pour établir le prix.

Des procédures qui se distinguent selon les critères décisifs retenus

Des procédures fondées sur des objectifs de revenu

32Chez les producteurs se référant aux critères décisifs « cours du vrac + coût de conditionnement » et « coût de production » (voir Tableau I), et seulement chez ceux-ci, il est possible de définir une procédure précise formelle de calcul du prix : « On calcule nos prix par rapport au prix moyen d’une pièce[10], plus les frais, plus les matières sèches, plus une marge, et on divise par 300 pour avoir le prix de la bouteille. » Des éléments secondaires tels que l’état du marché ou la qualité du millésime peuvent intervenir pour fixer la marge : « La base du tarif est le prix vrac, plus 6 F de frais de mise en bouteille pour connaître le prix minimum de vente. On ajuste ce prix de 2-3 % chaque année si on peut, en fonction de la qualité et de la situation du marché. » Le poids donné à des éléments secondaires peut néanmoins être plus important et la procédure de fixation des prix est alors plus floue : « Je fais le tarif que je sens par rapport au prix de revient, plus la marge. Je considère la richesse du pays… et la quantité vendue. »

33En fait, dans ce premier type de procédure, le calcul est utilisé par le producteur pour atteindre des objectifs de revenu minimaux. Le critère « cours du vrac » n’a de sens que couplé à une évaluation du coût de conditionnement. L’alternative de vendre en bouteille doit assurer un revenu au moins équivalent à celui qu’assurerait la vente en vrac : « On calcule par rapport à un prix moyen vrac, plus 10 F par bouteille de matière sèche pour avoir le prix de la bouteille. On multiplie par 280 bouteilles par pièce pour savoir si on gagne plus en bouteille ou en vrac. »

34De même, lorsque le critère décisif est le coût de production, le tarif fixé doit permettre au moins la rémunération des facteurs de production : « Le prix de vente est le prix de revient vrac hors fermage, plus les frais de commercialisation, plus la marge. On cherche à valoriser notre travail sans compter le prix du fermage. »

Des procédures fondées sur une prise en compte du contexte des transactions

35Six producteurs établissent leur prix de vente en référence aux « prix des autres », qui peuvent être cités dans un premier temps comme des « amis », des « collègues », des « voisins », voire des « concurrents »... Il ne s’agit pas toute-fois de n’importe quels autres, mais bien, comme nous invitait à le penser White, d’individus considérés comme « équivalents », en termes de qualité et de clients. Cinq producteurs le mentionnent explicitement et l’un d’eux précise : « Le tarif est fonction de la qualité et de la renommée du millésime, puis du millésime en vente actuellement sur le marché et du marché en général. Mais la base est fixée par rapport aux amis qui font la même qualité et qui ciblent la même clientèle. ». Même si les caractéristiques du produit sont considérées comme les facteurs explicatifs du prix, certains pairs constituent la source d’information privilégiée pour lever l’incertitude sur le produit.

36Trois autres producteurs déclarent déterminer leurs prix en priorité par rapport à « l’état du marché » et font alors référence à différents espaces de concurrence et/ou de valorisation des produits, plus ou moins bien définis : « Le tarif est à 100 % le résultat de la situation du marché, de la façon dont la presse a parlé de la concurrence » ; « On regarde la situation du marché, la rareté du produit et la demande » ; « Le tarif est fait par rapport au marché export c’est-à-dire à la demande, au taux de change... ».

Des procédures fondées sur la qualité du millésime

37Seul un producteur déclare établir son tarif de référence uniquement à partir de la qualité du millésime, sans tenir compte d’autres critères. Mais cette estimation est relative à l’année précédente et l’impact reste limité par le souci de ne pas trop faire varier les prix : « Le tarif est fait chaque année en considérant la qualité de l’année par rapport à celle de l’année n-1… Mais on cherche quand même à avoir une stabilité du tarif. » Un autre producteur cite également la qualité comme le critère principal, mais la combine avec l’état de ses stocks.

38Ce premier niveau d’analyse nous amène ainsi à montrer qu’il existe une diversité de procédures de formation des prix au sein d’un même « marché », ce que ne permet pas de considérer l’approche économique standard. Il s’agit alors de voir en quoi ces procédures expliquent les prix pratiqués par les domaines.

TABLEAU II.

Classement des procédures selon les critères décisifs

TABLEAU II.
TABLEAU II. – Classement des procédures selon les critères décisifs Critères décisifs Nombre de Type de procédure procédures Aucun 5 Tarif subi Coût de production 6 Tarif construitCoût de production + état du marché 1 en fonction d’objectifs de revenuCoût de production + qualité du millésime 1 Cours du vrac + coût de conditionnement 7 Prix pratiqués par les autres 6 Tarif construit en fonction du contexteÉtat du marché 3 Qualité du millésime 1 Tarif construit en fonction de la qualitéQualité du millésime + état des stocks 1 Source : Enquêtes 2002.

Classement des procédures selon les critères décisifs

Enquêtes 2002.

De l’analyse des procédures à l’organisation sociale des marchés de qualité

Relations entre procédures, prix et structures

Procédures et tarifs « particulier »

39Les tarifs « particulier »  [11] sont systématiquement bas chez les producteurs qui ne calculent pas leurs prix et subissent le tarif hérité du passé. Chez ceux qui construisent leur tarif, il est possible de faire le lien entre le type de procédure et le niveau des prix. Les producteurs qui, à travers la procédure, fixent des objectifs de revenu en tenant compte du coût de production d’ensemble ou du coût de conditionnement couplé au cours du vrac, proposent presque toujours un tarif bas. La prise en compte du contexte économique ou de la qualité s’associe en revanche à des prix plus élevés.

TABLEAU III.

Procédure et niveau du tarif particulier

TABLEAU III.
TABLEAU III. – Procédure et niveau du tarif particulier Critères décisifs Tarif bas Tarif Tarif élevé Total intermédiaire Aucun 5 5 Coût de production 4 2 6 Coût de production + qualité du millésime 1 1 Coût de production + état du marché 1 1 Cours du vrac + coût de conditionnement 7 7 Prix pratiqués par les autres 1 4 1 6 État du marché 1 2 3 Qualité du millésime 1 1 Qualité du millésime + état des stocks 1 1 Total 19 5 7 31 Source : Enquêtes 2002.

Procédure et niveau du tarif particulier

Enquêtes 2002.

Procédures, prix et entreprises

40Le graphique suivant permet de visualiser, pour chaque entreprise  [12], 1) son principal critère de raisonnement, 2) son niveau de prix (de A élevé à C bas), 3) la valeur économique de son portefeuille d’appellations  [13], 4) la part de sa production vendue en bouteille et 5) la part exportée. Les trois dernières valeurs sont comparées aux moyennes calculées sur l’ensemble des 27 domaines pris en compte.

41La mise en parallèle des procédures avec le portefeuille d’appellations et le système commercial permet d’identifier trois blocs d’entreprises relativement homogènes :

  • les entreprises qui subissent le tarif hérité ont toutes un portefeuille d’appellations et une production vendue en bouteille et exportée inférieurs à la moyenne des 27 domaines,
  • les procédures « coût de production » ou « cours du vrac + coût de conditionnement » relèvent d’entreprises caractérisées par un portefeuille d’appellations et une part de la production exportée faibles, au mieux au niveau de la moyenne,
  • les raisonnements centrés sur les notions de marché, de concurrence entre pairs et/ou de qualité sont pour l’essentiel propres à des entreprises qui disposent de portefeuilles d’appellations élevés et réservent une part importante de leur production à la vente en bouteille et à l’exportation.

FIGURE I.

Croisement entre procédures, prix et variables d’intégration

FIGURE I.
FIGURE I. – Croisement entre procédures, prix et variables d’intégration niveau des prix A A A A B A B B B B C A A C C C C C C C C C C C C C C C C C ) € (  2300uilled'ans() 100 %productiontotale(bouteilles,exbouteilles 2100 90 ppellatio moyenne 1900 80 1700 70 1500 60 1300rtefe 50 po 1100 40 po 900 30 rt) moyenne moyenne 700 20portefeuille export 500 10 300 0 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29qualité marché prix des autres coût de production vrac + coût de aucun conditionnement critères de la procédure portefeuille d'appellations part bouteilles part export

Croisement entre procédures, prix et variables d’intégration

42Au-delà d’être corrélées au niveau du prix, les procédures apparaissent donc étroitement liées au portefeuille d’appellations et au système commercial des domaines. Toutefois, des exceptions se distinguent et à niveau équivalent de portefeuille, notamment, les procédures peuvent diverger. C’est le cas par exemple de deux domaines dotés d’un portefeuille moyen : l’un raisonne par rapport au coût de production et pratique des prix hauts, l’autre décide par rapport au prix des autres et propose des prix bas. L’explication peut provenir d’un système commercial différent : 100 % bouteilles et taux élevé d’export pour le premier, dans l’ordre de la moyenne pour le second. Plus largement, l’enjeu est de comprendre plus finement l’influence, sur les processus de formation des prix, des deux « variables d’intégration » que constituent le portefeuille d’appellations et le système commercial, à la fois facteurs économiques et indicateurs de l’encastrement relationnel des entreprises.

Des variables économiques aux fondements sociaux des marchés des biens de qualité

Derrière le système commercial, le rôle des relations professionnelles et des routines

43Le système commercial d’une entreprise reflète son encastrement relationnel au sein du système marchand. Il s’associe en effet à un ensemble d’interlocuteurs avec lesquels l’entreprise est en relation régulière : importateurs pour l’export, intermédiaires et consommateurs pour la vente en bouteille en France, courtiers et négociants pour la vente en vrac. Toutefois, s’il joue pour partie sur les informations potentiellement mobilisables dans la construction du tarif, son impact est à préciser à travers le contenu et la signification que les producteurs donnent à leurs différents liens marchands.

44Pour la plupart des producteurs qui déclarent subir le tarif hérité ou raisonnent en référence à des objectifs de revenu, les échanges les plus fréquents avec les clients sont liés à l’accueil de particuliers au caveau, « corvée » pour les uns, « plaisir » pour d’autres. Avec eux, ils ne discutent pas de prix. Les échanges avec d’autres types de clients sont beaucoup moins fréquents et centrés sur ceux avec lesquels ils ont « l’habitude de travailler depuis longtemps ». Pour leurs bouteilles, ils visent les créneaux qui n’intéressent pas les négociants et, par exemple, se lient à des comités d’entreprise qu’ils ont pu connaître par l’intermédiaire de leurs vendangeurs. Ils ne cherchent pas à se doter d’une clientèle spécialisée, si bien qu’ils n’assistent jamais aux salons internationaux réservés aux professionnels réputés tel que Vinexpo. Ils préfèrent promouvoir leurs vins dans des manifestations ouvertes au grand public et/ou locales, comme les Grands Jours de Bourgogne. Ils privilégient même parfois les rencontres agricoles plutôt que viticoles, telle que la foire de Mâcon. Surtout, pour certains, c’est avant tout « pour ne pas fâcher les collègues » ou « pour faire la fête avec les copains », et non une stratégie pour trouver des clients et encore moins pour discuter de prix. De plus, pour la majorité d’entre eux, la vente en vrac représente encore une part non négligeable du chiffre d’affaires  [14]. Or selon eux, lorsqu’ils vendent au négoce, le prix est à prendre ou à laisser. Ce prix vaut pour une période donnée et dépend uniquement de l’appellation. La qualité particulière, rattachable au domaine, n’est pas prise en compte dans la transaction. Le producteur ne peut que refuser la proposition du négociant s’il la juge insuffisante, mais pas la négocier : « Le négoce fixe un prix à prendre ou à laisser. Ma décision sera prise par rapport à ma trésorerie, sachant qu’on couvre quand même toujours le prix de revient. »

45Les producteurs qui fixent leur tarif en référence directe au cours du vrac ou au coût de production reproduisent finalement leur façon de raisonner sur le vrac au niveau de leurs prix bouteille : pour eux, la qualité propre au domaine n’est pas prise en compte, en ce sens que l’appellation suffit à définir le prix. Par conséquent, pour tous ces producteurs, le niveau général des prix est bas, calé sur le niveau minimum de la fourchette de prix de l’appellation. Cette information, ils l’obtiennent par le négociant ou bien au sein du syndicat du village, auquel ils participent assez souvent « pour discuter technique, et pas affaires, avec les copains ». Pour eux, le prix bouteille doit juste assurer un revenu considéré comme acceptable. Plus précisément que le système commercial, ce sont donc à la fois l’engagement dans le vrac et la relation de dépendance avec le négociant qui permettent d’expliquer le comportement de ces producteurs en matière de formation du prix bouteille. Mais en procédant sur le marché bouteille de la même façon que sur le vrac, ces producteurs amènent également à considérer le poids des routines dans le fonctionnement des marchés. Pour certains d’entre eux, le passage à la bouteille est récent, même si la part vendue en vrac est aujourd’hui très réduite. La décision de vendre une partie de la production en bouteille a constitué une rupture dans la logique de l’exploitation, qui a permis de faire face aux crises sporadiques des marchés du vrac. Toutefois, une évolution dans le système de commercialisation ne signifie pas nécessairement une rupture dans la procédure de fixation du prix d’offre. Il faut changer ses habitudes, sortir de la routine et même s’adapter à un nouveau statut social, à un nouveau métier : « Il y a une différence entre être un vigneron ou un vigneron éleveur » ; « Nous sommes une petite structure et vignerons avant d’être commerciaux. » L’encastrement relationnel précédent lié à la vente en vrac a contribué à fonder des routines qui limitent l’impact de leur insertion actuelle dans le système des relations marchandes associé à la vente en bouteille.

46Deux domaines se référant au coût de production ne s’inscrivent pas dans cette logique et pratiquent des prix élevés. Ces deux domaines appartiennent à de grandes maisons de négoce. Le niveau du prix peut s’expliquer par deux raisons. D’une part, le coût pris en compte intègre la rémunération de la totalité des facteurs de production, ce qui n’est pas toujours le cas pour les domaines indépendants, et les frais généraux sont probablement très élevés. D’autre part, la marge est calculée par la maison mère, dont le métier premier est la commercialisation, ou par un des commerciaux spécialisés et salariés du domaine. Le réseau mobilisé pour construire le prix est donc plus complexe et conduit à un ajustement plus important du tarif sur la base du coût de production : « Le tarif est fait à la base à partir du prix de revient donné par le service comptable du groupe […], des marges minimales sont exigées par le groupe. »  [15].

47Pour les producteurs qui déclarent fonder leur procédure sur l’état du marché ou la qualité du millésime, l’encastrement relationnel au sein du système marchand est très différent. Ils ont une clientèle de « connaisseurs fidèles », qu’ils entretiennent par invitation à des soirées privées, diffusion d’informations régulières sur l’activité du domaine, etc. Ils ne reçoivent les clients de passage que sur rendez-vous, voire plus du tout. Ils fréquentent les salons vinicoles les plus réputés tels que Vinexpo ou la London Wine Fair et délèguent souvent à leur personnel commercial la présence aux foires moins prestigieuses. Leur débouché principal est l’export, surtout lointain, et certains d’entre eux mettent alors en avant le rôle des relations avec les importateurs dans la formation de leurs prix. « J’ai un vrai échange avec les importateurs qui viennent au moins une fois par an chacun » : avec eux, ils échangent non seulement sur les marchés en général, mais surtout « sur les prix des autres », ceux qui sont « dans le même créneau », confirmant ainsi les résultats obtenus auprès de ceux justifiant spontanément leurs prix par rapport à ceux des autres. Les importateurs constituent donc des nœuds au sein des « réseaux-producteurs » définis par Karpik. Les producteurs cherchent d’ailleurs à entretenir avec eux des relations à la fois marchandes et amicales, impliquant même parfois leur famille : « Ils viennent ici, et moi et la famille, on se déplace souvent… », « On se téléphone très souvent ». Au-delà d’attacher l’acheteur, il s’agit aussi, au travers d’une relation « multiplexe » (Degenne et Forsé, 1994), de renforcer le lien afin de se donner les moyens d’obtenir de « bonnes informations », comme le suggère Uzzi dans son analyse des firmes de services. Leur adhésion aux syndicats des crus renommés leur permet également de rencontrer leurs concurrents directs : formés par cooptation à partir des domaines prestigieux, ces syndicats sont en effet peu ouverts aux producteurs de vrac. Leurs responsabilités régionales dans des instances telles que le Bureau Interprofessionnel des Vins leur donnent aussi un accès privilégié à des informations sur leurs collègues.

48Parmi ces producteurs qui raisonnent par rapport à la qualité, certains sont aussi amenés à faire référence à « la façon dont la presse spécialisée en a parlé » pour préciser leur raisonnement, ou même plus directement à mentionner leurs relations privilégiées avec les guides. Ils ne font pas référence au guide Hachette, auquel tous les viticulteurs ont potentiellement accès, mais à des spécialistes étrangers tels que Robert Parker. Ils font ainsi apparaître un autre type de « professionnel des marchés » qui participe à cadrer leur action économique (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000) : les prescripteurs (Hatchuel, 1995).

49Quant aux producteurs qui disent raisonner en référence aux « prix des autres », soit ils s’apparentent au type précédent, soit relèvent de situations intermédiaires. Pour certains, cherchant à développer leur vente en bouteille et ainsi se soustraire de la relation de dépendance avec le négociant, observer les prix des autres domaines auxquels ils veulent ressembler leur permet de caler les leurs, un peu en dessous, de façon à être sûr de vendre et ainsi minimiser les risques. Des producteurs aujourd’hui classés parmi ceux raisonnant par rapport au marché ou à la qualité témoignent d’ailleurs avoir également commencé en se positionnant par rapport aux prix des autres.

50Les producteurs raisonnant par rapport aux autres, au marché ou à la qualité s’associent donc à un même type d’encastrement relationnel qui leur permet de fixer leurs prix au sein d’un environnement concurrentiel spécifique, d’emblée défini par les pairs « équivalent » pour les uns, « filtré » par les intermédiaires et/ou les prescripteurs pour d’autres. La référence directe ou indirecte à ce type d’encastrement s’accompagne systématiquement de tarifs plutôt élevés, à part une exception relevée plus haut, celle d’un producteur se déclarant contraint par un faible tarif initial lié à une pratique longue de vente au négoce par son père. À la différence des autres producteurs au tarif bas, celui-ci cherche à construire une hausse progressive de ses prix à partir d’efforts qualitatifs importants, observés chez ses voisins « réputés ». Ce dernier cas nous invite alors à enrichir l’interprétation en prenant en compte la deuxième variable d’intégration, le portefeuille d’appellations, pour montrer plus précisément les interactions entre procédure, niveau de prix et « statut » de l’entreprise.

Les procédures et niveaux de prix comme conséquences du statut

51Notre étude s’est construite sur la base de deux « variables d’intégration », à même de constituer des indicateurs de l’encastrement relationnel des domaines. Plus précisément, il s’agit de montrer en quoi ces variables fondent leur statut et jouent sur la formation des prix. D’après avis d’experts, un fort pourcentage de bouteilles et un taux élevé d’export sont des signes de prestige au sein des marchés de qualité, tandis que la vente au marché vrac est peu valorisante. Quant au portefeuille d’appellations, il conditionne en grande partie la clientèle potentielle de l’entreprise et le rapport qu’elle entretient avec les produits. Ce sont en effet les appellations prestigieuses et donc les portefeuilles élevés qui attirent les restaurateurs connus ou les intermédiaires, qui à leur tour sont en relation avec des cavistes reconnus ; ce sont elles qui stimulent l’intérêt des guides et sont finalement à même d’attacher des consommateurs finaux disposés à acheter des vins chers. Le portefeuille joue également sur l’évaluation des produits par les particuliers qui achètent au caveau : l’attention que ceux-ci portent à la qualité et leurs attentes vis-à-vis des produits sont différentes chez un « petit » producteur qui ne propose que des appellations régionales et chez un maître de chai reconnu pour ses grands crus (Laporte, 2000). De plus, même s’ils dégustent avant achat, les particuliers ont rarement un niveau d’expertise suffisant pour distinguer la qualité selon des critères organoleptiques (Combris et al., 1997). Pour fonder leur jugement, ils se fient alors davantage aux appellations dont, pour la Bourgogne, ils connaissent au moins partiellement la hiérarchie, si bien que le portefeuille contribue fortement à définir la « réputation » du domaine.

52Plusieurs producteurs au portefeuille limité ont en effet déclaré que leur clientèle n’attache que peu d’importance à la qualité particulière de leurs produits et a fortiori au millésime. Il n’y a donc pas lieu pour eux de tenir compte prioritairement de la qualité ou du millésime dans la construction du prix. Celui-ci est alors bas et la décision suppose simplement que le prix fixé puisse répondre à leurs attentes en termes de revenu : le prix se détermine prioritairement en fonction de cet objectif, contraint par le coût de production, en tenant compte éventuellement de l’alternative possible qu’est la commercialisation en vrac. À l’inverse, dès lors que le portefeuille permet de faire valoir la qualité, le coût de production n’apparaît plus comme élément décisif dans la procédure et les prix proposés sont élevés : compte tenu de la clientèle potentielle, il ne constitue plus une contrainte, pas plus que le recours à la vente en vrac n’apparaît comme une solution envisageable pour assurer un revenu équivalent. La procédure est alors liée aux conditions d’évaluation de la relation qualité-prix, sur la base de ce que font les pairs par rapport auxquels on cherche à se situer ou de ce qu’en disent les professionnels des marchés.

53Le portefeuille d’appellations et le système commercial d’un domaine contribuent donc à définir son statut et, finalement, le niveau de ses prix, selon trois modalités : 1) ces deux variables jouent sur sa capacité à se sous-traire de la relation avec le négoce et à développer des liens avec des acheteurs fortunés ou des prescripteurs réputés, lui permettant ou non de pratiquer des prix hauts ; 2) elles forment des « signaux » dans l’évaluation de la qualité par les acheteurs et intermédiaires, encourageant ou non ces derniers à accepter des prix élevés ; 3) elles conditionnent la disposition de l’offreur à faire valoir ou non la qualité de ses produits à travers les prix.

54Toutefois, un portefeuille d’appellations élevé s’associe à un statut prestigieux seulement s’il est mis en valeur par le producteur, ce qui est à la fois lié aux pratiques de production, à la stratégie commerciale et à une insertion active dans les « réseaux-échanges », comme le montre le cas suivant :

55

X a repris récemment un domaine viticole qui comporte plusieurs appellations, dont certaines très prestigieuses. Jusque-là, le domaine avait été loué à un fermier qui écoulait essentiellement sa production en vrac. X, qui a visité beaucoup de vignobles étrangers pendant ses études de viticulture-œnologie, a décidé de reconstruire complètement le système commercial. Avec l’aide d’amis scientifiques, il a d’abord développé et affiché publiquement des pratiques considérées par les autres producteurs comme ultra-qualitatives, voire fantaisistes, et qui lui ont permis de faire des « vins différents ». Il s’est alors rapidement fait remarquer par ses voisins du village, dont certains très réputés. L’information a circulé et ainsi suscité l’intérêt des guides les plus connus, des étrangers notamment, provoquant une réaction rapide de restaurateurs renommés et d’importateurs. X vend aujourd’hui la majeure partie de ses vins à l’export, refuse de recevoir les guides et fixe des prix très hauts pour toutes ses appellations, y compris pour les moins prestigieuses. Mais il veille constamment à ce que tous ses produits « ne ressemblent à aucun autre » et pour cela reste très attentif à ce que proposent ses concurrents. Grand amateur d’art, le vin ne se conçoit pour lui que comme un produit de luxe.

56Ce cas montre en quoi l’engagement dans la qualité, mis en œuvre et rendu visible à travers des innovations techniques ou organisationnelles, permet de construire une réputation et de faire évoluer le statut, ce qui, en retour, donne les moyens de modifier le système commercial et de rompre avec le tarif hérité. Cette stratégie de distinction (Bourdieu, 1979) conduit à une rareté de produits qui renforce le statut du domaine en favorisant une évaluation positive et un attachement de la part des acheteurs et intermédiaires. À travers cet exemple, nous confirmons ainsi l’une des conclusions de Musselin dans le cas d’un marché pourtant a priori très différent, celui des universitaires (1996) : celle-ci montre en effet en quoi la détermination du « prix » d’un universitaire, à l’occasion de son recrutement, relève de la reconnaissance de la valeur actuelle du candidat appréciée notamment au travers de la « rareté » de ses productions scientifiques passées.

57Un autre exemple témoigne de la façon dont une stratégie de distinction fondée sur l’innovation peut aller jusqu’à lever la contrainte d’un portefeuille foncièrement limité et accroître finalement le statut, moyennant des efforts importants.

58

Malgré son portefeuille très réduit, Y pratique des prix hauts qui peuvent être reliés à sa construction active d’un statut élevé. Fils de petits agriculteurs, il a voulu se distinguer de son milieu social d’origine et a constitué son domaine lui-même il y a vingt ans, après des études supérieures, en plantant de la vigne dans une zone d’appellations peu renommées. Se déplaçant souvent à l’étranger pour s’inspirer d’initiatives exemplaires, il a cherché à montrer que même des terroirs a priori peu cotés peuvent donner des produits de choix et a appliqué pour ses vins les méthodes de vinification d’habitude réservées aux grands crus. Refusant catégoriquement de vendre au négoce, il a fondé sa stratégie commerciale d’abord sur la vente aux particuliers, au caveau ou par correspondance. Il considère que son réseau de clients est le fruit de quinze ans d’efforts de communication jamais relâchés, centrés sur la réception de clients de passage puis de « connaisseurs » sélectionnés et appuyés par l’organisation de conférences et de dégustations. Il a acquis récemment le château du village et propose des chambres d’hôte à une clientèle très aisée, d’origine surtout étrangère et à laquelle il vend à l’export.

59Ce cas illustre aussi un des fondements du fonctionnement de l’économie de la qualité, selon Karpik, à savoir la nécessité d’une pratique constante de la présentation et de la représentation sociale pour être connu et reconnu au sein des réseaux-échanges (Karpik, 1989).

60Nous pouvons donc globalement confirmer le lien positif entre statut élevé et haut niveau de prix, démontré notamment par Podolny et Uzzi. Mais de façon plus large, expliciter les procédures au moyen d’une approche compréhensive amène aussi à rendre compte de l’importance des routines et des valeurs morales : celles-ci peuvent représenter une contrainte forte à la valorisation ou au dépassement de l’encastrement relationnel et du statut en particulier, mais aussi distinguent différents types de projets au sein des producteurs bourguignons, qui ne cherchent pas tous à ressembler aux « élites ».

61Un dernier cas rappelle en effet qu’un producteur peut justement choisir de ne pas activer son statut dans le monde du vin, décision qui peut être justifiée par la volonté d’affirmer certaines valeurs morales.

62

Z a repris le domaine de son père composé exclusivement d’appellations régionales qu’il a complété par quelques petites parcelles d’appellations renommées lors de son mariage. Il a alors été contacté par des acheteurs prestigieux, avec lesquels il aurait pu pratiquer des prix hauts. Toutefois, profiter ainsi de son portefeuille ne l’intéresse pas. Au contraire, il se dit en désaccord avec d’autres, dont il observe les prix qu’il juge « injustifiés », et revendique avec fierté sa politique de « petits prix ». De toute façon, c’est la vigne qui l’intéresse, « faire un peu de bouteilles, c’est juste pour faire plus d’argent pour engager du personnel et mieux travailler dans les vignes ». De plus, il n’est pas question pour lui de rompre sa relation d’amitié avec son principal acheteur, un négociant, avec lequel il se sent en confiance parce qu’il est « du même monde » que lui. Enfin, surtout, il veut « rester en dehors du théâtre » où s’affichent les domaines prestigieux et les critiques comme Parker. Sa reconnaissance sociale, il la construit et l’entretient activement dans les réseaux locaux, en présidant le syndicat de village notamment, et en s’impliquant dans des actions pour le développement de sa commune.

63Ce cas exprime ouvertement ce que déjà suggéraient certains producteurs de vrac en se présentant sans honte comme des « petits producteurs », bien plus intéressés par l’activité de production que par la fonction commerciale. Il confirme également le principe d’un marché des vins marqué par une économie de la modération, déjà visible à travers la démarche, commune à tous, d’ajustement limité du tarif.

64L’encastrement relationnel est donc complexe, les liens avec différents types de professionnels des marchés ou au sein des réseaux locaux sont plus ou moins décisifs, tandis que le statut apparaît comme une variable de choix étroitement liée aux valeurs morales, pratiques et projets des individus, autant qu’à leurs ressources. Chercher à comprendre le « sens » de ces variables pour les offreurs nous permet finalement de dégager quelques conclusions qui à la fois confirment et complètent les résultats proposés par d’autres auteurs, anglo-saxons ou français, et surtout ouvrent des pistes pour un approfondissement.

65Comment les entreprises font-elles pour fixer un prix d’offre de leurs biens dans le contexte de l’économie de la qualité, lorsqu’il y a à la fois incertitude sur la qualité du produit et sur la relation prix-qualité ? Quinze ans après l’article fondateur de Karpik (1989), cette question reste peu étudiée en tant que processus, et conjointement par l’économie et la sociologie, ce qui a conduit un groupe de chercheurs français à lancer un appel pour investir sur ce thème (Musselin et al., 2002). Cet article propose de contribuer au débat et présente les résultats d’une approche compréhensive de la formation des prix des vins de Bourgogne. Dans la lignée des hypothèses développées en socio-logie économique, ce processus a été appréhendé comme le produit d’une procédure de décision de l’offreur, influencée par son encastrement dans un système de relations sociales.

66Nos enquêtes auprès d’un échantillon diversifié de producteurs nous amènent tout d’abord à confirmer le principe d’une « économie de la modération » avancé par Karpik, au sens où la formation des prix d’offre relève pour tous d’un ajustement limité d’une année sur l’autre, motivé par le souci de garder la confiance avec la clientèle, formée pour partie d’amis. Mais cela n’empêche pas une diversité de procédures de fixation des prix au sein d’un même « marché », ce qui remet en cause l’hypothèse d’une façon de faire unique qui s’imposerait à l’ensemble des entreprises, postulée dans l’approche économique standard (Guerrien, 1992). Leurs procédures et niveaux de prix apparaissent comme étroitement liés à deux variables les différenciant, à savoir le portefeuille d’appellations et le système commercial, privilégiées dans la démarche en tant qu’indicateurs potentiels de leur encastrement relationnel. Chercher à comprendre le « sens » de ces variables pour les offreurs a permis de montrer que celles-ci non seulement reflètent et encadrent leurs relations marchandes, mais aussi contribuent à définir leur statut, qui influence leurs décisions de prix en jouant notamment sur leur capacité et leur disposition à faire valoir ou non la qualité de leurs produits. Nous avons toutefois repéré des routines ou, à l’inverse, des stratégies de distinction pouvant être liées à l’affirmation de valeurs morales, qui conditionnent la nature de l’encastrement relationnel, le niveau de statut et l’influence de ces deux facteurs. En illustrant notamment comment ces stratégies donnent les moyens d’accroître le statut ou s’associent au contraire à la revendication d’un statut modeste, nos travaux rendent compte de marchés dynamiques, dont la reproduction n’est ni systématique ni subie, où les positions sont à la fois mobiles et pour partie volontaires. En ce sens, ils permettent d’enrichir les approches relativement structuralistes des sociologues anglo-saxons tels que Podolny ou Uzzi. Ces derniers appellent d’ailleurs justement à mieux prendre en compte la mobilité des statuts au sein des marchés, au travers de la mise en œuvre d’innovations notamment (Podolny, 1993).

67Il nous semble intéressant enfin de revenir sur l’intérêt d’une démarche fondée sur des « variables d’intégration » à dimension à la fois économique et sociologique. Portefeuille d’appellations et système commercial ont constitué les « objets intermédiaires » (Vinck, 1999) d’une contribution interdisciplinaire à l’analyse de cette action économique et, plus largement, à la compréhension de l’organisation sociale des marchés de qualité. Cette rencontre autour d’objets peut se poursuivre de façon à articuler plus étroitement une approche des marchés à la production, telle que celle que propose White, à une analyse des institutions et des conventions qui se construisent dans les interactions et les font évoluer, de façon à mieux appréhender l’« enchevêtrement » des différents types d’encastrement de l’action économique : relationnel, culturel, institutionnel (Le Velly, 2002). Sur la base des articulations théoriques déjà proposées par les économistes des conventions (Favereau et al., 1994), le cas viticole semble constituer un bon exemple pour aller en ce sens (Garcia-Parpet, 2001 ; White, 2002b). L’enjeu peut consister alors à confronter le cas de la Bourgogne à celui du Languedoc, associé à une plus forte incertitude sur la qualité, à un faible découplage institutionnel encadrant la diversité de l’offre (Touzard, 2000) et à des encastrements relationnels a priori différents.


ANNEXE Méthode de sélection et principales caractéristiques de l’échantillon

68Les domaines ont été sélectionnés à partir d’une base de données constituée par le recueil des tarifs proposés en décembre 2001 au départ de la cave et aux particuliers par les opérateurs bourguignons. Tous les domaines bourguignons qui vendent en bouteille disposent de ce tarif « particulier » car ils utilisent la vente directe au caveau au moins pour une part de leur production. Cette base contient des données relatives à 20 367 vins provenant de 1 245 domaines de Côte-d’Or, de l’Yonne et de la Saône-et-Loire. Deux vins ont été considérés comme différents dès lors qu’ils étaient distincts dans la liste d’un tarif « particulier ». Les informations disponibles par vin sont les suivantes : prix (TTC), appellation, niveau hiérarchique, couleur, millésime, nom du domaine.

69Tous les domaines de la base ont été caractérisés en fonction du niveau de leur tarif particulier :

  • élevé : au moins 2/3 des vins sont proposés au caveau à un prix supérieur à 110 % de la moyenne du prix de l’ensemble des vins du même millésime et de la même appellation ;
  • bas : au moins 2/3 des vins sont proposés au caveau à un prix inférieur à 90 % de la moyenne du prix de l’ensemble des vins du même millésime et de la même appellation ;
  • intermédiaire : au moins 2/3 des vins sont proposés au caveau à un prix compris entre 90 % et 110 % de la moyenne du prix des vins du même millésime et de la même appellation.

TABLEAU IV.

Caractéristiques structurelles des domaines de l’échantillon

TABLEAU IV.
TABLEAU IV. – Caractéristiques structurelles des domaines de l’échantillon Surface Chiffre Portefeuille Nombre Nombre de Part de la en vigne d’affaires d’appellations d’appellations bouteilles production (hectares) (k€ ) (€ ) vendues vendue en par an vrac (%) Moyenne 10,75 490 970 9,75 57 894 25 Écart-type 10,24 980 447 4,04 65 381 22,28 Valeur 53,24 984 2 034 20 300 000 65 maximale Valeur 0,70 30 400 2 4 750 0 minimale Source : Enquêtes 2002.

Caractéristiques structurelles des domaines de l’échantillon

Enquêtes 2002.

70Les 28 domaines enquêtés ont été choisis sur avis d’experts, de manière à refléter la diversité des structures, portefeuilles d’appellations et systèmes commerciaux.

71Au niveau des systèmes commerciaux, les principaux points communs et les éléments de différenciation au sein de la région se retrouvent dans l’échantillon :

  1. 20 domaines vendent une partie de leur production en vrac au négoce, mais ce dans des proportions très variables, ce qui reflète bien la réalité de la production bourguignonne ;
  2. Les domaines se distinguent par le nombre et la nature des circuits utilisés pour la vente de leurs bouteilles, en moyenne 4, au maximum 7 et jamais moins de 2.

Bibliographie

RÉFÉRENCES

  • Akerlof G., 1970. – « The market for lemons : quality uncertainty and the market mechanism », Quarterly journal of economics, 84, pp. 488-500.
  • Benjamin B., Podolny J., 1999. – « Status, quality and social order in the California wine industry », Administrative science quarterly, 44, pp. 563-589.
  • Bourdieu P., 1979. – La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit.
  • Callon M., Meadel C., Rabeharisoa V., 2000. – « L’économie des qualités », Politix, 13, 52, pp. 211-239.
  • Chamberlin E. H., 1953. – La théorie de la concurrence monopolistique, une nouvelle orientation de la théorie de la valeur, Paris, Presses Universitaires de France.
  • Chantelat P., 2002. – « La Nouvelle Sociologie Économique et le lien marchand : des relations interpersonnelles à l’impersonnalité des relations », Revue française de sociologie, 43, 3, pp. 521-556.
  • Cochoy F., Dubuisson-Quellier S., 2000. – « Introduction : les professionnels du marché. Vers une sociologie du travail marchand », Sociologie du travail, 42, 3, pp. 359-368.
  • Combris P., Lecocq S., Visser M., 1997. – « Estimation of a hedonic price equation for Bordeaux wine : does quality matter ? », Economic journal, 107, pp. 390-402.
  • Degenne A., Forsé M., 1994. – Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin.
  • Dubuisson-Quellier S., Neuville J.-P. (dirs.), 2003. – Juger pour échanger. La construction sociale de l’accord sur la qualité dans une économie des jugements individuels, Paris, Éditions de la MSH/Inra.
  • Dutta S., Zbaracki M. J., Bergen M., 2003. – « Pricing process as a capability : a resource-based perspective », Strategic management journal, 24, pp. 615-630.
  • Eymard-Duvernay F., 1989. – « Convention de qualité et forme de coordination », Revue économique, 40, 2, pp. 329-360.
  • Favereau O., Biencourt O., Eymard-Duvernay F., 1994. « L’économie doit définir le marché à partir de l’entreprise plutôt que l’inverse. Une relecture du modèle de White en termes de conventions », Colloque SASE, juillet 1994.
  • Favereau O., Lazega E. (eds.), 2002. – Conventions and structures in economic organization. Markets, networks and hierarchies, Cheltenham, Edward Elgar.
  • Garcia-Parpet M.-F., 2001. – « Le terroir, le cépage et la marque : stratégie de valorisation des vins dans un contexte de mondialisation », Cahiers d’économie et de sociologie rurales, 60-61, pp. 150-180.
  • Granovetter M., 1985. – « Economic action and social structure : the problem of embeddedness », American journal of sociology, 91, 3, pp. 481-510.
  • Granovetter M., Swedberg R., 1992. – The sociology of economic life, Boulder, Westview Press.
  • Guerrien B., 1992. – La théorie économique néo-classique, Paris, La Découverte.
  • Hart O., Moore J., 1988. – « Incomplete contracts and renegotiation », Econometrica, 56, 4, pp. 755-785.
  • Hatchuel A., 1995. – « Les marchés à prescripteurs » dans A. Jacob, H. Vérin (éds.), L’inscription sociale du marché, Paris, L’Harmattan, pp. 203-224.
  • Jorion P., 1990. – « Les déterminants sociaux de la formation des prix. L’exemple de la pêche artisanale », Revue du Mauss, 9-10, pp. 71-106 et pp. 49-64.
  • Karpik L., 1989. – « L’économie de la qualité », Revue française de sociologie, 30, 2, pp. 187-210.
  • Kirman A., 2001. – « Market organisation and individual behaviour : evidence from fish markets » dans J. Rauch, A. Casella (eds.), Networks and markets, New York, Russell Sage Foundation.
  • Laferté G., 2004. – « Identification et appropriation des territoires : la lutte du Corton », Cahiers d’économie et de sociologie rurales [à paraître].
  • Lancaster K. J., 1966. – « A new approach to consumer theory », Journal of political economy, 74, pp. 132-157.
  • Laporte C., 2000. – Système d’information sur la qualité et profit : le cas des vins d’appellation d’origine contrôlée de Bourgogne, Thèse d’économie, Dijon, Université de Bourgogne.
  • Le Velly R., 2002. – « La notion d’“encastrement” : une sociologie des échanges marchands », Sociologie du travail, 44, 1, pp. 37-53.
  • Ménard C. (ed.), 2000. – Institutions, contracts and organizations : perpectives from new institutional economics, Cheltenham, Edward Elgar.
  • Musselin C., 1996. – « Les marchés du travail universitaires, comme économie de la qualité », Revue française de sociologie, 37, 2, pp. 189-207.
  • Musselin C., Paradeise C., Callon M., Eymard-Duvernay F., Gadrey J., Karpik L., 2002. – « Dossier-débat. La qualité », Sociologie du travail, 44, 2, pp. 255-287.
  • Nelson P., 1970. – « Information and consumer behaviour », Journal of political economy, 78, pp. 311-329.
  • Podolny J., 1993. – « A status-based model of market competition », American journal of sociology, 98, 4, pp. 829-872.
  • Polanyi K., 1944. – The great transformation, Boston, Beacon Press.
  • Rogers E., 1962. – Diffusion of innovations, New York, Free Press.
  • Scott Morton F., Podolny J., 2002. – « Love or money ? The effects of owner motivation in the California wine industry », Journal of industrial economics, 50, 4, pp. 431-456.
  • Shapiro C., 1983. – « Premiums for high quality products as return of reputation », Quarterly journal of economics, 31, pp. 659-680.
  • Smith A., [1776] 2000. – Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Économica.
  • Steiner P., 1999. – La sociologie économique, Paris, La Découverte.
  • Swedberg R., 1994. – Une histoire de la sociologie économique, Paris, Desclée de Brouwer.
  • Touzard J.-M., 2000. « Coordination locale, innovation et régulation, l’exemple de la transition vin de masse – vin de qualité », Revue d’économie régionale et urbaine, 3, pp. 589-605.
  • Uzzi B., Lancaster R., 2001. – Social embeddedness and price formation. The case of large corporate markets, Working paper 01-10, Chicago, Institute for Policy Research, Northwestern University.
  • Vinck D., 1999. – « Les objets intermédiaires des réseaux de coopération scientifique », Revue française de sociologie, 40, 2, pp. 385-414.
  • Walliser B., 2000. – L’économie cognitive, Paris, Odile Jacob.
  • White H. C., 1981. – « Where do markets come from ? », American journal of sociology, 87, 3, pp. 517-547.
  • — 2002a. – Markets from networks, Princeton (NJ), Princeton University Press.
  • — 2002b. – Substituability cross-stream between oriented markets : conventions in the wine sector of France, Working Paper, ISERP, March 2002, Columbia University, New York.

Notes

  • [*]
    Nous remercions vivement, pour leurs suggestions critiques, nos collègues Jean-Marc Touzard et Fabrice Dreyfus, ainsi que Sophie Dubuisson-Quellier et le comité de lecture de la Revue française de sociologie.
  • (1)
    Nous invitons toutefois vivement les lecteurs intéressés par cette question à prendre connaissance de l’ouvrage publié récemment par un groupe de chercheurs en sociologie et en sciences de gestion. Défendant un usage « pragmatique » de l’économie des conventions et de la sociologie des sciences, les auteurs proposent une analyse des dispositifs de cadrage du jugement propices à l’échange économique dans des contextes d’incertitude sur la qualité, à travers des études de cas contrastés (Dubuisson-Quellier et Neuville, 2003).
  • (2)
    Les différents courants de l’économie « hétérodoxe » (économie des conventions, économie néo-institutionnaliste, théorie de la régulation, etc.) sont plus ou moins intégrés à ce champ selon les auteurs (Steiner, 1999 ; Chantelat, 2002).
  • (3)
    Sociétés privées produisant et commercialisant du vin à partir de raisin produit et acheté.
  • (4)
    Ce décret fixe uniquement les cépages et modes de conduite de la vigne autorisés, les rendements maximum et le degré alcoolique minimum.
  • (5)
    Terme réservé aux entreprises produisant et commercialisant du vin et disposant d’un vignoble, ce qui exclut les coopératives. Au nombre de 2 800 environ, les domaines représentent 76 % de la production totale des vins de Bourgogne ; 8 % des surfaces sont la propriété de négociants, soit 25 % des surfaces en grands crus.
  • (6)
    Ce constat rejoint certaines hypothèses développées dans les recherches en marketing qui abordent la fixation des prix en tant que compétence spécifique de l’entreprise (Dutta et al., 2003).
  • (7)
    Ils font l’objet de publications mensuelles par le Bureau Interprofessionnel des Vins et sont définis par appellation.
  • (8)
    Toutes les citations entre guillemets et en italique sont issues de la retranscription d’extraits de discours de producteurs de vins de Bourgogne.
  • (9)
    Seules 3 entreprises fixent d’emblée 2 tarifs différents, ce qui donne 31 tarifs au total proposés par les 28 domaines enquêtés.
  • (10)
    Une pièce équivaut à 228 litres sur le marché vrac, ce qui représente 300 bouteilles.
  • (11)
    D’après nos résultats, le tarif particulier peut plus largement être considéré comme un indicateur du niveau général des prix pratiqués par le producteur, indépendamment de l’année et du circuit. Cette hypothèse nous a été confirmée par plusieurs négociants.
  • (12)
    Un des domaines n’a pas été pris en compte faute d’une information suffisante.
  • (13)
    Celle-ci est calculée à partir de la moyenne annuelle des cours du vrac associés aux appellations composant le parcellaire du domaine, pondérée des surfaces consacrées à chaque appellation.
  • (14)
    D’une manière générale, la vente en vrac est considérée comme moins rémunératrice mais plus sûre que la vente en bouteille, permettant ainsi d’assurer la trésorerie de l’exploitation.
  • (15)
    Selon l’idée de Favereau et al. (1994) que les « marchés » définis par White s’associent à des conventions spécifiques, ces deux cas peuvent aussi amener à identifier un marché particulier, lié à une « grandeur marchande », parmi les entreprises raisonnant leurs prix par rapport au coût. Nous chercherons à approfondir la question de la « marge » dans nos analyses futures de façon à préciser son mode de calcul et la façon dont elle distingue éventuellement des conventions et des marchés.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions