Notes
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[1]
Grâce à une enquête réalisée en France auprès de 2 000 personnes sur les inégalités de revenu.
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[2]
On peut faire ici un parallèle avec les travaux de Simonet sur le « travail bénévole » [Simonet, 2018], notamment certains mécanismes d’exploitation que peuvent dissimuler les discours autour de la passion et de l’engagement politique et associatif.
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[3]
Au sens de « l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme » [Boltanski et Chiapello, 1999, p. 41].
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[4]
À travers son « quadrilatère coopératif », Desroche [1976] montre aussi que l’articulation entre un pôle économique (composé de la direction encadrant les salariés) et un pôle politique (composé de sociétaires élisant des administrateurs) est la question centrale de la gouvernance des coopératives.
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[5]
Il faut mentionner ici un possible biais de sélection, les SCOP qui ne revendiquent aucune différence étant peut-être moins susceptibles d’accepter de participer à une enquête sur les relations sociales dans les SCOP.
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[6]
Ce qui peut sembler paradoxal, étant donné une certaine méfiance envers les syndicats et les instances de représentation du personnel, comme nous le verrons dans la suite de l’article.
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[7]
Selon la Cgscop, la moyenne nationale est de 40 %.
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[8]
À titre de comparaison, la participation dans les entreprises de capitaux n’est obligatoire qu’à partir de 50 salariés et est distribuée en proportion des salaires.
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[9]
Peut-être plus frappant encore, parmi tous les documents type « charte d’entreprise » ou « projet commun » qui nous ont été communiqués dans les entreprises enquêtées, aucune mention n’est faite des salaires. En revanche, on peut lire de longs développements sur la « vie coopérative » et la « participation de tous au processus de décision ».
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[10]
Même en tenant compte de l’effet taille (il y a plus de primes individuelles dans les entreprises de plus de 20 salariés) et de l’effet secteur (il n’y a pas de SCOP dans la finance, secteur où les primes sont les plus présentes), cela est très faible comparé aux chiffres de la DARES pour l’ensemble des entreprises : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2016-074.pdf
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[11]
Ce chiffre, tiré du questionnaire adressé aux salariés, peut paraître relativement élevé, mais c’est le niveau de satisfaction déclarée le plus bas, à l’exception des perspectives de promotion (59 %) : les horaires (93 %), la formation (74 %), l’ambiance au travail (91 %) et les relations avec les responsables (90 %).
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[12]
Il s’agit à chaque fois d’indicateurs de satisfaction déclarée, et donc dépendants des attentes des individus : en raison de ce biais, nous n’interprétons pas le niveau de satisfaction, mais plutôt les écarts entre les différentes dimensions de satisfaction.
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[13]
La satisfaction déclarée concernant la rémunération apparaît aussi peu corrélée avec la rémunération. Le coefficient de corrélation est de 0,21 pour les salariés à plein temps.
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[14]
Cependant, le modèle wébérien du fonctionnaire désintéressé est selon les auteurs à relativiser, car les cadres du public évoquent principalement des motivations extrinsèques comme compensation à la faiblesse ressentie du salaire (stabilité de l’emploi, vacances, horaires).
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[15]
On privilégie ici le point de vue des cadres et dirigeants, car ce sont eux qui renoncent à des salaires plus élevés.
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[16]
Au sens d’une capacité à s’interroger sur les institutions.
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[17]
Taux calculé comme le nombre de salariés sociétaires divisé par le nombre total de salariés.
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[18]
Ce dirigeant a quitté la SCOP pour créer sa propre entreprise environ un an après cet entretien.
-
[19]
Cette personne a également quitté la SCOP un peu plus d’un an après cet entretien.
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[20]
Seule SCOP pour laquelle le salaire du dirigeant ne nous a pas été communiqué.
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[21]
Magne [2016, chapitre 2, p. 106-108] montre que le compromis réalisé entre la cité civique et la cité industrielle est alors fortement asymétrique, puisque l’égalité est mise en avant comme un moyen de parvenir à une plus grande efficacité du travail d’équipe et à un plus grand investissement individuel des salariés dans le travail.
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[22]
Les conflits entre les salariés et les difficultés financières de cette SCOP ont depuis abouti à sa liquidation judiciaire.
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[23]
Il faut mentionner trois exceptions à ce consensus dans notre échantillon : les dirigeantes des deux coopératives d’activité et d’emploi (CAE) qui sont adhérentes à la convention Syntec et la considèrent inadaptée, et le dirigeant de Scopméca qui critique la prise en charge des jours de carence dans la convention de la métallurgie, encourageant selon lui l’absentéisme.
1 – Introduction
1L’ampleur des inégalités salariales au sein des entreprises fait régulièrement l’objet de dénonciations. Pour autant, s’il y a consensus sur la nécessité de lutter contre des inégalités trop extrêmes, une société parfaitement égalitaire n’est pas vue comme un horizon désirable. Rosanvallon [2011] a théorisé cela sous le terme de « paradoxe de Bossuet », mettant en évidence une tension entre la « passion pour l’égalité » [Tocqueville, 1835] et une volonté de différenciation qui pousse les individus à rechercher des privilèges et à valoriser certaines inégalités fondées sur le mérite. Empiriquement, ce paradoxe a été mis en évidence par Piketty [2003] qui montre [1] que les individus souhaitent réduire les écarts de revenus tout en étant très favorables à certaines différences interprétées comme relevant du mérite. Cette conception est remarquablement stable et peu dépendante des convictions politiques, des positions sociales ou des changements conjoncturels.
2C’est ce paradoxe qu’on se propose d’explorer ici, à travers l’exemple des SCOP (Sociétés coopératives et participatives) : quelles sont les inégalités qui sont considérées comme justes et pourquoi ? L’analyse économique des salaires se concentre sur les mécanismes d’incitation à l’œuvre dans la lignée de la théorie de l’agence [Ashenfelter et Card, 2010] ou sur les imperfections du marché du travail qui expliqueraient les écarts de salaires observés par rapport à la productivité marginale, sans renoncer à l’hypothèse de rationalité des agents [Shapiro et Stiglitz, 1984]. Cependant, les décisions prises dans une entreprise ne sont pas seulement soumises à une rationalité instrumentale, mais également à une rationalité en valeur. Afin d’obtenir l’engagement des salariés dans leur travail, les incitations fondées sur les seuls intérêts égoïstes ne suffisent pas, il faut aussi que les règles soient considérées comme justes [Boltanski et Chiapello, 1999]. À ce titre, les politiques salariales dans les entreprises sont soumises à des contraintes de justice et sont sujettes à la critique des parties prenantes au nom de critères spécifiques de justice [Boltanski et Thévenot, 1991].
3De par leurs caractéristiques et du fait de l’alternative aux excès de l’entreprise de capitaux qu’elles représentent, les SCOP sont un terrain d’étude particulièrement pertinent pour approfondir la question des inégalités justes et injustes et étudier les justifications mobilisées par les individus. Tout d’abord, le statut de salarié est redéfini dans les SCOP, en réaction à la conception du travail comme simple facteur de production : la compétence politique des salariés est reconnue – au moins dans les statuts, puisque les salariés constituent la majorité des sociétaires décisionnaires dans l’entreprise – et si la continuité du lien d’emploi n’est pas garantie, on observe pourtant une certaine résistance à l’impératif de flexibilité quantitative externe [Charmettant et al., 2016]. D’autre part, le fonctionnement démocratique de l’assemblée générale incite à plus d’explicitation et de justifications des décisions, et donc, on peut en faire l’hypothèse, à un recours aux relations de justice plus qu’aux relations de pouvoir. Pour autant, le lien de subordination qui définit le salariat n’est pas aboli et les statuts qui imposent l’égalité des salariés-sociétaires à l’assemblée générale ne donnent aucune indication sur l’égalité dans les relations de travail quotidiennes.
4On peut donc se demander si les conventions en place ou les critères de justice mobilisés par les individus divergent de ceux des autres entreprises. Les SCOP étant placées sur des marchés concurrentiels et en interaction constante avec eux, les différents systèmes de valeurs se côtoieraient alors et entreraient parfois en conflit. On s’attend également à ce que la tension entre égalité et volonté de différenciation mise en évidence par Rosanvallon soit explicitée dans les SCOP. En effet, le principe de coopération inscrit dans leur statut (et dans leur nom) va dans le sens d’une mise en commun des finalités et d’une forte cohésion du collectif. Pour autant, les rémunérations sont individuelles et constituent un enjeu de taille pour les salariés, car elles déterminent non seulement un budget disponible pour la consommation, mais également la reconnaissance de la valeur du travail fourni et d’une certaine place dans la hiérarchie. Par ailleurs, aucune spécificité salariale n’est inscrite dans les statuts coopératifs (à l’exception du vote de la rémunération du dirigeant par le conseil d’administration), ce qui laisse présager une forte hétérogénéité au sein des SCOP concernant les politiques salariales. Comment est discutée la résolution de cette tension ? Observe-t-on une distribution plus égalitaire des pouvoirs de valorisation [Eymard-Duvernay, 2012] ou au contraire une démocratisation superficielle, voire instrumentalisée pour obtenir un engagement plus fort des salariés dans leur travail et éviter l’existence de contre-pouvoirs dans l’entreprise en concédant quelques points mineurs et symboliques [2] ?
5Pour tenter de répondre à cette question et afin de mieux comprendre les débats sur l’égalité au travail, nous proposons d’utiliser les résultats de notre enquête auprès de 39 SCOP de la région Rhône-Alpes (cf. encadré 1 et tableau 1 pour les caractéristiques des SCOP enquêtées). Dans une première partie, nous montrerons comment la critique du modèle dominant et l’objectif d’égalité s’articulent. Nous montrerons ensuite qu’il faut prendre en compte d’autres principes de justification que la seule préoccupation d’égalité, avec lesquels les compromis sont plus ou moins difficiles selon les cas.
Encadré 1. Méthodologie
À des fins de triangulation des données, un questionnaire a également été réalisé auprès des salariés. Sur les 700 salariés concernés, 117 ont répondu, soit un taux de réponse de 17 % qui respecte également le principe de diversification en termes de qualification des répondants, sexe, ancienneté et sociétaire ou non. Le questionnaire était inspiré de l’enquête RÉPONSE et comprenait 78 questions en 4 volets : caractéristiques personnelles, sentiment sur le travail, climat social et relations professionnelles et statut coopératif. Enfin, notre dispositif d’enquête a été complété par la lecture des statuts et des informations comptables des entreprises.
Une deuxième phase d’enquête nous a amenés à nous concentrer sur quatre SCOP passées du statut d’entreprise de capitaux à celui de SCOP dans les dix dernières années : nous avons interrogé le dirigeant ainsi que cinq à sept travailleurs dans chacune de ces SCOP, choisis en fonction des postes occupés et de l’ancienneté pour obtenir un échantillon représentatif sur ces deux critères.
Caractéristiques des SCOP de notre échantillon1
Caractéristiques des SCOP de notre échantillon1
1. Dans les entreprises de plus de 10 salariés, l’absence d’IRP s’explique par des contrats de carence.2 – Égalité et critique des inégalités
6Nous nous intéresserons d’abord à l’ambivalence de la critique de l’entreprise de capitaux au sein des SCOP, avant de montrer que la question de l’égalité est au cœur de cette critique.
2.1 – Une critique de l’entreprise de capitaux ?
7Selon Boltanski et Thévenot [1991], les situations de « disputes » ou de désaccord sont propices à l’identification des principes généraux de justice qui servent de référence aux agents, car pour parvenir à un accord, ceux-ci sont contraints de faire référence à des principes supérieurs communs. À travers le modèle des cités, les auteurs proposent une pluralité de principes qui peuvent être plus ou moins prégnants dans différentes organisations (cf. tableau 2).
Les Cités
Les Cités
8Le cadre de l’économie des grandeurs apparaît très adapté pour comprendre les politiques salariales des SCOP. On peut en effet faire l’hypothèse d’une présence renforcée de la critique ou du moins de la justification au sein des SCOP, en raison de l’exigence de transparence et d’explicitation des règles de la part des dirigeants. Se pose alors la question du statut de ces discours de justification. Doivent-ils être considérés comme de simples stratégies de légitimation utilisées par les dirigeants pour emporter l’adhésion des salariés à des fins d’efficience productive, ou utilisés par les salariés pour la défense de leurs intérêts matériels et symboliques ? Ou sont-ils à prendre au sérieux comme révélateurs des critères de justice qui orientent les actions des individus ? Suivant Boltanski et Thévenot [1991] et Boltanski et Chiapello [1999], nous proposons d’interroger leurs effets sur les pratiques, notamment lorsque les critères de justice considérés comme légitimes servent de base à la mise en place d’épreuves et sont utilisés par les acteurs comme référence pour des rappels à l’ordre.
9Le positionnement des SCOP est ambivalent par rapport aux autres entreprises, et de manière plus générale par rapport à l’« esprit du capitalisme » [Boltanski et Chiapello, 1999] [3]. Cette ambivalence a été théorisée par Scott et Meyer [1991] sous le terme d’« organisation hybride », qui s’applique bien au double projet des SCOP [Charmettant et al., 2015] à la fois économique (la viabilité de l’activité) et sociopolitique (l’animation d’une vie coopérative) [4]. Or on observe des tensions entre ces deux pôles.
10Notre hypothèse est que le pôle sociopolitique tire sa légitimité d’une critique du modèle dominant de l’entreprise de capitaux et d’une stratégie de différenciation par rapport à celui-ci. Il peut s’agir d’un argument commercial (mise en avant du statut SCOP comme argument de vente) et politique (les SCOP doivent prouver qu’elles respectent les statuts coopératifs lors de « révisions coopératives » annuelles), mais aussi plus largement d’une logique de distinction, de la volonté d’incarner une alternative. On a effectivement constaté dans les SCOP de notre échantillon la revendication d’une différence qui est souvent résumée par la formule « travailler autrement ». Étant donné sa position très minoritaire dans le champ des entreprises privées (moins de deux entreprises sur mille), la justification du modèle coopératif passe forcément par une critique du modèle dominant. La seule domination de la dimension d’efficacité économique est alors considérée comme la « domination des intérêts égoïstes individuels » [Boltanski et Thévenot, 1991], du seul règne du profit qui ignore « l’humain ». Les principes de grandeur de la cité industrielle sont réduits à des intérêts particuliers et un autre système de valeur est mis en avant : la cité civique, où les valeurs de référence sont la collectivité et la démocratie, et les « grands » ceux qui acceptent de renoncer à leur statut d’« experts » pour se soumettre à la volonté de la majorité à travers des élections.
11Cette critique est présentée comme une évidence dans les 18 SCOP où l’écart entre le salaire le plus haut et le salaire le plus bas est inférieur à 1,5 (cf. tableau 2) : il s’agit clairement de faire fonctionner une entreprise qui ne reproduise pas les inégalités salariales des entreprises de capitaux. Mais, de manière peut-être plus remarquable, cette critique s’exprime également dans les entreprises où d’autres aspects du travail sont peu remis en question. Chez Scoptech, par exemple, le respect du fonctionnement hiérarchique est présenté par les salariés interrogés comme nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise, mais la politique salariale des entreprises de capitaux est fortement critiquée comme « injuste » et « indécente » :
P., dirigeant de Scoptech, h, 50 ans (10 ans d’ancienneté dans l’entreprise) : « Avec les anciens dirigeants, il y avait une différence énorme, c’était un facteur 10 dans les rémunérations. […] Il y a des responsabilités, des compétences, des gens qui vont prendre des décisions plus graves. C’est normal qu’il y ait une différence. Après, c’est où on met le curseur quoi. Et on considère qu’un facteur 10 pour une entreprise comme la nôtre, c’est indécent. »
F., ingénieur, h, 31 ans (2 ans d’ancienneté) : « Dans la SCOP, un travail est fait sur la réduction des écarts. […] Cette année, il y a eu une augmentation forfaitaire, identique pour tous. Pas en pourcentage du salaire, donc ça fait baisser l’écart. […] L’écart entre le plus petit et le plus gros salaire est de 3. Je trouve ça bien, ce n’est pas comme chez [son employeur précédent], où le patron s’est augmenté d’un million l’année où j’y étais, alors que les salariés avaient 0 % d’augmentation. »
14Mais cette critique sociopolitique du modèle dominant cohabite avec un enjeu de crédibilité économique, notamment dans les interactions avec des clients, fournisseurs ou financeurs, mais aussi de manière plus intériorisée. La trop grande place du projet politique peut alors être interprétée comme un manque de sérieux économique, ou comme un détournement trop coûteux des énergies qui devraient être consacrées à la viabilité économique de l’entreprise. Les acteurs sont donc amenés à nuancer le discours de différenciation, voire à minimiser la dimension alternative. Par exemple, plusieurs dirigeants mettent à distance une certaine vision politique des SCOP en utilisant des expressions telles que : « Ce n’est pas le monde des bisounours », « Certains pensent que les SCOP sont des repaires de gauchistes », « Les débats sans fin sur les salaires égalitaires », etc. Cette dialectique entre différenciation et conformité ou intégration au modèle dominant est mise en évidence par Hély et Moulévrier [2013] pour de nombreuses organisations de l’économie sociale et solidaire, notamment dans ses effets sur le travail. L’équilibre adopté entre les deux pôles de cette dialectique est très divers selon les SCOP, et peut être instable et amené à évoluer au sein d’une même SCOP. DiMaggio et Powell [1991] montrent en particulier que des organisations alternatives minoritaires en quête de légitimité peuvent avoir tendance à adopter progressivement les pratiques du modèle d’organisation dominant.
15Dans ce contexte, l’analyse en termes de concurrence des pouvoirs de valorisation et de confrontation des cités nous semble heuristique pour deux raisons. D’abord, elle nous permet d’interroger les frontières mouvantes entre les deux pôles économique et politique, mais aussi de montrer que les arguments utilisés par les acteurs pour parler de leurs salaires sont multiples et font appel à des principes de justice non réductibles à une opposition binaire entre sphères économique et politique. Ensuite, ce cadre théorique présente l’avantage d’éclairer les débats en termes de légitimité : ils incluent une lutte de pouvoirs entre intérêts personnels, mais ne s’y réduisent pas.
2.2 – Revendication d’égalité : quelles justifications ?
16Les arrangements entre différenciation et conformité prennent des formes très variées selon les SCOP, comme nous le montrerons plus en détail dans la deuxième partie de cet article. Mais la revendication d’une certaine égalité, qui peut être interprétée au prisme de la cité civique n’est absente d’aucune des 39 SCOP enquêtées [5]. Comment est-elle justifiée par les acteurs, en particulier ceux qui se voient désavantagés financièrement par cette égalité (c’est-à-dire ceux qui ont des raisons de penser qu’ils obtiendraient un salaire supérieur dans une entreprise de capitaux : principalement les cadres et les dirigeants) ?
17La politique salariale des SCOP est soumise, comme dans toutes les entreprises, au droit du travail (qui définit le SMIC et l’absence de discrimination) et aux conventions collectives obligatoires (qui détermine des salaires minima par poste, niveau de qualification et ancienneté). Les SCOP où le SMIC et les minima conventionnels semblent jouer un rôle prépondérant sont des SCOP où les salaires sont relativement bas dans l’industrie (Scoptextile, Scopcouture, Scoptôlerie, Scopméca), la restauration (Scopbar, Scopbio) ou le spectacle (Scopart). Pour les autres, les conventions collectives servent souvent de base à la réflexion [6] tout en laissant une large marge de manœuvre, en particulier pour les hauts salaires, puisque les conventions collectives ne fixent que des minima salariaux. C’est cette marge de manœuvre qui va nous intéresser ici : au-delà des minima légaux, quels sont les écarts qui sont considérés comme justes et quels sont les critères invoqués pour les justifier ?
18Les études sur données quantitatives montrent que les écarts de salaires sont plus faibles dans les SCOP et principalement réduits par le haut [Magne, 2017]. Les résultats de notre enquête qualitative témoignent effectivement d’écarts de salaires réduits et nous allons montrer qu’ils sont le fruit de décisions concertées et fondées sur une réflexion sur les principes de justice. Sur les 39 dirigeants interrogés, 37 nous ont communiqué les salaires exacts sans hésitation et font état d’écarts de salaires réduits en comparaison des entreprises de taille et de secteur équivalents. Les écarts déclarés entre le salaire le plus bas et le plus haut vont de 1 à 8 pour les salaires horaires fixes, avec une moyenne de 2,5. L’écart est supérieur à 2 pour 12 SCOP sur 39 (les plus grandes) et supérieur à 5 pour 2 SCOP seulement. Les modalités de rémunération variable renforcent encore ce schéma, puisque la participation, obligatoire à hauteur de 25 % du bénéfice et égale à 37 % en moyenne dans les SCOP étudiées [7], est souvent distribuée, au moins partiellement, au prorata du temps de travail plutôt qu’en proportion des rémunérations, c’est-à-dire qu’elle réduit encore les inégalités de salaire [8]. Ces chiffres sont déclaratifs et présentent donc un biais possible, mais ils montrent sans ambiguïté l’importance de l’égalité comme critère de justice dans la politique salariale. Notons au passage qu’il n’y a aucune obligation légale à minimiser les écarts de salaire. Depuis la loi Hamon de 2014, on peut obtenir un agrément d’« entreprise solidaire d’utilité sociale », qui impose que le plus haut salaire ne dépasse pas 10 fois le SMIC, mais cet agrément est totalement indépendant du statut SCOP. Bien que cela ne soit écrit ni dans les règles de fonctionnement des coopératives ni dans aucun des statuts des entreprises enquêtées [9], les chiffres montrent que le contrôle des écarts de salaire est l’objet d’un consensus général dans la plupart des SCOP.
19La recherche des raisons derrière cette diminution des inégalités fait apparaître une imbrication entre enjeux de justice (distributive et procédurale) et enjeux de gratification symbolique pour les salariés qui opèrent un « don de travail » [Preston, 1989]. En termes de justice distributive d’abord, la réduction des salaires qui passe par des bas salaires souvent supérieurs au SMIC. C’est en partie un effet de structure, puisque les salariés de SCOP sont en moyenne plus âgés et plus qualifiés que les salariés d’entreprises classiques. Mais c’est également dû à une politique salariale spécifique : « Les jeunes démarrent au SMIC et sont augmentés de 10 % par an, ce qui est fulgurant » (Scopterritoire, dirigeant, h, 37 ans (8 ans d’ancienneté)). Cette politique est présentée par les dirigeants comme un engagement réfléchi y compris lorsque cela a pour conséquence des salaires plus bas pour les cadres. Scopmétal, dirigeant, h, 58 ans (7 ans d’ancienneté) : « Nos cadres sont un peu moins payés que chez [le concurrent] à côté. Mais eux ils sous-traitent tout. Les sous-traitants c’est des boîtes, ils sont tous au SMIC, alors évidemment ils se font des couilles en or les mecs. » Ces propos et l’irritation perceptible dans le choix des mots illustrent bien la critique virulente de la cité marchande du point de vue de la cité civique, opposant aux intérêts privés l’intérêt collectif qui passe par une diminution des inégalités de salaire. La justice procédurale apparaît quant à elle à travers la forte méfiance envers les primes individuelles : seules 2 SCOP sur 39 ont un système de primes individuelles [10]. C’est bien là une critique depuis la cité civique à l’encontre de la cité industrielle : les principes de grandeurs de la cité industrielles (l’efficacité et la performance) sont dénoncés comme des intérêts particuliers égoïstes (par opposition à des principes de grandeurs généraux) au nom du bien commun incarné par la démocratie et le travail d’équipe.
20L’égalité est favorisée par un certain détachement des salariés par rapport à la perspective d’un salaire élevé. Le salaire n’est pas jugé sans importance, loin de là, mais, notamment pour les salariés qui disposent d’un salaire significativement supérieur au SMIC, le critère d’égalité des rémunérations semble d’autant plus juste qu’il n’exige pas un sacrifice déraisonnable, puisque d’autres dimensions du travail viennent compenser les concessions salariales.
21Une première information nous vient du questionnaire salarié. Certes, on a constaté que « seulement » 62 % des salariés interrogés se disent satisfaits ou très satisfaits de leur rémunération, dont 4 % « très satisfaits » [11]. Cependant, cette satisfaction apparaît très peu corrélée avec la satisfaction générale [12] : le coefficient de corrélation est de 0,4 contre 0,7 par exemple pour la corrélation entre la satisfaction concernant les relations avec les responsables et la satisfaction générale [13]. Baudelot et al. [2014] font le même constat pour les cadres de la fonction publique : analysant les résultats de l’enquête SalSa réalisée auprès de 6 000 salariés du privé et du public sur la perception de leur salaire, les auteurs montrent qu’à la différence des cadres du privé, ceux du public relativisent parfois l’importance du salaire au nom de l’intérêt du travail [14].
22L’importance d’un salaire élevé est également relativisée dans les propos des dirigeants qui font passer d’autres préoccupations au premier plan. Nous choisissons deux citations parmi les propos très nombreux des dirigeants interrogés sur le sujet :
Scopénergie, C., cogérant, h, 51 ans (5 ans d’ancienneté) : « On a beaucoup perdu par rapport à nos rémunérations d’avant, mais on gagne en autonomie et en qualité de vie. »
Scopélec, B., dirigeant, h, 51 ans (15 ans d’ancienneté) : « Le point fort c’est pas forcément le salaire, c’est plutôt l’ambiance, le confort de vie et puis l’idée de vouloir vivre euh… un peu l’entreprise autrement quoi. […] Je serais PDG et ça m’appartiendrait, je serais sûrement mieux payé, mais je serais un peu seul ! »
25Les caractéristiques positives mises en avant concernent les conditions de travail (« l’autonomie », « l’ambiance », « le confort de vie ») et une forme d’identification à la mission de l’organisation (« croire au projet », « l’entreprise autrement », « je serais un peu seul ») qui se rapproche de la « motivation intrinsèque » [Deci, 1971] [15]. Mais l’approche conventionnaliste permet d’aller un peu plus loin en prenant en compte la réflexivité et la compétence politique des individus [16] : ceux-ci peuvent en particulier critiquer les principes de grandeurs considérés comme universels dans la théorie économique standard, en faisant appel à des principes généraux communs et non seulement en invoquant leurs préférences personnelles. Il y a bien des enjeux de grandeur dans le détachement des salariés par rapport à un salaire élevé, puisqu’il s’agit pour eux de prouver qu’ils agissent pour le bien commun : réduire les écarts de salaire et la trop grande individualisation des rémunérations, qui conduirait à une désolidarisation du collectif. Et, dans cet objectif, les dirigeants ou les cadres qui nous ont reçus mettent en avant une possible renonciation à des privilèges individuels. Deux exemples emblématiques nous ont été rapportés dans deux entreprises récemment transformées en SCOP :
Scoptech, dirigeant, h, 50 ans (10 ans d’ancienneté) : « Avant il y avait une mutuelle pour les cadres et un truc pour les non-cadres. Moi, ça me dérange. Qu’on soit cadre ou pas cadre, si on a mal aux dents, j’ai envie que les gens soient remboursés pareil. »
Scopvoirie, dirigeant, h, 42 ans (6 ans d’ancienneté) : « Un truc emblématique, c’était les voitures de fonction. Le patron il avait sa belle voiture, les techniciens des petites voitures à deux places. C’était un patron à l’ancienne quoi. Maintenant, la voiture, tout le monde a la même, patron ou pas patron. »
28Ces exemples servent aux dirigeants pour démontrer qu’ils peuvent renoncer à certains privilèges afin de favoriser le collectif. Les « grands » des SCOP sont ceux qui acceptent le sacrifice des avantages plus particuliers et donc plus « petits », ici un haut salaire, au nom d’un principe supérieur commun, ici l’égalité. À ce titre, nos deux dirigeants ressemblent beaucoup aux cadres des banques coopératives étudiés par Hély et Moulévrier [2013] pour qui la revendication d’un salaire faible affirme leur désintéressement, et « leur permet de confirmer la primauté du sens du travail, à défaut de toute autre compensation ».
3 – Principes de différenciation et de hiérarchisation
29La diminution des inégalités est donc revendiquée dans toutes les SCOP de notre échantillon. Cependant, le niveau d’égalité qu’il s’agit d’atteindre est sujet à débat. Nous avons pour l’instant insisté sur l’étendue du consensus, il faut à présent explorer la diversité. La question des salaires parfaitement égalitaires suscite des réactions très diverses. Elle est vécue comme une évidence lorsque les profils sont très similaires notamment en termes de qualification et de nature des tâches accomplies. Mais elle peut aussi donner lieu à de longs débats. Elle est parfois revendiquée de manière très militante, comme à Scopédition où le cogérant estime qu’aucune différence n’est justifiée : les plus anciens ont déjà l’avantage de pouvoir accomplir leurs tâches plus rapidement, les responsables ont déjà l’avantage de l’intérêt supérieur de leur travail, etc. La plupart des dirigeants et des salariés considèrent toutefois que les écarts fondés sur le temps de travail (Scopaccueil, Scopjeux), l’ancienneté (Scopaccueil, Scopmétal, Scopétudes) ou encore les responsabilités (Scopépicerie, Scoppeinture) sont justifiés et qu’il serait injuste de les supprimer.
30Un argument clé de la nécessaire diminution des inégalités dans les SCOP est celui de la cohérence : selon de nombreux interviewés, l’égalité qui prévaut à l’assemblée générale (une personne = une voix) ne serait pas compatible avec des écarts salariaux trop élevés. Or la participation démocratique est très diversifiée selon les SCOP. On peut donc se demander si les SCOP à plus faible taux de sociétariat [17] ont également des écarts de salaires plus élevés. On peut aussi faire l’hypothèse d’un effet important de la taille et de la présence d’instances représentatives du personnel (IRP). Ces caractéristiques sont détaillées dans le tableau 3 pour l’ensemble de nos SCOP. Nous avons calculé quelques coefficients de corrélation (cf. tableau 3) qui montrent que les plus grandes SCOP présentent des écarts plus conséquents, mais que la présence d’IRP et le taux de sociétariat sont peu corrélés avec ces écarts. Si on regarde plus en détail les petites et les grandes SCOP de notre échantillon, l’hétérogénéité reste importante. Ces variables ne sont donc pas suffisantes pour expliquer les différences observées entre les SCOP. Pour mieux comprendre cette diversité, il nous faut analyser le discours des dirigeants et salariés.
Corrélation entre écart de salaire, taille de l’entreprise et taux de sociétariat
Corrélation entre écart de salaire, taille de l’entreprise et taux de sociétariat
3.1 – La réhabilitation des cités industrielles et marchandes
31Il faut faire le lien entre les critères de justice mis en avant et la conception du travail qui leur est associée. Si l’on considère le travail comme un effort de production qu’on échange contre un salaire, alors il est juste que les individus soient rémunérés en fonction de leur mérite, mesuré par leur performance et leur efficacité. De ce point de vue, l’égalité représente des privilèges injustes (les moins méritants sont logés à la même enseigne) et un manque d’efficacité, comme l’écrit Dubet [2005, p. 522] : « L’obsession égalitaire paralyserait l’efficience générale du système, disent les dirigeants, et l’efficacité du travail collectif, disent les travailleurs. » À travers la mise en avant du mérite comme critère de justice à prendre en compte dans les rémunérations, on a bien une réhabilitation de la cité industrielle. On a effectivement entendu cette préoccupation dans les SCOP, notamment en ce qui concerne la motivation des cadres.
32Ainsi, le dirigeant de Scopélec (h, 51 ans (15 ans d’ancienneté)) déclare : « Mon commercial, j’ai besoin quand même qu’il soit motivé. Et on a beau être dans une coopérative, à un moment son salaire… il fait quand même partie de sa motivation. […] Il faut le payer à sa juste valeur. Même si ça doit pas être sa motivation principale. » À rémunérer les cadres comme les non-cadres, on ne prend pas en compte leurs efforts supplémentaires, soit que le travail de cadre soit considéré comme plus exigeant, soit qu’on considère les efforts supérieurs qu’il a fallu fournir pour obtenir le diplôme ou la promotion donnant accès au statut de cadre. En d’autres termes, les épreuves qui fixent le mérite peuvent être celles du monde du travail ou celles du monde de l’école. Or, si on ne prend pas suffisamment en compte le mérite des cadres, on risque de diminuer leur motivation (extrinsèque et non plus seulement intrinsèque), et donc l’efficacité globale du collectif.
33Du côté des salariés, certaines situations d’égalité des rémunérations nous ont été présentées comme injustes. Ainsi chez Scopcharpente : D. DRH, f, 45 ans (20 ans d’ancienneté) : « À l’annonce des participations, quand des apprentis ont touché la même chose que les ouvriers, alors qu’ils n’étaient pas forcément performants… Les ouvriers étaient furieux » ou chez Scopinsertion : M. commercial, h, 38 ans (4 ans d’ancienneté) : « Certains disent “j’aimerais qu’il y ait une analyse sur la rentabilité de mes chantiers pour montrer que je travaille bien et que les autres travaillent moins bien”. Ce n’est pas dans la culture de l’entreprise de tellement faire au mérite. Moi, j’ai une problématique de salaire, j’ai dit “si vous ne voulez pas m’augmenter, mettez-moi des primes sur résultat”, “non, ça fait pas partie de la culture de l’entreprise”… pour un commercial, c’est une pratique qui se fait quand même plus que couramment. » C’est la cité industrielle qui reprend ici le dessus car, selon ces salariés, l’égalité n’est pas suffisamment incitative. En d’autres termes, elle entraîne une crainte du « passager clandestin ». Chez Scopinsertion, les discussions autour de la politique salariale rejoignent d’ailleurs les discussions sur l’acceptation de nouveaux sociétaires et l’inquiétude que la somme à investir (200 euros) ne soit pas suffisamment « responsabilisante ». On aurait pu s’attendre à ce que ce discours vienne d’abord des dirigeants, puisque ce sont souvent eux qui font proportionnellement le sacrifice salarial le plus important [Magne, 2017], mais nos entretiens montrent qu’il est bien plus marqué chez les salariés, et plus encore chez les non-cadres. Une interprétation possible est l’écart en termes de bénéfice symbolique du travail dans une coopérative : on peut penser qu’il est plus important pour les cadres dirigeants qui sont alors plus enclins à accepter un salaire plus faible.
34Un autre argument utilisé pour justifier une certaine rémunération au mérite est emprunté plutôt à la cité marchande : si les plus méritants ont de meilleures opportunités ailleurs, ils risquent de quitter l’entreprise. Le dirigeant de Scopmétal explique par exemple leurs grosses difficultés de recrutement pour les postes qualifiés par les hauts salaires des entreprises voisines : G., dirigeant, h, 58 ans (7 ans d’ancienneté) : « Sauf que pour payer leurs cadres très cher, ils sous-traitent tout, et les sous-traitants ils sont payés trois fois rien. C’est très mauvais pour un bassin d’emploi des entreprises comme ça. » Toutefois, ce dernier argument est ambigu, car s’il questionne la possibilité de mettre en pratique les principes d’égalité de la cité civique, il n’en conteste pas la justice. Ce sont au contraire les épreuves du marché qui sont considérées comme injustes car biaisées. D’une certaine manière, lorsque les dirigeants doivent invoquer les contraintes externes du marché pour justifier la remise en cause de l’égalité, cela renforce le poids de l’égalité comme critère de justice. Mais ce n’est pas la seule manière dont les interviewés font référence au marché dans leurs argumentaires.
35C. Cogérant, Scopweb, h, 42 ans (10 ans d’ancienneté) :
« Et il faut aussi tenir compte de comment ça se passe dans le reste de la société. On peut pas payer quelqu’un deux fois moins que ce qu’il est payé ailleurs parce qu’après on a des problèmes pour embaucher les gens. […] Et puis on va pas réinventer la poudre, il y a des choses qui existent… On n’est pas tous d’accord, il y a des discussions par rapport au diplôme : est-ce qu’il faut tenir compte du diplôme ou de la compétence qu’on applique en interne. Par exemple par rapport à l’extérieur, quelqu’un qui fait du développement pur, s’il est payé 1 800 euros, c’est bien payé. Par contre, pour quelqu’un qui fait du système et du réseau c’est pas beaucoup. »
37La première partie de cette citation évoque une contrainte externe subie, mais la deuxième partie change de registre pour mentionner une certaine sagesse supposée du marché (« on va pas réinventer la poudre »). On peut lire dans ces deux modes de références au marché, deux formes d’« isomorphisme institutionnel » [DiMaggio et Powell, 1991] distinctes : le regret de devoir s’adapter à des mécanismes de marché qui s’impose à toutes les entreprises est un isomorphisme normatif, voire coercitif (standardisation subie, contraire au principe d’égalité considéré comme plus juste), tandis que la reconnaissance implicite d’une certaine sagesse du marché se rapproche d’un isomorphisme mimétique (imitation des comportements qui apparaissent légitimes au sein d’un champ, ici le marché du travail des informaticiens). Les deux peuvent d’ailleurs être entremêlés dans un même argumentaire, ce qui illustre bien l’ambivalence de la critique du modèle dominant détaillée plus haut.
38Pour illustrer ces deux critiques de l’égalité – depuis la cité industrielle et depuis la cité marchande – il est instructif de se pencher sur les salariés qui se déclarent insatisfaits de leur salaire. Selon Boltanski et Thévenot [1991], c’est en effet pour dénoncer les injustices que les acteurs sont amenés à monter en généralité et à mobiliser des principes de justice. Les deux arguments les plus courants sont ceux-ci : l’écart entre l’effort consenti et le salaire et la comparaison avec ce qu’ils pourraient gagner ailleurs. Ainsi, le dirigeant de Scopvoirie (h, 42 ans (6 ans d’ancienneté)) exprimant une insatisfaction par rapport à sa rémunération, tient les propos suivants : « Moi, aujourd’hui, je suis le seul qui ne dort pas la nuit dans l’équipe. […] Je me dis : mais si je le faisais pour moi plutôt que de le faire pour tout le monde, ça serait plus rémunérateur [18]. » La comptable de Scopalim (f, 30 ans (2 ans d’ancienneté)) mentionne les salaires beaucoup plus élevés des comptables des entreprises et même des associations qu’elle connaît [19]. Enfin, le niveau d’études est parfois mobilisé (c’est-à-dire l’effort consenti dans le passé), par exemple pour ce salarié de Scopconseil (h, 25 ans (3 ans d’ancienneté)) : « Avoir bac +5, un double diplôme science po et être payé 1 100 euros par mois pour un temps partiel à 80 % sans aucun avantage, ça me semble une manière de ne pas reconnaître mon travail. »
39Mais si la cité industrielle peut être mobilisée pour critiquer l’égalité, une certaine méfiance existe quant à la justice des épreuves de cette cité. On a vu dans la partie précédente que l’accent était mis sur l’égalité au niveau distributif (les écarts sont minimisés) et procédural (les rémunérations sont peu individualisées). Au niveau procédural, la réticence à individualiser les rémunérations, et notamment à mettre en place des systèmes de primes individuelles peut se comprendre comme une difficulté à mesurer le mérite, en raison de l’absence d’épreuves justes et équitables. Ainsi, pour le dirigeant de Scopmétal, G. dirigeant, h, 58 ans (7 ans d’ancienneté) : « Quand vous rentrez dans le système de la prime, ça devient compliqué parce que c’est vraiment la gueule du client… et puis tout le monde vient demander des primes, parce que “l’autre l’a eue, donc pourquoi pas moi ?” Enfin c’est un bordel. »
40Il existe une justification de la rémunération au mérite du point de vue de la justice – en tant que le travail est une valeur d’échange – et par référence à un bien commun : l’efficacité. Mais ce principe se heurte à la difficulté d’établir des épreuves juste pour mesurer ce mérite individuellement. Il faut toutefois souligner l’existence d’enjeux de pouvoir indépendants des préoccupations de justice. En effet, on observe une corrélation entre la rémunération des cadres et leur pouvoir sur la détermination de ces rémunérations, à secteur et taille d’entreprise équivalents. Plus précisément, l’écart de rémunération entre les cadres et les non-cadres tend à être plus élevé lorsque le périmètre décisionnel est plus restreint et les responsabilités hiérarchiques plus valorisées. Par exemple, chez Scopméca ou Scopspectacle [20], les salaires et les augmentations salariales sont fixés par les dirigeants, ce qui coïncide avec des écarts relativement élevés, surtout fondés sur le niveau de responsabilité. Les propos du dirigeant de Scopméca (h, 57 ans (20 ans d’ancienneté)) sont sans ambiguïté : « Les salaires c’est mon domaine réservé […], je pense que c’est une des attributions du chef d’entreprise d’une PME, d’être le premier responsable du salaire de chacun. » L’écart dans cette Scop est de 1 à 5.
41On constate donc une diversité parmi les SCOP et des enjeux de pouvoir qu’on ne peut pas ignorer. Au nom du mérite, l’égalité peut être partiellement remise en cause, même si les épreuves de justice pour mesurer le mérite individuel posent parfois problème. On pourrait également insister davantage sur le compromis possible entre ces deux cités, qui s’expriment par exemple à travers les conventions collectives négociées par branche, ou encore à travers l’efficacité revendiquée du fonctionnement coopératif (passant notamment par les bénéfices du travail en groupe et de la motivation intrinsèque) [21]. Cependant, ce n’est pas la seule critique exercée à l’encontre de l’égalité : il faut maintenant s’intéresser à ce qu’on appellera la critique de la cité domestique.
3.2 – Les tensions entre cité domestique et cité civique
42Favereau [2006] définit quatre modèles salariaux en fonction de deux axes différenciant la nature des règles à l’œuvre dans les entreprises : le premier axe prend en compte la différence entre règles à faible marge d’interprétation et celles à forte marge d’interprétation et le deuxième la différence entre les règles de contrôle qui viennent d’en haut et les règles autonomes qui se forment à la base. Selon notre hypothèse, les règles se forment plutôt à la base dans les SCOP, avec deux modèles : celles avec des règles à faible marge d’interprétation (que Favereau [2006] identifie à la cité civique) et celles avec des règles à forte marge d’interprétation (qu’il identifie à la cité domestique). Cet angle nous semble très pertinent pour comprendre une tension importante dans certaines SCOP de notre échantillon, parfaitement illustrée par cette critique d’un salarié de Scopvoirie (maître d’œuvre, h, 29 ans (5 ans d’ancienneté)) : « Pour les augmentations, c’est Monsieur C. [le dirigeant] qui décide, mais voilà il faut aller quémander et après il te la donne ou il te la donne pas, alors il y en a qui quémandent et ils sont augmentés, mais moi c’est pas mon genre. […] Pour moi c’est pas une SCOP, on n’a pas notre mot à dire dans les décisions. » Toujours chez Scopvoirie un autre salarié (maître d’œuvre, h, 26 ans (3 ans d’ancienneté)) décrit le même contexte de manière très différente : « Pour les augmentations, on va voir directement Monsieur C., en général on va se faire une bouffe, puis on en discute, un midi. […] Là je vais passer à 2 000 net à la fin de l’année normalement. […] Moi je m’entends bien avec tout le monde… le fait qu’on soit tous sociétaires aussi, ça crée un truc un peu familial quoi. »
43À travers ces deux témoignages, on peut noter les tensions entre des critères de justice issus de la cité domestique (les augmentations sont décidées personnellement, les liens affectifs sont décrits comme la condition du bon fonctionnement du collectif) et leur critique du point de vue de la cité civique : le dirigeant est dénoncé comme paternaliste et autoritaire, et ses décisions sont perçues comme arbitraires (« il te la donne, il te la donne pas… »). La personnalisation des processus d’augmentation est décrite en termes négatifs (« quémander ») pour mettre en valeur le caractère collectif de l’enjeu, qui devrait donc être réglé par une formalisation des règles à travers des entretiens d’évaluation (c’est la volonté qu’exprime le premier salarié dans la suite de l’entretien). En effet, « le lien civique se définit précisément comme un affranchissement par rapport aux relations de dépendance personnelle » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 309). Et le salarié conclut sa critique par un diagnostic très révélateur : « Ce n’est pas une SCOP », sous-entendant que l’essence de la SCOP est de mettre au premier plan l’égalité de la cité civique. Ce rappel à l’ordre confirme l’impératif de légitimité des règles salariales à long terme. De même, on peut évoquer l’expression révélatrice du cogérant de Scopweb en parlant d’une SCOP voisine : « SCOP à gourou ». Cette expression lui sert à décrire les dérives possibles de l’informalité et des relations personnelles familières développées entre les membres de la SCOP masquant le caractère collectif des enjeux de ressources humaines, notamment la détermination des salaires.
44Des conflits similaires ont émergé chez Scopimage où la mise en place des rémunérations semble caractérisée par un grand flou et suscite un fort mécontentement de la part des salariés : « On avait décrété que les rémunérations seraient égales, en proportion… voilà. Euh… donc c’est ce qui a été plus ou moins mis en place… j’avais pas encore mis en place des contrats de travail ni quoi que ce soit parce que tant qu’on n’avait pas de clients ça avait pas de sens » (dirigeant, h, 45 ans (2 ans d’ancienneté) Scopimage) [22]. Cette tension entre cité domestique et cité civique trouve aussi son expression dans les débats autour du rôle des syndicats et des instances représentatives des salariés : ceux-ci sont peu présents dans les SCOP, et notre échantillon ne fait pas exception (cf. tableau 1). Pour justifier cela, les dirigeants interrogés ont massivement recours à des arguments de la cité domestique, à l’encontre d’une cité civique considérée comme anonyme et manquant de flexibilité : « On est entre nous », « Ma porte est toujours ouverte », « Les représentants du personnel, c’est tout le monde ici », etc. Mais les salariés interrogés par questionnaire ont un avis plus nuancé, puisque 58 % ne sont pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle « On n’a pas besoin des représentants du personnel dans une coopérative » et 54 % ne sont pas d’accord avec la même affirmation lorsqu’elle se rapporte aux syndicats. 79 % des répondants pensent que les représentants du personnel « expriment bien les intérêts des salariés » et 83 % rejettent l’affirmation selon laquelle « ils influencent négativement les décisions de l’entreprise ». Les représentants syndicaux interrogés témoignent quant à eux des difficultés de la double posture représentant-sociétaire : « J’ai accepté la modification du pacte social [au passage en SCOP]. Mais maintenant, je parle salaire et rémunérations, renégociation du pacte social. […] Nous nous sommes vraiment disputés avec G. [prénom du dirigeant] […] La politique salariale, nous aurions dû en discuter avec tous les associés, mais c’est le comité de direction qui a décidé. » (J., technicien de maintenance, h, 53 ans (35 ans d’ancienneté) délégué CFDT). Et un peu plus loin : « Moi, je suis toujours élu CFDT, secrétaire du CE, mais je n’ai plus de patron en face de moi, j’ai 40 salariés, dont moi qui suis salarié-associé. Et ça, ce n’est vraiment pas facile. Parce que je ne peux pas être à la fois dans la cogestion et un élu du CE. Je ne dois pas franchir cette ligne blanche. »
45Entre les cités domestique et civique, les compromis semblent difficiles à trouver au sein des SCOP, puisque dans le cas de Scopvoirie comme de Scopimage, les conflits ont abouti à des départs – la stratégie de défection prenant le relais lorsque la prise de parole a échoué [Hirschman, 1970]. On ne peut pas certifier que la rémunération ait été le seul déterminant de ces départs, mais dans les entretiens avec les deux personnes qui ont finalement démissionné, une trop faible rémunération était interprétée comme un « manque de reconnaissance » de leur travail. Pourtant, un compromis semble bien fonctionner à une échelle un peu plus générale, puisque les conventions collectives sont considérées comme une référence très consensuelle, non seulement d’un point de vue légal, mais aussi d’un point de vue de recherche de la justice, puisqu’elles servent de base à la réflexion sur la politique salariale, notamment sur la rémunération de l’ancienneté et de la qualification [23]. L’expertise des syndicats est donc reconnue comme légitime au niveau de la négociation de branche des politiques salariales, mais suscite une certaine méfiance des dirigeants à l’échelle de l’entreprise.
4 – Conclusion
46À la question de savoir si l’égalité revendiquée dans les SCOP est purement formelle et ne sert que de stratégie de distinction par rapport aux entreprises de capitaux moins « vertueuses », ou si, au contraire, elle a des effets sur les pratiques salariales et la conception du travail pour les membres des SCOP, nous devons donc répondre de manière nuancée. D’une part, dans toutes les SCOP de notre échantillon, l’égalité est revendiquée comme un principe essentiel et les écarts de salaires observés ainsi que les mécanismes de répartition doivent passer des épreuves de la cité civique. Le projet politique des SCOP est de proposer un modèle d’entreprise plus juste, par l’exercice de la démocratie à l’assemblée générale et par une distribution des bénéfices plus équitable. La critique d’une certaine conception de l’entreprise de capitaux, vue comme la domination excessive des critères de justice de la cité industrielle, permet alors aux travailleurs des SCOP de mettre en avant un modèle fondé sur la cohésion du collectif qui rappelle la cité civique de Boltanski et Thévenot [1991]. Ce positionnement alternatif et se revendiquant comme plus éthique confère aux travailleurs des SCOP des bénéfices symboliques qui peuvent venir compenser un possible sacrifice salarial. Bénéfice dont on peut d’ailleurs penser qu’il est inégalement réparti (les sociétaires et plus encore les dirigeants en profitent davantage).
47Pour autant, la critique du modèle dominant est ambivalente, car les SCOP sont des entreprises en concurrence sur un marché où elles sont très minoritaires. Elles sont donc soumises à différentes formes d’isomorphisme : un isomorphisme normatif qui les pousse par exemple à des concessions sur les rémunérations des cadres sous peine de difficultés de recrutement. Mais également un isomorphisme mimétique peut-être plus subtil qui les pousse à mettre à distance une égalité trop marquée, qualifiée d’« utopique » ou de « monde des bisounours ».
48Mais pour mieux comprendre les tensions autour de l’égalité salariale dans les SCOP, il faut prendre en compte des principes de justification plus diversifiés que la simple dichotomie entre égalité politique et efficacité économique. Le recours à la cité domestique permet alors d’enrichir l’analyse en montrant que l’égalité est soumise à des tensions multiples et que les conventions salariales sont sans cesse discutées et remises en cause. La tension entre cité civique et domestique semble particulièrement prégnante dans les SCOP et peut être un cadre d’analyse pertinent pour comprendre les relations parfois conflictuelles entre le monde syndical et le monde coopératif. Les questions de justice ne sont jamais totalement absentes des débats puisque, pour stabiliser les conventions, il faut prouver leur légitimité. Cela n’empêche pas la confrontation de différents pouvoirs de valorisation. Ainsi, ceux qui s’estiment lésés dans la cité civique ont recours aux arguments d’autres cités pour défendre leurs intérêts. Mais, pour les défendre de manière crédible, ils doivent monter en généralité et avoir recours à des arguments de justice. La justice n’est jamais définitivement assurée et fait l’objet de critiques fluctuantes dans le temps. Les quelques SCOP de notre échantillon que nous avons pu suivre pendant plusieurs mois montrent bien cette dynamique de la critique.
49La prise en compte des différentes cités, de la confrontation de différents pouvoirs de valorisation et du caractère instable des conventions d’évaluation du travail nous a aussi permis de mettre en évidence la grande hétérogénéité des SCOP. Derrière les principes de justice privilégiés dans la détermination des salaires se dessinent des conceptions différentes du travail : comme valeur d’échange sur un marché, comme statut pour le salarié ou comme activité créatrice [Dubet, 2006 ; Méda, 1995]. L’analyse des interactions entre ces trois dimensions dans ces entreprises particulières que sont les SCOP mériterait des travaux plus approfondis.
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Mots-clés éditeurs : inégalité, salaire, conventions, coopérative, justice
Date de mise en ligne : 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/rfse.023.0141Notes
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[1]
Grâce à une enquête réalisée en France auprès de 2 000 personnes sur les inégalités de revenu.
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[2]
On peut faire ici un parallèle avec les travaux de Simonet sur le « travail bénévole » [Simonet, 2018], notamment certains mécanismes d’exploitation que peuvent dissimuler les discours autour de la passion et de l’engagement politique et associatif.
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[3]
Au sens de « l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme » [Boltanski et Chiapello, 1999, p. 41].
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[4]
À travers son « quadrilatère coopératif », Desroche [1976] montre aussi que l’articulation entre un pôle économique (composé de la direction encadrant les salariés) et un pôle politique (composé de sociétaires élisant des administrateurs) est la question centrale de la gouvernance des coopératives.
-
[5]
Il faut mentionner ici un possible biais de sélection, les SCOP qui ne revendiquent aucune différence étant peut-être moins susceptibles d’accepter de participer à une enquête sur les relations sociales dans les SCOP.
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[6]
Ce qui peut sembler paradoxal, étant donné une certaine méfiance envers les syndicats et les instances de représentation du personnel, comme nous le verrons dans la suite de l’article.
-
[7]
Selon la Cgscop, la moyenne nationale est de 40 %.
-
[8]
À titre de comparaison, la participation dans les entreprises de capitaux n’est obligatoire qu’à partir de 50 salariés et est distribuée en proportion des salaires.
-
[9]
Peut-être plus frappant encore, parmi tous les documents type « charte d’entreprise » ou « projet commun » qui nous ont été communiqués dans les entreprises enquêtées, aucune mention n’est faite des salaires. En revanche, on peut lire de longs développements sur la « vie coopérative » et la « participation de tous au processus de décision ».
-
[10]
Même en tenant compte de l’effet taille (il y a plus de primes individuelles dans les entreprises de plus de 20 salariés) et de l’effet secteur (il n’y a pas de SCOP dans la finance, secteur où les primes sont les plus présentes), cela est très faible comparé aux chiffres de la DARES pour l’ensemble des entreprises : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2016-074.pdf
-
[11]
Ce chiffre, tiré du questionnaire adressé aux salariés, peut paraître relativement élevé, mais c’est le niveau de satisfaction déclarée le plus bas, à l’exception des perspectives de promotion (59 %) : les horaires (93 %), la formation (74 %), l’ambiance au travail (91 %) et les relations avec les responsables (90 %).
-
[12]
Il s’agit à chaque fois d’indicateurs de satisfaction déclarée, et donc dépendants des attentes des individus : en raison de ce biais, nous n’interprétons pas le niveau de satisfaction, mais plutôt les écarts entre les différentes dimensions de satisfaction.
-
[13]
La satisfaction déclarée concernant la rémunération apparaît aussi peu corrélée avec la rémunération. Le coefficient de corrélation est de 0,21 pour les salariés à plein temps.
-
[14]
Cependant, le modèle wébérien du fonctionnaire désintéressé est selon les auteurs à relativiser, car les cadres du public évoquent principalement des motivations extrinsèques comme compensation à la faiblesse ressentie du salaire (stabilité de l’emploi, vacances, horaires).
-
[15]
On privilégie ici le point de vue des cadres et dirigeants, car ce sont eux qui renoncent à des salaires plus élevés.
-
[16]
Au sens d’une capacité à s’interroger sur les institutions.
-
[17]
Taux calculé comme le nombre de salariés sociétaires divisé par le nombre total de salariés.
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[18]
Ce dirigeant a quitté la SCOP pour créer sa propre entreprise environ un an après cet entretien.
-
[19]
Cette personne a également quitté la SCOP un peu plus d’un an après cet entretien.
-
[20]
Seule SCOP pour laquelle le salaire du dirigeant ne nous a pas été communiqué.
-
[21]
Magne [2016, chapitre 2, p. 106-108] montre que le compromis réalisé entre la cité civique et la cité industrielle est alors fortement asymétrique, puisque l’égalité est mise en avant comme un moyen de parvenir à une plus grande efficacité du travail d’équipe et à un plus grand investissement individuel des salariés dans le travail.
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[22]
Les conflits entre les salariés et les difficultés financières de cette SCOP ont depuis abouti à sa liquidation judiciaire.
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[23]
Il faut mentionner trois exceptions à ce consensus dans notre échantillon : les dirigeantes des deux coopératives d’activité et d’emploi (CAE) qui sont adhérentes à la convention Syntec et la considèrent inadaptée, et le dirigeant de Scopméca qui critique la prise en charge des jours de carence dans la convention de la métallurgie, encourageant selon lui l’absentéisme.