Couverture de RFSE_022

Article de revue

L’économie solidaire sous le prisme du genre : une analyse critique et possibiliste

Pages 107 à 124

Notes

  • [1]
    Au Japon, 80 % des 27 millions de membres de coopératives de consommation sont des femmes [ILO, nd].
  • [2]
    Pour un exemple français, voir Dussuet et Flahault [2012].
  • [3]
    « Feminist analysis of social and solidarity economy practices: views from Latin America and India », projet comparatif (Argentine, Bolivie, Brésil et Inde) financé pour la période janvier 2016-mai 2018 par le Swiss Network for International Studies et coordonné par Ch. Verschuur.
  • [4]
    Karl Polanyi (1975) est connu pour sa distinction entre la conception formelle et la conception substantive de l’économie. La première se réfère à la relation entre des moyens présumés limités et des fins alternatives, qui caractérise un type bien particulier d’économie, organisée selon le système de marché générateur de prix. La seconde dérive de la dépendance de l’homme envers la nature et les autres hommes pour la satisfaction de ses besoins matériels et permet d’analyser tout type d’économie, marchande ou non.
  • [5]
    Nous utilisons ici le terme d’émancipation plutôt qu’empowerment, intraduisible. Ce dernier est plus riche car il inclut la notion de pouvoir et suggère un processus. Originalement proposé par des organisations noires aux États-Unis, et par des organisations de femmes de base dans les pays du Sud, il est employé et revendiqué par des collectifs des pays du Sud. Il a néanmoins souvent été détourné de son sens original et critique, pour s’inscrire dans le discours dominant, libéral et individualiste sur le développement. « Émancipation » permet d’éviter ici cette confusion, même si le terme est également connoté, parfois associé aux politiques centralisatrices des pays socialistes.
  • [6]
    D’après Angulo [2011], le subventionnement public représente moins de 20 % de leurs coûts alors qu’elles en revendiquent 60 %.
  • [7]
    Pour différents exemples, voir Guérin [2003], Guérin et al. [2011], Charlier [2006], Verschuur et al. [2015].
  • [8]
    Pour quelques exemples, voir Guérin et Nobre [2015].

1 – Introduction

1L’économie solidaire désigne au sens large toute activité économique privilégiant l’intérêt collectif et la solidarité plutôt que la recherche de profit, et s’appuyant sur des espaces de délibération visant à démocratiser l’économie. Les modalités, les frontières et les appellations de ces initiatives sont fluctuantes selon les pays.

2L’économie solidaire est souvent une économie animée par les femmes ou pour les femmes. En France, par exemple, les statistiques disponibles, limitées à l’économie dite sociale (associations, coopératives, mutuelles et fondations) indiquent que 68 % des salarié.e.s sont des femmes [Observatoire national de l’ESS-CNCRES, 2017]. Au Brésil, près de 44 % des membres des quelque 20 000 initiatives recensées dans le Système d’information en économie solidaire en 2010-2012 sont des femmes, mais cette proportion est certainement sous-estimée [Nobre, 2015]. On observe aussi que les secteurs d’activité sont fortement genrés. Les services collectifs de restauration sont en large partie, voire exclusivement, féminins [Anderson, 2015 ; Ndoye, 2014], tout comme le sont les coopératives de transformation de produits alimentaires dans les quartiers populaires [Ypeij, 2002 ; Hainard et Verschuur, 2005]. Les femmes sont aussi très actives dans certaines formes de commerce équitable [Charlier, 2006 ; Saussey, 2012], les coopératives de consommation [1], les clubs de troc et les monnaies sociales [Saiag, 2015]. Elles sont présentes en majorité dans les activités d’amélioration de l’environnement et de l’habitat dans les quartiers-espaces verts, construction populaire, assainissement, gestion des déchets, gestion de l’eau [Bisilliat, 1995 ; de Suremain, 2005 ; Verschuur, 2011], les associations ou coopératives d’appui à la petite enfance ou aux personnes âgées [de Suremain, 1996 ; Fournier, 2013 ; ILO, 2015] ou encore les mutuelles de santé et d’épargne-crédit [Chatterjee, 2014 ; Fonteneau, 2015]. En milieu rural, les femmes sont très impliquées dans les collectifs de production agricole de subsistance [León, 1980 ; Angulo, 2011 ; Guétat-Bernard et Saussey, 2014] et en particulier d’agroécologie [Prévost et al., 2014 ; Hillenkamp et al., 2016].

3Ce constat est peu surprenant. Il ne fait que refléter la dimension genrée du travail, que l’on trouve aussi bien dans les espaces privés que publics, domestiques, « communautaires » ou marchands. Nombre d’initiatives d’économie solidaire concernent les activités liées à la reproduction élargie de la vie, comme la préparation des aliments, le nettoyage, les soins aux autres ou à la nature. Or ces activités, du fait de la socialisation, sont majoritairement réalisées par des femmes, et en particulier les plus marginalisées d’entre elles.

4La question centrale, encore peu posée, est celle des implications de la surreprésentation féminine et de la forte dimension genrée de ces initiatives. Est-ce une illustration supplémentaire de la surcharge de travail des femmes et de la sous-valorisation des activités nécessaires à la reproduction élargie de la vie ? Observe-t-on un renforcement de la division sexuelle (mais aussi de classe et de race) inégale de ce travail ? Cette question est d’autant plus légitime que l’emploi associatif, qui caractérise une large partie de l’économie solidaire, est souvent de faible qualité en termes de niveau de salaire et de conditions d’emploi [2]. Ou bien faut-il déceler dans cette forte présence féminine l’amorce d’initiatives novatrices de création de richesses, de rapports sociaux plus solidaires et plus égalitaires ? En d’autres termes, l’économie solidaire est-elle seulement féminine ou peut-elle aussi être féministe, et surtout, à quelles conditions ?

5Cet article propose une contribution théorique à ce débat. Il se fonde sur des réflexions antérieures [Guérin, 2003 ; Hillenkamp et al., 2014] et sur des exemples visant à illustrer notre argument dans un certain nombre de contextes du Sud et, dans une moindre mesure, du Nord, car les analyses empiriques dans cet espace sont encore peu nombreuses. Ces exemples se nourrissent de la revue de la littérature, y compris à travers les actes d’un colloque organisé sur le sujet [Verschuur et al., 2015], et d’un projet de recherche collectif [3]. Certains exemples, comme l’agroécologie féministe au Brésil, issu de cette recherche, ou les cantines collectives au Pérou, qui occupent une place importante dans la littérature, sont suivis au long du texte pour permettre d’apprécier les différentes facettes d’un même cas. Toutefois, les exemples sont donnés ici à titre d’illustration de notre argument théorique et non comme études de cas.

6Nous suggérons tout d’abord qu’un double regard, critique et possibiliste, est nécessaire (2.), attentif à la fois à la violence de la domination et à ses contestations, aux effets de structures et à leurs interstices. Ce double regard, inspiré de l’économie substantive polanyienne [4], ainsi que de certaines recherches féministes, montre comment les pratiques d’économie solidaire renouvellent à la fois l’économique (3.) et le politique (4.), compris ici comme catégories d’action et de pensée. Il met aussi en lumière la diversité des luttes, et surtout les chemins multiples et sinueux de l’émancipation [5] (5.). Ce double regard, enfin, suggère d’appréhender l’émancipation comme étant indissociable de l’articulation entre principes d’échange polanyiens (marché, redistribution, réciprocité et partage domestique), celle-ci étant comprise non pas comme une illusoire quête d’équilibre, mais comme un processus sous tension et donc sans cesse renouvelé (6.). Il nous semble que ce renouvellement permanent ne saurait être considéré comme une fragilité, mais comme une condition même de l’existence et de la pérennité de ces initiatives.

2 – Un regard critique et possibiliste

7Le regard critique consiste à étudier la nature des rapports sociaux qui animent les pratiques d’économie solidaire et leur articulation avec les rapports sociaux dominants. Il interroge la manière dont les initiatives libèrent les femmes d’espaces clos ou au contraire les y enferment, la manière dont elles renforcent ou suscitent des inégalités non seulement de genre, mais aussi de classe, de race et ethniques. Il questionne leur éventuelle substitution, à moindres frais, à l’intervention publique, qu’elle soit locale, nationale ou supranationale, ou encore la manière dont elles se transforment en réceptacle de chaînes de valeur globalisées, voire de mouvements religieux extrémistes. Se focaliser sur les rapports de domination comporte toutefois plusieurs écueils. On court le risque d’ignorer « la capacité d’action culturelle des sujets » et de « déserter le terrain des luttes sociales réelles » [Verschuur et Destremau, 2012, p. 9]. On s’expose également à un « fondamentalisme de l’alternatif », qui conduit « à rejeter des propositions qui, nées au sein du capitalisme, ouvrent toutefois la voie à une orientation non capitaliste et créent des enclaves de solidarité au sein du système » [Sousa Santos et Rodriguez, 2013, p. 133].

8C’est pourquoi l’analyse critique mérite d’être combinée à un regard utopique, explorant les virtualités en visant « le dépassement des limites sociales et économiques imposées dans la réalité » [Cattani, 2006b, p. 653]. Cette posture utopique, que l’on peut qualifier également de « possibiliste », consiste à substituer une « herméneutique de l’émergence » [Sousa Santos et Rodriguez, 2013] à celle du scepticisme [ibid.], à adopter la « passion du possible » pour s’autoriser à percevoir la part de changement inattendu et même improbable au-delà des régularités sociales [Hirschman, 1971]. En d’autres termes, ce double regard consiste à reconnaître, et à assumer, une tension irréductible entre l’horizon émancipateur et le caractère graduel, hésitant et parfois ambigu des changements.

9Cette approche combinée ne va pas de soi, puisqu’elle suppose de conjuguer des traditions épistémologiques souvent pensées comme contradictoires, attentives, d’une part, aux subjectivités, aux mondes vécus, aux marges de manœuvre, aux résistances et aux processus de changement et, d’autre part, aux structures et aux rapports de pouvoir, sources de différenciation et de domination. Ce double regard impose par ailleurs de s’affranchir de nos catégories d’analyse, trop souvent figées dans une conception abstraite et séparée de l’économique, du social et du politique. Croiser socio-économie et féminisme est en ce sens particulièrement fécond.

10Tout d’abord, l’approche substantive de l’économie inspirée des travaux de Karl Polanyi [1983] offre des outils précieux pour analyser les institutions, les rapports sociaux et les choix politiques qui orientent la manière dont chaque société organise les activités de production, d’échange, de financement et de consommation. En reconnaissant plusieurs principes d’échange et d’interdépendance – le marché, la redistribution, mais aussi la réciprocité et le householding (partage domestique) –, cette approche porte un regard possibiliste sur les multiples manières de « faire de l’économie » en combinant ces différents principes. Elle autorise dans le même temps une analyse critique de l’institution de l’économie et du marché dans la société, en particulier depuis un point de vue féministe [Waller et Jennings, 1991 ; Benería, 1998] et dans une visée démocratique [Hillenkamp et Laville, 2013]. L’approche de la diversité institutionnelle, dans la lignée d’Elinor Ostrom [2005], permet également d’envisager les communs comme des institutions hybrides, dépendant d’un ensemble de règles d’accès et d’usage des ressources forgé dans des rapports sociaux particuliers. Des configurations extrêmement différentes peuvent en résulter, allant d’une gouvernance démocratique et solidaire des communs, à un adossement à la gestion publique, à l’exclusion de groupes ou d’individus de l’usage de certaines ressources, ou encore à la division de ces dernières pour un usage individuel [Servet, 2014]. Des possibilités d’émancipation et de reproduction des inégalités et de l’exclusion se nichent dans l’entrelacement de ces diverses logiques et institutions façonnées à différents niveaux.

11Cette première grille mérite d’être combinée à une perspective féministe. Depuis leur origine, les études féministes n’ont eu de cesse de déconstruire les catégories dominantes en dénonçant leur dimension à la fois sexuée, hiérarchique et normative, ainsi que les angles morts et les inégalités qui en résultent. Au-delà de la singularité des différents courants (et des conflits qui en résultent), plusieurs éléments peuvent être retenus pour notre propos.

12Ces études ont montré en quoi le travail domestique, gratuit et invisible est un travail à part entière [Combes et Devreux 1985 ; Delphy, 1970]. Revisitant l’histoire, elles ont réhabilité le rôle des femmes, non seulement dans les processus d’industrialisation, mais aussi dans les luttes ouvrières [Tilly et Scott, 1978]. Elles ont contesté la séparation arbitraire et fallacieuse entre production et reproduction, et souligné à quel point le maintien de rapports sociaux de type domestique conditionne et nourrit l’accumulation de type capitaliste [Meillassoux, 1975, 1984]. Avec le féminisme postcolonial, elles ont déconstruit la catégorie « femme », montrant comment l’appartenance de sexe, et les inégalités qui en découlent, s’articulent et se combinent avec des inégalités de classe, de race, de caste, de religion, de préférence sexuelle, etc. Elles ont également déconstruit l’idée d’émancipation, en soulignant l’étroitesse, mais aussi l’arbitraire de définitions normatives centrées sur l’autonomie et le salariat [Mohanty, 1988]. Elles ont de plus montré les apories de la « solidarité féminine » et dénoncé le « triple rôle » des femmes, sommées de combiner non seulement vie familiale et reproduction, vie professionnelle et production, mais aussi vie communautaire et gestion de communs [Destremau, 2013 ; Kabeer, 1994]. Elles ont également montré les ambiguïtés et, dans de nombreux cas, les impasses de politiques dites de développement visant à appuyer ces collectifs féminins. Au nom d’une prétendue émancipation, ou empowerment, l’appui s’est souvent traduit par une instrumentalisation, une dépossession, et une nouvelle forme de captation d’une force de travail gratuite [Molyneux, 2007].

13Dit autrement, les analyses féministes élargissent le spectre de l’oppression et de l’émancipation à l’ensemble des principes d’échange, et permettent une relecture plus nuancée des principes polanyiens [Fraser, 2010]. Ce serait une erreur d’idéaliser l’« encastrement », entendu comme situation subordonnant le marché à la réciprocité et/ou à la redistribution et/ou au partage domestique, puisque ces principes se présentent aussi sous des modalités oppressives et négligent notamment les rapports de pouvoir au sein des familles ou des communautés. Ce serait également une erreur de vilipender le désencastrement, qui subordonne la réciprocité, la redistribution et/ou le partage domestique au principe de marché, puisque ce dernier peut être porteur d’émancipation.

14Ce double regard, critique et possibiliste, est exigeant au niveau conceptuel, mais aussi empirique, puisqu’il suppose des méthodes d’observation diachroniques, attentives aux émergences et au renouvellement incessant des initiatives. Il est néanmoins indispensable pour s’affranchir des éternels débats sur l’économie solidaire, appréhendée tantôt comme un maigre palliatif aux failles de l’État ou du marché, tantôt comme moteur de transformation : l’enjeu consiste à s’ouvrir à une multiplicité d’initiatives et de chemins d’émancipation, sans perdre de vue l’analyse critique du sens de leur action et des rapports sociaux sous-jacents.

3 – Repenser l’économique

15Certaines approches féministes revendiquent de longue date une nouvelle conception de l’économie, comme ensemble de pratiques, mais aussi comme savoir. Habituellement, l’économie est définie, selon la conception formelle, comme « science » des choix ou mode d’allocation des ressources rares, impliquant une forme spécifique de rationalité. Elle occulte ainsi tout un pan de pratiques, notamment celles qui relèvent de la reproduction et du lien social. Ce faisant, elle rend invisible l’essentiel des activités assumées par les femmes [Delphy, 1970 ; Nelson, 1993], mais aussi, et plus largement, l’ensemble des transactions, des relations et des motivations qui soutiennent une large part de l’activité économique, qu’il s’agisse de coercition, de dépendance, d’exploitation, mais également de réciprocité, de partage, de solidarité, de confiance, de coopération, d’engagement, de spiritualité, etc. [Gibson-Graham, 2014].

16En s’impliquant, par des initiatives locales, dans ce qui est indispensable pour l’entretien et la reproduction des communautés et des territoires, nombre de femmes revisitent la manière dont sont articulées la « production » et la « reproduction ». Cette réarticulation prend des formes diverses selon les contextes et les périodes de l’histoire. Dans différents pays d’Amérique du Sud et d’Afrique de l’Ouest, les cantines populaires mutualisent la préparation des repas, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire des familles, tout en soulageant les femmes d’une partie de leur travail domestique [Angulo, 2011 ; Ndoye, 2014]. Dans de nombreux contextes, la préparation des repas est chronophage pour différentes raisons – pas ou peu d’équipement, traditions culinaires supposant des temps longs de préparation et de cuisson. À cela s’ajoutent des facteurs chroniques ou conjoncturels d’insécurité alimentaire. Dans une perspective de gain de temps et de coût, des femmes se regroupent pour cuisiner collectivement et à tour de rôle. Elles mettent parfois l’accent sur les circuits courts, dans un but de souveraineté alimentaire locale, comme au Sénégal [Ndoye, 2014]. Lorsqu’elles sont spontanées, ces initiatives des femmes sont parfois relayées par des entités extérieures, dont des politiques publiques. Y compris dans ce cas, elles peuvent développer un potentiel émancipatoire lorsque la mise en place de l’activité s’accompagne d’un processus de constitution d’un sujet collectif. En France, les restaurants de quartier permettent à des femmes subalternes, souvent d’origine immigrée, d’exercer une activité rémunérée compatible avec leurs responsabilités domestiques, tout en (re)créant des lieux de vie dans des quartiers désertés et disqualifiés [Hersent et Soumbou, 2011]. Au Sénégal, dans un contexte de mépris à l’égard des activités de rue, les femmes se battent non pour bénéficier de financements publics, mais simplement pour exister et éviter d’être « déguerpies » [Ndoye, 2014]. Toujours au Sénégal, on a pu observer des initiatives de femmes de pêcheurs de quartiers populaires de Pikine pour organiser ensemble la transformation de produits halieutiques dans des espaces mutualisés [Hainard et Verschuur, 2005]. Cela leur a permis d’améliorer leurs conditions de travail, de constituer des fonds collectifs à partir desquels elles ont développé des initiatives de gestion des déchets et d’amélioration de l’habitat du quartier, puis, pour certaines d’être élues à des postes de responsabilité municipale. Cela a modifié la perception que les hommes avaient de leurs activités, et a introduit des changements dans les rapports entre femmes et hommes. Les femmes ont ainsi fait entendre leur voix et se sont constituées en sujets. Le manque de soutien de politiques publiques à ces initiatives a néanmoins compromis leur pérennité et mis en évidence leur fragilité. De même, l’échec d’un programme de gestion des déchets par un collectif de femmes des quartiers populaires de Ouagadougou, après quelques années d’un travail soutenu, suite aux entraves des politiques municipales, a aussi souligné cette fragilité [ibid.].

17L’exemple péruvien met également bien en évidence les possibilités et les limites de ces initiatives, et l’intérêt d’une approche à la fois critique et possibiliste. À leur pic de fonctionnement à la fin des années 1990, on estimait que les cuisines péruviennes de Lima servaient environ 1,4 million de repas quotidiens [Anderson, 2015]. Ce mouvement, initié dans les années 1970 et encore d’actualité aujourd’hui, a fait l’objet de nombreuses controverses. Romantisé par certain.e.s au nom d’une prétendue émancipation individuelle et collective pour les femmes de milieux populaires, il a été accusé par d’autres de maternalisme et de conservatisme, les femmes pauvres étant finalement condamnées à se prendre en charge et à assumer par elles-mêmes des questions d’intérêt général. L’histoire, la trajectoire et les ambiguïtés multiples des cuisines collectives péruviennes ont largement été documentées [ibid.]. On soulignera simplement ici que ces initiatives ont permis aux femmes de sortir de l’enfermement domestique et de publiciser la question de la sécurité alimentaire et de la préparation des repas. Si les soutiens n’ont jamais été à la hauteur de leurs attentes et revendication [6], s’ils se sont parfois traduits par des récupérations politiques et instrumentalisations diverses, les cuisines ont néanmoins bénéficié de subventions publiques reconnaissant leur contribution d’utilité générale. Par ailleurs, au-delà de la préparation des repas, les cuisines représentent des lieux de socialisation, d’échange et d’apprentissage, comme le montrent différentes monographies [Blondet, 1995 ; Angulo, 2011 ; Anderson, 2015]. Certain.e.s argueront que les cuisines ne règlent en rien l’inégale division sexuelle du travail. C’est effectivement le cas, mais permettre aux femmes de sortir de l’enfermement du rapport social de type domestique est déjà une avancée [Lipietz, 2002].

18Ces exemples montrent que « production » et « reproduction » sont articulées au quotidien dans des pratiques qui visent la sécurité des moyens d’existence des femmes et de leurs familles, et la revitalisation de communautés et d’identités locales. Une lecture féministe invite à reconnaître le rôle essentiel des activités dites « de reproduction », qui sont tout aussi « productives » de valeur d’usage que les activités labellisées ainsi, mais circonscrites aux activités créatrices de valeur marchande. Plus encore, une lecture féministe (et possibiliste) fait valoir leur rôle fondamental en matière de cohésion sociale et d’épanouissement individuel et collectif. Certaines initiatives d’économie solidaire ont précisément pour objet de rendre visible le travail féminin, de mettre en évidence son rôle essentiel en matière de création de richesses, éventuellement de le quantifier, mais aussi de plaider pour de nouveaux rapports de production et de nouvelles conceptions de la richesse qui n’ignoreraient pas la face cachée de la reproduction dans l’ensemble indissociable production/reproduction.

19Au Brésil, un projet initié par le Groupe de femmes de l’Articulation nationale d’agroécologie permet par exemple aux agricultrices de noter dans un calendrier ad hoc les quantités et les équivalents monétaires de leur production destinée respectivement à l’autoconsommation, au troc, aux dons et à la vente. L’importance de la production non monétaire pour la sécurité alimentaire et le maintien des liens sociaux ne se réduit certes pas à ces équivalents. Ce calcul permet néanmoins aux femmes de prendre conscience de la valeur de l’ensemble de leur travail, de le faire valoir auprès de leurs compagnons, dont certains acceptent alors de les aider, et auprès des pouvoirs publics, afin d’être reconnues comme agricultrices familiales et d’avoir droit aux politiques de crédit et d’assistance technique. Cet exercice de valorisation existe aussi pour des activités dégradantes et pourtant essentielles, comme le ramassage des déchets. Dans la ville de Pune en Inde, un syndicat de femmes ramasseuses de déchets a construit sa légitimité sur la valorisation de ce type de travail, et ceci tant à l’égard de ses propres membres, situées au plus bas de la hiérarchie sociale et elles-mêmes convaincues de la « saleté » de leur statut, que des autorités publiques [Narayan et Chikarmane, 2013].

20Certaines initiatives ont pour raison d’être la valorisation sociale et symbolique de la composante reproductive, comme le groupe de recherche-action Community Economies. Partant du principe que tous les territoires disposent de ressources insoupçonnées, trop souvent occultées, disqualifiées ou méprisées par une pensée dominante, monoculturelle et « capitalo-centrée », le groupe prône une approche non pas en termes de manques et de déficiences (pauvreté, chômage, faible capital humain, faible productivité, etc.), mais de valorisation des ressources au sens large : celles qui œuvrent au bien-être individuel et collectif, qui distribuent un surplus de nature matérielle, mais aussi sociale et culturelle, et qui construisent et entretiennent des communs [Gibson-Graham, 2005, p. 16 ; voir aussi Federici, 2010].

4 – Repenser le politique

21Tout comme l’économique, le politique a été victime de catégories normatives et genrées, fondées sur des conceptions singulières du public et du privé, occultant la complexité des pratiques quotidiennes et tout un répertoire de formes d’engagement, notamment, quoique non uniquement, celles des femmes. Dans ces schèmes de pensée dominants, débat public et action politique ne seraient possibles qu’en s’émancipant des intérêts dits « privés », que ceux-ci relèvent de la sphère domestique ou de la sphère marchande [Waller et Jennings, 1991]. Battant en brèche ces oppositions, l’histoire féministe a permis de réhabiliter des formes diverses d’engagement, en montrant que ce sont souvent les responsabilités domestiques ou communautaires des femmes qui les amènent à s’engager dans le combat politique [Tilly, 1986]. Au Brésil, des agricultrices agroécologiques organisées en groupes locaux s’emparent de problèmes comme la gestion des eaux usées ou les conflits fonciers, qu’elles tentent de résoudre par des actions propres (par exemple l’installation de canalisations) et en interpellant les pouvoirs publics. Elles y voient une modalité de gestion de problèmes les affectant comme membres de leur communauté, et non la défense de leurs seuls intérêts privés. En Argentine, des groupes de femmes de quartiers populaires chargées de distribution alimentaire avaient entrepris de s’organiser contre les problèmes récurrents d’inondation dans le quartier, exigeant l’intervention de bulldozers auprès de la municipalité, ou contre la mauvaise qualité de l’eau, réclamant la venue de camions-citernes d’eau de qualité. Elles se mobilisaient aussi pour défendre les femmes victimes de violences domestiques, demandant l’intervention de la police et de la justice, ne considérant pas ces questions comme de l’ordre du privé. Ce faisant, elles se constituaient en sujets, négociaient avec les pouvoirs publics, promouvaient les intérêts communs. Enfin, elles défendaient, à partir de leurs propres expériences, l’idée que « le personnel est politique ». Cette relecture du politique, compris non pas comme un champ autonome, mais indissociable de l’action et de la sphère privée, et recouvrant dès lors une multiplicité de pratiques, permet de mettre en évidence le contenu éminemment politique des initiatives d’économie solidaire, et une autre manière de faire de la politique par les femmes, particulièrement présentes dans ces initiatives.

22Cette politisation s’exerce à de multiples niveaux, depuis la création d’espaces micro-locaux de délibération qui sont essentiels à l’identification des priorités et des modes d’action, jusqu’à des tentatives d’interpellation aux échelons nationaux et internationaux [7]. Loin d’être hiérarchisés, ces échelons interagissent entre eux, le global étant bien souvent conditionné par le local. Cette politisation prend des formes également multiples, oscillant entre mise en débat public, négociation et dialogue, jusqu’à des formes plus radicales de contestation [Guérin et Nobre, 2015]. Prenons l’exemple des mutuelles de santé, qui se sont fortement développées au cours des deux dernières décennies en Afrique de l’Ouest, mais aussi dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. Leurs limites et faiblesses ont largement été documentées (faible capacité de couverture, homogénéité des membres ne permettant guère une réelle répartition des risques, exclusion des plus démuni.e.s, etc.). Ce sont là de bien piètres substituts à des systèmes universels et réellement redistributifs de protection sociale, peut-on également arguer. Outre le fait que ces mutuelles ont eu pour mérite initial de répondre ici et maintenant à des problèmes dont personne ne se souciait, elles ont joué un rôle évident dans la mise en débat public, puis dans l’élaboration de systèmes de protection sociale qui se veulent universels, notamment en Afrique subsaharienne [Fonteneau et al., 2014, p. 22-27].

23Au sein de mouvements sociaux comme celui des Piqueteros en Argentine [Rauber, 2002], des émeutes de la faim, ou des Indignés, les femmes ont souvent joué un rôle de premier plan. Or ces mouvements ont pour particularité d’articuler indignation, révolte et expérimentation : la dénonciation de mécanismes d’oppression et d’exploitation s’accompagne d’actions concrètes qui offrent des avantages tangibles aux participant.e.s (des repas, des abris…) tout en leur permettant de construire les répertoires d’action et les solidarités qui sont nécessaires aux moments de révolte. Ces luttes politiques ne sont possibles qu’articulées avec des pratiques permettant d’assurer la survie quotidienne de celles et ceux qui y sont engagés. Les activités de reproduction sociale – dans leur dimension matérielle, mais aussi conviviale et festive [Rauber, 2002 ; Nobre, 2015] – conditionnent ainsi l’engagement politique.

5 – Les chemins multiples et sinueux de l’émancipation

24La posture possibiliste exige de redéfinir les catégories, à commencer par celle de l’émancipation. Qui définit l’émancipation et au nom de qui ? S’agit-il de rompre radicalement avec l’ordre du divin et du religieux et d’affirmer le primat de l’individu, de la raison et du contrat ? De se libérer de toutes les structures d’oppression, qu’elles soient d’ordre matériel, social, symbolique ou encore sexuel ou racial ? De se départir d’un inconscient refoulé, de ses propres inhibitions et traumatismes psychiques ? Ou encore d’être reconnu.e, sous la forme de liens affectifs, en tant que citoyen.ne, ayant accès à des droits légaux et un statut social ? L’émancipation est-elle d’abord individuelle ou collective, humaine, économique ou politique ?

25Dès lors que l’on considère l’économie solidaire depuis la perspective de la reproduction, l’analyse des alternatives et du changement social dans l’économie plurielle et féministe s’enrichit de nouveaux questionnements. La question n’est plus seulement celle de la viabilité et du potentiel émancipateur de formes d’organisation de la production, du financement, des échanges ou de la consommation fondées sur l’égalité, la solidarité ou la protection de l’environnement [Sousa Santos et Rodríguez, 2013]. La question est, plus largement, celle de chemins multiples et corrélés d’émancipation. Ceux-ci peuvent être des voies « classiques », associées à la réorganisation de la sphère de la production et à ses processus d’institutionnalisation et d’autres, plus novateurs, surgissant de la démocratisation, ou socialisation de la reproduction, de sa valorisation, pour dépasser la hiérarchisation entre production et reproduction. Cette multiplicité des chemins d’émancipation est également liée à la complexité et à l’intersection des sources d’oppression. Dès lors que l’oppression est multiple, les chemins d’émancipation et les luttes qui y conduisent le sont également. Seules la contextualisation et l’historicisation permettent de saisir pleinement le sens et la portée de ces luttes multiples [8].

6 – L’entremêlement des principes d’échanges : une expérimentation permanente

26L’approche possibiliste révèle enfin la pluralité des principes d’échange et d’interdépendance entre les êtres humains : les pratiques marchandes concrètes sont systématiquement entremêlées à d’autres principes, qu’il s’agisse de réciprocité, de redistribution ou de partage domestique. Cette observation s’applique aussi aux communs, dès lors que l’on reconnaît leur statut d’institutions hybrides, traversées par différents principes [Hillenkamp et Servet, 2015]. Le « marché » et « l’État » sont souvent fétichisés, appréhendés de manière abstraite à partir de principes normatifs qui surestiment considérablement leur portée (considérée tantôt comme aliénante ou émancipatrice en fonction des écoles de pensée). Or l’un comme l’autre, en réalité, n’opèrent jamais de manière isolée. C’est précisément la nature de l’entremêlement entre principes d’échange et d’interdépendance qui définit le caractère plus ou moins émancipateur ou oppressif des pratiques économiques. La communauté fait lien, donne du sens et protège, mais elle est traversée de rapports de pouvoir, lieu où s’expriment et se produisent exclusion et domination. La puissance publique redistribue, sécurise et reconnaît (parfois) les droits des individus, mais elle en nie les désirs. Le marché reconnaît et soutient les libertés, mais seulement ceux des mieux lotis, les autres sont exclus ou condamnés à être exploités et paupérisés.

27Le potentiel émancipateur des initiatives d’économie solidaire repose sur des configurations articulant les quatre principes, de réciprocité, de redistribution, de partage domestique et de marché, en les soumettant aux objectifs de démocratie et d’égalité. Au Brésil, par exemple, le développement de l’agroécologie féministe se base sur l’organisation des agricultrices en groupes et réseaux où prévaut la logique de réciprocité (circulation des connaissances, de semences, plantes, travail collectif). Ces groupes et réseaux ont été initiés ou renforcés par des ONG, dont l’intervention se fonde sur la redistribution de ressources publiques, que celles-ci proviennent de politiques du gouvernement brésilien ou de fonds de la coopération internationale. Le travail des agricultrices, leur accès à la terre, à l’eau, etc., dépendent par ailleurs de structures et institutions familiales et communautaires et de leurs modes d’administration. La valorisation monétaire de leurs produits, enfin, est tributaire des conditions (préexistantes ou construites par le mouvement d’agroécologie) sur divers types de marché, comme les foires locales, des réseaux de commerce équitable ou solidaire et les achats publics. Des caractéristiques précises – plus ou moins démocratiques et égalitaires – de chacune de ces relations, de leur importance relative et de leur interaction dépend la capacité de ces pratiques à se développer comme économie solidaire et féministe.

28Or, de manière générale, ces configurations plurielles sont instables, tout d’abord parce qu’elles s’ancrent bien souvent dans des asymétries structurelles de position qui reflètent et cristallisent des appartenances de classe, de race, de caste, de genre, etc. La recherche d’« équilibre » et d’arrangements possibles entre émancipation et oppression suppose donc des processus d’interactions, d’apprentissages et de négociations. Du fait de l’adaptation permanente à des contextes à la fois singuliers et changeants, ces processus sont une succession d’avancées et de reculs dont l’issue est souvent imprévisible [Kabeer et al., 2013]. Lorsque les initiatives parviennent à s’inscrire dans la durée, leur survie et le maintien de leurs objectifs initiaux sont un combat quotidien. L’histoire des cantines péruviennes [Anderson, 2015], des Self-Help-Groups indiens [Sudarshan, 2015] et kenyans [Johnson, 2015] révèle d’étonnantes similitudes, alternant collaboration, confrontation et cooptation avec et par différentes entités ou réseaux institués, qu’il s’agisse des pouvoirs publics, des partis politiques, et parfois d’entités religieuses. Cet équilibre est donc éminemment fragile et constamment soumis à l’épreuve, mais il est possible.

29Face aux risques incessants de subversion et d’accaparement, certain.e.s activistes et intellectuel.le.s féministes revendiquent l’autonomie, à la fois institutionnelle et financière [Falquet, 2008]. D’autres plaident pour l’existence d’espaces autonomes, seuls à même de permettre aux femmes de définir leurs propres priorités et stratégies, à l’abri d’intrusions extérieures [Molyneux, 2007, p. 394], mais qui ensuite peuvent être reliés à des luttes plus vastes. Cette volonté d’autonomie peut passer par un usage tactique des partenariats publics, comme le montre l’exemple de la Self Women Employment Association (SEWA) en Inde. Convaincue que l’État est incapable d’appuyer des initiatives sans les détourner de leurs objectifs initiaux, la SEWA refuse toute réplication à grande échelle des projets qu’elle initie [Chatterjee, 2014]. L’association n’accepte la collaboration avec les pouvoirs publics qu’à l’échelon local ou territorial afin d’éviter la dissolution des spécificités locales. Cela ne l’empêche pas, par ailleurs, de peser sur l’intervention publique par le biais de la législation et de la réglementation, et ceci avec un certain succès, depuis la reconnaissance du travail féminin dans les années 1970 jusqu’à la question actuelle de la protection sociale.

30Cette recherche d’équilibre est un processus permanent, jamais abouti. S’il peut donner un sentiment d’inachèvement et d’« expérimentation permanente » [Hersent, 2014], il conditionne l’existence même de ces initiatives.

7 – Conclusion

31La place donnée ici aux initiatives d’économie solidaire dans l’émancipation des femmes mérite, pour conclure, d’être replacée dans une histoire plus longue des modèles et des acteurs présumés du changement social. Au cours du xixe siècle, principalement durant sa seconde moitié, les mouvements sociaux défendant la lutte des classes se sont installés comme le moteur présumé de l’histoire. Durant le xxe siècle, cette position a été questionnée par les études féministes qui ont fait remarquer combien l’analyse de la division sexuelle du travail et de la place des femmes en était absente : invisibles, les ouvrières ; invisibles, les femmes des ouvriers organisés en collectifs et les femmes salariées ; invisible, le travail de reproduction, qui permettait pourtant de maintenir les salaires des ouvriers à leur bas niveau. Il est devenu patent que l’absence de réflexion sur les rapports sociaux de sexe et le modèle familial qui soutenait l’action des mouvements ouvriers limitaient leur portée et entretenaient le système patriarcal. Par la suite, les « nouveaux mouvements sociaux » ont mis en scène des actrices et acteurs inédits, renouvelant à la fois les formes d’action et les objets de conflits, autour de la défense des minorités et des droits. Ils ont interpellé, de l’extérieur et de l’intérieur, l’ancien mouvement ouvrier [Maruani, 1979], mis en cause la distinction entre les mouvements sociaux d’orientation « redistributive » et classiste, et les mouvements « culturels » ou identitaires (féministes, anti-racistes…). Ils ont posé la question de l’opposition entre les politiques de reconnaissance et de redistribution, et de la réconciliation, ou non, de la gauche culturelle et de la gauche sociale [Fraser, 2005].

32Dans le contexte actuel de globalisation et de financiarisation, nombre de repères habituels sont ébranlés. Les pratiques antérieures de mobilisation sont dépassées. En même temps, les organisations de la société civile, les « sans-pouvoir » occupent de nouveaux espaces. Les changements sont réclamés « ici et maintenant », sans attendre « le grand soir ». Les chemins de l’émancipation et des transformations sociales sont à réimaginer. Les initiatives décrites en sont des illustrations. Pour autant, ces initiatives ne font pas table rase des institutions qui ont forgé le champ de la protection et de la reproduction sociale depuis le xixe siècle – en particulier les mutuelles et les assurances sociales – ni des formes d’exploitation qui se renouvellent aujourd’hui, entre autres à travers la nouvelle division internationale du travail. Les femmes, et notamment les femmes de catégories subalternes, se voient déléguer des responsabilités croissantes d’activités de soin, tant à l’égard d’autrui que vis-à-vis de la nature.

33Apprécier à sa juste valeur les capacités subversives et émancipatrices de l’économie solidaire suppose donc une grille de lecture adéquate. Combiner regard critique et possibiliste permet de mettre en lumière ce potentiel jusque-là insoupçonné, sans perdre de vue les rapports sociaux. Loin de se cantonner à des expériences fugaces et éphémères, les pratiques d’économie solidaire contribuent à repenser la notion même d’économie et à la transformer en pratique. Celle-ci ne se limite plus à la production ou l’allocation de ressources, mais recouvre l’ensemble des relations et activités nécessaires à la reproduction et l’entretien de la vie. L’entremêlement des principes d’interdépendance et la subordination du principe marchand aux principes de réciprocité, de redistribution et de partage domestique sont ici essentiels. Aux actions concrètes, les initiatives articulent des pratiques de délibération, de discussion, mais aussi parfois de mobilisation, de résistance, voire de révolte, contribuant ainsi à repenser le politique. Elles répondent en cela à des préoccupations anciennes de certaines mouvances féministes, convaincues que la lutte contre le patriarcat suppose de reconsidérer la nature même de l’économique et du politique, ainsi que l’hétérogénéité fondamentale des aspirations et des contraintes des femmes.

34Est-il dès lors possible de se prononcer sur les conditions d’une économie solidaire féministe, et pas seulement féminine ? Que les femmes, et notamment les plus exclues, ainsi que les hommes, se (ré)approprient leur destinée et décident par eux-mêmes de leurs priorités et de leurs modes d’action est une condition incontournable, ce qui suppose d’admettre l’indissociabilité de l’action et de la délibération. Imaginer une discontinuité radicale entre, d’un côté, des alternatives émancipatrices et, de l’autre, des pratiques oppressives et sources d’exploitation est également illusoire. Nombre d’entre elles expérimentent de nouvelles manières de penser et de faire, tout en alimentant des dynamiques plus globales sur lesquelles elles n’ont pas toujours prise. Comme nous l’avons suggéré ici, identifier la nature de l’entremêlement entre principes d’interdépendance, entremêlement instable et en renouvellement perpétuel, est une manière de saisir la dimension plus ou moins émancipatrice ou oppressive de ces initiatives.

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Notes

  • [1]
    Au Japon, 80 % des 27 millions de membres de coopératives de consommation sont des femmes [ILO, nd].
  • [2]
    Pour un exemple français, voir Dussuet et Flahault [2012].
  • [3]
    « Feminist analysis of social and solidarity economy practices: views from Latin America and India », projet comparatif (Argentine, Bolivie, Brésil et Inde) financé pour la période janvier 2016-mai 2018 par le Swiss Network for International Studies et coordonné par Ch. Verschuur.
  • [4]
    Karl Polanyi (1975) est connu pour sa distinction entre la conception formelle et la conception substantive de l’économie. La première se réfère à la relation entre des moyens présumés limités et des fins alternatives, qui caractérise un type bien particulier d’économie, organisée selon le système de marché générateur de prix. La seconde dérive de la dépendance de l’homme envers la nature et les autres hommes pour la satisfaction de ses besoins matériels et permet d’analyser tout type d’économie, marchande ou non.
  • [5]
    Nous utilisons ici le terme d’émancipation plutôt qu’empowerment, intraduisible. Ce dernier est plus riche car il inclut la notion de pouvoir et suggère un processus. Originalement proposé par des organisations noires aux États-Unis, et par des organisations de femmes de base dans les pays du Sud, il est employé et revendiqué par des collectifs des pays du Sud. Il a néanmoins souvent été détourné de son sens original et critique, pour s’inscrire dans le discours dominant, libéral et individualiste sur le développement. « Émancipation » permet d’éviter ici cette confusion, même si le terme est également connoté, parfois associé aux politiques centralisatrices des pays socialistes.
  • [6]
    D’après Angulo [2011], le subventionnement public représente moins de 20 % de leurs coûts alors qu’elles en revendiquent 60 %.
  • [7]
    Pour différents exemples, voir Guérin [2003], Guérin et al. [2011], Charlier [2006], Verschuur et al. [2015].
  • [8]
    Pour quelques exemples, voir Guérin et Nobre [2015].
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