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Article de revue

Justifications et règles d’indemnisation de « l’activité réduite » : le sens de l’assurance chômage en question (1983-2014)

Pages 61 à 81

Notes

  • [1]
    L’auteur remercie Mathieu Grégoire ainsi que les relecteurs anonymes pour leurs remarques qui ont beaucoup aidé à l’amélioration de ce texte.
  • [2]
    L’intérêt de cette expression par rapport à la notion de sous-emploi est double. D’une part, elle exprime clairement la situation de chômage qui est l’objet de cet article puisque nous nous intéressons exclusivement aux personnes qui travaillent et qui sont inscrites comme demandeurs d’emploi. La question des personnes en sous-emploi non inscrites n’est pas traitée. D’autre part, elle est construite comme le pendant de l’expression « emploi atypique ». De même que salarié et chômeur sont les deux faces d’une même pièce, être en emploi atypique et être en chômage atypique sont deux réalités indissociables.
  • [3]
    Sur notre période d’études, les augmentations ont été fortes entre 1990 et 1994, puis entre 2002 et 2005 et entre 2008 et 2009 (selon la définition du chômage BIT).
  • [4]
    Selon la définition établie par le BIT en 1982, est chômeur une personne sans emploi (qui a travaillé moins d’une heure durant la semaine de référence), disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours et qui a cherché activement dans le mois précédent. Cette définition est celle utilisée pour les comparaisons internationales.
  • [5]
    Nous laissons donc dans l’ombre les demandeurs d’emploi en activité réduite, mais non éligibles à l’assurance chômage.
  • [6]
    Pour être indemnisé, le chômage doit être involontaire, non saisonnier et total, « c’est-à-dire lorsqu’il entraîne un arrêt complet d’activité pour le travailleur privé d’emploi ». Règlement de la convention du 19 novembre 1985 relative à l’assurance chômage.
  • [7]
    Jusqu’en 2009, l’institution paritaire était constituée de l’Unédic – institution nationale – et des Assedic – institutions régionales. Cette situation a été modifiée par la loi du 13 février 2008 fusionnant l’ANPE et les Assedic.
  • [8]
    Cette publication a existé entre 1961 et 2009.
  • [9]
    Le nombre d’entretiens pour l’ensemble des travaux relatifs au service public de l’emploi est supérieur à 150.
  • [10]
    La convention du 14 avril 2017 a apporté une modification en matière d’activité relative au décompte du nombre de jours travaillés pour les contrats inférieurs à une semaine.
  • [11]
    L’ensemble des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi ne disposent pas d’une indemnisation par l’Unédic. S’ils ne remplissent pas les conditions d’affiliation ou s’ils ont épuisé leurs droits à indemnisation, les demandeurs d’emploi peuvent être éligibles à un de ces deux revenus assistantiels dont le versement dépend notamment du niveau de ressources du ménage : l’Allocation de solidarité spécifique (conditionnée également à une durée de cotisation préalable) ou le Revenu de solidarité active (RSA). Ces deux allocations ouvrent également des possibilités de cumul selon le temps de travail, le salaire et la durée du contrat repris.
  • [12]
    À partir de 2001, la réglementation est directement inscrite dans l’accord d’assurance chômage.
  • [13]
    Certes, dès 1962, une possibilité de cumuler revenu du travail et allocation est ouverte, mais à titre dérogatoire.
  • [14]
    Source : Acoss-Urssaf.
  • [15]
    M. Barlet et al. (2014), « Entre 2000 et 2012, forte hausse des embauches en contrats temporaires mais stabilisation de la part des CDI dans l’emploi », Dares analyses, juillet 2014, n° 56.
  • [16]
    Il est composé « des personnes qui ne satisfont pas à toutes les conditions pour être classées « chômeur » alors que leur situation s’apparente à du chômage » [Cézard, 1986].
  • [17]
    Cette modification a fait l’objet de critiques dans la mesure où elle ampute de la catégorie 1 (qui est la seule commentée) ceux qui cherchent un CDI à temps plein mais ont travaillé plus de 78 heures.
  • [18]
    Conformément à une circulaire de l’ANPE de mars 1992.
  • [19]
    Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, « Activité des instances paritaires des Assedic en 1985 », n° 103.
  • [20]
    Le salaire de référence est le salaire à partir duquel est calculée l’allocation. Il est obtenu à partir des rémunérations perçues au cours de la période de référence.
  • [21]
    Une série de dispositions pour mettre en place l’automaticité de la couverture sont prises entre 1983 et 1986.
  • [22]
    Ne disposant pas de données construites à partir de conventions identiques sur la période 1986-2014, nous avons privilégié la présentation de données récentes. L’activité réduite selon la définition de l’Unédic fait l’objet d’une comptabilisation dès 1986.
  • [23]
    Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, « Activité des instances paritaires des Assedic en 1985 », n° 103.
  • [24]
    Ces modifications sont intervenues en 1985, 1986, 1988, 1990, 1994, 1997, 2001, 2004, 2006, 2009 et 2014.
  • [25]
    Cette règle est introduite en 1986. Auparavant, lorsqu’il était en activité réduite, l’allocataire cotisait « pour rien ». Cette disposition est également destinée à inciter les allocataires à déclarer les périodes de reprises d’emploi à un moment où les systèmes d’information ne permettent pas les recoupements qui existent aujourd’hui.
  • [26]
    Les calculs sont identiques en cas de perte d’un contrat à temps partiel. Les chances d’être indemnisés dans le cadre de l’activité réduite sont seulement moindres, car il y a davantage de chance que l’écart entre salaire entre l’emploi perdu et l’emploi repris ne soit pas suffisant pour ouvrir un droit à indemnisation.
  • [27]
    Un quatrième paramètre a existé à plusieurs reprises : un coefficient tantôt majorateur, tantôt minorateur (en fonction des périodes et des profils des allocataires) était appliqué au ratio entre salaire d’activité et salaire journalier de référence pour calculer le nombre de jours de décalage qui étaient des jours pendant lesquels l’allocataire n’était pas indemnisé.
  • [28]
    Plus précisément : ce seuil était fixé à 50 heures en 1983, 78 heures en 1986. Supprimé entre 1988 et 1995, il est porté à 136 heures en 1995 et abaissé à 110 heures en 2006.
  • [29]
    Le premier seuil est fixé en 1985 à 50/169e des rémunérations mensuelles antérieures, il passe à 47 % en 1988, puis à 70 % en 1997 pour ne plus bouger ensuite.
  • [30]
    La durée maximale de cumul passe de 4 mois en 1985 à 18 mois en 1994. Elle est à nouveau limitée à 15 mois en 2006 avant d’être supprimée en 2014. Depuis 1983, cette limitation de durée ne s’est jamais appliquée aux allocataires de plus de 50 ans. Ceci au regard de leurs chances plus faibles de retourner à l’emploi, mais également parce que ce serait un moyen de réaliser des économies (pour des allocataires indemnisés en moyenne beaucoup et longtemps).
  • [31]
    La plupart des États membres ont des dispositifs de cumul entre allocation et revenu d’activité. Pour ne citer que quelques exemples, en Allemagne et en Autriche, le cumul est intégral à condition de ne pas dépasser un seuil d’heures travaillées. Au Royaume-Uni et en Espagne, l’indemnisation est réduite en fonction du montant de revenu déclaré. L’Italie fait exception, puisque la reprise d’une activité rémunérée, quelle que soit sa durée, met fin à l’indemnisation [Ourliac, 2017].
  • [32]
    Jusqu’à ce qu’elles soient poussées à leur paroxysme en 2009 avec la règle : un jour cotisé ouvre droit à un jour indemnisé dans la limite de 24 mois.
  • [33]
    Dans la mesure où nous bornons notre période d’étude en 2014, nous n’intégrons pas à l’analyse le remplacement de la cotisation salariale par l’impôt (en l’occurrence la contribution sociale généralisée).
  • [34]
    Circulaire n° 2014-26 du 30 septembre 2014.
  • [35]
    L’enquête réalisée auprès des allocataires par l’Unédic confirme leur méconnaissance du dispositif [Unédic, 2012].
  • [36]
    Le non-recours à l’assurance chômage (toutes catégories de chômage confondues) ne fait pas l’objet d’estimations chiffrées. Quant au non-recours en matière d’activité réduite, il a été abordé de manière incidente dans le cadre d’une étude visant à déterminer l’existence d’effets de seuil [Gonthier et Le Barbanchon, 2016].
  • [37]
    Cette vigilance existe également de longue date sur le chômage partiel où des dispositions ont été prises pour éviter une utilisation opportuniste du dispositif par les entreprises.
  • [38]
    Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, n° 103.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    3 % des personnes embauchées constituent la moitié de la réembauche. Entre 3 et 5 % des heures de travail ont été effectuées dans le cadre de réembauche en 2012 [Benghalem, 2016].
  • [41]
    Nous parlons de coût potentiel dans la mesure où ces contrats seraient coûteux si les règles restaient inchangées, mais justement, faute de ressources suffisantes, les règles ont été modifiées dans le sens d’une dégradation de la couverture indemnitaire qui a permis de contenir les dépenses.

1 – Introduction

1 Les travaux sur l’histoire du chômage et sa couverture ont montré le caractère indissociable des statuts de chômeur et de salarié. Être chômeur privé involontairement et transitoirement d’un emploi et être salarié sont les deux faces distinctes d’une même pièce [Salais et al., 1986 ; Topalov, 1994] [1]. Ceci a également pour conséquence d’asseoir la distinction entre actif et inactif. L’indemnisation du chômage par une institution de protection sociale, bien que tardive en France puisque datant de 1958, vient reconnaître le chômage comme risque social et le couvrir [Ewald, 1986]. Or, dès les années 1980, les catégories de chômage et d’emploi et l’institution d’indemnisation se trouvent déstabilisées par l’installation du chômage de masse et le développement des formes particulières d’emploi. Les réflexions politiques et syndicales comme les travaux de recherche ont davantage porté sur le développement des formes atypiques d’emploi que sur les évolutions relatives au chômage, alors même que l’emploi stable (en CDI ou dans la fonction publique) reste la situation très largement majoritaire parmi les salariés. En revanche, le corollaire de la multiplication des nouvelles formes d’emploi, à savoir le développement du « chômage atypique » [2] reste, lui, dans l’ombre malgré son importance numérique. Les expériences du chômage se sont pourtant très largement multipliées et diversifiées [Demazière, 2006]. Quantitativement, le chômage a connu plusieurs périodes de fortes augmentations [3]. Du point de vue de sa couverture indemnitaire, il peut être pris en charge par des dispositifs d’assurance (l’Unédic), de solidarité (l’allocation de solidarité spécifique) ou d’assistance (le RMI devenu RSA). Il revêt des formes diverses : de longue durée, partiel, récurrent, etc. D’ailleurs, les conventions statistiques pour le dénombrer sont multiples et de nouvelles définitions viennent s’ajouter à la définition du chômeur par le Bureau international du travail [4].

2 Notre article porte sur un segment du « chômage atypique » : l’activité réduite telle que définie par le régime d’assurance chômage [5]. Ce dispositif d’indemnisation du chômage permet de cumuler salaire et allocation de chômage au cours d’un même mois. Il est marqué par une tension : alors qu’il ouvre la possibilité que les situations d’emploi et de chômage indemnisé soient simultanées et non pas exclusives, il prend pour référence la situation de « chômage total » selon l’expression en usage dans le régime d’assurance chômage [6]. Si l’attachement à la référence au chômage total s’explique par le fait qu’il s’agissait jusqu’alors d’une condition pour ouvrir un droit à l’indemnisation, cette tension invite à interroger ce qui justifie l’indemnisation dans le cadre de l’activité réduite.

3 Dans l’ensemble, l’analyse du fonctionnement et des registres de justification de l’institution d’indemnisation du chômage fait l’objet de peu de travaux en sciences sociales. Elle est plus souvent étudiée comme dispositif de politique publique avec un angle évaluatif. Cela est particulièrement vrai pour l’activité réduite. Les travaux existants sont des études économétriques qui cherchent à évaluer le caractère incitatif de ces dispositifs, en France [Gurgand, 2009 ; Lalive et al., 2008 ; Granier et Joutard, 1999 ; Fremigacci et Terracol, 2014 ; Gonthier et Lebarbanchon, 2016] ou à l’étranger [Kyyra, 2010 ; Lalive et al., 2008]. D’autres s’interrogent sur la qualité de l’emploi retrouvé après un passage par l’activité réduite [Fontaine et Rochut, 2014] ou cherchent à construire des typologies de trajectoires de demandeurs d’emploi passés par l’activité réduite [Issehnane et al., 2016 ; Gonthier et Vinceneux, 2017]. Seul le travail maintenant ancien de Tuchszirer [2000], qui propose une réflexion autour des effets de l’activité réduite sur la norme d’emploi, n’est pas évaluatif.

4 À partir d’une étude de la réglementation de l’activité réduite dans son contexte (cf. encadré 1), cet article traite une dimension restée dans l’ombre : les justifications de l’indemnisation de ces situations de chômage et leurs évolutions.

Encadré 1. Méthodologie

Notre article développe une analyse de l’évolution des droits des demandeurs d’emploi indemnisés en situation d’activité réduite. Il s’appuie pour cela sur une étude de la réglementation de 1983 à 2014. L’indemnisation du chômage en France est confiée à l’Unédic [7], une institution paritaire dotée d’un pouvoir d’élaboration réglementaire [Kerschen, 1997], avec un mécanisme d’agrément de la réglementation par le gouvernement. Le corpus de documents réglementaires se compose de textes de différentes natures : les accords négociés et signés par les représentants des organisations syndicales et patronales pendant la période étudiée, les délibérations et circulaires produites par l’Unédic pour les faire appliquer. Le travail d’interprétation de la réglementation s’est également appuyé sur la consultation de l’ensemble des Bulletins statistiques mensuels[8]. Outre des statistiques générales utiles à la contextualisation, cette publication de l’Unédic présente l’évolution de la réglementation de l’activité réduite et de son application par les instances paritaires ainsi que des données chiffrées sur le nombre de demandeurs d’emploi concernés. La compréhension de cette réglementation s’appuie enfin sur notre connaissance de l’institution d’indemnisation acquise au cours de travaux antérieurs [Higelé et al., 2018] initiés par la réalisation d’une thèse CIFRE au sein de la direction des Affaires juridiques de l’Unédic [Vivés, 2013]. Pour ces travaux sur les évolutions de la couverture du chômage et de la place de l’institution d’indemnisation au sein du service public de l’emploi, de nombreux entretiens [9] ont été réalisés entre 2008 et 2017 avec des salariés de l’Unédic, des représentants syndicaux et patronaux qui y siègent, et des agents du service public de l’emploi.

5 Notre travail porte sur la période allant de 1983 à 2014. Si le dispositif existe depuis 1962, à partir de 1983 les possibilités de cumul ne sont plus dérogatoires, mais entrent dans le droit commun de l’assurance chômage. 2014 est la date d’adoption des dernières modifications réglementaires importantes de l’activité réduite [10]. Au cours de cette période, l’activité réduite connaît un développement massif du point de vue quantitatif (cf. graphique 2). À partir d’un travail socio-historique d’analyse du dispositif d’activité réduite, cet article étudie les règles d’indemnisation de ces situations de chômage atypique pour comprendre comment évoluent les représentations du chômage lorsqu’il est indemnisé.

6 Notre analyse de l’activité réduite se déploie en trois temps. Dans une deuxième partie, nous montrons que ce dispositif est marqué par une tension : il reconnaît et indemnise le chômage atypique, mais prend comme référence le chômage total. Dans un troisième temps, nous étudions les règles d’indemnisation de l’activité réduite pour montrer que le fonctionnement de ce dispositif ne repose pas sur la couverture d’un risque social. Finalement, nous examinons les flous relatifs aux justifications de l’indemnisation dans le cadre du chômage atypique.

2 – L’activité réduite : indemniser l’emploi discontinu sans déstabiliser la couverture du chômage total

7 Cette première partie contextualise l’émergence du dispositif d’activité réduite. À partir de travaux de seconde main, nous explicitons des évolutions de l’emploi, du chômage et de leur catégorisation. L’apparition de formes dites atypiques d’emploi vient mettre en question ces catégories. L’activité réduite ouvre la possibilité d’indemniser partiellement certains allocataires en activité – qui deviennent donc simultanément chômeurs et travailleurs (cf. encadré 2) – mais la situation à indemniser reste pensée comme une déclinaison de la situation de chômage total.

Encadré 2. Définition de l’activité réduite

L’expression « activité réduite » est une catégorie indigène en usage au sein de l’institution d’indemnisation et de l’opérateur public qui peut prêter à confusion pour deux raisons. D’une part, elle semble qualifier une situation d’emploi alors qu’elle désigne une situation de chômage. À emploi occupé identique, un salarié ou un indépendant peut ou non être en activité réduite selon qu’il est inscrit ou non, et selon qu’il est indemnisable (c’est-à-dire éligible à l’indemnisation par l’Unédic) ou non [11]. D’autre part, il s’agit d’une catégorie administrative qui renvoie à une double situation : être inscrit comme demandeur d’emploi et exercer une activité professionnelle partielle (c’est-à-dire à temps partiel en CDD ou CDI ou sur une durée inférieure à un mois). Or, au sein de l’opérateur public de placement et de l’Unédic, le nombre de personnes entrant dans cette catégorie n’est pas identique dans la mesure où certains inscrits chez l’opérateur public travaillent, mais ne sont pas éligibles à l’indemnisation et donc n’entrent pas dans la catégorie de l’Unédic.
Les activités exercées qui donnent lieu à une inscription dans l’activité réduite recouvrent des situations très diverses au regard du nombre d’heures (du temps très partiel au temps plein) et du type de contrat (CDI, CDD, intérim, etc.). Il peut également s’agir dans le cas de l’Unédic d’activités non salariées.
Au sein de l’Unédic, l’activité réduite est un dispositif de cumul entre indemnisation et revenu du travail (salarié ou pas) au cours d’un même mois. Créé en 1962, le dispositif perd son caractère dérogatoire à partir de 1983. Si les règles de cumul restent établies par la Commission paritaire nationale [12], il n’est plus nécessaire pour les allocataires qui souhaitent en bénéficier de déposer un dossier devant la commission paritaire de l’Assedic.
Une autre spécificité de ce dispositif est que parmi les personnes décomptées comme relevant de l’activité réduite, certaines ne sont pas indemnisées. On parle alors d’« allocataires indemnisables non indemnisés ». Il s’agit d’inscrits à Pôle emploi qui disposent de droits à indemnisation, mais qui dépassent les seuils autorisés pour cumuler (cf. infra). Ils restent comptabilisés comme allocataires, mais ne sont pas indemnisés.

2.1 – La couverture du risque chômage repose sur l’assurance contre le chômage total

8 Les travaux sur la catégorie de chômage ont montré que sa construction par les « réformateurs sociaux » est indissociable de la salarisation [Topalov, 1987] et va de pair avec la standardisation du lien salarial appuyé sur les conventions collectives [Salais et al., 1986]. Le chômage vient assurer contre le risque de privation totale d’emploi et résulte de la mise au travail de manière continue des travailleurs qui s’inscrivent dans le salariat. Ce mouvement dépasse largement le cas français où l’achèvement de la reconnaissance et de la couverture du risque chômage intervient tardivement. En effet, c’est seulement en 1958 qu’une institution d’assurance chômage est créée. Lors de sa naissance, il est posé que l’indemnisation est réservée aux anciens salariés et que la seule situation couverte est le chômage total. Cet extrait de l’histoire officielle de l’institution le rappelle.

« Lors de la création du régime, la convention du 31 décembre 1958 posa comme principe fondamental l’incompatibilité entre l’exercice d’une activité professionnelle, salariée ou non, et le bénéfice des allocations. »
[Unédic, 1983, p. 145]
En 1958, est allocataire l’individu involontairement privé d’emploi et disponible pour rechercher et occuper un emploi qui remplit les conditions d’affiliation. Il reçoit un revenu de remplacement qui vient se substituer au revenu tiré de l’emploi perdu. L’indemnisation est une assurance sociale dans le sens où elle repose sur la reconnaissance du chômage comme risque social et où elle possède une dimension contributive (cf. infra). Cette notion de risque qui fonde la solidarité déplace la charge des accidents (accidents du travail, chômage, maladie) vers la société [Ewald, 1986]. Le chômage est considéré comme involontaire et donne lieu à une prise en charge mutualisée du risque de perte d’emploi. La reprise d’un emploi, quel qu’il soit, conduit à l’arrêt total de l’indemnisation [13].

2.2 – Le développement des formes atypiques d’emploi met en question la définition des catégories d’emploi et de chômage

9 Le choc pétrolier de 1973 marque l’entrée dans une « société de plein chômage » [Maruani, 2002]. Pour endiguer le chômage, des possibilités de plus en plus nombreuses ont été offertes aux employeurs de recourir à l’emploi dit « atypique » (à savoir principalement les contrats à durée déterminée (CDD) et l’emploi temporaire).

Figure 1

Formes particulières d’emploi et taux de chômage (1983-2014) (BIT)

Figure 1

Formes particulières d’emploi et taux de chômage (1983-2014) (BIT)

Source : Insee, enquêtes Emploi (calculs Insee)

10 Après une hausse marquée de la part des contrats temporaires dans l’emploi salarié dans les années 1980 et 1990, cette part s’est stabilisée autour de 13,5 % depuis le début des années 2000. Cependant, depuis cette date, une nouvelle évolution caractérise l’emploi salarié : la part des CDD dans les embauches augmente. En 2014, près de 9 embauches sur 10 se font en CDD. Cette augmentation s’explique notamment par le raccourcissement de la durée moyenne des contrats temporaires. En 2014, les CDD de moins d’un mois représentent 70 % des déclarations uniques d’embauche alors qu’ils en représentaient 48,3 % en 2000 [14]. La durée moyen des missions d’intérim est passée de 2 semaines mi-2001 à 1,7 semaine fin 2012 [15].

11 Le raccourcissement de la durée des contrats a pour effet un brouillage des catégories de chômage, d’emploi et d’inactivité. Pour saisir ces nouvelles réalités, les chercheurs et statisticiens ont fait évoluer les catégories statistiques. Ainsi, les premières estimations du « halo » [16] du chômage sont réalisées dans les années 1980 [Cézard, 1986]. Surtout, la mesure de la « demande d’emploi en fin de mois » (DEFM) réalisée par l’opérateur public gestionnaire de la liste des demandeurs d’emploi a été modifiée à deux reprises entre 1983 et 2014. La première modification [17] intervenue en 1995 crée trois catégories supplémentaires pour ceux qui ont exercé au moins 78 heures de travail dans le mois (cf. tableau 1). Jusqu’alors, le critère unique de classification était celui des caractéristiques de l’emploi recherché. Désormais, le critère de disponibilité est également intégré.

Tableau 1

Les catégories de chômage de 1995 à 2009

Type d’emploi recherché Activité réduite de 0 à 78 heures Activité réduite de plus de 78 heures
Emploi à durée indéterminée à temps plein Catégorie 1 Catégorie 6
Emploi à temps partiel Catégorie 2 Catégorie 7
Emploi à durée déterminée, saisonnier ou temporaire Catégorie 3 Catégorie 8
Autres catégories de demandeurs d’emploi
Catégorie 4 Demandeurs d’emploi en maladie, stage ou formation
Catégorie 5 Demandeurs d’emploi occupant un emploi
Dispensé de recherche d’emploi (DRE) Demandeurs d’emploi percevant leurs éventuels droits à indemnisation sans obligation de recherche effective d’emploi

Les catégories de chômage de 1995 à 2009

12 Cette réforme fait suite à un arrêt du Conseil d’État de juillet 1994 qui rappelle que les demandeurs d’emploi inscrits qui occupent une activité de plus de 78 heures par mois n’ont pas à figurer dans les statistiques du chômage [18] au motif qu’ils ne rempliraient pas la condition de disponibilité. La solution retenue dans la réforme de 1995 consiste à prendre en compte ces inscrits, mais à les sortir de la catégorie 1 qui est la plus médiatisée.

13 Une seconde réforme de la catégorisation statistique du chômage intervient en 2009, suite à une polémique au cours de la campagne présidentielle de 2007 sur la détermination du niveau du chômage. Au cours de ce débat, le Conseil national de l’information statistique (CNIS) a pris acte de l’impossibilité d’appréhender de manière satisfaisante à partir des « catégories « administratives » [existantes], les différences de situation des demandeurs d’emploi » [CNIS, 2008]. De nouvelles catégories ont été construites dans ce groupe de travail pour rapprocher catégories administratives et catégories statistiques. La nouvelle comptabilisation distingue cinq catégories de demandeurs d’emploi (cf. tableau 2).

Tableau 2

Les catégories du chômage depuis 2009

Catégorie Définition
A Personne sans emploi
B Personne ayant exercé une activité réduite de 78 heures maximum par mois
C Personne ayant exercé une activité réduite de plus de 78 heures par mois
D Personne sans emploi, qui n’est pas immédiatement disponible, non tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi (demandeur d’emploi en formation, en maladie, etc.)
E Personne pourvue d’un emploi, non tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi

Les catégories du chômage depuis 2009

14 Tous ceux inscrits dans les catégories A, B et C sont « tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi ». Dans cette nouvelle comptabilisation qui intègre la notion d’activité réduite, le type d’emploi recherché n’est plus le critère de classement déterminant, il est remplacé par l’obligation ou non de rechercher activement un emploi et la disponibilité du demandeur d’emploi.

15 Ces catégories accompagnent une transformation majeure du chômage : bien que les chômeurs en catégorie A – autrement dit en chômage total – restent majoritaires, le nombre des demandeurs d’emploi en activité réduite (catégories B et C) a augmenté de manière beaucoup plus marquée (cf. figure 2).

Figure 2

Demande d’emploi en fin de mois (DEFM) catégories A et BC (1996-2015) en France métropolitaine en base 100

Figure 2

Demande d’emploi en fin de mois (DEFM) catégories A et BC (1996-2015) en France métropolitaine en base 100

Source : Pôle emploi – Dares

16 Le fait même que ces catégories aient évolué illustre le fait qu’il n’y a pas un unique « vrai chiffre » du chômage mais que, comme le souligne Desrosières, la quantification passe d’abord par une phase d’élaboration de conventions qui instituent le phénomène avant l’opération de mesure qui n’est pas donc pas un simple enregistrement du réel [Desrosières, 2014]. L’importance des conflits autour de l’élaboration de ces catégories s’explique par la reconnaissance pour les groupes sociaux qui découle des opérations statistiques et des liens entre représentations du monde social et actions sur celui-ci [Pénissat, 2017].

17 Au cours de notre période d’étude, le chômage atypique est une réalité de plus en plus fréquente et saisie statistiquement de manière de plus en plus précise. Ces deux éléments sont indissociables des évolutions relatives à la manière de l’indemniser.

2.3 – L’activité réduite couvre l’emploi atypique en prenant le chômage total pour référence

18 L’activité réduite est une modalité d’indemnisation à laquelle sont éligibles certains des allocataires qui travaillent. Ce dispositif met fin aux situations où le fait de reprendre une activité, même très ponctuelle, avait pour conséquence de faire perdre le statut d’allocataire, et donc l’indemnisation.

19 Bien que ce dispositif ouvre la possibilité d’un cumul, l’Unédic insiste sur le fait que sa mission est d’indemniser le chômage total. Ainsi, dans un article du Bulletin de liaison de 1986 qui a vocation à

20

« rappel[er] les principes sur lesquels ce traitement [de l’activité réduite] est fondé [… il est précisé que], la vocation du régime d’assurance chômage est l’indemnisation du chômage total » [19].

21 Outre l’affirmation dans les textes, cette mission transparaît également dans les règles élaborées pour régir le cumul. Elles reposent sur deux fondements. Premièrement, l’allocataire dispose de droits à l’assurance chômage au titre de son statut de demandeur d’emploi. Comme un allocataire en chômage total, le fait d’avoir perdu son emploi, d’être inscrit comme demandeur d’emploi, de remplir les conditions de cotisations préalables, et de satisfaire aux obligations de recherche d’un emploi justifient l’indemnisation. Lui a cependant la particularité d’être en emploi. Ces deux situations d’emploi et de chômage qui étaient auparavant exclusives sont ainsi reconnues comme pouvant être simultanées. Deuxièmement, l’indemnisation perçue est un pourcentage de celle qu’il percevrait s’il était en chômage total. Le calcul de ce pourcentage résulte d’une mise en équivalence qui revient à créer une situation fictive où l’allocataire serait en chômage total certains jours du mois. Le cumul de l’allocation et du nouveau revenu ne peut être supérieur au salaire mensuel de référence [20]. L’allocation versée vient compléter le nouveau revenu pour s’approcher de l’ancien. Cette règle change le statut de l’indemnisation : conçue pour être un revenu de remplacement en cas de privation d’emploi, elle devient un revenu de complément qui s’ajoute à la rémunération d’une autre activité.

22 Ces fondements révèlent une tension entre la mise en place d’une couverture de certaines situations de chômage atypique et le fait de le faire en référence au chômage total. C’est en vertu de cet attachement à la norme de chômage total que l’indemnisation de l’activité réduite a été réglementée. À partir de 1983 [21], les règles encadrant le cumul entre salaire et allocation sont assouplies par les représentants des organisations syndicales et patronales (cf. encadré 2). Cette évolution est au cœur d’une autre tension entre le fait d’inciter les allocataires à reprendre des emplois discontinus de plus en plus nombreux et conserver la référence au chômage total pour préserver la norme d’emploi [Tuchszirer, 2000]. Entre 1986 [22] et 2014, le nombre et la part d’allocataires en activité réduite augmentent massivement, alors que le niveau des allocataires indemnisés sans activité est quasiment stable (cf. figure 3).

Figure 3

Répartition des allocataires indemnisables (1995-2014)

Figure 3

Répartition des allocataires indemnisables (1995-2014)

Champ : Allocataires indemnisables par l’Assurance chômage (ARE) en fin de mois, hors aides et formation
Source : Fichier national des allocataires (Unédic/Pôle emploi, échantillon au 1/10e cité in (Unédic, 2016)

23 Le brouillage des catégories d’emploi et de chômage se traduit dans l’indemnisation par l’activité réduite. Ce dispositif reconnaît la possibilité que ces deux situations auparavant considérées comme exclusives soient simultanées. Cependant, les règles qui l’encadrent sont marquées par un paradoxe : le cumul entre allocation et revenu d’activité est désormais autorisé, mais le calcul effectué revient à considérer que l’allocataire est en chômage total une partie du mois. Si le maintien de la référence au chômage total est destiné à ne pas ébranler complètement l’édifice de la couverture du risque chômage, il est nécessaire d’étudier plus finement les règles de l’activité réduite pour caractériser les situations indemnisées et leurs justifications.

3 – L’activité réduite : un dispositif incitatif qui rompt avec la couverture du chômage comme risque social

24 L’indemnisation de l’activité réduite vise une double incitation :

« Si les dérogations apportées à la règle du chômage total ont pour but d’éviter que l’allocataire renonce à occuper des emplois, même réduits ou provisoires, elles doivent aussi décourager celui-ci de s’installer dans une situation hybride de chômage et d’activité partielle qu’il n’appartient pas au régime d’indemniser [23]. »
Entre 1983 et 2014, les représentants syndicaux et patronaux qui négocient les conventions d’assurance chômage ont modifié à 11 reprises [24] les règles encadrant les modalités de cumul entre revenu du travail et allocation.

3.1 – L’activité réduite : une incitation à dégrader sa situation d’emploi

25 Avant d’exposer les modalités des incitations, il importe de rappeler que lors de sa mise en place, l’activité réduite vise à lutter contre le travail non déclaré et à inciter les allocataires à déclarer leurs activités reprises à une époque où les outils informatiques qui permettront ensuite de recouper les données n’existent pas.

26 Les incitations à exercer une activité réduite résident dans la possibilité même de cumuler allocation et revenu d’activité, et dans la définition de règles de cumul de plus en plus favorables et la prise en compte des cotisations versées dans l’exercice de l’activité réduite [25].

27 Les règles de cumul sont identiques, quels que soient le contrat perdu et la quotité travaillée par l’allocataire avant son inscription. Pour les présenter, nous prenons ici le cas d’un allocataire qui est inscrit suite à la perte d’un CDI ou CDD à temps plein [26]. Après un mois de chômage total, il accepte un emploi en CDI à mi-temps ou en CDD pour deux semaines. À la fin du mois, il perçoit en plus de son salaire un pourcentage de l’allocation qu’il recevait lorsqu’il était en chômage total. Dans ce dispositif, la situation de référence est l’emploi occupé avant l’inscription qui a déclenché l’indemnisation. Le pourcentage de l’allocation perçu dépend de l’écart entre le salaire de référence et le salaire de l’emploi repris. La perception de l’allocation dépend de l’écart entre emploi perdu et repris, ce n’est donc pas la situation de chômage atypique qui est couverte, mais la dégradation de la situation d’emploi qui est compensée par l’indemnisation partielle.

28 Si le mécanisme de versement d’un pourcentage d’allocation reste le même sur l’ensemble de la période, les modalités de calcul du cumul varient en fonction de trois seuils [27] : un seuil horaire, un seuil en rémunération et un seuil de durée. Si au moins un des trois seuils est dépassé, l’allocataire est inscrit et indemnisable, mais non indemnisé. Le seuil horaire définit la limite au-delà de laquelle l’activité n’est pas considérée comme réduite. Pour renforcer les incitations à reprendre une activité en augmentant les possibilités de cumul, le seuil a été dans l’ensemble rehaussé au fil de la période [28] jusqu’à être supprimé en 2014. Le seuil en rémunération est dépassé lorsque l’allocataire perçoit en paiement de l’activité exercée un revenu supérieur à un pourcentage établi du salaire journalier de référence. Pour renforcer l’incitation à exercer une activité réduite, il a également été relevé pour être fixé à 70 % en 1997 [29]. Le troisième seuil est la fixation d’une limite à la période de cumul autorisé. Pour inciter à l’exercice d’une activité réduite, la tendance générale a été de repousser le seuil jusqu’à le faire disparaître en 2014 [30]. À cela s’ajoute le fait que le mode de consommation des droits est en lui-même incitatif. L’allocataire consomme ses droits plus lentement, puisqu’il est indemnisé seulement certains jours dans le mois (cf. supra), ce qui lui donne la possibilité de percevoir une allocation partielle jusqu’à épuisement de ses droits pendant toute la période de cumul autorisée.

29 Ces différents mécanismes d’incitation ne sont pas propres à l’activité réduite, mais s’inscrivent au contraire dans une tendance forte des politiques d’emploi au niveau international. Depuis les années 1980-1990, dans une conjonction de transformations des rapports de force politiques, des profils des élites de l’emploi [Dubois, 2007] et des théories dominantes en sciences économiques, de nouvelles explications des causes du chômage occupent le devant de la scène [Colomb, 2012]. Les comportements individuels sont considérés depuis lors comme une des causes principales du chômage et l’« État social passif » est délégitimé. En matière d’intervention publique, selon la voie tracée par l’OCDE dès les années 1980 et poursuivie par l’Union européenne, cela s’est traduit par le mot d’ordre « make work pay » dont le corollaire est de rendre les situations non travaillées moins « attractives » [Dubois, 2007]. L’indemnisation du chômage – en dépit de variations importantes d’un État à l’autre dans la mesure où il ne s’agit pas d’une compétence de l’Union – est marquée par le développement de différents mécanismes d’incitations communs aux États membres : renforcement des contrôles, diminution des montants et durée d’allocations, développement de l’activité réduite [31]. Ces politiques d’intéressement au retour à l’emploi marquent une rupture avec la période où le chômage était considéré comme un risque social [Gautié, 2002]. En adressant des incitations à un agent rationnel et maximisateur, le dispositif lui assigne ainsi la responsabilité de sortir du chômage vers l’activité réduite, puis vers l’emploi normal. Dans cette approche, la situation de chômage résulte de comportements individuels et l’indemnisation n’est pas la couverture d’un risque, mais la contrepartie d’une recherche d’emploi. Quant à l’activité réduite, elle est une compensation pour inciter à l’occupation d’une situation d’emploi dégradée par rapport à l’emploi perdu.

3.2 – L’allocataire : un gestionnaire de capital ?

30 Dans la mesure où l’allocation versée à l’allocataire en activité réduite est un pourcentage de l’allocation qu’il percevrait s’il était en chômage total, la durée et le montant de l’allocation dépendent de l’évolution de l’indemnisation du chômage total. Parmi les transformations de l’indemnisation, les mutations de la contributivité touchent particulièrement l’activité réduite.

31 Depuis sa création, l’indemnisation du chômage répond à un principe de contributivité commun aux assurances sociales : l’accès à cette ressource financée par des cotisations mutualisées est réservé à ceux qui ont préalablement cotisé (logique de salaire socialisé). À la création de l’institution, la condition d’affiliation qui était de trois mois avait seulement pour but de vérifier le statut de salarié de l’allocataire. Cependant, à partir de 1982, ce principe contributif se transforme. Avec les réformes successives des filières d’indemnisation [32], le passé professionnel des allocataires (salaire, durée d’affiliation) conditionne de plus en plus l’allocation perçue et devient une barrière à l’entrée. Depuis la convention de 2009, le principe qui prévaut est celui de la stricte contributivité, c’est-à-dire qu’est introduite une correspondance entre cotisations versées et prestations perçues (logique de salaire différé) [Grégoire et Join-Lambert, 2017]. L’introduction d’une contributivité de plus en plus stricte constitue une mise en cause progressive du principe de mutualisation qui organisait la solidarité pour prendre en charge collectivement le risque social de chômage [Higelé et al., à paraître]. La stricte contributivité rompt avec l’idée de couverture d’un risque social et conduit à substituer à une logique de salaire socialisé une logique de salaire différé [33] [Higelé, 2009].

32 Dans le cas de l’activité réduite, cela a une double répercussion. Premièrement, sur le montant et la durée de l’allocation partielle perçue une fois que l’allocataire reprend un nouvel emploi, puisqu’ils sont strictement liés aux cotisations passées et qu’elle est un pourcentage de l’allocation en chômage total. Deuxièmement, sur les droits cumulés en activité réduite. La contributivité stricte conduit à ce que les droits accumulés dans un emploi discontinu soient réduits, et donc l’allocation à venir également. Il n’y a pas de mesure pour compenser la faiblesse des revenus, signe de la non-reconnaissance d’un risque social spécifique lié à l’emploi atypique. L’allocataire supporte individuellement les conséquences de la précarité.

33 Ces dispositions relatives à la contributivité, mais également le fait que l’activité réduite soit pensée comme un mécanisme d’incitation transforment le fonctionnement de l’assurance chômage qui s’apparente à une épargne individuelle dont disposerait un allocataire qui serait en situation d’optimiser sa consommation [Higelé, 2009]. La décision de travailler ou pas est présentée comme la réponse à une incitation. L’allocataire choisirait de jouer sur la vitesse de consommation de ses droits, en retravaillant ou pas, en fonction du stock de droits dont il dispose. Cette approche rompt avec celle d’une protection sociale qui protégerait contre un risque dont la survenue ne peut être imputée à l’individu. L’activité réduite parce qu’elle exacerbe les conséquences des transformations de la contributivité met en lumière les effets de cette tendance en vigueur dans l’ensemble de la protection sociale : ceux qui cotisent sur la base de « mauvais » emplois (à bas salaire, à temps partiel, de courte durée, etc.) sont allocataires de « petits » droits. La cotisation ne vient plus attester d’une affiliation, mais fonder un droit proportionnel.

3.3 – Une incitation à retourner à l’emploi « normal »

34 Le deuxième objet d’incitation vise à faire reprendre à l’allocataire un emploi « normal ». Cet objectif est crucial pour l’institution d’indemnisation dans la mesure où celle-ci met en place l’activité réduite pour réduire ses dépenses d’indemnisation, mais ce dispositif pourrait avoir l’effet inverse si les allocataires restent en activité réduite plus longtemps qu’il ne leur faudrait pour passer du chômage total à l’emploi « plein ». Pour les inciter à sortir vers l’emploi « normal », la situation d’activité réduite ne doit pas être trop avantageuse, ce qui entre en tension avec l’objectif précédent d’inciter à l’entrée dans le dispositif.

35 Pour inciter à sortir vers l’emploi « normal », le niveau de rémunération atteint lorsque l’allocataire cumule revenu de l’activité réduite et allocation ne doit pas dépasser le seuil en rémunération précédemment évoqué. Il s’agit d’éviter les « trappes à inactivité partielle », autrement dit les situations où l’allocataire jugerait plus avantageux le cumul qu’un emploi « normal ». La difficulté à qualifier cet emploi est significative du brouillage qui s’opère. En effet, dans la mesure où l’indemnisation en activité réduite dépend de l’écart entre emploi perdu et emploi repris (cf. supra), les caractéristiques de l’emploi repris qui ne donne pas lieu à la perception d’une indemnisation ne peuvent être définies a priori et dépendent également des caractéristiques de l’emploi perdu. Du point de vue de l’assurance chômage, l’incitation ne porte pas tant sur la reprise d’un emploi « normal » que sur la reprise d’un emploi dont la rémunération est proche ou supérieure à celle de l’emploi perdu.

36 Un autre levier était destiné à inciter au retour à l’emploi « normal » : la limitation de durée de cumul. Non seulement cette limitation a diminué puis disparu, mais depuis la création des droits rechargeables l’allocataire peut théoriquement être indemnisé en continu. Créés par l’Accord national interprofessionnel de janvier 2013 et inscrits dans la convention d’assurance chômage de 2014, les droits rechargeables consistent à abaisser le seuil de droits acquis en activité réduite nécessaires à l’ouverture d’un nouveau droit (à 150 heures et non plus 4 mois comme pour une première admission). Ils modifient également la consommation des droits en versant le droit ouvert jusqu’à épuisement. L’allocataire recharge alors ses droits acquis pendant la période retravaillée et débute une nouvelle indemnisation s’il a cotisé plus de 150 heures. Le principe incitatif qui sous-tend les droits rechargeables est qu’aucune cotisation n’est perdue, que tous les droits accumulés peuvent être consommés si nécessaire. Pour les organisations signataires, il s’agit ainsi de « soutenir plus longuement les bénéficiaires en vue de l’aboutissement de leurs efforts de recherche d’emploi » [34]. Le rôle de revenu de complément de l’activité réduite est entériné et il peut devenir permanent. Le mécanisme est similaire au RSA activité que Lafore décrit comme une « subvention publique » aux travailleurs pauvres [Lafore, 2009]. La différence réside ici dans le fait que la « subvention » est financée par des cotisations. Autrement dit, le salaire socialisé finance une compensation aux faibles rémunérations liées au sous-emploi.

37 Dans l’ensemble, bien qu’élaborées pour être incitatives, les règles de l’activité réduite sont surtout très complexes et changent fréquemment [35]. On peut faire l’hypothèse que ceci a deux conséquences. Premièrement, les allocataires renoncent à reprendre un emploi parce qu’ils ignorent la possibilité de cumul et les conditions. Faute d’être compréhensibles, les règles n’ont pas d’effet incitatif. Deuxièmement, par ignorance des possibilités de cumul, un allocataire cesse de s’inscrire comme demandeur d’emploi lorsqu’il reprend une activité partielle. Il n’est alors pas considéré comme étant en activité réduit bien qu’il y soit éligible. Alors que cette problématique du non-recours est discutée pour le RSA activité [Okbani, 2014], elle reste marginale concernant l’allocation chômage [36].

38 L’activité réduite repose sur un double mécanisme d’incitation. Une incitation à reprendre une activité partielle lorsqu’on est indemnisé qui est devenue de plus en plus forte. Une incitation à sortir vers l’emploi « normal » qui a eu tendance à s’affaiblir. À l’opposé de la prise en charge mutualisée du risque social qui assurait un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi, l’activité réduite est une incitation financière pour que l’allocataire accepte une dégradation de sa situation d’emploi. Combinée au développement de la contributivité stricte, l’activité réduite met l’allocataire en position de gérer un capital de droits à indemnisation qui peut, depuis 2014, être continuellement alimenté et ne jamais s’épuiser. Couplée au fait que la perception de l’indemnisation dépend des cotisations passées et de l’emploi perdu, cette caractéristique conduit à rendre difficile l’identification de ce qui justifie la couverture assurantielle du chômage.

4 – Les flous de l’activité réduite conduisent à une couverture parcellaire du chômage atypique

39 L’analyse des caractéristiques réglementaires de l’activité réduite nous a permis de montrer que l’activité réduite indemnise une situation de chômage, mais ne fonctionne pas comme la couverture d’un risque social et qu’il est difficile d’identifier ce qui justifie l’indemnisation. Deux éléments contribuent à ce flou : l’ambivalence de l’institution d’indemnisation vis-à-vis de sa mission historique de régulation du marché du travail et l’absence de marges de manœuvre financières pour couvrir un nombre croissant de situations de chômage atypique.

4.1 – La mission de l’Unédic de régulation du marché du travail partiellement abandonnée au nom de l’insertion

40 Historiquement, pour le mouvement ouvrier, les assurances sociales contre le chômage sont un secours apporté aux chômeurs et un outil d’intervention pour réguler le marché du travail. Dès le xix e siècle, la création des fonds d’assurance chômage en Angleterre vise à donner la capacité aux membres de ces fonds de refuser un emploi moins qualifié ou rémunéré à un taux inférieur à celui de la convention collective. Cette assurance vise à protéger contre la privation d’emploi, mais également contre les mauvais employeurs [Topalov, 1994]. En France, cette mission est d’autant plus complexe que les pouvoirs publics et les organisations syndicales ne s’accordent ni sur les objectifs ni sur l’organisation de la régulation du marché du placement et de l’indemnisation [Luciani, 1990]. Plus tardivement, lorsque l’indemnisation du chômage est confiée en 1958 à une institution paritaire, elle se donne une mission de régulation malgré des désaccords. La partie patronale partage l’ambition de réguler le marché du travail afin de régler la concurrence entre les entreprises en évitant une « utilisation opportuniste [du dispositif] par les entreprises pour « socialiser » la charge de l’abaissement de leur coût salarial » [Freyssinet, 2010]. Côté syndical, les organisations cherchaient à contenir le développement de l’emploi précaire. Les deux parties ont donc eu une raison commune de contrôler le développement de l’activité réduite.

41 Cependant, avec le développement de l’emploi atypique et du chômage, les organisations gestionnaires de l’assurance chômage font face à un dilemme. Soit l’Unédic, conformément à son refus de compléter les salaires (partiels en raison de l’emploi discontinu), ne propose pas de forme de couverture du sous-emploi, ce qui pourrait avoir pour conséquence de conduire les allocataires à s’enfermer dans le chômage de longue durée, soit l’Unédic le couvre et elle accompagne la précarisation, puisqu’elle encourage la reprise d’emplois précaires et donc leur banalisation et leur développement.

42 Depuis 1983, les représentants syndicaux et patronaux signataires des conventions d’assurance chômage ont progressivement choisi d’assurer le sous-emploi. L’activité réduite apporte un complément de revenu à l’allocataire qui accepte un emploi dégradé au motif que cet emploi serait une voie d’accès à l’emploi stable. Les effets d’affaiblissement de la norme d’emploi sont donc présentés comme un mal nécessaire au nom de l’insertion par et dans l’emploi. Cette tension entre l’insertion attendue de l’activité réduite et ses effets d’affaiblissement sur la norme d’emploi apparaît très clairement dans cet article de Domergue dont on peut considérer qu’il porte la position de l’institution dans la mesure où il est signé en tant que membre de la direction générale de l’Unédic.

43

« L’exercice d’une activité accessoire, occasionnelle ou à temps réduit permet au chômeur de garder un contact avec un milieu de travail, ce qui est un facteur propice à sa réinsertion et pour le moins propre à éviter l’exclusion. Le soutien apporté, dans ces conditions, par l’assurance chômage à un demandeur d’emploi entre pleinement dans ses missions. En même temps, on ne peut cacher que ce type d’intervention de l’assurance chômage, parce qu’il atténue les conséquences de l’exercice d’emplois précaires, participe à la banalisation de ces emplois, et ainsi en facilite le développement. »
[Domergue, 1998]

44 Si la prise en charge de l’activité réduite témoigne du fait que l’institution ne cherche pas à supprimer l’emploi qui s’écarte de la norme du CDI à temps plein ni même à limiter son développement, elle ne prévoit pas non plus de prendre en charge la discontinuité (temps partiels et contrats courts) de manière systématique. Les ambivalences de l’institution vis-à-vis de la régulation sont perceptibles à travers le cas de la réembauche. Depuis la création de l’institution d’indemnisation, une vigilance particulière se manifeste pour éviter que l’assurance chômage ne vienne se substituer aux employeurs en matière de paiement du salaire [37]. En 1986 déjà, l’activité réduite est définie comme possible

45

« dans le cas où, postérieurement à un licenciement, l’entreprise fait appel à un ancien salarié pour lui proposer d’accomplir temporairement quelques heures de travail [… mais] elle ne doit pas par contre avoir pour effet de permettre à des entreprises, par un détournement de la réglementation, de réduire le temps de travail du salarié » [38].

46 Pour vérifier, toute demande d’indemnisation de l’activité réduite pour une activité reprise dans l’entreprise précédemment employeuse est obligatoirement examinée par la commission paritaire [39]. Ces contrôles ont progressivement disparu et aujourd’hui, rien n’empêche une indemnisation, dont des études montrent qu’elle a lieu, même s’il s’agit d’un phénomène concentré sur un nombre réduit d’entreprises et de demandeurs d’emploi [40] [Benghalem, 2016]. Si on interprète la réembauche comme une prise en charge d’une partie du salaire par l’assurance chômage, elle peut faire l’objet de deux interprétations qui sont deux manières de lire le même complément de revenu apporté par l’indemnisation. Cela peut être vu comme une externalisation de la flexibilité ou comme une socialisation du salaire. Dans le premier cas, on considère que l’assurance chômage paie la flexibilité bénéficiant à l’employeur qui choisit de minimiser ses frais de main-d’œuvre en ne payant le salarié que pour les périodes où il en a besoin. Dans le second, on considère qu’il y a socialisation du salaire, puisque la rémunération entre les contrats (certes sous forme d’allocation inférieure au revenu salarial) est assurée par les cotisations mutualisées selon une logique proche de l’indemnisation des intermittents du spectacle [Grégoire, 2013].

47 Si l’activité réduite témoigne de l’abandon de la préservation de la norme d’emploi, il apparaît également que les signataires n’ont pas inscrit dans les conventions de dispositions pour prendre en charge systématiquement l’emploi discontinu, ce qui conduit à ce que la couverture du chômage lié à ces emplois dépende des trajectoires passées des allocataires. La situation financière de l’assurance chômage peut en partie expliquer ces positions.

4.2 – Le refus de financer la couverture du risque d’emploi discontinu

48 Une question est significative du flou dans les fondements de l’activité réduite : s’agit-il d’une mesure d’économie ou de dépense ? Économie au regard des allocations non versées les jours où l’allocataire n’est pas indemnisé et touche ses revenus d’activité. Dépense si on considère le coût de l’indemnisation du cumul et l’accumulation de nouveaux droits pendant les périodes travaillées. Une certitude : l’augmentation des formes particulières d’emploi et le raccourcissement de la durée des contrats représentent un coût potentiel [41] important pour l’assurance chômage. En 2014, les dépenses d’indemnisation versées aux allocataires des catégories B et C représentent 20 % des dépenses totales d’indemnisation – et 12 % si on intègre seulement les dépenses pour les allocataires du régime général [Gonthier et Vinceneux, 2017, p. 12]. Les réflexions et les négociations sur les paramètres de l’activité réduite se déroulent sur l’ensemble de la période dans un contexte budgétaire présenté comme contraint. Dans l’Union européenne, les deux orientations saillantes des politiques d’emploi que sont la réduction des dépenses et le développement des politiques d’activation [Dubois, 2007], sont directement lisibles en France dans l’évolution des dépenses d’assurance chômage. Alors que le risque chômage a fortement augmenté, particulièrement pour les catégories B et C (cf. supra), le taux de cotisation est resté stable depuis 2003 (à 6,40 %), sachant qu’il n’a jamais retrouvé son niveau de 1993 (à 6,60 %). Le patronat a réussi à faire sortir ce point du champ du négociable et utilise la dette du régime, présentée régulièrement comme insoutenable, comme un moyen de pression pour diminuer les dépenses et donc les droits à indemnisation. Faute de parvenir à négocier le taux de cotisation au niveau interprofessionnel, les organisations syndicales se sont rabattues sur la revendication de modulation des cotisations destinées à faire supporter aux entreprises une partie du coût de l’emploi précaire. Outre le fait que l’opposition patronale farouche a très bien porté ses fruits, ces modulations ne sont pas de nature à modifier sensiblement les recettes du régime [Higelé et al., 2018].

49 De ce fait, loin de reconnaître un risque nouveau de discontinuité de l’emploi, le gel des taux de cotisation bloque la possibilité de disposer de ressources supplémentaires pour faire face à des besoins qui augmentent. Ceci conduit donc à développer une couverture parcellaire du chômage atypique. La conséquence plus générale est d’empêcher toute réforme d’ampleur, ce qui explique par exemple que la référence au chômage total perdure faute de pouvoir fonder l’indemnisation sur d’autres bases.

5 – Conclusion

50 L’analyse de l’activité réduite comme dispositif d’indemnisation du chômage qui permet de cumuler revenu de l’indemnisation et du travail éclaire les flous contemporains de la définition du chômage et de son traitement. Le fonctionnement de cette modalité d’indemnisation est traversé de tensions, voire de contradictions. L’activité réduite est un dispositif qui indemnise des situations de chômage atypique en prenant le chômage total pour référence. Alors qu’elle est destinée à reconnaître des situations où l’allocataire est simultanément en emploi et au chômage, l’activité réduite repose pourtant sur la reconstitution d’une alternance emploi/chômage fictive au cours de laquelle l’allocataire serait successivement en « emploi total » et en « chômage total ». L’allocataire a une obligation de recherche d’emploi, alors même qu’il en exerce déjà un. Il est posé comme étant en chômage involontaire, mais soumis à des mécanismes d’incitation laissant paraître qu’il lui appartient de changer de situation. Le dispositif est voulu par les gestionnaires du régime comme un tremplin vers l’emploi normal, mais l’allocataire peut désormais être indemnisé en continu, ce qui pose la question de l’enfermement dans l’emploi dégradé. Alors que l’assurance chômage s’était donné historiquement une mission de régulation du marché du travail qui passait par la préservation de la norme d’emploi, l’allocation devient un revenu de complément à des emplois discontinus – pour une activité qui peut même être non salariée. Ces tensions mettent en lumière les difficultés à identifier les justifications du droit à indemnisation lorsqu’un allocataire travaille.

51 Une autre dimension du trouble causé par l’activité réduite réside dans le caractère inégal de la couverture du sous-emploi, parce qu’elle n’est pas systématique. La perte d’un même emploi peut ouvrir droit ou pas à un complément de revenu sous forme d’indemnisation, en fonction des emplois précédemment occupés par l’allocataire potentiel. Les représentants des organisations syndicales et patronales s’opposent à une couverture systématique de l’emploi discontinu. D’une part pour ne pas encourager le développement de ce type d’emploi, alors même que l’activité réduite est taxée d’avoir abandonné la mission de régulation du marché du travail de l’assurance chômage. D’autre part pour que l’assurance chômage ne vienne pas se substituer aux employeurs dans le paiement du salaire (en cas de réembauche notamment).

52 Plus largement, ces flous et ces tensions sont significatifs de l’absence de vision politique partagée de la couverture du chômage et de l’absence de financements pour le couvrir. La montée en puissance de la contributivité stricte couplée à l’approche en termes d’incitations à sortir du chômage actent la disparition de la conception du chômage comme risque social, qu’il s’agisse de couvrir le chômage total ou un risque social spécifique lié à l’emploi discontinu. Il en résulte que le risque pèse individuellement sur le demandeur d’emploi. Il lui revient d’optimiser la gestion de son capital de droits et de sortir vers l’emploi normal, faute de quoi il est condamné à disposer de ressources financières plus faibles.

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Mots-clés éditeurs : risque, politiques d’emploi, formes particulières d’emploi, protection sociale, chômage

Date de mise en ligne : 25/05/2018

https://doi.org/10.3917/rfse.020.0061

Notes

  • [1]
    L’auteur remercie Mathieu Grégoire ainsi que les relecteurs anonymes pour leurs remarques qui ont beaucoup aidé à l’amélioration de ce texte.
  • [2]
    L’intérêt de cette expression par rapport à la notion de sous-emploi est double. D’une part, elle exprime clairement la situation de chômage qui est l’objet de cet article puisque nous nous intéressons exclusivement aux personnes qui travaillent et qui sont inscrites comme demandeurs d’emploi. La question des personnes en sous-emploi non inscrites n’est pas traitée. D’autre part, elle est construite comme le pendant de l’expression « emploi atypique ». De même que salarié et chômeur sont les deux faces d’une même pièce, être en emploi atypique et être en chômage atypique sont deux réalités indissociables.
  • [3]
    Sur notre période d’études, les augmentations ont été fortes entre 1990 et 1994, puis entre 2002 et 2005 et entre 2008 et 2009 (selon la définition du chômage BIT).
  • [4]
    Selon la définition établie par le BIT en 1982, est chômeur une personne sans emploi (qui a travaillé moins d’une heure durant la semaine de référence), disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours et qui a cherché activement dans le mois précédent. Cette définition est celle utilisée pour les comparaisons internationales.
  • [5]
    Nous laissons donc dans l’ombre les demandeurs d’emploi en activité réduite, mais non éligibles à l’assurance chômage.
  • [6]
    Pour être indemnisé, le chômage doit être involontaire, non saisonnier et total, « c’est-à-dire lorsqu’il entraîne un arrêt complet d’activité pour le travailleur privé d’emploi ». Règlement de la convention du 19 novembre 1985 relative à l’assurance chômage.
  • [7]
    Jusqu’en 2009, l’institution paritaire était constituée de l’Unédic – institution nationale – et des Assedic – institutions régionales. Cette situation a été modifiée par la loi du 13 février 2008 fusionnant l’ANPE et les Assedic.
  • [8]
    Cette publication a existé entre 1961 et 2009.
  • [9]
    Le nombre d’entretiens pour l’ensemble des travaux relatifs au service public de l’emploi est supérieur à 150.
  • [10]
    La convention du 14 avril 2017 a apporté une modification en matière d’activité relative au décompte du nombre de jours travaillés pour les contrats inférieurs à une semaine.
  • [11]
    L’ensemble des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi ne disposent pas d’une indemnisation par l’Unédic. S’ils ne remplissent pas les conditions d’affiliation ou s’ils ont épuisé leurs droits à indemnisation, les demandeurs d’emploi peuvent être éligibles à un de ces deux revenus assistantiels dont le versement dépend notamment du niveau de ressources du ménage : l’Allocation de solidarité spécifique (conditionnée également à une durée de cotisation préalable) ou le Revenu de solidarité active (RSA). Ces deux allocations ouvrent également des possibilités de cumul selon le temps de travail, le salaire et la durée du contrat repris.
  • [12]
    À partir de 2001, la réglementation est directement inscrite dans l’accord d’assurance chômage.
  • [13]
    Certes, dès 1962, une possibilité de cumuler revenu du travail et allocation est ouverte, mais à titre dérogatoire.
  • [14]
    Source : Acoss-Urssaf.
  • [15]
    M. Barlet et al. (2014), « Entre 2000 et 2012, forte hausse des embauches en contrats temporaires mais stabilisation de la part des CDI dans l’emploi », Dares analyses, juillet 2014, n° 56.
  • [16]
    Il est composé « des personnes qui ne satisfont pas à toutes les conditions pour être classées « chômeur » alors que leur situation s’apparente à du chômage » [Cézard, 1986].
  • [17]
    Cette modification a fait l’objet de critiques dans la mesure où elle ampute de la catégorie 1 (qui est la seule commentée) ceux qui cherchent un CDI à temps plein mais ont travaillé plus de 78 heures.
  • [18]
    Conformément à une circulaire de l’ANPE de mars 1992.
  • [19]
    Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, « Activité des instances paritaires des Assedic en 1985 », n° 103.
  • [20]
    Le salaire de référence est le salaire à partir duquel est calculée l’allocation. Il est obtenu à partir des rémunérations perçues au cours de la période de référence.
  • [21]
    Une série de dispositions pour mettre en place l’automaticité de la couverture sont prises entre 1983 et 1986.
  • [22]
    Ne disposant pas de données construites à partir de conventions identiques sur la période 1986-2014, nous avons privilégié la présentation de données récentes. L’activité réduite selon la définition de l’Unédic fait l’objet d’une comptabilisation dès 1986.
  • [23]
    Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, « Activité des instances paritaires des Assedic en 1985 », n° 103.
  • [24]
    Ces modifications sont intervenues en 1985, 1986, 1988, 1990, 1994, 1997, 2001, 2004, 2006, 2009 et 2014.
  • [25]
    Cette règle est introduite en 1986. Auparavant, lorsqu’il était en activité réduite, l’allocataire cotisait « pour rien ». Cette disposition est également destinée à inciter les allocataires à déclarer les périodes de reprises d’emploi à un moment où les systèmes d’information ne permettent pas les recoupements qui existent aujourd’hui.
  • [26]
    Les calculs sont identiques en cas de perte d’un contrat à temps partiel. Les chances d’être indemnisés dans le cadre de l’activité réduite sont seulement moindres, car il y a davantage de chance que l’écart entre salaire entre l’emploi perdu et l’emploi repris ne soit pas suffisant pour ouvrir un droit à indemnisation.
  • [27]
    Un quatrième paramètre a existé à plusieurs reprises : un coefficient tantôt majorateur, tantôt minorateur (en fonction des périodes et des profils des allocataires) était appliqué au ratio entre salaire d’activité et salaire journalier de référence pour calculer le nombre de jours de décalage qui étaient des jours pendant lesquels l’allocataire n’était pas indemnisé.
  • [28]
    Plus précisément : ce seuil était fixé à 50 heures en 1983, 78 heures en 1986. Supprimé entre 1988 et 1995, il est porté à 136 heures en 1995 et abaissé à 110 heures en 2006.
  • [29]
    Le premier seuil est fixé en 1985 à 50/169e des rémunérations mensuelles antérieures, il passe à 47 % en 1988, puis à 70 % en 1997 pour ne plus bouger ensuite.
  • [30]
    La durée maximale de cumul passe de 4 mois en 1985 à 18 mois en 1994. Elle est à nouveau limitée à 15 mois en 2006 avant d’être supprimée en 2014. Depuis 1983, cette limitation de durée ne s’est jamais appliquée aux allocataires de plus de 50 ans. Ceci au regard de leurs chances plus faibles de retourner à l’emploi, mais également parce que ce serait un moyen de réaliser des économies (pour des allocataires indemnisés en moyenne beaucoup et longtemps).
  • [31]
    La plupart des États membres ont des dispositifs de cumul entre allocation et revenu d’activité. Pour ne citer que quelques exemples, en Allemagne et en Autriche, le cumul est intégral à condition de ne pas dépasser un seuil d’heures travaillées. Au Royaume-Uni et en Espagne, l’indemnisation est réduite en fonction du montant de revenu déclaré. L’Italie fait exception, puisque la reprise d’une activité rémunérée, quelle que soit sa durée, met fin à l’indemnisation [Ourliac, 2017].
  • [32]
    Jusqu’à ce qu’elles soient poussées à leur paroxysme en 2009 avec la règle : un jour cotisé ouvre droit à un jour indemnisé dans la limite de 24 mois.
  • [33]
    Dans la mesure où nous bornons notre période d’étude en 2014, nous n’intégrons pas à l’analyse le remplacement de la cotisation salariale par l’impôt (en l’occurrence la contribution sociale généralisée).
  • [34]
    Circulaire n° 2014-26 du 30 septembre 2014.
  • [35]
    L’enquête réalisée auprès des allocataires par l’Unédic confirme leur méconnaissance du dispositif [Unédic, 2012].
  • [36]
    Le non-recours à l’assurance chômage (toutes catégories de chômage confondues) ne fait pas l’objet d’estimations chiffrées. Quant au non-recours en matière d’activité réduite, il a été abordé de manière incidente dans le cadre d’une étude visant à déterminer l’existence d’effets de seuil [Gonthier et Le Barbanchon, 2016].
  • [37]
    Cette vigilance existe également de longue date sur le chômage partiel où des dispositions ont été prises pour éviter une utilisation opportuniste du dispositif par les entreprises.
  • [38]
    Unédic, 1986-1987, Bulletin de liaison, n° 103.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    3 % des personnes embauchées constituent la moitié de la réembauche. Entre 3 et 5 % des heures de travail ont été effectuées dans le cadre de réembauche en 2012 [Benghalem, 2016].
  • [41]
    Nous parlons de coût potentiel dans la mesure où ces contrats seraient coûteux si les règles restaient inchangées, mais justement, faute de ressources suffisantes, les règles ont été modifiées dans le sens d’une dégradation de la couverture indemnitaire qui a permis de contenir les dépenses.

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