Notes
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[1]
Nous voulons remercier Florencia Fossa Riglos et Eugenia Muzi pour leur participation en tant qu’étudiantes d’anthropologie, ainsi que nos collègues Susana Grosso (ingénieur agronome) et José Muzlera (sociologue) pour leur aide précieuse.
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[2]
Les chiffres cités sont ceux de l’Institut statistique national argentin (INDEC) et du ministère de l’Économie et des Finances publiques.
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[3]
De 2009 à 2011, les taxes à l’exportation – retenciones – ont généré près de 6 milliards de dollars, soit 6 % des recettes totales du gouvernement.
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[4]
En 2003, les exportations d’oléagineux rapportaient 7,9 milliards de dollars, dont 7,2 milliards pour les seules graines de soja. En 2007, les premières étaient passées à 14,4 milliards de dollars et les secondes à 13,6 milliards. En comparaison, les exportations de l’industrie automobile rapportaient 1,8 milliard de dollars en 2003 et 6 milliards en 2007.
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[5]
Il s’agissait d’une semence créée par la firme multinationale Monsanto, résistante à l’herbicide à large spectre, le glyphosate, commercialisé sous le nom de Roundup par la même firme depuis 1974. Ce cultivar GM est communément appelé le soja RR (Ready Roundup).
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[6]
La pampa argentine est une vaste zone de plaine très fertile d’environ 28 millions d’hectares située au nord-ouest de Buenos Aires. Elle constitue le cœur de la production agricole argentine et concentre l’essentiel de la production du soja transgénique.
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[7]
La stratégie de Monsanto et des autres entreprises transnationales en vue d’empêcher ce marché « noir » a connu différentes étapes liées non seulement aux rapports de force entre les acteurs en conflit, mais aussi aux capacités des uns et des autres à établir des alliances et construire des lobbys, aussi bien sur le plan national qu’international (OMC, EU, MERCOSUR), pour soutenir leurs intérêts respectifs. Voir sur ce point Pérez [2007] ; Hernández [2015] ; Delvenne et al. [2013] ; Pellegrini [2013].
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[8]
Les producteurs familiaux qui n’ont pu, pour différentes raisons, s’approprier ce nouveau modèle, ont été évincés de la sphère productive et sont pour la plupart devenus rentiers.
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[9]
Généralement, ces « contratistas » intègrent leurs fils en âge d’entrer sur le marché du travail à leurs entreprises, le plus souvent comme tractoriste.
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[10]
L’indice de Gini est un nombre compris dans l’intervalle (0,1). Plus l’indice tend vers l’unité et plus la concentration est forte et la répartition des terres inégalitaire.
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[11]
Il est important de préciser que l’échantillon des répondants est restreint au groupe des « producteurs territorialisés ». En effet, les « producteurs globalisés », bien que présents dans les deux zones, ont refusé de répondre à l’enquête. Leur « absence » ne change pas les résultats sur la répartition des terres possédées car ils ne détiennent pas de patrimoine foncier, mais altèrent, dans une mesure difficile à évaluer, les résultats portant sur la répartition des terres cultivées. Les résultats portés au tableau 3 concernent donc uniquement des transactions foncières entre producteurs territorialisés.
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[12]
En décembre 2011, le Parlement argentin a promulgué la loi n° 26.737 qui régule le régime de la propriété foncière et de l’accès aux terres agricoles.
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[13]
Ce taux a été calculé comme le rapport entre le nombre de machines possédées et le nombre total d’UAP. Ont été retenues dans le calcul les trois machines les plus importantes pour l’emploi que sont le tracteur, la semeuse et la moissonneuse.
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[14]
Baisse de la taxe à l’exportation de soja GM de 5 % et suppression des impôts sur toutes les autres cultures d’exportation (notamment maïs, coton, tournesol). En outre, le Secrétariat de l’Agriculture familiale, qui faisait partie de la structure du ministère de l’Agriculture lors de l’ancien gouvernement, a été supprimé et les programmes de soutien à l’agriculture familiale sont plus au moins explicitement en cours de démantèlement.
1 – Introduction
1L’Argentine possède une formidable dotation en ressources naturelles pour la production de nombreux produits agricoles : 33,5 millions d’hectares de terres propices à l’agriculture et à l’élevage, des sols profonds, un climat tempéré, une bonne pluviométrie et un accès facile à la mer. Le pays a donc une longue tradition de production de produits primaires et occupe, depuis le début du xxe siècle, une place de premier rang sur le marché international de la viande et des céréales, et plus récemment des oléagineux. En 2014, le secteur agricole et agroalimentaire a généré 7 % du PIB, et les produits agropastoraux bruts et transformés ont représenté 62 % des exportations totales. À l’intérieur du secteur agricole, la vigueur de la production et des exportations de soja transgénique doit être soulignée. Ces dernières ont représenté à elles seules 14 % des exportations du pays en 2013, soit autant que les céréales [2].
2Le dynamisme du secteur agropastoral est tel qu’il a puissamment aidé l’économie à se relever de la crise de 2001. À la fin de son mandat présidentiel (2007), Nestor Kirchner pouvait afficher une grande réussite économique : entre 2003 et 2007, le PIB avait connu une croissance annuelle d’environ 9 %, tandis que le chômage avait baissé progressivement de 17,3 % à 8,5 % de la population active. Le complexe oléagineux n’a pas été étranger à ces évolutions positives. Au cours des années 2000, il est devenu le pivot de l’économie en contribuant fortement à l’assainissement des finances publiques [3], à la constitution d’un excédent commercial [4] et au soutien de la croissance économique. La filière oléagineuse est ainsi devenue pour l’Argentine un élément central de sa politique nationale et de son positionnement sur l’échiquier international.
3Le soja génétiquement modifié (GM) a été introduit en Argentine en 1996 [5]. Son adoption s’est répandue à une vitesse sans précédent, si bien qu’à l’heure actuelle, près de 99 % des terres consacrées à la culture du soja sont emblavées en semences génétiquement modifiées. La semence a d’abord été adoptée dans la région de la Pampa [6], puis s’est diffusée dans le reste du pays, y compris vers des régions agricoles marginales. À l’heure actuelle, l’Argentine est le troisième producteur mondial de soja GM, ainsi que le troisième plus grand exportateur, derrière les États-Unis et le Brésil.
4Alors que les performances productives induites par les bouleversements techniques et organisationnels de ce que l’on appelle maintenant le modelo sojero sont impressionnantes, l’impact social et environnemental est, en revanche, jugé sévèrement [Albaladejo et al., 2013 ; Carreño et al., 2012 ; Leguizamón, 2014 ; de la Fuente et al., 2006 ; Gavier-Pizarro et al., 2012]. L’éviction de nombreuses familles de l’activité agricole, la concentration de la production entre les mains d’un nombre restreint de producteurs, la perte considérable d’emplois d’ouvriers agricoles au profit de techniciens de la production et l’aggravation des inégalités de revenus sont parmi les effets socio-économiques négatifs qui sont les plus souvent évoqués. D’un point de vue environnemental, l’intensification de l’usage de la terre, l’utilisation d’intrants chimiques contaminant les sols et l’air, la déforestation des zones de frontière agricole, la destruction des écosystèmes, l’appauvrissement de la biodiversité, la pollution des eaux et l’émergence de problèmes de santé consécutifs à l’utilisation intensive d’herbicides constituent des impacts néfastes qui sont également largement soulignés [Aranbicia, 2013 ; Pengue, 2005 ; Gavier-Pizarro et al., 2012].
5Un dernier aspect du modelo sojero qui a fait l’objet d’un intense débat en Argentine porte sur l’importance croissante de collectifs de production. Régulièrement accusées d’aggraver l’impact socio-économique et environnemental négatif du soja GM, ces organisations en réseau supplantent le traditionnel propriétaire terrien qui cultivait ses propres terres, le plus souvent avec ses équipements agricoles et en mettant en place une administration familiale de l’exploitation. Avec les collectifs de production, le lien entre propriété foncière, famille et production se dissocie ; l’identité d’agriculteur est remplacée par celle d’entrepreneur qui gère des surfaces de plus en plus grandes, parfois distribuées géographiquement dans des provinces/pays différents, et dont le rapport à la ressource foncière devient instrumental.
6Cet article examine la pertinence du modèle agro-exportateur dans lequel l’Argentine s’est engagée sous l’angle de sa soutenabilité. Il suggère un conflit profond entre d’une part, le succès indéniable de la « sojatization » de l’agriculture argentine mesuré en termes de production et de profits records, et, d’autre part, la soutenabilité sociale, économique et environnementale du modèle. La section 2 analyse le contexte socio-politique qui a littéralement porté le développement du soja transgénique argentin. Les conséquences socio-économiques et environnementales de l’expansion du soja GM sont évaluées et discutées dans la section 3.
2 – Le développement de la culture du soja GM en Argentine et l’émergence d’une nouvelle classe de producteurs/entrepreneurs
2.1 – Le développement de la culture du soja transgénique en Argentine
7L’adoption rapide du soja transgénique a eu un énorme impact sur la production qui a quintuplé en 20 ans sous l’effet conjugué de gains de productivité propres au bloc technique du soja GM et à l’expansion des terres cultivées au détriment des espaces autrefois consacrés à l’élevage ou à d’autres cultures. Le graphique 1 illustre bien la rupture du milieu des années 1990 : les surfaces consacrées au soja passent d’environ 6 millions d’hectares en 1995 à près de 20 millions en 2015, pendant que la production augmente, sur la même période de 12,5 millions à 61,5 millions de tonnes.
Production, superficie et exportations de soja : 1973-2014
Production, superficie et exportations de soja : 1973-2014
8L’essentiel de la production argentine de soja et de ses produits dérivés (huile, tourteaux, biodiesel) est destiné aux marchés extérieurs. En conséquence, les exportations oléagineuses ont suivi de près la courbe de la production. La composition des exportations a évolué au cours du temps. Jusqu’au milieu des années 1980, l’Argentine exporte surtout des graines de soja puis, sous l’effet de la demande mondiale, vend les tourteaux et l’huile destinés respectivement à l’alimentation animale et humaine. Dans les années récentes, les tourteaux représentaient plus de 55 % de la valeur totale des exportations, l’huile et les graines se partageant à parts égales les 45 % restants.
9L’Argentine dispose d’une longue liste de marchés de destination pour ses produits. Au cours des cinq dernières années, le soja a été vendu dans pas moins de 30 pays. Toutefois, la Chine reste le principal client, avec 22 % des exportations totales, soit à peu près autant que l’ensemble des pays européens, loin devant l’Indonésie (8,5 %), le Vietnam (5,7 %) et la Thaïlande (5 %).
10Comparativement à ses principaux concurrents que sont le Brésil et les États-Unis, l’Argentine a sensiblement amélioré sa position au cours du temps. Au milieu des années 1980, les exportations de tourteaux de soja de l’Argentine représentaient 10 % des exportations mondiales, alors que la part de marché du Brésil s’élevait au tiers et celle des États-Unis au quart. En 2013, l’Argentine domine le marché des tourteaux avec près de 57 % des exportations mondiales, alors que le Brésil et les États-Unis ne comptent plus que pour 22 % chacun. Ces chiffres attestent de la compétitivité de la filière du soja argentin, définie selon Gérard Lafay [1976] comme sa capacité à affronter la concurrence internationale (graphique 2).
Évolution des parts de marché d’exportation des tourteaux de soja : 1961-2013
Évolution des parts de marché d’exportation des tourteaux de soja : 1961-2013
2.2 – Les raisons du succès
11Les raisons de la diffusion spectaculaire du soja transgénique en Argentine sont maintenant bien connues [Burachik, 2010 ; Teubal, 2006 ; Pengue, 2005]. Au-delà de la success-story technique qu’il est important de rappeler, il faut aussi s’attarder sur le contexte économique, institutionnel et politique, tant local que mondial, qui a accompagné l’adoption des agrobiotechnologies dans ce pays.
12La faible protection des droits de propriété intellectuelle a constitué l’un des premiers facteurs institutionnels facilitant l’expansion du soja GM [Bisang et al. 2006 ; Hernández, 2007 et 2012 ; Pellegrini, 2013 ; Filomeno, 2013]. En effet, la loi argentine sur les semences et les créations phylogénétiques promulguée en 1973 protège assez peu les droits de propriété intellectuelle, car elle reconnaît le droit des producteurs à replanter leurs propres cultivars. Le soja, qui est une plante autogame (capable de s’autoféconder), est particulièrement adapté au rôle d’autosemence. En outre, un marché parallèle de semences de soja transgénique « non certifiées » s’est peu à peu mis en place, ce qui a permis aux producteurs argentins de les acquérir à un prix bien inférieur à celui pratiqué par les grandes entreprises semencières [Sztulwark et Braude, 2010] [7].
13Deuxièmement, du point de vue technique, l’adoption du soja GM conduit à de meilleurs rendements. À l’époque de l’introduction de cette variété, l’épandage massif de glyphosate a permis de réduire considérablement les pertes liées aux herbes adventices et de simplifier le désherbage. Vingt ans plus tard, l’apparition des espèces résistantes au glyphosate oblige à réévaluer la situation. Un deuxième aspect technique est lié au semis direct qui consiste à déposer la semence sur le sol à une profondeur requise, afin de minimiser la perturbation de la structure du sol et éviter le labour. L’application simultanée de fertilisants permet de réduire le nombre de passages dans le champ, une plus grande rapidité d’exécution des opérations culturales qui raccourcit le temps total de production et favorise la double culture.
14Troisièmement, produire du soja GM est moins coûteux que produire du soja non GM : certains auteurs [Penna et Lema, 2003] indiquent une économie totale de 20 dollars par hectare. Ces économies tiennent d’une part à la diminution progressive du prix du glyphosate, qui est passé de 28 dollars par litre en 1996 à 2,3 dollars en 2011, du fait de l’échéance (2000) du brevet que Monsanto détenait sur ce produit, et d’autre part aux énormes économies en main-d’œuvre (30 %) qu’ont permis le semis direct et la mécanisation des opérations culturales. L’écart des revenus entre les adoptants et les non-adoptants s’est donc creusé [Trigo, 2011] et cultiver du soja GM est devenu l’option la plus rentable pour les producteurs, bien plus que de cultiver des céréales, s’adonner à l’élevage ou produire des aliments pour la population locale.
15Quatrièmement, la nouvelle politique économique mise en place dès avril 1991, connue sous le nom de Plan de convertibilité, a entraîné une reformulation radicale du rôle de l’État vis-à-vis de l’économie et de la société [Beccaria et al., 2005]. En mettant en place un cadre juridique garantissant la libre circulation des biens, des services et des capitaux, ce paradigme politique néolibéral a été fondamental pour l’évolution d’un secteur agricole devenu de plus en plus dépendant, en amont, des intrants produits par des entreprises transnationales, et en aval, des marchés internationaux qui achètent la production du complexe oléagineux. L’élimination des taxes à l’exportation (retenciones) et des restrictions au transport des grains, la réduction, voire la suppression, des tarifs douaniers sur le matériel agricole et les intrants ont considérablement amélioré la compétitivité de l’agriculture d’exportation jusqu’en 2002. Depuis la victoire du gouvernement Kirchner en 2003, le paradigme politique a été révisé et la fiscalité agricole alourdie afin d’assurer à l’État une capacité d’intervention dans les autres secteurs de l’économie. Toutefois, une sorte de « consensus autour des commodities » [Svampa, 2007] a protégé le secteur agricole d’exportation, permettant au modèle de production intensif du soja GM de poursuivre son expansion territoriale. Jusqu’à aujourd’hui, en dépit de la baisse des prix internationaux, de la restauration des taxes à l’exportation et autres mesures de contrôle par l’État du secteur, les agro-entrepreneurs maintiennent leurs crop mix et continuent de privilégier la culture du soja.
16Cinquièmement, on peut citer, pêle-mêle, une faible contestation des consommateurs – bien plus soucieux des impacts des politiques libérales mises en place sur l’emploi et le pouvoir d’achat –, une vaste campagne de promotion des biotechnologies de la part de la presse nationale, des firmes et de certaines associations de producteurs – notamment l’AAPRESID. Une nouvelle cartographie sociale et économique s’est ainsi tissée autour du complexe oléagineux, mettant en place des alliances entre des acteurs appartenant à différents secteurs d’activité, qui jusqu’alors ne s’étaient guère perçus comme faisant partie d’un même ensemble socio-économique.
17Sixièmement, les prix des oléagineux se sont appréciés sur les marchés du fait de la forte demande internationale, notamment asiatique, qui a commencé à se manifester au milieu des années 1990 et qui explose vers la fin de la décennie 2000 (graphique 3). Le prix record de 490 dollars la tonne est enregistré au cours de l’année 2014.
Prix d’exportation des tourteaux de soja : 1973-2015
Prix d’exportation des tourteaux de soja : 1973-2015
2.3 – L’émergence d’une nouvelle identité entrepreneuriale : les agro-innovateurs
18L’expansion rapide du soja GM a été portée par un modèle de production que les entrepreneurs ont associé au cadre théorique de l’agribusiness [Davis et Goldberg, 1957]. Dans sa forme stylisée, ce nouveau modèle d’agribusiness est conduit par de grands réseaux de production qui contrôlent des centaines de milliers d’hectares [Murmis et Murmis, 2010] dont ils ne sont pas nécessairement propriétaires. En effet, la plupart du temps, ils sont simplement des locataires, car cela leur donne une grande souplesse d’adaptation aux conditions climatiques et économiques propres à chaque campagne agricole. Recherchant les meilleures parcelles dans chaque région, ils adaptent les cultivars aux conditions agronomiques des sols, choisissent les cultures en fonction des prix sur les marchés d’exportation, contractent les prestataires de services qui réalisent les opérations culturales (ensemencement, fumigation, fertilisation, récolte), et trouvent les investisseurs qui apportent le capital indispensable au paiement de la location des terres, des intrants et des services agricoles. De ce fait, la géométrie de la production, qui dans certains cas peut s’étendre sur plusieurs pays, est définie chaque année en fonction de l’évaluation des facteurs en jeu. À cela s’ajoutent des considérations d’ordre « stratégique ». En effet, depuis les années 2000, le cadre normatif et juridique est devenu plus contraignant en raison des régimes politiques qui se sont installés dans plusieurs pays sud-américains. L’Argentine, le Brésil, la Bolivie et l’Uruguay ont mis en place des politiques publiques régulant différents aspects de l’économie (lois sur le marché foncier, l’activité financière, taxes à l’exportation/importation, etc.). Ces nouvelles contraintes ont amené les entrepreneurs à formuler l’idée de « risque politique » et de comparer le poids des conditions juridiques propres à chaque pays au moment d’évaluer les perspectives d’un projet productif. Dans ces conditions, l’usage de la terre fait non seulement l’objet d’une gestion technique hautement spécialisée, mais est aussi devenu le centre d’enjeux financiers et politiques.
19Organisés par des rapports contractuels multiples, plus ou moins formellement définis, entre plusieurs grands types de participants, ces réseaux, bien qu’hétérogènes sur certains points – par exemple selon les trajectoires socioprofessionnelles des membres et les secteurs d’activité d’origine –, se reconnaissent dans leur conception entrepreneuriale. Ils sont aussi porteurs d’une revendication identitaire en tant qu’« innovateurs », se différenciant d’acteurs plus classiques tels que les propriétaires terriens, les fermiers ou les métayers. La principale prouesse des réseaux de l’agribusiness a été leur capacité à édifier une ingénierie de la production agricole qui mobilise les différents intervenants du complexe oléagineux de telle sorte que les risques, notamment productifs et financiers, soient répartis. Les acteurs qui s’associent limitent leur investissement personnel et bénéficient des rendements liés à une grande échelle de production [Hernández, 2007 ; Gras et Hernández, 2009, 2013].
20Ce modèle de production, dans lequel l’agriculture est considérée comme un business, s’est également répandu chez les agriculteurs familiaux qui ont développé des capacités d’appropriation de cette nouvelle façon d’organiser la production. Une partie de cette catégorie socio-productive a progressivement changé de rôle, rajoutant parfois à leur fonction de « simple » producteur celle de prestataire de service, et se regroupant avec d’autres acteurs pour assurer la mise en production des grandes surfaces, mais avec un ancrage local fort [8]. De telle sorte qu’une grande majorité de petits et moyens entrepreneurs s’associent chaque année pour cultiver du soja GM, rarement en rotation avec le blé, le maïs ou l’élevage.
21Le travail de terrain (cf. encadré) a permis de relever les dynamiques quotidiennes des acteurs de l’activité agropastorale, leurs modes de participation à la scène sociale, politique, économique et culturelle. Schématiquement, la trame socio-productive relevée sur les deux sites étudiés indique la présence de trois grands groupes d’acteurs du système agropastoral.
Aspects méthodologiques
En outre, une large enquête quantitative a été conduite en 2011. L’échantillon a été sélectionné par tirage aléatoire simple à partir d’un recensement des unités agropastorales dans chacun des départements. L’ensemble de l’information agropastorale a été recueilli au niveau de la parcelle. La base de données est composée de 186 foyers agricoles comprenant 590 personnes et totalisant 542 parcelles.
L’ensemble de ce travail a été mené dans deux zones de la pampa argentine que l’on peut considérer comme représentatives de l’agriculture pampéenne : le département de Junin dans la province de Buenos Aires et le département de San Justo dans la province de Santa Fe. Junin est connu pour sa haute spécialisation dans la culture du soja GM, est plus urbanisé et plus proche de Buenos Aires que San Justo, où l’élevage reste une activité importante à côté de la culture du soja GM.
Pour diverses raisons tenant à de lourdes erreurs dans la méthodologie de collecte, les résultats du recensement de 2008 resteront incomplets, notamment en région pampéenne, et par conséquent inutilisables. Le dernier recensement exploitable date de 2002. La comparaison entre les données de ce recensement et celles de l’enquête pour les deux départements concernés est évidemment à manier avec précaution. La post-stratification de notre échantillon et le redressement des estimateurs en fonction de la distribution des tailles d’exploitation du recensement assurent que la juxtaposition de ces deux sources de données donne une vision assez juste des évolutions entre les deux périodes d’observation.
22Le premier groupe comprend ceux qui ont adopté globalement la logique du MA, parmi lesquels on peut identifier les acteurs qui ont un ancrage local permanent et ceux qui ne l’ont pas. Ces derniers exploitent les plus grandes superficies (plus de 10 000 hectares), ont intégré les nouvelles technologies (semis direct, semences GM, systèmes de contrôle informatisés par satellite, logiciel de gestion, etc.) et mettent en place les stratégies organisationnelles requises par le système de production en réseau (location de terres dans diverses zones géographiques afin de diversifier les risques ; intégration du capital financier ; analyse des cadres juridiques nationaux afin de diversifier les risques « politiques », etc.). Ces entrepreneurs « globalisés » tendent vers une dynamique économique internationale et bâtissent une identité dont l’horizon imaginaire de leurs actions est l’« humanité » (ses problèmes alimentaires, environnementaux, adaptation au changement climatique, etc.). Le deuxième profil surgit en contrepoint : il s’agit des producteurs « territorialisés », héritiers de la tradition fermière, qui se sont approprié certains éléments du MA en les conjuguant avec d’autres, plus classiques. La location de parcelles, par exemple, qui vise à étendre l’échelle de production se borne, dans ce cas, aux parcelles offertes dans les espaces proches de celles qu’ils possèdent. En faisant jouer l’horizon local, la dimension économique du système productif reste liée aux dynamiques sociales de parenté et voisinage.
23La deuxième catégorie d’acteurs est celle des sous-traitants ou prestataires de services agricoles. Cet ensemble constitue actuellement un important secteur d’absorption de la main-d’œuvre (CDD et CDI) et l’une des formes entrepreneuriales qui, en perpétuant la dimension familiale, forme un vecteur d’intégration des nouvelles générations au monde du travail rural [9]. En effet, ces entreprises de services sont souvent créées par un ancien producteur familial qui, n’ayant pas su (ou pu) mettre en place les nouvelles logiques de l’agribusiness, a dû céder son exploitation (vente, ou location) tout en conservant son équipement (tracteur, moissonneuse, etc.). Leur rapport au territoire a également ses spécificités : d’un côté, en tant qu’ancien producteur et résident en zone rurale, cet acteur garde un ancrage territorial avec des liens sociaux forts (activité politique, relations institutionnelles, rapports de voisinage, etc.) ; d’autre part, l’activité qu’il exerce peut l’amener à travailler des milliers d’hectares avec ses équipes bien au-delà de sa zone de résidence, et acquérir ainsi une perspective globale sur son métier et sur sa place dans la chaîne de production agricole et le monde rural. Ces deux dimensions du prestataire de services en font une figure hybride, en mesure de gérer sa place dans le territoire sans pour autant perdre de vue la logique globale dans laquelle il est inséré.
24La dernière catégorie d’acteur est le rentier : il a renoncé à exploiter directement ses terres – soit pour des raisons liées à l’âge et à l’absence d’un parent qui veuille reprendre la ferme, soit à l’opportunité des gains liée à la flambée des prix fonciers – et reçoit de la location un montant suffisamment élevé pour créer une certaine dynamique économique au niveau local. Ainsi, on peut les voir, dans le secteur du commerce, à la tête de la boucherie, de l’épicerie ou de l’agence immobilière du village, mais aussi comme « investisseur » dans des fidéicommis agricoles organisés par les producteurs territorialisés, qui ont besoin de ce capital pour louer des parcelles et acquérir la taille qui leur permet de générer des profits.
25Les réseaux de production ont conduit à remplacer une « agriculture d’agriculteurs » par une « agriculture d’entrepreneurs ». Ils entretiennent, de ce fait, des rapports antagoniques avec l’univers de l’agriculture familiale. Un premier point de tension se rapporte à la ressource terre car le modèle de production de l’agribusiness, gros consommateur de terres cultivées en tenure indirecte, a fait pression sur le marché foncier et provoqué la flambée du prix de la terre. Un deuxième point de tension se structure autour des effets négatifs que les biocides ont fait peser sur l’environnement et les populations rurales. Des conflits surgissent également en raison de l’avancement du soja GM au détriment des forêts et dans des zones rurales du nord-est et du nord-ouest du pays, habitées par des paysans et communautés aborigènes. Enfin, une partie de la force de travail non seulement salariée, mais aussi familiale s’est trouvée libérée du fait de l’intense mécanisation du processus de production. Ces travailleurs peu qualifiés, évincés de la sphère productive, et dont la reconversion se heurte à de nombreux obstacles, constituent une troisième source de tension vis-à-vis du nouveau modèle de production.
3 – Les conséquences socio-économiques et environnementales du modelo sojero
3.1 – Réseaux de production, marché foncier et concentration des terres
26Si l’on rapporte les résultats de notre enquête à ceux du dernier recensement dans les départements de Junin et San Justo, on constate l’essor de la part des terres cultivées par les agriculteurs non propriétaires (tableau 1). Cette part a relativement peu augmenté à Junin. En revanche, elle s’est envolée à San Justo, passant d’environ 30 % de l’ensemble des terres agricoles à plus de 53 %. La proportion des contrats courts est également en nette progression : elle atteint le quart des contrats à San Justo, un peu plus de 10 % à Junin.
Répartition des terres selon le mode de tenure
Répartition des terres selon le mode de tenure
27La perception la plus largement répandue en Argentine est que les mutations technologiques et organisationnelles qui ont marqué l’agriculture ont donné un avantage comparatif aux plus grandes exploitations. Pire, cette métamorphose aurait favorisé un intense mouvement de concentration foncière au cours des vingt dernières années, en raison notamment de l’éviction des plus petits producteurs [Teubal, 2006 ; Basualdo et Arceo, 2006].
28Historiquement, la terre en Argentine a été une ressource très inégalement répartie. Si l’on s’en tient aux données du dernier recensement [2002] calculées pour l’ensemble du pays, 22 % des exploitants agricoles ne possédaient pas de terre, les 35 % les plus modestes n’en possédaient même pas 1 %, alors que 4,1 % des exploitants agricoles se partageaient près de 70 % de l’ensemble des terres. En 2011, la concentration de la propriété foncière apparaît nettement moins forte dans nos deux zones d’enquête : 18 % des producteurs ne sont pas propriétaires des terres qu’ils cultivent, les 35 % les plus modestes se partagent 11 % des terres, mais les 4 % plus gros propriétaires fonciers ne possèdent que 18,5 % des terres. Malgré tout, les valeurs des indices de Gini [10] des surfaces possédées, calculées pour nos deux zones s’établissent à un niveau relativement élevé : 0,53 à Junin et 0,62 à San Justo (cf. infra tableau 3).
29On a vu dans la section précédente que l’agriculture qui s’est développée en Argentine ces deux dernières décennies, centrée sur la maîtrise de techniques productives de plus en plus sophistiquées, s’est affranchie de la possession d’un capital foncier. La question qui se pose maintenant en Argentine n’est donc plus tellement de savoir qui possède la terre, mais qui la cultive.
30Afin d’analyser les changements survenus depuis le recensement de 2002, nous nous sommes livrés à une comparaison (prudente) des résultats de notre enquête à ceux du recensement pour l’ensemble des départements de Junin et San Justo [11]. Le tableau 2 indique que les collectifs de gestion ont beaucoup progressé, en particulier à Junin, où ils représentaient 55,4 % des terres cultivées en 2002 et 66,2 % en 2011.
Répartition des terres selon la forme juridique de gestion
Répartition des terres selon la forme juridique de gestion
31À qui a profité cette progression de la tenure indirecte et/ou de l’organisation sociétaire de la production ? On a calculé au tableau 3, plusieurs indices de Gini qui permettent de comparer la concentration des terres cultivées selon que les producteurs n’exploitent que les terres qu’ils possèdent, exploitent des terres possédées et des terres louées en nom propre, ou encore des terres possédées et des terres louées dans un cadre sociétaire.
Indices de Gini de concentration des terres cultivées
Indices de Gini de concentration des terres cultivées
32Les résultats indiquent que l’accès à la terre reste inégal dans les deux zones d’enquête. Les valeurs des indices de Gini sont élevées (plus de 0,50 à Junin, plus de 0,60 à San Justo). Par ailleurs, les transactions foncières qui ont lieu entre producteurs territorialisés ont un impact relativement neutre sur la répartition des terres : les indices de Gini restent stables selon que l’on considère uniquement les terres possédées (et cultivées) et les terres exploitées en nom propre. Enfin, contrairement à une idée largement répandue en Argentine, le développement des formes sociétaires de production, là encore mises en œuvre par ce groupe de producteurs, n’a pas eu d’impact particulièrement négatif sur la répartition des terres cultivées.
33Pourquoi la structure agraire ne s’est-elle pas déformée ? Il faut d’abord souligner que les lois foncières en Argentine ont été jusqu’en 2011 peu contraignantes et n’imposaient aucune restriction sur les achats/ventes ou locations de terre [12]. En conséquence, la distribution des tailles d’exploitation observée en 2011 découle d’une part de la situation initiale, et d’autre part des transactions de marché qui mettent en relation l’offre et la demande de terre. Du côté de l’offre, il n’existe pas, dans les zones étudiées, de terres non mises en valeur. Acquérir ou louer des terres n’est possible qu’en engageant des transactions avec les producteurs existants et/ou ceux qui ont délaissé l’activité agricole. Les possibilités d’expansion sont donc limitées, d’autant que les prix fonciers, à l’achat comme à la location, ont doublé au cours des 15 dernières années. En revanche, les risques inhérents à l’activité sont énormes et multiples : risque climatique (sécheresse, inondation) et risque de chute des prix agricoles ne plaident pas en faveur de trop larges exploitations. Enfin, la contrainte de l’accès au crédit formel ainsi que son coût limitent les surfaces emblavées en raison de l’énorme investissement que représente la culture du soja.
3.2 – Une agriculture sans agriculteurs ?
34Un autre point de tension qui parcourt le secteur agricole relève des bouleversements techniques : ce modèle intensif en technologie a-t-il supprimé ou créé des emplois ? La controverse est encore très forte à l’heure actuelle. Fondées sur une exploitation des recensements agricoles de 1988 et de 2002 et des recensements de la population de 1991 et 2001, plusieurs études ont relié la chute globale de la population active employée dans le secteur agricole au cours de la décennie 1990 avec les évolutions techniques qui ont marqué les processus de production [Villulla, 2009, 2010 ; Piccinini, 2007 ; Benencia et Quaranta, 2006]. D’autres études, adoptant l’approche des chaînes globales de production, soutiennent que le MA aurait stimulé la demande de la main-d’œuvre plus qualifiée (ingénieur agronome, comptable, informaticien, etc.) et créé tout au long de la chaîne de nouveaux emplois dans les services tertiaires, la production des intrants et des équipements agricoles, dans le secteur immobilier, automobile et financier, etc. [Vilella et al., 2010].
35Il est indéniable que les choix culturaux et techniques, qui constituent un déterminant essentiel de l’utilisation de la main-d’œuvre dans l’agriculture, ont été, en Argentine, économes en travail. Tout d’abord, le soja GM est de loin la culture la moins intensive en main-d’œuvre et sa substitution à d’autres activités telles que l’horticulture et l’élevage a détruit de nombreux emplois. Ensuite, l’avancée de la mécanisation a été spectaculaire. Elle ne date certes pas de la période d’expansion du soja, mais le mouvement s’est accéléré avec l’adoption des cultivars transgéniques. Des machines de plus en plus perfectionnées et de taille de plus en plus grande ont été commercialisées afin de traiter de grandes étendues en un temps record entraînant une forte réduction du nombre de jours nécessaires aux travaux des champs. Enfin, l’utilisation grandissante des technologies de l’information pour contrôler le niveau d’humidité et la quantité d’engrais a raréfié le nombre de visites indispensable à une bonne surveillance de la parcelle.
36On a porté au tableau 4 ci-après plusieurs indicateurs de l’emploi salarié élaborés à partir des données du recensement de 2002 correspondant à nos deux zones d’étude et de notre propre enquête menée en 2011. Que nous indiquent ces chiffres ?
Quelques indicateurs de l’emploi salarié agricole
Quelques indicateurs de l’emploi salarié agricole
37Premièrement, la part du travail permanent domine largement le temps de travail total dans les deux zones d’enquête, et il semble avoir légèrement augmenté à Junin entre 2002 et 2011. On peut interpréter cette prééminence du travail permanent sur le travail saisonnier comme un des indicateurs de la mutation qualitative de l’emploi agricole en Argentine déjà perceptible en 2002. En effet, la modernisation de l’agriculture a impliqué le développement de fonctions (cf. infra) qui nécessitent une présence constante des salariés.
38Deuxièmement, la perte d’emplois paraît très nette dans le département de Junin entre le recensement et l’enquête. Le nombre de salariés par unité agropastorale a diminué modestement (de 6,2 %) mais le nombre de salariés pour 100 hectares a été divisé par trois et demi. Selon les données de l’enquête, un quart de poste pour 100 ha suffit dorénavant à assurer l’ensemble des tâches nécessaire aux opérations culturales et à la gestion de l’entreprise. En conséquence, le nombre de jours annuels de travail salarié s’est lui aussi effondré. Au moment de l’enquête, les besoins en main-d’œuvre se résumaient à une demi-journée de travail par hectare et par campagne agricole. Cette évolution trouve son origine dans trois facteurs : l’accroissement de la taille moyenne des unités agropastorales (UAP) qui passe de 289 à 372 ha ; la progression de la culture du soja qui occupe dorénavant près de 56 % des surfaces totales contre 42,3 % en 2002 ; l’avancée de la mécanisation : le taux d’équipement [13] moyen des UAP s’établit à 1,23 en 2011 contre 1,14 en 2002.
39Troisièmement, le fait que l’intensité du travail à l’hectare soit plus faible à Junin relativement à San Justo peut s’interpréter en termes d’effet de la « sojatization » sur l’emploi. En effet, l’activité déployée sur les terres a évolué à Junin où l’on constate une augmentation de l’activité agricole au détriment de l’élevage. Ce processus est dû au comportement des producteurs qui ont décidé de se débarrasser du bétail – ou de le déplacer vers des zones « marginales » – afin de consacrer une plus grande partie des surfaces aux cultures des céréales et des oléagineux. En revanche, la culture du soja, bien qu’en progression, est bien moins présente à San Justo puisqu’elle n’occupe que 37,5 % des surfaces. En conséquence, le taux d’équipement des UAP y est sensiblement plus faible. Ces différences structurelles de combinaison d’activité et d’intensité de la mécanisation des opérations culturales expliquent la meilleure tenue des indicateurs d’emploi à San Justo.
40Une autre évolution significative de l’emploi agricole en Argentine réside dans le déplacement qualitatif de la demande de travail. L’évolution des techniques, la compétence nécessaire à la maîtrise du processus productif sont telles que les exploitants ont du mal à atteindre un tel niveau de qualification. Ils font donc de plus en plus appel à des salariés compétents et efficaces pour effectuer des tâches bien précises, notamment en gestion, comptabilité, informatique, etc.
41Si l’on s’intéresse à la répartition des journées de travail salarié en fonction du type de poste occupé (tableau 5) au cours d’une campagne agricole, on constate que la progression de la culture du soja GM a eu tendance à substituer des emplois qualifiés aux emplois non qualifiés. La part des journées dans les fonctions les plus hautes que sont les administrateurs généraux et les assistants techniques de gestion a progressé sensiblement entre les deux périodes, en particulier à Junin.
Répartition des journées de travail salarié selon le type de poste
Répartition des journées de travail salarié selon le type de poste
42Le second poste qui a absorbé une part grandissante des journées de travail est celui des opérateurs de machines agricoles qui apparaissent comme les grands gagnants de la conversion technique de l’agriculture. Ces employés conduisent des engins aux commandes informatisées, nécessitant des compétences non seulement pour les manœuvrer, mais aussi pour les entretenir. La proportion des journées qui leur échoit a augmenté significativement entre les deux dates d’observation, notamment dans la province de San Justo. Le développement de l’activité de prestataire de services de la part des producteurs et les besoins en conducteurs de machines qui en découlent expliquent également la progression de cette profession dans le temps total de travail.
43L’accroissement notable des journées de travail qualifié s’est fait au détriment des journées traditionnellement dévolues aux ouvriers agricoles qui ont le plus pâti des évolutions techniques. La part des journées qui leur revient a baissé de près de 11 % à Junin, et de près de 28 % à San Justo entre les deux périodes d’observation.
3.3 – La soutenabilité environnementale de l’intensification productive
44Le dernier point de tension que nous allons aborder dans cet article concerne l’impact de la culture du soja GM sur l’environnement. La dissociation de plus en plus fréquente entre la propriété foncière et son exploitation, ainsi que l’augmentation du nombre de contrats de location de court terme font craindre une moindre préoccupation pour préserver la qualité des sols ainsi qu’une intensification de leur usage (deux à quatre récoltes par campagne agricole). La littérature suggère en effet que le mode de tenure affecte significativement l’adoption de bonnes pratiques culturales et la préservation des ressources foncières à long terme [Abdulai et al., 2011 ; Myyrä et al., 2007 ; Soule et al., 2000]. Lorsque la tenure est indirecte, les incitations à préserver la ressource sont faibles et contrebalancées par les décisions de rentabilité à court terme. Les impacts négatifs de la tenure indirecte transparaissent d’ailleurs déjà dans les prix fonciers. Les terres en mode de faire-valoir indirect sont moins valorisées que les terres en tenure directe [Choumert et Phélinas, 2015].
45Cultivé en rotation sur le bon type de sol en semis direct, le soja GM aurait pu avoir un impact limité, voire positif, sur les sols. En effet, dans cette configuration, la terre se régénère en profitant des apports en nutriment des autres cultures et la fertilité peut être maintenue naturellement. Mais le soja GM est de plus en plus cultivé en monoculture et les nutriments extraits du sol ne sont restitués que très partiellement, même par des procédures de fertilisation artificielle. Walter Pengue [2005] estime à 3,5 millions de tonnes la quantité de nutriments annuellement puisés dans les sols argentins sans être remplacés. Dans ces conditions, la dégradation de la structure des sols et son appauvrissement sont inéluctables. La diminution récente des rendements dans certaines zones a d’ailleurs été soulignée [Trigo, 2011].
46L’impact le plus alarmant de la culture du soja GM découle de l’intense utilisation du glyphosate qui assure le contrôle chimique des herbes adventices. Sa consommation a littéralement explosé depuis 1996. De 13,9 millions de litres à cette date, la consommation est passée à 246 millions en 2012 [CASAFE, 2012]. L’estimation pour la campagne 2014/2015 se monte à plus de 300 millions de litres. La progression de l’usage du glyphosate tient non seulement à l’expansion des surfaces cultivées en soja, mais aussi à l’augmentation des doses par hectare imputable à l’apparition de mauvaises herbes résistantes à cet herbicide dont l’usage a été massif, irraisonné et trop souvent répété. Actuellement, il existe plus d’une vingtaine d’espèces d’adventices recensées qui présentent une résistance aux herbicides disponibles sur le marché [Ribeiro, 2015].
47L’application de glyphosate, qui se fait de plus en plus souvent par aspersion aérienne, est non seulement une grande source de rupture écologique, mais aussi de discorde sociale. La toxicité de cet herbicide, sa présence dans les écosystèmes agricoles représentent un danger pour les organismes vivants [Casabé et al., 2007] notamment humains [IARC, 2015]. Dans les zones traitées, les cours d’eau ont été contaminés et la flore et la faune aquatique détruites [Perez et al., 2007]. L’épandage se fait souvent à proximité des habitations et des écoles alors qu’une limite de 500 à 1 500 mètres devrait être respectée. En mars 2015 l’International Agency for Research on Cancer (une agence l’OMS) a classifié le glyphosate dans la catégorie A2, corroborant ainsi l’observation d’un accroissement de maladies (cancers, malformation des nouveau-nés, allergies, affections respiratoires, etc.) dans la population rurale résidant dans les villages où les aspersions aériennes de glyphosate se sont multipliées [Arancibia, 2013].
48Enfin, la production de soja GM s’est étendue à des zones dont les sols sont impropres à une utilisation agricole intensive. La frontière agricole a été repoussée au nord de la région pampéenne vers les provinces de Chaco, Formosa, Santiago del Estero et Salta ; au sud, vers la région de la Patagonie, notamment dans les provinces de Rio Negro et Neuquén. Or ces zones ont des écosystèmes très différents de celui de la Pampa, marqués par des espaces forestiers qui disparaissent à un rythme accéléré et entraînent un processus de désertification qui fragilise les sols [Gavier-Pizarro et al., 2012 ; Paolasso et al., 2012]. Près de 2,4 millions d’hectares de forêt ont disparu entre 1998 et 2013 [USDEF, 2014] pour laisser place aux plantations de soja GM, et ce en dépit de la loi de protection des forêts promulguée en 2007. Ce déboisement continu entraîne une immense perte de biodiversité. La déforestation réduit les habitats de nombreuses espèces fauniques et floristiques dont la survie est menacée. Les espèces rares sont particulièrement exposées, les populations autochtones perdent des ressources alimentaires essentielles, car elles tirent de la forêt une part importante de leur nourriture [Biocca, 2015].
4 – Conclusion
49Durant les années 1990, l’agriculture argentine est entrée dans une phase de profonde transformation sous l’effet de l’installation d’un modèle entrepreneurial de production concomitant à l’introduction de cultivars de soja transgénique. Les décennies suivantes témoignent d’un fort mouvement d’expansion de cette légumineuse aux dépens des céréales et de la forêt, d’adoption à large échelle de techniques de production intensives (semis direct, raccourcissement du cycle de croissance des cultures, large utilisation d’intrants chimiques), de la financiarisation de la logique productive et de la mécanisation des tâches agricoles. Ces évolutions ont accru la productivité des exploitations et réduit les coûts par unité produite. Les profits se sont appréciés en conséquence et ont constitué une incitation forte à l’extension, par tous les moyens, de l’échelle de production.
50Le développement des formes sociétaires de production, en associant différents acteurs du monde rural, a constitué la réponse adaptée à la volonté de produire toujours plus de soja. Ces formes ont en effet permis de mobiliser l’ensemble des ressources (terre, capital financier, compétences techniques) indispensables à la mise en place du saut technique requis par cet oléagineux.
51Cependant, les biotechnologies associées à l’utilisation de biocides et à une intense mécanisation du processus de production ont eu d’importantes conséquences sur les modes de gestion de la terre, les compétences demandées sur le marché du travail agricole et la soutenabilité environnementale de la production agricole. Les formidables gains économiques générés par ce modèle de production pourraient sonner comme une bonne nouvelle si les effets négatifs que nous avons détaillés dans cet article avaient été correctement évalués et circonscrits par des mesures de politique économique à court, moyen et long terme. Or les politiques fiscales adoptées par le nouveau gouvernement argentin encouragent de nouveau l’expansion du soja GM et le modèle intensif de production [14]. La scène politique et économique ne semble pas non plus vouloir se saisir de la nécessité de la reconversion des travailleurs peu qualifiés. On note une augmentation sensible du chômage ainsi que la persistance de taux de pauvreté importants dans les zones de production de soja GM [Bidaseca et Gras, 2010 ; Córdoba et Hernández, 2015]. Enfin, l’impasse environnementale dans laquelle s’est engagée l’agriculture entrepreneuriale argentine a provoqué d’importants mouvements de contestation portés par des associations qui ont saisi la justice et dénoncé les producteurs et entreprises de fumigation devant les juges provinciaux, obtenant d’ailleurs gain de cause. Ces mouvements ont également mis en place des coopératives de producteurs agroécologiques [Goulet et al., 2012].
52Pour terminer, il est important d’insister sur les différentes dimensions du système socio-productif et la nécessité de mettre en place des analyses qui les intègrent. En effet, l’hyperspécialisation centrée sur le soja est un des éléments du modèle entrepreneurial qui, selon la conjoncture du marché international, des technologies et des régulations, peut substituer d’autres cultures au soja, qui maintiendront une empreinte négative sur les ressources naturelles et l’équité sociale. La chute du prix du soja depuis la seconde moitié de l’année 2014 a entraîné une reconversion de l’agribusiness vers d’autres cultures GM comme le maïs et le coton, ou vers des systèmes intensifs d’élevage. Seule une approche holistique telle que celle que nous avons menée dans ce travail permet de restituer les contradictions entre les logiques en place et les conflits entre les acteurs du territoire, mais aussi de produire des réponses qui soient capables de les surmonter.
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Mots-clés éditeurs : emploi agricole, concentration foncière, soja GM, Argentine, modes de tenure
Date de mise en ligne : 27/04/2017
https://doi.org/10.3917/rfse.018.0031Notes
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[1]
Nous voulons remercier Florencia Fossa Riglos et Eugenia Muzi pour leur participation en tant qu’étudiantes d’anthropologie, ainsi que nos collègues Susana Grosso (ingénieur agronome) et José Muzlera (sociologue) pour leur aide précieuse.
-
[2]
Les chiffres cités sont ceux de l’Institut statistique national argentin (INDEC) et du ministère de l’Économie et des Finances publiques.
-
[3]
De 2009 à 2011, les taxes à l’exportation – retenciones – ont généré près de 6 milliards de dollars, soit 6 % des recettes totales du gouvernement.
-
[4]
En 2003, les exportations d’oléagineux rapportaient 7,9 milliards de dollars, dont 7,2 milliards pour les seules graines de soja. En 2007, les premières étaient passées à 14,4 milliards de dollars et les secondes à 13,6 milliards. En comparaison, les exportations de l’industrie automobile rapportaient 1,8 milliard de dollars en 2003 et 6 milliards en 2007.
-
[5]
Il s’agissait d’une semence créée par la firme multinationale Monsanto, résistante à l’herbicide à large spectre, le glyphosate, commercialisé sous le nom de Roundup par la même firme depuis 1974. Ce cultivar GM est communément appelé le soja RR (Ready Roundup).
-
[6]
La pampa argentine est une vaste zone de plaine très fertile d’environ 28 millions d’hectares située au nord-ouest de Buenos Aires. Elle constitue le cœur de la production agricole argentine et concentre l’essentiel de la production du soja transgénique.
-
[7]
La stratégie de Monsanto et des autres entreprises transnationales en vue d’empêcher ce marché « noir » a connu différentes étapes liées non seulement aux rapports de force entre les acteurs en conflit, mais aussi aux capacités des uns et des autres à établir des alliances et construire des lobbys, aussi bien sur le plan national qu’international (OMC, EU, MERCOSUR), pour soutenir leurs intérêts respectifs. Voir sur ce point Pérez [2007] ; Hernández [2015] ; Delvenne et al. [2013] ; Pellegrini [2013].
-
[8]
Les producteurs familiaux qui n’ont pu, pour différentes raisons, s’approprier ce nouveau modèle, ont été évincés de la sphère productive et sont pour la plupart devenus rentiers.
-
[9]
Généralement, ces « contratistas » intègrent leurs fils en âge d’entrer sur le marché du travail à leurs entreprises, le plus souvent comme tractoriste.
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[10]
L’indice de Gini est un nombre compris dans l’intervalle (0,1). Plus l’indice tend vers l’unité et plus la concentration est forte et la répartition des terres inégalitaire.
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[11]
Il est important de préciser que l’échantillon des répondants est restreint au groupe des « producteurs territorialisés ». En effet, les « producteurs globalisés », bien que présents dans les deux zones, ont refusé de répondre à l’enquête. Leur « absence » ne change pas les résultats sur la répartition des terres possédées car ils ne détiennent pas de patrimoine foncier, mais altèrent, dans une mesure difficile à évaluer, les résultats portant sur la répartition des terres cultivées. Les résultats portés au tableau 3 concernent donc uniquement des transactions foncières entre producteurs territorialisés.
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[12]
En décembre 2011, le Parlement argentin a promulgué la loi n° 26.737 qui régule le régime de la propriété foncière et de l’accès aux terres agricoles.
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[13]
Ce taux a été calculé comme le rapport entre le nombre de machines possédées et le nombre total d’UAP. Ont été retenues dans le calcul les trois machines les plus importantes pour l’emploi que sont le tracteur, la semeuse et la moissonneuse.
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[14]
Baisse de la taxe à l’exportation de soja GM de 5 % et suppression des impôts sur toutes les autres cultures d’exportation (notamment maïs, coton, tournesol). En outre, le Secrétariat de l’Agriculture familiale, qui faisait partie de la structure du ministère de l’Agriculture lors de l’ancien gouvernement, a été supprimé et les programmes de soutien à l’agriculture familiale sont plus au moins explicitement en cours de démantèlement.