Notes
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[1]
Selon le Rapport annuel sur l’État de la fonction publique 2014, il y avait sur le territoire national au 31 décembre 2012 5,4 millions d’agents de la fonction publique (au sens : recrutés sur la base du droit public) : soit un emploi sur cinq, dont 70,7 % de titulaires, 17 % de non-titulaires, 5,7 % de militaires, 6,6 % « autres catégories et statuts » (enseignants et documentalistes des établissements privés sous contrat, ouvriers d’État, médecins des hôpitaux et apprentis…). Sources : FGE, Colter, DADS, SIASP, Insee ; enquêtes SAE, Drees. Traitement DGAFP, département des études et des statistiques. Champ : emplois principaux, tous statuts. Hors bénéficiaires d’emplois aidés. France entière = métropole et DOM.
-
[2]
Certains travaux portant sur des entreprises publiques où cohabitent des statuts d’emplois différents ont insisté sur l’effet de comparaison permanente entre les statuts [cf. Vezinat, 2008]. Selon notre enquête, d’autres éléments interviennent toutefois (pour rassurer un bailleur, obtenir un emprunt, etc.).
-
[3]
En mars 2011, le site du ministère, qui présente l’accord signé sur les contractuels dans la fonction publique, rappelle que « les plans successifs de titularisation engagés depuis plusieurs années n’ont pas permis de réduire le nombre de contractuels dans la fonction publique. Actuellement, sur les 5,2 millions d’agents que compte la fonction publique, 875 000 sont non titulaires, soit près d’un agent sur cinq. » Cet accord prévoit d’appliquer un dispositif de « CDisation » (ou « cédéisation ») aux agents qui occupent en contrats à durée déterminée (CDD) des emplois pour une durée supérieure à six ans.
-
[4]
Ici, c’est d’ailleurs moins le statut qui attire que la précarité des non-titulaires qui est rejetée. Ainsi, dans son témoignage, un jeune chercheur explique qu’il n’aspire pas nécessairement à avoir un poste de fonctionnaire mais « au moins » un CDI – pour pouvoir faire vivre sa famille, avoir un crédit, accéder à un logement –, la norme d’emploi instable entrant en contradiction avec les normes de stabilité de revenu, de logement, et familiale.
1 – Introduction : fonctions publiques et modèles d’emploi
1Dans le sens commun, l’emploi est souvent associé au contrat qui relie employeur et salarié, et auquel sont associés rémunération, droits du travail et protection sociale [Castel, 1995, 2009]. On sait qu’il existe par ailleurs d’autres modèles d’emploi, comme le statut d’indépendant. Mais on oublie parfois qu’à l’intérieur même du salariat, l’emploi à statut existe également. Or ce type d’emploi revêt une importance particulière, notamment en France, où les agents de la fonction publique représentent un cinquième des salariés [1].
2Certes, historiquement, la fonction publique en France n’a jamais abrité un seul type d’emploi. Avant 1946, seuls les membres des grands corps et de certains corps spécifiques étaient titulaires. Lors du débat sur le statut qui se déroule entre les deux guerres, les associations de défense des fonctionnaires réclamaient plutôt un alignement sur le droit du travail, l’idée de recruter par concours suscitant la crainte de nombreux petits fonctionnaires [Renault, 2003 ; Rouban 2014]. Pourtant, la précarité en tant que telle, assimilée au favoritisme dans le recrutement, à l’arbitraire des promotions, a toujours été dénoncée. Aussi l’adoption du statut général des fonctionnaires en 1946 constitue-t-elle à la fois le prolongement d’une évolution progressive et un tournant, faisant du statut général la référence interne unique, dont procèdent les particularités et la diversité des emplois de la fonction publique [Audier, 2015]. Après l’instauration de la loi dite Le Pors n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant sur les droits et obligations des fonctionnaires, le statut de fonctionnaire dans les trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière) se trouve consolidé comme symbole de la stabilité de l’emploi, couvrant même la période d’après-travail financée par l’employeur public – d’où l’expression consacrée d’« emploi à vie ».
3Ce symbole explique qu’aujourd’hui, l’emploi précaire dans la fonction publique en France constitue un paradoxe et un enjeu particulièrement fort [Bresson, 2013]. Alors que les emplois « atypiques » se développent dans tous les secteurs économiques [Paugam, 2000], la crise financière de 2008 a fait émerger un débat spécifique à la fonction publique, elle-même inscrite dans des réformes inspirées des principes de nouvelle gestion publique [Bresson et al., 2013 ; Dreyfus, 2015] et de convergence européenne [Bacache-Beauvallet, 2015], cependant que, dans les pays du Sud, la précarité des agents publics se développe comme réponse à la crise.
4Aussi le parti pris du présent article est-il d’étudier la situation vécue par les travailleurs qui, bien que travaillant « dans » la fonction publique, ne sont pas titulaires « de » la fonction publique, et d’interroger dans quelle mesure ils préfigurent un nouveau modèle « au-delà » de l’emploi (selon la formule de Supiot, 1999). Pour répondre, cet article mobilise les résultats d’une enquête longitudinale par entretiens menée entre 2009 et 2011 auprès de plus d’une trentaine de salariés dits « atypiques » des trois fonctions publiques : État (notamment, dans le secteur de la recherche et l’enseignement supérieur) ; territoriale (surtout, ici, des agents de service et professions du social) ; hospitalière (moins représentée dans notre enquête), en appliquant une grille d’analyse des expériences et de la subjectivité des salariés. Dans le contexte des transformations du marché du travail, nous proposons de réinterpréter l’idée de marge, en mettant en évidence l’enjeu du modèle d’emploi.
5Dans la première partie, nous testerons l’hypothèse que les emplois « non titulaires » dans la fonction publique permettent des vécus positifs – appréciation qui va souvent de pair avec l’idée qu’ils préfigurent « de toute manière » un nouveau modèle que nous qualifions ici comme « au-delà » de l’emploi. Dans la deuxième partie, nous montrerons que ces situations d’emploi sont pourtant, d’après les témoignages recueillis dans notre enquête, massivement vécues comme négatives, à cause des problèmes de précarisation, de recul des droits, d’incertitude, de subordination, qui renouent au contraire avec la peur ancestrale de vivre au jour la journée [Castel, 1995] et, en ce sens, avec un « en deçà » de l’emploi. Dans une troisième partie, nous proposerons un bilan afin de répondre à la question du « nouveau modèle », en discutant ce terme dans son double sens de schéma d’organisation possédant des caractéristiques originales et une cohérence propre, et d’exemple valorisé, à suivre. Nous montrerons que, si l’avenir de la fonction publique reste incertain et ouvert aujourd’hui, les observations réalisées suggèrent plutôt la voie d’un dualisme du marché du travail et de la protection sociale [Piore, 1978 ; Palier, 2005], au sens où les emplois « précaires » dans la fonction publique constituent, de fait, un deuxième « monde » du travail, à la fois hétérogène, différencié et situé à ses marges.
Méthode
- 16 dans la fonction publique d’État, dont 15 dans l’enseignement, l’enseignement supérieur et la recherche (y compris, personnels administratifs, doctorants, post-doctorants) + 1 interprète au ministère de la Justice ;
- 14 dans la fonction publique territoriale, dont 10 dans les secteurs de l’animation ou de la politique de la ville ; et 4 « dames de service » dans une même commune ;
- 5 dans la fonction publique hospitalière (psychomotricienne, psychologue, aide- assistant…).
Le matériau collecté comporte également un retour auprès des enquêtés un an et demi après (fin 2010-début 2011) ; sous forme de questionnaires écrits remplis ou d’entretiens complémentaires avec 21 enquêtés sur les 24 qui étaient en situation de précarité en 2009-2010 (1 refus, 2 injoignables) afin de saisir leurs trajectoires sur cette période. Nous avons également réalisé un entretien avec Anicet Le Pors, ancien ministre de la Fonction publique du gouvernement de Pierre Mauroy de 1981 à 1984, qui a conduit l’élaboration du statut général des fonctionnaires.
2 – Les non-titulaires dans la fonction publique : vécus positifs et « au-delà de l’emploi »
6L’idée selon laquelle les emplois précaires préfigureraient un nouveau modèle « au-delà de l’emploi » s’appuie communément sur deux arguments, souvent présentés comme complémentaires : d’une part, l’observation que ces situations peuvent être vécues positivement ; d’autre part, la conviction que ces emplois préfigurent l’avenir, la période actuelle apparaissant alors comme une période de transition vers un nouveau système, avec de nouvelles formes de régulation et un nouveau modèle d’emploi mieux adaptés à la postmodernité.
2.1 – Des vécus positifs à l’idée d’adaptation à la modernité
7Ces deux arguments ne sont pas spécifiques à l’analyse de la fonction publique en France, mais sont mobilisés plus largement dans la littérature sociologique sur les évolutions récentes des situations de travail, dont certains auteurs soulignent les côtés « positifs ».
8Par exemple, Patrick Cingolani développe la thèse d’aspirations nouvelles dans les jeunes générations. Selon cet auteur, l’intermittence donne une meilleure maîtrise du temps et une possibilité de le gérer au niveau individuel, de dégager des plages de liberté. De plus, certaines formes d’emplois « atypiques » pourraient préfigurer la fin de la subordination liée au salariat, définie dans le contrat de travail par la dépendance à un employeur. Pour le salarié, le contrat à durée déterminée, la possibilité d’avoir plusieurs employeurs ouvrent des perspectives de changement qui peuvent être souhaitées et même choisies [Cingolani, 2005, 2014]. Cette dernière idée rejoint l’analyse de François de Singly sur la « désaffiliation positive », c’est-à-dire la possibilité, présentée comme avantageuse pour l’individu, de se dégager des liens contraints plus facilement [Singly, 2005]. Dans les champs de l’art, du social et de la recherche, Pascal Nicolas-Le Strat considère que les mutations du travail permettent de faire reculer les « emprises autoritaires et les intimidations académiques ». Les pratiques artistiques ne peuvent plus être contenues ni retenues, au nom de délimitations esthétiques ou académiques ; dans le champ de la recherche, la possibilité de s’affranchir des délimitations disciplinaires, délimitant des pratiques conformes encouragerait des postures favorisant l’innovation, la création, la découverte, « pour le plus grand bonheur d’une recherche libre et critique » [2005, p. 19]. De manière plus nuancée, Mircéa Vultur observe que les jeunes acceptent plus facilement des emplois « atypiques » [2011] – le sentiment négatif d’insécurité serait, selon lui, un problème de génération, amené à disparaître avec le temps [Vultur, 2011].
9Même si, dans notre enquête réalisée dans plusieurs secteurs de la fonction publique en France, les témoignages négatifs l’emportent, certains semblent illustrer ces arguments. Par exemple, un ancien animateur, devenu intermittent du spectacle, mobilise le registre de l’innovation, de la création et de la découverte pour justifier qu’il ne souhaite pas devenir salarié régulier d’une association, mais qu’il préfère proposer des spectacles artistiques toujours nouveaux et variés à des collectivités territoriales et des associations diverses. Une jeune chercheuse en sciences sociales se dit heureuse de pouvoir choisir le type de contrat sur lequel elle travaille et le sujet de sa recherche. Ou encore, une vacataire d’enseignement exprime sa satisfaction de pouvoir refuser des horaires incompatibles avec sa vie de maman :
« C’est vrai que ça peut être aussi quelque chose de bien, parce que tu peux choisir le nombre d’heures que tu veux faire ; tu peux refuser ou pas de travailler, tu peux choisir tes horaires ; enfin moi, j’ai toujours choisi mes horaires. Le négatif, c’est plus le renouvellement. Tu vois, c’est en ce sens-là que c’est précaire. Sinon, y’a pas de négatif. »
11D’après les résultats de notre enquête, les témoignages « positifs » sont pourtant tempérés par l’évocation des difficultés inhérentes : les spectacles qu’a proposés librement l’intermittent du spectacle sont souvent tronqués par les exigences des financeurs, le sujet choisi par la chercheuse en sciences sociales n’a pas pu être traité complètement parce que le financement s’arrêtait, l’enseignante vacataire dit aussi sa peur d’être remplacée définitivement… Par ailleurs, la « liberté », positive pour les uns, a aussi des effets sur l’organisation du travail – dans un autre entretien, un directeur de laboratoire de recherche en sciences de la vie dénonce, par exemple, l’absence d’implication dans les tâches collectives des chercheurs embauchés sur contrats courts (réunions, entretien du matériel…) ; ou encore, la logique d’individualisation qui pousse à privilégier les publications personnelles. Un jeune chercheur en fin de contrat est même simplement parti avec ses résultats, qui n’ont donc pas profité au laboratoire. Ce directeur, lui-même fonctionnaire, illustre par ailleurs un autre effet inattendu du développement de la logique de l’entrepreneuriat, à savoir que lui-même doit décrocher sans cesse de nouveaux contrats de financement pour conserver dans son équipe les chercheurs non titulaires.
12Au total, dans notre enquête, l’expression de vécus « plutôt » positifs est ainsi toujours nuancée, et parfois même contredite par les limites financières, organisationnelles… Pour autant, ces limites n’infirment pas en soi la thèse d’un nouveau modèle d’emploi en émergence, à condition toutefois de les considérer comme des résistances et des difficultés de transition. Symétriquement, et en ce sens, l’emploi stable apparaît alors « en creux » comme le reflet d’une vision archaïque, vouée à disparaître.
2.2 – Vers un « au-delà de l’emploi » ? Société post-fordiste et particularités de la fonction publique
13Suivant un raisonnement qui n’est pas propre à la fonction publique, mais global, les emplois précaires préfigureraient un modèle « au-delà de l’emploi », selon l’expression empruntée à Alain Supiot [1999], dans le contexte d’émergence d’une société postfordiste – également appelée parfois société de la connaissance (selon l’expression consacrée par la stratégie européenne de Lisbonne, en mars 2000) ou société post-moderne. La même idée est développée aussi, mais sous forme de question, par Carlo Vercellone à propos d’une sortie du capitalisme industriel [2003].
14C’est cette société en devenir qui contiendrait, selon les auteurs les plus optimistes, des possibilités de libération des contraintes. Ainsi Pascal Nicolas-Le Strat observe-t-il dans le champ de l’art, du social et de la recherche des « processus de dissémination et de démultiplication de la force de travail immatériel », qui selon lui seraient analysés à tort « seulement sur le registre de la perte (des distinctions) et de la crise (des statuts) ». De manière enthousiaste, cet auteur célèbre au contraire, au travers des transformations des formes et statuts de l’emploi, une manière pour chaque activité de gagner de nouveaux territoires : par exemple, l’art dans la rue, les festivals ; ou encore les démarches de projet dans le travail social et l’activité publique. Aux arguments d’adaptation au changement et de dynamisme, il ajoute celui d’une « avancée démocratique », permise par de nouvelles alliances autour de projets, de rencontres et des délibérations pour tous les travailleurs à « l’activité diffuse » [Le Strat, 2005].
15De manière plus pondérée, Alain Supiot énonce sa conviction que de nouvelles régulations peuvent être mises en place pour faire face à l’affaiblissement des droits sociaux induit par les contrats précaires, mis en évidence par Robert Castel [1995] : il appelle ainsi de ses vœux la mise en œuvre de droits de tirage sociaux pour disjoindre ce que la société salariale avait imbriqué, à savoir le contrat de travail d’une part ; la protection sociale d’autre part ; et il développe le projet d’inventer une nouvelle manière de penser les droits sociaux, qui n’empêche pas le travail et l’organisation du travail de se transformer et de s’assouplir [Supiot, 1999]. On peut également rapprocher de ces travaux les perspectives et débats politiques et syndicaux réformistes menés autour des moyens de « sécuriser les parcours professionnels », d’inventer une « flexisécurité » à la française, ouvrant ainsi des débats repris par de nombreux auteurs [Gazier, 2008 ; Barbier, 2008 ; Méda, 2011]…
16Dans ce contexte général, la fonction publique est l’objet d’un débat spécifique. En effet, les réformes pour moderniser l’État, qui se sont succédé depuis les années 1990, n’ont pas remis en cause le socle de principes sur lequel repose le statut ; mais divers projets de transformation des fonctionnaires en salariés de droit privé ont été développés dans la période récente, en s’appuyant notamment sur l’argument selon lequel la protection du statut créerait de la précarité à la périphérie, pour compenser les rigidités de recrutement (thèse développée par les protagonistes de la réforme néolibérale). Le modèle de « l’au-delà » du statut est alors évoqué en s’appuyant sur des expériences étrangères (comme la Suède) – quitte à oublier les spécificités de chaque configuration nationale, et notamment que dans ce pays des accords sociaux très protecteurs viennent encadrer la « privatisation » [Bacache-Bauvallet, 2015].
17À ce stade de notre réflexion, il apparaît que la double thèse de vécus positifs et d’une évolution « naturelle » du modèle d’emploi constitue un futur possible, peut-être en germe, qui toutefois ne correspond pas à la réalité que nous avons observée ni aux ressentis exprimés par les non-titulaires que nous avons rencontrés.
3 – Travailleurs non titulaires de la fonction publique : vécus négatifs et précarité en deçà de l’emploi
18D’après notre enquête réalisée auprès de travailleurs non titulaires de la fonction publique, il ressort un ressenti largement « négatif » de ces situations, pouvant accréditer par différents aspects l’idée de régression vers des situations « en deçà » du modèle fordiste. Tous les secteurs de l’étude sont concernés, ainsi que tous les niveaux de qualification – depuis les employées municipales non qualifiées, embauchées comme « dames de service » jusqu’aux chercheurs contractuels ou vacataires de la fonction publique d’État ; en passant par les cadres du développement social urbain de la fonction publique territoriale, les enseignants, les médecins contractuels, les salariés paramédicaux de la fonction publique hospitalière… Ce ressenti négatif passe, notamment, par le sentiment d’insécurité matérielle, de manque de reconnaissance ; la crainte d’être marginalisé et également (à l’inverse de l’idée de vertu émancipatrice de la précarité), la dénonciation de formes renouvelées de subordination.
3.1 – L’insécurité matérielle : risque d’appauvrissement et situations de pauvreté
19La précarité salariée, en effet, est d’abord vécue par nos enquêtés comme un risque d’appauvrissement et parfois une situation déjà ancrée dans la pauvreté.
20C’est ce qu’illustre dans l’Éducation nationale le cas d’un enquêté embauché à temps partiel, sur un « emploi aidé » d’assistant d’éducation, renouvelable pendant cinq ans maximum :
« Vu le temps partiel, le salaire s’en ressentait… environ 530 euros par mois… C’est ce qui était le plus quotidiennement difficile… se dire qu’à la fin, le mois était difficile. Ensuite, c’est vrai que comme c’était renouvelé tous les ans, j’aurais peut-être la malchance de me retrouver sans rien d’une année sur l’autre. Donc c’était ça aussi. »
22Dans nos entretiens se retrouve même, parfois, la peur ancestrale de vivre « au jour la journée » [Castel], comme en témoignent les « dames de service » d’une municipalité : leurs embauches se faisaient au milieu des années 2000, avant la mise en place d’une nouvelle municipalité, sur la base de « contrats horaires » : c’est-à-dire un nombre d’heures de travail non connu à l’avance, mais annoncé au début de chaque semaine, et chaque fois susceptible de varier. « Les salaires, c’était fonction des heures qu’on me donnait. Sur mes fiches de paye, c’était yoyo… Et ça a toujours été des salaires de misère… (en moyenne 500 euros mensuels). Moi, j’ai pas de mari, y a pas de père qui m’attend à préparer des patates. Ma fille, vous savez ce que c’est, c’est des pâtes tous les jours. » (« Dame de service », sans emploi, ex-agent municipal polyvalent « horaire », 35 ans.)
23Aux difficultés matérielles s’ajoute alors un sentiment d’insécurité sociale exprimé non seulement par des « travailleurs pauvres », mais aussi par des cadres ou assimilés, occupant des emplois « atypiques » :
« En ce moment, je suis en vacations, cinq mois… Le problème d’une vacation, c’est qu’il n’y a pas de motif de licenciement, l’employeur peut l’arrêter… pas de préavis, aucune indemnité, c’est vraiment light. »
« Je sais jamais d’une année sur l’autre combien je vais être payée, et si je vais être payée. D’année en année, il faut refaire des demandes. Et entre les deux, on a la réponse du renouvellement en juillet pour être payé début septembre. S’ils disent non… »
« Je vis seule avec trois enfants de 20 ans (des triplés)… je gagne 2 600 euros mais le loyer fait le tiers, 900 euros : au quotidien, c’est pas évident… Et à l’âge que j’ai, c’est difficile, j’ai postulé dans une autre ville, ils proposaient 1 700 euros, pour un CDD d’un an, je ne pouvais pas. Je ne sais toujours pas s’ils envisagent de renouveler [mon contrat]… »
27Ce sentiment d’insécurité associé au risque de fin de contrat n’est d’ailleurs pas virtuel puisque, même quand il est dénié par la personne, celle-ci peut être « rattrapée » par la précarité quand un événement inattendu ou redouté survient : chômage, interruption de revenus entre deux contrats, accident de travail, maladie, maternité, qui rappellent au travailleur non titulaire, même renouvelé depuis de nombreuses années, que sa situation d’emploi pèse sur son accès aux droits du travail et aux droits sociaux et, aussi, au logement.
« Vacataire, c’est pas de congés payés ni congés maladies. Au premier problème de santé, tu comprends que tu es sur un poste précaire ; ça m’est arrivé. »
« On n’a pas de retraite, rien. On se débrouille… Demander un crédit pour un logement, ou pour acheter quelque chose, ça bloque, parce qu’on n’a pas de revenu fixe. La sécurité, c’est ce qu’on a dans les mains, liquide, c’est tout. Mais les droits sociaux on ne peut pas en avoir. Parce qu’on n’est pas dans la case fonctionnaire. »
30Dans un autre témoignage, un salarié, homme de service dans un foyer de l’enfance de la fonction publique hospitalière (ou peut-être territoriale, lui-même ne sachant pas très bien) était très optimiste lors du premier entretien : il voyait alors son emploi aidé comme une chance de reconversion dans le domaine auquel il aspirait (aide-moniteur auprès de jeunes enfants). Lors du second entretien, 18 mois après, son contrat n’ayant pas été renouvelé, il se trouvait au chômage et son ressenti était devenu très négatif : « Si cela continue, ce sera peut-être la rue. » (Homme de service, 56 ans, marié, père d’une « grande fille ».)
31Dans les témoignages recueillis, l’incertitude se combine souvent avec le sentiment de non-reconnaissance.
3.2 – Le manque de reconnaissance
32Dans les mêmes entretiens où ils évoquent leurs difficultés de stabilisation et de progression dans la carrière choisie, les non-titulaires expriment souvent un sentiment de manque de reconnaissance, sous des formes toutefois diverses. Pour les moins qualifiés, ce sentiment est associé à la peur du lendemain, l’insécurité matérielle. Pour les plus qualifiés, la plainte porte davantage sur la non-reconnaissance du travail, de la qualification, avec en filigrane, la peur d’être déclassé, ou de ne plus pouvoir faire le travail que l’on aime…
33Le sentiment de non-reconnaissance est d’abord lié au fait même de ne pas obtenir l’emploi auquel on aspire et que l’on pense avoir mérité.
« On n’est pas payés à hauteur de notre diplôme et en plus, on n’est même pas sûrs d’avoir un emploi. »
35De fait, dans la fonction publique française, l’entrée dans le statut ne se fait pas directement par reconnaissance du travail fait, mais par la réussite au concours qui symbolise l’entrée « au mérite » (au sens du mérite républicain). Aussi, l’objectif du concours « écrase » souvent dans les entretiens les autres indicateurs de reconnaissance que sont (pourraient être) la satisfaction des employeurs, des collègues et même le niveau de revenu. À la question écrite : « Diriez-vous que votre évolution depuis 18 mois a été plutôt positive, plutôt négative, pourquoi ? », un jeune chercheur en sciences de la vie, pacsé et père de deux enfants répond ainsi :
« Depuis l’année dernière, je passe les concours de chargé de recherche. Cette année, j’ai échoué. […] Ainsi, depuis deux ans, les périodes de rédaction du dossier écrit, de préparation de la soutenance et d’attente des résultats me pèsent. Ceci, ajouté à l’incertitude de mon avenir (fin de contrat en octobre 2011), me fait penser que l’évolution de ma situation n’a pas été positive. »
37Dans cet exemple, le « problème » ne vient pas du salaire – d’ailleurs il explique que sa réussite au concours se traduirait par une baisse de salaire importante à court terme ; mais l’entrée dans un statut semble nettement préférable, parce qu’elle constitue un aboutissement à la fois en termes de stabilisation de l’emploi, de reconnaissance par les pairs et de perspective de carrière – critères dont l’importance est à la fois matérielle et symbolique.
« Avant, j’avais pas d’échelon, pas d’avancement de grade, rien. Maintenant que je suis passée stagiaire, oui… je suis toujours agent d’entretien mais j’ai les échelons… On avance quand on est stagiérisé. Avant on n’est rien, un grain de sable. »
39Outre les conditions d’emploi, le sentiment de non-reconnaissance s’inscrit aussi dans la vie quotidienne au travail – les équipes n’intégrant pas de la même manière (pas complètement) les non-titulaires au motif, notamment, qu’ils ne vont peut-être pas rester.
« Je suis ici depuis un mois, j’ai consacré quasiment tout mon temps à faire des demandes d’argent, j’ai fait peu de manips… C’est difficile de s’intégrer. Psychologiquement, on attend toujours ; et on sait qu’on ne va pas nous donner un sujet [de recherche], on nous demande juste de débroussailler. Surtout qu’après, on peut aller dans un labo concurrent. »
41D’autres considérations sont évoquées par des agents de développement social, diplômés à bac+5, mettant en œuvre les projets de politique de la Ville, en lien avec les collectivités territoriales qui cofinancent leur embauche. « Ici, personne ne comprend ce que je fais. Le maire comprend l’urbain, mais le volet social, il s’est senti obligé, sinon il ne comprend pas… » (Chargée de mission en développement social, en fin de CDD, divorcée, 53 ans, trois enfants.)
« Si on n’a pas le concours, on n’est rien du tout. On me le fait souvent sentir… On se tourne vers les fonctionnaires, quand il s’agit de monter un projet… Je ramène de l’argent, c’est pas reconnu. »
43Loin de l’image idéalisée d’un « au-delà de l’emploi », ces témoignages illustrent alors l’idée d’un « en deçà » du statut (voire de l’emploi), à travers des manques relatifs, ressentis comparativement aux titulaires [2] et parfois, aussi, dans l’absolu, comme la peur du lendemain, le sentiment d’avoir raté sa vie ou de ne pas avoir « trouvé sa place » dans le monde auquel on aspirait.
3.3 – Le risque de marginalisation/exclusion
44La marginalisation ne se réduit pas à l’appauvrissement. Elle désigne une place qui n’en est pas tout à fait une, dans les interstices entre deux mondes et au bord de l’exclusion. Le risque qui est, souvent, le plus douloureusement évoqué dans nos entretiens est en effet celui d’être « mis dehors » et de devoir quitter la fonction publique, le métier qu’on aime ou partir à l’étranger et « imposer ça à [s]a famille ». Se prémunir d’un tel risque confronte à des dilemmes parfois douloureux – en « choisissant » par exemple d’entrer dans un emploi déclassé au regard de ses qualifications ; au risque d’être enfermé dans un destin non souhaité.
45C’est ce qu’illustre le cas d’une jeune mère célibataire d’un enfant et titulaire d’un bac de comptabilité, qui a accepté un poste d’employée comme « dame de service » horaire en espérant qu’elle pourrait ensuite progresser, grâce aux formations. Le temps passant toutefois, elle réalise la difficulté à obtenir des formations, et surtout à les concilier avec son travail ; jusqu’à ce qu’un échange conflictuel avec le maire lui enlève ses illusions.
« Le maire il m’a dit, faut pas rêver ; tu as commencé femme de ménage chez nous, tu peux pas finir dans les bureaux, c’est pas possible. »
47Dans cet exemple, le conflit aboutit au non-renouvellement de son contrat.
48L’idée d’échec est omniprésente à tous les niveaux de qualification : ainsi un directeur d’un laboratoire universitaire en science de la vie reproche à certains jeunes de s’accrocher « trop longtemps » à la recherche fondamentale dans le secteur public, au point de perdre aussi leur attractivité pour le secteur privé.
49Pour éviter ce dénouement redouté, certaines formes d’emploi (ou d’activité) se développent alors aux marges du droit et de la légalité, en deçà même d’un contrat de travail, comme l’expliquent plusieurs enquêtés.
« Pas de feuille d’embauche. Pas d’arrêté, pendant 15 ans. Juste une fiche de paie, avec écrit : agent d’entretien, ou service restauration, ou l’école où on était ; ou mis parfois : agent horaire. Ils ne remplissaient même pas une attestation de salaire. »
« Avec la justice, c’est pas de contrat, c’est un travail au noir… La police et le tribunal donnent un mémoire de frais, on signe, on remplit, on redépose à la régie et la régie verse sur le compte… Aujourd’hui, c’est un peu plus régulier on est payé au bout de trois mois, six mois… Mais rien n’est clair, on nous paie quand on a l’argent… »
52De nationalité étrangère, cet interprète décrit les conséquences de ces formes de travail en termes d’exclusion sociale.
« J’ai été pour un compte d’épargne logement, à La Poste. Le conseiller m’a dit, on ne peut pas, il faut justifier le revenu, avec des revenus fixes, une fiche de paie. Pour le loyer aussi, on demande une fiche de paie, on n’en a pas. “Monsieur combien vous gagnez ?”, on ne sait pas. C’est pas un job par rapport à leurs règles. »
54Les raisons pour lesquelles de telles situations sont, sinon choisies, du moins acceptées sont multiples. Ainsi, cet interprète étranger met-il en avant l’absence d’emploi stable non titulaire dans son secteur, et la difficulté à être embauché dans le privé, compte tenu de son âge (55 ans).
55D’autres témoignages font valoir la nécessité de se prévaloir d’une expérience et/ou d’éviter les « trous » dans le curriculum vitæ, les moments d’inactivité risquant d’être reprochés et de dévaloriser la candidature au moment de passer un entretien ou un concours. Certains jeunes enseignants-chercheurs acceptent même de donner des cours gratuits, parce qu’ils ne remplissent pas les conditions pour être vacataires (les universités refusant l’embauche de personnes qui n’auraient pas cotisé assez par ailleurs, pour ne pas avoir à financer leurs cotisations chômage). Mais pour pouvoir prétendre aux postes d’enseignant-chercheur à l’université, il faut avoir une expérience d’enseignement.
56C’est, de même, pour ne pas subir de déclassement et pouvoir continuer un travail pour lequel elle se sent une vocation, qu’une chargée de cours vacataire à l’université, titulaire d’un doctorat de droit avoue « bricoler », en faisant valoir un emploi fictif : elle explique (en demandant l’anonymat) que son beau-père déclare l’embaucher dans son entreprise sur un nombre d’heures suffisant pour pouvoir prétendre au statut de vacataire ; elle « s’arrange » par ailleurs avec lui pour que cela ne lui coûte pas. De même, deux jeunes chercheurs en sciences de la vie racontent qu’ils viennent finir leurs expériences de recherche au laboratoire, « en cachette » et sans être couverts, c’est-à-dire qu’ils continuent à travailler gratuitement, tout en touchant des allocations-chômage, pour finaliser la recherche entamée et pour étoffer leur dossier de publications, afin d’augmenter leurs chances d’être recrutés.
57Au total, la précarité de ces agents relève d’un « en deçà de l’emploi » au sens d’un retour à la situation « avant » la société salariale, symbolisée par la stabilité de revenus, les droits du travail et les droits sociaux. Peu ou mal reconnus, eux-mêmes ont aussi la tentation de se mettre aux marges, voire en dehors de la légalité. Pour ces raisons, ils illustrent des formes anciennes (même si elles sont renouvelées) de subordination.
3.4 – Les formes de subordination « hors statut »
58La subordination est inhérente à la relation salariée ; toutefois, l’histoire longue de la société salariale lui a peu à peu associé des droits en contrepartie [Castel, 1995]. Dans le cas de la fonction publique, le statut a aussi comme contreparties des « obligations » fortes, comme servir l’intérêt général ; respecter le secret professionnel, la discrétion professionnelle, effectuer les tâches confiées ; l’obligation d’obéissance, de réserve de cumuler des emplois et des rémunérations… Les non-titulaires, sortant de ce cadre, sont soumis à des contraintes et des modalités de subordination différentes avec, parfois, des formes d’exploitation et d’arbitraire renouvelées.
59Cette réalité n’est certes pas récente : en effet, la présence d’un volet de « précaires » dans la fonction publique semble avoir toujours existé et se justifie, même en situation de plein emploi, par l’exigence de continuité du service public – ce qui implique, concrètement, que les services font appel à des personnes en situation précaire pour servir de « bouche-trou » et faire face aux nécessités de service. Parmi les formes classiques de subordination des précaires, on trouve donc la contrainte horaire, pour permettre aux titulaires de mieux gérer et réduire à l’échelle d’un service les horaires tardifs, décalés… Dans la fonction publique hospitalière notamment, le « tableau de service », qui précise les horaires de chaque agent pour chaque mois, doit assurer la continuité des soins et de la prise en charge des usagers, y compris les dimanches, les jours fériés et la nuit. Pour les équipes, le recours à un volet de « précaires » s’impose alors comme une souplesse (ou une facilité) indispensable.
60Certes, comme le rappelle Patrick Cingolani [2005], pour les agents non fonctionnaires, « l’intermittence » peut être un choix, par exemple en cas de temps partiel « choisi ». Pour autant, dans nos entretiens, de tels horaires apparaissent le plus souvent comme subis (le seul choix étant d’accepter ou de refuser l’embauche). Or ces contraintes sont encore aggravées quand la personne doit gérer des employeurs multiples. Ainsi, une psychomotricienne, devant combiner les exigences de trois employeurs (à tiers temps, tiers temps et 1/10e de temps) explique qu’elle a fini par démissionner d’un de ces postes, pour pouvoir assister aux réunions de service comme exigé sur un autre poste.
61L’imposition d’horaires subis (le soir, la nuit, etc.) se combine souvent avec une quantité parfois importante de surtravail peu voire non rémunéré, comme l’illustre l’exemple des « dames de service » d’une commune du Nord de la France, qui ne savaient jamais combien d’heures elles allaient faire ni combien d’heures elles allaient être payées, n’ayant pas de recours pour prouver ce qu’elles avaient fait.
« Avant, on savait pas le nombre d’heures. Les trois quarts du temps, ils nous sucraient les heures. »
63Enfin, à tous les niveaux de qualification, la subordination au niveau des horaires prend la forme de pressions à l’intensification du travail, et à la dépendance au chef – par exemple, l’obligation de suivre un directeur de recherches sur ses nouveaux terrains d’enquête… Dans le monde de la recherche universitaire, un jeune chercheur raconte son conflit avec son directeur de laboratoire, aussi directeur de thèse.
« Quand le contrat se terminait, il [le directeur de thèse] disait : je te redonne trois mois [de financement], si tu donnes plus que ce que tu fais actuellement. C’était un moyen énorme, c’était vraiment pas vivable… La thèse peut être difficile, on est dépendant du chef. Il y avait deux étudiants en thèse, dans mon ancien labo, quand le chef est parti à Londres : ils ont été obligés de le suivre. Un l’a fait, l’autre a abandonné. Là, être précaire est douloureux… »
65Or, face aux abus, le conflit ou le retrait sont toutefois difficiles à assumer en situation de précarité. C’est en effet par la peur du conflit qui peut faire « tout perdre » que beaucoup justifient d’accepter leurs conditions de travail, et même les humiliations…
« La précarité, c’est une manière d’atteindre les personnes, d’influer sur leur vie. Le chantage, toujours, le chantage à la titularisation… Et on n’ose pas, si le fils demande un logement, ou une place en crèche, ou quelqu’un de sa famille… Au travail, on est plus malléable. On n’ose pas dénoncer. On dit oui à tout. »
67Au final, d’après notre enquête, l’expression « en deçà de l’emploi » trouve son illustration la plus saisissante dans le retour du « droit de cuissage », évoqué de manière convergente par plusieurs enquêtés d’une même municipalité – qui souhaitent rester anonymes, et précisent bien que la municipalité vient de changer de maire.
« J’étais amie avec XX, elle est adjoint administratif. Sans passer de concours, promotion canapé. Moi aussi j’ai failli y passer, promotion canapé, avec le maire ; mais j’ai dit, moi non, hors de question. Je ne peux pas, je préfère… avoir une vraie histoire, quoi. »
« Les histoires de dames de service, ça va loin. Le chef, il en profite, c’est promotion canapé pour quelques heures par semaine. Pour avoir des heures, c’est avec le chef de service. Pour la titularisation, c’est avec le maire. »
70Ces témoignages donnent sens à l’idée de « retour » à un passé « en deçà » du salariat. Dans ces conditions, quel bilan peut-on faire quant à la thèse d’un « nouveau modèle d’emploi » en émergence ?
4 – Nouveau modèle possible et dualisation de fait
4.1 – Apories et limites de l’idée de « nouveau modèle »
71Comme indiqué précédemment, le statut de fonctionnaire reste le modèle d’emploi statistiquement dominant dans la fonction publique en France. D’après notre enquête, il est aussi le modèle qui organise le fonctionnement concret des collectifs de travail, et qui sert de référence positive auprès des personnes en emploi « atypique » : c’est lui qui justifie même souvent à leurs yeux d’accepter, avec l’espoir d’une situation temporaire, les conditions d’emploi et de travail précaires (y compris un sentiment d’arbitraire dans la relation avec son chef). Le modèle d’emploi à statut correspond à une aspiration largement exprimée, symbolisant des conditions de travail, de vie, acceptables, permettant l’accès au crédit, à la société de consommation.
72De ce point de vue, notre raisonnement nous amène à conclure que les contrats atypiques ne sont pas un « modèle » – qui serait d’ailleurs lui-même éclaté, compte tenu de la diversité que sous-tend l’expression (durée déterminée, stages, intérim, temps partiel subi…). Sous aucune de ces formes, dans aucun des secteurs étudiés, ces types d’emploi ne sont présentés comme un exemple valorisé, à suivre, ni même comme un schéma d’organisation bien défini, possédant des caractéristiques propres. Mais d’après les témoignages recueillis, soit les emplois précaires ne sont pas considérés comme tout à fait « normaux », soit ils sont vus comme une opportunité d’accéder au statut de la fonction publique, qui semble finalement le seul « modèle » d’emploi vraiment constitué.
73Pourtant, à ce stade de notre réflexion, certaines objections doivent encore être discutées. S’il est en effet minoritaire, l’emploi non titulaire se transforme, de récents accords ayant développé de nouvelles formes de contrat à durée indéterminée [3]. Or la multiplication de ce type de contrats pourrait réduire l’effet de dualisation (avec deux équipes, deux types de travailleurs, titulaires et non titulaires, en dedans ou en dehors de la fonction publique).
74Par ailleurs, l’idée d’une transformation globale est présente dans les témoignages – toutefois, elle l’est souvent sous la forme d’une menace confusément ou, parfois, fortement ressentie sur le modèle d’emploi à statut ; et simultanément, sur le contenu des missions de service public remplies. Cette idée est exprimée même parmi des agents éloignés des sphères de décision. Réagissant par exemple à des interventions du président de la République au moment de l’enquête (Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2011), ces salariés expriment alors un sentiment de remise en cause profonde, identitaire – à la fois pour eux-mêmes et également sur le devenir de la fonction publique à travers l’emploi à statut d’une part, leur modèle d’activité ou de mission « de service public » d’autre part.
75Par exemple, un animateur devenu fonctionnaire catégorie C redoute la loi sur la mobilité, parce qu’on pourrait l’obliger à exercer comme policier municipal, ce qui serait inacceptable à ses yeux – il préférerait perdre son emploi. Un jeune doctorant en sciences sociales refuse l’université managériale qui lui semble prônée et annonce qu’il essaiera, en ce cas, de développer des activités en dehors de l’université, là où cela pourrait peut-être rester « vraiment » de la recherche – tout en se demandant s’il en resterait encore :
« Dans le contexte de la réforme, ce qui se dessine, c’est une autre méritocratie. Je ne pense pas que je m’y conformerai. »
77De ce point de vue, l’idée de « nouveau modèle » nous apparaît donc comme étant encore à l’état de prémices ou de projet politique, qui se réalisera peut-être, ou peut-être pas. Par ailleurs, notre enquête ne confirme pas que la norme de l’emploi à statut serait une norme archaïque ni un phénomène de génération ; elle invite plutôt à mettre en avant le critère de l’âge. C’est à moins de 25 ans (voire 30 ou 35 pour les chercheurs) que l’emploi atypique est considéré comme acceptable : il s’agit en effet alors d’expériences gratifiantes, ouvrant des possibilités d’évolution, permettant de « faire ses preuves ». Mais au-delà de cet âge, et en particulier quand ils pensent à fonder une famille, ou qu’ils l’ont déjà fait, les « jeunes » expriment leur aspiration à un autre type d’emploi parce qu’ils s’inquiètent des difficultés à faire un emprunt pour un appartement, une maison [4]…
78Par exemple, le jeune chercheur en sciences sociales explique comment il a d’abord cru au discours « positif » sur l’instabilité, avant de réaliser qu’il s’était trompé.
« Aux premiers temps de ma thèse, j’ai fantasmé la précarité : l’instabilité, le flux tendu, c’était comme une expérience d’intensité, de liberté… Mais maintenant, je vois ce qui m’attend à la sortie de la thèse, ce n’est pas la précarité idéalisée. Mon sentiment maintenant, et celui de beaucoup de doctorants aussi, c’est qu’il nous attend quelque chose de noir, se battre pour des ressources rares, insuffisantes, revenir à la dépendance avec la famille… »
80Dans l’entretien, ce jeune exprime ainsi à la fois la crainte que, peut-être, un monde (professionnel, social) auquel il aspirait est en train de disparaître – à moins qu’il ne soit devenu inaccessible ? Pour autant, il ne renonce pas (pas encore ?) au « modèle » qu’il représente, et, après y avoir cru pourtant, il dénie clairement à la précarité de l’emploi le statut de « modèle » pour la fonction publique, au double sens que nous avons distingué, puisqu’il présente son avenir comme « noir », et le modèle d’organisation dans la précarité comme un idéal trompeur, qui ne permet pas de s’organiser de manière autonome.
81De ce point de vue, l’aspiration qui reste massivement exprimée, y compris par les « jeunes » au travers de nos résultats d’enquête, est de réussir à devenir titulaire de la fonction publique – c’est-à-dire que le « modèle » du statut en revanche, en reste un, à la fois statistiquement majoritaire, mieux valorisé et toujours accessible, en passant les concours organisés chaque année. Aussi, sans pouvoir énoncer ce que sera l’avenir (s’il devait y avoir, par exemple, une réforme radicale, et rapide de la fonction publique), c’est une autre hypothèse, déjà développée par ailleurs dans la littérature sociologique au sujet des évolutions du marché du travail, qui nous semble le mieux rendre compte de ce que nous avons observé.
4.2 – Un fonctionnement dual renouvelé
82À travers le raisonnement qui précède, l’hypothèse que nous proposons de retenir est en effet celle d’un fonctionnement dual qui prolonge un héritage déjà ancien, tout en le renouvelant.
83Certes, ces emplois « atypiques » ne sont pas si « nouveaux ». Il a toujours existé dans les fonctions publiques des travailleurs non titulaires, non qualifiés et/ou sous-qualifiés « faisant fonction », pour lesquels de grandes vagues de titularisation ont longtemps été organisées. L’existence de ces agents non titulaires répond, on l’a vu, au besoin de souplesse de l’institution pour organiser des remplacements, ou des horaires plus flexibles, par exemple. Autrement dit, il existe depuis les origines de la fonction publique des formes complexes de déconnexion entre qualification, statut, revenu, poste, fonction occupée, c’est-à-dire des formes de flexibilité et de mobilité dans ce monde souvent décrit comme rigide et réglementé – bien avant les réformes des 30 dernières années. En ce sens, l’opposition entre un statut de fonctionnaire ancien, archaïque et rigide et des contrats « atypiques » qui seraient la préfiguration d’une nouvelle modernité, véhicule des jugements de valeur mais ne rend pas compte de la réalité, ni passée ni présente.
84En revanche, si l’existence d’emplois non titulaires dans la fonction publique n’est pas nouvelle, du point de vue des enquêtés, l’espoir largement exprimé est que cette situation sera temporaire et qu’ils pourront rapidement se stabiliser. Même ceux (peu nombreux) qui pensent peut-être préfigurer l’avenir rappellent combien c’est difficile à vivre, et combien ils se sentent marginaux aujourd’hui, à la fois sur leur lieu de travail et dans la société – autrement dit, ils expriment le sentiment d’un dualisme dans la fonction publique, qui a des répercussions sur leur déficit d’intégration à la société.
85Pour illustrer, nous proposons de reprendre deux citations, parmi d’autres.
« Fonctionnaire ou pas, c’est différent. On n’est pas perçu comme des gens normaux, on manque de légitimité pour travailler, aussi bien par rapport aux élus qu’aux techniciens. Fonctionnaire, c’est hypervalorisant apparemment, c’est ce que je ressens. La manière dont ils en parlent, dont on procède avec nous, on est des extra-terrestres. »
« J’ai un bagage. Mon but, c’est de devenir kinésithérapeute. Rentrer dans la fonction publique. Stagiaire, puis titulaire, puis avoir des études rémunérées. Mon but, c’est d’évoluer. »
88Comme l’illustre cette dernière citation, le sentiment d’entrer dans un monde différent quand on entre dans la fonction publique est exprimé même par certains jeunes. En réalité, à l’inverse de la thèse selon laquelle le nouveau modèle d’emploi serait accepté et même valorisé par les nouvelles générations (cf. Mircea Vultur, supra), il ressort de nos résultats d’enquête que l’appréciation « positive » ou « négative » de la situation d’emploi précaire varie plutôt selon les anticipations d’évolution. Et de ce point de vue, la variable pertinente est moins la génération que l’âge. Ce n’est pas en tant que génération nouvelle, mais en tant que « jeunes » qu’ils ont un vécu positif, parce qu’ils peuvent espérer une progression – en particulier, une stabilisation et une « carrière » dans la fonction publique.
89Cette hypothèse est confirmée a contrario par un témoignage d’un employé de service qui exprime un vécu « positif » de son emploi précaire après 50 ans – positif du moins dans la première vague d’entretiens, mais qui devient très négatif lors de la deuxième phase de questionnaires, parce que la personne n’a pas été renouvelée et a été « rattrapée » par la précarité. Dans cet exemple, l’emploi précaire exercé par ce salarié en reconversion est le moyen d’exercer une fonction à laquelle il aspire, sans avoir le concours ou même, sans avoir les qualifications nécessaires. C’est plus généralement le cas des personnes « faisant fonction ». Cependant, les témoignages recueillis soulignent la dimension temporelle et provisoire de ce vécu : l’emploi précaire étant perçu comme une « chance » tant que dure l’espoir de réaliser son objectif, l’acceptabilité diminue au fur et à mesure que le temps passe. C’est ce qu’illustre encore le cas d’un autre enquêté, recruté comme veilleur de nuit dans un foyer de l’enfance, mais faisant lui aussi « fonction » de moniteur-éducateur auprès d’enfants en difficulté – ce qu’il considère d’abord comme une chance, surtout quand l’employeur accepte de financer sa formation. Mais cette satisfaction se transforme en dépit au moment de l’enquête parce que, malgré l’obtention du diplôme, son employeur ne l’a finalement pas embauché sur un poste correspondant et l’a maintenu comme veilleur de nuit, ce qu’il n’a « pas compris ».
5 – Conclusion
90Au terme de notre réflexion, la question de savoir si les emplois précaires dans la fonction publique relèvent d’un « en deçà » ou d’un « au-delà » de l’emploi apparaît comme indécidable, parce qu’il s’agit d’une question normative, qui implicitement projette une évolution du modèle d’emploi qui « devrait » advenir.
91Aujourd’hui pourtant, au-delà de la diversité des situations, non seulement l’emploi « non titulaire » dans la fonction publique est minoritaire, mais il ressort de nos résultats d’enquête qu’il se situe aux marges de cet univers, étant associé à des formes multiples de mise à l’écart et de dualisme sur le lieu de travail, dans la société, parfois même aux marges de la légalité. Pour les moins qualifiés, cette situation se traduit par la crainte du lendemain, provoquée par l’incertitude et l’absence de carrière. Dans les milieux qualifiés, la crainte est plus souvent celle du déclassement, d’un statut social dégradé. Les salariés précaires que nous avons rencontrés dénoncent une situation de dépendance, de soumission à l’arbitraire ; une perte de sens de leur activité. Leur situation d’emploi leur semble, à moyen et long terme surtout, inacceptable aussi parce qu’en contradiction avec un ensemble de normes sociales de revenu stable, d’accès au logement, au crédit… À l’inverse, le modèle de l’emploi « à statut » dans la fonction publique est certes vu comme menacé mais il reste, au moment de notre enquête, présenté et intériorisé comme « le » modèle dominant, et valorisé.
92Pourtant s’il y a, par certains côtés, deux mondes professionnels qui coexistent, nous avons aussi mis en évidence un sentiment partagé parfois exprimé, souvent diffus, de remise en cause à la fois de l’emploi à statut et de l’institution « fonction publique » en France. Les réformes qui visent le « grand soir statutaire » (selon la formule de l’ancien ministre Anicet Le Pors) sont parfois évoquées, ou en filigrane des témoignages.
93Le bilan que nous tirons est donc celui d’un décalage entre les discours politiques volontaristes sur la modernisation, la flexibilité positive, les évolutions inéluctables vers un « nouveau modèle » ; et les témoignages que nous avons recueillis, qui ne permettent pas de percevoir ce modèle comme un exemple positif, à suivre ; ni même comme une forme bien identifiée d’emploi et de travail (les situations étant plutôt vécues sur le mode du manque ou du « bricolage »).
94C’est pourquoi le devenir de l’emploi à statut comme celui de la fonction publique apparaît aujourd’hui à la fois incertain et ouvert – ni condamné, ni certain de perdurer, mais soumis à des rapports de force collectifs, et à notre capacité collective à élaborer de nouveaux droits, de nouvelles régulations du travail et un sens collectif partagé du contenu de l’activité.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : norme d’emploi, travailleur non titulaire, marges, précarité, fonction publique
Mise en ligne 28/11/2016
https://doi.org/10.3917/rfse.017.0065Notes
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[1]
Selon le Rapport annuel sur l’État de la fonction publique 2014, il y avait sur le territoire national au 31 décembre 2012 5,4 millions d’agents de la fonction publique (au sens : recrutés sur la base du droit public) : soit un emploi sur cinq, dont 70,7 % de titulaires, 17 % de non-titulaires, 5,7 % de militaires, 6,6 % « autres catégories et statuts » (enseignants et documentalistes des établissements privés sous contrat, ouvriers d’État, médecins des hôpitaux et apprentis…). Sources : FGE, Colter, DADS, SIASP, Insee ; enquêtes SAE, Drees. Traitement DGAFP, département des études et des statistiques. Champ : emplois principaux, tous statuts. Hors bénéficiaires d’emplois aidés. France entière = métropole et DOM.
-
[2]
Certains travaux portant sur des entreprises publiques où cohabitent des statuts d’emplois différents ont insisté sur l’effet de comparaison permanente entre les statuts [cf. Vezinat, 2008]. Selon notre enquête, d’autres éléments interviennent toutefois (pour rassurer un bailleur, obtenir un emprunt, etc.).
-
[3]
En mars 2011, le site du ministère, qui présente l’accord signé sur les contractuels dans la fonction publique, rappelle que « les plans successifs de titularisation engagés depuis plusieurs années n’ont pas permis de réduire le nombre de contractuels dans la fonction publique. Actuellement, sur les 5,2 millions d’agents que compte la fonction publique, 875 000 sont non titulaires, soit près d’un agent sur cinq. » Cet accord prévoit d’appliquer un dispositif de « CDisation » (ou « cédéisation ») aux agents qui occupent en contrats à durée déterminée (CDD) des emplois pour une durée supérieure à six ans.
-
[4]
Ici, c’est d’ailleurs moins le statut qui attire que la précarité des non-titulaires qui est rejetée. Ainsi, dans son témoignage, un jeune chercheur explique qu’il n’aspire pas nécessairement à avoir un poste de fonctionnaire mais « au moins » un CDI – pour pouvoir faire vivre sa famille, avoir un crédit, accéder à un logement –, la norme d’emploi instable entrant en contradiction avec les normes de stabilité de revenu, de logement, et familiale.