Notes
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[1]
L’auteure remercie Laurent Duclos pour nos échanges durant l’écriture de cet article et les précieux conseils qu’il a bien voulu me donner. Je remercie également les rapporteurs anonymes de la RFSE pour leurs commentaires.
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[2]
Genard [2007] souligne dans le même temps le risque que cette individualisation de l’aide se traduise par un renforcement des conditions de son attribution. Ce second scénario est également envisagé par Bonvin et Moachon [2005, p. 72] qui y voient la naissance d’un « individu soumis » et non d’un « individu acteur » : « L’individu fait son entrée en politique sociale non comme acteur autonome, mais pour mieux garantir sa subordination aux normes sociales. Le recours à de tels indicateurs subvertit donc la logique de l’État [social] traditionnel dans le sens où il permet d’augmenter la pression sur le bénéficiaire. »
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[3]
Nous utilisons ici « production normative » au sens où la développe Chevallier [2012] en mettant l’accent sur le rôle de l’administration dans la formulation des problèmes, dans la définition concrète d’un dispositif ou dans la rédaction des textes réglementaires, des circulaires et des programmes d’action. Comme il le résume : « La fonction des services administratifs ne se réduit pas à un simple habillage juridique : ils disposent bel et bien d’une influence sur le contenu même des normes. Il ne s’agit pas seulement pour eux de fournir aux décideurs politiques les éléments d’information dont ils ont besoin […], ils exercent une fonction de cadrage, qui conditionne les arbitrages ultérieurs » [Chevallier, 2012, p. 631].
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[4]
Les chiffres présentés sont issus du bilan RH de cette administration au 3 octobre 2011.
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[5]
Avec évidemment des nuances sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici.
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[6]
Par exemple pour le programme 102, on trouve l’action 2-02 « Accompagnement des publics les plus en difficulté », dans le programme 103, l’action 1 est intitulée « Anticipation et accompagnement des conséquences des mutations économiques sur l’emploi ».
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[7]
Par exemple, pour le programme 102, l’action 1 concerne « l’action du service public de l’emploi ». Il est indiqué que ce dernier « joue ici un rôle primordial en étant responsable du placement […], de l’indemnisation du chômage, de l’insertion, de la formation et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi » (PLF 2010 – la même justification est avancée les autres années).
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[8]
Comme le rappelle Duclos [2008, p. 45], « si en droit […] on peut admettre que le type juridique ne permet jamais d’apprendre quoi que ce soit sur l’essence [d’une chose ou d’un cas d’espèce], il convient en revanche que le type en question facilite les opérations dites de qualification, permettant d’identifier une chose comme étant [quelque chose] au sens défini par un texte ». Dit autrement, le droit ne permet pas de toucher du doigt la substance de la chose. Pour autant, l’administration dans sa pratique tend à faire du mot la chose.
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[9]
C’est aussi la définition qu’en donne Duclos [2009, p. 50] : « Dans la loi ou dans la réglementation, la notion de parcours est toujours associée à une prescription délivrée dans le cadre d’un dispositif ou d’une prestation unique et renvoie à des étapes définies a priori, typiquement en ce qui concerne aujourd’hui le parcours contractualisé du demandeur d’emploi. »
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[10]
Cette réflexion était en cours au moment de l’enquête. Depuis, elle a donné lieu à deux parcours expérimentaux distincts dans le cadre du Civis : le « Civis Pade » (Parcours d’accès direct à l’emploi), d’une durée de 6 mois renouvelable pour une durée de 3 mois ; et le « Civis d’adaptation », d’une durée d’un an renouvelable pour une durée de 6 mois pour les jeunes considérés comme « plus éloignés de l’emploi ».
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[11]
Le travail de définition du terme « accompagnement », commencé au sein d’APE, s’est poursuivi au cours de l’année 2011 au sein des structures locales d’accompagnement œuvrant sous le pilotage d’APE. La question de la distinction à faire entre « accompagnement professionnel » et « accompagnement social » a été posée aux conseillers rencontrés. Tous considèrent que, dans la pratique, la frontière entre ces deux modes d’accompagnement est floue et peu opérationnelle. Tous revendiquent de faire de l’accompagnement « socioprofessionnel ».
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[12]
La démarche de conventionnement sur cette même logique est en cours pour les SIAE (Structures d’insertion par l’activité économique).
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[13]
Circulaire APE n° 2007-26 du 12 octobre 2007 relative au financement du réseau des missions locales et PAIO. C’est cette circulaire qui définit le cadre de la CPO et l’offre de service des missions locales selon les cinq axes suivants :
- Axe n° 1 : « repérage, accueil, information, orientation ».
- Axe n° 2 : « accompagnement des parcours d’insertion ».
- Axe n° 3 : « développement d’actions pour favoriser l’accès à l’emploi ».
- Axe n° 4 : « expertise et observation active du territoire ».
- Axe n° 5 : « ingénierie de projet et animation locale du service de l’insertion professionnelle et sociale des jeunes ».
-
[14]
L’article L5321-1 du code du travail définit le placement en ces termes : « L’activité de placement consiste à fournir, à titre habituel, des services visant à rapprocher les offres et les demandes d’emploi, sans que la personne assurant cette activité ne devienne partie aux relations de travail susceptibles d’en découler. »
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[15]
Au sens où le définissent Jobert et Muller [1987].
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[16]
Il est d’ailleurs assez étonnant de constater qu’aucune référence spécifique n’est faite à la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE) alors même qu’APE doit veiller à son inscription dans les politiques menées. Les référentiels européens autour de la notion d’activation [Barbier, 2006 ; Béraud & Eydoux, 2008] n’ont jamais été évoqués lors des entretiens. On peut, néanmoins, faire l’hypothèse que ces débats jouent le rôle de « convention macroéconomique » [Salais, 2004] mobilisée notamment dans les « éléments de langage » a posteriori pour justifier les choix opérés.
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[17]
La notion d’anarchie organisée a été développée par ces trois auteurs dans le cadre de recherches sur le monde universitaire. Elle qualifie les organisations qui répondent à quatre caractéristiques : 1) l’absence d’objectifs vraiment cohérents et partagés par tous ; 2) un processus de production qui repose sur une technologie complexe et en général immatérielle ; 3) le fait que la majeure partie du personnel exerce son activité dans un cadre de faible supervision ; 4) une faible structuration des processus de décision. Si APE ne répond pas dans sa globalité à ce modèle, ce dernier nous semble pertinent sur la question particulière de l’accompagnement. L’hypothèse demanderait à être davantage creusée.
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[18]
Cette gestion par la performance a été énoncée comme telle dans la dernière circulaire relative aux missions locales (circulaire n° 2011-03 du 19 janvier 2011) où il est indiqué que les dotations affectées aux missions pourront être modulées (à hauteur de 5 %) sur la base de leur performance. Le secteur de l’IAE est également concerné : invité en mai 2011, en ouverture d’un colloque organisé pour les vingt ans du CNIAE, X. Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, a énoncé qu’« il faut mettre la notion de performance au cœur de l’insertion par l’activité économique. La performance n’est pas un gros mot, on peut aussi parler d’efficacité ».
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[19]
Comme le montre Duclos [2009] : « Si la notion de “parcours” s’est imposée en droit français – sans pour autant créer de véritable “droit au parcours” – c’est principalement pour s’attribuer à des “dispositifs prescriptifs” […]. De ce fait, la possibilité pour un individu de déterminer un itinéraire qui lui soit propre est freinée concrètement, par les pratiques de gestion de programmes cloisonnés. » [Duclos, 2009, p. 50]
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[20]
Circulaire n° 2008-21 du 10 décembre 2008 relative aux nouvelles modalités de conventionnement des structures de l’insertion par l’activité économique.
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[21]
Comme le soulignent Behaghel, Crépon et Gurgand [2008, p. 58] chargés de l’évaluation de l’expérimentation : « Les différents effets des OPP apparaissent très cohérents avec les incitations auxquelles ils sont soumis selon les termes de leurs contrats. En ce sens, ces opérateurs se sont clairement acquittés de leurs missions. »
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[22]
C’est l’expression utilisée.
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[23]
Divay et Balzani [2008, p. 223] comparent cette activité pour les accompagnateurs à un « surtravail » ou un « travail sur leur travail ».
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[24]
C’est le terme employé dans le rapport Schwartz (1981) qui fonde l’action des missions locales, repris par la suite dans les chartes successives rédigées par le réseau des missions locales pour structurer leur activité (chartes de 1990, 2000 et 2005).
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[25]
Expression reprise de Dupaquier et al. (2007, p. 223). Ils s’appuient sur l’analyse qu’en fait Latour. Un actant est un être, ou une chose, qui se définit par sa faculté à agir et à avoir un poids dans le déroulement d’une action.
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[26]
Farvaque (2004) utilise cette expression reprise de R. Salais pour souligner le renforcement de l’intervention de l’État dans le champ de l’insertion des jeunes, ce qui conduit à recadrer l’action des missions locales.
1 – Introduction
1La notion d’accompagnement a connu un usage extensif en France au début des années 2000 et s’est appliquée aussi bien aux champs de la santé, de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’insertion sociale que des politiques d’emploi [Ardoino, 2000]. Dans le champ des politiques d’emploi, le terme d’accompagnement s’est imposé, se substituant aux notions d’insertion, de suivi, de placement, d’aide ou encore de retour à l’emploi. Un tel succès n’est pas sans lien avec la contribution qu’il a apportée au renouvellement des formes d’intervention de l’État social. En effet, comme le souligne Genard [2007], l’État social de l’après-guerre s’est constitué avec des « droits-créances » qui ont pu conduire à la production d’une dimension impersonnelle et décontextualisée de l’aide proposée, dimension impersonnelle vue comme un gage de justice. En réponse aux critiques de déresponsabilisation et d’assistanat imputées à ces politiques, l’État social s’est, pour une part, mué en « État-réseau » pourvu de « droits-autonomie » qui mettent l’accent sur les capacités des individus, cherchent à les responsabiliser en en faisant des acteurs à part entière de la relation d’aide. Cette évolution est « la reconnaissance que les ressources d’émancipation institutionnelles, objectivées de l’État social, ne suffisent pas et qu’il peut être pertinent d’y ajouter des ressources personnalisées, s’appuyant sur un accompagnement individualisé [2] » [Genard, 2007, p. 60]. L’accompagnement serait donc une voie de dépassement de la relation de guichet et un mode de rénovation du « travail sur autrui ». C’est un modèle « de co-construction de l’aide [...] où le premier enjeu consiste à garantir la compétence relationnelle de l’ensemble des protagonistes, ce qui suppose pratiquement de commencer par reconnaître le milieu de l’autre (de la personne aidée) comme un espace de ressources mobilisables pour l’action. [...] Elle repose sur des interventions présentes attentives à ce qui arrive et non fondées sur des programmes prédéfinis » [Ion et al., 2007, p. 167].
2Les vertus ainsi prêtées à la notion d’accompagnement font que de plus en plus de politiques publiques s’en réclament, tant et si bien que l’accompagnement fait figure de « nébuleuse » [Paul, 2002]. Un certain nombre d’analyses ont contribué à ouvrir cette « boîte noire » que constitue l’accompagnement. Jusqu’ici les auteurs ont principalement privilégié deux axes : 1) relier la généralisation de la notion, et ses implications en termes d’impératif de retour à l’emploi, avec la question des politiques d’activation et la stratégie européenne pour l’emploi [Barbier, 2006 ; Béraud & Eydoux, 2008 ; Dang & Zajdela, 2009] ; 2) analyser la notion en partant des pratiques d’acteurs au sein des structures d’accompagnement et observer leur potentiel d’innovation [Ion, 1998 ; Divay & Balzani, 2008 ; Divay, 2008 ; 2009]. Sont donc privilégiées soit une focale « par en haut » (le niveau européen), soit une focale « par en bas » (le niveau local où œuvrent les structures). Peu d’études à notre connaissance se sont penchées sur l’interprétation de la notion d’accompagnement au niveau national, celui du prescripteur. C’est ce que nous nous proposons de faire dans cet article en éclairant les significations que confère à cette notion l’administration centrale en charge de la conception et du pilotage des politiques d’emploi. À cette fin, nous analyserons la production normative [3] de cette administration, que nous nommerons APE (pour « Administration des politiques d’emploi »). Nous présentons l’APE dans l’encadré 1 ci-dessous.
Encadré 1 - Présentation d’APE (Administration des politiques d’emploi) et des dispositifs d’accompagnement étudiés
Dans ses décrets de définition, l’APE est chargée de proposer les orientations de la politique d’emploi et de formation professionnelle. Elle en construit le cadre juridique, conduit et coordonne la mise en œuvre des dispositifs à travers l’action du Service public de l’emploi (Pôle emploi, l’Afpa – Association nationale pour la formation des adultes, les missions locales, les Cap Emploi) et des Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Elle en évalue les résultats et veille, en outre, à l’inscription des politiques menées dans la stratégie européenne pour l’emploi (SEE).
Cette administration compte près de 300 agents qui sont à plus de 75 % des agents de catégories A+ (9 % de cadres supérieurs, d’énarques ou d’administrateurs civils) et A (66 % de cadres dont 25 % sont contractuels de la fonction publique) avec des profils plutôt de juristes. Relativement jeune, le personnel de cette administration a une moyenne d’âge de 46,8 ans. Comme dans toutes les administrations centrales, ces agents de catégorie A+ et A construisent leur carrière, ce qui les conduit à des mobilités fréquentes entre administrations ou des mobilités de poste en poste au sein de la même administration. Ainsi pour l’APE, l’ancienneté moyenne est de moins de six ans pour plus de la moitié des agents (52 %), et plus de la moitié (56 %) ont moins de trois ans d’ancienneté sur le poste occupé [4].
L’APE est organisée en deux grands services : le service des politiques d’emploi et de formation professionnelle, et le service du budget (intitulé « financement et modernisation »).
Le service des politiques d’emploi comprend trois sous-directions spécialisées sur les politiques d’emploi et d’insertion :
- la sous-direction « accès et retour à l’emploi » ; c’est au sein de cette sous-direction que l’on trouve les services en charge de la politique d’insertion des jeunes, des contrats aidés, de l’IAE (insertion par l’activité économique) et d’aide à la création d’entreprise (NACRE) ;
- la sous-direction « mutations de l’emploi et du développement de l’activité » ; c’est au sein de cette sous-direction que sont gérés les dispositifs de politique d’emploi liés au licenciement économique (Plan de sauvegarde de l’emploi ou Contrat de transition professionnelle) ;
- la sous-direction « service public de l’emploi » qui gère les relations avec Pôle Emploi, l’AFPA et les institutions en charge des travailleurs handicapés (Agefiph et Cap emploi).
Au final, nous nous sommes centrée sur six dispositifs d’accompagnement :
- la prestation « jeunes diplômés », le contrat d’autonomie et le dispositif Nacre (Nouvel accompagnement pour la création et la reprise d’entreprise) mis en œuvre par des opérateurs privés,
- le Civis (Contrat d’insertion dans la vie sociale) mis en œuvre par les missions locales,
- le CTP (Contrat de transition professionnelle) mis en œuvre initialement par Transitio (une agence de l’AFPA) puis par Pôle Emploi, mais sur la base du modèle d’organisation établi par Transitio,
- les dispositifs d’insertion par l’activité économique mis en œuvre par les SIAE (Structures d’insertion par l’activité économique).
Description des principaux dispositifs qualifiés de « dispositifs d’accompagnement » sur la base des circulaires, chartes et cahiers des charges produits par APE
Description des principaux dispositifs qualifiés de « dispositifs d’accompagnement » sur la base des circulaires, chartes et cahiers des charges produits par APE
3Alors qu’il ressort des niveaux d’analyse « par en haut » comme « par en bas » une représentation et un discours cohérents, soit sur les fondements d’une politique d’accompagnement (autour de la notion d’activation pour le niveau européen), soit sur le sens de la démarche (volonté de co-construction de l’aide de la part des conseillers au niveau des structures) [5], nous montrerons qu’il n’émerge pas, au niveau de l’APE, de doctrine unifiée (2). Pour autant, et c’est là le paradoxe, des impératifs de gestion des dispositifs émergent sans être pleinement pensés (3) et ont des effets potentiels sur les pratiques d’accompagnement qu’ils tendent à normaliser par défaut (4).
2 – L’absence de représentation unifiée de la notion d’accompagnement au sein de l’administration
4Partant du fait qu’il existe, tant au niveau européen qu’au niveau des structures locales, une représentation de la notion d’accompagnement, nous avons initialement engagé notre travail d’analyse en cherchant à faire ressortir une vision de cette notion propre à l’APE. Pour ce faire, trois sources de matériaux ont été mobilisées :
- deux documents produits par cette administration et/ou qui structurent son action : le projet annuel de performance de la mission « Travail et Emploi » et le Code du travail ;
- la production normative de l’administration : les circulaires, les cahiers des charges à destination des opérateurs mettant en œuvre les dispositifs, les chartes, et ce pour les dispositifs qu’elle qualifie de « dispositifs d’accompagnement » ;
- une série d’entretiens semi-directifs menés auprès des agents en charge de la conception et de la mise en œuvre des politiques d’emploi.
Encadré 2 – Méthodologie
Trois sources de matériaux ont été mobilisées :
- les projets annuels de performance (PAP) de la mission « Travail et Emploi » adossés à la procédure budgétaire issue de la Lolf (Loi organique relative aux lois de finances) qui sont la manifestation de l’introduction de la mesure de la performance au cœur de l’action publique [Arkwright et al., 2007 ; Jany-Catrice, 2012] ;
- les dispositions du Code du travail, en rapport avec chacun des dispositifs étudiés, prolongées par la production réglementaire du ministère en charge de l’Emploi (circulaires définissant les dispositifs et leur pilotage, cahiers des charges cadrant l’action des opérateurs chargés de la mise en œuvre des dispositifs, etc.) ;
- des entretiens, au nombre de dix-neuf, menés entre janvier et mars 2010 auprès des responsables d’administrations centrales en charge de la conception et de la mise en œuvre des politiques d’emploi. Du fait que chaque dispositif de la politique de l’emploi est attribué à un bureau ou une mission spécifique, l’échantillon épouse volontairement l’organigramme de l’administration concernée.
Les entretiens sont de type « semi-directif ». Le caractère semi-directif s’est limité à une question de départ : « Que recouvre pour vous la notion d’accompagnement ? ». La « grille d’entretien » utilisée était moins un guide à proprement parler qu’un support préalable ayant permis d’identifier des énoncés types issus des textes réglementaires repérés dans le corpus mobilisé. Ce choix méthodologique a été induit par la particularité des personnes rencontrées : leur activité quasi quotidienne les amène à produire et recycler en permanence un matériel désigné par l’expression d’« éléments de langage » (EDL) visibles dans la déclinaison des textes réglementaires, la réponse à des questions parlementaires ou la préparation d’une « copie » pour le ministre. Le repérage a priori de ces formules consacrées par l’usage était nécessaire pour pouvoir détecter ce qui, de surcroît, se disait « en plus » dans les entretiens. La conduite des entretiens était tournée vers la production d’un contenu propre qui excède, dépasse, voire fait « dérailler » ces EDL.
Analyse des discours
Le corpus constitué ne nécessitait pas, par sa taille, l’usage d’un logiciel d’analyse textuelle. En effet, les dispositifs étudiés sont relativement récents et les textes réglementaires s’y rapportant sont en nombre limité et stable (par exemple il y a depuis 2005 trois circulaires sur les missions locales, une sur l’insertion par l’activité économique (IAE)). De manière plus fondamentale, l’analyse manuelle se justifiait par ce qu’elle apporte à la compréhension des entretiens. Il ne s’agissait pas de faire ressortir un agencement contrasté des mots mobilisés (ce que produit un logiciel d’analyse textuelle) car les classes d’énoncés sont déjà structurées par la nature même de l’organisation d’APE : chaque bureau renvoie à la gestion d’un dispositif particulier, dispositif qui est régi par des textes identifiables et donc porteur de classes d’énoncés distinctes. Aussi avons-nous adopté une approche compréhensive du discours des agents rencontrés [Pharo, 1985].
2.1 – L’absence de définition dans le projet annuel de performances et le Code du travail
5L’APE a en charge la gestion des programmes 102 « Accès et retour à l’emploi » et 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi » de la mission « Travail et emploi », telle qu’elle a été définie dans le cadre de la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001 et appliquée en 2006. Le projet annuel de performances (annexé au projet de la loi de finances) donne lieu à la présentation des actions de ces deux programmes. On y trouve, en particulier, à destination du Parlement, une justification générale des actions menées. Nous avons analysé les projets annuels de performance de 2006 à 2010. Il s’agissait de repérer où le terme « accompagnement » apparaissait, de quelle manière il était défini et si son utilisation évoluait.
6La lecture ainsi orientée de ces documents n’offre pas de vision claire de ce qu’est l’accompagnement. On constate que le terme est mobilisé aussi bien dans le titre d’une action [6] que dans sa justification [7]. L’accompagnement définit aussi bien une action indirecte vis-à-vis des structures ou des territoires (c’est la tendance qui se dégage du programme 103) qu’une action plus directe orientée vers les personnes en difficulté d’insertion (tendance du programme 102). D’un point de vue lexical, on trouve, d’une part, des termes posés comme des équivalents de la notion d’accompagnement, tels qu’« aide », « conseil », « appui » ou « ingénierie », qui pourraient finalement s’y substituer ; et, d’autre part, des termes qui complètent la notion sans la définir, l’accompagnement étant alors suivi d’adjectifs comme « individualisé », « renforcé », « intensif » ou encore « personnalisé », comme pour qualifier sa substance. Au final, aucune définition de ce terme n’est posée et son usage s’avère extensif.
7L’autre document fort qui encadre l’action d’APE est le Code du travail puisque toutes les productions de l’administration doivent s’y conformer. Nous y avons recherché les articles contenant le terme d’accompagnement. Ils sont au nombre de 158 dont la moitié se situe dans la partie législative sur laquelle nous nous sommes arrêtée. Il ressort de notre investigation qu’il n’apparaît pas de définition en propre de ce qu’est l’accompagnement. Le code permet seulement de déduire ce qu’il n’est pas. Sans reprendre chaque article, on peut citer deux exemples :
- L’article L.1233-65 stipule que l’employeur doit proposer à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique une convention de reclassement personnalisé : « Cette convention lui [au salarié] permet de bénéficier, après la rupture de son contrat de travail, d’actions de soutien psychologique, d’orientation, d’accompagnement, d’évaluation des compétences professionnelles et de formation destinées à favoriser son reclassement. » On peut donc en déduire qu’au sens de l’article L.1233-65 [8] l’accompagnement apparaît comme une action spécifique qui se distingue du soutien psychologique, de l’orientation ou de l’évaluation des compétences. On ne sait pas pour autant ce qu’il recouvre.
- L’article L.5314-2, relatif à l’action des missions locales dans le cadre du service public de l’emploi (SPE), énonce que « les missions locales […] ont pour objet d’aider les jeunes […] à résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement ». Au sens de cet article, l’accompagnement mis en œuvre par les missions locales se distingue des actions d’accueil, d’information et d’orientation, avec l’idée supplémentaire que l’accompagnement serait le dernier échelon d’une action d’aide à l’insertion.
2.2 – L’absence de vision unifiée de la notion d’accompagnement au sein d’APE
8Cherchant à aller plus loin dans notre investigation, nous avons mené une enquête auprès des agents d’APE en charge de la conception et de la mise en œuvre des politiques d’emploi. Dix-neuf entretiens ont été conduits sur un mode semi-directif ouvert dans les trois sous-directions spécialisées sur les politiques d’emploi (cf. encadrés 1 et 2). Au sein de ces sous-directions, nous avons rencontré les chefs de mission que l’on peut qualifier de « porte-parole d’un dispositif », parfois leur adjoint et quelques chargés de mission quand ils avaient la charge d’un dispositif particulier. L’objectif des entretiens était de parvenir à cerner la notion d’accompagnement, de repérer les dispositifs qualifiés comme tels pour comprendre leurs spécificités.
9Contactées par courrier électronique puis par téléphone, les personnes interrogées ont été informées de l’objectif de l’étude que nous avons résumé en disant qu’il s’agissait d’« ouvrir la boîte noire de l’accompagnement ». Dans plus de la moitié des échanges menés, la première réaction a été de nous demander ce que nous entendions par « accompagnement » ! Nous avons donc retourné la question à nos interlocuteurs en leur demandant de nous donner leur définition. Ce sont au total plus de soixante-dix mots qui ont été utilisés pour qualifier l’accompagnement. Nous avons regroupé les termes qui nous semblaient traduire des positionnements distincts pour appréhender l’accompagnement et obtenu ainsi quatre groupes lexicaux reproduits dans le tableau 1 ci-dessous.
Classification des mots utilisés pour qualifier la notion d’accompagnement au cours des entretiens
Classification des mots utilisés pour qualifier la notion d’accompagnement au cours des entretiens
10Dans le premier groupe, l’accompagnement est pensé du point de vue de l’individu. « L’accompagnement, c’est l’idée d’une co-production… c’est quand l’usager est acteur… L’accompagnement c’est à deux… On ne parle pas d’accompagnement quand il y a expertise. […] L’accompagnement, c’est prendre une personne et la suivre. » Dans ce groupe, trois visions émergent. Soit l’accompagnement est pensé comme quelque chose d’assez neutre qui s’apparente à de l’« aide », de l’« appui », du « conseil ». Soit l’accompagnement est associé à une vision péjorative mettant en lumière la passivité de l’individu, avec les termes de « maternage » ou de « prise en charge ». Soit, enfin – de façon plus positive –, l’individu est pensé comme un acteur à part entière de la démarche, et l’accompagnement est alors synonyme d’« autonomisation », de « co-construction » ou de « faire avec ».
11Cette entrée qui pose l’individu au cœur de la relation d’accompagnement n’est pas l’entrée la plus fréquente. Les personnes interrogées ont plus souvent une approche « technique » de l’accompagnement en résumant la démarche à la question du parcours, aux outils mobilisés ou aux objectifs poursuivis.
12Dans le deuxième groupe, l’idée d’accompagnement est associée à la notion de parcours. « L’accompagnement est un parcours, on prend une personne et on la suit. […] L’accompagnement est un processus inscrit dans la durée pour donner le temps à un individu que son projet émerge. »
13L’accompagnement est alors conçu comme un temps d’action structuré en étapes, en séquences (avec un amont/un aval ou un avant/un pendant/un après). L’accompagnement se conçoit comme un processus dynamique qui demande du temps. Pour illustrer ce besoin de temps, l’une des personnes interrogées disait : « Dix minutes c’est de l’information, deux heures c’est de l’accompagnement. » La relative unanimité pour mettre en avant la question du temps n’empêche pas les interlocuteurs de questionner la durée idéale d’un parcours d’accompagnement, certains soulignant le risque qu’il y a à ce qu’un individu soit « accompagné toute sa vie » si le dispositif n’est pas borné dans sa durée.
14Dans le troisième groupe, l’accompagnement consiste à discuter des outils mobilisés. « On accompagne en fonction des outils que l’on a. […] Ce qui définit l’accompagnement de manière générale c’est un référent unique, des entretiens réguliers, c’est l’identification d’obstacles, la définition d’un projet professionnel. »
15La notion d’accompagnement est directement déclinée en termes de « prestations », d’« offre de service ». Ce qui est mis en avant est alors ce que contiennent les dispositifs plus qu’une philosophie générale de l’action. En mettant l’accent sur les prestations reçues par l’individu, les interlocuteurs raisonnent en termes de « droits et devoirs », d’« obligations réciproques » définies dans un « contrat ».
16Et enfin, dans le quatrième groupe, l’entrée se focalise sur les objectifs poursuivis par une action d’accompagnement. « L’accompagnement c’est créer un environnement favorable pour parvenir aux objectifs visés. […] L’accompagnement c’est utiliser une procédure pour aller d’un point A à un point B. »
17Une diversité d’objectifs est identifiée. Pour certains, l’accompagnement doit répondre à l’ensemble des problématiques que rencontre un individu, il a donc une visée globale. Pour d’autres (majoritaires), l’accompagnement est connecté à des objectifs en lien avec l’emploi, qu’il s’agisse du placement, de la formation, ou du retour à l’emploi. Pour ce second groupe, on est alors dans une schématisation de l’accompagnement très différente de ce que les personnes du groupe 1 évoquaient sur la notion de co-construction. Le but est ici prédéfini, il conditionne l’action qui va être mise en œuvre.
18Notre analyse fait ainsi ressortir une pluralité de points de vue pour qualifier la notion d’accompagnement : nous en avons identifié quatre. Cette pluralité traduit l’absence de doctrine en matière d’accompagnement au sein d’APE. On peut ajouter que les interlocuteurs, plutôt que de développer leur vision de l’accompagnement, déplacent rapidement la discussion sur les dispositifs dont ils ont la charge, quand ils ne commencent pas directement par décrire leur dispositif (dans la moitié des cas). Nous avons donc cherché à mieux comprendre comment ceux-ci étaient construits.
3 – Des préoccupations communes dans la rationalisation des dispositifs
19Lorsque nous avons interrogé nos interlocuteurs pour appréhender leur définition de l’accompagnement, leurs réponses se sont centrées sur la description et la gestion des dispositifs dont ils ont la charge. En tirant ce fil nous avons croisé leurs discours et les documents (circulaires, cahiers des charges de marché public…) produits sur les dispositifs qui nous avaient été signalés comme étant des « dispositifs d’accompagnement » lors des entretiens. Nous avons décortiqué chaque dispositif et pu mettre en évidence des similitudes, une forme d’idéal-type du dispositif d’accompagnement, où l’on distingue les étapes d’un parcours, le contenu de prestations, les outils prédéfinis et un standard de compétences attendues de la part du prestataire mettant en œuvre le dispositif. Ce travail a donné lieu à la construction du tableau 2 ci-dessous qui, croisé avec les entretiens menés, permet d’identifier trois logiques de rationalisation :
- la volonté de structurer l’accompagnement en parcours ;
- la standardisation du contenu des prestations attendues par les opérateurs ;
- le renforcement de l’objectif du retour rapide à l’emploi.
3.1 – La structuration des dispositifs d’accompagnement en parcours
20À partir de la définition spontanée proposée par les personnes rencontrées et de l’étude détaillée des dispositifs d’accompagnement, la notion de parcours apparaît comme récurrente dans toute la production langagière d’APE. Le parcours est défini comme un cadre global, le plus souvent celui d’un dispositif, dans lequel s’inscrivent les personnes et qui leur permet par la suite de bénéficier de prestations individualisées [Mériaux, 2009] [9]. Pour les dispositifs d’accompagnement d’APE, ce parcours (ce cadre d’organisation) est défini par deux paramètres :
- la prédéfinition du temps qu’on lui accorde, c’est-à-dire que le droit de bénéficier d’un parcours d’accompagnement est ouvert pour un temps limité, en général six mois ou un an ;
- la décomposition de ce temps en étapes, elles-mêmes prédéfinies (cf. la deuxième colonne du tableau 2).
3.2 – La relative standardisation des prestations contenues dans le parcours d’accompagnement
21L’analyse des différents dispositifs étudiés fait apparaître également une tendance générale à la standardisation du contenu des dispositifs d’accompagnement. Si le droit au parcours existe, la personnalisation des prestations reste très limitée au profit d’une individualisation des outils ou de l’ingénierie de l’accompagnement (tableau 2, colonne 3).
22Certains dispositifs produits par APE se définissent comme des dispositifs d’« accompagnement renforcé » ou des dispositifs d’« accompagnement individualisé » auxquels les agents qui les gèrent prêtent une qualité supérieure aux « simples » dispositifs d’accompagnement. Pour autant, ces dispositifs « plus plus » mobilisent les mêmes outils que les dispositifs de « simple » accompagnement. Notre tableau fait apparaître une forme générique des prestations d’accompagnement : un suivi par un référent avec des contacts réguliers ; la signature d’un contrat qui formalise les engagements de chacune des parties dans une logique droits/devoirs ; un partage entre des ateliers individuels et des ateliers collectifs ; l’apprentissage de techniques de recherche d’emploi ; la mise à disposition de prestations complémentaires pour répondre à des difficultés spécifiques (formation, bourses). Au final, entre les dispositifs, la différence porte plus sur des variations d’intensité d’usage de ces outils (nombre de personnes dans le portefeuille du référent, nombre de rencontres prévues) que sur les outils eux-mêmes. Un dispositif qualifié d’« accompagnement renforcé » se distingue d’un dispositif qualifié d’« accompagnement » par le fait que le portefeuille du conseiller est plus restreint et que le nombre de rencontres prédéfinies est plus élevé. Comme le soulignait d’ailleurs l’un des agents d’APE en charge d’un dispositif d’accompagnement renforcé : l’accompagnement « renforcé », c’est « la mobilisation des outils antérieurs dont on bouge certains paramètres ».
23À côté de ces outils communs, l’étude des circulaires et des cahiers de charges fait apparaître une normalisation des procédures de mise en œuvre de l’accompagnement avec un format des prestations attendues défini en amont. Le CTP est illustratif de cette tendance. Nous avons eu accès aux documents de présentation du parcours d’accompagnement (Document 1). On peut y voir que le nombre d’entretiens, au cours des différentes phases de l’accompagnement, est prédéfini, ainsi que le temps qui leur est imparti.
3.3 – Le renforcement de l’objectif de retour à l’emploi
24La troisième tendance perceptible est la volonté de faire de l’accompagnement un outil centré sur un objectif central : le retour rapide à l’emploi. Cela passe par une redéfinition de la notion d’accompagnement, mais aussi par le renforcement de l’action de placement exigée auprès des structures mettant en œuvre les dispositifs.
25Tant les personnes rencontrées que les circulaires rédigées distinguent l’« accompagnement professionnel » de l’« accompagnement social ». Pour autant, aucun de ces termes n’est défini. La distinction n’est qu’intuitive et semble « aller de soi » (« on voit bien la différence ») [11]. L’accompagnement professionnel serait une action centrée sur l’objectif de retour à l’emploi, tandis que l’accompagnement social serait une action dont le contenu est plus éloigné d’une aide au retour rapide à l’emploi. Cette distinction émerge même auprès des agents en charge du pilotage des missions locales dont le fondement constitutif est de faire de l’« accompagnement global », c’est-à-dire de l’accompagnement professionnel et social [Schwartz, 1981].
26Pour des dispositifs nouveaux, comme le contrat d’autonomie, le cahier des charges est rédigé en conséquence et le dispositif qualifié comme un dispositif d’accompagnement professionnel. Pour des dispositifs plus anciens, l’administration requalifie l’action des structures qui les mettent en œuvre, ou s’engage dans une démarche de conventionnement pour financer les axes qu’elle juge prioritaires. Les missions locales ont été soumises à une telle démarche [12]. En 2008, dans le cadre de l’établissement d’une convention annuelle d’objectifs (CPO), leur offre de service a été décomposée en cinq axes [13] avec une distinction introduite entre l’axe 2, portant sur l’« accompagnement des parcours d’insertion » et l’axe 3, portant sur le « développement d’actions pour favoriser l’accès à l’emploi ». Sur cette base, la volonté affichée par les agents au sein d’APE est de financer la partie de l’offre de service contribuant le plus directement au retour à l’emploi, en incitant fortement les missions locales à développer l’axe 3 de leur activité.
27Le renforcement de l’objectif de retour à l’emploi conduit à énoncer, à travers les circulaires et les cahiers de charges, des attentes en termes de compétences de la part des prestataires, comme leur capacité à prospecter le marché du travail local ou à nouer des liens avec les entreprises (tableau 2, colonne 4). Pour certains dispositifs, de façon encore plus précise, le renforcement de l’activité de placement [14] passe par une incitation au positionnement des bénéficiaires des dispositifs sur les « métiers en tension ». En reprenant l’exemple des missions locales, la circulaire qui encadre leur activité souligne que l’individu accompagné doit formuler un projet professionnel « cohérent et réaliste avec l’état du marché du travail local ». La notion de métier en tension est, elle, clairement évoquée au sujet du CIVIS : « Les jeunes seront prioritairement orientés vers les métiers en développement ou les secteurs d’activité connaissant des difficultés de recrutement. » L’objectif affiché est un objectif de placement rapide, indépendamment du projet individuel du jeune et de la qualité de l’emploi retrouvé.
3.4 – Une logique de rationalisation qui n’est pas pleinement pensée
28Ces enjeux de pilotage et de rationalisation des dispositifs évoqués par les agents rencontrés nous ont conduite à les questionner sur les réflexions qui ont préexisté à l’établissement de leurs choix. Il s’avère qu’il n’y a pas de réflexion collective pleinement consciente et organisée. Interrogés sur le paramétrage de tel ou tel dispositif, les agents justifient les choix opérés en parlant de « calculs de coin de table » (du type : on a un budget de tant, on a tant de bénéficiaires donc on calibre le dispositif de telle façon) ou de renseignements rapidement pris auprès d’opérateurs. Par exemple pour le CTP, le ratio d’un accompagnateur pour trente bénéficiaires est justifié par le fait que « le ratio de 1/30 c’est opérationnel, on sait que l’accompagnement de Pôle emploi ne fonctionne pas […] l’idée c’était de rendre le suivi plus concret […]. Quand on regarde les résultats on voit que c’était le bon choix. » Quant aux cahiers des charges, ils s’inspirent les uns des autres : la personne en charge du dispositif « jeunes diplômés » a rédigé le cahier des charges en s’inspirant d’un document récupéré à Pôle emploi pour une prestation sous-traitée. Et ce cahier des charges a ensuite été copié pour la mise en œuvre du contrat d’autonomie.
29Partie d’une interrogation sur les justifications de l’usage extensif de la notion d’accompagnement jour qualifier les dispositifs gérés au sein d’APE, nous n’avons pas pu mettre en évidence, à travers le corpus mobilisé, de vision claire et partagée de cette notion. Si, comme l’a montré Colomb [2010], certains pans de la politique d’emploi, tels que l’indemnisation du chômage, le déploiement des contrats aidés ou les mécanismes financiers d’incitation à l’emploi (baisse du coût du travail ou prime pour l’emploi), s’appuient sur un référentiel [15], l’accompagnement ne semble pas en faire partie [16]. Il serait plutôt plus proche du modèle de l’« anarchie organisée » [Cohen, March & Olsen, 1972], notamment par le fait que l’action a tendance à précéder la formation des préférences, voire à les créer [17]. Dans le cas d’APE, l’action identifiable est celle d’une rationalisation des dispositifs, qui se diffuse de bureau en bureau, définissant au final l’accompagnement non par sa substance (sa philosophie d’action), mais par « son extérieur » résumé à un ensemble de prestations et d’outils intégrés dans un parcours. Cette définition par défaut structure ensuite le mode d’intervention des agents d’APE dans les préconisations qu’ils adressent aux services déconcentrés ou aux structures d’accompagnement, préconisations qui peuvent, potentiellement, modifier sensiblement leurs pratiques.
4 – Des logiques de rationalisation qui modifient les pratiques d’acteurs
30Sans réel référent normatif pour définir une démarche d’accompagnement et son apport, APE produit néanmoins un cadre d’action reposant sur cette notion qui se résume à des formes de rationalisation des dispositifs : temps accordé au parcours, standardisation des outils préconisés, renforcement de l’objectif de retour rapide à l’emploi. Nous aimerions à présent souligner les risques qu’une telle rationalisation peut faire peser sur les pratiques des structures d’accompagnement. Toute une littérature a déjà souligné les tensions inhérentes à la confrontation des postures professionnelles des accompagnateurs avec les impératifs de gestion auxquels ils sont soumis. Cette littérature, produite dès la fin des années 1990, s’est constituée « par le bas », sur la base d’enquêtes monographiques menées auprès des structures d’accompagnement. Il s’agit pour nous ici de revenir sur les tensions identifiées dans ces études en dégageant celles qui ont le plus d’actualité au regard de la normalisation produite aujourd’hui par APE. Un tel détour nous semble nécessaire en raison de son actualité : en effet APE revendique une logique de « gestion par la performance » des structures qu’elle commence à déployer [18].
31Sans nier les effets de structure qui induisent des pratiques d’accompagnement spécifiques [Boulayoune, 2009 ; Divay & Balzani, 2008] ou l’écart existant entre le travail prescrit et le travail réel des accompagnateurs [Benarrosh, 2006 ; Causse & Roche, 2000 ; Houzel, Outin & Ramaux, 2000 ; Legay & Monchatre, 2000], il nous semble que l’on peut anticiper que le processus de rationalisation que porte APE aura des effets non négligeables sur les pratiques d’acteurs à travers trois tendances en partie superposables : une standardisation des dispositifs d’accompagnement proposés, une normalisation dans le mode de production des prestations et une modification de la nature du travail des conseillers.
4.1 – Une standardisation des dispositifs d’accompagnement proposés au risque de leur dépersonnalisation
32Comme nous l’avons souligné à l’appui du tableau 2, les circulaires produites tendent à définir le contenu des prestations d’accompagnement et, partant, à les standardiser. Elles fixent la durée d’un parcours, prédéterminent les étapes qui le constituent ou le nombre d’entretiens à conduire, et définissent a priori les objectifs à atteindre. Si de telles orientations peuvent se justifier pour assurer un minimum de qualité et d’égalité de traitement dans un contexte de délégation de service, elles modifient simultanément la nature même de l’accompagnement. Comme l’a définie Paul [2003, 2006], la démarche d’accompagnement est un processus non linéaire qui cherche à répondre aux besoins de la personne. Cela suppose de construire une stratégie « chemin faisant ». « L’accompagnement doit être conçu “sur mesure” pour chaque personne. Le professionnel débute son travail dans une zone de flou qui constitue à la fois une zone d’inconfort et une marge de manœuvre. » [Paul, 2002, p. 14] La prédéfinition excessive du processus d’accompagnement conduit à proposer un service standardisé qui laisse de côté les besoins que pourrait exprimer le bénéficiaire. Alors que, comme le souligne Foucart [2009, p. 23], « le dispositif est un espace dans lequel quelque chose peut se produire. [Il] assume une fonction de support, de balise, de cadre organisateur de l’action », l’intervention d’APE tend à en faire un élément performatif : le dispositif produit de l’accompagnement. La fonction d’accompagnement tend, dès lors, à devenir un attribut du dispositif et non de la personne [19].
4.2 – Une normalisation des modalités de production des prestations
33Les prescriptions administratives, relatives à l’accompagnement, orientent les formes mêmes dans lesquelles les prestations attendues doivent être produites. Dans les circulaires étudiées, tout le processus de production est encadré, de l’entrée dans le dispositif du bénéficiaire à sa sortie. Pour la majorité des dispositifs, le nombre de bénéficiaires est prédéfini sur la base d’objectifs nationaux d’entrées, décomposés ensuite au niveau régional et départemental (par exemple, 45 000 bénéficiaires du Contrat d’autonomie sur trois ans pour la période 2008-2010, 200 000 bénéficiaires du Civis pour l’année 2010). La gestion de ces flux est ensuite organisée à travers la définition de la taille du portefeuille attribué aux accompagnateurs (par exemple, un accompagnateur pour trente bénéficiaires dans le cas du CTP ou du contrat d’autonomie) et le rythme des rencontres (un entretien par semaine pour le contrat d’autonomie, un par mois pour le Civis de droit commun). Sont ensuite généralement définis les objectifs de sortie du dispositif à atteindre, ainsi que les types de sorties envisageables. Par exemple, depuis 2008, dans les nouvelles modalités de conventionnement des structures de l’IAE, il est indiqué que les services territoriaux doivent négocier avec les structures au minimum un taux de « sorties dynamiques » de 60 % et un taux d’insertion dans l’emploi durable de 25 %. Il est précisé que peuvent être considérées comme des sorties dynamiques : un emploi durable (CDI, CDD ou missions d’intérim de six mois et plus, titularisation dans la fonction publique et création d’entreprise), un emploi de transition (CDD ou mission d’intérim de moins de six mois ou contrat aidé chez un employeur de droit commun), une sortie positive (formation pré-qualifiante ou qualifiante, embauche dans une autre SIAE). La circulaire va même plus loin en indiquant que si la structure n’atteint pas ces objectifs un « levier mobilisable est de renforcer l’adéquation des publics embauchés avec les objectifs négociés [20] ». C’est donc au public à s’adapter au dispositif. Pour les OPP, ce sont les formes de rémunération des contrats qui sont modulées en tiers pour assurer l’atteinte de l’objectif fixé. Ces formes de rémunération, sur la base des évaluations disponibles, suggèrent qu’elles ont conditionné les résultats de l’action des OPP [21].
34Ces impératifs ont un effet paradoxal sur la pratique des accompagnateurs : si d’un côté ils limitent la fonction de tri des bénéficiaires, en imposant les standards de prise en charge destinés à toute personne entrant dans le dispositif, d’un autre côté ils la renforcent par les contraintes de flux et les objectifs de résultats imposés [Benarrosh, 2000 ; Causse & Roche, 2000 ; Darmon et al., 2004].
4.3 – Modification de la nature du travail et de son organisation
35Les modes de rationalisation inscrits dans les circulaires ainsi que les relations de tutelle avec l’administration peuvent transformer la nature du travail d’accompagnement et ses représentations, à travers, notamment, la gestion des systèmes d’information.
36L’administration, pour des questions de pilotage et de justification des moyens alloués, impose aux structures de fournir des informations sur leur activité. Ce « reporting [22] », outre qu’il demande du temps et donc un travail supplémentaire pour les accompagnateurs [23], donne une représentation particulière de l’accompagnement. Comme le soulignent Dupaquier et al. [2007], la saisie des actes réalisés standardise leur définition et tend à valoriser un parcours d’accompagnement constitué d’actes repérables plutôt qu’un projet d’ensemble dont le contenu, non sécable, ne peut entrer dans un système d’information. L’outil informatique force potentiellement la normalisation des pratiques et peut induire une distanciation entre l’accompagnateur et l’accompagné. Au-delà de cette standardisation, cet outil est le moyen de mettre en évidence les réorientations de pratiques voulues par APE. Par exemple, après le conventionnement de l’activité des missions locales en cinq axes (voir supra 2.3), le système d’information (SI) a été refondu. Les contours de l’application Intranet ont été renégociés et ont donné lieu à une nouvelle codification des « actes métier ». Sont distingués dorénavant les actes relevant du « domaine professionnel », ceux relevant du « domaine social », ainsi que ceux relevant du « domaine de la vie sociale » (cf. document 2 ci-dessous). Alors que la marque de fabrique des missions locales est la notion d’« accompagnement global [24] », l’accompagnateur se retrouve au quotidien à devoir décomposer et segmenter les entretiens conduits auprès des jeunes pour savoir s’ils relèvent d’un accompagnement professionnel ou social. Même s’il compose avec ces contraintes, la représentation de son travail se trouve interrogée. L’outil informatique joue ici comme un « actant [25] ».
Actes métier codifiés dans le logiciel Parcours 3
Actes métier codifiés dans le logiciel Parcours 3
Légende : MER = Mise en relation37À travers la tendance à la standardisation des dispositifs d’accompagnement, la normalisation des modes de production des prestations ou encore la modification de la nature du travail induite par la généralisation des méthodes de reporting, les pratiques professionnelles des conseillers peuvent se trouver mises en tension par les impératifs de gestion des dispositifs produits par APE. Pour reprendre l’expression de Divay [2008, p. 65], les conseillers deviennent des « rationalisateurs rationalisés ». Essayant d’analyser les transformations à l’œuvre pour certains services professionnels (caractérisés par la détention d’un savoir spécialisé et des situations fréquentes d’interaction aves des clients ou des usagers), Gadrey [1994] distingue deux modes « polaires » de rationalisation du travail dans ce secteur : une rationalisation industrielle qui « vise à concevoir et à organiser la production de services professionnels formatés en “quasi-produits”, à standardiser autant que possible le travail professionnel » (p. 186) ; une rationalisation professionnelle favorisant « l’agencement original de routines, la mise au point et la capitalisation individuelle et collective de nouvelles routines issues de l’expérience de cas non standard » (p. 187). Si dans le second cas le prestataire peut construire une réponse en situation d’interaction personnalisée (co-construction du service), la rationalisation industrielle induit, au contraire, des situations où les possibilités d’adaptation de la prestation à une demande particulière sont limitées et où le mode de recours est peu interactif. L’hypothèse que nous formulons est qu’APE contribue, par son pilotage des dispositifs d’accompagnement, à la promotion d’une rationalisation industrielle supplantant la rationalisation professionnelle qu’avaient amorcée les structures [Divay, 2008].
5 – Conclusion
38En nous centrant sur les conceptions d’APE, nous avons montré que cette administration édicte des règles et des normes qui modifient les pratiques des structures, sans que cela ne soit pleinement objectivé, en dépit d’une absence de définition et de justification à proprement parler de l’accompagnement qu’elle promeut dans l’intitulé de ses dispositifs. On pourrait parler comme le fait Farvaque [2004] [26] de la production d’une « convention d’action publique extérieure » sur la question de l’accompagnement : convention, dans la mesure où les circulaires produites donnent à voir aussi bien une forme d’intervention en matière d’accompagnement qu’un objectif recherché : la gestion d’un parcours standardisé visant le retour rapide à l’emploi ; extérieure, dans la mesure où elle se définit au niveau central, a priori, sans lien direct avec les pratiques des structures qui naissent en situation.
39Interrogés sur les effets de cette convention d’action publique, les agents rencontrés la justifient a posteriori, à travers des éléments de langage, par la volonté d’assurer une égalité d’accès à tous les bénéficiaires et de mieux maîtriser la qualité des prestations offertes – dans un contexte institutionnel marqué par une multiplicité d’acteurs dont on ne connaît pas toujours les modes d’organisation [Divay & Balzani, 2008]. Sans vision claire du sens à donner à une démarche d’accompagnement, APE, par les moyens d’action promus, favorise, pour l’heure, le développement d’une rationalité industrielle potentiellement porteuse, chez les opérateurs, de standardisation et de dépersonnalisation des dispositifs. Résultats contraires à l’essence même de la notion l’accompagnement.
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Mots-clés éditeurs : politiques d'emploi, France, accompagnement, analyse des politiques publiques
Date de mise en ligne : 10/05/2013
https://doi.org/10.3917/rfse.011.0055Notes
-
[1]
L’auteure remercie Laurent Duclos pour nos échanges durant l’écriture de cet article et les précieux conseils qu’il a bien voulu me donner. Je remercie également les rapporteurs anonymes de la RFSE pour leurs commentaires.
-
[2]
Genard [2007] souligne dans le même temps le risque que cette individualisation de l’aide se traduise par un renforcement des conditions de son attribution. Ce second scénario est également envisagé par Bonvin et Moachon [2005, p. 72] qui y voient la naissance d’un « individu soumis » et non d’un « individu acteur » : « L’individu fait son entrée en politique sociale non comme acteur autonome, mais pour mieux garantir sa subordination aux normes sociales. Le recours à de tels indicateurs subvertit donc la logique de l’État [social] traditionnel dans le sens où il permet d’augmenter la pression sur le bénéficiaire. »
-
[3]
Nous utilisons ici « production normative » au sens où la développe Chevallier [2012] en mettant l’accent sur le rôle de l’administration dans la formulation des problèmes, dans la définition concrète d’un dispositif ou dans la rédaction des textes réglementaires, des circulaires et des programmes d’action. Comme il le résume : « La fonction des services administratifs ne se réduit pas à un simple habillage juridique : ils disposent bel et bien d’une influence sur le contenu même des normes. Il ne s’agit pas seulement pour eux de fournir aux décideurs politiques les éléments d’information dont ils ont besoin […], ils exercent une fonction de cadrage, qui conditionne les arbitrages ultérieurs » [Chevallier, 2012, p. 631].
-
[4]
Les chiffres présentés sont issus du bilan RH de cette administration au 3 octobre 2011.
-
[5]
Avec évidemment des nuances sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici.
-
[6]
Par exemple pour le programme 102, on trouve l’action 2-02 « Accompagnement des publics les plus en difficulté », dans le programme 103, l’action 1 est intitulée « Anticipation et accompagnement des conséquences des mutations économiques sur l’emploi ».
-
[7]
Par exemple, pour le programme 102, l’action 1 concerne « l’action du service public de l’emploi ». Il est indiqué que ce dernier « joue ici un rôle primordial en étant responsable du placement […], de l’indemnisation du chômage, de l’insertion, de la formation et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi » (PLF 2010 – la même justification est avancée les autres années).
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[8]
Comme le rappelle Duclos [2008, p. 45], « si en droit […] on peut admettre que le type juridique ne permet jamais d’apprendre quoi que ce soit sur l’essence [d’une chose ou d’un cas d’espèce], il convient en revanche que le type en question facilite les opérations dites de qualification, permettant d’identifier une chose comme étant [quelque chose] au sens défini par un texte ». Dit autrement, le droit ne permet pas de toucher du doigt la substance de la chose. Pour autant, l’administration dans sa pratique tend à faire du mot la chose.
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[9]
C’est aussi la définition qu’en donne Duclos [2009, p. 50] : « Dans la loi ou dans la réglementation, la notion de parcours est toujours associée à une prescription délivrée dans le cadre d’un dispositif ou d’une prestation unique et renvoie à des étapes définies a priori, typiquement en ce qui concerne aujourd’hui le parcours contractualisé du demandeur d’emploi. »
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[10]
Cette réflexion était en cours au moment de l’enquête. Depuis, elle a donné lieu à deux parcours expérimentaux distincts dans le cadre du Civis : le « Civis Pade » (Parcours d’accès direct à l’emploi), d’une durée de 6 mois renouvelable pour une durée de 3 mois ; et le « Civis d’adaptation », d’une durée d’un an renouvelable pour une durée de 6 mois pour les jeunes considérés comme « plus éloignés de l’emploi ».
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[11]
Le travail de définition du terme « accompagnement », commencé au sein d’APE, s’est poursuivi au cours de l’année 2011 au sein des structures locales d’accompagnement œuvrant sous le pilotage d’APE. La question de la distinction à faire entre « accompagnement professionnel » et « accompagnement social » a été posée aux conseillers rencontrés. Tous considèrent que, dans la pratique, la frontière entre ces deux modes d’accompagnement est floue et peu opérationnelle. Tous revendiquent de faire de l’accompagnement « socioprofessionnel ».
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[12]
La démarche de conventionnement sur cette même logique est en cours pour les SIAE (Structures d’insertion par l’activité économique).
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[13]
Circulaire APE n° 2007-26 du 12 octobre 2007 relative au financement du réseau des missions locales et PAIO. C’est cette circulaire qui définit le cadre de la CPO et l’offre de service des missions locales selon les cinq axes suivants :
- Axe n° 1 : « repérage, accueil, information, orientation ».
- Axe n° 2 : « accompagnement des parcours d’insertion ».
- Axe n° 3 : « développement d’actions pour favoriser l’accès à l’emploi ».
- Axe n° 4 : « expertise et observation active du territoire ».
- Axe n° 5 : « ingénierie de projet et animation locale du service de l’insertion professionnelle et sociale des jeunes ».
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[14]
L’article L5321-1 du code du travail définit le placement en ces termes : « L’activité de placement consiste à fournir, à titre habituel, des services visant à rapprocher les offres et les demandes d’emploi, sans que la personne assurant cette activité ne devienne partie aux relations de travail susceptibles d’en découler. »
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[15]
Au sens où le définissent Jobert et Muller [1987].
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[16]
Il est d’ailleurs assez étonnant de constater qu’aucune référence spécifique n’est faite à la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE) alors même qu’APE doit veiller à son inscription dans les politiques menées. Les référentiels européens autour de la notion d’activation [Barbier, 2006 ; Béraud & Eydoux, 2008] n’ont jamais été évoqués lors des entretiens. On peut, néanmoins, faire l’hypothèse que ces débats jouent le rôle de « convention macroéconomique » [Salais, 2004] mobilisée notamment dans les « éléments de langage » a posteriori pour justifier les choix opérés.
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[17]
La notion d’anarchie organisée a été développée par ces trois auteurs dans le cadre de recherches sur le monde universitaire. Elle qualifie les organisations qui répondent à quatre caractéristiques : 1) l’absence d’objectifs vraiment cohérents et partagés par tous ; 2) un processus de production qui repose sur une technologie complexe et en général immatérielle ; 3) le fait que la majeure partie du personnel exerce son activité dans un cadre de faible supervision ; 4) une faible structuration des processus de décision. Si APE ne répond pas dans sa globalité à ce modèle, ce dernier nous semble pertinent sur la question particulière de l’accompagnement. L’hypothèse demanderait à être davantage creusée.
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[18]
Cette gestion par la performance a été énoncée comme telle dans la dernière circulaire relative aux missions locales (circulaire n° 2011-03 du 19 janvier 2011) où il est indiqué que les dotations affectées aux missions pourront être modulées (à hauteur de 5 %) sur la base de leur performance. Le secteur de l’IAE est également concerné : invité en mai 2011, en ouverture d’un colloque organisé pour les vingt ans du CNIAE, X. Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, a énoncé qu’« il faut mettre la notion de performance au cœur de l’insertion par l’activité économique. La performance n’est pas un gros mot, on peut aussi parler d’efficacité ».
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[19]
Comme le montre Duclos [2009] : « Si la notion de “parcours” s’est imposée en droit français – sans pour autant créer de véritable “droit au parcours” – c’est principalement pour s’attribuer à des “dispositifs prescriptifs” […]. De ce fait, la possibilité pour un individu de déterminer un itinéraire qui lui soit propre est freinée concrètement, par les pratiques de gestion de programmes cloisonnés. » [Duclos, 2009, p. 50]
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[20]
Circulaire n° 2008-21 du 10 décembre 2008 relative aux nouvelles modalités de conventionnement des structures de l’insertion par l’activité économique.
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[21]
Comme le soulignent Behaghel, Crépon et Gurgand [2008, p. 58] chargés de l’évaluation de l’expérimentation : « Les différents effets des OPP apparaissent très cohérents avec les incitations auxquelles ils sont soumis selon les termes de leurs contrats. En ce sens, ces opérateurs se sont clairement acquittés de leurs missions. »
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[22]
C’est l’expression utilisée.
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[23]
Divay et Balzani [2008, p. 223] comparent cette activité pour les accompagnateurs à un « surtravail » ou un « travail sur leur travail ».
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[24]
C’est le terme employé dans le rapport Schwartz (1981) qui fonde l’action des missions locales, repris par la suite dans les chartes successives rédigées par le réseau des missions locales pour structurer leur activité (chartes de 1990, 2000 et 2005).
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[25]
Expression reprise de Dupaquier et al. (2007, p. 223). Ils s’appuient sur l’analyse qu’en fait Latour. Un actant est un être, ou une chose, qui se définit par sa faculté à agir et à avoir un poids dans le déroulement d’une action.
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[26]
Farvaque (2004) utilise cette expression reprise de R. Salais pour souligner le renforcement de l’intervention de l’État dans le champ de l’insertion des jeunes, ce qui conduit à recadrer l’action des missions locales.