Notes
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[1]
Source : Ipsos (2004), Baromètre Ipsos-Stratégies sur l’’image des chaînes hertziennes.
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[2]
Source : CSA, Bilan 2004 de TF1.
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[3]
Ces externalités sont positives dans la majorité de la littérature sur le sujet, mais elles peuvent être négatives [Evans, 2003 ; Reisinger, 2004].
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[4]
Plus l’audience est élevée, plus l’impact de la publicité est fort et plus les annonceurs ont de chances de toucher un public élargi et de vendre leur produit.
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[5]
Plus le nombre de coupures publicitaires est élevé plus le temps disponible pour regarder un programme diminue.
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[6]
« I shall refer to the phenomenon of sour grapes as adaptative preference formation or adaptative preference change as the case may be ».
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[7]
« TV viewing is a case in which the theory of revealed preference does not fully apply: many people watch more than they consider good for themselves ».
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[8]
« People behave sometimes as if they had two selves, one who wants clean lungs and long life, and another who adores tobacco, or one who wants a lean body, and another who wants dessert, or one who yearns to improve himself by reading Adam Smith on self-command and another who would rather watch an old movie on television ».
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[9]
On a alors affaire à des modèles très proches des modèles de métapréférences présentés dans le point 2.2.
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[10]
Selon Frankfurt, ce sont les préférences de second rang qui rendent les êtres humains différents des autres « créatures ». Seuls les hommes sont capables d’autoréflexion et d’auto-évaluation sur leurs préférences. Ils ont la capacité de « retourner en arrière », de juger leurs préférences, de réfléchir sur leurs goûts et peuvent donc avoir des préférences sur leurs préférences.
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[11]
« For the most part we do not simply choose our preferences any more than we choose our beliefs, so that direct manifestation of preferences in choice is rare when the object of preference are themselves preferences ».
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[12]
« The extent of TV viewing is not generally utility maximizing. Many individuals are subject to a self-control problem, mainly induced by the fact that watching TV offers immediate benefits (e.g. entertainment and relaxation) at very low immediate marginal costs ».
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[13]
« Here, the role of self-control problems in TV viewing is addressed with regard to consumers’ utility. It is hypothesized that, for people facing similar restrictions, heavy TV viewing indicates impeded self-control rather than a love of TV ».
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[14]
« A mismatch between preference and metapreference would be one cause for expression of discontent over one’s choice situation, but only one of several causes ».
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[15]
Par exemple le fumeur qui souhaite arrêter de fumer pour être en bonne santé mais qui ne peut résister à la tentation et au plaisir d’une cigarette peut contraindre son choix futur en décidant de jeter son paquet ou en se déclarant pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
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[16]
« And if the restriction of future choice manages to shape the first-order preference as she wishes to have it shaped, such self-imposed restrictions make sense ».
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[17]
Schelling [1984] donne l’exemple de l’alcoolique, du fumeur, de la drogue, de la télévision, du sommeil…
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[18]
« Often the way people try to constraint their own future behavior are like the ways that could try to constrain someone else’s behavior; they appear to be treating their ‘future self’ as if it were another individual ».
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[19]
Qui transparaît dans le cahier des charges des chaînes de télévision [Vidal, 2006 ; 2007].
-
[20]
Musgrave définit les Merit Goods comme des biens pour lesquels : « where interference with individual preferences is desired, our schema must be expanded. Such wants –which lack of a better name I refer to as merit wants – may be thought of as provided for in a separate branch » [Musgrave, 1957 : p. 341].
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[21]
Le concept de « souveraineté » a été introduit par Hutt 1936, « The consumer is sovereign when, in his role of citizen, he has not delegated to political institutions for authoritarian use the power which he can exercise socially through his power to demand (or refrain from demanding) » [Hutt, 1936 ; cité par Persky, 1993 : p. 184].
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[22]
« We might define merit goods for institutional purposes as those which the individuals recognizes he ought to provide, but which due to weakness of will, moral turpitude or laxity he will not adequately provide in the market where the cost of selfish pleasure foregone is too high ».
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[23]
Ce phénomène emprunté à Aristote désigne la faiblesse de la volonté, il décrit une action accomplie intentionnellement et délibérément à l’encontre de notre jugement.
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[24]
Notons que la diminution de la publicité sur les chaînes publiques en 2000 (loi Trautmann) n’a pas eu les effets escomptés sur la programmation. Selon le rapport d’information mené en 2004/2005 par Philippe Leroy à la demande du Sénat, les positionnements éditoriaux ont été peu modifiés. « En déplaçant légèrement l’équilibre redevance/publicité de France Télévisions, cette mesure n’a toutefois rien changé aux problèmes de fond du système français : financement public et ressources publicitaires globalement insuffisantes ; ambiguïté du positionnement du secteur public. Plutôt que de travailler toujours sur des ajustements techniques, il serait utile de réfléchir à un changement de système, et d’étudier, par exemple, le modèle britannique ». Les réformes récentes vont en ce sens ; reste à savoir si les financements nécessaires suivront.
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[25]
Sondage Ipsos, 28 janvier 2008.
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[26]
Cette approche par la disposition à payer était rendue impossible du fait de la particularité du financement de la télévision. Le téléspectateur était jusqu’alors dans la position de marchandise échangée sur un two-sided market.
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[27]
Bien entendu, les données de cette étude sont à prendre avec les précautions habituelles qui entourent les sondages. Notons en outre qu’il s’agit d’un simple sondage et non pas d’une évaluation contingente.
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[28]
Fait caractéristique qui conduit les chaînes à chercher à s’attacher l’audience avant le journal télévisé.
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[29]
Rappelons que les résultats théoriques montrent qu’avec un financement de la télévision par la seule publicité, on déboucherait à terme sur une diminution de l’espace de choix offert aux individus.
1 – Introduction
1Les études d’opinion et les données d’audience mettent en avant une incohérence entre les pratiques et les discours des téléspectateurs : ils regardent peu les programmes et les chaînes qu’ils jugent de qualité et inversement ils ont tendance à dénigrer dans leur discours les programmes et chaînes qui sont majoritairement regardés. « L’obstacle ou le paradoxe principal que l’on rencontre communément est l’écart très fort entre ce que chacun déclare être ses goûts ou ses pratiques et la réalité de l’audience » [Granier, 2003, p. 175]. On constate en effet que la satisfaction exprimée des téléspectateurs est inversement reliée à l’audience des chaînes de télévision. Le cas de la chaîne TF1 illustre cette contradiction, chaîne la plus décriée avec 48 % [1] de Français mécontents, c’est aussi la chaîne la plus regardée avec 31,8 % [2] de parts de marché. Ces observations semblent mettre en doute la théorie de la préférence révélée [Samuelson, 1948] qui postule que les dimensions comportementales et déclarées des préférences coïncident, théorie discutée par certains, tel Gauthier [1986] qui, dans son ouvrage sur la justice et la rationalité, met en exergue la dimension comportementale des préférences qui révèle le choix, de la dimension déclarée qui exprime la préférence.
2Dans ces circonstances, comment appréhender les préférences et la satisfaction des individus ? L’interférence des pouvoirs publics avec les préférences de marché peut-elle être justifiée ? Notre objectif est de fournir un cadre conceptuel adapté pour évaluer les préférences à prendre en compte dans le processus de décision public.
3Notre cheminement procédera en trois temps. Nous commencerons par discuter de la façon dont l’analyse économique appréhende les préférences des individus. Cela nous conduira à réfléchir sur la pertinence qu’il y a à retenir l’audience comme indicateur des préférences (1). Nous montrerons alors que les avancées récentes de l’économie permettent d’élargir le concept de préférences et en particulier de tenir compte des préférences exprimées oralement (2). Enfin, nous verrons qu’accepter que les individus soient dotés d’une double échelle de préférences – choix, discours – peut conduire à renouveler les discussions sur l’intervention de l’État, en particulier au titre des merit goods (3).
2 – L’analyse économique peut-elle rendre compte des préférences des téléspectateurs ?
4Qu’entend-on par préférences ? Comment sont-elles définies ? Pour l’économiste, une préférence se révèle à partir du moment où un choix est engagé. Elle ne préexiste pas au choix, mais est déduite à partir du choix exprimé, elle ne se réfère pas à un état psychologique contextualisé mais plutôt à une construction théorique qui est inférée de la sélection qu’un individu fait au travers d’alternatives données. La théorie de la préférence révélée [Samuelson, 1948] suppose qu’il existe une échelle de préférences constantes à travers le temps, sur la base de laquelle les individus forment leur choix. Cette constance sous-entend l’indépendance des préférences par rapport à l’expérience, aux interactions et au contexte décisionnel. On trouve dans la littérature différentes acceptions des préférences : elles peuvent être interprétées comme une satisfaction [Marshall, 1890], un désir, un choix [Samuelson, 1948] ou encore une valeur [Arrow, 1951]. Quel que soit le sens retenu, la théorie des préférences révélées considère que leur révélation par l’intermédiaire de l’observation des comportements est possible et que cela n’a pas d’impact sur le classement des préférences. Si l’on s’en tient à cette approche, les préférences peuvent alors être interprétées comme un goût dont on ne discute pas. L’assimilation goûts/préférences justifie le caractère exogène et stable des préférences et renvoie à un agent isolé et dénué de sentiments. Les goûts ont une connotation individualiste, ils sont considérés comme des jugements personnels qui n’ont donc pas lieu d’être révisés sous la pression d’autrui [Becker et Stigler, 1977] et ne font pas l’objet de discussion.
5Cette conception des préférences s’avère impuissante à analyser pleinement le comportement du téléspectateur. En particulier elle ne permet pas d’expliquer qu’un téléspectateur rationnel puisse exprimer des préférences déconnectées de son comportement effectif et ce, quelle que soit la nature des préférences exprimées, que ces dernières reflètent les goûts profonds de l’individu ou sa seule volonté d’afficher des préférences culturellement valorisantes.
2.1 – En l’absence de prix, comment connaître les dispositions à payer ?
6Le premier obstacle rencontré lorsque l’on cherche à rendre compte par l’analyse économique du comportement du téléspectateur réside dans la difficulté de cerner ses préférences en l’absence de prix. En effet, sur un marché parfait, les individus s’engagent dans l’échange pour satisfaire leurs préférences et les expriment à travers leur disposition à payer. Ce problème de révélation de la disposition à payer est un cas traditionnel de défaillance de marché que l’on retrouve dans les secteurs de la santé ou de l’environnement. Les solutions proposées reposent sur des mécanismes incitant les individus à révéler leur disposition à payer [Clarke, 1971 ; Groves, 1973 ; Groves et Ledyard, 1977] ou sur la méthode de l’évaluation contingente qui consiste à demander aux individus ce qu’ils consentent à payer pour recevoir un avantage ou ce qu’ils consentent à recevoir en guise de compensation pour tolérer un coût [Epstein, 2003 ; Throsby, 2003].
7Le problème dans le cas de la télévision est que ce ne sont pas les téléspectateurs qui payent un prix mais les annonceurs publicitaires. La demande des téléspectateurs n’est confrontée à l’offre de programme qu’à travers la publicité – two-sided market – [Anderson et Gabszewicz, 2005]. Sur de tels marchés, deux groupes interagissent à travers un intermédiaire (une plate-forme) qui tient compte de l’externalité [3] générée entre les groupes. Dans le cas de la télévision, la plate-forme correspond aux chaînes de télévision. Elles fournissent un « produit joint » à deux catégories de clients avec, d’un côté, l’audience aux publicitaires – les externalités sont positives [4] avec le nombre de téléspectateurs – et, de l’autre, le contenu des programmes aux téléspectateurs – les externalités sont négatives [5] avec le temps de publicité. Les deux côtés du marché sont donc coordonnés par la plate-forme où sont définis à la fois le niveau de publicité, le prix et le type de programme. Ainsi, le téléspectateur n’est pas dans la position du consommateur exprimant ses préférences, mais dans celle de la marchandise que les chaînes cherchent à vendre aux annonceurs pour maximiser leurs revenus publicitaires.
8En l’absence de prix, l’audience est le seul moyen qu’a le téléspectateur d’exprimer ses choix – en refusant de regarder un programme –, mais elle ne donne pas pour autant d’indication sur le niveau de satisfaction du téléspectateur. Même si, dans les théories des choix de programmes [Steiner, 1952 ; Beebe, 1977], est posée l’hypothèse que regarder un programme équivaut à en être satisfait et que les chaînes de télévision utilisent l’audience comme indicateur des préférences des téléspectateurs, elle ne représente pas nécessairement les « goûts » du public. L’audience est un opérateur de marché qui traduit de façon « simplifiée, standardisée et abstraite » la relation entre les téléspectateurs et la télévision [Macé, 2006, p. 76], mais elle ne permet pas de savoir ce qui intéresse les gens. L’audience ne rend pas compte d’une demande de programmes mais « de préférences (sans qu’on sache si elles sont positives ou par défaut) au sein d’une offre nécessairement limitée » [Macé, 2006, p. 76]. En effet, dans le cas de la télévision, le choix est contraint par l’offre de programmes limitée. Les préférences du téléspectateur s’ajustent à l’ensemble des choix possibles. On parle alors de préférences adaptatives, les individus adaptent leurs préférences aux possibilités qui s’offrent à eux. Elster illustre cette notion à l’aide de la fable de La Fontaine dans laquelle un renard apercevant de beaux raisins mûrs, se ravise pour les considérer trop verts lorsqu’il se rend compte que ces raisins ne sont pas à sa portée car trop hauts pour qu’il les atteigne. « Je me référerai au phénomène de raisins verts pour illustrer la formation de préférences adaptatives ou le changement de préférences adaptatives selon les cas [6]» [Elster, 1983, p. 110]. Si le programme désiré par un téléspectateur n’est pas disponible, le programme effectivement regardé par celui-ci (second choice) ne reflète alors pas sa préférence, le téléspectateur, comme le renard dans la fable de La Fontaine, se ravise et choisit un autre programme, il adapte son choix à ce qui lui est offert. Ainsi, à travers l’audience ce ne sont pas les goûts qui sont mesurés mais « la rencontre à un moment donné entre un volume limité d’offre d’émissions et les formes variables de disponibilités sociales et mentales des individus du panel de Médiamétrie qui se trouvent avoir leur poste allumé à ce moment précis » [Macé, 2006, p. 77]. Par conséquent, « l’audience de la télévision n’est pas une substance dont les atomes seraient des gens. Un programme de télévision n’est offert qu’à un moment donné. Il n’est pas confronté au goût, relativement permanent d’un “public”, mais à sa disponibilité à un moment précis » [Coste-Cerdan et Le Diberder, 1986, p. 72]. Ainsi, regarder la télévision, ne révèle en rien la satisfaction et la disposition à payer des téléspectateurs pour un programme.
2.2 – La déconnexion entre le choix effectif et la satisfaction exprimée
9L’analyse économique rencontre un second obstacle pour rendre compte du comportement des téléspectateurs en raison de l’assimilation qu’elle fait entre choix, satisfaction et préférences. Traditionnellement, les comportements économiques sont réduits à leur dimension marchande et seules les préférences révélées par les choix comptent dans le processus de décision public. En effet, les préférences sont cohérentes, parfaitement définies et les individus ne font pas d’erreur dans leur prise de décision. De ce fait, le choix traduit automatiquement la satisfaction et les préférences. La théorie de la préférence révélée se fonde sur une échelle de préférences constantes qui garantit la cohérence des choix et autorise la confusion goûts/préférences. Elle légitime l’exogénéité des préférences et réfute leur révision en fonction de celles d’autrui. Si l’on s’en tient à cette approche, les préférences déclarées et comportementales coïncident ; or, dans le cas de la télévision, de la santé ou de l’environnement, ce n’est pas ce que nous observons. Cette déconnexion entre action et préférences peut se lire de deux façons. D’un côté, on peut considérer que les préférences exprimées par les téléspectateurs reflètent leurs goûts « réels », alors la théorie des préférences révélées est mise en défaut. De l’autre, il possible de discuter la conformité des préférences exprimées avec les goûts des individus et de considérer qu’ils mentent parce qu’ils sont influencés par leur environnement social. Nombreux sont les travaux de sociologie qui montrent les biais de déclaration, les individus cherchant à se conformer à une image socialement valorisante. Quelle que soit l’option retenue, la théorie des préférences révélées s’avère impropre à capturer ces faits. Dans le premier cas, on débouche sur une irrationalité, dans le second, en se fondant sur l’agrégation des préférences révélées pour évaluer le bien-être des individus, et en négligeant l’influence de leur environnement social, on aboutit à en établir un indicateur erroné.
10En tout état de cause, on touche là un point sensible de l’analyse économique qui, en supposant que les préférences sont révélées par les choix et par conséquent par l’audience, n’accepte pas que les déclarations et les actions des individus puissent être divergentes.
11On le voit, l’audience ne permet pas de rendre compte de la complexité des préférences. Ce n’est pas un indicateur global des préférences. Pour un programme donné, elle traduit un choix entre regarder ou non le programme et révèle des relations de préférences entre programmes mais pas l’intensité de la satisfaction. Par ailleurs, les préférences exprimées publiquement posent problème à l’économie qui a priori ne les intègre pas dans l’analyse. Comment surmonter ces obstacles et réconcilier préférences déclarées et analyse économique ?
3 – De l’assimilation choix/préférences à l’extension du domaine des préférences
12Comme nous venons de le voir, dans le cas de la télévision, la théorie de la préférence révélée ne peut être pleinement satisfaisante pour comprendre les choix et le comportement du téléspectateur. « Regarder la télévision constitue un cas où la théorie des préférences révélées ne peut pas s’appliquer parfaitement : beaucoup d’individus la regardent plus que ce qu’ils considèrent être bon pour eux [7]» [Frey et al., 2005, p. 2]. Quels outils possédons-nous alors pour appréhender les préférences et intégrer en particulier l’environnement social ? Pourquoi l’économiste devrait-il ignorer les préférences traduites par le discours ? Différents travaux ont récemment été développés en économie pour tenter d’intégrer l’influence du contexte social, mais ils n’offrent pas un cadre conceptuel unifié permettant de réconcilier préférences révélées par l’action et préférences exprimées, que ces dernières soient sincères ou non. Par exemple, lorsque l’on se situe dans l’hypothèse où le téléspectateur ne ment pas et regarde la télévision en famille, le simple recours à un modèle de type « bataille des sexes », en théorie des jeux, permet de lever le paradoxe, le choix de l’individu étant conditionné par les préférences des autres, ce qui ne l’empêche pas de déclarer a posteriori qu’il préfère les programmes d’Arte. Cette explication ne nous satisfait toutefois pas ici car cette même théorie perd toute sa pertinence dès lors que l’on fait l’hypothèse que l’individu a menti sur ses véritables préférences. En outre, la multiplicité du nombre de postes au sein d’un même foyer atténue la portée de l’analyse.
13Pour répondre plus largement à cette question d’irrationalité, quelques modèles récents paraissent avoir une portée explicative plus complète. L’idée que l’individu possède non pas une seule fonction mais une gamme de préférences est introduite dans ces modèles, ce qui permet de justifier l’idée que les individus changent leurs raisons d’agir au fil du temps et selon les situations. Deux catégories d’utilités multiples ont été développées [Brennan, 1989]. On trouve d’un côté les modèles de multiple selves [Harsanyi, 1955 ; Elster, 1985 ; Etzioni, 1986 ; Schelling, 1984, 1996] qui conceptualisent les situations où les individus limitent leur choix comme des tentatives d’un « moi » d’imposer ses préférences à un « moi » luttant en interne [Schelling, 1984]. Cette approche introduit l’existence d’utilités parallèles ; aucun classement ne domine et elles se concurrencent pour contrôler la décision de l’agent. Dans une optique quelque peu différente, les modèles de méta-préférences ou préférences de second rang [Frankfurt, 1971 ; George, 1993, 1998, 2001 ; Jeffrey, 1974 ; Sen, 1977] posent que les agents n’ont pas seulement un classement des préférences sur les opportunités disponibles mais font aussi un classement des classements potentiels différents. Ici une hiérarchie des utilités ou des préférences est introduite, un individu peut avoir des préférences sur ses préférences, qui peuvent être des préférences morales versus un intérêt personnel ou encore, des préférences individuelles différentes de celles qu’il peut avoir en tant que membre d’une communauté politique ou sociale.
14Ces deux concepts, fondés tous deux sur la notion d’utilité multiple, nous fournissent un cadre cohérent permettant d’expliquer le paradoxe, quelle que soit l’hypothèse de base retenue, i.e. que les préférences exprimées par l’individu reflètent ou non ses goûts véritables. Dans un premier temps, nous montrons comment le concept de multiple selves permet de retrouver dans le comportement du consommateur une démarche rationnelle, dans l’hypothèse où celui-ci exprime des préférences mensongères puis dans un second temps, nous retiendrons l’hypothèse contraire où les préférences exprimées sont véridiques. Ce seront alors les modèles de méta-préférences qui permettront d’expliquer la logique du comportement du téléspectateur.
3.1 – Les multiples personnalités de l’agent économique
15Dans les modèles de multiple selves, l’agent économique est perçu comme une « collection » de personnalités différentes et indépendantes, chacune d’entre elles possédant un classement différent des mêmes éléments. Ainsi, tandis qu’une des personnalités de l’agent préfère l’option A à B, il en va différemment pour l’autre personnalité. Les modèles de multiple selves peuvent être compris comme des désirs fournissant différentes satisfactions. L’individu n’est pas une personne unifiée et doit « lutter » pour contrôler son comportement [Schelling, 1984, 1996], le choix individuel est sujet au même problème que le choix social. Les individus ont plusieurs traits de personnalité dont les intérêts peuvent être en conflit. « Les individus se comportent parfois comme s’ils avaient deux personnalités, l’une qui veut des poumons sains et une longue vie et l’autre qui adore le tabac, ou l’une qui veut être svelte et l’autre qui veut un dessert, ou une qui veut s’améliorer en lisant Adam Smith sur la maîtrise de soi et une autre qui préférerait regarder un vieux film à la télévision [8] » [Moldoveanu et Stevenson, 2001, p. 311]. Certains auteurs considèrent dans une classe particulière de modèles [9] que deux personnalités habitent les agents économiques, l’une axée sur l’intérêt de long terme, l’autre sur l’intérêt de court terme et la satisfaction immédiate [Schelling, 1984 ; 1996 ; Elster, 1985 ; Etzioni, 1986 ; Winston, 1980].
16Revenons à la télévision. Supposons que les préférences exprimées par l’individu soient mensongères ; ce comportement peut s’expliquer rationnellement du fait de l’existence de personnalités multiples. La préférence qui s’exprime oralement apporte au téléspectateur une utilité qu’il ne peut pas obtenir sur le marché, elle satisfait un besoin différent. Le fait de n’énoncer publiquement que des préférences que l’on croit admissibles renvoie au phénomène de falsification des préférences [Kuran, 1987 ; 1995] qui pousse les individus à modifier leurs préférences publiquement et à donner l’impression qu’ils adhèrent à la croyance collective. Ce phénomène découle de la différence qui existe entre opinion privée et opinion exprimée publiquement, mais aussi de ce qu’il peut en coûter à un individu en termes de réputation d’exprimer publiquement son opinion réelle [Akerlof, 1980 ; Bernheim, 1994]. Il convient donc de distinguer, pour la télévision, la demande motivée par les caractéristiques propres des programmes de celle qui émerge en raison d’une influence sociale. Autrement dit, les préférences exprimées des téléspectateurs ne reposent pas seulement sur les caractéristiques objectives des programmes, les goûts individuels et le capital culturel personnel mais aussi sur les avis d’autrui. Nous pouvons déclarer regarder ou apprécier une émission particulière pour nous conformer à notre groupe d’appartenance ou au contraire pour nous différencier d’autrui. Traditionnellement, pour les biens marchands, demandes fonctionnelle et sociale s’expriment en même temps sur le marché, comme le montrent tous les phénomènes de mode. Dans le cas de la télévision, les raisons fonctionnelles et sociales sont séparées, conformisme ou distinction ne sont pas observables sur le marché. La personnalité qui s’exprime dans le discours cherche à satisfaire son utilité sociale tandis que celle qui regarde réellement les programmes cherche à maximiser son utilité fonctionnelle. Contrairement aux biens marchands, la maximisation de ces deux utilités est donc déconnectée et se réalise en des temps différents. Ainsi, le téléspectateur est partagé entre la personnalité cherchant à satisfaire son utilité fonctionnelle, qui s’exprime à court terme par le choix et qui correspond à un besoin de distraction, de connaissance ou d’accompagnement et celle visant à satisfaire l’utilité sociale qui s’exprime à plus long terme dans le discours mensonger et correspond à un besoin de statut ou d’estime de soi.
3.2 – L’introduction d’une réflexion sur ses propres préférences
17Comme il a été noté, certains modèles de multiple selves insistent sur une disjonction existant entre un comportement impulsif, égoïste et un autre guidé par les règles et la morale [Cowen, 1991 ; Thaler et Scheffrin, 1981]. Cette idée est au centre des modèles de méta-préférences qui posent l’existence d’une hiérarchie entre les relations de préférences. Dans cette approche, l’individu n’est pas « divisé » entre plusieurs personnalités, mais il porte un jugement sur sa préférence. Il préfère A à B, mais souhaiterait préférer B à A. Ce sont les philosophes Frankfurt [1971] et Jeffrey [1974] qui les premiers ont introduit ce concept [10]. Les méta-préférences proviennent de la capacité humaine à porter un jugement sur les préférences et à envisager plus ou moins consciemment leur valeur. Le problème qui se pose alors résulte de la difficulté d’expérimenter les « préférences préférées ». « Pour une grande part, nous ne choisissons pas nos préférences pas plus que nous ne choisissons nos croyances, de sorte que la manifestation directe des préférences dans le choix est rare quand l’objet des préférences est représenté par les préférences elles-mêmes [11] » [Jeffrey, 1974, p. 378-379]. Chez les économistes, Sen [1974, 1977] et Hirschman [1984] sont parmi les premiers à introduire la notion de préférences de second ordre. Hirschman souligne qu’il y a un conflit perpétuel entre préférences et méta-préférences. Les individus peuvent présenter des préférences altruistes ou avoir des buts qui dépassent l’objectif de maximisation de l’utilité, tels que des valeurs morales ou des choix socialement valorisants. Les individus ont une capacité à évaluer et à réfléchir sur leurs goûts « expérimentés » et certains comportements qui pourraient être perçus comme anormaux peuvent être des actions pour façonner les préférences futures. L’introduction des méta-préférences dans le raisonnement conduit à modifier l’analyse et la description du comportement des individus telle qu’elle est effectuée au sein du cadre standard car les individus sont désormais dotés d’une capacité d’évaluation et de réflexion sur les goûts et préférences qu’ils expérimentent. Les méta-préférences sont susceptibles d’exprimer une insatisfaction et peuvent générer une tension entre ce que nous sommes et ce que nous aimerions être.
18Cette analyse permet d’éclairer le comportement d’individus qui affichent des actions et des déclarations différentes, et pour lesquels les préférences déclarées ne sont pas mensongères mais reflètent leurs goûts réels. Ainsi, passer beaucoup de temps à regarder la télévision ou certains types de programmes ne proviendrait pas d’une recherche d’utilité mais d’un problème de self-control. C’est d’ailleurs l’exemple de la télévision que retiennent Frey, Benesch et Stutzer [2005, p. 3] dans un article consacré à la thématique de l’économie du bonheur : « La durée d’écoute de la télévision n’est pas le fruit d’une maximisation d’utilité. Beaucoup d’individus sont soumis à un problème de self-control, principalement induit par le fait que regarder la télé offre des bénéfices immédiats (par exemple le divertissement et la relaxation) avec des coûts marginaux très faibles [12]» [Frey et al., 2005, p. 3] « (…) Ici, le problème de self-control à la télévision est en rapport avec l’utilité du consommateur. On suppose, toutes choses égales par ailleurs, que le fait de regarder beaucoup la télévision traduit un problème de self-control plutôt qu’un amour immodéré pour le petit écran. [13] » [Stutzer et Frey, 2006, p. 10]. Ce problème de self-control induit une insatisfaction. « Un écart entre préférence et méta-préférence serait l’une des causes de l’expression du mécontentement sur une situation de choix, mais seulement l’une d’entre elles [14] » [George, 1993, p. 324]. Les préférences exprimées peuvent alors constituer un moyen de remédier à la situation. En exprimant oralement et sincèrement des méta-préférences différentes de leur comportement concret, les individus reconnaissent leurs faiblesses [Frey et Benz, 2002]. Ils peuvent essayer de les dépasser soit en s’imposant des contraintes soit en ayant recours aux institutions sociales [15]. « Et si la restriction du choix futur réussit à former la préférence de premier ordre comme elle le souhaite, s’imposer de telles restrictions fait sens [16] » [George, 1998, p. 183]. Les agents peuvent chercher à se protéger eux-mêmes d’un futur « moi » inconscient ou incompétent ou à modifier leurs préférences en s’imposant des contraintes [17]. Schelling explique que les individus contraignent leur comportement futur comme si celui-ci n’était pas le leur. « Souvent la façon dont les individus essayent de contraindre leur comportement futur est la même que celle qu’ils emploieraient pour contraindre celui des autres ; ils semblent traiter leur ‘futur moi’ comme si c’était un autre individu [18] » [Schelling, 1996, p. 251]. Ainsi, contraindre le choix futur est un moyen de choisir l’action qui est plus rationnelle maintenant et dans le futur, mais que l’agent serait incapable d’entreprendre plus tard.
19Dans ce contexte, c’est en toute rationalité que le téléspectateur peut à la fois céder à court terme à la fatigue en regardant des chaînes distractives et à plus long terme avoir un jugement sur son choix et déclarer que la qualité des programmes proposés par une chaîne culturelle est supérieure à celle d’une chaîne commerciale.
20Ainsi, qu’il mente dans les préférences qu’il exprime relativement à ses goûts réels ou qu’il soit sincère, le téléspectateur agit en toute rationalité lorsque l’on analyse son comportement à la lumière des modèles de multiple selves et de méta-préférences. Ces approches mettent en lumière le risque qu’il y a à assimiler préférences et choix ; en amont des préférences exprimées sur le marché a lieu un combat entre différents systèmes de préférences. La question qui se pose alors est de savoir quel système de préférences doit être valorisé ?
4 – De la légitimité de l’intervention des pouvoirs publics
21Admettre que puisse cohabiter chez un même individu une pluralité de fonctions de préférences ouvre sur une nouvelle lecture du comportement du téléspectateur. Le soupçon d’irrationalité qui pesait sur son comportement au vu du décalage existant entre ses actions (préférences révélées) et ses déclarations (préférences déclarées) disparaît, et ce dans toutes les configurations (que l’on suppose les déclarations sincères ou mensongères) pour laisser place à la complexité de ses raisons d’agir. Dans tous les cas, un élément domine : le poids des normes sociales dans son comportement. Ces normes et conventions ne sont pas nécessairement universelles et communes à tous les individus comme l’a montré Howard Becker [1988] mais dépendent du monde de l’art dans lequel s’inscrit l’individu. Dans le cas qui nous intéresse, c’est la conception dominante de ce qu’est la culture [19] qui le conduit à déclarer des préférences distinctes de ses actions. Cette conception est véhiculée par les institutions qui nous entourent et est dépendante de notre histoire collective [Hodgson, 2007a, 2007b ; Rushton, 1999]. En référence à cette norme culturelle, il peut regretter réellement de se laisser-aller à regarder des programmes « faciles », distractifs et souffrir d’un problème de self-control (cas où il est sincère), ou afficher simplement une opinion de façon à avoir une utilité sociale (cas où il ment). Dans les deux cas, le bien-être de l’individu ne peut être évalué correctement à partir de ses seules préférences révélées, sa satisfaction étant moindre dès lors que l’on prend en compte ses préférences exprimées.
22Si le marché satisfait certains types de préférences faut-il pour autant ignorer les autres ? Afin de guider les comportements et de permettre à d’autres gammes de préférences de s’épanouir, une intervention de l’État est-elle requise ? L’État doit-il favoriser un ensemble de préférences par rapport à un autre ? [Cowen, 1993 ; Whitman, 2006]. Nous commencerons par évaluer la pertinence d’une intervention des pouvoirs publics dans une telle situation pour ensuite lire à la lumière de ces analyses les récentes mesures qui ont instauré la suppression de la publicité sur les chaînes publiques françaises aux heures de grande écoute.
4.1 – De la souveraineté du consommateur à la souveraineté réflexive
23Dans quelle mesure une intervention de l’État pourrait-elle résoudre la divergence entre préférences de marché et préférences exprimées ? Le concept de merit goods [20] ou de « biens sous tutelle » introduit par Musgrave à la fin des années 1950 [Musgrave, 1957] peut ici être invoqué. Musgrave définit les merit goods comme des biens pour lesquels l’État interfère avec les préférences individuelles, les pouvoirs publics substituant leurs propres préférences à celles que les individus révèlent sur le marché et s’érigent en tuteur des individus pour pallier leurs défaillances individuelles. Lors de l’introduction de ce concept, nombreux ont été les économistes qui ont considéré que l’argument ne pouvait être accepté, car il mettait en cause un des éléments fondateurs de l’analyse économique néo-classique, le principe de souveraineté des consommateurs [21] [McLure, 1968]. La reconnaissance par les économistes dans les années 1980 de la coexistence possible d’une pluralité de fonctions de préférences pour un même individu permet de dépasser les critiques initialement adressées au concept. Bien que les pouvoirs publics mettent effectivement en cause les préférences que les individus révèlent sur le marché, la critique de la mise en cause de souveraineté du consommateur tombe à l’eau, dès lors que l’on vérifie que l‘intervention publique est en cohérence avec les préférences déclarées des individus. Ce faisant, cette intervention est susceptible d’améliorer le bien collectif.
24C’est ce type de raisonnement que conduisent Brennan et Lomasky [1983] dans un article consacré aux merit goods lorsqu’ils décrivent les individus comme « des personnalités divisées » (split personalities) entre plusieurs ordres de préférences qui peuvent être incompatibles entre eux : les préférences de marché (« je veux ») qui sont révélées par la disposition à payer et le choix ; les préférences réflexives (« je devrais ») qui rendent compte des opinions et se révèlent dans les interviews, les discours qui renvoient au concept de méta-préférence et les préférences politiques (« la société devrait ») qui sont exprimées par le vote. C’est donc parce que les individus sont capables d’évaluer leurs préférences qu’ils peuvent faire des choix institutionnels. Ainsi, Brennan et Lomasky définissent les merit goods comme les biens que les individus, après réflexion, veulent consommer en quantités plus importantes. « Nous pourrions définir les merit goods comme des biens que les individus reconnaissent comme nécessaires, mais qui, en raison de la faiblesse de la volonté, de la turpitude morale ou de la légèreté ne sont pas fournis en justes proportions sur le marché où le coût de renoncement au plaisir égoïste est trop élevé [22] » [Brennan et Lomasky, 1983, p. 199]. Selon ces auteurs, il n’y a pas d’incohérence entre la fourniture des merit goods et l’approche individualiste. Dans la même lignée, Kavka [1991] et Goodin [1989] montrent que les choix actuels ne sont pas le résultat d’un classement des préférences individuelles mais de conflits internes. Goodin [1989] fait référence au phénomène d’acrasie [23]. Les individus peuvent chercher à être guidés par l’État pour suivre leurs préférences réflexives conduisant à un accroissement de l’utilité. Ainsi, le consommateur représente juste une facette de « l’individu » et le « bien-être du consommateur » seulement une partie du bien-être individuel [Scitovsky, 1962]. En conséquence, si le marché échoue à capter les goûts des individus dans leur ensemble, l’État apparaît alors comme un médiateur entre les préférences de marché et les préférences réflexives.
25La reconnaissance de ce rôle ne résout pas pour autant toutes les questions, la médiation ne va effectivement être mise en place que pour un nombre limité de biens sur lesquels un consensus social est acquis quant à leur valeur pour la société ; on pourra ici faire référence aux travaux d’Orléan [1997, 2002, 2004] qui souligne l’importance de croyances collectives qui ont pour origine les repères communs, historiques et culturels et possèdent un contenu symbolique. Ces croyances jouent un rôle stratégique dans les situations où chacun se détermine à partir de ce qu’il pense que les autres croient. Elles affectent ce que l’on pense en privé [Sunstein, 1996] et peuvent conduire les individus à considérer leurs comportements comme inacceptables. Ainsi, la valeur symbolique d’un programme n’est pas décidée par un téléspectateur mais par le sens que lui en donne la société [Grubb et Grathwohl, 1967].
26Plus largement, les biens qui requièrent une intervention des pouvoirs publics au titre de merit goods afin de satisfaire les préférences des individus bénéficient d’un certain consensus social. Dans la définition qu’il donne des merit goods dans le Palgrave [1987] Richard Musgrave [1987] développe ainsi la notion de communauté de préférences. Ces communautés résultent d’un processus historique d’interaction entre individus, conduisant à la formation de valeurs ou de préférences qui perdurent et sont transmises de génération en génération. Les biens inclus dans le domaine de la santé, de la culture et de l’environnement bénéficient assez aisément de ce consensus.
4.2 – La suppression de la publicité : une lecture à la lumière des merit goods
27Quel éclairage les analyses que nous venons de conduire fournissent-elles aux récentes mesures concernant le financement de la télévision en France ? Jusqu’à présent, l’intervention des pouvoirs publics dans la télévision a essentiellement été analysée par les économistes en référence à des questions de défaillances du marché. Comme nous l’avons déjà noté en première partie, la diffusion des programmes est non rivale et non exclusive ; il n’est donc pas possible de faire payer le consommateur final, ce qui a justifié l’instauration de la redevance dans les débuts de l’histoire de la télévision. Par la suite, une solution originale privée a été trouvée avec la création d’un marché à double face. Récemment, en janvier 2008, un revirement politique a imposé qu’après 20 heures aucune publicité ne soit plus diffusée sur la télévision publique. Les déclarations des pouvoirs publics qui légitiment cette suppression vont dans le sens de la recherche d’une amélioration de l’élévation du niveau culturel des programmes, même si la question du financement ultérieur reste en suspens et suscite bien des interrogations [24]. Cette intervention semble bien relever d’un cas de merit good allant à l’encontre des préférences révélées des téléspectateurs. Ainsi, d’après l’IPSOS, 45 % des personnes se sont a priori déclarées favorables à la mesure et 50 %, contre [25]. Un autre moyen d’évaluer leurs préférences consiste à prendre en compte leur disposition à payer, appréhendée ici par le montant supplémentaire de la redevance qu’ils seraient prêts à supporter [26]. Selon cette même étude [27], la disposition à payer des téléspectateurs (23 euros d’augmentation de redevance) pour pallier la suppression de la publicité apparaît bien inférieure au coût anticipé de la mesure (70 euros en moyenne d’augmentation de la redevance). Ici encore, selon ce second indicateur, l’intervention des pouvoirs publics semble aller à l’encontre des préférences révélées.
28En revanche, cette intervention paraît cohérente avec les méta-préférences des individus, i.e. leurs préférences de long terme et le désir de qualité que nous avons noté en introduction de cet article. En effet, si la personnalité de court terme du téléspectateur cherche la satisfaction immédiate en sélectionnant des programmes « faciles à regarder », ne demandant pas d’investissement intellectuel et dont elle est déjà addict, la personnalité de long terme demande des émissions de qualité qui lui apporteront des bénéfices futurs.
29Cette mesure de suppression de la publicité devrait permettre d’avoir accès à une offre de programmes culturels élargie, en supposant que la chaîne reçoive désormais un montant de subvention équivalent à celui qu’elle perd en renonçant à la publicité. En effet, la majorité des modèles de différenciation des programmes [Steiner, 1952 ; Spence et Owen, 1977 ; Noam, 1987 ; Waterman, 1990 ; Benzoni et Bourreau, 2001 ; Bourreau, 2003] mettent en relation qualité et diversité des programmes et montrent que la publicité a une influence négative sur la qualité et sur la diversité des programmes. Les annonceurs recherchent des téléspectateurs cibles, les chaînes de télévision quant à elles recherchent la maximisation du profit donc une programmation capable d’attirer le plus de téléspectateurs. Cette stratégie de maximisation de l’audience conduit à une homogénéisation des programmes entre les chaînes de télévision publiques et privées. Ces modèles justifient une mise sous tutelle de la télévision afin de favoriser diversité et qualité. Ils fournissent une justification à l’existence de chaînes publiques jusqu’alors financées partiellement par la publicité et dont l’objectif principal n’est pas la maximisation du profit. Ils laissent supposer que la suppression définitive de la publicité devrait permettre d’accroître la diversité de l’offre télévisuelle puisque les chaînes publiques ne sont plus en concurrence pour l’audience.
30Notons qu’en supprimant la publicité sans intervenir directement sur le contenu de la programmation, les pouvoirs publics n’imposent pas de façon autoritaire leurs propres préférences. Ainsi, l’élargissement de la programmation aux programmes culturels est susceptible de satisfaire les préférences de court terme et de long terme du téléspectateur. Quelle que soit la définition retenue, sa souveraineté est respectée. La modification des options de programmes proposées par les chaînes peut d’une part modifier les comportements fondés sur l’écoute continue d’une chaîne à partir de la fin de journée [28] et, d’autre part, conduire les personnes à avoir un comportement plus réfléchi. L’intervention des pouvoirs publics permet dès lors de maintenir un espace de choix susceptible de satisfaire toutes les gammes de préférences, qu’elles soient de marché ou réflexives, et préserve la liberté de choix des individus. Ainsi, contrairement aux différentes critiques afférentes aux merit goods, les choix individuels ne sont pas mis sous tutelle. La décision de suppression de la publicité est alors considérée comme une politique qualifiée de soft paternalism ou encore de libertarian paternalism [Thaler et Sunstein, 2003 ; Bernheim et Rangel, 2005] qui a pour objet d’influencer les choix des parties en présence dans un sens qui les rendra mieux sans les contraindre. Cependant, le fait de jouer sur l’offre sans imposer de contraintes aux individus est susceptible d’échouer à rendre le téléspectateur « meilleur ». Même si la diversité offerte croît et répond aux préférences de long terme, encore faut-il que cette diversité soit consommée [Benhamou et Peltier, 2007]. De nombreux travaux en économie de la culture insistent sur l’importance du capital culturel dans les consommations. Citons par exemple, les travaux de Lévy-Garboua et Montmarquette [1996] qui ont mis en évidence d’une part l’existence d’un seuil minimal pour enclencher les consommations culturelles et d’autre part ont souligné la nécessité d’expériences positives. C’est d’ailleurs ce problème d’éducation qui explique l’échec de la majorité des politiques de démocratisation qui, dans les années 1980, se sont centrées prioritairement sur la question des prix en omettant la variable capital culturel. De ce fait, si la suppression de la publicité conduit à un accroissement de la diversité offerte au téléspectateur et à un élargissement de son espace de choix, cela n’induira pas nécessairement une modification de son comportement de consommateur, qui continuera de souffrir de problèmes de self-control [29]. Une politique plus efficace requiert d’accompagner ces mesures d’un programme d’éducation à l’image.
5 – Conclusion
31Le comportement du téléspectateur fournit un cadre d’analyse adéquat pour étudier l’opposition entre ce qui est « dit » et ce qui est « fait » même en l’absence de contrainte monétaire.
32Tandis que chez la plupart des économistes s’opère une confusion entre les notions de choix et de préférences, l’extension du domaine des préférences met en lumière le risque qu’il y a à assimiler préférences et actions. Les individus identifient et révèlent leurs préférences de diverses façons, à différents moments et dans des contextes variés. Elles peuvent être exprimées de façon impulsive, ou après réflexion ou discussion ; en d’autres termes, elles ne sont pas figées et sont sensibles aux règles qui encadrent les interactions interindividuelles. Les modèles de méta-préférences et de multiple selves permettent dès lors d’expliquer l’apparente irrationalité des téléspectateurs. Ces derniers sont soumis à différentes échelles de valeurs qui peuvent entrer en conflit, et qui se manifestent de façon contextualisée. Ainsi, même si les préférences exprimées sont différentes de leur choix de consommation, le discours du téléspectateur concernant les programmes ne doit pas être négligé et peut être source d’utilité à satisfaire. L’intervention de l’État est alors souhaitable pour satisfaire ces préférences révélées « hors marché ».
33Cette justification de l’intervention des pouvoirs publics au titre des merit goods trouve toute sa pertinence dans un contexte de dérégulation du marché et de multiplication des chaînes. En effet, à l’ère de la convergence, la télévision est partout, les canaux de diffusion se multiplient (téléphone, internet, etc.), la concurrence entre programmes et entre supports de diffusion s’accroît. Face à cette multiplication des sources, l’offre de programme se diversifie et les arguments traditionnels de l’intervention de l’État (défaillance de marché, bien collectif, etc.) sont mis en cause. Or, malgré une offre diversifiée et une concurrence accrue, cette intervention demeure nécessaire non pas pour pallier les éventuels échecs du marché, mais pour corriger les défaillances individuelles et ainsi tenir pleinement compte de la satisfaction des individus et de leurs préférences, qu’elles soient exprimées sur le marché ou simplement à travers les discours. Toutefois, bien qu’une intervention de l’État semble nécessaire pour accroître la diversité offerte aux individus, elle ne saurait être suffisante et requiert d’être accompagnée par la mise en place de programmes d’éducation à l’image.
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Mots-clés éditeurs : télévision, préférences, satisfaction, comportement, bien sous tutelle
Mise en ligne 12/11/2009
https://doi.org/10.3917/rfse.004.0199Notes
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[1]
Source : Ipsos (2004), Baromètre Ipsos-Stratégies sur l’’image des chaînes hertziennes.
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[2]
Source : CSA, Bilan 2004 de TF1.
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[3]
Ces externalités sont positives dans la majorité de la littérature sur le sujet, mais elles peuvent être négatives [Evans, 2003 ; Reisinger, 2004].
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[4]
Plus l’audience est élevée, plus l’impact de la publicité est fort et plus les annonceurs ont de chances de toucher un public élargi et de vendre leur produit.
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[5]
Plus le nombre de coupures publicitaires est élevé plus le temps disponible pour regarder un programme diminue.
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[6]
« I shall refer to the phenomenon of sour grapes as adaptative preference formation or adaptative preference change as the case may be ».
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[7]
« TV viewing is a case in which the theory of revealed preference does not fully apply: many people watch more than they consider good for themselves ».
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[8]
« People behave sometimes as if they had two selves, one who wants clean lungs and long life, and another who adores tobacco, or one who wants a lean body, and another who wants dessert, or one who yearns to improve himself by reading Adam Smith on self-command and another who would rather watch an old movie on television ».
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[9]
On a alors affaire à des modèles très proches des modèles de métapréférences présentés dans le point 2.2.
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[10]
Selon Frankfurt, ce sont les préférences de second rang qui rendent les êtres humains différents des autres « créatures ». Seuls les hommes sont capables d’autoréflexion et d’auto-évaluation sur leurs préférences. Ils ont la capacité de « retourner en arrière », de juger leurs préférences, de réfléchir sur leurs goûts et peuvent donc avoir des préférences sur leurs préférences.
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[11]
« For the most part we do not simply choose our preferences any more than we choose our beliefs, so that direct manifestation of preferences in choice is rare when the object of preference are themselves preferences ».
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[12]
« The extent of TV viewing is not generally utility maximizing. Many individuals are subject to a self-control problem, mainly induced by the fact that watching TV offers immediate benefits (e.g. entertainment and relaxation) at very low immediate marginal costs ».
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[13]
« Here, the role of self-control problems in TV viewing is addressed with regard to consumers’ utility. It is hypothesized that, for people facing similar restrictions, heavy TV viewing indicates impeded self-control rather than a love of TV ».
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[14]
« A mismatch between preference and metapreference would be one cause for expression of discontent over one’s choice situation, but only one of several causes ».
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[15]
Par exemple le fumeur qui souhaite arrêter de fumer pour être en bonne santé mais qui ne peut résister à la tentation et au plaisir d’une cigarette peut contraindre son choix futur en décidant de jeter son paquet ou en se déclarant pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
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[16]
« And if the restriction of future choice manages to shape the first-order preference as she wishes to have it shaped, such self-imposed restrictions make sense ».
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[17]
Schelling [1984] donne l’exemple de l’alcoolique, du fumeur, de la drogue, de la télévision, du sommeil…
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[18]
« Often the way people try to constraint their own future behavior are like the ways that could try to constrain someone else’s behavior; they appear to be treating their ‘future self’ as if it were another individual ».
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[19]
Qui transparaît dans le cahier des charges des chaînes de télévision [Vidal, 2006 ; 2007].
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[20]
Musgrave définit les Merit Goods comme des biens pour lesquels : « where interference with individual preferences is desired, our schema must be expanded. Such wants –which lack of a better name I refer to as merit wants – may be thought of as provided for in a separate branch » [Musgrave, 1957 : p. 341].
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[21]
Le concept de « souveraineté » a été introduit par Hutt 1936, « The consumer is sovereign when, in his role of citizen, he has not delegated to political institutions for authoritarian use the power which he can exercise socially through his power to demand (or refrain from demanding) » [Hutt, 1936 ; cité par Persky, 1993 : p. 184].
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[22]
« We might define merit goods for institutional purposes as those which the individuals recognizes he ought to provide, but which due to weakness of will, moral turpitude or laxity he will not adequately provide in the market where the cost of selfish pleasure foregone is too high ».
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[23]
Ce phénomène emprunté à Aristote désigne la faiblesse de la volonté, il décrit une action accomplie intentionnellement et délibérément à l’encontre de notre jugement.
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[24]
Notons que la diminution de la publicité sur les chaînes publiques en 2000 (loi Trautmann) n’a pas eu les effets escomptés sur la programmation. Selon le rapport d’information mené en 2004/2005 par Philippe Leroy à la demande du Sénat, les positionnements éditoriaux ont été peu modifiés. « En déplaçant légèrement l’équilibre redevance/publicité de France Télévisions, cette mesure n’a toutefois rien changé aux problèmes de fond du système français : financement public et ressources publicitaires globalement insuffisantes ; ambiguïté du positionnement du secteur public. Plutôt que de travailler toujours sur des ajustements techniques, il serait utile de réfléchir à un changement de système, et d’étudier, par exemple, le modèle britannique ». Les réformes récentes vont en ce sens ; reste à savoir si les financements nécessaires suivront.
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[25]
Sondage Ipsos, 28 janvier 2008.
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[26]
Cette approche par la disposition à payer était rendue impossible du fait de la particularité du financement de la télévision. Le téléspectateur était jusqu’alors dans la position de marchandise échangée sur un two-sided market.
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[27]
Bien entendu, les données de cette étude sont à prendre avec les précautions habituelles qui entourent les sondages. Notons en outre qu’il s’agit d’un simple sondage et non pas d’une évaluation contingente.
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[28]
Fait caractéristique qui conduit les chaînes à chercher à s’attacher l’audience avant le journal télévisé.
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[29]
Rappelons que les résultats théoriques montrent qu’avec un financement de la télévision par la seule publicité, on déboucherait à terme sur une diminution de l’espace de choix offert aux individus.