Notes
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[1]
L’auteur remercie le comité de rédaction de la revue, ainsi que Sébastien Caré, Gwendal Châton, Julian Fernandez et Héloïse Lhérété pour leurs commentaires de précédentes versions de ce texte.
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[2]
Raymond Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », Revue française de science politique, 3 (1), janvier-mars 1953, p. 69-91.
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[3]
Peter Wilson, « The Myth of the First Great Debate », dans Tim Dunne, Michael Cox, Ken Booth (dir.), The Eighty Years Crisis. International Relations, 1919-1999, 1999, p. 1-15 ; Alex MacLeod, « Les relations internationales comme science », dans Dario Battistella (dir.), Relations internationales. Bilan et perspectives, Paris, Ellipses, 2013, p. 31-54.
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[4]
La réflexion sur les causes de la guerre remonte à Thucydide qui en identifie trois principales : l’intérêt, l’honneur, la crainte. Cependant, l’étude scientifique de ce problème et des RI s’inscrit dans le processus plus large d’institutionnalisation des sciences sociales et humaines entamé à la fin du xixe siècle avec l’émergence notamment de la sociologie.
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[5]
Bruno Cabanes, The Great War and the Origins of Humanitarianism, 1918-1924, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
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[6]
Voir Harmuth Behr, A History of International Political Theory. Ontologies of The International, Londres, Palgrave MacMillan, 2010.
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[7]
Bruno Arcidiacono, Cinq types de paix. Une histoire des plans de pacification perpétuelle (xviie-xxe siècles). Paris, PUF, 2011.
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[8]
Edward H. Carr, La crise de vingt ans, 1919-1939. Une introduction à l’étude des relations internationales, trad. de l’anglais par Michèle Mat, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2015 [1re édition anglaise en 1939] ; Reinhold Niebuhr, Moral Man and Immoral Society. A Study of Ethics and Politics, New York, Charles Scribner’s Sons, 1932.
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[9]
Hans J. Morgenthau, Politics among Nations. The Struggle for Power and Peace, New York, Knopf, 1948.
-
[10]
Stanley Hoffmann, « Aron et la théorie des relations internationales », Politique étrangère, 48 (4), 1983, p. 841-857 ; Pierre Hassner, « Raymond Aron : Too Realistic to be a Realist ? », Constellations, 14 (4), 2007, p. 498-505 ; Murielle Cozette, « Raymond Aron and the Morality of Realism », IR Working Paper, 5, Australian Central University, Canberra, 2008 ; Gwendal Châton, « Pour un “machiavélisme postkantien” : Raymond Aron, théoricien réaliste hétérodoxe », Études internationales, 43 (3), 2012, p. 389-403.
-
[11]
Sur la notion de « passeur », voir Fabien Jobard et al., « Sociologie politique des passeurs : acteurs dans la circulation des savoirs, des normes et des politiques publiques », Revue française de science politique, 70 (5), octobre 2020, p. 557-573.
-
[12]
Nicolas Guilhot, « “The French Connection” : éléments pour une histoire des RI en France », Revue française de science politique, 67 (1), février 2017, p. 43-67, ici p. 62.
-
[13]
Ibid., p. 43-47.
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[14]
Nous nous permettons de renvoyer à Jean-Vincent Holeindre (dir.), « Raymond Aron et les relations internationales : 50 ans après Paix et guerre entre les nations », Études internationales, 43 (3), 2012, p. 321-338.
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[15]
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, 1967, Gallimard, p. 317-404.
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[16]
Dario Battistella, « Les relations internationales en France », dans Thierry Balzacq, Frédéric Ramel (dir.), Traité de relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 157-180 ; François Ahmed Michaux Bellaire, « Les ruptures intellectuelles et scientifiques de la sociologie des relations internationales : enquête sur l’absence d’une conversation française en RI », thèse de doctorat en science politique (Dario Battistella, dir.), Bordeaux, université de Bordeaux, 2017.
-
[17]
Kenneth N. Waltz, Theory of International Politics, Reading, Addison Wesley, 1979.
-
[18]
P. Hassner, « Raymond Aron : Too Realistic to be a Realist ? », art. cité.
-
[19]
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Pour un réalisme libéral en relations internationales », Commentaire, 141, 2013, p. 13-20 ; Olivier Schmitt, « Raymond Aron, le réalisme des normes libérales », Annuaire français des relations internationales, 20, 2019, p. 25-42.
-
[20]
Jean-Michel Guieu, « Les juristes internationalistes français, l’Europe et la paix à la Belle Époque », Relations internationales, 149, 2012, p. 27-41 ; Frédéric Ramel, « Normative Theory in International Relations », dans Bertrand Badie, Dirk Berg-Schlosser, Leornardo Morlino (dir.), International Encyclopedia of Political Science, Londres, Sage, 2011, p. 1727-1737 ; Julian Fernandez, Relations internationales, Paris, Dalloz, 2021 (3e éd.) ; Serge Sur, Relations internationales, Paris, Domat/LGDJ, 2021 (7e éd.).
-
[21]
Raymond Aron, « Pour le progrès : après la chute des idoles », Commentaire, 3, 1978, p. 233-243 ; Raymond Aron, Les désillusions du progrès, Paris, Calmann-Lévy, 1969.
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[22]
Kenneth N. Waltz, Man, the State and War. A Theoretical Analysis, New York, Columbia University Press, 1959, p. 188.
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[23]
Hans J. Morgenthau, Politics among Nations..., op. cit.
-
[24]
Le terme est ici emprunté à Dario Battistella qui s’inspire de Thomas S. Kuhn définissant la notion de paradigme comme un modèle théorique qui « fournit à la communauté de chercheurs des problèmes type et des solutions » (T. S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983 [1re édition américaine en 1962], p. 11).
-
[25]
Rudra Sil, Peter J. Katzenstein, Beyond Paradigms. Analytic Eclecticism in the Study of World Politics, New York, Palgrave Macmillan, 2010. Voir aussi Jérémie Cornut, « Le pragmatisme et l’analyse des phénomènes complexes dans la théorie des relations internationales : le cas des excuses dans la diplomatie américaine », thèse de doctorat en science politique (Dario Battistella, Stéphane Roussel, dir.), Paris, EHESS, 2012.
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[26]
Daniel Maliniak et al., TRIP 2017 Faculty Survey. Teaching, Research, and International Policy Project, Williamsburg, Global Research Institute, 2017, en ligne : https://trip.wm.edu/.
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[27]
R. Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », art. cité, p. 88.
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[28]
Ibid., p. 89.
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[29]
Ibid., p. 83.
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[30]
Ibid., p. 73.
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[31]
Voir Nicolas Guilhot (dir.), The Invention of International Relations Theory. Realism, the Rockefeller Foundation, and the 1954 Conference on Theory, New York, Columbia University Press, 2011.
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[32]
N. Guilhot, « “The French Connection”... », art. cité, p. 62-64.
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[33]
M. Cozette, « What Lies Ahead... », art. cité, p. 674-677.
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[34]
R. Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », art. cité, p. 73.
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[35]
Il faudra attendre pour cela le réalisme néoclassique dont Dario Battistella a montré la proximité avec Raymond Aron : voir D. Battistella, « Raymond Aron, réaliste néoclassique », Études internationales, 43 (3), 2012, p. 371-388.
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[36]
G. Châton, « Pour un “machiavélisme postkantien”... », art. cité.
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[37]
Raymond Aron, Machiavel et les tyrannies modernes, Rémy Frémond (dir.), Paris, Fallois, 1993.
-
[38]
R. Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », art. cité, p. 82.
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[39]
Lettre de Raymond Aron adressée à Carl Schmitt au sujet de la Notion de la politique en date du 1er octobre 1963 conservée dans les archives de Raymond Aron : « De l’opposition entre l’ami et l’ennemi on ne peut pas déduire l’objectif spécifique de la politique. En d’autres termes, comme vous le dîtes vous-même à la page 38, le politique désigne moins un domaine spécifique que le degré d’intensité de l’association et de la dissociation entre les hommes. Mais, du même coup, la question se pose de savoir quelles associations d’hommes méritent d’être dites politiques. Il me semble que beaucoup des malentendus suscités par votre livre tiennent à l’oscillation entre la notion de critère et celle d’essence. » Sur la relation entre Carl Schmitt et Raymond Aron, voir Jan-Werner Muller, Carl Schmitt, un esprit dangereux, trad. de l’anglais par Sylvie Taussig, Paris, Armand Colin, 2007 ; Giulio de Ligio, « La vertu politique : Aron, penseur de l’ami et de l’ennemi », Études internationales, 43 (3), p. 405-420 ; Émile Perreau-Saussine, « Raymond Aron et Carl Schmitt lecteurs de Clausewitz », Commentaire, 103, 2003, p. 617-622.
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[40]
Raymond Aron, « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? », Revue française de science politique, 17 (5), octobre 1967, p. 837-861.
-
[41]
Voir Fernand Braudel et al., « Pour ou contre une politicologie scientifique », Annales, 18 (1), 1963, p. 119-132.
-
[42]
R. Aron, « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? », art. cité., p. 847.
-
[43]
Ibid.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
Ibid., p. 851.
-
[46]
Ibid.
-
[47]
Ibid., p. 847.
-
[48]
Ibid., p. 858.
-
[49]
Ibid., p. 859.
-
[50]
Ibid., p. 838.
-
[51]
Stanley Hoffman, « An American Social Science : International Relations », Daedalus, 106 (3), 1977, p. 41-60, ici p. 59.
-
[52]
Kenneth N. Waltz, « Realist Thought and Neorealist Theory », Journal of International Affairs, 44 (1), 1990, p. 21-37.
-
[53]
Hedley Bull, « International Theory : The Case for a Classical Approach », World Politics, 18 (3), 1966, p. 361-377.
-
[54]
Sur la naissance du CERI, voir Sabine Jansen, Marie Scot, « Les relations internationales à Sciences Po : la naissance du CERI et l’essor d’un champ disciplinaire (1945-1968) », Revue historique, 691, 2019, p. 669-704.
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[55]
Dont la première édition paraît en 1962 chez Calmann-Lévy.
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[56]
Marie-Claude Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France : regard sur une discipline », Revue internationale et stratégique, 47, 2002, p. 83-89.
-
[57]
Guillaume Devin, Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2009, p. 4.
-
[58]
Ibid.
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[59]
Il en va de même pour les méthodes quantitatives, que la science politique française a négligées du fait de ses réticences vis-à-vis du behavioralisme américain.
-
[60]
Frédéric Ramel, Les fondateurs oubliés. Durkheim, Simmel, Weber, Mauss et les relations internationales, Paris, PUF, 2006.
-
[61]
Bertrand Badie, Marie-Claude Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 (3e éd.).
-
[62]
Thomas Lindemann, Erik Ringmar (dir.), The International Politics of Recognition, Boulder, Paradigm Publishers, 2012.
-
[63]
Thierry Balzacq, Théories de la sécurité. Les approches critiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2016.
-
[64]
Voir, par exemple, les parcours scientifiques d’Hugo Meijer, Alice Pannier ou encore Olivier Schmitt.
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[65]
Voir notamment Pierre Hassner, La revanche des passions. Métamorphoses de la violence et crises du politique, Paris, Fayard, 2015.
-
[66]
Dario Battistella, Jérémie Cornut, Élie Baranets, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 [2003].
-
[67]
Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 1994.
-
[68]
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Théories des relations internationales, Paris, PUF, 2020.
-
[69]
Frédéric Ramel, La bienveillance dans les relations internationales. Un autre regard politique sur l’espace mondial, Paris, CNRS Éditions, 2022.
-
[70]
Ariel Colonomos, Églises en réseaux. Trajectoires politiques en Europe et en Amérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2000 ; Id., Le pari de la guerre. Guerre préventive, guerre juste ?, Paris, Denoël, 2009.
-
[71]
Delphine Allès, La part des dieux. Religion et relations internationales, Paris, CNRS Éditions, 2021.
-
[72]
Voir Joseph Henrotin, Olivier Schmitt, Stéphane Taillat (dir.), Guerre et stratégie. Approches, concepts, Paris, PUF, 2015.
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[73]
Richard Ned Lebow, A Cultural Theory of International Relations, New York, Cambridge University Press, 2008.
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[74]
Voir notamment les travaux d’Adrien Estève, Amélie Ferey, Édouard Jolly, Olivier Zajec.
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[75]
Voir Olivier Schmitt (dir.), Raymond Aron and International Relations, Londres, Routledge, 2018.
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[76]
Voir N. Guilhot, « “The French Connection”... », art. cité, p. 66.
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[77]
Voir Frédéric Mérand, Vincent Pouliot, « Le monde de Pierre Bourdieu : éléments pour une théorie sociale des Relations internationales », Revue canadienne de science politique, 41 (3), 2008, p. 603-625. Sur le practice turn, voir Julien Pomarède, « Aux prises avec les vibrations du social : retour sur le practice turn en relations internationales », Cultures & conflits, 102, 2016, p. 151-164. Pour une vision d’ensemble des théories critiques, voir T. Balzacq, Théories de la sécurité..., op. cit.
1 Raymond Aron fut l’un des membres fondateurs [1] et l’un des premiers contributeurs de la Revue française de science politique (RFSP). En 1953, deux ans après la création de la revue, il publie « En quête d’une philosophie de la politique étrangère [2] », article devenu « classique » dans lequel il introduit au public français ce qui est présenté, à tort ou à raison, comme le « premier grand débat » de la discipline des relations internationales (RI) entre réalisme et idéalisme [3].
2 Les RI, considérées ici comme un sous-champ de la science politique, sont nées au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec une visée explicative et normative : identifier les causes de ce conflit d’ampleur globale afin d’éviter qu’il ne survienne à nouveau [4]. « Plus jamais ça » : ce leitmotiv animant les sociétés d’après-guerre a inspiré le projet « idéaliste » des premiers « internationalistes », qui était de construire une paix robuste indépendante du seul bon vouloir des États, dessinant les contours d’une véritable solidarité et sécurité mondiales à partir de valeurs communes, libérales et démocratiques [5]. Souvent juristes ou historiens, ces scientifiques engagés ont été rattachés a posteriori à une vision idéaliste (ou « libérale ») au sens où leur réflexion était vouée à « moraliser », « pacifier » et « démocratiser » la politique internationale, notamment par la création d’institutions dont l’Organisation des nations unies (ONU) est aujourd’hui l’héritière. La première chaire de RI est ainsi créée au Pays de Galles, à l’université d’Aberystwyth, en 1919 – l’année de signature du traité de Versailles – suivant ce programme pour la paix, alliant science et éthique, politique et droit [6].
3 Nourrie par la nouvelle science des RI, l’ambition d’une « paix fédérative », dite aussi « paix de droit international [7] », s’est traduite politiquement par la Société des nations (SDN) durant l’entre-deux-guerres. Ce projet de sécurité collective, qui entendait supplanter le principe d’équilibre des puissances, fait rapidement l’objet d’une critique « réaliste [8] ». Celle-ci affirme, d’une part, que le rôle de la science est de comprendre plutôt que de juger et, d’autre part, que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » : en cherchant à faire le bien, on peut attiser ou empirer le mal, vu comme inhérent à la condition humaine. Puisant dans la tradition de la pensée politique (Thucydide, Machiavel, Hobbes...), les réalistes en RI estiment qu’il est vain d’ordonner le monde autour de normes communes car celui-ci est intrinsèquement « anarchique », fragmenté en unités politiques souveraines. Le seul langage que comprennent les acteurs politiques, en l’espèce les États, est celui de la puissance conçue comme capacité à contraindre l’autre.
4 D’une certaine manière, la discipline des RI n’a cessé de reformuler ces questionnements qui, s’ils relèvent pour une part de l’illusion rétrospective, structurent la réflexion sur l’action et les normes internationales. Par exemple, comment comprendre aujourd’hui le rôle de la Chine ou de la Russie sur la scène mondiale et que peuvent les démocraties face à ces puissances autoritaires ? Dans une perspective idéaliste, ces États constituent une menace à la sécurité internationale au sens où ils charrient des normes autoritaires et belligènes. Ils peuvent être combattus à ce titre, y compris par la force si nécessaire. Dans une perspective réaliste, Chine et Russie peuvent également constituer une menace à la sécurité internationale, mais en vertu de leur capacité de nuisance et de leur volonté supposée de perturbation, voire de domination du système international : ce sont de grandes puissances indépendamment des valeurs qu’elles défendent et, à cet égard, elles doivent être considérées par chaque État selon le critère de l’intérêt national défini en termes de puissance, avancé par Hans J. Morgenthau dans son traité de 1948, Politics among Nations [9]. Bien sûr, il existe des voies médianes entre ces deux approches, qui peuvent jusqu’à un certain point se combiner, mais tout est question de priorité entre une logique fondée sur la puissance et une autre fondée sur la légitimité, le défi des démocraties étant qu’elles doivent cheminer sur une ligne de crête, entre ces deux logiques.
5 Face à cette opposition entre idéalisme et réalisme, l’approche de R. Aron est éclairante, comme l’ont bien montré les travaux de Stanley Hoffmann, Pierre Hassner et, plus récemment, Murielle Cozette et Gwendal Châton [10]. R. Aron nous incite en effet à faire un pas de côté, tant sur le plan des théories que des méthodes d’analyse. Discutant pied à pied la théorie de l’intérêt national d’H. J. Morgenthau, jugée trop vague, il critique parallèlement la position idéaliste en RI, qui revêt à ses yeux un certain danger pour les démocraties confrontées aux menaces autoritaires et totalitaires. R. Aron apparaît ainsi, au moment où la RFSP se crée, comme un « passeur » de ces débats et, plus généralement, du dialogue transatlantique qui se noue entre les figures de la discipline aux États-Unis et la science politique naissante en France [11]. Lorsqu’il meurt en 1983, peu après la parution de ses Mémoires qui avaient connu un vif succès, Libération, peu suspect de soutien à son égard, titrait : « La France perd son prof. » Ce n’est pas le moindre mérite de R. Aron que d’avoir restitué, en professeur, pour le public français, l’état de la discipline telle qu’elle se pratiquait outre-Atlantique, où il tissa des liens forts avec des amis et collègues exerçant notamment au département de science politique d’Harvard. Certains en ont déduit que l’apport de R. Aron à la discipline serait essentiellement pédagogique. Cette vision est, disons-le d’emblée, réductrice. L’un des objectifs de cet article est ainsi de montrer que R. Aron, en plus d’être un passeur, est un penseur des relations internationales, dont l’apport empirique et théorique est considérable.
6 Comme l’a montré Nicolas Guilhot, R. Aron joue un « rôle de premier plan dans l’essor des RI en France [12] », faisant office de théoricien au sein d’une science politique française qu’il insère, avec d’autres, dans la discussion internationale. Contre une historiographie estimant que les RI en France sont autoréférentielles et autocentrées, N. Guilhot examine ce que celles-ci, à leurs débuts au moins, doivent à la pensée politique des « déracinés » nés au début du siècle en Allemagne et émigrés aux États-Unis durant l’entre-deux-guerres, le plus souvent chassés de leur terre natale par le nazisme : Hannah Arendt, Leo Strauss, H. J. Morgenthau, Franz Neumann [13]... R. Aron est contemporain de ces figures de la pensée politique du xxe siècle pour qui la guerre, et donc les RI, ont été de facto au centre d’une réflexion qui croise la théorie politique et l’étude de l’international, par le biais de la philosophie, de l’histoire, du droit et de la sociologie. Rien de surprenant donc à ce que le penseur français, né en 1905 et contemporain de ces auteurs ayant fait carrière aux États-Unis, s’inscrive dans le même « bain » politique et théorique, d’autant qu’une partie significative de sa formation, au début des années 1930, a eu lieu précisément en Allemagne, où il se forme à la sociologie historique par la lecture, notamment, de Max Weber [14].
7 La sociologie aronienne est résolument wébérienne, aux antipodes d’un Émile Durkheim que R. Aron critique vivement [15]. Ce choix de M. Weber contre E. Durkheim compliqua la postérité de R. Aron en science politique, en particulier au sein des RI, où le sociologue français constitue l’un des points de repère d’une approche « par le bas » centrée sur le social, opposée à une vision institutionnelle, stato-centrée, qui verrait la chose politique « d’en haut ». Ainsi, pour Dario Battistella et François Ahmed Michaux Bellaire, la sociologie des RI qui s’est imposée en France, sous l’influence de Marcel Merle, puis de Bertrand Badie, Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts, n’est que très peu aronienne, en dépit de la déférence souvent affichée vis-à-vis du père fondateur [16]. Cela tient à l’idée que l’on se fait de la sociologie et de son rapport à la tradition philosophique, notamment de la philosophie politique : si pour R. Aron la sociologie trace le trait d’union entre théorie politique et RI, la vision qui s’est imposée ensuite a été de jouer les RI contre la théorie ou la philosophie politique, à l’image de la sociologie générale qui a voulu s’autonomiser de la philosophie, tant sur le plan des méthodes que du positionnement épistémologique. Pierre Bourdieu ou Claude Levi-Strauss constituent des exemples de philosophes ayant rompu avec leur discipline par le biais de la sociologie ou de l’anthropologie. On n’observe rien de tel chez R. Aron qui, issu du giron de la philosophie, est resté pleinement philosophe tout en combinant cette identité intellectuelle avec la démarche sociologique et politiste.
8 Ainsi, R Aron occupe une place paradoxale dans le paysage de la science politique française et notamment en RI. D’un côté, il représente une figure tutélaire (ou du moins un repère clé) pour celles et ceux qui analysent les relations internationales avec les yeux de la théorie politique et de la philosophie politique, que ce soit sous un angle normatif ou compréhensif. De l’autre côté, il fait figure de premier sociologue des RI et a ouvert, à l’instar d’autres « grands anciens », un chemin prometteur, dont les générations suivantes se sont toutefois détachées, soit pour déplacer le regard sociologique (vers E. Durkheim et P. Bourdieu), soit pour développer une approche essentiellement empirique de la sociologie, au plus près du terrain et des enquêtes (les deux options n’étant pas incompatibles). Une partie de la sociologie des RI en France a ainsi adopté une posture bien différente de celle que R. Aron défendait initialement, en restant à distance des théories, notamment d’outre-Atlantique, vues (à tort) comme un produit d’importation dont il s’agirait de se déprendre pour développer une « école » française arrimée au terrain et peu encline aux débats théoriques. Cette position a conduit une partie de la science politique française à se déconnecter des controverses théoriques internationales, qui n’ont pas manqué de se poursuivre.
9 Or – c’est l’enjeu principal de cet article –, en matière de RI (et sans doute au-delà), tout l’intérêt de la pensée de R. Aron et une grande part de son « héritage » résident dans son rapport à la fois critique et empathique vis-à-vis de la théorie.
10 Critique, au sens où le sociologue s’est d’emblée montré rétif à la théorie « pure » des RI, qui se détacherait de l’expérience historique. Aussi est-il resté à distance d’un mouvement, très puissant au sein de la théorie des RI américaine et esquissé par H. J. Morgenthau, qui s’efforce d’énoncer des lois générales dont l’ancrage empirique est parfois ténu, sous couvert d’une approche se voulant pleinement scientifique. C’est le cas en particulier du réalisme structurel du « second » Kenneth N. Waltz (celui de Theory of International Politics [17]) ou plus encore des théories behavioralistes, dont R. Aron réfute la pertinence pour l’étude du milieu international, trop marqué par la contingence pour supporter l’élaboration de modèles.
11 Empathique aussi, car pour R. Aron, la théorie reste la pierre angulaire de toute entreprise scientifique : elle a une vertu compréhensive et, si elle peut éclairer l’action, elle ne peut être qu’heuristique, c’est-à-dire une aide, et non un substitut, à un jugement politique plus assuré. « Trop réaliste pour être un réaliste », ira même jusqu’à dire P. Hassner [18]. La formule contient une forme de provocation, mais elle dit bien la complexité du rapport de R. Aron à cette tradition de recherche. Il n’est pas douteux que celui-ci puisse être apparenté au réalisme tant il est proche, intellectuellement, de figures comme H. J. Morgenthau et Henry Kissinger. De même, il définit les relations internationales « à l’ombre de la guerre », ce qui l’assimile à la longue tradition du réalisme politique, antérieure à l’émergence des RI contemporaines. Mais sa sensibilité libérale et son attention à la sociologie des régimes politiques (autre grand apport de l’auteur à la science politique) affleurent dans toute son œuvre et en particulier dans l’article de 1953.
12 R. Aron a pu ainsi être décrit comme un « réaliste libéral [19] » qui combinerait les deux théories, mais il nous faut aller plus loin. Il s’agit de montrer que la vision aronienne de la théorie défie les découpages paradigmatiques qui se sont imposés dans la discipline. Elle questionne à la racine le statut, la portée et les limites d’une théorie politique des RI dans son rapport aux idéologies.
L’empreinte des idéologies
13 Pour comprendre l’originalité de l’apport de R. Aron, il convient de revenir brièvement sur les deux moments décisifs dans l’apparition, puis le développement, d’un champ spécifique des RI : la Première Guerre mondiale, qui produit au sein de l’aire européenne une réponse libérale à l’horreur du conflit ; la Guerre froide, qui accompagne aux États-Unis la montée du réalisme à mesure que se forgent les doctrines de l’endiguement et de la dissuasion nucléaire. R. Aron est le témoin autant que le commentateur critique de ces deux moments qui façonnent les deux principales traditions de recherche au sein de la discipline.
14 Au lendemain de la guerre de 1914-1918, R. Aron est frappé, comme d’autres (Stefan Zweig notamment), par l’effondrement moral, économique et politique de la « vieille » Europe. De ce traumatisme est née la théorie « libérale » ou « légaliste » (Michael Walzer), qui défend la construction de la paix par la sécurité collective, elle-même matérialisée par les institutions internationales (la SDN puis l’ONU). Dans la lignée d’Emmanuel Kant, le libéralisme en RI promeut la pacification de l’ordre international par l’adhésion progressive des États à des normes républicaines, c’est-à-dire légitimées par le peuple et encadrées par le droit. Le milieu des juristes joue à ce titre un rôle décisif dans l’émergence de cette école de pensée qui fait du droit, de l’économie et du régime démocratique des instruments majeurs de régulation internationale [20]. Si R. Aron a toujours entretenu une certaine méfiance vis-à-vis du droit – que les juristes lui ont bien rendue –, il partage avec certains d’entre eux, jusqu’à la fin de sa vie, cette ambition kantienne d’une domestication de l’ordre international par la convergence normative, elle-même rendue possible par le travail politique des États. L’un des derniers textes de R. Aron, paru dans Commentaire, s’intitule « Pour le progrès » (dont il avait au demeurant mesuré les « désillusions [21] »).
15 Cependant, dans l’approche aronienne, le réalisme n’est jamais bien loin, au sens ici d’une distinction entre ordre interne et ordre international : le type de régulation politique et juridique qui prévaut à l’échelle des États n’existe pas, ou peu, à l’échelle internationale, ce qui conduit R. Aron à user de cette expression que les juristes peinent à lui pardonner : « l’imperfection essentielle du droit international ». Le droit international constitue certes un instrument de pondération de la puissance et d’encadrement du recours à la force, mais il n’empêche pas les États d’en faire usage. « La guerre existe car rien ne l’empêche [22] », dit K. N. Waltz. Dans le même esprit, Edward H. Carr s’oppose au projet de sécurité collective de la SDN, vue comme une illusion, et fait dépendre la sécurité internationale de la seule responsabilité des acteurs étatiques, la paix ne pouvant ainsi s’établir que par l’équilibre. Mais si la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide porteront un coup sévère aux espérances libérales, elles ne les feront pas disparaître. Le droit international ne s’est jamais autant développé qu’après la création de l’ONU, dopé par l’activité, certes inégale selon les périodes, de ses organes principaux et subsidiaires : Conseil de sécurité, Assemblée générale, Commission du droit international, Commission puis Conseil des droits de l’homme...
16 La Guerre froide constitue le deuxième moment clé pour la théorie des RI, cette fois-ci en faveur du réalisme. Dans Politics among Nations, H. J. Morgenthau, souvent décrit comme le « pape » de la discipline aux États-Unis, développe les concepts d’équilibre des puissances et d’intérêt national qui constituent l’arrière-plan de la doctrine américaine dans un contexte de bipolarité [23]. Émigré juif allemand établi à l’Université de Chicago, il est bien placé pour saisir le tragique des situations politiques. Sa théorie « réaliste » vise à expliquer l’action extérieure par l’énoncé de principes : la nature humaine est portée vers le mal ; l’intérêt national, principe universel dont l’interprétation dépend des situations politiques, est défini en termes de puissance ; la morale est subordonnée au jugement politique, ce qui confère à la vertu de prudence un rôle cardinal ; la sphère politique est autonome, et première, par rapport aux autres domaines d’action humaine (l’économie et le droit notamment).
17 Dans l’article de la RFSP paru en 1953, R. Aron s’inscrit dans ces deux moments fondateurs sur le plan politique comme théorique, se positionnant par rapport au clivage matriciel entre idéalisme et réalisme. L’émergence des RI est façonnée par des controverses théoriques (appelées « débats » – on en dénombre quatre à ce jour) qui structurent la discussion mais conduisent parfois à la figer autour de « paradigmes [24] », lesquels ne reflètent que partiellement la richesse des positions adoptées et les nuances apportées. En effet, si l’émergence de « paradigmes » ou d’« écoles » a eu le mérite de rationaliser les forces en présence en structurant la discipline et en dessinant des programmes de recherche, elle a aussi pu entraîner des effets pervers liés à la labellisation théorique de toute production scientifique et ainsi à la constitution d’orthodoxies. L’éclairage de R. Aron est ici précieux. Au moment où le « paradigmatisme » est de plus en plus critiqué [25] et où la majorité des chercheurs en RI à l’échelle mondiale ne se réclament plus d’une théorie en particulier [26], la vision aronienne, jusque-là marginale dans la discipline, peut apparaître visionnaire.
18 En effet, R. Aron a devancé la discussion actuelle sur la pertinence des paradigmes et la nécessité de les dépasser, considérant que le réalisme et l’idéalisme participent chacun d’une « idéologie », au sens d’une représentation structurée du monde combinant intérêts et valeurs. Selon lui, les idéologies constituent la matière première de la théorie, non son aboutissement. Cette position est restée longtemps hétérodoxe dans les RI, au point que les internationalistes, y compris l’auteur de ces lignes, ont pu s’évertuer à classer R. Aron parmi les taxinomies disponibles. Ce n’est certes pas illégitime, mais si l’on adopte sa position dans l’article de 1953, on se rend compte que, à ses yeux, l’idéalisme et le réalisme sont chacun hémiplégiques et que leur combinaison ne permet pas de surmonter ce handicap.
19 R. Aron y critique tout d’abord les impasses d’un réalisme qui, sous couvert d’une vision clinique du milieu international, sous-estime les évolutions idéologiques et leurs implications dans les relations entre États. Il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer « l’erreur radicale [27] » des réalistes de considérer le système international comme inchangé depuis le « concert » européen issu du Congrès de Vienne de 1815 alors qu’il a basculé avec l’irruption des totalitarismes. L’homogénéité, au reste relative, du système international au xixe siècle a laissé place au xxe à l’hétérogénéité des modèles politiques, ce qui exacerbe les rapports de force et leur donne une portée d’emblée idéologique. Il fustige ainsi une certaine vision « réaliste » qui avait cours lors de la montée du nazisme et qui éludait le caractère inédit de cette idéologie : ainsi « ne pas comprendre l’originalité de l’Allemagne hitlérienne par rapport à l’Allemagne wilhemienne est le contraire du réalisme [28] ». De même, durant la Guerre froide, le prisme réaliste conduit à voir Staline comme un continuateur du tsarisme alors qu’en réalité le stalinisme est déterminé par une « philosophie qui pose l’hostilité fondamentale des pays socialistes et des pays capitalistes [29] ».
20 D’un côté, donc, les réalistes ne prennent pas suffisamment au sérieux le critère idéologique, qu’ils jugent soluble dans la politique de puissance as usual, elle-même élevée au rang d’idéologie. De l’autre côté, les libéraux commettent l’erreur inverse, aveuglés par le critère de l’idéologie et « l’esprit de croisade » qui les animent. Le problème des libéraux est qu’ils veulent façonner le monde à leur image et « ne connaître qu’un ennemi », lequel serait « l’incarnation du mal [30] » ; celui des réalistes est qu’ils font de la puissance de l’État une « religion ». Le réalisme serait aveugle aux passions idéologiques qui gouvernent l’action et la formulation de l’intérêt national, tandis que le libéralisme les attiserait dangereusement, au point de nourrir une forme d’impérialisme des normes.
21 Réalistes et libéraux s’apparentent ainsi à des « idéologues », non plus à des théoriciens, lorsqu’ils considèrent qu’il n’existerait pas d’autres visions ou passions que les leurs. Ils perdent toute pertinence quand ils ne sont pas capables de se décentrer et d’accepter l’idée que les acteurs internationaux peuvent se comporter selon d’autres critères d’action que ceux qu’ils ont définis. Ce faisant, R. Aron introduit des critères fondamentaux pour la compréhension des relations internationales : l’intersubjectivité et le rapport à l’autre, déjà présents dans la philosophie et la psychologie, et qui seront développés en science politique par les tenants de la psychologie politique (notamment Robert Jervis, auteur réaliste).
22 Mais si R. Aron souligne les limites des deux théories, idéalisme et réalisme, il reste plus proche de la galaxie réaliste (H. J. Morgenthau, K. Thompson, H. Kissinger...) que de celle des libéraux, ces derniers étant rares et peu audibles à l’époque de la Guerre froide. Durant cette période, ce sont en effet les réalistes américains qui fixent les termes du débat théorique et il est logique que R. Aron se positionne d’abord vis-à-vis d’eux, d’autant que le penseur français, sur le plan politique, a fait un choix sans équivoque en faveur des États-Unis face à l’Union soviétique. Il est ainsi invité par Kenneth W. Thompson, disciple de H. J. Morgenthau, à la conférence de 1954 qui réunit toutes ces figures et vise à structurer une école réaliste des relations internationales [31]. « En quête d’une philosophie de la politique étrangère » est le fruit de cette socialisation scientifique et politique [32], dont M. Cozette a montré qu’elle débouche sur le fond à des versions assez contrastées du réalisme, l’originalité de R. Aron étant de mettre l’accent sur les facteurs « idéels » lorsque d’autres développent une vision plus matérialiste [33].
23 Par conséquent, les proximités amicales, sociologiques, voire partisanes, entre ces auteurs, bien mises en avant par N. Guilhot, ne doivent pas conduire à les amalgamer dans un tout cohérent, à la fois théorique et politique. R. Aron se démarque en effet nettement de H. J. Morgenthau. N. Guilhot estime que la critique du second par le premier revêt une dimension « opportuniste », au sens où le penseur français voudrait se démarquer artificiellement de son homologue américain pour exister scientifiquement. Mais comment le démontrer empiriquement ? On peut spéculer sur les intentions des uns et des autres et sur la nature de leurs relations, mais on peut aussi se fier au texte et tenter de l’interpréter. Certes, R. Aron sous-estime, dans l’article de 1953, ses points d’accord avec H. J. Morgenthau sur la dimension morale des RI, pour souligner une opposition qui n’a pas lieu d’être. Lorsqu’il se demande si « l’intérêt national, sans références aux principes, est devenu pour nous la seule loi [34] », il suggère que le réalisme de H. J. Morgenthau ne tiendrait pas compte des principes moraux, ce qui n’est pas exact lorsqu’on lit la préface de Politics among Nations. Sur l’articulation entre politique et morale dans l’action gouvernementale, comme sur le rôle de la prudence (vertu cardinale chez Aristote) dans la conduite de la politique étrangère, R. Aron et H. J. Morgenthau sont pour l’essentiel d’accord.
24 En revanche, R. Aron introduit la variable interne du régime politique dans son analyse, ce que ni H. J. Morgenthau, ni les autres réalistes, ne font [35]. R. Aron suit ici plutôt la voie tracée par le Projet de paix perpétuelle (1795) d’E. Kant, auteur auquel R. Aron avait été introduit par Léon Brunschwig en Sorbonne et à propos duquel il avait consacré son diplôme d’études supérieures. Il s’inspire également de Machiavel, qui n’a cessé de s’interroger sur l’interpénétration des variables internes et externes, le Florentin ayant été l’un des premiers penseurs politiques à faire de l’international la préoccupation première du gouvernant [36]. R. Aron avait d’ailleurs commencé à écrire un ouvrage sur Machiavel durant la Seconde Guerre mondiale, dont les fragments ont été publiés à titre posthume [37].
25 Sur cette question du régime, R. Aron se démarque nettement des autres réalistes classiques qui, à ses yeux, commettent « une erreur aussi grave que celle des idéalistes : confondre la diplomatie traditionnelle, celle des cabinets européens, avec la diplomatie éternelle [38] ». Dans le contexte de Guerre froide, l’opposition idéologique des régimes façonne les rapports diplomatiques. Elle colore la doctrine de l’intérêt national défini en termes de puissance, dont R. Aron considère qu’elle est trop vague. Pour lui, la puissance n’est pas une fin mais un moyen de la politique, laquelle est toujours au service d’une « idée ». La formulation de l’intérêt national ne dépend donc pas de la puissance en tant que telle mais de l’idée qui préside à son usage. En tant que citoyen, « spectateur engagé », R. Aron plaide pour l’idée libérale : la démocratie libérale, organisant la séparation des pouvoirs et la participation du peuple par le système représentatif, est à ses yeux le régime le plus à même d’assurer la paix et la sécurité internationale en situation d’anarchie ; en tant que théoricien, il fait du régime un élément essentiel pour caractériser le type de politique étrangère menée. H. J. Morgenthau, quant à lui, rejoint le citoyen R. Aron sur la nécessité de défendre la démocratie libérale face aux différentes menaces qui l’affectent, mais en tant que théoricien il n’en fait pas un critère de compréhension des relations internationales, estimant qu’il faut s’en remettre au savoir-faire du gouvernant, indépendamment du régime au sein duquel celui-ci opère.
26 Contrairement à ce qu’affirme N. Guilhot, R. Aron ne peut donc être assimilé au H. J. Morgenthau de l’intérêt national. Il n’est pas davantage un épigone du décisionnisme de C. Schmitt. Si C. Schmitt et R. Aron partagent nombre de thématiques et certaines idées, notamment sur les limites du droit international, le premier abhorre la démocratie libérale, ce qui n’est pas le cas du second. En outre, dans sa correspondance avec le penseur allemand, R. Aron ne ménage pas ses critiques à son endroit, jugeant que la division ami/ennemi, essentielle pour C. Schmitt dans sa conception du politique, est un critère parmi d’autres de compréhension, mais non le seul [39]. R. Aron est convaincu de l’importance du régime pour saisir les dynamiques de l’action politique, suivant en cela une tradition ouverte avec la philosophie politique antique, et réinvestie par E. Kant sous un angle international dans son Projet de paix perpétuelle. En ce sens, il ne peut épouser les critères univoques avancés par H. J. Morgenthau et C. Schmitt, que ce soit l’intérêt national défini en termes de puissance ou bien la distinction ami/ennemi.
27 R. Aron occupe ainsi une position originale dans ce dialogue transatlantique des RI : s’il partage avec les réalistes la conception d’un ordre international anarchique caractérisé par la possibilité du recours à la force, obligeant les responsables politiques à la prudence, il reste attaché à la visée kantienne d’une pacification internationale, rendue possible par le progrès de la démocratie et des normes républicaines. Pleinement inséré dans la discussion scientifique avec ses homologues américains, il diffuse leurs théories dans l’espace français (comme il le fait avec C. Schmitt ou Hannah Arendt), mais il ne s’en fait jamais le héraut, plutôt le commentateur critique. Discussion et commentaire ne valent pas approbation : si R. Aron a été un passeur, il n’a jamais été le simple relais des thèses qu’il contribuait à diffuser. Au contraire, il a tracé une voie originale exposée dans un autre article de la RFSP en 1967 : « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales [40] ? ».
Théorie politique, théorie de l’action
28 Dans cet article, R. Aron persiste dans sa critique du réalisme, décrit comme une « idéologie » et même une « pseudo-théorie ». À la différence de l’article de 1953, celui de 1967 est moins consacré à critiquer la thèse réaliste que ses présupposés épistémologiques, cela afin de forger une théorie des relations internationales sur d’autres bases. L’article s’inscrit dans un questionnement sur les méthodes lié à l’institutionnalisation de la science politique après 1945. Pour R. Aron, une science des faits politiques – l’expression de l’époque est « politicologie scientifique [41] » – existe, mais « tout dépend de ce qu’on attend d’une théorie [42] ». S’agissant de la théorie des relations internationales, celle-ci revient à l’« analyse conceptuelle », laquelle répond à un triple objectif : « définir la spécificité d’un sous-système, fournir des variables principales, [...] faciliter la discrimination entre théorie ou idéologie ou encore, si l’on préfère, entre les pseudo-théories et les théories [43] ».
29 Tout d’abord, la théorie doit déterminer s’il existe un « trait spécifique » des relations internationales par rapport à d’autres relations sociales. R. Aron pense l’identifier « dans la légitimité et la légalité du recours à la force armée de la part des acteurs [44] », ce qui le situe, nous l’avons déjà suggéré, dans l’orbite réaliste. La société internationale, composée d’États, se distingue des autres formes de société par le fait que le recours à la force constitue un outil que partagent potentiellement tous les acteurs. Dans l’ordre interne, le « monopole de la violence légitime » est détenu par l’État qui en use pour garantir l’ordre public. Dans l’ordre international, ce monopole n’existe pas et le principe d’anarchie prévaut : aucune instance ne vient arbitrer les conflits et exercer seule la violence légitime. Son usage fait partie, avec la négociation diplomatique, des scénarios d’action étatique.
30 Le deuxième objectif de la théorie, selon R. Aron, est de fournir, à l’intérieur du « sous-système » des relations internationales, une série de variables pertinentes qui, à défaut d’être démontrables ou falsifiables, peuvent être confirmées empiriquement et ainsi éclairer l’action internationale. Il s’agit ainsi d’identifier les données élémentaires permettant de décrire le système international des États : le nombre, l’espace, les ressources, les régimes (militaire, économique, politique, social) [45]... Outre ces données, il convient d’examiner les motifs qui « commandent les conduites des acteurs collectifs, les décisions des chefs de ces acteurs [46] ». En ce sens, il n’existe pas de modèle définissant une fois pour toutes l’action internationale, mais au contraire une diversité d’« enjeux » et de « buts » poursuivis par les acteurs qui s’opposent dans un conflit [47]. Ces enjeux et ces buts sont formulés à partir des « idéologies – moralisme, juridisme, réalisme, politiques des puissances – à l’aide desquelles les hommes et les nations interprètent tout à tour les relations internationales ou s’imposent des devoirs [48] ». Comme on le voit, le fait que R. Aron classe le réalisme parmi les idéologies tient au fait que, dans son esprit, la théorie des RI est moins normative que compréhensive : elle ne doit pas définir un mode d’action ou une doctrine pour le décideur (c’est le rôle de l’idéologie), mais éclairer sa pratique par une meilleure compréhension des motifs qui l’orientent. Le réalisme, comme les autres idéologies (libérales, socialistes...), est un système idéel qui oriente l’action. Il représente pour R. Aron le matériau à partir duquel forger une théorie compréhensive, non l’aboutissement de cette théorie qui serait alors exclusivement normative.
31 C’est ici que la théorie remplit son troisième objectif, celui de rendre le monde plus intelligible par les voies de l’analyse conceptuelle. Ainsi, « la théorie n’a pas vocation à apporter l’équivalent de ce qu’espèrent les cœurs nobles et les esprits légers, c’est-à-dire une idéologie simple, qui fournisse une garantie de moralité et d’efficacité [49] ». Ainsi, pour R. Aron, la théorie ne permet pas de discriminer le bien du mal, elle fournit des repères permettant de comprendre et d’agir en tenant compte de la complexité des situations politiques. En d’autres termes, R. Aron est soucieux d’adapter sa théorie aux contraintes de l’action, ce en quoi il rejoint H. J. Morgenthau mais, à la différence de ce dernier, il ne fait pas du réalisme le principe qui commande l’action, et cherche moins à expliquer qu’à comprendre.
32 La théorie des RI n’a donc pas vocation à se substituer aux idéologies. Elle n’est pas pour autant une théorie « pure », dégagée des contingences du réel, visant à expliquer l’action internationale ou encore à forger des modèles pour saisir le comportement des agents. La théorie des RI se distingue ainsi de la théorie économique, définie comme un « système hypothético-déductif constitué par un ensemble de propositions dont les termes sont rigoureusement définis et dont les relations entre les termes (ou variables) revêtent le plus souvent une forme mathématique [50] ». Une telle théorie n’est pas possible dans le domaine des RI car les actions n’y sont pas reproductibles et généralisables ; elles correspondent à des contextes, des motifs et des buts qui sont trop contrastés pour être modélisés. Pour R. Aron, les RI n’ont pas de fin unique, ce qui empêche la production d’une théorie pure, hypothético-déductive. Certains aspects des RI peuvent faire l’objet d’une telle modélisation, comme les études stratégiques dans le domaine du nucléaire, qui s’inspirent pour une part de la théorie des jeux. Mais ce n’est pas le cas de la théorie des RI dans son ensemble, qui s’appuie sur trois piliers disciplinaires et méthodologiques : l’histoire, par la reconstitution des systèmes internationaux définis selon le degré de polarité et d’homogénéité ; la sociologie, par l’identification de régularités et la caractérisation d’idéal-types ; la philosophie, par l’analyse conceptuelle et l’énoncé des antinomies.
33 La théorie aronienne des RI, au confluent des humanités et des sciences sociales, est une théorie de l’action qui recoupe la théorie politique. N. Guilhot a bien relevé cette affinité, chez H. J. Morgenthau comme chez R. Aron, entre théorie politique et RI. Et il existe effectivement deux visions opposées de la théorie : l’approche « classique », dont R. Aron se réclame avec d’autres, entend restituer la complexité des phénomènes et la pluralité causale ; les approches « structurelles » et behavioralistes considèrent que la théorie doit opérer une simplification et identifier des critères ultimes de causalité de l’action, sur le modèle de l’économétrie, voire des sciences de la nature.
34 Cependant, cette opposition est vue par N. Guilhot sous un angle politique ou partisan, comme si ces deux conceptions de la théorie recoupaient une querelle entre conservateurs et progressistes où les premiers défendraient une « théorie politique » anté-, voire anti-scientifique, tandis que les seconds seraient du côté de la science politique véritable, se soumettant à une authentique administration de la preuve. R. Aron, H. J. Morgenthau et la galaxie réaliste se méfieraient de la science, de la rationalité moderne et adosseraient leur théorie de l’action à une vision conservatrice de la politique, au service d’un pouvoir lui-même conservateur. À l’inverse, les tenants de la science véritable (laquelle ?) adhéreraient à une vision autonome des sciences sociales, résolument critique du pouvoir et ne se soumettraient qu’au jugement de leurs pairs.
35 Cette opposition assimile faussement méthodes d’analyse, foi dans la science et convictions politiques, comme si le doute vis-à-vis des modélisations et de certaines évolutions en sciences sociales signifiait non seulement qu’on ne croit pas dans le progrès scientifique mais qu’on rejette également la modernité politique. De plus, elle sous-entend que les tenants de l’approche « classique » – dont on rappellera qu’ils ont publié dans toutes les grandes revues de sciences sociales – voudraient se soustraire au jugement de leurs pairs et s’extraire du champ scientifique pour influencer le champ politique. Le seul aperçu du parcours de R. Aron, qui a mis de côté une carrière politique et journalistique pour privilégier sur le tard, et non sans mal, la carrière universitaire, nous invite à nuancer fortement cette thèse.
36 Enfin, cette opposition sous-estime la rigueur intrinsèque d’une théorie politique des RI, domaine aujourd’hui bien balisé de la science politique à l’échelle mondiale, à défaut de s’être encore complètement imposé en France. En effet, parmi les auteurs qui défendent une telle approche, on compte certains membres de l’école anglaise (Hedley Bull, Martin Wight) ou encore S. Hoffmann qui opère la synthèse entre ces derniers et R. Aron dont il est le disciple. Or ces auteurs peuvent difficilement être qualifiés de réalistes sur le plan théorique comme de conservateurs sur le plan politique. Ils partagent simplement l’idée, d’ordre épistémologique, que la théorie politique est l’une des voies les plus fécondes pour comprendre les RI, et pas seulement dans une perspective historique ou généalogique. Chez ces auteurs, comme chez R. Aron, les RI et la théorie politique sont liés par plusieurs éléments : 1. une valorisation de l’analyse conceptuelle et des enjeux terminologiques ; 2. une inscription dans le temps long, tant sur le plan de l’histoire intellectuelle que politique ; 3. une continuité de méthode entre humanités (histoire et philosophie) et sciences sociales (sociologie et économie).
37 R. Aron participe donc à une entreprise scientifique collective, de portée internationale, qui plonge ses racines dans la science politique classique et refuse la coupure épistémologique entre anciens et modernes, ce qui constitue au demeurant l’un des leitmotivs des figures les plus marquantes des RI contemporaines, de S. Hoffmann à Richard Ned Lebow. S. Hoffmann, dans un article sur l’essor de la discipline aux EU, avait énoncé un tel programme lorsqu’il appelait les internationalistes à opérer une triple mise à distance : 1. vis-à-vis du contemporain pour retrouver le sens du passé et de l’épaisseur historique ; 2. vis-à-vis des superpuissances pour saisir la place des petits États et des puissances dominées dans le système international (ce qui constitue un programme de recherche très vivace aujourd’hui, à travers l’étude des approches non-occidentales en RI) ; vis-à-vis de la sphère politique pour retrouver les questions fondamentales de la « philosophie politique classique » (ce sont les termes dont use S. Hoffmann) [51].
38 Si l’on suit le programme « aronien » de S. Hoffmann, on mesure qu’il existe des questions « permanentes », comme les causes de la guerre, dont l’élucidation suppose de s’extraire du temps présent. Cette veine aronienne implique de souligner non seulement la centralité du politique dans l’organisation des sociétés humaines mais également la spécificité de l’action humaine par rapport aux phénomènes naturels, à rebours de la tentation behavioraliste consistant à rabattre la science politique sur les sciences de la nature. L’internationaliste peut, bien sûr, faire feu de tout bois, user de méthodes quantitatives et qualitatives (les méthodes mixtes sont aujourd’hui la norme). Mais la combinaison des méthodes pour collecter les données ne doit pas faire oublier la visée théorique et le fait que toute théorie politique des RI est ancrée dans l’histoire longue de l’humanité et de la politique elle-même.
39 Ce questionnement sur les méthodes et les conditions de la connaissance est sensible dans l’article de 1967. Il fait écho au « deuxième grand débat » de la discipline des RI, également parti des États-Unis, qui porte justement sur la question des méthodes. Celui-ci a débouché aux États-Unis sur la victoire du behavioralisme, que reflète bien l’évolution réductionniste de K. N. Waltz qui, en 1990, oppose la « pensée » du réalisme classique à la « théorie » néoréaliste, suggérant que le réalisme classique relève d’une vision anté-scientifique quand le réalisme structurel participe d’une démarche authentiquement scientifique [52]. Dans ce texte, K. N. Waltz prend pour cible R. Aron et H. J. Morgenthau, figures du réalisme « classique », soulignant ainsi la coupure épistémologique opérée par le néoréalisme. Si K. N. Waltz n’est pas behavioraliste, il partage avec ce courant l’opposition entre des approches qui relèvent de la science et d’autres, comme celles de R. Aron ou H. J. Morgenthau, qui n’en auraient pas la rigueur, tant sur le plan des méthodes que des critères épistémologiques permettant de faire progresser la connaissance.
40 Cinquante-cinq ans après l’article de R. Aron et plus de 30 ans après celui de K. N. Waltz, le rapport de force dans la discipline penche plutôt en faveur du second. L’approche « classique [53] » qui croise les « humanités » (histoire, philosophie) et la sociologie d’inspiration wébérienne ne domine pas, loin de là, le champ des RI, bien qu’elle se soit ménagée des espaces dans des revues comme Review of International Studies, European Journal of Political Theory, Journal of international Political Theory ou encore Journal of Strategic Studies. En France, le paysage des revues n’accorde qu’une place très marginale à la théorie politique internationale, mais cela vaut plus largement pour les RI. On peut en juger au positionnement et à l’évolution d’une revue publiée dans le sillage du Centre de recherches internationales (CERI), Critique internationale, qui voit l’international tel un champ d’étude, non comme une sous-discipline et encore moins comme une discipline autonome, comme c’est le cas outre-Atlantique ou outre-Manche.
Le moment durkheimien de la sociologie française des RI
41 Des analyses qui précèdent, il ressort l’observation suivante quant à l’état de la sous-discipline des RI : à l’époque de R. Aron, rien ne laissait présager l’isolement français actuel en matière de RI déploré aujourd’hui par les observateurs, notamment D. Battistella et Jean-Jacques Roche. Certes, au moment où R. Aron est actif, le champ est faiblement implanté en France et le penseur français est l’un des rares à exister dans la discussion internationale, avec Jean-Baptiste Duroselle qui contribue à fonder le CERI à Sciences Po [54]. Cependant, les RI, comme la science politique, en sont à leurs débuts, et ceux-ci sont prometteurs si l’on en juge au rayonnement de R. Aron et au nombre de ses citations. Le fait qu’il puisse donner des conférences dans plusieurs langues (anglais et allemand) et qu’il dispose de relais à l’étranger, en particulier son élève S. Hoffmann, professeur à Harvard, facilite son insertion internationale. Par ses articles dans la RFSP et son traité Paix et guerres entre les nations [55], R. Aron fait des RI, « science sociale américaine », un produit d’importation, comme la French Theory l’a été pour la philosophie française, mais dans le sens inverse. Pour autant, il fait aussi entendre une voix singulière, suffisamment au fait des débats théoriques pour être prise au sérieux et traduite en anglais.
42 En revanche, les internationalistes ayant succédé à R. Aron en France, tel Marcel Merle et, plus tard, Bertrand Badie, Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts, n’ont guère poursuivi ces liens avec les milieux scientifiques américains, exprimant une méfiance, voire une défiance, vis-à-vis des débats théoriques qui en sont issus. Les propos de M.-C. Smouts, issus d’un entretien donné en 2002, sont révélateurs du tournant opéré après la mort de R. Aron :
43 « Je suis extrêmement sceptique sur la théorie en relations internationales. S’il y en avait une, cela se saurait. Je suis très aronienne de ce point de vue : je ne crois pas à la théorie en relations internationales. Il existe, en revanche, un certain nombre d’outils conceptuels et analytiques qui nous servent à organiser notre propos et à faire le lien entre l’empirique et la généralisation. Si c’est cela faire de la théorie, alors oui. Mais, en relations internationales, faire de la théorie pour la théorie nous condamne à demeurer très loin des décideurs, qui ne s’y retrouvent pas [56]. »
44 Tout en reconnaissant le patronage de R. Aron dans les RI françaises, M.-C. Smouts fait un contresens (volontaire ?) doublé d’un malentendu : d’une part, elle oppose la vision aronienne et la théorie (au singulier) présentée comme un exercice de style détaché de toute considération empirique ; d’autre part, elle estime que la théorie n’aurait pas d’intérêt pour les décideurs, alors que l’inverse est vrai : en Europe puis aux États-Unis, la théorie des RI fut en lien étroit avec le militantisme politique et l’administration qui voulaient se doter d’une assise scientifique pour la formulation de positions politiques ou de doctrines.
45 De manière générale, la sociologie française des RI, telle qu’elle s’exprime par exemple dans les travaux de B. Badie, M.-C. Smouts et G. Devin, opère une dichotomie entre sociologie et théorie, renversant par là même la perspective aronienne : d’un côté, la sociologie serait ancrée dans l’empirique, les pratiques, le réel, l’action politique ; et de l’autre, « la » théorie serait ancrée dans la conceptualisation, au risque de devenir une tour d’ivoire philosophique, déconnectée du réel. La théorie viserait à fournir des concepts pour monter en généralité, tandis qu’une description fine du réel, instruite par l’enquête de terrain, suffirait à restituer la complexité et les motifs de l’action. G. Devin, dans son manuel éponyme, considère ainsi que la sociologie des RI est « issue d’une frustration engendrée par les constructions théoriques qui ne nous disent pas grand-chose du fonctionnement pratique des RI [57] ». Il distingue la branche théorique des RI, supposée étudier les théories, d’une branche sociologique, qui analyse les pratiques « au niveau micro des acteurs et au niveau macro des ensembles [58] ». Tandis que R. Aron voyait la théorie comme le principal levier de compréhension de l’action internationale, G. Devin dissocie deux volets de la recherche en RI, faisant de la théorie et de la sociologie deux champs séparés en somme.
46 R. Aron n’avait pas ménagé ses efforts pour insérer la France dans la discussion internationale, rassemblant RI et théorie politique à travers une sociologie compréhensive wébérienne. La génération suivante ouvre un tout autre programme de recherche qui rattache les RI à la science politique française par le biais d’une sociologie de type durkheimien, postulant l’intégration des phénomènes internes et externes. Il n’est plus question, comme le fait R. Aron, de délimiter un « trait spécifique » du « sous-système » des RI ; il s’agit au contraire de « banaliser » l’objet d’étude « international » dans l’agenda général de la science politique, réduite aux acquêts de cette sociologie. Cette conviction épistémologique, doublée d’une stratégie de socialisation scientifique, a été couronnée de succès au sens où elle a permis à plusieurs générations d’internationalistes de se faire une place dans la science politique française, au niveau professionnel et scientifique. Mais si elle a renforcé la place des RI dans la science politique française, elle a dans le même temps contribué à éloigner celle-ci des débats théoriques qui se poursuivaient dans la sphère internationale. Ce que la sous-discipline des RI a gagné en légitimation interne, elle l’a en partie perdu dans la conversation scientifique mondiale.
47 Dans l’entretien donné en 2002, M.-C. Smouts attribue la faible internationalisation des internationalistes français au manque de moyens alloués par les laboratoires pour participer à la vie scientifique internationale, notamment aux congrès internationaux. Vingt ans près, cela reste vrai, mais c’est la face émergée de l’iceberg. Le défaut de visibilité des chercheurs français tient avant tout au fait qu’ils ont pendant longtemps privilégié le « marché » français par rapport à la scène internationale et qu’ils n’ont pas été suffisamment socialisés, durant leur formation, aux débats théoriques qui animent la discipline et contribuent à l’émergence de nouveaux objets et approches [59].
48 Ainsi, le sillon aronien s’est peu à peu effacé, les RI ayant pris leur distance vis-à-vis de la théorie politique, opposée à un ancrage sociologique. Ce tournant sociologique n’est pas propre aux RI mais à l’ensemble des branches de la science politique : l’analyse des politiques publiques est aussi sociologie de l’action publique ; quant à l’histoire des idées politiques, elle est devenue également sociale et relève parfois directement de la sociologie des idées. Cela tient sans doute aux conditions d’émergence de la science politique en France, qui s’est construite par opposition au droit mais aussi à la philosophie, apparaissant comme la dernière-née des sciences sociales, dans le sillage d’une tradition sociologique dont E. Durkheim représente la figure tutélaire.
49 Ainsi, E. Durkheim fait figure pour les RI en France de « fondateur oublié [60] ». Dans leur manuel emblématique, Le retournement du monde, B. Badie et M.-C. Smouts s’en inspirent pour analyser les phénomènes d’intégration, d’exclusion et d’anomie à l’échelle internationale, faisant l’hypothèse que ces notions forgées pour l’ordre interne peuvent être transposées à l’échelle internationale [61]. Critiques du concept de souveraineté, ils analysent l’avènement des individus qui s’émancipent, dans un contexte de mondialisation, de la tutelle de l’État. En défendant cette thèse du « retournement du monde » (les sociétés prennent la main sur les États), ces auteurs inversent ou déplacent la proposition de R. Aron quant au sous-système des RI : l’international ne se loge plus dans les relations interétatiques et la possibilité du recours à la force, mais dans la société civile mondiale et les liens transnationaux qui se nouent entre les individus, ou encore dans les formes de coopération multilatérale. Quant au recours à la force, il n’est plus le propre des États, mais s’étend aux entrepreneurs transnationaux de violence, par exemple les groupes armés non-étatiques. L’ordre international des États s’est élargi à un « espace mondial » où les acteurs non-étatiques sapent l’autorité régalienne, sans pour autant la faire disparaître.
50 À cet égard, la sociologie française des RI n’a pas rompu complètement avec les débats théoriques au niveau mondial. Les recherches de cette « école » ont permis de faire connaître en France, entre autres, la théorie libérale transnationaliste (James Rosenau, Susan Strange, John Burton) qui, dans le cadre du « troisième grand débat de la discipline », remet en cause le stato-centrisme des théories réalistes. Mais cette importation, tout en étant éclairante pour saisir certains aspects de la mondialisation, est aussi une manière de prendre le contrepied de R. Aron comme de la pensée réaliste, ceux-ci apparaissant en creux comme les résidus du monde disparu de la Guerre froide.
51 Parallèlement à cette sociologie des RI d’inspiration durkheimienne (et éliasienne dans le cas de G. Devin) s’est développée en France une sociologie critique de l’international, autour de Didier Bigo et de la revue Cultures et conflits, qui s’est ensuite déployée à l’international, à travers la revue International Political Sociology, affiliée à l’International Studies Association, la principale société savante en RI. Pour ces auteurs de sensibilité critique et postpositiviste, inspirés par Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze, la référence à R. Aron est hors de propos, même si l’inclination des courants critiques pour la théorie aurait pu les pousser à le lire et l’interpréter. La division du travail intellectuel, la logique paradigmatique et les processus de socialisation scientifique n’ont probablement pas permis d’organiser la rencontre entre la vision aronienne et la pensée critique – ce qui est d’autant plus regrettable que R. Aron lui-même avait invité Michel Foucault dans son séminaire et qu’il accordait du prix à sa pensée.
52 Près de 40 ans après la mort de R. Aron, sa théorie politique des RI a donc connu un succès limité dans les RI « à la française ». La réception contrariée de ses travaux n’a pas empêché cette approche de prospérer à travers des recherches de premier plan, mais elle constitue le symptôme d’une difficulté récurrente qui tient au manque d’internationalisation de la discipline. Paradoxalement, les RI constituent le domaine, en France, où ce problème est le plus criant. À travers la défiance ou l’indifférence qu’il suscite, R. Aron, ou plutôt son absence, est le révélateur d’un certain provincialisme français consistant à dénigrer la théorie, et ce faisant à se couper d’une part essentielle des controverses scientifiques internationales, que celles-ci émanent du Nord ou du Sud. Dès lors que la théorie des RI est considérée comme peu pertinente pour éclairer le réel et qu’elle est vue au mieux comme un outil de montée en généralité, comment prétendre contribuer au débat théorique en RI, que ce soit en langue anglaise ou française ? Comment du reste participer aux débats d’une sous-discipline si l’on considère que celle-ci n’existe pas ? Ces questions ne sont pas seulement linguistiques, elles ne tiennent pas non plus uniquement aux (maigres) moyens alloués par les universités françaises pour contribuer à l’internationalisation. Elle engage aussi et surtout les présupposés épistémologiques d’une position consistant à voir le débat théorique comme autoréférentiel et inutile. Pourtant, comment ne pas voir que les principales avancées dans la discipline des RI sont venues d’ouvrages ou d’articles théoriques ? Qui sont les auteurs les plus cités en RI sinon les producteurs de théories comme K. N. Waltz, Alexander Wendt ou R. N. Lebow (et, bien sûr, R. Aron dans une moindre mesure) ?
Vers une théorie politique internationale
53 Cette opposition ou cette indifférence à la théorie doit toutefois être nuancée. Tout d’abord, la théorie ne fait pas peur aux chercheurs qui, tout en évoluant en France, contribuent au débat international, comme c’était le cas de R. Aron, qui publiait en trois langues. Ainsi, dans une veine constructiviste soft, les travaux de Thomas Lindemann, inspirés d’Axel Honneth, sur la théorie de la reconnaissance appliquée aux phénomènes internationaux (le terrorisme notamment) constituent un bon exemple de recherche, diffusée en anglais et en français, visant un équilibre entre l’empirie et la théorie ainsi qu’entre les méthodes qualitatives et quantitatives [62]. Dans une version plus critique, plus méta-théorique aussi, les travaux de Thierry Balzacq contribuent à l’internationalisation des RI à la française dans le domaine des études critiques de sécurité. Son manuel sur les théories critiques de la sécurité importe en France des approches comme la securitisation qui ont fait florès dans la science politique internationale [63]. De plus, T. Balzacq a préfiguré un mouvement aujourd’hui puissant chez les jeunes chercheurs consistant à effectuer des allers-retours, dès la formation doctorale et postdoctorale, entre l’international et la France, ce qui contribue à l’insertion dans les débats théoriques internationaux et conjure les phénomènes d’insularité scientifique [64].
54 En outre, le rôle des « passeurs », comme l’a été R. Aron en son temps, concourt au renouveau de la théorie et à la survie de l’approche aronienne. Élève de R. Aron, P. Hassner a joué un rôle aussi discret que décisif pour maintenir vivante cette vision des RI, au carrefour de la philosophie politique et des RI [65]. S’il n’a jamais occupé des fonctions de chef d’école, et s’il a publié pour l’essentiel des articles (jamais de gros traités à la différence de son maître R. Aron), il a fait figure de mentor pour plusieurs chercheurs qui l’ont connu (ou lu) et qui se sont inspirés de sa manière d’écrire et de penser les RI avec l’aide des auteurs de la tradition philosophique : non seulement des chercheurs de sensibilité aronienne (comme Maya Kandel, Justin Vaïsse, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer ou encore l’auteur de ce texte), mais aussi d’autres comme Anne Bazin, proche de la sociologie des RI, Philippe Bonditti, issu de la théorie critique, ou encore le regretté Bastien Irondelle, sociologue de la décision en matière de défense. De même, la redécouverte de la tradition aronienne et des théories des RI dans leur ensemble a été grandement facilitée par les manuels éponymes de D. Battistella [66], J.-J. Roche [67] et plus récemment J.-B. Jeangène Vilmer [68], les premiers, depuis un peu moins de 30 ans, à acclimater le public français à ce sujet. Dans la foulée de son manuel, D. Battistella a par ailleurs formé un nombre important de jeunes chercheurs à ce type d’approche (Pauline Ségard, Elie Baranets, Adrien Schu, Jérémie Cornut...), dont plusieurs sont aujourd’hui en poste et poursuivent cette ligne de recherche.
55 Enfin, l’émergence, en France comme à l’international, d’un programme de recherche se réclamant de la théorie politique internationale a permis de renouer avec la veine aronienne, au moins sur le plan des méthodes et de l’attention portée aux textes. Ce programme a été facilité par la création du Journal of International Political Theory et la publication du Oxford Handbook of International Political Theory ou encore de l’ouvrage de F. Ramel, Philosophie des relations internationales. Par ses travaux sur le cosmopolitisme, le rôle de la musique dans la politique internationale ou tout récemment la place de la bienveillance dans les RI [69], F. Ramel opère la synthèse entre le renouveau théorique auquel la France participe et les apports de la sociologie des RI « à la française ». De même, l’évolution des travaux d’Ariel Colonomos témoigne de ce mouvement vers la théorie politique : ancien élève de B. Badie, auteur d’une thèse sur les églises considérées comme des réseaux transnationaux, il a réorienté ses recherches vers la théorie normative des RI, notamment sur la guerre juste [70]. Également élève de B. Badie, Delphine Allès mène des recherches sur le rôle de la religion dans les RI et sur les approches non-occidentales des RI, qui se situent au croisement de la théorie politique et de la sociologie empirique des RI (notamment à partir du cas indonésien) [71]. Plus globalement, le développement en France des études stratégiques, suivant le sillon tracé par R. Aron et plus récemment Pascal Vennesson, illustre le regain de la théorie politique internationale et ce mouvement de redécouverte des méthodes et des auteurs « classiques » autour du thème de la guerre et de la paix [72].
56 Ces évolutions font écho aux recommandations de S. Hoffmann affirmant que les RI ont besoin de se décentrer pour se renouveler. L’auteur, contributeur régulier de la RFSP lui aussi, plaide pour un triple décentrement : par rapport aux grandes puissances, ce qui a été fait par la théorie marxiste, la théorie critique, le transnationalisme, qui étudient les RI par le bas (les petits États, les acteurs non étatiques, les « exclus » de la scène internationale) ; par rapport au présent, ce qui implique de se tourner vers l’histoire comme une ressource, afin de distinguer le conjoncturel et le structurel, le contingent et le permanent ; enfin, par rapport aux impératifs de l’action politique, nécessairement focalisée sur les contraintes de l’heure et sur l’agenda gouvernemental, pour adopter le point de vue réflexif de la philosophie politique.
57 Si le premier versant de ce programme est en cours de réalisation, les deux suivants restent pour l’essentiel à accomplir en RI. Ce double décentrement, par rapport au présent et aux impératifs de la décision politique, suppose une redécouverte des classiques, ce qui n’est pas évident car ces auteurs sont vus comme de « grands anciens » qu’on cite sans les lire et les prendre véritablement au sérieux. Pourtant, le passé – plus spécifiquement les auteurs et les sources qui s’y rattachent – est une source à part entière et un miroir qui révèle ce que nous sommes par le travail de la comparaison. C’est ainsi que l’un des derniers grands ouvrages théoriques en RI, publié par R. N. Lebow, Cultural Theory of International Relations, est parti de l’œuvre de Thucydide et de sa théorie des trois causes de la guerre pour forger une vision générale des RI [73]. R. Aron lui-même voyait en Thucydide un phare, non pour exhumer un monde perdu mais pour nous éclairer, par le jeu des contrastes, sur le monde présent.
Conclusion
58 La réception renouvelée de R. Aron au sein de la nouvelle génération d’internationalistes français [74], en particulier chez ceux qui croisent théorie politique et RI, est le signe que la discipline en France est peut-être à un tournant, aussi bien théorique que générationnel [75]. Jusqu’à présent, les générations qui ont façonné la discipline en France et formé l’essentiel des collègues aujourd’hui en poste ne se retrouvaient guère dans la théorie aronienne des RI. Soit que son œuvre était vue comme peu originale par rapport aux figures du réalisme américain comme H. J. Morgenthau ; soit qu’elle était perçue comme insuffisamment empirique et soumise « aux épreuves de validité instituées dans les disciplines des sciences sociales [76] » et à l’autorité du « terrain » ; soit enfin que la position aronienne du « spectateur engagé », atlantiste, marqué « à droite » de l’échiquier politique, ne faisait pas bon ménage avec les approches critiques qui ont percé en science politique, y compris en RI, dans la lignée de P. Bourdieu. Il n’est d’ailleurs pas anodin que, parmi les rares théories des RI anglo-américaines ayant prospéré en France, le practice turn et la securitisation soient deux approches qui se réclament de P. Bourdieu ou s’en accommodent [77]. Le succès dans la science politique française de P. Bourdieu, ancien élève devenu adversaire farouche de R. Aron, n’a sans doute pas favorisé la réception de ce dernier. Elle a en revanche facilité la montée en puissance d’une sociologie des RI dans son versant critique.
59 Il reste que cette présentation longtemps faite de R. Aron comme « cold warrior », auteur peu original, peu scientifique et militant, est biaisée. Il a pu jouer commodément le rôle de « l’homme du passé » voire servir d’épouvantail, quand il n’était pas tout simplement ignoré, malgré son rôle moteur dans la constitution de la discipline en France, dont témoigne son engagement de la première heure au sein de la RFSP. Il est donc temps de le relire et, à travers lui, de travailler au renforcement d’une théorie politique des RI. R. Aron est une figure fondatrice de la science politique, injustement oubliée ou sous-estimée pour de mauvaises raisons. C’est son absence parmi les canons de la discipline qui doit aujourd’hui nous surprendre, non sa redécouverte. Celle-ci, qui ne fait que commencer, ne doit rien à l’esprit du temps. Elle correspond au contraire à la nécessité de s’en détacher.
Mots-clés éditeurs : idéologies, Max Weber, théorie, sociologie, réalisme, relations internationales, Raymond Aron, Émile Durkheim
Date de mise en ligne : 05/05/2022
https://doi.org/10.3917/rfsp.715.0725Notes
-
[1]
L’auteur remercie le comité de rédaction de la revue, ainsi que Sébastien Caré, Gwendal Châton, Julian Fernandez et Héloïse Lhérété pour leurs commentaires de précédentes versions de ce texte.
-
[2]
Raymond Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », Revue française de science politique, 3 (1), janvier-mars 1953, p. 69-91.
-
[3]
Peter Wilson, « The Myth of the First Great Debate », dans Tim Dunne, Michael Cox, Ken Booth (dir.), The Eighty Years Crisis. International Relations, 1919-1999, 1999, p. 1-15 ; Alex MacLeod, « Les relations internationales comme science », dans Dario Battistella (dir.), Relations internationales. Bilan et perspectives, Paris, Ellipses, 2013, p. 31-54.
-
[4]
La réflexion sur les causes de la guerre remonte à Thucydide qui en identifie trois principales : l’intérêt, l’honneur, la crainte. Cependant, l’étude scientifique de ce problème et des RI s’inscrit dans le processus plus large d’institutionnalisation des sciences sociales et humaines entamé à la fin du xixe siècle avec l’émergence notamment de la sociologie.
-
[5]
Bruno Cabanes, The Great War and the Origins of Humanitarianism, 1918-1924, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
-
[6]
Voir Harmuth Behr, A History of International Political Theory. Ontologies of The International, Londres, Palgrave MacMillan, 2010.
-
[7]
Bruno Arcidiacono, Cinq types de paix. Une histoire des plans de pacification perpétuelle (xviie-xxe siècles). Paris, PUF, 2011.
-
[8]
Edward H. Carr, La crise de vingt ans, 1919-1939. Une introduction à l’étude des relations internationales, trad. de l’anglais par Michèle Mat, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2015 [1re édition anglaise en 1939] ; Reinhold Niebuhr, Moral Man and Immoral Society. A Study of Ethics and Politics, New York, Charles Scribner’s Sons, 1932.
-
[9]
Hans J. Morgenthau, Politics among Nations. The Struggle for Power and Peace, New York, Knopf, 1948.
-
[10]
Stanley Hoffmann, « Aron et la théorie des relations internationales », Politique étrangère, 48 (4), 1983, p. 841-857 ; Pierre Hassner, « Raymond Aron : Too Realistic to be a Realist ? », Constellations, 14 (4), 2007, p. 498-505 ; Murielle Cozette, « Raymond Aron and the Morality of Realism », IR Working Paper, 5, Australian Central University, Canberra, 2008 ; Gwendal Châton, « Pour un “machiavélisme postkantien” : Raymond Aron, théoricien réaliste hétérodoxe », Études internationales, 43 (3), 2012, p. 389-403.
-
[11]
Sur la notion de « passeur », voir Fabien Jobard et al., « Sociologie politique des passeurs : acteurs dans la circulation des savoirs, des normes et des politiques publiques », Revue française de science politique, 70 (5), octobre 2020, p. 557-573.
-
[12]
Nicolas Guilhot, « “The French Connection” : éléments pour une histoire des RI en France », Revue française de science politique, 67 (1), février 2017, p. 43-67, ici p. 62.
-
[13]
Ibid., p. 43-47.
-
[14]
Nous nous permettons de renvoyer à Jean-Vincent Holeindre (dir.), « Raymond Aron et les relations internationales : 50 ans après Paix et guerre entre les nations », Études internationales, 43 (3), 2012, p. 321-338.
-
[15]
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, 1967, Gallimard, p. 317-404.
-
[16]
Dario Battistella, « Les relations internationales en France », dans Thierry Balzacq, Frédéric Ramel (dir.), Traité de relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 157-180 ; François Ahmed Michaux Bellaire, « Les ruptures intellectuelles et scientifiques de la sociologie des relations internationales : enquête sur l’absence d’une conversation française en RI », thèse de doctorat en science politique (Dario Battistella, dir.), Bordeaux, université de Bordeaux, 2017.
-
[17]
Kenneth N. Waltz, Theory of International Politics, Reading, Addison Wesley, 1979.
-
[18]
P. Hassner, « Raymond Aron : Too Realistic to be a Realist ? », art. cité.
-
[19]
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Pour un réalisme libéral en relations internationales », Commentaire, 141, 2013, p. 13-20 ; Olivier Schmitt, « Raymond Aron, le réalisme des normes libérales », Annuaire français des relations internationales, 20, 2019, p. 25-42.
-
[20]
Jean-Michel Guieu, « Les juristes internationalistes français, l’Europe et la paix à la Belle Époque », Relations internationales, 149, 2012, p. 27-41 ; Frédéric Ramel, « Normative Theory in International Relations », dans Bertrand Badie, Dirk Berg-Schlosser, Leornardo Morlino (dir.), International Encyclopedia of Political Science, Londres, Sage, 2011, p. 1727-1737 ; Julian Fernandez, Relations internationales, Paris, Dalloz, 2021 (3e éd.) ; Serge Sur, Relations internationales, Paris, Domat/LGDJ, 2021 (7e éd.).
-
[21]
Raymond Aron, « Pour le progrès : après la chute des idoles », Commentaire, 3, 1978, p. 233-243 ; Raymond Aron, Les désillusions du progrès, Paris, Calmann-Lévy, 1969.
-
[22]
Kenneth N. Waltz, Man, the State and War. A Theoretical Analysis, New York, Columbia University Press, 1959, p. 188.
-
[23]
Hans J. Morgenthau, Politics among Nations..., op. cit.
-
[24]
Le terme est ici emprunté à Dario Battistella qui s’inspire de Thomas S. Kuhn définissant la notion de paradigme comme un modèle théorique qui « fournit à la communauté de chercheurs des problèmes type et des solutions » (T. S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983 [1re édition américaine en 1962], p. 11).
-
[25]
Rudra Sil, Peter J. Katzenstein, Beyond Paradigms. Analytic Eclecticism in the Study of World Politics, New York, Palgrave Macmillan, 2010. Voir aussi Jérémie Cornut, « Le pragmatisme et l’analyse des phénomènes complexes dans la théorie des relations internationales : le cas des excuses dans la diplomatie américaine », thèse de doctorat en science politique (Dario Battistella, Stéphane Roussel, dir.), Paris, EHESS, 2012.
-
[26]
Daniel Maliniak et al., TRIP 2017 Faculty Survey. Teaching, Research, and International Policy Project, Williamsburg, Global Research Institute, 2017, en ligne : https://trip.wm.edu/.
-
[27]
R. Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », art. cité, p. 88.
-
[28]
Ibid., p. 89.
-
[29]
Ibid., p. 83.
-
[30]
Ibid., p. 73.
-
[31]
Voir Nicolas Guilhot (dir.), The Invention of International Relations Theory. Realism, the Rockefeller Foundation, and the 1954 Conference on Theory, New York, Columbia University Press, 2011.
-
[32]
N. Guilhot, « “The French Connection”... », art. cité, p. 62-64.
-
[33]
M. Cozette, « What Lies Ahead... », art. cité, p. 674-677.
-
[34]
R. Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », art. cité, p. 73.
-
[35]
Il faudra attendre pour cela le réalisme néoclassique dont Dario Battistella a montré la proximité avec Raymond Aron : voir D. Battistella, « Raymond Aron, réaliste néoclassique », Études internationales, 43 (3), 2012, p. 371-388.
-
[36]
G. Châton, « Pour un “machiavélisme postkantien”... », art. cité.
-
[37]
Raymond Aron, Machiavel et les tyrannies modernes, Rémy Frémond (dir.), Paris, Fallois, 1993.
-
[38]
R. Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », art. cité, p. 82.
-
[39]
Lettre de Raymond Aron adressée à Carl Schmitt au sujet de la Notion de la politique en date du 1er octobre 1963 conservée dans les archives de Raymond Aron : « De l’opposition entre l’ami et l’ennemi on ne peut pas déduire l’objectif spécifique de la politique. En d’autres termes, comme vous le dîtes vous-même à la page 38, le politique désigne moins un domaine spécifique que le degré d’intensité de l’association et de la dissociation entre les hommes. Mais, du même coup, la question se pose de savoir quelles associations d’hommes méritent d’être dites politiques. Il me semble que beaucoup des malentendus suscités par votre livre tiennent à l’oscillation entre la notion de critère et celle d’essence. » Sur la relation entre Carl Schmitt et Raymond Aron, voir Jan-Werner Muller, Carl Schmitt, un esprit dangereux, trad. de l’anglais par Sylvie Taussig, Paris, Armand Colin, 2007 ; Giulio de Ligio, « La vertu politique : Aron, penseur de l’ami et de l’ennemi », Études internationales, 43 (3), p. 405-420 ; Émile Perreau-Saussine, « Raymond Aron et Carl Schmitt lecteurs de Clausewitz », Commentaire, 103, 2003, p. 617-622.
-
[40]
Raymond Aron, « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? », Revue française de science politique, 17 (5), octobre 1967, p. 837-861.
-
[41]
Voir Fernand Braudel et al., « Pour ou contre une politicologie scientifique », Annales, 18 (1), 1963, p. 119-132.
-
[42]
R. Aron, « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? », art. cité., p. 847.
-
[43]
Ibid.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
Ibid., p. 851.
-
[46]
Ibid.
-
[47]
Ibid., p. 847.
-
[48]
Ibid., p. 858.
-
[49]
Ibid., p. 859.
-
[50]
Ibid., p. 838.
-
[51]
Stanley Hoffman, « An American Social Science : International Relations », Daedalus, 106 (3), 1977, p. 41-60, ici p. 59.
-
[52]
Kenneth N. Waltz, « Realist Thought and Neorealist Theory », Journal of International Affairs, 44 (1), 1990, p. 21-37.
-
[53]
Hedley Bull, « International Theory : The Case for a Classical Approach », World Politics, 18 (3), 1966, p. 361-377.
-
[54]
Sur la naissance du CERI, voir Sabine Jansen, Marie Scot, « Les relations internationales à Sciences Po : la naissance du CERI et l’essor d’un champ disciplinaire (1945-1968) », Revue historique, 691, 2019, p. 669-704.
-
[55]
Dont la première édition paraît en 1962 chez Calmann-Lévy.
-
[56]
Marie-Claude Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France : regard sur une discipline », Revue internationale et stratégique, 47, 2002, p. 83-89.
-
[57]
Guillaume Devin, Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2009, p. 4.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
Il en va de même pour les méthodes quantitatives, que la science politique française a négligées du fait de ses réticences vis-à-vis du behavioralisme américain.
-
[60]
Frédéric Ramel, Les fondateurs oubliés. Durkheim, Simmel, Weber, Mauss et les relations internationales, Paris, PUF, 2006.
-
[61]
Bertrand Badie, Marie-Claude Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 (3e éd.).
-
[62]
Thomas Lindemann, Erik Ringmar (dir.), The International Politics of Recognition, Boulder, Paradigm Publishers, 2012.
-
[63]
Thierry Balzacq, Théories de la sécurité. Les approches critiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2016.
-
[64]
Voir, par exemple, les parcours scientifiques d’Hugo Meijer, Alice Pannier ou encore Olivier Schmitt.
-
[65]
Voir notamment Pierre Hassner, La revanche des passions. Métamorphoses de la violence et crises du politique, Paris, Fayard, 2015.
-
[66]
Dario Battistella, Jérémie Cornut, Élie Baranets, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 [2003].
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[67]
Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 1994.
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[68]
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Théories des relations internationales, Paris, PUF, 2020.
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[69]
Frédéric Ramel, La bienveillance dans les relations internationales. Un autre regard politique sur l’espace mondial, Paris, CNRS Éditions, 2022.
-
[70]
Ariel Colonomos, Églises en réseaux. Trajectoires politiques en Europe et en Amérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2000 ; Id., Le pari de la guerre. Guerre préventive, guerre juste ?, Paris, Denoël, 2009.
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[71]
Delphine Allès, La part des dieux. Religion et relations internationales, Paris, CNRS Éditions, 2021.
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[72]
Voir Joseph Henrotin, Olivier Schmitt, Stéphane Taillat (dir.), Guerre et stratégie. Approches, concepts, Paris, PUF, 2015.
-
[73]
Richard Ned Lebow, A Cultural Theory of International Relations, New York, Cambridge University Press, 2008.
-
[74]
Voir notamment les travaux d’Adrien Estève, Amélie Ferey, Édouard Jolly, Olivier Zajec.
-
[75]
Voir Olivier Schmitt (dir.), Raymond Aron and International Relations, Londres, Routledge, 2018.
-
[76]
Voir N. Guilhot, « “The French Connection”... », art. cité, p. 66.
-
[77]
Voir Frédéric Mérand, Vincent Pouliot, « Le monde de Pierre Bourdieu : éléments pour une théorie sociale des Relations internationales », Revue canadienne de science politique, 41 (3), 2008, p. 603-625. Sur le practice turn, voir Julien Pomarède, « Aux prises avec les vibrations du social : retour sur le practice turn en relations internationales », Cultures & conflits, 102, 2016, p. 151-164. Pour une vision d’ensemble des théories critiques, voir T. Balzacq, Théories de la sécurité..., op. cit.