Couverture de RFSP_684

Article de revue

Entre executive shift et gouvernement à distance

La genèse des politiques « pour l’excellence » dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche (2009-2012)

Pages 691 à 715

Notes

  • [1]
    Pour deux synthèses récentes, cf. Stephan Leibfried, Évelyne Huber, Matthew Lange, Jonah D. Levy, John D. Stephens (eds), The Oxford Handbook of Transformations of the State, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; Desmond King, Patrick Le Galès (eds), Reconfiguring European States in Crisis, Oxford, Oxford University Press, 2017.
  • [2]
    Philippe Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.
  • [3]
    Philippe Bezes, Patrick Le Lidec, « Politique de la fusion : les nouvelles frontières de l’État territorial », Revue française de science politique, 66 (3), juin 2016, p. 507-541.
  • [4]
    Tom Christensen, « Post-NPM and Changing Public Governance », Meiji Journal of Political Science and Economics, 1 (1), 2012, p. 1-11.
  • [5]
    Martin Lodge, Kai Wegrich (eds), Executive Politics in Times of Crisis, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012.
  • [6]
    Katharine Dommett, Matthew Flinders, « The Centre Strikes Back : Meta-Governance, Delegation, and the Core Executive in the United Kingdom, 2010-14 », Public Administration, 93 (1), 2015, p. 1-16.
  • [7]
    B. Guy Peters, Carl Dahlström, Jon Pierre, Steering from the Centre. Strengthening Political Control in Western Democracies, Toronto, University of Toronto Press, 2011.
  • [8]
    Martin Lodge, Kai Wegrich, « Executive Politics and Policy Instruments », in id. (eds), Executive Politics..., op. cit., p. 118-135.
  • [9]
    Bengt Jacobsson, Jon Pierre, Göran Sundström, Governing the Embedded State. The Organizational Dimension of Governance, Oxford, Oxford University Press, 2015.
  • [10]
    Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; Charlotte Halpern, Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.), L’instrumentation de l’action publique. Controverses, résistances, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.
  • [11]
    Nikolas Rose, Peter Miller, « Political Power Beyond the State : Problematics of Government », The British Journal of Sociology, 43 (2), 1992, p. 173-205.
  • [12]
    Renaud Epstein, « Gouverner à distance : quand l’État se retire des territoires », Esprit, 319, 2005, p. 96-111 ; id., La rénovation urbaine : démolition-reconstruction de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2013 ; id., « La gouvernance territoriale : une affaire d’État. La dimension verticale de la construction de l’action collective dans les territoires », L’Année sociologique, 65 (2), 2015, p. 457-482.
  • [13]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit., p. 304.
  • [14]
    R. Epstein, ibid., p. 239-244.
  • [15]
    R. Epstein, ibid., p. 216.
  • [16]
    Alberto Amaral, V. Lynn Meek, Lars Waelgaard, The Higher Education Managerial Revolution, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 2003.
  • [17]
    Cette hypothèse est d’ailleurs formulée par R. Epstein lui-même, cf. La rénovation urbaine..., op. cit., p. 322. En outre, certains gouvernements ont même fait du « contrôle à distance » un objectif de réforme explicite de l’ESR : Walter Kickert, « Steering at a Distance : A New Paradigm of Public Governance in Dutch Higher Education », Governance. An International Journal of Policy and Administration, 8 (1), 1995, p. 135-157.
  • [18]
    Cet instrument n’étant pas nouveau, la période récente se caractérise moins par son invention que par sa généralisation dans un contexte de baisse des financements récurrents. Cf. Jérôme Aust, « Financer la recherche sur projet : figures historiques d’un dispositif de gouvernement », Genèses, 94 (1), p. 2-6.
  • [19]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit., p. 322.
  • [20]
    Jérôme Aust, Benoît Cret, « L’État entre retrait et réinvestissement des territoires », Revue française de sociologie, 53 (1), 2012, p. 3-33.
  • [21]
    Erhard Friedberg, Christine Musselin, L’État face aux universités. En France et en Allemagne, Paris, Anthropos, 1993 ; Christine Musselin, La longue marche des universités françaises, Paris, PUF, 2001.
  • [22]
    Jérôme Aust, « Le sacre des présidents d’université : une analyse de l’application des plans Université 2000 et Université du troisième millénaire en Rhône-Alpes », Sociologie du travail, 49 (2), 2007, p. 220-236.
  • [23]
    Jérôme Aust, Cécile Crespy, « Napoléon renversé ? Institutionnalisation des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur et réforme du système académique français », Revue française de science politique, 59 (5), octobre 2009, p. 915-938.
  • [24]
    Conférence de presse de M. Nicolas Sarkozy, président de la République, sur les priorités financées par l’emprunt national, à Paris, le 14 décembre 2009, <http://discours.vie-publique.fr/notices/097003634.html>, consulté le 18 janvier 2018.
  • [25]
    William Genieys, Patrick Hassenteufel, « Qui gouverne les politiques publiques ? Par-delà la sociologie des élites », Gouvernement et action publique, 2 (2), 2012, p. 89-115 ; William Genieys, Jean Joana, « Bringing the state elites back in ? Les gardiens des politiques de l’État en Europe et aux États-Unis », Gouvernement et action publique, 3 (3), 2015, p. 57-80.
  • [26]
    Je tiens à remercier chaleureusement Jérôme Aust et Christine Musselin qui ont été à l’initiative de cette enquête et ont contribué, par leur(s) relecture(s), à l’amélioration de cet article, ainsi que les évaluateurs anonymes de la Revue française de science politique pour leurs remarques constructives.
  • [27]
    J. Aust, C. Crespy, « Napoléon renversé... », art. cité.
  • [28]
    Cf. Olivier Baccuzat, « Philippe Séguin sceptique sur l’emprunt », Le Parisien, 24 juin 2009 ; Cécile Crouzel, « La France face au dérapage de ses déficits : les députés UMP ont trouvé un milliard d’économies à réaliser », Le Figaro, 24 juin 2009 ; Lucie Robequain, « À l’Assemblée, les experts des finances publiques expriment leur inquiétude », Les Échos, 24 juin 2009 ; Patrick Roger, «À droite, l’emprunt Sarkozy soulève des interrogations : d’anciens Premiers ministres et des élus mettent en garde contre le risque d’une fuite en avant », Le Monde, 26 juin 2009.
  • [29]
    C’est le nom que prend la direction de la Prévision lorsqu’elle est intégrée à la direction générale du Trésor en 2004.
  • [30]
    Jean-Michel Eymeri, « Frontière ou marches ? De la contribution de la haute administration à la production du politique », dans Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 63.
  • [31]
    Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen, Jean Pisani-Ferry, Les leviers de la croissance française, Paris, La Documentation française, 2007.
  • [32]
    Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques Attali, Paris, XO éditions/La Documentation française, 2008.
  • [33]
    Philippe Aghion, Élie Cohen, Éducation et croissance, Paris, La Documentation française, 2004.
  • [34]
    Rapport de la Commission..., op. cit., p. 37-39.
  • [35]
    P. Aghion, E. Cohen, Éducation et croissance, op. cit., p. 110-111.
  • [36]
    <http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid56024/l-operation-campus-plan-exceptionnel-en-faveur-de-l-immobilier-universitaire.html>, consulté le 20 décembre 2016.
  • [37]
    Bernard Larrouturrou, « Pour rénover l’enseignement supérieur parisien : faire de Paris la plus belle métropole universitaire du monde, c’est possible ! », rapport à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Paris, le 5 octobre 2009 et communiqué de presse de Valérie Pécresse, « Faire de Paris la plus belle métropole universitaire du monde », le 5 octobre 2009, <http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid49135/faire-de-paris-la-plus-belle-metropole-universitaire-du-monde.html>, consulté le 21 décembre 2016.
  • [38]
    Philippe Bezes, « La “mission Picq” ou la tentation de l’architecte : les hauts fonctionnaires dans la réforme de l’État », dans Olivier Nay, Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action publique, Paris, Economica, 2002, p. 111-147.
  • [39]
    E. Friedberg, C. Musselin, L’État face aux universités..., op. cit. ; C. Musselin, La longue marche..., op. cit.
  • [40]
    B. G. Peters et al., Steering from the Centre..., op. cit.
  • [41]
    Entretien commission, Paris, 2 mai 2013.
  • [42]
    Entretien commission, Paris, 2 mai 2013.
  • [43]
    « Investir pour l’avenir : priorités stratégiques d’investissement et emprunt national », rapport de la commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard, p. 57-59, <https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2014/08/rapport_juppe_rocard.pdf>, consulté le 9 mai 2018.
  • [44]
    Entretien cabinet du Premier ministre, Paris, 26 juin 2013.
  • [45]
    Entretien CGI, Paris, 3 mai 2013.
  • [46]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit. ; R. Epstein, « La gouvernance territoriale... », art. cité.
  • [47]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit., p. 217-226.
  • [48]
    K. Dommett, M. Flinders, « The Centre Strikes Back... », art. cité.
  • [49]
    W. Genieys, P. Hassenteufel, « Qui gouverne les politiques publiques ? », art. cité.
  • [50]
    Christine Musselin, Maël Dif-Pradalier, « Quand la fusion s’impose : la (re)naissance de l’Université de Strasbourg », Revue française de sociologie, 55 (2), 2014, p. 285-318.
  • [51]
    Christine Musselin, La grande course des universités, Paris, Presses de Sciences Po, 2017, p. 36-42.
  • [52]
    En témoigne notamment la présentation qu’il propose des évolutions en cours et des réformes souhaitables du secteur dans le dossier intitulé « Universités et grandes écoles » qu’il a réalisé pour la revue Problèmes politiques et sociaux, 936, mai 2007.
  • [53]
    Réunion de coordination stratégique DGESIP/DGRI, 8 juillet 2009, proposition de compte rendu daté du 24 juillet 2009, archives MESR.
  • [54]
    Réunion de coordination stratégique DGESIP/DGRI, 25 septembre 2009, compte rendu, archives MESR.
  • [55]
    Jean-Richard Cytermann, Bernard Carrière, Claire Giry, « Les PRES aujourd’hui : quelques éléments de réflexion et préconisations », document de travail daté du 20 novembre 2009, 10 p.
  • [56]
    Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, « Développement des PRES et reconfiguration des sites universitaires », rapport à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, signé par Pascal Aimé, Thierry Berthé et Jean-Pierre Korolitski, mars 2010, p. 106-108.
  • [57]
    C. Musselin, La grande course..., op. cit., p. 174.
  • [58]
    J. Aust, « Le sacre des présidents d’université... », art. cité.
  • [59]
    J. Aust, C. Crespy, « Napoléon renversé ? », art. cité, p. 921.
  • [60]
    « Premières réactions DGESIP sur le grand emprunt, rapport de la commission », 20 novembre 2009, archives MESR.
  • [61]
    Note du directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle et du directeur général pour la recherche et l’innovation à Madame la ministre sous couvert de Monsieur Philippe Gillet, directeur de cabinet, n. d., archives MESR.
  • [62]
    Mission d’analyse des systèmes d’enseignement supérieur étranger, « Mémo de synthèse relatif aux propositions de la Commission “Investir pour l’avenir” », 25 novembre 2009, 7 p., archives MESR.
  • [63]
    Comité de pilotage MESR grand emprunt, réunion du 12 janvier 2010, 5 p., archives MESR.
  • [64]
    Comité de pilotage MESR grand emprunt, réunion du 2 février 2010, 1 p., archives MESR.
  • [65]
    Comité de pilotage grand emprunt MESR, Organisation des phases de structuration, accompagnement et évaluation/décision, Paris, le 8 mars 2010, présentation PowerPoint, archives MESR.
  • [66]
    MESR, Grand emprunt, Enseignement supérieur & recherche, comité de pilotage du 16 mars 2010, présentation PowerPoint, 19 diapositives, archives MESR.
  • [67]
    Entretien CGI, Paris, 15 mai 2013.
  • [68]
    Entretien cabinet du Premier ministre, Paris, 26 juin 2013.
  • [69]
    Entretien cabinet MESR, Paris, 10 avril 2013.
  • [70]
    J.-M. Eymeri, « Frontière ou marches ?... », art. cité, p. 47-77.
  • [71]
    R. Epstein, « La gouvernance territoriale... », art. cité.
  • [72]
    D’après les documents dont nous disposons, l’action « campex » prend le nom d’« Idex » (« initiatives d’excellence ») dans le courant du mois de mai 2010.
  • [73]
    Entretien cabinet MESR, Paris, 10 juillet 2013.
  • [74]
    Fiche « Campus d’excellence », présentée par l’équipe projet au comité de pilotage Grand emprunt du 19 janvier 2010, document daté du 16 janvier 2010, 6 p., archives MESR.
  • [75]
    Fiche « Campus d’excellence », présentée par l’équipe projet au comité de pilotage Grand emprunt du 26 janvier 2010, document daté du 24 janvier 2010, p. 6, archives MESR.
  • [76]
    Ibid., p. 8.
  • [77]
    Comité de pilotage MESR Grand emprunt, 25 mai 2010, archives MESR.
  • [78]
    Initiatives d’excellence – Idex, appel à projet publié le 27 septembre 2010, p. 6/16.
  • [79]
    Entretien cabinet du président de la République, Paris, 13 juin 2013.
  • [80]
    Ibid., p. 7/16.
  • [81]
    MESR, « Investissements d’avenir, mode d’emploi : réunion d’information, mardi 1er juin 2010 », archives MESR.
  • [82]
    Bernard Carrière et Claire Giry, « Investissements d’avenir : accompagnement stratégique personnalisé – modalités de mise en œuvre », document daté du 15 juillet 2010, archives MESR.
  • [83]
    MESR, « Investissements d’avenir, accompagnement des projets : 3 septembre 2010 », présentation PowerPoint, archives MESR.
  • [84]
    Cette grille prend le nom de « radar Idex », dont nous disposons de plusieurs versions en projet, archives MESR.
  • [85]
    Projet de compte rendu du comité de pilotage du 18 janvier 2011, archives MESR.
  • [86]
    « Point jury Idex pour entretien avec la ministre », échange de courriels entre les membres de l’équipe projet, 7 janvier 2011, archives MESR.
  • [87]
    De premiers travaux ont commencé à être publiés sur la question. Cf. C. Musselin, La grande course..., op. cit.
  • [88]
    Charlotte Halpern, Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès, « Introduction. L’instrumentation et ses effets. Débats et mises en perspectives théoriques », dans C. Halpern et al., L’instrumentation de l’action publique..., op. cit., p. 17.
  • [89]
    J. Aust, C. Crespy, « Napoléon renversé ? », art. cité.
  • [90]
    C. Musselin, La grande course..., op. cit., p. 197-203.
  • [91]
    C. Musselin, ibid., p. 259.

1Les travaux ayant contribué, depuis une vingtaine d’années, à analyser les recompositions de l’État au prisme d’une sociologie de l’action publique se sont progressivement écartés de la thèse du retrait de l’État en vogue à la fin des années 1990. La plupart des recherches récentes ont plutôt souligné l’ambivalence des transformations à l’œuvre sur les capacités étatiques  [1], plusieurs enquêtes ayant même permis de mettre au jour de nouvelles formes de centralisation de l’action publique. S’intéressant aux dynamiques de rationalisation internes à l’administration centrale, plusieurs auteurs ont souligné la montée en puissance des exécutifs politiques ou des « administrations centralistes »  [2] dans la conduite de l’action publique. Les ministères transversaux, au premier rang desquels les ministères des Finances, mais aussi dans le cas français le ministère de l’Intérieur, se sont appuyés sur le « répertoire néomanagérial » pour porter des projets de rationalisation administrative et renforcer leurs capacités vis-à-vis des ministères sectoriels et des collectivités locales  [3]. Des phénomènes de « retour du centre » s’observent également au niveau des exécutifs politiques conduisant certains auteurs à diagnostiquer l’avènement d’une ère « post-managériale »  [4], caractérisée par des réformes visant à accentuer la coordination des politiques publiques. Accentué dans le contexte post-crise de 2008  [5], le développement d’un « gouvernement par le centre » se manifeste par l’accroissement des effectifs ou la création de services ou d’agences en dehors des hiérarchies ministérielles, placés sous la tutelle conjointe de plusieurs ministères ou directement rattachés au pouvoir exécutif  [6]. Cet « executive shift » s’accompagne d’une repolitisation des processus de définition des objectifs de l’action publique  [7], du déploiement d’instruments spécifiques  [8], consistant notamment pour le centre à organiser à distance les interactions entre les acteurs variés de l’action publique  [9].

2Cette thèse de la recentralisation trouve en quelque sorte un prolongement dans les travaux qui mettent en avant l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernementalité reposant sur des instruments de coercition indirecte visant à organiser la mise en concurrence des acteurs de l’action publique  [10]. S’appuyant sur des « technologies » de mesure et de quantification de résultats de l’action publique, de comparaison et de classement des metteurs en œuvre, voire des bénéficiaires, l’État central gouvernerait désormais « à distance »  [11]. Cette prise de distance ne serait pourtant pas synonyme d’un retrait de l’État. À rebours du dessaisissement observé depuis les années 1980 sous l’effet des réformes de décentralisation, Renaud Epstein montre ainsi la « réaffirmation du pouvoir central » à partir du cas des politiques de rénovation urbaine  [12]. Les appels à projets, les labels ou encore les indicateurs de performance sont présentés comme les moteurs d’une reconfiguration des relations centre-périphérie dans le sens d’une redéfinition, par le centre, des finalités des politiques territoriales. La mise en concurrence des acteurs locaux pour l’obtention des gratifications matérielles et symboliques venues du centre, en organisant « à distance » leur conformation aux objectifs définis nationalement, signerait donc à la fois le retour de l’État dans le gouvernement de l’action publique et la redéfinition de ses objectifs dans le sens de « l’attractivité des territoires dans la concurrence internationale »  [13].

3Tout en adoptant des points d’entrée très différents, ces deux types de travaux dessinent, en creux, une interrogation commune sur la capacité des administrations centrales à gouverner de manière sectorielle les politiques publiques. Le cas de la rénovation urbaine suggère en effet que la recentralisation de l’action publique s’opère au profit d’une agence autonome qui échange directement avec les collectivités locales des ressources financières contre une légitimation de son action  [14], faisant des services déconcentrés de l’État et de l’administration centrale les principaux perdants de cette nouvelle donne  [15]. Les travaux sur le « gouvernement par le centre » montrent quant à eux le renforcement des régulations transversales émanant directement des pouvoirs exécutifs, questionnant les modalités de leur articulation aux logiques institutionnelles sectorielles. Dès lors, que reste-t-il de sectoriel dans le gouvernement des politiques publiques ? Doit-on diagnostiquer l’affaiblissement des administrations centrales, prises dans l’étau de l’« executive shift » et du « gouvernement à distance » ?

4Cet article propose de contribuer à cette discussion à partir d’une étude de cas réalisée dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Ce secteur est particulièrement pertinent pour questionner les capacités d’action ministérielles, dans la mesure où il est parfois considéré comme le front avancé du « tournant néomanagérial »  [16] et cité comme emblématique de la mise en place d’un « gouvernement à distance »  [17]. En effet, les politiques de l’ESR ont fait l’objet depuis les années 1980 dans de nombreux pays de l’OCDE de réformes visant à développer la compétitivité des établissements dans un contexte d’internationalisation croissante. La France ne fait pas exception ; les gouvernements successifs ont depuis près de quinze ans appelé de leurs vœux l’émergence d’universités capables d’affronter la compétition mondiale et de figurer dans les classements internationaux. Dans un contexte budgétaire contraint, les dispositifs de financement par appels à projets reposant sur la mise en concurrence des candidats à l’octroi des deniers publics se sont généralisés  [18], aux dépens des financements budgétaires récurrents. Le gouvernement des politiques de l’ESR est en outre marqué par un mouvement d’agencification et par le rôle croissant des indicateurs depuis la création de l’Agence nationale de la recherche (ANR) en 2005 et de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) devenue Haut Conseil (HCERES) en 2014. Le passage d’une logique distributive égalitaire à une logique de concentration des financements étatiques sur un nombre réduit de destinataires, la montée en puissance d’une agence chargée d’organiser l’allocation différenciée des fonds, et la généralisation des appels à projets compétitifs semblent de prime abord accréditer la thèse de l’institutionnalisation d’un « gouvernement à distance » dans l’ESR.

5En outre, la mise en place depuis 2010 du « programme investissements d’avenir » (PIA) semble suggérer un mouvement de centralisation des politiques de l’ESR en direction du pouvoir exécutif. Annoncé par le président de la République lui-même en décembre 2009, ce programme financé par un « grand emprunt » levé dans le contexte de l’après-crise financière de 2008 et destiné à distribuer plus de 19 milliards d’euros à l’ESR par le biais d’une douzaine d’appels à projets semble à bien des égards parachever le « basculement en régime concurrentiel »  [19] du secteur. En en confiant le pilotage à un Commissariat général à l’investissement (CGI) dirigé par un proche du président de la République, René Ricol, le pouvoir exécutif semble de surcroît remettre en cause le rôle historique des acteurs ministériels et professionnels dans le gouvernement des politiques de l’ESR, et pousser encore plus loin le mouvement de recentralisation et de politisation diagnostiqué par R. Epstein dans le cas de la rénovation urbaine. Les technologies de « gouvernement à distance » seraient donc ici au service d’un « gouvernement par le centre », pilotant la transformation du secteur à l’abri des régulations sectorielles.

6Toutefois, la trajectoire spécifique du secteur de l’ESR interdit de conclure trop rapidement dans cette direction. En premier lieu, à la différence du cas de la rénovation urbaine, l’ESR n’a pas connu de véritable « territorialisation » et les services déconcentrés y jouent traditionnellement un rôle assez faible  [20]. Négociées entre l’État, les universités et les instances de gestion des disciplines  [21], les politiques de l’ESR se caractérisent en outre par le poids des professionnels dans le gouvernement du secteur. Cette « co-production » de l’action publique s’est encore renforcée sous l’effet des réformes de décentralisation et du passage aux « responsabilités et compétences élargies », qui ont conduit au renforcement des présidents d’université  [22]. Du point de vue des objectifs poursuivis enfin, le secteur de l’ESR se caractérise par la prégnance du « paradigme napoléonien », fondé sur la bipartition entre grandes écoles et universités et sur l’uniformité symbolique d’une filière universitaire couvrant l’ensemble du territoire national  [23].

7Comment « gouvernement à distance » et recentralisation par le pouvoir exécutif transforment-ils les modalités traditionnelles de gouvernement du secteur et les objectifs des politiques de l’ESR ? Nous proposons de répondre à cette question en étudiant la genèse du principal appel à projets concernant l’ESR diffusé dans le cadre du programme investissements d’avenirs : les « initiatives d’excellence » (Idex). Annoncé par le président Nicolas Sarkozy en décembre 2009, cet appel à projets qui entend faire émerger « une dizaine de campus d’excellence avec les moyens, la taille critique, les liens avec les entreprises qui leur permettront de rivaliser avec les meilleures universités mondiales »  [24] émane directement du pouvoir exécutif, par le biais du Commissariat général à l’investissement placé auprès du Premier ministre. En organisant, à un niveau financier jamais égalé, la mise en concurrence des sites universitaires pour l’obtention des deniers publics, il semble en outre particulièrement illustratif des mécanismes de « gouvernement à distance ». En attribuant une dotation allant de 700 à 950 millions d’euros à seulement huit groupements d’établissements associant universités et grandes écoles, il conduit pour la première fois le pouvoir exécutif à assumer explicitement l’objectif de hiérarchisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et semble rompre pour de bon avec le paradigme napoléonien.

8Notre enquête empirique (cf. encadré) conduit pourtant à nuancer fortement l’idée de rupture dans les politiques de l’ESR, qu’il s’agisse des objectifs poursuivis ou des modalités de régulation du secteur. À travers l’analyse du processus d’élaboration puis de mise en place de l’appel à projets, nous montrons en effet comment les Idex sont progressivement réinsérées dans la trajectoire institutionnelle de réforme graduelle de l’ESR initiée depuis le début des années 1990. L’article met en lumière le rôle prépondérant d’un « groupe programmatique »  [25] composé de réformateurs ministériels, qui parviennent à s’approprier l’instrument Idex comme un moyen de poursuivre un agenda plus ancien. En se rendant incontournables dans le processus de fabrication puis de diffusion de l’appel à projets, ils contribuent à construire la catégorie d’« excellence » autour de l’objectif de regroupement institutionnel des établissements, plutôt que de celui de hiérarchisation du paysage de l’ESR. En outre, le rôle de ces acteurs ne se limite pas à la définition d’un cadrage général des objectifs à atteindre et à la construction d’un instrument de « gouvernement à distance ». L’intervention directe des acteurs ministériels dépasse très largement la conception de l’appel à projets et prend la forme d’un travail d’encadrement des usages de cet instrument, à travers l’accompagnement des candidats et l’organisation du travail du jury. Ce travail d’encadrement fait appel à des ressources caractéristiques du gouvernement traditionnel du secteur de l’ESR : la production d’une expertise sectorielle et la proximité entretenue avec les acteurs professionnels. Dès lors, la mise en place d’instruments de « gouvernement à distance » se superpose, plus qu’elle ne se substitue, aux modalités traditionnelles de gouvernement du secteur.

9Trois séquences réformatrices successives permettent de mettre en évidence le rôle contrasté de plusieurs groupes d’acteurs dans la définition des objectifs et des modalités de mise en œuvre d’une politique « pour l’excellence » dans l’ESR. Dans un premier temps, les « campus d’excellence » sont pensés comme un projet de hiérarchisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche par des représentants du ministère des Finances, de l’exécutif politique et des économistes d’État promouvant la transition vers « l’économie de la connaissance ». À partir du début de l’année 2010, ce projet se trouve toutefois considérablement remodelé par un « groupe programmatique » qui parvient à imposer une reministérialisation discrète du programme et une réorientation de ses objectifs en faveur de la poursuite des regroupements universitaires engagés depuis la constitution des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) en 2006. La troisième partie revient enfin sur les modalités concrètes d’élaboration et de diffusion de l’appel à projets Idex pour montrer que les instruments de « gouvernement à distance » renforcent, plutôt qu’ils ne s’y substituent, les relations directes entre ministère et pouvoirs exécutifs universitaires. Dans le cas de l’ESR, le gouvernement à distance est donc non seulement synonyme de recentralisation, mais également de resectorisation de l’action publique.

Présentation de l’enquête et du matériau empirique

L’enquête sur laquelle repose cet article a été menée en 2013 dans le cadre d’un post-doctorat au Centre de sociologie des organisations (CSO) financé par le programme « enseignement supérieur » de Sciences Po Paris  [26].
Le matériau empirique se compose de quatre types de sources : une revue de la presse généraliste concernant le grand emprunt, 44 entretiens semi-directifs réalisés auprès de 37 acteurs ayant participé à la conception et à la mise en œuvre du PIA au sein de différentes institutions (commission Juppé-Rocard, MESR, CGI, ANR, cabinets du président de la République et du Premier ministre) ; une importante littérature grise (rapports, auditions à l’Assemblée nationale, sites Internet) et de nombreux documents d’archive émanant principalement du MESR et confiés par plusieurs acteurs rencontrés à l’occasion des entretiens (extraits de correspondance, comptes rendus de réunions, tableaux de bord et documents de travail). Nous avons également procédé à un examen systématique des trajectoires professionnelles des acteurs considérés afin de repérer les caractéristiques communes aux membres d’un même « groupe programmatique ».
En cherchant à tenir ensemble l’analyse des luttes de pouvoir et celle des luttes de sens qui traversent ce processus, nous éclairons simultanément l’évolution des modalités de régulation à l’œuvre dans le secteur de l’ESR et le processus de production de la catégorie si polysémique d’« excellence ».

Pour l’« excellence », par le centre : vers une nouvelle architecture de l’ESR et de son gouvernement ?

10Dans cette première partie, nous expliquons comment la recherche et l’enseignement supérieur ont été placés au cœur du dispositif du « grand emprunt » annoncé par le président Nicolas Sarkozy en juin 2009. Nous montrons le poids prépondérant des représentants du ministère des Finances et d’économistes d’État dans la formulation d’une politique « pour l’excellence », qui se présente comme une tentative de réformer « par le centre » l’architecture de l’ESR.

L’« excellence » pensée par la commission Juppé-Rocard : la fin du paradigme napoléonien ?

11L’instrument « campus d’excellence », tel qu’il est conçu entre juillet et novembre 2009 au sein de la commission sur le grand emprunt, semble acter le renversement du « paradigme napoléonien »  [27] fondé sur la bipartition entre grandes écoles et universités et sur le principe de couverture de l’ensemble du territoire national par la filière universitaire. Rien ne permettait pourtant d’anticiper, lors de l’annonce du grand emprunt par le président devant le Congrès le 22 juin 2009, la place centrale réservée à l’ESR dans le dispositif, et encore moins la nature du projet de transformation institutionnelle présenté six mois plus tard. Pour l’expliquer, nous montrons le rôle joué par un petit groupe d’économistes d’État et de fonctionnaires des finances qui, tout en cherchant à réduire l’impact de cet emprunt sur la gestion de la dette, contribuent à construire un diagnostic faisant de l’innovation et de la recherche les leviers d’une politique de relance économique fondée sur la notion de « croissance potentielle ». Considérant l’« excellence » scientifique comme le principal moteur de croissance future, ils envisagent la réforme de l’architecture institutionnelle de l’ESR comme une condition nécessaire à la transition vers une « économie de la connaissance » qu’ils appellent de leurs vœux.

12La nomination d’un rapporteur général issu de la direction du Trésor et fraîchement nommé à l’Inspection des finances reflète d’abord le souci de limiter l’impact final de l’emprunt sur la dette publique, dans un contexte où la levée d’un nouvel emprunt six mois après le plan de relance de décembre 2008 inquiète, y compris dans les rangs de la majorité  [28]. Selon nos entretiens, l’utilisation de dotations non consomptibles, placées sur un compte du Trésor et n’entrant donc pas dans le calcul de la dette, a été imaginée par les financiers au cœur de l’été, afin de neutraliser l’impact maastrichtien des sommes investies au titre du grand emprunt. Mais Philippe Bouyoux, ancien directeur des Politiques économiques  [29], n’est pas seulement le garant de l’orthodoxie budgétaire de la commission. Économiste formé à Toulouse, diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), ce haut fonctionnaire est aussi politiquement proche du gouvernement en place – il a fréquenté à plusieurs reprises les cabinets ministériels de différents gouvernements de droite depuis 1995, en particulier celui d’Alain Juppé lorsqu’il était Premier ministre, puis celui de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie en 2004. Il joue un rôle « d’intermédiation et de traduction »  [30] entre le discours présidentiel sur la croissance et l’orthodoxie budgétaire défendue par ministère des Finances en s’appuyant sur les « nouvelles théories de la croissance ». Selon les témoignages que nous avons recueillis, il se prononce dès le mois de juillet en faveur du recrutement d’économistes issus de cette mouvance et suggère des noms, dont deux au moins participeront effectivement à la commission. La notion de « croissance potentielle de long terme » permet ainsi de justifier le nouvel emprunt dans la langue de Bercy, en le présentant comme un investissement destiné à soutenir la croissance future (le « bon emprunt ») et non simplement à soutenir l’activité économique immédiate. En retour, elle conduit à faire apparaître la recherche et l’innovation comme les principaux leviers de cette croissance future.

13Ce cadrage initial par les théories économiques de la « croissance potentielle » est porté au cours des travaux de la commission par au moins trois des six économistes qui y siègent. Membres du Conseil d’analyse économique (CAE), ils relaient au sein de la commission les idées déjà évoquées dans un rapport de 2007 intitulé Les leviers de la croissance française[31] et dans celui de la commission Attali  [32]. Parmi eux, Christian de Boissieu, professeur d’économie, président délégué du CAE et ancien membre de la commission Attali, proche des milieux financiers et bancaires au sein desquels il occupe de nombreuses positions de pouvoir. Élie Cohen, universitaire et chercheur passé par les sciences de gestion et la science politique mais qui se décrit lui-même comme économiste, fait également partie de la commission. Il est proche de Philippe Aghion, économiste spécialiste des questions d’innovation et de croissance, avec qui il a co-écrit plusieurs rapports du CAE, dont Les leviers de la croissance française et, en 2004, Éducation et croissance, spécifiquement consacré aux problématiques éducatives  [33]. Enfin, la commission compte aussi parmi ses membres Jacques Delpla, normalien et diplômé de l’ENSAE, proche de l’économiste toulousain Jean Tirole, dont il a coordonné l’opération de levée de fonds dans le cadre de la création de l’École d’économie de Toulouse (dite aussi « Toulouse School of Economics »). Passé comme le rapporteur général par le cabinet de Nicolas Sarkozy dont il a été le conseiller économique de mai à novembre 2004, et auparavant par celui des ministres successifs de l’économie des gouvernements Juppé de 1995 à 1997, il a participé avec Christian de Boissieu à la commission Attali.

14Tout en s’appuyant notamment sur les travaux de Philippe Aghion et Élie Cohen, dont le rapport de 2004 insistait sur la notion de « frontière technologique » et la « nécessité » pour les économies s’en trouvant proches d’investir dans la recherche et l’innovation, ce petit groupe d’économistes élabore un « diagnostic » critique sur le secteur de l’ESR en France, décrit comme inadapté aux formes prises par la compétition mondiale. Le système d’enseignement supérieur et de recherche est en effet perçu comme trop éclaté pour permettre aux établissements les plus performants d’apparaître dans les classements internationaux. Deux principales causes sont mises en avant : la partition institutionnelle entre grandes écoles, universités et organismes de recherche d’une part, et le caractère trop dispersé ou trop « égalitariste » des financements d’autre part. Ces idées ne sont pas nouvelles. Le rapport Attali, auquel plusieurs membres de la commission ont contribué, avait proposé l’année précédente la création de dix « pôles universitaires pluridisciplinaires », visant à regrouper universités et grandes écoles pour constituer des « campus de standard mondial » pour un investissement total pouvant atteindre 10 milliards d’euros  [34]. La proposition figurait déjà également dans le rapport Éducation et croissance qui préconisait dès 2004 de consacrer des moyens supplémentaires « non à un saupoudrage inefficace mais à promouvoir l’excellence scientifique au moyen de politiques incitatives » menées par l’intermédiaire d’une agence qui aurait pour objectif de « favoriser la naissance de grands établissements [...] pour constituer des entités à taille critique »  [35].

15Pour ces économistes, le « grand emprunt » représente une opportunité de financer la transformation de l’architecture institutionnelle de l’ESR en France, dans le sens d’une dualisation reposant sur la coexistence d’un petit nombre d’« universités de recherche » de niveau mondial et d’universités régionales, voire locales, orientées davantage vers la formation. Cette transformation doit s’opérer par le biais d’une concentration des financements publics dont la gestion est pensée en référence à l’exemple américain. Les « dotations en capital » (« endowments ») sur lesquelles repose une partie du financement de nombreuses universités américaines sont en effet érigées en modèle pour le cas français. Le grand emprunt devrait ainsi permettre de doter en capital quelques universités françaises sélectionnées pour leur « excellence » qui, sans pouvoir consommer directement ces sommes, toucheraient chaque année le produit de leur placement financier. L’un d’entre eux, sans doute le plus fervent défenseur du « modèle américain » au sein de la commission, nous a ainsi confié vouloir « faire avec de l’argent public ce [qui s’était] fait [à Toulouse] avec de l’argent privé mais en large size » (entretien commission, Paris, 25 octobre 2013).

16Sans exagérer l’unanimité des opinions des différents membres de la commission, tout suggère que ce petit groupe d’économistes joue un rôle prépondérant dans le cadrage des débats relatifs à l’ESR. L’objectif de concentration des financements est d’autant mieux endossé par les autres membres de la commission issus du secteur de l’ESR qu’ils se perçoivent comme les bénéficiaires potentiels des fonds du grand emprunt. Nos entretiens ont montré qu’un « sous-groupe » enseignement supérieur s’est rapidement constitué au sein de la commission autour de quelques individus occupant des fonctions de dirigeant exécutif ou d’administrateur d’établissements parisiens (École normale supérieure, Collège de France, École polytechnique, Mines ParisTech) ou d’organismes de recherche (Institut national de recherche agronomique, INRA, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA). D’après plusieurs témoignages, ils se prononcent pour une concentration extrême des financements du grand emprunt sur deux ou trois sites en France, et cherchent à les orienter vers les établissements parisiens qu’ils estiment lésés par le Plan campus. Cet appel à projets concentré sur l’immobilier universitaire lancé en février 2008 et dont l’ambition était déjà de « faire émerger des campus d’excellence qui seront la vitrine de la France et renforceront l’attractivité et le rayonnement de l’Université française »  [36] a en effet débouché en février 2009 sur un échec pour le projet « Paris intra-muros » dont la validation avait été différée en raison des difficultés à concrétiser les rapprochements entre établissements de la capitale. Au moment où se réunit la commission sur le grand emprunt, le devenir des sommes réservées aux projets des établissements parisiens dans le cadre du Plan campus est donc encore incertain et conditionné à la structuration de Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) qui peine à se réaliser  [37]. Dans ce contexte, la concentration des financements du grand emprunt est perçue, au sein du sous-groupe enseignement supérieur, comme une seconde chance de bénéficier de moyen financiers importants.

17Les travaux de la commission Juppé-Rocard sont donc dominés par ce que l’on pourrait nommer, en reprenant l’expression de Philippe Bezes, la « tentation de l’architecte »  [38]. Rendu concevable par la suspension provisoire des conditions habituelles dans lesquelles se pensent et s’élaborent les politiques de l’ESR, le projet réformateur des économistes ne trouve dès lors de viabilité qu’à travers la mise en place d’un dispositif de gouvernement du programme qui organise la mise à l’écart des acteurs traditionnels du secteur de l’ESR.

Gouverner à distance... du ministère : une tentative de désectorisation des politiques de l’ESR

18Le dispositif institutionnel élaboré à l’automne 2009 contourne ostensiblement les acteurs sectoriels, ministériels et professionnels. En confiant le pilotage des appels à projets à un Commissariat général à l’investissement placé auprès du Premier ministre, le pouvoir exécutif remet directement en question les modalités institutionnalisées de gouvernement du secteur de l’ESR, caractérisé par la négociation entre ministère et représentants des intérêts professionnels  [39]. De manière encore plus prononcée que dans le cas de la rénovation urbaine, les instruments de « gouvernement à distance » semblent donc dans l’ESR léser l’administration centrale et servir la mise en place d’un « gouvernement par le centre »  [40]. La mise en concurrence des établissements dans le cadre d’un processus de sélection par appel à projets confié à un jury international, et la création d’une « Agence des campus d’excellence » en charge de distribuer les fonds du grand emprunt doit permettre, du point de vue des économistes du Trésor, de légitimer le choix des bénéficiaires tout en préservant un contrôle important sur les fonds du grand emprunt, gérés à l’extérieur des administrations centrales.

19En premier lieu, la mise en place d’appels à projets paraît rapidement incontournable à la majorité des acteurs de la commission. D’après nos entretiens, l’organisation d’une procédure de mise en compétition apparaît en effet comme un instrument symbolique de légitimation d’une stratégie de concentration des ressources. Mais le recours à des collègues étrangers pour la formation des jurys est également plébiscité comme un moyen de mettre à distance les intérêts sectoriels et politiques :

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« On s’était mis à la place de ceux qui seraient amenés à choisir ensuite les projets, et on s’est dit, ils vont être harcelés de lobbies, de pressions de tous ordres, en particulier sur l’enseignement supérieur il y aura des pressions très fortes, entre les régions, il faudra satisfaire tel ou tel doyen de faculté ou autre grand serpent à plumes. Pour éviter que ce soit la ministre qui rédige la liste des universitaires privilégiés, il fallait qu’il y ait une procédure totalement transparente et objective, avec un jury international. Avec l’idée que des universitaires qui viendraient d’autres pays seraient peut-être un peu moins sensibles au lobbying de tel ou tel élu local. »  [41]

21En outre, la préconisation de créer une « Agence des campus d’excellence » placée auprès du Premier ministre pour héberger les dotations témoigne de la méfiance des membres de la commission Juppé-Rocard à l’égard des administrations centrales et en particulier du ministère de l’ESR. Il s’agit, pour reprendre les termes du rapport, de garantir « l’effet additionnel » du grand emprunt par rapport aux dépenses budgétaires courantes. En d’autres termes, l’enjeu pour la commission est d’éviter que l’emprunt ne produise un effet d’aubaine pour les ministères, tentés d’utiliser cette manne pour financer des projets existants peu ou pas dotés dans un contexte de contrainte budgétaire généralisée.

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« Ce qui a emporté la conviction en l’occurrence ça a été de se dire que si on confiait l’argent aux ministères on pouvait pas être sûrs de ce qu’ils en feraient. Parce que ça veut dire qu’on fait pas confiance aux ministres et aux administrations, c’est terrible, mais il y avait quand même un peu ce soupçon que si on confiait l’argent aux ministères, ils en feraient un grand tout... »  [42]

23Les considérations relatives au contrôle financier sont très prégnantes dans le discours des membres de la commission. Elles expliquent également les préconisations de limiter à cinq ans la durée pour laquelle le fruit des dotations serait attribué aux lauréats, et de mettre en place un dispositif d’évaluation périodique du projet de chaque campus par l’Agence  [43]. La préconisation d’organiser un nouveau processus de sélection ouvert à tous à l’issue de cette première période de cinq ans relève en effet à la fois d’une logique de deuxième chance pour les non lauréats de la première vague et d’un souci de maintenir un contrôle indirect sur l’ensemble des établissements, par le biais d’une nouvelle mise en concurrence. Les propositions de la commission Juppé-Rocard sur la gouvernance des investissements d’avenir consistent donc bien à organiser le « gouvernement à distance » de l’excellence dans l’ESR en France par le biais de dispositifs de mise en concurrence et d’évaluation qui organisent le contrôle indirect des établissements par le centre aux dépens du MESR.

24Le dispositif effectivement mis en place semble franchir un nouveau pas en direction d’un gouvernement par le centre du PIA. S’ils partagent la méfiance des Trésoriens à l’égard des administrations centrales, certains membres des cabinets du Premier ministre et du président de la République sont toutefois frileux à l’égard de l’Agence des campus, et de la délégation des responsabilités que sa création impliquerait. Le contrôle interministériel, qui dans le rapport se limite à un comité de surveillance composé d’une douzaine de membres, est jugé insuffisant face aux menaces centrifuges que représenteraient des agences autonomes vis-à-vis du centre :

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« Si on donnait ça aux agences, ensuite qui aurait contrôlé ce que les agences faisaient ? Est-ce que le principe d’aide additionnelle aurait été effectivement respecté ? Si on donnait ça directement au budget des ministères c’était encore pire, de ce point de vue-là. Donc on s’est dit il faut qu’il y ait un centre qui soit fort. »  [44]

26En définitive, la création d’une Agence des campus d’excellence est écartée au profit d’un dispositif beaucoup plus centralisé. L’annonce par le président de la République, lors de la conférence de presse de lancement du programme investissements d’avenir le 14 décembre 2009, de la nomination d’un de ses proches, René Ricol, au poste de commissaire général à l’investissement, semble acter la victoire d’un gouvernement du PIA par le pouvoir exécutif.

27 Le rôle et les moyens de ce commissaire se précisent dans les semaines qui suivent, confirmant la mise en place d’un « gouvernement par le centre » du PIA. Dès le début du mois de janvier, une petite équipe est formée autour de René Ricol, par l’ancien rapporteur général de la commission Juppé-Rocard, et deux autres membres de l’IGF : Jean-Luc Tavernier, polytechnicien et diplômé de l’ENSAE, ancien directeur de la Prévision à la direction du Trésor et ancien directeur de cabinet d’Éric Woerth au ministère du Budget, et Florent Massou, jeune polytechnicien ingénieur des mines et détaché à l’Inspection générale des finances. Les membres de cette équipe conçoivent le CGI comme une agence centrale de pilotage du grand emprunt, l’un d’eux fait d’ailleurs directement référence à la Delivery Unit, mise en place auprès du Premier ministre britannique à la fin des années 1990 pour contrôler par le centre la réalisation des politiques ministérielles :

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« À l’époque j’avais eu une discussion, on avait pas mal regardé, comme on avait pas de benchmark en France, on avait regardé ce qui se passait à l’international sur ce type de procédure, on avait trouvé un exemple, en Angleterre, qui n’est pas sur l’enseignement supérieur et la recherche, pas forcément liés au jury, qui était une structure qu’avait mis Tony Blair en place à ses côtés, pour être sûr que les décisions qui étaient prises par le Premier ministre étaient suivies par les ministères. »  [45]

29Loin de se contredire, les deux dimensions du « gouvernement à distance » et du « gouvernement par le centre » constituent en réalité deux aspects étroitement liés d’un mode de gouvernement de l’action publique reposant simultanément sur une reprise en main des processus décisionnels par le pouvoir exécutif et sur des dispositifs de gouvernement indirects ou incitatifs, qui possèdent en définitive un pouvoir contraignant très fort. Le « gouvernement à distance » correspond bien, comme le souligne R. Epstein, à une forme nouvelle de centralisation, qui permet à l’État central de conserver, voire de se réapproprier, la maîtrise des finalités de l’action publique et de contraindre indirectement les bénéficiaires à y adhérer  [46]. Cette recentralisation s’opère dans le cas de la rénovation urbaine aux dépens des services déconcentrés et au profit d’une forme de repolitisation de la politique de la Ville permise par la création d’une agence directement en lien avec le ministre  [47]. Dans le cas des politiques « pour l’excellence », l’administration centrale est contournée par la création d’une organisation interministérielle, chargée de piloter le programme investissements d’avenir à distance des intérêts sectoriels. Cette recentralisation, qui n’est pas sans rappeler les phénomènes de « retour du centre » observés outre-Manche  [48], ne correspond pas toutefois à une éviction de l’ensemble des acteurs ministériels. Un certain nombre d’acteurs proches de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, jouent au contraire un rôle déterminant dans la fabrique du PIA. L’analyse des conditions d’élaboration du projet de loi de finances rectificative (PLFR), puis des relations entre le CGI et le MESR au moment de la fabrication des appels à projets permet de le montrer.

Les gardiens des politiques de l’ESR : la resectorisation des Idex

30Cette deuxième partie analyse la manière dont se constitue, au sein du MESR, une coalition réformatrice qui s’appuie sur sa proximité avec la ministre et sur une solide expertise sectorielle pour reformuler subtilement le sens des « campus d’excellence ». On observe dès lors une forme de « reministérialisation » discrète du PIA, se traduisant non seulement par un retour des acteurs ministériels dans le gouvernement du dispositif, mais également par une redéfinition de l’« excellence » plus conforme à la trajectoire de réforme sectorielle de l’ESR.

Réparer l’échec des PRES : une « élite programmatique » au service d’une définition ministérielle de l’« excellence »

31Face au projet centraliste du pouvoir exécutif, le MESR ne reste pas inerte. Le processus de fabrication du PIA donne lieu à la constitution d’une coalition réformatrice rassemblant autour du cabinet de la ministre des acteurs aux trajectoires convergentes et qui se fédèrent progressivement autour d’un double objectif : restaurer le contrôle ministériel sur le programme investissements d’avenir et réinsérer les campus d’excellence dans la « politique de sites » mise en œuvre par le MESR depuis la fin des années 1990. Cette coalition réformatrice constitue une « élite programmatique » au sens de Patrick Hassenteufel et de William Genieys  [49], porteuse d’une conception de l’« excellence » étroitement liée à la trajectoire de réforme du secteur de l’ESR. Tout en endossant certains des objectifs énoncés par le rapport Juppé-Rocard – notamment le rapprochement entre grandes écoles et universités –, ces « gardiens des politiques de l’ESR » défendent avant tout la rationalisation du paysage institutionnel de l’ESR, aux dépens des objectifs de hiérarchisation et d’excellence scientifique.

32La constitution de ce groupe programmatique s’opère formellement à la mi-décembre 2009, lorsqu’un un petit groupe de travail est chargé par le cabinet de la ministre de mener une réflexion sur la mise en œuvre des priorités du grand emprunt. Le choix de confier la réflexion stratégique sur le grand emprunt à une équipe resserrée, directement en lien avec le cabinet de la ministre, témoigne de la forte politisation dont bénéficient les investissements d’avenir, ce qui se comprend aisément au regard des enjeux financiers. La direction de ce groupe, qui prend le nom d’« équipe projet », est confiée à Claire Giry, récemment recrutée au ministère après avoir été deux ans conseillère technique au cabinet de François Fillon au sein du pôle ESR coordonné par Patrick Hetzel, et travaillé sur la mise en œuvre de la LRU et du Plan campus. Elle dirige depuis avril 2009 le service de la coordination stratégique et territoriale (SCST), surnommé « service agrafe » car il est commun aux deux directions générales du ministère. Ce service a été conçu, lors de la réorganisation ministérielle de 2008, pour favoriser une stratégie territoriale « transversale » aux organismes et aux universités. Tout au long de la fabrication du PIA, elle exerce depuis ce poste stratégique un rôle pivot entre l’administration centrale du MESR et le cabinet de la ministre avec lequel elle est quotidiennement en lien et dont elle reçoit des commandes.

33Il faut pourtant se garder de réduire l’équipe projet à un instrument politique aux ordres du cabinet de Valérie Pécresse. Les trajectoires de ses membres illustrent en effet une proximité bien plus ancienne avec les cercles réformateurs de l’ESR. Claire Giry elle-même, après une formation académique (elle est normalienne et docteure en biologie), a occupé plusieurs fonctions administratives au CEA jusqu’à conseiller ses dirigeants sur les questions d’évolutions institutionnelles. Elle a ainsi travaillé aux côtés de Pascal Colombani, administrateur général entre 2000 et 2002, puis de Bernard Bigot, haut conseiller à l’énergie atomique de 2003 à 2009, lui-même connu pour ses engagements réformateurs au sein des cabinets de Claudie Haigneré et de Luc Ferry. À ses côtés au sein de l’équipe projet, on trouve également Bernard Carrière, professeur et ancien président d’université entré comme conseiller d’établissement à la DGESIP en 2007 et fervent défenseur des « politiques de sites ». Il avait notamment participé aux « évaluations de site » en tant que membre du comité national d’évaluation des universités et des établissements (CNE) entre 2000 et 2002, avant de prendre une part active, comme président de l’Université Louis-Pasteur à Strasbourg (2002-2007), au projet de fusion des universités de la métropole alsacienne qui se réalise en 2009  [50]. Jean-Richard Cytermann, adjoint au directeur général de la recherche et de l’innovation (DGRI), participe aussi activement aux travaux de l’équipe projet. Énarque ayant déroulé toute sa carrière au MESR depuis 1976, il a notamment été sous-directeur de la programmation et des contrats à la nouvelle direction de la programmation et du développement universitaire au moment du lancement de la politique contractuelle par le ministère à la fin des années 1980, dont on sait le rôle dans l’émergence de la notion de site universitaire  [51]. Passé par le cabinet d’Édith Cresson (1991-1992), il a également contribué à lancer le Plan université 2000, puis a participé, en tant que directeur adjoint du cabinet de Claude Allègre (1997-2000), à la fabrication de la Loi sur l’innovation et la recherche de 1999. Il est membre de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) depuis 2002 et fervent défenseur du rapprochement entre universités, grandes écoles et organismes de recherche  [52].

34En dépit de leurs trajectoires différentes et de leur positionnement politique contrasté, ces acteurs partagent une même conception des réformes jugées « stratégiques » dans le secteur, et en particulier le souci de poursuivre le chantier des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) ouvert depuis le « Pacte pour la recherche » de 2006. En témoignent les archives du « comité de coordination » mis sur pied à la suite d’une « réunion de coordination stratégique » tenue en juillet 2009 entre les deux directions générales du MESR  [53] et qui préfigure l’équipe projet montée quelques mois plus tard. Présidé par Bernard Carrière, ce comité a réuni de manière bimensuelle à partir de la fin du mois de septembre 2009 une douzaine de personnes issues des deux directions générales ainsi que du service « agrafe » afin d’« identifie[r] les sujets sur lesquels il est nécessaire que le ministère se mette en situation de proposer des idées et orientations qui seraient soumises au politique, et plus généralement développe[r] une vision »  [54]. Il compte parmi ses membres les plus actifs Claire Giry et Jean-Richard Cytermann, qui rédigent ensemble, dans le courant du mois de novembre 2009, un document de réflexion sur les PRES  [55] formulant un bilan du dispositif et des préconisations pour l’avenir dans le contexte de la stratégie territoriale du ministère. Celui-ci préconise de recentrer les PRES sur « leur rôle de coordination stratégique à l’échelle des sites ». Tout en remarquant la grande diversité des situations des différents PRES existants sur le territoire national, ils réaffirment leur vocation à structurer le territoire, dans une perspective d’intégration pouvant aller jusqu’à la fusion d’établissements (pour les universités métropolitaines notamment) ou de régulation entre les différents établissements présents à l’échelle d’une région. Enfin, il suggère de faire des PRES les principaux interlocuteurs de l’État et des collectivités, en leur attribuant des compétences obligatoires et en leur confiant la responsabilité de négocier au nom de leurs membres la contractualisation avec l’État.

35Cette réflexion stratégique sur les PRES, menée au niveau des services, débouche sur la commande par Valérie Pécresse d’un rapport à l’IGAENR à la fin du mois de novembre 2009. Dans sa lettre de mission au chef de service de l’Inspection, la ministre reprend les thèmes évoqués par les membres du comité de coordination, et affirme vouloir inaugurer une « nouvelle phase de développement des PRES » devant « permettre d’assigner aux pôles une fonction plus clairement structurante du paysage universitaire français » allant dans le sens d’une « dynamique fédérale »  [56]. La ministre mentionne également le renforcement de la coopération entre universités et grandes écoles, des liens avec les organismes de recherche, et la possibilité de confier des compétences obligatoires aux PRES. Elle évoque, enfin, l’articulation entre PRES et campus d’excellence, les premiers étant considérés comme « un levier de l’action visant à “investir pour l’avenir” ».

36Ce réinvestissement des PRES par Valérie Pécresse n’avait pourtant rien d’évident, au lendemain de la mise en œuvre de la loi LRU qui, en conférant une autonomie de gestion plus grande aux universités et en renforçant le pouvoir de leurs présidents, aurait pu donner un coup d’arrêt à la politique de regroupement. Pourtant, comme l’indique Christine Musselin, cette contradiction potentielle entre autonomie des établissements et regroupements institutionnels ne fait pas débat pour les réformateurs de l’enseignement supérieur. Elle semble au contraire résolue par l’élaboration d’un récit réformateur articulant ces deux éléments au service de la « construction d’un nouvel ordre universitaire » devant « mettre fin à l’exceptionnalisme du système français »  [57] caractérisé par une séparation jugée inefficace entre grandes écoles, universités et organismes de recherche. Si « politique de sites » et « autonomie des établissements » sont compatibles aux yeux des acteurs ministériels, c’est qu’elles procèdent toutes deux d’une tentative de rationalisation administrative, dont l’objectif est de rendre le secteur plus gouvernable, en d’autres termes de consolider les capacités d’action ministérielles face aux exécutifs universitaires érigés depuis les années 1990 en principaux interlocuteurs de l’État central  [58]. Alors que cette dimension de rationalisation était restée modeste dans le cadre de la réforme de 2006 sans grande assise financière  [59], le PIA représente pour les acteurs programmatiques ministériels une opportunité de faire financer cette transformation du paysage institutionnel de l’ESR. En retour, les travaux de l’équipe projet constituent pour le cabinet une source d’expertise d’autant plus influente que le CGI est encore en cours de constitution et dépourvu de toute expertise autonome sur ces questions.

Le MESR au cœur du gouvernement des Idex : entre expertise et politisation

37Le retour du MESR dans le dispositif de gouvernement du PIA est lié à l’activisme très soutenu des membres du cabinet de la ministre, qui réussissent à obtenir des arbitrages favorables dans la construction du dispositif institutionnel, en s’appuyant sur l’expertise des membres de l’équipe projet. Le MESR est particulièrement actif dès la publication du rapport : l’enjeu politique est à la mesure du budget considérable que le ministère ne peut accepter de voir confier à une organisation concurrente. Une note à charge est rapidement produite par le service agrafe, afin d’alerter la ministre sur la menace que représente l’Agence des campus d’excellence  [60]. L’argument est repris quelques jours plus tard par les deux directeurs généraux alertant le cabinet sur le fait que « le MESR ne doit pas intervenir ou être perçu comme une structure de tutelle des campus qui ne viseraient pas à l’excellence »  [61]. Des consultants sont même sollicités par le cabinet qui soulignent également le risque de « déresponsabilisation » du ministère, « réduit à gérer le quotidien » face à une ANR renforcée  [62].

38Les entretiens que nous avons conduits ont souligné de manière convergente la bonne préparation des représentants du MESR et leur capacité à s’imposer comme des acteurs incontournables au cours des travaux interministériels qui ont lieu entre la publication du rapport le 19 novembre et l’annonce du président de la République le 14 décembre 2009. Ils obtiennent en particulier que les investissements d’avenir soient intégrés budgétairement à la Mission interministérielle de la recherche et de l’enseignement supérieur (MIRES), contrairement à la recommandation du rapport Juppé-Rocard de confier la responsabilité budgétaire du PIA au Premier ministre. Cette décision recouvre d’importantes implications politiques, puisqu’elle place les programmes « projets thématiques d’excellence » et « pôles d’excellence » sous la responsabilité du directeur des affaires financières du MESR et donne la main aux acteurs ministériels sur la rédaction du document budgétaire. Dès lors, quand bien même la loi de finances rectificative votée le 9 mars 2010 semble de prime abord confirmer la mise à l’écart des administrations centrales en confiant au CGI la responsabilité de valider les cahiers des charges des appels à projets et en en faisant l’interlocuteur principal de l’ANR, l’absence du ministère dans le dispositif formel de gouvernement du PIA dissimule en fait son omniprésence dans les processus concrets de fabrication du programme. En témoigne par exemple la justification au premier euro relative à l’action « campus d’excellence », qui reprend quasiment mot pour mot les termes du « mémo » produit pour le cabinet de la ministre par les consultants mentionnés plus haut.

39Le retour ministériel dans le jeu passe en outre par la construction d’une configuration décisionnelle favorable au MESR, à travers la mise en place d’un « comité de pilotage » qui s’impose peu à peu comme le lieu où se prennent les décisions relatives à la mise en œuvre des actions du PIA. Réuni dès le 10 janvier 2010 de manière hebdomadaire, le comité de pilotage rassemble plusieurs membres du cabinet de la ministre, les représentants des directions générales, le directeur des Affaires financières et la cheffe du SCST. S’il apparaît d’abord comme une instance strictement ministérielle et sans pouvoir décisionnel formel, il constitue cependant le principal lieu de production d’expertise autour du PIA dans un contexte où le CGI n’est pas encore créé comme organisation administrative. En s’appuyant sur les travaux de l’équipe projet, les acteurs ministériels prennent ici de l’avance en élaborant des éléments de « cadrage du cahier des charges » pour chacune des actions prévues dans le programme investissements d’avenir de la MIRES. Une note établissant les « grands principes » ainsi que « des critères incontournables » pour la sélection des « campus d’excellence », et un « plan détaillé d’un cahier des charges » [63] sont ainsi commandés par le comité de pilotage à l’équipe projet dès la première réunion du 10 janvier 2010.

40Dès le 2 février 2010, passant outre une disposition du PLFR qui réservait à l’ANR la tâche de composer un « comité d’engagement »  [64] pour valider la sélection des lauréats proposée par les différents jurys, le comité de pilotage s’arroge cette responsabilité, devenant dès lors une instance décisionnelle. L’ANR se trouve ainsi reléguée à un rôle d’exécutant des décisions du comité de pilotage, ce qui n’est pas sans provoquer de conflits entre la direction de l’agence et le cabinet de la ministre. Ayant construit peu à peu sa légitimité, depuis sa création en 2005, sur son autonomie à l’égard du politique et sur des procédures d’évaluation par les pairs dont ses membres rappellent tous lors des entretiens la « certification ISO 9001 », l’ANR voit d’un mauvais œil l’ingérence du comité de pilotage sur ce qu’elle considère comme devant relever de ses prérogatives : la rédaction des appels à projets, la composition et l’organisation des jurys. La création au sein de l’agence d’un département spécifiquement dédié à la mise en œuvre du PIA, et le refus d’y affecter les moyens existants de l’agence – 30 emplois y seront en effet créés – traduisent d’ailleurs, d’après nos entretiens, la méfiance de la direction qui cherche à isoler ce programme très « politique » des activités habituelles de l’ANR, que la direction craint de voir phagocytées. De fait, nos entretiens confirment que du point de vue des services ministériels, le grand emprunt représente également une opportunité de réaffirmer leur tutelle sur l’ANR et de manière plus générale sur la mise en œuvre des politiques de recherche. Le vocable d’« opérateur », utilisé dans le jargon de l’équipe projet pour désigner l’ANR, est à cet égard révélateur de la relation de subordination que les acteurs ministériels entendent (ré)instaurer avec une agence dont l’autonomie est perçue comme excessive.

41Le caractère central du comité de pilotage dans le gouvernement du PIA se renforce encore le mois suivant, lorsque le ministère propose au CGI d’y faire venir un représentant afin d’organiser une « coordination » de la mise en œuvre du programme. Les documents d’archive dont nous disposons montrent que les acteurs ministériels défendent, au cours de cette réunion, une « option coordonnée », dans laquelle « le CGI et le MESR élaborent ensemble une proposition gouvernementale »  [65]. Présentée comme « la plus efficace et la moins coûteuse pour l’État »  [66], cette « solution » a pour conséquence d’institutionnaliser le rôle du MESR dans la fabrication du PIA, en internalisant au sein du comité de pilotage les arbitrages qui auraient autrement lieu au niveau du Premier ministre. Dans un contexte où le comité de pilotage reste dirigé par le directeur de cabinet de Valérie Pécresse, où les représentants du ministère y sont nombreux et peuvent s’appuyer sur l’expertise sectorielle fournie par l’équipe projet et les consultants, ce dispositif offre au MESR un lieu propice à la négociation avec le CGI qui réduit le risque de voir remettre en cause ses orientations en aval.

42Enfin, le rôle central du MESR dans la mise en œuvre du PIA est assuré, en dernier lieu, par la nomination au sein même du CGI d’acteurs issus du ministère qui entretiennent, tout comme ceux de l’équipe projet, une grande proximité avec le cabinet de la ministre et plus généralement les milieux réformateurs de l’ESR. Si l’équipe de direction du CGI est composée d’inspecteurs des finances qui jouent le rôle de gardiens du temple vis-à-vis des orientations du pouvoir exécutif, l’organisation du CGI en pôles thématiques, recoupant les différents programmes budgétaires associés aux actions du PIA, favorise l’emprise des acteurs ministériels. Ainsi, Thierry Coulhon est nommé en avril 2010 responsable du pôle « centres d’excellence », qui réunit les actions relatives aux campus, mais aussi aux laboratoires et aux équipements d’excellence. Cet universitaire de formation, ancien président de l’Université de Cergy et ancien vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU), est en outre l’ancien directeur adjoint du cabinet de Valérie Pécresse. En juin 2010, le rejoignent deux collaborateurs également issus du MESR, Jean-Pierre Korolitski et Jean-Michel Dion. Tous deux issus du monde académique, ils ont en commun d’avoir embrassé une carrière administrative et d’entretenir des liens de proximité avec Jean-Marc Monteil, l’ancien directeur général de l’Enseignement supérieur désormais chargé de mission au cabinet de François Fillon. Le premier, « long timer » des politiques de l’ESR entré en 1982 au ministère, est membre de l’IGAENR et vient de remettre au ministre un rapport sur les PRES et la reconfiguration des sites universitaires. Le second est l’ancien chef du service de la recherche universitaire (SRU) à la création duquel il a œuvré de concert avec J.-M. Monteil.

43Si le recrutement de ces acteurs ministériels ne s’est pas fait sans crainte chez les inspecteurs des finances du CGI (« est-ce qu’il allait venir en jouant le jeu du CGI ou en étant l’œil de la ministre »  [67]), leur connaissance du secteur et de la légitimité dont ils sont investis par les acteurs sectoriels constituent cependant une ressource importante pour le CGI. Comme le souligne un conseiller du Premier ministre :

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« Les responsables de pôle qu’il [René Ricol] a pris, c’était des gens qui étaient légitimes. Ce n’était pas toujours des gens qui étaient dans la ligne, ils pouvaient être en désaccord avec tel truc, etc. Il y avait des gens qui avaient des points de vue originaux... Mais c’était des gens qui étaient légitimes. C’est-à-dire que dans les milieux en question, les gens n’avaient pas de mal à dire que leur interlocuteur... C’était pas le blanc-bec arrivé comme ça. » [68]

45Réciproquement, les acteurs ministériels n’ayant pu faire obstacle à la création d’une organisation interministérielle ont cherché, par cette stratégie de déploiement à l’extérieur du ministère, non seulement à neutraliser la concurrence du CGI dans le gouvernement des investissements d’avenir, mais également à contourner les canaux administratifs sectoriels, eux-mêmes perçus comme peu efficaces par le cabinet de la ministre :

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« Le CGI a vite compris qu’il avait besoin du ministère pour l’expertise des dossiers, en plus du travail des jurys, et puis nous on avait besoin d’une équipe resserrée qui puisse arbitrer rapidement et qui était proche du Premier ministre, donc... »  [69]

47La définition des conditions de mise en œuvre du PIA, dans les premiers mois de l’année 2010, donne donc à voir le retour dans le jeu des acteurs ministériels qui semblaient jusqu’alors largement évincés par le dispositif de « gouvernement par le centre ». Celui-ci s’effectue sous l’effet de la mobilisation d’un petit nombre d’acteurs formant une coalition réformatrice autour du cabinet de la ministre Valérie Pécresse. Loin de correspondre à une « rebureaucratisation » du PIA, le processus de « resectorisation » des Idex par le MESR passe par une certaine politisation du programme, au sens où il se trouve investi par les dirigeants du ministère (directeurs généraux, cabinet) comme un objet « évidemment politique »  [70], plutôt que par les services de l’administration centrale. Cet investissement politique dont fait l’objet le PIA fournit à quelques hauts fonctionnaires du secteur une opportunité de porter des objectifs réformateurs plus anciens à travers les dispositifs du comité de pilotage et au sein même du CGI.

Au-delà de l’instrumentation : la fabrique ministérielle des regroupements institutionnels

48Cette troisième partie examine le processus de fabrication concret du « programme investissements d’avenir », depuis la rédaction de l’appel à projets jusqu’à la mise en place du jury international chargé d’examiner les candidatures Idex. Nous montrons comment les instruments de gouvernement à distance sont doublés de l’intervention directe des acteurs ministériels, qui perpétuent à travers eux certaines modalités traditionnelles de régulation du secteur.

L’appel à projets Idex, un instrument très ambigu de gouvernement à distance

49Les travaux sur le « gouvernement à distance » mettent en avant le rôle des instruments comme les appels à projets, les classements ou les labels dans l’émergence d’une nouvelle forme de centralisation, fondée non plus sur l’exercice d’une contrainte directe du centre sur la périphérie, mais sur l’organisation de la conformation des destinataires de l’action publique aux objectifs centraux par le biais de leur mise en concurrence  [71]. En étudiant la fabrication de l’appel à projets Idex, nous montrons toutefois qu’il s’agit d’un instrument profondément ambigu, qui procède de deux conceptions distinctes, voire opposables, de l’« excellence ». L’incertitude créée par l’instrument ouvre la voie à la reproduction des modalités plus traditionnelles de régulation du secteur de l’ESR par les acteurs ministériels.

50Entre janvier et septembre 2010, le contenu de l’appel à projets fait l’objet de nombreux échanges au sein du comité de pilotage, alimentés par l’équipe projet qui travaille notamment sur la définition des finalités de l’opération « campus d’excellence », l’explicitation des attentes à l’égard des candidats, et les critères de sélection des lauréats. Les documents d’archive dont nous disposons confirment que les « campex »  [72] continuent d’être conçus comme un levier financier puissant pour poursuivre les évolutions amorcées par la création des PRES issus de la loi de 2006. Pour reprendre les termes d’un membre du cabinet de Valérie Pécresse, « la loi sur la recherche en 2006 avait fait un certain nombre d’outils, mais ces outils, il fallait les rendre vivants, autrement dit, ça veut dire quoi les rendre vivants, c’est leur donner de l’argent »  [73]. Le dispositif des « campus d’excellence » doit donc favoriser, grâce à une incitation financière forte, le regroupement des universités et des grandes écoles présentes sur un même territoire géographique.

51Cette idée est relayée, via le comité de pilotage, dans le processus de rédaction de l’appel à projets Idex. Outre la note sur les PRES, transmise au comité lors de sa première réunion du 19 janvier 2010, une « fiche campex »  [74] est élaborée, qui défend l’idée que « l’excellence » doit être considérée comme « un prérequis » de toute candidature et non comme le critère discriminant permettant la sélection les lauréats. Il s’agit de « concentrer toute l’évaluation sur l’ambition de transformation des acteurs des campus concernés, et sur la manière dont ils l’assurent »  [75], autrement dit sur la dimension institutionnelle du projet. Comme l’indique explicitement ce document, « cette étape neutralise d’une certaine manière l’excellence en recherche, en considérant que ce n’est plus un point à évaluer »  [76]. On constate donc dans les documents produit par le MESR une reformulation du compromis énoncé par la commission Juppé-Rocard en faveur de l’une de ses composantes initiales – le regroupement – et aux dépens des autres objectifs, notamment l’objectif de hiérarchisation du paysage universitaire ou encore les liens avec les entreprises et le secteur économique, qui sans pour autant disparaître deviennent plus secondaires. À la faveur de cette redéfinition discrète, l’« excellence » devient synonyme pour les acteurs ministériels de réforme organisationnelle. La rationalisation des politiques de l’ESR passe selon eux par la mise en place d’une « politique de sites », déjà préfigurée par des réformes antérieures, et qui trouve dans le « grand emprunt » les moyens de sa réalisation.

52Toutefois cette orientation très prégnante des acteurs ministériels ne fait pas l’unanimité. Les inspecteurs des finances à la tête du CGI et les conseillers proches du président de la République nourrissent en effet une méfiance certaine à l’égard des PRES, structures jugées trop massives et trop hétérogènes pour incarner « l’excellence ». Le compte rendu du comité de pilotage du 25 mai 2010 indique ainsi qu’une réunion tenue le 21 entre les directeurs de cabinet de Valérie Pécresse et du Premier ministre et le secrétaire général de l’Élysée a mis au jour une « réticence à l’égard des PRES. Fort décalage entre la manière dont les acteurs structurent leur projet et la perception des PRES au plus haut niveau de l’État »  [77]. Cette méfiance du pouvoir exécutif à l’égard des PRES nourrit l’idée de concentrer les financements au sein des futurs campus sur quelques projets d’excellence, qui se traduit par l’élaboration d’un concept introduisant un décalage entre la structure porteuse du projet et les composantes bénéficiaires des financements : celui de « périmètre d’excellence ». Ce « périmètre », qui d’après les termes de l’appel à projets « représente l’ensemble des activités d’excellence mondiale de recherche et de formation définies par l’Idex et ayant un fort effet de structuration sur le site »  [78], ne se confond pas avec le groupement d’établissements désigné comme « porteur » du projet. S’opposant à l’idée de « masse critique », souvent mise en avant comme une condition nécessaire à la visibilité internationale des établissements, les conseillers du pouvoir exécutif défendent au contraire, à travers la notion de « périmètre », une conception beaucoup plus restrictive de l’excellence :

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« Demandez à des universités, grandes écoles et organismes sur un site donné de définir ce qu’il y a de meilleur sur ce site, qui leur appartient ou qui ne leur appartient pas (très courageux comme démarche) de nous dire ce qu’ils pouvaient faire ensemble, y compris en termes d’organisation, de gouvernance, et de présenter ce projet [...]. Moi je ne vois pas comment des grands bidules à 50, 100 000 étudiants vont faire des choses d’excellence. » [79]

54Deux conceptions de l’« excellence » se dessinent donc, l’une appuyée sur la notion de « site », l’autre sur celle de « projet ». La notion de « périmètre d’excellence » mise en avant par la direction du CGI et le pouvoir exécutif traduit une orientation vers les « projets », qui implique la concentration des financements au sein d’un même « site » et donc la hiérarchisation des composantes d’un même campus. Elle se distingue de l’acception plus intégratrice portée par les acteurs ministériels, qui promeuvent une logique de campus. Le changement de vocabulaire qui intervient au printemps 2010 et consacre le label « d’initiative d’excellence » aux dépens de celui de « campus d’excellence » est directement lié à ce débat.

55L’appel à projets Idex publié le 27 septembre 2010 reflète donc le caractère ambigu des objectifs poursuivis à travers lui. Si « la vocation structurante et intégratrice » de l’action est clairement énoncée dans la description du contexte de l’appel à projets, et si la mise en place d’une « gouvernance rénovée » se situe en bonne place parmi les critères d’évaluation des projets, la référence au « périmètre d’excellence » revient elle aussi de manière récurrente pour rappeler, par exemple, que les financements « devront faire l’objet d’un engagement du porteur quant à leur concentration »  [80]. Dès lors, la réinsertion du PIA dans la trajectoire de réforme de l’ESR impulsée depuis la fin des années 1990 ne se limite pas aux indications formelles contenues dans l’appel à projets. En réalité, pour comprendre le poids des représentations ministérielles de « l’excellence », il faut se pencher sur le travail de cadrage opéré par les acteurs du MESR directement auprès des porteurs de projets et des membres du jury Idex.

Accompagner les candidats, orienter les jurys : les usages très encadrés d’un instrument d’action publique

56Au-delà du contenu de l’appel à projets, la fabrique ministérielle des Idex passe par le travail d’encadrement réalisé par les acteurs ministériels, qui entreprennent « d’accompagner » les porteurs de projet et « d’organiser » le travail du jury. Ainsi, la mise en place d’un « gouvernement à distance » par le biais d’un appel à projets compétitif n’exclut pas, dans le cas de l’ESR, une intervention directe du ministère. Loin de se borner à la définition de finalités générales encapsulées dans un instrument d’action publique, l’administration centrale cherche ici également à contrôler la réception et les usages de l’appel à projets Idex. Les acteurs ministériels continuent de s’appuyer pour cela sur des ressources caractéristiques des modalités habituelles de gouvernement du secteur : l’expertise sectorielle et les contacts directs avec les exécutifs universitaires.

57Le travail d’« accompagnement » des candidats, destiné à expliciter les objectifs, le champ d’application, et le calendrier des différents appels à projets, est initié progressivement dès le printemps 2010. Il s’agit pour les acteurs de la coalition réformatrice ministérielle de prolonger le travail de cadrage engagé dans le cadre des activités du comité de pilotage. Dès le mois d’avril 2010, un ensemble de ressources documentaires est mis en ligne à destination des candidats, et en particulier un « glossaire » qui définit sommairement chacune des actions et contient des liens vers des « fiches » par action destinées à en préciser certaines modalités. Le mardi 1er juin 2010, une journée d’information est organisée au ministère à destination des membres de la communauté scientifique. Les différents appels à projets du PIA y sont présentés aux représentants des différents secteurs disciplinaires concernés (« santé bio-tech », « sciences exactes », « sciences humaines et sociales ») en présence de la ministre. Il est frappant de constater qu’alors même que le contenu de l’appel à projets n’a encore fait l’objet d’aucun arbitrage définitif, les Idex y sont présentés succinctement comme la « réunion, selon une logique de territoire, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche déjà reconnus pour leur excellence scientifique et pédagogique »  [81]. On reconnaît ici l’idée de l’excellence comme prérequis, portée par les acteurs ministériels, et la prépondérance de la dimension organisationnelle qui caractérise leur conception des Idex.

58Par ailleurs, les membres de l’équipe projet travaillent dès la mi-juillet à la mise en place d’un dispositif d’« accompagnement stratégique personnalisé »  [82] des candidats. Un document de travail destiné au cabinet souligne les objectifs de « visibilité » et de « légitimité du MESR sur le terrain » ainsi que l’ambition de « connaître les projets en cours et [d’]être en mesure de s’exprimer en amont des choix faits par les acteurs ». Des « réunions de site » sont prévues de manière systématique entre la mi-septembre et la mi-novembre afin « d’apprécier l’adéquation des idées des porteurs de projets aux appels à projets, sans prétendre peser sur les choix stratégiques et la décision des acteurs »  [83]. Il s’agit bien, pour le ministère, de conserver de manière informelle le contrôle du processus de candidature et de cadrer les réponses des candidats dans le sens des regroupements institutionnels.

59En effet, ce dispositif d’accompagnement n’est pas neutre. Il permet au ministère de diffuser, par le biais de documents distribués aux candidats et des conseils qui leur sont prodigués, une certaine conception de l’excellence. Ainsi, un dossier devant permettre de « caractériser » le site et d’aider des porteurs de projets dans leur démarche est monté pour chaque réunion, à la demande de l’équipe projet, qui mobilise pour cela les différents services du ministère. L’équipe projet s’appuie notamment sur les documents STRATER (pour « stratégie territoriale ») élaborés par la mission de l’architecture du SESR et des territoires (MAST) et rassemblant des données sur les différents sites. Elle demande en outre aux services ministériels de produire des documents de synthèse sur les « lignes de force » de chaque site en matière de formation, de recherche et d’innovation. Ces documents qui rassemblent des données variées, allant de l’évaluation des laboratoires aux données relatives à l’insertion professionnelle des étudiants, en passant par la présence de pôles de compétitivité sur le site tendent à construire une image de chacun des sites, qui est d’autant moins neutre qu’elle sera également transmise aux membres du jury Idex. Les comptes rendus de ces réunions montrent que le rôle du MESR à cette occasion va bien entendu au-delà de l’apport d’informations. Qu’il s’agisse de souligner une « bonne idée » de la part des porteurs, ou au contraire de pointer une « lacune », ces réunions permettent au ministère d’orienter les candidatures et de préciser informellement les attentes de l’appel à projets. La dimension institutionnelle apparaît centrale dans les discussions conduites avec les porteurs de projet. À partir de janvier 2011, le dispositif d’accompagnement s’institutionnalise, puisqu’une « cellule d’information et d’accompagnement » est mise en place au sein du MESR, afin de répondre, selon une formule de « guichet unique », aux questions des porteurs de projet.

60Outre l’accompagnement des candidats, le ministère intervient également directement dans le processus de constitution du jury Idex et d’organisation de son travail. Deux logiques contradictoires structurent le choix des membres du jury. Si le passage par une procédure de sélection compétitive irréprochable est unanimement présenté en entretien comme une condition sine qua non de l’acceptabilité du processus, la présence au jury de Thierry Coulhon comme « observateur », mais également de Philippe Gillet, l’ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse, retourné entre-temps à des fonctions académiques à l’École polytechnique de Lausanne, suggère que CGI et MESR n’ont pas renoncé à exercer toute influence sur les travaux du jury. De même, le choix de solliciter des universitaires et chercheurs étrangers, mis en avant comme un moyen d’éviter les conflits d’intérêts au sein du milieu académique français, présente l’avantage de laisser le champ libre aux acteurs administratifs pour guider les travaux du jury. La faible connaissance des enjeux institutionnels français et des aspects techniques et financiers par les membres du jury constitue en effet une opportunité pour les acteurs ministériels qui peuvent ainsi mieux se positionner en pourvoyeur d’expertise. Ainsi, une documentation abondante est fournie aux membres du jury dans le but de les « briefer », ainsi qu’une « grille d’évaluation multicritère », élaborée par l’équipe projet en lien avec le CGI et faisant la part belle aux critères institutionnels  [84]. Une équipe de l’IGAENR, coordonnée par J.-R. Cytermann, se voit en outre confier directement une mission d’analyse financière des projets en amont de la sélection  [85]. Elle peut présenter au jury « des points de vigilance » sur certains dossiers et « proposer des questions qui pourront être posées par les membres du jury durant les auditions ». Enfin, des échanges plus ou moins formels ont lieu entre les acteurs ministériels et le président du jury en amont des travaux. Une rencontre entre la ministre et le président du jury est par exemple organisée le 14 janvier 2011, précédée la veille d’un dîner informel. Le rappel des initiatives ministérielles passées et l’importance de procéder à des « rapprochements entre institutions » et à une « simplification du paysage », constituent les principaux éléments de langage fournis à la ministre  [86].

61Si notre enquête concentrée sur la genèse du dispositif ne permet pas de montrer les appropriations variées dont le dispositif fait l’objet dans la phase qui suit la désignation des lauréats  [87], elle conduit cependant à souligner qu’au-delà de l’instrumentation, entendue comme « le choix et l’usage des outils »  [88], l’intervention du ministère se joue également sur le registre plus traditionnel de l’interaction directe avec les acteurs locaux. Omniprésents dans la phase de conception de l’appel à projets, les acteurs ministériels sont également actifs au moment de sa mise en place concrète et déploient dans ce cadre des ressources caractéristiques d’un mode de régulation sectoriel de l’action publique. Sans préjuger des résultats de ce processus, susceptible de faire l’objet de résistances et de contournements, on peut néanmoins conclure qu’en cadrant à la fois les réponses des candidats et les travaux du jury, l’interventionnisme du ministère est loin de se limiter à la mise en place d’un « gouvernement à distance », qui se fonderait uniquement sur l’exercice d’une contrainte indirecte par le biais d’une mise en compétition des bénéficiaires.

62Comparées aux réformes entreprises en Allemagne ou en Espagne, les politiques « pour l’excellence » telles qu’elles ont été conduites en France se caractérisent par l’importance accordée, dans le choix des lauréats, aux critères organisationnels et liés à la « gouvernance » des sites universitaires, par opposition aux critères liés au contenu et à la qualité scientifique des projets. Cette signification si particulière de « l’excellence » à la française s’explique selon nous par la mobilisation d’une coalition ministérielle réformatrice dans le processus de fabrication du PIA, qui parvient à réinsérer ce programme présenté comme « exceptionnel » dans la trajectoire de réforme graduelle du secteur de l’ESR. La mobilisation d’un faible nombre d’acteurs réformateurs, partageant, au-delà de leurs sympathies politiques respectives parfois contrastées, une même conception des politiques de l’ESR, suggère la constitution d’une « élite programmatique » de l’ESR qui bénéficie avec le grand emprunt d’une opportunité sans précédent pour faire progresser son agenda réformateur. Les initiatives d’excellence participent ainsi d’un mouvement de regroupement institutionnel engagé depuis la fin des années 1990, substituant l’objectif de rationalisation à celui de hiérarchisation défendu par les théoriciens de l’« économie de la connaissance ».

63L’analyse du processus d’élaboration des Idex permet en outre de discuter l’existence de formes nouvelles de centralisation dans la conduite de l’action publique, en lien avec le « tournant exécutif » et le déploiement d’instruments de « gouvernement à distance ». Précisément, nous avons pu montrer que l’adoption de dispositifs de contrainte indirecte, comme la mise en concurrence des destinataires des deniers publics, s’accompagne, dans le cas de l’ESR, d’un renforcement de la capacité du ministère à gouverner les politiques de manière sectorielle. En dépit de leur mise à l’écart initiale, qui laissait présager d’une reconfiguration des rapports de forces entre le MESR et l’exécutif central, les acteurs ministériels ont su s’imposer dans le dispositif de gouvernement des Idex, notamment en pénétrant le dispositif centraliste. Ils ont ainsi pris une part active à la construction des candidatures ainsi qu’à leur évaluation. Contrairement à ce qui se produit dans le cas de la rénovation urbaine étudiée par R. Epstein, la recentralisation s’opère ici au profit d’acteurs ministériels et non d’une agence placée à l’écart des hiérarchies administratives. Cela s’explique notamment par les ressources sectorielles que les acteurs ministériels ont été en mesure de mobiliser, à la fois en termes d’expertise et de contact avec les professionnels de l’ESR, en particulier les exécutifs universitaires. L’ANR reste, s’agissant des Idex, principalement cantonnée à un rôle d’exécutant des orientations prises au niveau ministériel. La transformation des modalités de gouvernement du secteur relève donc davantage d’une hybridation où les dispositifs de « gouvernement par le centre » et les instruments de « gouvernement à distance » sont mis au service d’une politique sectorielle des regroupements universitaires.

64Enfin, cette étude de cas conduit également à souligner, à la suite d’autres travaux, la robustesse institutionnelle du « paradigme napoléonien » et le caractère très graduel de son « renversement »  [89]. Si la mise en place des initiatives d’excellence contribue sans conteste à accentuer la différenciation entre établissements d’ESR, l’objectif de concentration des financements est fortement atténué par la multiplicité des appels à projets qui ont été publiés dans le cadre du PIA. Le financement de « laboratoires d’excellence » en dehors des regroupements labellisés Idex en constitue une première illustration, tout comme les appels à projets I-Site, publiés dans le cadre du PIA 2 sous le quinquennat de François Hollande, qui ont conduit à doter neuf nouveaux groupements universitaires. S’il faut donc se garder de diagnostiquer le « basculement en régime concurrentiel » du secteur de l’ESR, les politiques « pour l’excellence » participent toutefois d’une transformation graduelle du paysage institutionnel et des modalités de régulation de l’ESR. Si le renforcement des capacités ministérielles à gouverner le secteur apparaît nettement à travers l’étude de la genèse du dispositif, il ne correspond pas pour autant à la mise en place d’un gouvernement vertical et descendant des sites universitaires. Les travaux sur la mise en œuvre des Idex montrent en effet le travail de co-construction qui s’opère au moment de l’élaboration des conventions de site, que nous n’avons pas étudiée ici. En définitive, les politiques « pour l’excellence » semblent bien concourir à l’institutionnalisation d’une relation bilatérale entre l’État et les présidents d’université, s’inscrivant donc pleinement dans la trajectoire historique de réforme du secteur de l’ESR, qui se caractérise depuis les années 1980 par l’émergence des universités comme organisations et l’éviction progressive des instances disciplinaires dans le gouvernement des politiques universitaires. Si la création de vingt communautés d’universités et établissements dans le cadre de la loi sur l’ESR de 2013 semble bien participer de l’institutionnalisation des « politiques de site »  [90], la question de l’articulation entre Comues et Idex reste toutefois posée au niveau local. À travers elle se rejouent les difficultés liées aux « injonctions contradictoires »  [91] qui caractérisent les politiques de l’ESR, entre compétition et coopération.


Mots-clés éditeurs : élites programmatiques, enseignement supérieur, centralisation, gouvernement à distance, rationalisation

Date de mise en ligne : 07/09/2018.

https://doi.org/10.3917/rfsp.684.0691

Notes

  • [1]
    Pour deux synthèses récentes, cf. Stephan Leibfried, Évelyne Huber, Matthew Lange, Jonah D. Levy, John D. Stephens (eds), The Oxford Handbook of Transformations of the State, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; Desmond King, Patrick Le Galès (eds), Reconfiguring European States in Crisis, Oxford, Oxford University Press, 2017.
  • [2]
    Philippe Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.
  • [3]
    Philippe Bezes, Patrick Le Lidec, « Politique de la fusion : les nouvelles frontières de l’État territorial », Revue française de science politique, 66 (3), juin 2016, p. 507-541.
  • [4]
    Tom Christensen, « Post-NPM and Changing Public Governance », Meiji Journal of Political Science and Economics, 1 (1), 2012, p. 1-11.
  • [5]
    Martin Lodge, Kai Wegrich (eds), Executive Politics in Times of Crisis, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012.
  • [6]
    Katharine Dommett, Matthew Flinders, « The Centre Strikes Back : Meta-Governance, Delegation, and the Core Executive in the United Kingdom, 2010-14 », Public Administration, 93 (1), 2015, p. 1-16.
  • [7]
    B. Guy Peters, Carl Dahlström, Jon Pierre, Steering from the Centre. Strengthening Political Control in Western Democracies, Toronto, University of Toronto Press, 2011.
  • [8]
    Martin Lodge, Kai Wegrich, « Executive Politics and Policy Instruments », in id. (eds), Executive Politics..., op. cit., p. 118-135.
  • [9]
    Bengt Jacobsson, Jon Pierre, Göran Sundström, Governing the Embedded State. The Organizational Dimension of Governance, Oxford, Oxford University Press, 2015.
  • [10]
    Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; Charlotte Halpern, Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.), L’instrumentation de l’action publique. Controverses, résistances, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.
  • [11]
    Nikolas Rose, Peter Miller, « Political Power Beyond the State : Problematics of Government », The British Journal of Sociology, 43 (2), 1992, p. 173-205.
  • [12]
    Renaud Epstein, « Gouverner à distance : quand l’État se retire des territoires », Esprit, 319, 2005, p. 96-111 ; id., La rénovation urbaine : démolition-reconstruction de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2013 ; id., « La gouvernance territoriale : une affaire d’État. La dimension verticale de la construction de l’action collective dans les territoires », L’Année sociologique, 65 (2), 2015, p. 457-482.
  • [13]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit., p. 304.
  • [14]
    R. Epstein, ibid., p. 239-244.
  • [15]
    R. Epstein, ibid., p. 216.
  • [16]
    Alberto Amaral, V. Lynn Meek, Lars Waelgaard, The Higher Education Managerial Revolution, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 2003.
  • [17]
    Cette hypothèse est d’ailleurs formulée par R. Epstein lui-même, cf. La rénovation urbaine..., op. cit., p. 322. En outre, certains gouvernements ont même fait du « contrôle à distance » un objectif de réforme explicite de l’ESR : Walter Kickert, « Steering at a Distance : A New Paradigm of Public Governance in Dutch Higher Education », Governance. An International Journal of Policy and Administration, 8 (1), 1995, p. 135-157.
  • [18]
    Cet instrument n’étant pas nouveau, la période récente se caractérise moins par son invention que par sa généralisation dans un contexte de baisse des financements récurrents. Cf. Jérôme Aust, « Financer la recherche sur projet : figures historiques d’un dispositif de gouvernement », Genèses, 94 (1), p. 2-6.
  • [19]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit., p. 322.
  • [20]
    Jérôme Aust, Benoît Cret, « L’État entre retrait et réinvestissement des territoires », Revue française de sociologie, 53 (1), 2012, p. 3-33.
  • [21]
    Erhard Friedberg, Christine Musselin, L’État face aux universités. En France et en Allemagne, Paris, Anthropos, 1993 ; Christine Musselin, La longue marche des universités françaises, Paris, PUF, 2001.
  • [22]
    Jérôme Aust, « Le sacre des présidents d’université : une analyse de l’application des plans Université 2000 et Université du troisième millénaire en Rhône-Alpes », Sociologie du travail, 49 (2), 2007, p. 220-236.
  • [23]
    Jérôme Aust, Cécile Crespy, « Napoléon renversé ? Institutionnalisation des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur et réforme du système académique français », Revue française de science politique, 59 (5), octobre 2009, p. 915-938.
  • [24]
    Conférence de presse de M. Nicolas Sarkozy, président de la République, sur les priorités financées par l’emprunt national, à Paris, le 14 décembre 2009, <http://discours.vie-publique.fr/notices/097003634.html>, consulté le 18 janvier 2018.
  • [25]
    William Genieys, Patrick Hassenteufel, « Qui gouverne les politiques publiques ? Par-delà la sociologie des élites », Gouvernement et action publique, 2 (2), 2012, p. 89-115 ; William Genieys, Jean Joana, « Bringing the state elites back in ? Les gardiens des politiques de l’État en Europe et aux États-Unis », Gouvernement et action publique, 3 (3), 2015, p. 57-80.
  • [26]
    Je tiens à remercier chaleureusement Jérôme Aust et Christine Musselin qui ont été à l’initiative de cette enquête et ont contribué, par leur(s) relecture(s), à l’amélioration de cet article, ainsi que les évaluateurs anonymes de la Revue française de science politique pour leurs remarques constructives.
  • [27]
    J. Aust, C. Crespy, « Napoléon renversé... », art. cité.
  • [28]
    Cf. Olivier Baccuzat, « Philippe Séguin sceptique sur l’emprunt », Le Parisien, 24 juin 2009 ; Cécile Crouzel, « La France face au dérapage de ses déficits : les députés UMP ont trouvé un milliard d’économies à réaliser », Le Figaro, 24 juin 2009 ; Lucie Robequain, « À l’Assemblée, les experts des finances publiques expriment leur inquiétude », Les Échos, 24 juin 2009 ; Patrick Roger, «À droite, l’emprunt Sarkozy soulève des interrogations : d’anciens Premiers ministres et des élus mettent en garde contre le risque d’une fuite en avant », Le Monde, 26 juin 2009.
  • [29]
    C’est le nom que prend la direction de la Prévision lorsqu’elle est intégrée à la direction générale du Trésor en 2004.
  • [30]
    Jean-Michel Eymeri, « Frontière ou marches ? De la contribution de la haute administration à la production du politique », dans Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 63.
  • [31]
    Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen, Jean Pisani-Ferry, Les leviers de la croissance française, Paris, La Documentation française, 2007.
  • [32]
    Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques Attali, Paris, XO éditions/La Documentation française, 2008.
  • [33]
    Philippe Aghion, Élie Cohen, Éducation et croissance, Paris, La Documentation française, 2004.
  • [34]
    Rapport de la Commission..., op. cit., p. 37-39.
  • [35]
    P. Aghion, E. Cohen, Éducation et croissance, op. cit., p. 110-111.
  • [36]
    <http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid56024/l-operation-campus-plan-exceptionnel-en-faveur-de-l-immobilier-universitaire.html>, consulté le 20 décembre 2016.
  • [37]
    Bernard Larrouturrou, « Pour rénover l’enseignement supérieur parisien : faire de Paris la plus belle métropole universitaire du monde, c’est possible ! », rapport à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Paris, le 5 octobre 2009 et communiqué de presse de Valérie Pécresse, « Faire de Paris la plus belle métropole universitaire du monde », le 5 octobre 2009, <http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid49135/faire-de-paris-la-plus-belle-metropole-universitaire-du-monde.html>, consulté le 21 décembre 2016.
  • [38]
    Philippe Bezes, « La “mission Picq” ou la tentation de l’architecte : les hauts fonctionnaires dans la réforme de l’État », dans Olivier Nay, Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action publique, Paris, Economica, 2002, p. 111-147.
  • [39]
    E. Friedberg, C. Musselin, L’État face aux universités..., op. cit. ; C. Musselin, La longue marche..., op. cit.
  • [40]
    B. G. Peters et al., Steering from the Centre..., op. cit.
  • [41]
    Entretien commission, Paris, 2 mai 2013.
  • [42]
    Entretien commission, Paris, 2 mai 2013.
  • [43]
    « Investir pour l’avenir : priorités stratégiques d’investissement et emprunt national », rapport de la commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard, p. 57-59, <https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2014/08/rapport_juppe_rocard.pdf>, consulté le 9 mai 2018.
  • [44]
    Entretien cabinet du Premier ministre, Paris, 26 juin 2013.
  • [45]
    Entretien CGI, Paris, 3 mai 2013.
  • [46]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit. ; R. Epstein, « La gouvernance territoriale... », art. cité.
  • [47]
    R. Epstein, La rénovation urbaine..., op. cit., p. 217-226.
  • [48]
    K. Dommett, M. Flinders, « The Centre Strikes Back... », art. cité.
  • [49]
    W. Genieys, P. Hassenteufel, « Qui gouverne les politiques publiques ? », art. cité.
  • [50]
    Christine Musselin, Maël Dif-Pradalier, « Quand la fusion s’impose : la (re)naissance de l’Université de Strasbourg », Revue française de sociologie, 55 (2), 2014, p. 285-318.
  • [51]
    Christine Musselin, La grande course des universités, Paris, Presses de Sciences Po, 2017, p. 36-42.
  • [52]
    En témoigne notamment la présentation qu’il propose des évolutions en cours et des réformes souhaitables du secteur dans le dossier intitulé « Universités et grandes écoles » qu’il a réalisé pour la revue Problèmes politiques et sociaux, 936, mai 2007.
  • [53]
    Réunion de coordination stratégique DGESIP/DGRI, 8 juillet 2009, proposition de compte rendu daté du 24 juillet 2009, archives MESR.
  • [54]
    Réunion de coordination stratégique DGESIP/DGRI, 25 septembre 2009, compte rendu, archives MESR.
  • [55]
    Jean-Richard Cytermann, Bernard Carrière, Claire Giry, « Les PRES aujourd’hui : quelques éléments de réflexion et préconisations », document de travail daté du 20 novembre 2009, 10 p.
  • [56]
    Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, « Développement des PRES et reconfiguration des sites universitaires », rapport à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, signé par Pascal Aimé, Thierry Berthé et Jean-Pierre Korolitski, mars 2010, p. 106-108.
  • [57]
    C. Musselin, La grande course..., op. cit., p. 174.
  • [58]
    J. Aust, « Le sacre des présidents d’université... », art. cité.
  • [59]
    J. Aust, C. Crespy, « Napoléon renversé ? », art. cité, p. 921.
  • [60]
    « Premières réactions DGESIP sur le grand emprunt, rapport de la commission », 20 novembre 2009, archives MESR.
  • [61]
    Note du directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle et du directeur général pour la recherche et l’innovation à Madame la ministre sous couvert de Monsieur Philippe Gillet, directeur de cabinet, n. d., archives MESR.
  • [62]
    Mission d’analyse des systèmes d’enseignement supérieur étranger, « Mémo de synthèse relatif aux propositions de la Commission “Investir pour l’avenir” », 25 novembre 2009, 7 p., archives MESR.
  • [63]
    Comité de pilotage MESR grand emprunt, réunion du 12 janvier 2010, 5 p., archives MESR.
  • [64]
    Comité de pilotage MESR grand emprunt, réunion du 2 février 2010, 1 p., archives MESR.
  • [65]
    Comité de pilotage grand emprunt MESR, Organisation des phases de structuration, accompagnement et évaluation/décision, Paris, le 8 mars 2010, présentation PowerPoint, archives MESR.
  • [66]
    MESR, Grand emprunt, Enseignement supérieur & recherche, comité de pilotage du 16 mars 2010, présentation PowerPoint, 19 diapositives, archives MESR.
  • [67]
    Entretien CGI, Paris, 15 mai 2013.
  • [68]
    Entretien cabinet du Premier ministre, Paris, 26 juin 2013.
  • [69]
    Entretien cabinet MESR, Paris, 10 avril 2013.
  • [70]
    J.-M. Eymeri, « Frontière ou marches ?... », art. cité, p. 47-77.
  • [71]
    R. Epstein, « La gouvernance territoriale... », art. cité.
  • [72]
    D’après les documents dont nous disposons, l’action « campex » prend le nom d’« Idex » (« initiatives d’excellence ») dans le courant du mois de mai 2010.
  • [73]
    Entretien cabinet MESR, Paris, 10 juillet 2013.
  • [74]
    Fiche « Campus d’excellence », présentée par l’équipe projet au comité de pilotage Grand emprunt du 19 janvier 2010, document daté du 16 janvier 2010, 6 p., archives MESR.
  • [75]
    Fiche « Campus d’excellence », présentée par l’équipe projet au comité de pilotage Grand emprunt du 26 janvier 2010, document daté du 24 janvier 2010, p. 6, archives MESR.
  • [76]
    Ibid., p. 8.
  • [77]
    Comité de pilotage MESR Grand emprunt, 25 mai 2010, archives MESR.
  • [78]
    Initiatives d’excellence – Idex, appel à projet publié le 27 septembre 2010, p. 6/16.
  • [79]
    Entretien cabinet du président de la République, Paris, 13 juin 2013.
  • [80]
    Ibid., p. 7/16.
  • [81]
    MESR, « Investissements d’avenir, mode d’emploi : réunion d’information, mardi 1er juin 2010 », archives MESR.
  • [82]
    Bernard Carrière et Claire Giry, « Investissements d’avenir : accompagnement stratégique personnalisé – modalités de mise en œuvre », document daté du 15 juillet 2010, archives MESR.
  • [83]
    MESR, « Investissements d’avenir, accompagnement des projets : 3 septembre 2010 », présentation PowerPoint, archives MESR.
  • [84]
    Cette grille prend le nom de « radar Idex », dont nous disposons de plusieurs versions en projet, archives MESR.
  • [85]
    Projet de compte rendu du comité de pilotage du 18 janvier 2011, archives MESR.
  • [86]
    « Point jury Idex pour entretien avec la ministre », échange de courriels entre les membres de l’équipe projet, 7 janvier 2011, archives MESR.
  • [87]
    De premiers travaux ont commencé à être publiés sur la question. Cf. C. Musselin, La grande course..., op. cit.
  • [88]
    Charlotte Halpern, Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès, « Introduction. L’instrumentation et ses effets. Débats et mises en perspectives théoriques », dans C. Halpern et al., L’instrumentation de l’action publique..., op. cit., p. 17.
  • [89]
    J. Aust, C. Crespy, « Napoléon renversé ? », art. cité.
  • [90]
    C. Musselin, La grande course..., op. cit., p. 197-203.
  • [91]
    C. Musselin, ibid., p. 259.
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