Couverture de RFSP_614

Article de revue

La persistance de l'effet patrimoine lors des élections présidentielles françaises

Pages 659 à 680

Notes

  • [1]
    Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier, « L’effet patrimoine », dans Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier, Gérard Grunberg, Étienne Schweisguth, Colette Ysmal (dir.), France de gauche, vote à droite, Paris, Presses de Sciences Po, 1981, p. 169-227.
  • [2]
    Nonna Mayer, Pascal Perrineau, Les comportements politiques, Paris, Armand Colin, 1992 ; Daniel Boy, Nonna Mayer, « Que restent-ils des variables lourdes ? », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 101-138 ; Bruno Cautrès, « Old Wine in New Bottles ? New Wine in Old Bottles ? Class, Religion and Vote in the French Electorate. The 2002 Elections in Time Perspective », dans Michael S. Lewis-Beck (ed.), The French Voter. Before and After the 2002 Elections, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004, p. 74-92 ; Bruno Cautrès, Anne Muxel, Comment les électeurs font-ils leurs choix ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
  • [3]
    Pour la France, cf. Thomas Piketty, « Income Inequality in France, 1991-1998 », Journal of Political Economy, 111 (5), 2003, p. 1004-1042. Pour les États-Unis, cf. Thomas Piketty, Emmanuel Saez, « Income Inequality in the United States, 1913-1998 », Quarterly Journal of Economics, 118 (1), 2003, p. 1-39.
  • [4]
    Pour un argumentaire semblable dans le cas des États-Unis, voir Michael S. Lewis-Beck, Richard Nadeau, « Economic Voting Theory : Testing New Dimensions », Electoral Studies, 30 (2), 2011, p. 288-294 (accessible en ligne, 19 septembre 2010).
  • [5]
    Élisabeth Dupoirier, « Dynamique de l’espace social et vote », dans Bruno Cautrès, Nonna Mayer (dir.), Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21 avril 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 193.
  • [6]
    B. Cautrès, « Old Wine in New Bottles ?… », cité, p. 88-89.
  • [7]
    B. Cautrès, A. Muxel, Comment les électeurs font-ils leur choix ?, op. cit.
  • [8]
    Dans une étude déjà ancienne de sociologie électorale, G. Michelat et M. Simon ont établi que la détention de patrimoine serait en quelque sorte endogène à une pratique religieuse catholique régulière en concluant que « l’effet de la possession sur le vote, en contrôlant l’intégration religieuse, est plus élevé quand il s’agit de biens de rapport » (Guy Michelat, Michel Simon, « Déterminations socio-économiques, organisations symboliques et comportement électoral », Revue française de sociologie, 26, 1985, p. 32-69).
  • [9]
    Viviane Le Hay, Mariette Sineau, « “Effet patrimoine” : 30 ans après, le retour ? », Revue française de science politique, 60 (5), octobre 2010, p. 869-900.
  • [10]
    Richard Nadeau, Martial Foucault, Michael S. Lewis-Beck, « Patrimonial Economic Voting : Legislative Elections in France », West European Politics, 33 (6), 2010, p. 1261-1277.
  • [11]
    Vladimer O. Key, The Responsible Electorate, New York, Vintage, 1966 ; Anthony Downs, An Economic Theory of Democracy, New York, Harper and Row, 1957.
  • [12]
    A. Downs, ibid., p. 138.
  • [13]
    Vladimer O. Key, Public Opinion and American Democracy, New York, Alfred A. Knopf, 1961.
  • [14]
    Pour une recension des études importantes autour de cette hypothèse, voir Michael Lewis-Beck, Mary Stegmaier, « Economic Models of Voting », dans Russell J. Dalton, Hans-Dieter Klingemann (eds), The Oxford Handbook of Political Behavior, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 518-537.
  • [15]
    Michael S. Lewis-Beck, William G. Jacoby, Helmut Norpoth, Herbert F. Weisberg. The American Voter Revisited, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2008.
  • [16]
    B. Cautrès, A. Muxel, Comment les électeurs font-ils leur choix ?, op. cit.
  • [17]
    André Blais, Elisabeth Gidengil, Richard Nadeau, Neil Nevitte, Anatomy of a Liberal Victory, Peterborough, Broadview Press, 2002.
  • [18]
    Harold D. Clarke, David Sanders, Marianne C. Stewart, Paul Whiteley, Political Choice in Britain, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [19]
    Le patrimoine brut tient compte de l’endettement des ménages.
  • [20]
    Statistiques produites par la Banque de France et l’Insee dans la rubrique Comptes nationaux (base 2000).
  • [21]
    Nathalie Couleaud, Frédéric Delemarre, « Le patrimoine économique national de 1978 à 2007 », Insee Première, 1229, mars 2009.
  • [22]
    Les OPCVM sont des Organismes de placement collectif en valeurs mobilières qui gèrent un portefeuille dont les fonds investis sont placés en valeurs mobilières. Parmi les OPCVM les plus fréquents, on retrouve les actifs financiers de type FCP ou SICAV.
  • [23]
    Céline Blondeau, « Banque, assurance, bancassurance, assurfinance, lignes de partage : une spécificité française ? », Entreprises et histoire, 39, 2005, p. 91-114.
  • [24]
    Marie Cordier, Cédric Houdré, Catherine Rougerie, « Les inégalités de patrimoine des ménages entre 1992 et 2004 », Insee Données sociales, 2006, p. 455-464.
  • [25]
    J. Capdevielle, É. Dupoirier, « L’effet patrimoine », cité.
  • [26]
    R. Nadeau, M. Foucault, M. S. Lewis-Beck, « Patrimonial Economic Voting : Legislative Elections in France », art. cité ; et « Assets and Risk : A Neglected Dimension of Economic Voting », French Politics, 9 (2), 2011, p. 97-119.
  • [27]
    Shlomo Benartzi, Richard H. Thaler, « Myopic Loss Aversion and the Equity Premium Puzzle », The Quarterly Journal of Economics, 110 (1), 1995, p. 73-92 ; Olof Dahlback, « Saving and Risk Taking », Journal of Economic Psychology, 12 (3), 1991, p. 479-500 ; Chi-Fu Huang, Robert H. Litzenberger, Foundations for Financial Economics, New York, Elsevier Science Publishing Company, 1988.
  • [28]
    Luc Arrondel, André Masson, Daniel Verger, « Préférences individuelles et disparités du patrimoine », Économie et statistiques, 374-375, 2004, p. 129-148.
  • [29]
    Cf. R. Nadeau, M. Foucault, M. Lewis-Beck, « Patrimonial Economic Voting : Legislative Elections in France », art. cité ; et « Assets and Risk : A Neglected Dimension of Economic Voting », art. cité. Voir l’étude classique de Herbert McClosky, John Zaller, The American Ethos. Public Attitudes towards Capitalism and Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
  • [30]
    Stéphane Lollivier, « L’Insee et les enquêtes de patrimoine », Économie et statistique, 374-375, 2004, p. 2-7.
  • [31]
    Luc Arrondel, André Masson, Inégalités patrimoniales et choix individuels, Paris, Economica, 2007 ; et Luc Arrondel, Hector Calvo Pardo, « Les Français sont-ils prudents ? Patrimoine et risque sur le marché du travail », Économie et statistique, 417-418, 2008, p. 27-53.
  • [32]
    Francisco Gomes, Alexander Michaelides, « Portfolio Choice and Liquidity Constraints », International Economic Review, 44 (1), 2003, p. 143-177 ; et « Optimal Life-Cycle Asset Allocation : Understanding the Empirical Evidence », Journal of Finance, 60 (2), 2005, p. 869-904.
  • [33]
    Luigi Guiso, Michael Haliassos, Tullio Jappelli, Household Portfolios, Cambridge, MIT Press, 2001.
  • [34]
    Carles Boix, « Partisan Governments, the International Economy and Macroeconomic Policies in OECD Countries, 1964-93 », World Politics, 53 (1), 2000, p. 38-73 ; Alberto Alesina, Howard Rosenthal, Partisan Politics, Divided Government, and the Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
  • [35]
    Dans le cas français, Nadeau, Foucault et Lewis-Beck ont démontré que les électeurs détenteurs de patrimoine risqué sont plus susceptibles de s’opposer à l’intervention de l’État que les électeurs réticents au risque. De manière similaire, ces mêmes électeurs sont moins favorables au socialisme et aux nationalisations mais affichent des préférences pour le marché, les profits et les privatisations. Cf. R. Nadeau, M. Foucault, M. S. Lewis-Beck, « Assets and Risk : A Neglected Dimension of Economic Voting », art. cité.
  • [36]
    La prise en compte de l’aversion au risque en science politique a été utilisée pour expliquer le vote de type « split-ticket voting » (Alberto Alesina, Howard Rosenthal, Partisan Politics, Divided Government, and the Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Walter R. Jr. Mebane, « Coordination, Moderation, and Institutional Balancing in American Presidential and House Elections », American Political Science Review, 94, 2000, p. 37-57), pour expliquer le vote sanction à l’endroit de candidats ambigus (Kenneth A. Shepsle, « The Strategy of Ambiguity : Uncertainty and Electoral Competition », The American Political Science Review, 66, 1972, p. 555-568 ; Larry M. Bartels, « Issue Voting Under Uncertainty : An Empirical Test », American Journal of Political Science, 30, 1986, p. 709-728 ; Alvarez, R. Michael, Information and Elections, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1997), ou encore pour mesurer les préférences des électeurs américains entre 1972 et 1996 dans leurs choix de politiques (Adam Berinsky, Jeffrey B. Lewis, « An Estimate of Risk Aversion in the U.S. Electorate », Quarterly Journal of Political Science, 2, 2007, p. 139-154).
  • [37]
    En 2009, l’encours du livret A atteignait 153 milliards d’euros (contre 75 milliards en 1982), avec une distribution asymétrique des montants déposés sur ce produit d’épargne. En 1998, 26 millions de personnes (55 % des détenteurs) ont déposé 152 € et moins sur leur livret A, 15 millions (32 % des détenteurs) ont déposé entre 152 € et 7 622 € et enfin 5,6 millions de personnes (11,9 % des détenteurs) ont déposé plus de 7 622 €. Au total, l’encours moyen se situait en 2009 à 2 590 €.
  • [38]
    M. Cordier, C. Houdré, C. Rougerie, « Les inégalités de patrimoine des ménages entre 1992 et 2004 », cité.
  • [39]
    V. Le Hay, M. Sineau, « “Effet patrimoine” : 30 ans après, le retour ? », art. cité, p. 885.
  • [40]
    Pour renforcer notre argument, nous avons pu opérationnaliser pour l’année 1988 une variable supplémentaire pour le patrimoine de risque. L’enquête 1988 ajoutait une question pertinente formulée ainsi : « Vous-même ou un membre de votre foyer, avez-vous acheté des actions privatisées ? » Nous avons codé les réponses sous forme de variable dichotomique prenant la valeur 1 (Oui, une société / Oui, deux sociétés / Oui, trois sociétés) et la valeur 0 (Non, aucune). De cette manière, nous étions en mesure d’isoler un actif risqué (actions de sociétés privatisées) par rapport à l’ensemble des valeurs mobilières que les électeurs pouvaient détenir. L’exploitation de cette variable supplémentaire fait augmenter substantiellement l’effet patrimoine risqué sur le vote de droite en 1988, caractérisé par une hausse significative du coefficient associé à cette variable qui passe alors de 1,29 (voir tableau 4, colonne 2) à 1,56.
  • [41]
    Lors du débat politique télévisé du mercredi 2 mai 2007 entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, ce dernier avait déclaré : « Mon ambition, ce serait de faire de la France un pays de propriétaires. Il y a un Français sur deux qui sont propriétaires de leur logement, il y a 80 % d’Espagnols qui sont propriétaires de leur logement, il y a 76 % des Anglais qui sont propriétaires de leur logement. Il y a 12 millions de familles françaises qui aimeraient être propriétaires et ne le sont pas ».
  • [42]
    Un lecteur attentif pourrait s’interroger sur les conditions à partir desquelles nous nous autorisons à comparer des coefficients estimés d’une élection à l’autre. Certains auteurs ont préféré « pooler » les données d’élections présidentielles (Gregory B. Markus, « The Impact of Personal and National Economic Conditions on Presidential Voting, 1956-88 », American Journal of Political Science, 36, 1992, p. 829-834). Dans notre analyse, nous avons de bonnes raisons de traiter distinctement ces quatre études en raison de leurs différences en termes d’échantillon, de date de questionnaire, d’instrumentation et surtout de violation possible de l’hypothèse de pooling (à savoir une pente à l’origine similaire d’une élection à l’autre). D’une part, notre décision s’appuie sur le fait qu’il s’agit de coefficients non standardisés issus d’une régression non linéaire (logit estimates) réduisant les risques d’un biais liés aux effectifs ; et d’autre part, l’écart-type de la variable dépendante est semblable pour les quatre élections pour une structure estimée identique.
  • [43]
    Le principe général d’une mesure de l’effet total s’appuie sur un modèle récursif fondé sur une causalité unidirectionnelle et une absence de corrélation des erreurs entre équations. Nous suivons en ce sens la démarche de David Kaplan, Structural Equation Modeling. Foundations and Extensions, Thousand Oaks, Sage, 2000.
  • [44]
    Trond Petersen, « A Comment on Presenting Results from Logit and Probit Models », American Sociological Review, 50, 1985, p. 130-131.
  • [45]
    Bennet A. Zelner, « Using Simulation to Interpret Results from Logit, Probit, and Other Nonlinear Models », Strategic Management Journal, 30 (12), 2009, p. 1335-1348.
  • [46]
    Car ln (p/1-p) = ln (0,5/1-0,5) = 0.
  • [47]
    ?i est le coefficient estimé issu d’une régression logistique du vote à droite expliquée par différentes variables de contrôle et le positionnement idéologique.
  • [48]
    ?j est le coefficient estimé de l’effet de la possession de valeurs mobilières sur le vote. Les coefficients sont présentés dans la partie B du tableau 5.
  • [49]
    Il est important de souligner ici que l’absence de significativité des coefficients liés à la détention de patrimoine non risqué en 1988, 1995 et 2002 implique que la possession de patrimoine risqué domine l’effet patrimoine, à l’exception de l’élection 2007 où nous avons pris en compte le patrimoine non risqué (car significatif).
  • [50]
    Cf. chapitre 3, dans Richard Nadeau, Éric Bélanger, Michael S. Lewis-Beck, Bruno Cautrès, Martial Foucault, Les élections présidentielles. Le vote des Français de Mitterrand à Sarkozy, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.
  • [51]
    Voir notamment les travaux de Lewis-Beck et Nadeau sur l’élection américaine de 2008 : Michael S. Lewis-Beck, Richard Nadeau, « Economic Voting Theory : Testing New Dimensions », Electoral Studies, 30 (2), 2011, p. 288-294.
  • [52]
    Nous remercions le Centre de données socio-politiques de Sciences Po Paris pour la mise à disposition des données d’enquêtes utilisées dans cet article. Nous remercions également nos assistants de recherche Angelo Elias et Thomas Didier pour leur collaboration à ce projet. Les auteurs ont bénéficié du soutien financier du Fonds France-Canada pour la recherche (2010-2012). Enfin, nous remercions les évaluateurs de la RFSP pour les suggestions d’amélioration apportées à cet article.

1Dans une étude pionnière, Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier [1] mettaient à jour il y a une trentaine d’années l’existence d’un effet patrimoine expliquant de façon significative le comportement électoral des Français à l’occasion des élections législatives de 1978. La conclusion générale de ces auteurs est que la propriété d’actifs – mobiliers et immobiliers – accroît de façon distincte la disposition d’un électeur à appuyer un parti de droite.

2L’apport de cette étude se situe à plusieurs niveaux. Au niveau théorique d’abord. Les auteurs de cet ouvrage soulignent l’importance de tenir compte à la fois du revenu et des actifs détenus pour rendre compte de façon adéquate de la situation matérielle des ménages. Au chapitre de l’analyse politique ensuite. Les résultats présentés montrent que la possession d’un patrimoine diversifié exerce un impact autonome sur le vote au-delà des variables lourdes – classe, occupation, revenu, religion et idéologie – (Nonna Mayer et Pascal Perrineau ; Daniel Boy et Nonna Mayer ; Bruno Cautrès ; Bruno Cautrès et Anne Muxel [2]) qui tendent à structurer le comportement électoral des Français. Finalement, cette innovation, et c’est là le caractère d’une véritable percée scientifique, frappe par son aspect prémonitoire. L’ampleur et la diversité des portefeuilles d’actifs des ménages se sont accrues de façon notable dans les économies développées depuis quelques décennies. Plusieurs travaux d’économistes ont documenté cette tendance [3]. L’utilisation d’indicateurs permettant de mesurer ce phénomène et d’en évaluer l’effet sur les comportements politiques est donc plus pertinent que jamais [4].

3Malgré sa portée, l’étude de l’effet patrimoine a suscité moins d’intérêt récemment, du moins en France. Élisabeth Dupoirier, par exemple, suggère dans une étude récente que l’effet patrimoine ne contribue pas de façon significative à l’explication du vote en 2002 lorsque l’on tient compte simultanément de l’occupation des individus [5]. Bruno Cautrès présente l’association entre le patrimoine et le vote présidentiel lors de ce même scrutin sans la commenter [6]. Dans un excellent ouvrage collectif sur l’élection présidentielle de 2007 [7], la question de l’effet patrimoine n’est pas abordée [8]. Cette baisse d’intérêt s’est aussi accompagnée d’un déclin sensible de la place accordée à ce concept dans les enquêtes électorales françaises. Alors que l’étude de 1978 comprenait neuf indicateurs du patrimoine, celle de 2007 n’en comptait que quatre, dont un seul – la propriété d’actions – permet de mesurer la possession d’un patrimoine dit de risque. Ce déclin d’intérêt académique pour l’effet patrimoine est d’autant plus paradoxal que la richesse des Français s’est accrue sous des formes variées et de plus en plus complexes. Toutefois, Viviane Le Hay et Mariette Sineau ont renoué avec l’approche originelle de Jacques Capdevielle en étudiant l’effet patrimoine lors des élections présidentielles françaises de 2007 en menant une analyse descriptive des comportements politiques des possédants et des non possédants et en mesurant les chances de voter pour Nicolas Sarkozy selon le niveau de patrimoine détenu [9]. Cette étude importante confirme l’existence de l’effet patrimoine observé par Nadeau, Foucault et Lewis-Beck [10] lors des élections législatives de 1978, 1988 et 2002, et propose de raffiner la mesure de la richesse en distinguant la richesse revenus de la richesse patrimoine. Les résultats des deux auteurs confirment l’existence d’un effet patrimoine sur un ensemble d’attitudes politiques (participation, positionnement partisan, vote Nicolas Sarkozy et intérêt pour la politique). Leur démarche repose cependant sur l’ajout du patrimoine comme variable explicative sans proposer de justification théorique permettant d’expliquer le lien entre les stratégies patrimoniales et le vote présidentiel. En dépassant l’analyse bi-variée de l’étude originelle de 1978 et en suggérant une nouvelle typologie des actifs patrimoniaux, cet article propose d’ouvrir un débat théorique et empirique autour de mesures pertinentes de l’effet patrimoine et ainsi réviser les travaux originels portant sur la relation entre la détention d’un patrimoine et le vote.

4L’objectif général de cet article est de montrer que l’effet patrimoine constitue encore aujourd’hui une dimension importante du comportement électoral en France. L’emploi de mesures comparables permet même de croire que cet effet, loin de s’être résorbé, a peut-être gagné en importance au cours des récentes élections présidentielles françaises. Bien que notre approche théorique (patrimoine risqué et non risqué) et empirique (prise en compte des élections présidentielles de 1988, 1995, 2002 et 2007) diffère de celle retenue par Viviane Le Hay et Mariette Sineau, nos résultats confirment que l’effet patrimoine s’impose comme une variable toujours aussi « lourde » de la sociologie électorale française. Il pourrait être opportun dans ce contexte de remettre cette variable au premier plan dans les futures enquêtes électorales en France et de renouveler le traitement théorique et empirique de sa mesure.

5La première partie du texte rappelle comment la prise en compte du patrimoine s’inscrit dans la littérature consacrée au vote économique. La deuxième partie présente l’évolution du patrimoine en France. La troisième propose une distinction du patrimoine au regard du niveau d’aversion pour le risque des détenteurs de patrimoine. La démarche méthodologique est énoncée dans une quatrième partie. La cinquième analyse les effets du patrimoine sur le vote à droite en France depuis les élections présidentielles de 1988. Enfin, la sixième partie, dédiée à l’élection présidentielle de 2007, démontre empiriquement l’importance de l’effet patrimoine malgré l’affaiblissement de la mesure du patrimoine dans l’enquête électorale française.

Vote économique

6Depuis les travaux fondateurs de Downs et Key dans les années 1950 et 1960 [11], le vote économique a connu plusieurs raffinements et extensions autour de deux familles de modèles : le vote prospectif et le vote rétrospectif. Le premier, défendu par Downs, admet que l’électeur-citoyen « envisage les élections uniquement comme un moyen de sélectionner le gouvernement le plus avantageux pour lui. Chaque citoyen évalue l’utilité qu’il pense que chaque parti lui apporterait s’il était au pouvoir dans le futur. […] Il vote pour le parti qui lui assurerait le niveau d’utilité le plus élevé » [12]. Ici, le vote a donc clairement une dimension prospective puisque les électeurs votent pour le candidat censé leur assurer le maximum d’utilité dans le futur. À l’inverse, le modèle rétrospectif développé par Vladimer O. Key, prend le contre-pied du modèle de Downs en essayant de trouver une alternative aux coûts d’information élevés que les électeurs devraient supporter pour évaluer prospectivement les bénéfices futurs d’un gouvernement élu. C’est pourquoi, Key met l’accent sur l’évaluation par les électeurs du bilan passé des gouvernants en précisant que « les électeurs, dans leur colère, mettent les polissons à la porte » [13].

7La formulation originelle du paradigme du vote économique repose sur l’arbitrage entre sanction et récompense par les électeurs de la politique économique des gouvernements. Une multitude de travaux a cherché à tester cette hypothèse de l’influence des conditions générales de l’économie sur le résultat électoral du candidat sortant [14]. Pour cela, deux sous-hypothèses supplémentaires traversent la littérature : la première consiste à savoir si l’électeur vote en faveur d’un candidat sortant dès lors que sa position économique personnelle s’est améliorée (vote égotropique) et la seconde privilégie un vote pour le candidat sortant si la situation économique pour l’ensemble de la société s’est améliorée (vote sociotropique).

8Le bilan des études empiriques ayant testé ces quatre formes de modèles économiques dans différents pays et contextes institutionnels fourmille de résultats convergents vers la domination du vote rétrospectif sociotropique. Comme l’objet de cet article n’est pas de faire une recension de ces modèles, nous soulignerons seulement les difficultés reliées à la sélection et à la mesure de la position économique des électeurs dans le cadre de l’estimation du modèle rétrospectif égotropique. Très souvent, les travaux empiriques ont privilégié le revenu individuel (ou celui du ménage) comme variable caractérisant la situation matérielle des électeurs. Or, la variable revenu se révèle souvent décevante dans les analyses statistiques menées notamment aux États-Unis [15], en France [16], au Canada [17] ou encore au Royaume-Uni [18], car elle ne constitue pas une variable lourde déterminante du choix des électeurs. Derrière cet échec, peu de chercheurs ont tenté d’explorer d’autres pistes pour mesurer et caractériser la richesse d’un électeur qui peut dépasser son seul revenu du travail. C’est pourquoi, notre argument consiste à prendre en considération la richesse sous un nouvel angle, celui de la possession d’actifs de patrimoine.

Mesures du patrimoine

9Le patrimoine mesure la possession d’actifs financiers et non financiers détenus par les secteurs institutionnels. En règle générale, la mesure du patrimoine se limite aux ménages, sociétés non financières, sociétés financières et aux administrations publiques. Dans notre article, nous nous concentrerons seulement sur le patrimoine des ménages. Le patrimoine (ou richesse) brut [19] inclut la résidence principale, l’immobilier de rapport (qui génère un revenu foncier), les actifs financiers et les actifs professionnels. L’observation dans le temps de la répartition du patrimoine par secteur institutionnel [20] révèle une lente décroissance de la part du patrimoine des ménages dans la richesse nationale française. En effet, la figure 1 (courbe en pointillé, échelle de droite) indique qu’en 1978, plus de 38 % du patrimoine économique national était détenu par les ménages, contre 33 % en 2008. Ce mouvement s’accompagne d’une autre tendance plus récente et structurelle : la montée en puissance, à partir du début des années 2000, des actifs non financiers dans le patrimoine des ménages. Autrement dit, l’accession à la propriété et la possession de terrains représentent l’essentiel des actifs non financiers. La valeur de ce patrimoine a également substantiellement augmenté puisqu’il représente 7,5 années de leur revenu disponible en 2007 contre 4,4 années en moyenne sur la période 1978-2007 [21]. Évidemment, cette envolée de la valeur du patrimoine non financier tient davantage à la revalorisation du marché de l’immobilier et du prix du foncier observé depuis le début des années 2000 qu’à une augmentation brute de biens immobiliers.

Figure 1

Évolution de la répartition du patrimoine des ménages français

Figure 1

Évolution de la répartition du patrimoine des ménages français

Source: Insee, comptes nationaux (base 2000)

10Durant la même période, les préférences des Français pour des placements financiers se maintiennent à un taux annuel moyen de croissance d’environ 8 %, malgré les deux chocs économiques survenus en 2001 (bulle spéculative technologique) et 2008 (bulle spéculative immobilière). Parmi les stratégies d’accumulation de patrimoine financier, les Français privilégient nettement deux formes d’actifs : les actifs non risqués (dépôts et numéraire sous forme de livrets d’épargne ou comptes courants, assurance-vie) et les actifs risqués (parts d’entreprise, actions et titres OPCVM [22]). En l’espace de 30 ans, la détention d’actions et de titres reste la stratégie d’acquisition patrimoniale la plus fluctuante (figure 2) mais globalement attractive pour les ménages français. Bien que l’assurance-vie soit en 2008 le placement financier préféré des Français (devant les dépôts), le niveau de risque associé à cet actif se démarque profondément des actions et titres car la gestion de tels actifs est confiée à des organismes spécialisés dont l’objectif est de garantir un rendement pour un risque faible ou modéré. La déréglementation et le décloisonnement du marché financier français à partir de 1984 et des politiques fiscales de plus incitatives au cours des années 1990 ont contribué au succès de ce placement [23].

Figure 2

Comparaison du patrimoine financier et non financier des ménages, France

Figure 2

Comparaison du patrimoine financier et non financier des ménages, France

11Au final, la valeur moyenne de la richesse ainsi mesurée en France en 2004 s’élevait à 220 500 euros et la valeur médiane atteignait à 118 000 euros. La distribution de ce patrimoine est caractérisée par une forte inégalité, puisque le patrimoine brut des 10 % des ménages les moins riches en termes de patrimoine est inférieur à 2 110 euros, alors que celui des 10 % les plus riches est supérieur à 450 060 euros. En termes de concentration des richesses, près de la moitié de la richesse française (46 %) étant détenue par 10 % des ménages [24].

12Cette présentation succincte de la valeur du patrimoine des Français et de sa réparation entre actifs financiers et non financiers ne donne pas d’indication précise sur les ressorts explicatifs de la composition du patrimoine selon les caractéristiques des ménages. Si la définition comptable du patrimoine est ancienne, l’observation qualitative du patrimoine détenu par les ménages est quant à elle plus récente. Elle remonte au milieu des années 1980 avec l’enquête Insee sur les « actifs financiers » de 1986 dont l’objectif consistait à mesurer les taux de possession des ménages dans les différents actifs financiers et de comprendre les mécanismes de formation des patrimoines. Depuis cette première enquête, l’Insee a répliqué les mêmes dispositifs en les enrichissant en 1991-1992, 1998, 2004 et 2009-2010 (en cours de réalisation). À partir de l’enquête 2004 (la plus récente), il est possible de dresser un portrait exhaustif de la distribution du patrimoine en France selon la prise en compte de paramètres sociaux, démographiques et psychologiques. Mais la dimension politique est toujours absente des enquêtes qualitatives de l’Insee sur le patrimoine. Seules les enquêtes électorales Cevipof ont intégré, certes de manière de moins en moins étoffée au cours du temps, la dimension patrimoniale dans la caractérisation matérielle des répondants.

13Finalement, l’évolution du patrimoine français est marquée par une accélération de sa valeur au milieu des années 1990 (sous l’impulsion d’une hausse des terrains et des contrats d’assurance-vie). Mais, paradoxalement, c’est à partir de l’élection présidentielle de 1995 que le dispositif d’enquête Cevipof réduit le nombre de questions posées sur la mesure du patrimoine pour finalement ne retenir que quatre questions dans l’enquête 2007. Le tableau 1 offre un aperçu de l’évolution du dispositif de questions portant sur le patrimoine posées lors des enquêtes du Cevipof à l’occasion des quatre dernières élections présidentielles.

Tableau 1

Érosion des questions mesurant le patrimoine

Tableau 1
1988 1995 2002 2007 Nature de patrimoine possédé : Livret A (à la Caisse d’épargne, à la Poste) ? ? ? ? Compte ou livret d’épargne-logement ? ? Propre logement ? ? ? ? Résidence secondaire ? ? ? ? Entreprise, fonds de commerce ou terres ? ? ? Valeurs mobilières (actions, sicav…) ? ? ? ? Biens immobiliers de rapport ? ? ?

Érosion des questions mesurant le patrimoine

14La complexité des stratégies d’accumulation de patrimoine des Français depuis 30 ans plaide en faveur d’un traitement statistique plus approfondi de cette question, en tenant compte par exemple des déterminants individuels d’épargne et des données de contexte macroéconomique dans des analyses multi-niveau.

Variétés de patrimoine et aversion au risque

15Il existe plusieurs mesures possibles du patrimoine. Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier [25], par exemple, ont privilégié le patrimoine de rapport et mené leurs principales analyses à l’aide d’une échelle mesurant le nombre de catégories d’actifs détenus par les foyers. Cette stratégie de mesure présente certains avantages, notamment celui de tenir compte de la composition plus ou moins diversifiée des éléments du patrimoine familial. Plus récemment, Virginie Le Hay et Mariette Sineau ont amendé cette mesure de la diversification du patrimoine en combinant l’effet richesse et l’effet patrimoine à l’aide d’un indicateur de niveau de vie permettant de discriminer les individus en deux catégories : ceux au-dessus d’un seuil de pauvreté (fixé à 900 euros) et ceux situés en-dessous de ce seuil. Cette classification permet d’observer la distribution des éléments de patrimoine pour chacune de ces deux catégories économiques. Même si la démarche est ainsi plus robuste pour l’estimation de l’effet patrimoine tout en contrôlant l’effet revenu (individuel), cette combinaison ne permet toutefois pas d’élaborer la logique ou la stratégie d’accumulation patrimoniale. Cette approche équivaut à supposer intuitivement un lien entre le comportement électoral et niveau de patrimoine détenu sans en déterminer les fondements théoriques. Dans une série d’études récentes portant sur les élections législatives et présidentielles françaises, Richard Nadeau, Martial Foucault et Michael Lewis-Beck [26] ont proposé une théorie des choix d’accumulation de patrimoine en exploitant la distinction entre les types de patrimoine selon le niveau de risque et les coûts d’information associés à chacun d’eux. Les actifs correspondant à une stratégie d’accumulation patrimoniale plus risquée, comme la propriété d’une entreprise ou de valeurs mobilières (actions, obligations, etc.), produisent des rendements plus incertains et entraînent pour leurs détenteurs des coûts d’information relativement élevés pour en assurer la gestion [27]. Le patrimoine dit à faible risque, comme la propriété d’un logement ou d’une résidence ou la détention d’un livret d’épargne, ne pose pas les mêmes exigences de vigilance et de collecte d’information et donc d’accès chez ses détenteurs.

16La distinction entre le patrimoine dit à faible risque, mesuré par la propriété d’un livret d’épargne, du logement (maison ou appartement) familial ou d’une résidence secondaire, et le patrimoine dit à risque élevé, mesuré par la propriété d’une entreprise, de valeurs mobilières ou de biens immobiliers de rapport paraît bien fondée d’un point de vue théorique. Des analyses portant sur les sondages menés lors des élections présidentielles (1988, 1995 et 2002) et législatives (1978, 1988, 2002) pour lesquels ces informations sont disponibles confirment l’intérêt de cette distinction. Conformément aux attentes, les détenteurs des deux types de patrimoine présentent des profils différenciés [28] et affichent des attitudes différentes envers le rôle de l’État [29].

17Dans le travail initial de Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier, l’orientation partisane est reliée à la structure du patrimoine des électeurs selon un double effet : 1/ un effet d’alignement entre « richesse » et sympathie partisane de droite et « pauvreté » et sympathie partisane à gauche ; 2/ un effet de sympathie à gauche pour les non-possédants de patrimoine. Toutefois, il n’est pas possible d’en déduire une relation stable entre vote et patrimoine car l’approche méthodologique retenue par les auteurs s’en tient à une répartition en pourcentage des détenteurs de patrimoine selon le vote au premier tour de l’élection législative de 1978. Une alternative méthodologique consiste à mesurer l’effet marginal sur le vote de la possession de tel ou tel attribut de patrimoine, pris isolément ou par combinaison. En effet, il n’existe pas, à notre connaissance, dans la littérature un cadre théorique justifiant de combiner vote et patrimoine ou d’établir un lien causal entre un phénomène politique et une situation économique.

18Pour combler cette lacune, nous proposons de discriminer le patrimoine déclaré des électeurs en deux catégories : patrimoine risqué et patrimoine non risqué. Cette distinction n’est pas nouvelle. Elle est désormais intégrée dans les enquêtes Insee sur le patrimoine des ménages français [30]. La logique théorique – inspirée par les travaux des micro-économistes sur les stratégies d’accumulation patrimoniale – consiste à associer aux choix d’épargne (et donc de constitution de patrimoine) des préférences individuelles pour le risque. Le principal résultat observé par plusieurs économistes [31] sur les données françaises admet que le taux d’accumulation des ménages les plus « risquophiles » est plus faible : les ménages les plus « risquophiles » (ceux appartenant aux quartiles de la population la plus aventureuse) détiendront un patrimoine global (respectivement financier) inférieur de 20 % à celui des autres. Ce lien entre préférence pour le risque et stratégie d’accumulation patrimoniale revient à reconnaître que les individus les plus réticents au risque optent en priorité (toutes choses égales par ailleurs) pour des formes de patrimoine les moins risqués en termes de rendement. Par exemple, détenir un livret d’épargne ou un livret Codevi (produit fortement réglementé) ne constitue pas une prise de risque puisque le rendement est garanti et connu. À l’inverse, constituer un patrimoine à partir de valeurs mobilières (titres ou actions boursières) implique une prise de risque plus importante non seulement sur l’espérance de rendement mais aussi sur le coût d’information lié à la connaissance de tels produits financiers. Ainsi, Francisco Gomes et Alexander Michaelides [32] ont démontré que l’existence de coûts de suivi ou de transaction liés à la gestion de tels actifs – coûts d’information et/ou de qualification et coûts en temps nécessaire pour gérer efficacement un portefeuille – pouvaient expliquer la décision de ne pas investir dans des actifs risqués. En combinant ce résultat à la structure socioéconomique des ménages, Luigi Guiso, Michael Haliassos et Tullio Jappelli [33] montrent que les ménages les moins riches et les plus réticents au risque sont susceptibles de renoncer à détenir de tels actifs.

19L’apport de notre démarche est d’établir une relation entre le vote et la nature du patrimoine détenu, lui-même caractérisé par le degré d’aversion au risque des épargnants. Le comportement électoral ne peut pas être simplement expliqué par la variété du patrimoine possédé. En effet, un patrimoine diversifié ne fournit pas d’indication particulière sur le vote. En revanche, l’aversion au risque est susceptible d’orienter les choix de patrimoine. Dans le même temps, le vote pour un parti politique est déterminé par la préférence pour le risque via l’identification de valeurs associées au risque. Cela revient à dire qu’un électeur disposant d’un patrimoine « risqué » est plus susceptible de voter à droite en raison des valeurs de « marché » et « d’entrepreneuriat » sous-jacentes à la prise de risque pour augmenter le rendement d’un actif patrimonial qu’un électeur de gauche. Plusieurs auteurs [34] ont déjà mis en évidence que les gouvernements de droite ont tendance à favoriser les politiques de libéralisation et déréglementation des marchés plutôt que des solutions interventionnistes, pour se rapprocher des préférences des électeurs de droite [35]. Les solutions de marché ont la faveur des investisseurs ou épargnants « risquophiles » car ces derniers peuvent anticiper des structures concurrentielles du marché une espérance de rendement plus élevé.

20Les données d’enquête mobilisées pour cet article ne nous permettent pas de mesurer formellement [36] l’aversion au risque des répondants mais il nous est possible d’associer aux deux formes de patrimoine les dispositions des électeurs à voter à droite selon qu’ils accordent une confiance au marché et des électeurs à voter à gauche selon qu’ils préfèrent des formes garanties et encadrées de placements financiers.

Méthodologie

21Qu’en est-il de l’effet de la propriété de ces deux types de patrimoine sur le positionnement idéologique des répondants et sur leurs choix électoraux ? Cet impact a-t-il décliné avec le temps ?

22Avant de répondre à ces questions, nous allons présenter brièvement les données mobilisées, les variables retenues et la démarche statistique pour procéder aux analyses de régression. L’intérêt de raisonner sur plusieurs élections présidentielles tient à notre objectif initial, à savoir celui de capter une possible persistance de l’effet patrimoine au cours des vingt dernières années en France. Comme nous l’avons rappelé précédemment, le dispositif d’enquête du Cevipof a substantiellement évolué en restreignant le nombre de questions posées sur la possession de patrimoine. En conséquence, nous avons adopté une approche la plus extensive possible en retenant six indicateurs communs de patrimoine détenu pour les élections de 1988, 1995 et 2002, puis limité notre analyse à quatre indicateurs pour l’élection de 2007. Le tableau 2 présente la distribution des réponses aux quatre enquêtes Cevipof menées après l’élection présidentielle. Il est intéressant de remarquer une certaine stabilité de la distribution des actifs possédés, à l’exception du livret d’épargne. Pour comprendre cette évolution qui pourrait laisser croire à un désintérêt pour le produit d’épargne préféré des Français [37], il est nécessaire de prendre en considération la nature des questions formulées en 1988 et 2007. En effet, les enquêtes de 1988 et 1995 demandent aux répondants s’ils possèdent « un livret de Caisse d’épargne ou un compte sur un livret », alors que les enquêtes de 2002 et 2007 modifient la question en demandant si les personnes possèdent « un livret A à la Caisse d’épargne ou à la Poste ». Même s’il s’agit à chaque fois de mesurer le pourcentage de personnes détenant un compte d’épargne réglementé, les enquêtes de 2002 et 2007 ont de facto exclu les répondants disposant d’un livret d’épargne non localisé à la Caisse d’épargne et à la Poste (l’autre établissement étant le Crédit mutuel) et écarté les personnes disposant d’un livret d’épargne de type logement ou livret jeune. Pour ces raisons, la variation (tableau 2) de 80 à 58 % de détenteurs de livret d’épargne reflète davantage un biais de formulation de questionnement que d’une tendance représentative de l’évolution des détenteurs de livret A en France. Car, comme le rappellent Marie Cordier, Cédric Houdré et Catherine Rougerie [38], le taux de détention de livrets d’épargne oscille entre 80 et 85 % depuis 1986 malgré des rendements variables.

Tableau 2

Distribution de la détention de patrimoine (en pourcentage des personnes déclarant posséder un des éléments de patrimoine)

Tableau 2
1988 1995 2002 2007 Livret d’épargne* 80 78 61 58 Logement 58 59 60 68 Résidence secondaire 10 9 11 10 Biens immobiliers de rapports 10 12 9 – Valeurs mobilières 29 29 23 21 Entreprise, fonds de commerce ou terres 19 16 11 Observations 3 974 3 996 4 025 4 006 Source : Enquêtes Cevipof. Note : 80 % des personnes interrogées en 1988 déclarent posséder un livret d’épargne, contre 58 % en 2007. * Pour les années 1988 et 1995, il s’agit de toute forme de livrets d’épargne et pour les années 2002 et 2007 du livret A.

Distribution de la détention de patrimoine (en pourcentage des personnes déclarant posséder un des éléments de patrimoine)

23La prise en compte dans le temps de la possession d’actifs de patrimoine et le positionnement gauche/droite est riche d’enseignements. Tout d’abord, le livret d’épargne et la propriété d’un logement principal (qui constituent la forme la plus fréquente de patrimoine) ne permettent pas à première vue (tableau 3, partie A) de dégager une tendance lourde de positionnement partisan lors du vote présidentiel. Parmi les personnes possédant un livret d’épargne et un logement, on observe une légère domination d’électeurs ayant voté à droite entre 1988 et 2007. Par exemple, en 1988, parmi les électeurs ayant accordé leur suffrage à un candidat de droite, 85 % d’entre eux étaient titulaires d’un livret A (contre 82 % pour les partisans de gauche). Mais si nous changeons de focale (tableau 3, partie B) en étudiant la répartition des voix selon la possession de livret A, nous remarquons que, parmi les détenteurs d’un livret A, 46 % d’entre eux ont soutenu un candidat de droite, et seulement 41 % de ceux qui ne disposaient pas d’un tel produit d’épargne ont voté à droite (contre 59 % à gauche). Si la victoire de François Mitterrand en 1988 fournit une première explication à cette tendance, la victoire de Jacques Chirac en 2002 suggère que les épargnants ayant voté à gauche au premier tour de cette élection étaient proportionnellement plus élevés que la part d’électeurs détenteurs d’un livret A ayant soutenu un candidat de droite victorieux en 1995 et 2007. Autrement dit, la détention d’actifs non risqués offre une plus grande volatilité dans le positionnement gauche/droite que le patrimoine risqué.

Tableau 3

Distribution des détenteurs de patrimoine risqué et non risqué entre 1988 et 2007

Tableau 3
A – Propriété d’actifs chez les électeurs de gauche et de droite (en pourcentage) Livret* Logement Biens immobiliers de rapport Valeurs mobilières Gauche Droite Gauche Droite Gauche Droite Gauche Droite 1988 82 85 56 67 7 16 13 28 1995 80 81 59 64 10 15 26 34 2002 64 65 60 64 9 13 23 35 2007 56 60 65 71 – – 15 26 B – Vote pour la droite au premier tour des élections présidentielles (en pourcentage) Livret* Logement Biens immobiliers de rapport Valeurs mobilières Ensemble Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui 1988 41 46 39 50 43 64 39 59 45 1995 55 56 53 58 54 66 53 62 56 2002 44 46 42 47 44 56 42 56 46 2007 57 62 55 62 – – 56 72 60 Source : Enquêtes Cevipof. * Livret d’épargne en 1988 et 1995 et livret A en 2002 et 2007.

Distribution des détenteurs de patrimoine risqué et non risqué entre 1988 et 2007

24Pour étayer ce résultat, il suffit d’observer dans le tableau 3 la distribution des détenteurs de valeurs mobilières et de biens immobiliers de rapport et la comparer avec les actifs des électeurs de droite. Pour les quatre élections présidentielles étudiées, nous remarquons de manière systématique une domination du vote à droite pour les détenteurs de patrimoine risqué avec un écart attendu plus élevé pour 1995 et 2007 (victoire d’un président de droite). En effet, jamais la polarisation à droite n’avait atteint une telle intensité pour les détenteurs de valeurs mobilières en 2007, encouragée simultanément par une amélioration continue du rendement des produits financiers depuis la crise du 11 septembre 2001 et par un candidat, Nicolas Sarkozy, souhaitant « réhabiliter l’argent et la réussite sociale des possédants » [39].

25Toutefois, ces résultats de nature descriptive ne nous permettent pas de répondre directement et de manière satisfaisante à l’influence du patrimoine sur le vote. En effet, estimer la probabilité de voter à droite (gauche) selon le patrimoine détenu serait une méthode biaisée par l’importance du positionnement idéologique des électeurs. Dit plus simplement, un électeur vote-t-il à droite parce qu’il détient un portefeuille de valeurs mobilières ou bien vote-t-il à droite car ses préférences idéologiques le positionnent initialement à droite et le conduisent en conséquence à une stratégie d’accumulation d’actifs patrimoniaux plus risqués qu’un gouvernement de droite saura préserver par une politique publique accommodante ? C’est à cette question que nous répondrons dans la section suivante en distinguant l’effet direct et indirect du patrimoine sur le vote de droite avant d’en mesurer l’effet total.

Détention de patrimoine risqué : un effet décisif sur le vote à droite

26La première étape de la démarche méthodologique consiste à distinguer l’effet patrimoine sur le positionnement idéologique et le vote de droite au premier tour pour les années 1988, 1995 et 2002, car il s’agit des années pour lesquels notre indicateur de patrimoine risqué versus non risqué est le plus exhaustif (comme rappelé dans la section 2). Les résultats de ces analyses sont présentés dans le tableau 4 et ont été obtenus à l’aide de modèles multivariés mettant en relation l’orientation idéologique des répondants (identification ou non à la droite ; modèles 1) ou leur choix électoral (soutien ou non à un candidat de droite lors du premier tour ; modèles 2) lors de la première (1988) et de la dernière élection présidentielle française (2002) pour laquelle les indicateurs disponibles permettent de démarquer à l’aide d’échelles appropriées (voir l’annexe) les détenteurs de patrimoine risqué et non risqué.

27Deux résultats principaux ressortent de cette analyse. D’abord, la possession d’un patrimoine à faible risque ne semble pas avoir d’impact ni sur l’orientation idéologique des individus, ni sur leurs choix électoraux. Tel n’est pas le cas pour le patrimoine risqué dont la détention est significativement liée à un positionnement idéologique de droite et à un soutien aux candidats de cette famille politique. L’effet de cette variable est à la fois important et systématique, comme le montrent la taille relative et la stabilité dans le temps des coefficients qui lui sont associés. L’effet du patrimoine risqué sur le comportement électoral ne montre pas de déclin significatif entre ces deux dates : la significativité des coefficients de cette variable entre 1988 et 2002 (0,90 et 0,86 pour l’idéologie ; 1,29 et 1,10 pour le vote) reste principalement inchangée. Ces résultats, combinés à ceux de la section suivante portant sur une forme d’accumulation patrimoniale plus répandue aujourd’hui, la détention de valeurs mobilières, suggèrent fortement que l’effet patrimoine est toujours un déterminant important du comportement politique en France. En ce sens, nos résultats confirment ceux de Le Hay et Sineau pour l’année 2007 mais s’en démarquent par la distinction théorique que nous opérons entre patrimoine risqué et non risqué. Au fond, ce n’est pas tant l’accumulation de différentes formes de patrimoine qui domine, mais plutôt la nature du patrimoine possédé [40].

28Parmi les variables de contrôle retenues (âge, genre, scolarité, statut socioprofessionnel, secteur d’activité, religion, revenu), seule la religion puis, d’une certaine manière, le secteur d’activité et le statut socioprofessionnel ont un pouvoir explicatif récurrent sur le vote de droite. Un électeur catholique fréquentant régulièrement l’église augmente ses chances de se positionner et voter à droite. Un électeur a d’autant plus de chances de voter à droite qu’il travaille dans le secteur privé. Et enfin, parmi les statuts socioprofessionnels, le statut d’ouvrier explique de manière satisfaisante le vote à gauche (signe négatif et significatif dans le tableau 4). Étant donné que l’objet de cet article n’est pas d’identifier et de mesurer l’impact de ces différentes variables, il était non seulement indispensable de les introduire comme variables de contrôle dans notre analyse, mais également de les introduire dans l’analyse simulée de l’effet total du patrimoine sur le vote présentée dans la prochaine section.

L’effet patrimoine en 2007 : déclin de l’intérêt mais pas de l’impact

29Qu’en est-il de l’effet patrimoine à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007 au cours de laquelle Nicolas Sarkozy a dit vouloir faire de la France un « pays de propriétaires » [41] ? Il n’est pas possible en fait de répondre à cette question en comparant directement les résultats de ce scrutin avec les élections précédentes. En effet, le questionnaire de l’étude électorale française de 2007 comprend seulement quatre indicateurs mesurant le patrimoine, à savoir trois éléments de patrimoine non risqué et une seule composante du patrimoine risqué, soit la détention de valeurs mobilières.

30La seule façon dans ce contexte de mesurer l’évolution de l’effet patrimoine entre 1988 et 2007 est d’utiliser les mêmes indicateurs, soit l’échelle de patrimoine non risqué et la détention de valeurs mobilières (comme mesure unique du patrimoine risqué). Les résultats de ces analyses sont illustrés au tableau 5 et présentent des coefficients de régression logistique obtenus grâce à l’estimation de modèles constitués des mêmes variables dépendantes et des mêmes variables de contrôle sociodémographiques que celles employées précédemment (tableau 4).

31Deux résultats ressortent clairement du tableau 5. Il semble bien d’abord que la force du lien entre la disposition d’un patrimoine et le positionnement idéologique des répondants se soit accrue avec le temps pour atteindre un sommet lors de l’élection de 2007 (partie A). Le coefficient de cette variable est deux fois plus important lors de ce scrutin qu’il ne l’était 20 ans plus tôt (0,54 contre 0,27). Ce résultat est d’autant plus intéressant que le coefficient de la variable du patrimoine non risqué devient significatif pour la première fois lors de ce scrutin.

32Le deuxième résultat porte sur le vote en tant que tel et montre que la relation entre les choix électoraux et la propriété d’un patrimoine risqué est restée relativement stable à travers le temps [42], à l’exception peut-être de l’élection de 1995 (coefficients de 0,42, 0,21, 0,47 et 0,38 pour les années 1988, 1995, 2002 et 2007 ; voir la partie B). Mais qu’en est-il de l’effet total du patrimoine sur le vote, lorsque l’on tient compte à la fois de son effet direct sur l’idéologie et de son effet direct sur le vote ?

33Pour répondre à cette question, nous avons d’abord ajouté à notre modèle explicatif du vote la variable idéologie (partie C). Nous avons ensuite mesuré l’impact du patrimoine risqué sur le vote en tenant compte à la fois de son effet indirect par l’intermédiaire de l’idéologie et de son effet direct sur le vote dans un modèle incluant cette dernière variable. La démarche méthodologique pour parvenir à ces résultats mérite quelques explications. Avant cela, il est utile de préciser qu’une telle démarche s’inspire d’un modèle récursif ou path analysis, puisque notre modèle est un système à deux équations à partir duquel nous calculons l’effet total du patrimoine sur le vote (tableau 5D) [43].

34Dans un premier temps, nous souhaitons connaître les changements de probabilité de voter à droite résultant d’une variation du patrimoine possédé. L’estimation logistique nous permet d’écrire que la probabilité qu’un événement Y (variable dépendante) se réalise (ici voter à droite) est une fonction inverse logistique telle P(Y=1) = [exp(lnP/P-1)]/[(1+exp(lnP/P-1))]. Pour déterminer le changement de probabilité de voter à droite (en fonction de la variation d’une unité d’une variable indépendante, ici le patrimoine), il convient de ne pas raisonner simplement en calculant la dérivée de P telle que ?P/?x = ?P(1-P). En effet, comme le démontrent Petersen [44] et Zelner [45], la variation de la probabilité entraîne une pente estimée entre les changements de probabilité (?P) et les changements de covariance pour la variable indépendante (?X). Par conséquent, il est possible que la pente soit plus grande que 1 et produise donc des changements prédits de probabilité en dehors de l’intervalle [0, 1]. Lorsque la variable dépendante est continue, cette difficulté n’est pas présente. En revanche, en présence d’une variable indépendante dichotomique (c’est le cas pour notre variable patrimoine), il convient de procéder à la transformation suivante : ?P = [exp(?1)/(1+exp(?1))] – [exp(?1)/(1+exp(?1))].

35Nous cherchons alors à déterminer si le fait de détenir des actions a un effet significatif sur la probabilité qu’un électeur s’identifie à la droite. Nous utilisons à cette fin un cas de figure, celui d’un électeur tiraillé entre la gauche et la droite (nous parlerons de simulation pour caractériser ce cas de figure). La probabilité « initiale » que cet électeur s’identifie à la droite est de 0,50 ou encore une chance sur deux (dans ce cas, ?0 = 0) [46]. La question consiste alors à déterminer si la détention d’actions fait augmenter cette probabilité. L’écart entre la probabilité initiale de s’identifier à la droite, établie pour les fins de cette simulation à 0,50, et cette probabilité après que l’on ait pris en compte l’effet lié à la détention d’actions, est appelée ?Pidéologie (?PID). La formule permettant de calculer cet effet est représentée par l’équation (1).

36(1) ?PID = [exp(?1)/(1+exp(?1))] – 0,5 car [exp(?0=0/(1+exp(?0=0))] = 0,5

37avec ?1 = ?0 + ?i = 0,27 où ?i correspond au coefficient estimé de la régression logistique du vote de droite sur les valeurs mobilières (cf. partie A du tableau 5).

38Une fois ?1 connu, il devient aisé de déterminer le changement de probabilité de se positionner à droite en écrivant ?PID = [exp(0,27)/(1+exp(0,27))] – 0,5. Ainsi, pour l’année 1988, nous obtenons un effet de 0,07 signifiant qu’une personne tiraillée entre un positionnement à gauche ou à droite verra sa probabilité de changer de positionnement (à droite) augmenter de 7 points de pourcentage si elle possède des valeurs mobilières. La simulation du même changement de probabilité pour les années 1995, 2002 et 2007 donne respectivement un effet de 6, 9 et 13 points de pourcentage. L’élection présidentielle 2007 est donc caractérisée par une forte sensibilité des détenteurs de patrimoine risqué sur un changement de positionnement à droite.

39Cette mesure constitue la première étape de notre démarche pour évaluer l’effet total (indirect + direct) de la détention de patrimoine risqué sur le vote à droite. L’effet indirect correspond à l’interaction entre l’effet du patrimoine risqué sur le positionnement idéologique (soit ?PID) et l’effet du positionnement idéologique sur le vote mesuré par les coefficients de régression présentés à la partie C du tableau 5 (?j). L’effet direct correspond quant à lui à l’effet du patrimoine risqué sur le vote dans des modèles incluant l’idéologie (?k). En nous fondant sur un cas de figure similaire à celui adopté précédemment, soit celui d’un électeur tiraillé cette fois-ci entre le fait de voter à gauche ou à droite (probabilité initiale de 0,50), nous sommes maintenant en mesure (puisque que nous connaissons les valeurs de ?PID) de calculer l’effet total du patrimoine sur le vote en résolvant l’équation suivante :

40(2) ?PVote = [exp(?1)/(1+exp(?1))] – [exp(?0/(1+exp(?0))]

41avec ?1= ?0(?PID × ?j + ?k).

42Ainsi, pour l’année 1988, nous pouvons établir que l’effet total de la possession de valeurs mobilières sur le vote de droite s’établit à 16 points de pourcentage. Les coefficients obtenus pour les variables idéologie (?PID × ?j) [47] et valeurs mobilières (?k) [48] pour les années 1988, 1995, 2002 et 2007 ont été de 3,73, 3,72, 3,24 et 3,78 pour la première variable et de 0,41, 0,04, 0,31 et 0,18 pour la seconde (tableau 5, partie C).

43Les résultats de cette simulation sont présentés dans la quatrième partie du tableau 5. Ces résultats sont clairs. Lorsque l’on compare des indicateurs semblables (valeurs mobilières), il apparaît que l’impact de la variable patrimoine lors des élections présidentielles n’aurait pas décliné à travers le temps, l’effet total de cette variable en 2007 (0,16) étant égal à celui observé en 1988. Qui plus est, si nous tenons également compte dans notre simulation de l’effet significatif du patrimoine non risqué sur le positionnement idéologique lors de l’élection de 2007 – effet possiblement attribuable à la campagne de Nicolas Sarkozy –, cet effet se serait accru avec le temps. La probabilité qu’un électeur tiraillé entre la droite et la gauche (donc avec une probabilité de. 5 de voter à droite) penche de ce côté s’il possède des actions augmente de façon très significative (hausse de 24 %) si l’on tient compte de l’effet combiné du patrimoine risqué et non risqué lors de cette élection [49].

44En prenant le soin de simuler l’effet total de la détention de valeurs mobilières (par une décomposition de l’effet direct et indirect), nous offrons un éclairage convaincant de la persistance de l’effet patrimoine sur le vote à droite depuis 1988. L’ampleur de l’effet total varie toutefois d’une élection à l’autre. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de 1995, un électeur indécis entre vote à gauche et vote à droite a une probabilité de 55 % de voter à droite dès lors qu’il possède un portefeuille de valeurs mobilières. Cette probabilité atteint 66 % en 2007 et même 74 % si l’on tient également compte de l’effet du patrimoine non risqué spécifique à cette occasion. L’impact de la détention d’actifs sur le vote atteint alors une ampleur inédite. Ce résultat illustre deux contextes de campagne présidentielle fondamentalement différents. En 1995, Jacques Chirac fait de la fracture sociale un thème central de sa campagne. Douze ans plus tard, Nicolas Sarkozy place résolument la question de la richesse et du patrimoine au centre de sa campagne. Avant de conclure, une question méthodologique pourrait être soulevée quant à la portée de ces résultats dans la mesure où nous avons cherché à expliquer le vote à droite dans une vision extensive, c’est-à-dire prenant en compte le vote Front national. Dans un ouvrage intitulé Les élections présidentielles. Le vote des Français de Mitterrand à Sarkozy[50], les auteurs démontrent qu’en isolant le Front national de leurs analyses, l’influence du patrimoine risqué sur le seul vote à droite (modérée) est non seulement confirmée mais plus forte que celle exposée dans le tableau 5. Il existe donc une avenue de recherche féconde pour explorer différentes variétés d’effet patrimoine par candidat, par élection et par pays.

45* * *

46Cet article est parti du constat que l’effet patrimoine avait perdu de son intérêt dans l’analyse politique française au cours des trente dernières années. L’attention accordée à cette dimension du comportement électoral est en chute libre. Alors que l’enquête électorale française de 1978 comportait neuf éléments de mesure du patrimoine, le nombre d’indicateurs s’est réduit à huit en 1988, six en 1995 et 2002, et enfin quatre, dont un seul indicateur de patrimoine à risque (la détention d’actions), en 2007.

47Malgré cette tendance, le concept d’effet patrimoine, une contribution majeure de la science politique française, paraît tout aussi pertinent aujourd’hui qu’au moment de sa première diffusion scientifique en 1981. En fait, cette idée semble même plus pertinente que jamais. Les résultats de cette courte étude suggèrent que la détention d’un patrimoine (notamment de risque) a exercé un impact aussi, sinon plus important, lors de l’élection présidentielle de 2007 qu’au moment de celle de 1988. La transformation et la diversification des actifs des ménages dans les économies modernes suggèrent d’ailleurs que l’intérêt de ce concept ne se limite pas au cas français et qu’il pourrait être employé avec profit dans d’autres démocraties [51].

48Notre article conclut donc qu’une attention accrue, et non moindre, devrait être portée à la mesure du patrimoine lors des prochaines enquêtes électorales françaises. Non seulement l’effet patrimoine est un puissant facteur explicatif du vote à droite, mais son importance n’a pas diminué au fur et à mesure que le dispositif de mesure du patrimoine, lui, se réduisait à quatre questions en 2007. Il est permis de croire que des batteries plus étoffées d’indicateurs que celles employées jusqu’à maintenant permettraient de mettre en lumière des effets encore plus importants et d’affiner l’analyse. Il y a donc lieu de penser que l’idée novatrice de l’effet patrimoine n’a pas encore épuisé toute sa fécondité. Parmi les nombreuses pistes de recherches envisageables, la prise en compte d’une batterie de tests pour mesurer l’aversion au risque des répondants serait incontestablement un atout dans la compréhension de l’effet patrimoine. Par ailleurs, malgré les difficultés méthodologiques et la sincérité des réponses, il est indispensable de réfléchir à la prise en compte du montant du patrimoine (tout comme le revenu est déjà renseigné) plutôt que de s’en tenir comme aujourd’hui à l’existence et la nature du patrimoine possédé. Enfin, un courant de recherche de plus en plus fécond en science politique s’intéresse aux inégalités économiques (principalement de revenus) comme facteur explicatif de la participation politique et du vote partisan. Au regard de nos résultats, une réflexion sur une ou plusieurs mesures d’inégalités patrimoniales (risqué versus non risqué, transmis versus non transmis, liquide versus non liquide…) contribuerait sans nul doute à une meilleure connaissance des déterminants économiques du vote en France. En ce sens, la connaissance dynamique (transmission intergénérationelle) de l’accumulation de patrimoine et de ses effets simultanés sur le positionnement idéologique et le vote devrait offrir un agenda de recherche très fécond pour la communauté des politistes spécialisés en sociologique politique [52].


Sources

49Les données de cette étude proviennent de quatre enquêtes électorales nationales produites sous la supervision du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) en 1988, 1995, 2002 et 2007. Ces données sont disponibles au site suivant : <http://cdsp.sciences-po.fr/>.

Variables

50Vote présidentiel = 1 si le répondant a appuyé un parti de droite lors du premier tour de l’élection présidentielle, 0 autrement.

51Idéologie = 1 si le répondant se situe aux valeurs 5, 6, ou 7 sur l’échelle d’auto-positionnement idéologique gauche-droite, 0 autrement.

52Livret d’épargne = 1 si le répondant ou un membre de son foyer possède un livret d’épargne, 0 autrement.

53Logement = 1, si le répondant ou un membre de son foyer possède son maison ou son appartement, 0 autrement.

54Résidence secondaire = 1 si le répondant ou un membre de son foyer possède une résidence secondaire, 0 autrement.

55Une entreprise, un fonds de commerce ou une terre = 1 si le répondant ou un membre de son foyer possède une entreprise, un fonds de commerce ou une terre, 0 autrement.

56Biens immobiliers de rapport = 1 si le répondant ou un membre de son foyer possède des biens immobiliers de rapport, 0 autrement.

57Valeurs mobilières = 1 si le répondant ou un membre de son foyer possède des valeurs mobilières (actions, obligations), 0 autrement.

58Échelle de patrimoine non risqué = Moyenne des variables Livret d’épargne, Logement et résidence secondaire.

59Échelle de patrimoine risqué = Moyenne des variables Entreprise, fonds de commerce ou terres, Biens immobiliers de rapport et Valeurs mobilières.

60Âge = Âge recodé de 0 à 1.

61Sexe = 1 si homme, 0 si femme.

62Scolarité = Niveau de scolarité atteint, recodé de 0 à 1.

63Revenu = Revenu total du foyer, recodé de 0 à 1.

64Cadre = 1 si le répondant est cadre ou membre d’une profession [supérieure ?], 0 autrement.

65Cols blancs = 1 si le répondant employé ou personnel de service, 0 autrement.

66Ouvrier = 1 si le répondant est ouvrier, 0 autrement.

67Secteur privé = 1 si le répondant travaille dans le secteur privé, 0 autrement.

68Religion = 1 le répondant est catholique et va à la messe au moins une fois par mois,. 67 s’il est catholique et va à la messe moins d’une fois par mois,. 33 si sa religion est autre que catholique, 0 autrement.

Tableau 4
Tableau 4
Une analyse de l’effet patrimoine sur le positionnement idéologique et le vote lors des élections présidentielles française de 1988 et 2002
Tableau 5
Tableau 5
Une analyse de l’effet de la propriété de certains actifs sur le positionnement idéologique et le vote lors des élections présidentielles françaises de 1988, 1995, 2002 et 2007

Notes

  • [1]
    Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier, « L’effet patrimoine », dans Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier, Gérard Grunberg, Étienne Schweisguth, Colette Ysmal (dir.), France de gauche, vote à droite, Paris, Presses de Sciences Po, 1981, p. 169-227.
  • [2]
    Nonna Mayer, Pascal Perrineau, Les comportements politiques, Paris, Armand Colin, 1992 ; Daniel Boy, Nonna Mayer, « Que restent-ils des variables lourdes ? », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 101-138 ; Bruno Cautrès, « Old Wine in New Bottles ? New Wine in Old Bottles ? Class, Religion and Vote in the French Electorate. The 2002 Elections in Time Perspective », dans Michael S. Lewis-Beck (ed.), The French Voter. Before and After the 2002 Elections, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004, p. 74-92 ; Bruno Cautrès, Anne Muxel, Comment les électeurs font-ils leurs choix ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
  • [3]
    Pour la France, cf. Thomas Piketty, « Income Inequality in France, 1991-1998 », Journal of Political Economy, 111 (5), 2003, p. 1004-1042. Pour les États-Unis, cf. Thomas Piketty, Emmanuel Saez, « Income Inequality in the United States, 1913-1998 », Quarterly Journal of Economics, 118 (1), 2003, p. 1-39.
  • [4]
    Pour un argumentaire semblable dans le cas des États-Unis, voir Michael S. Lewis-Beck, Richard Nadeau, « Economic Voting Theory : Testing New Dimensions », Electoral Studies, 30 (2), 2011, p. 288-294 (accessible en ligne, 19 septembre 2010).
  • [5]
    Élisabeth Dupoirier, « Dynamique de l’espace social et vote », dans Bruno Cautrès, Nonna Mayer (dir.), Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21 avril 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 193.
  • [6]
    B. Cautrès, « Old Wine in New Bottles ?… », cité, p. 88-89.
  • [7]
    B. Cautrès, A. Muxel, Comment les électeurs font-ils leur choix ?, op. cit.
  • [8]
    Dans une étude déjà ancienne de sociologie électorale, G. Michelat et M. Simon ont établi que la détention de patrimoine serait en quelque sorte endogène à une pratique religieuse catholique régulière en concluant que « l’effet de la possession sur le vote, en contrôlant l’intégration religieuse, est plus élevé quand il s’agit de biens de rapport » (Guy Michelat, Michel Simon, « Déterminations socio-économiques, organisations symboliques et comportement électoral », Revue française de sociologie, 26, 1985, p. 32-69).
  • [9]
    Viviane Le Hay, Mariette Sineau, « “Effet patrimoine” : 30 ans après, le retour ? », Revue française de science politique, 60 (5), octobre 2010, p. 869-900.
  • [10]
    Richard Nadeau, Martial Foucault, Michael S. Lewis-Beck, « Patrimonial Economic Voting : Legislative Elections in France », West European Politics, 33 (6), 2010, p. 1261-1277.
  • [11]
    Vladimer O. Key, The Responsible Electorate, New York, Vintage, 1966 ; Anthony Downs, An Economic Theory of Democracy, New York, Harper and Row, 1957.
  • [12]
    A. Downs, ibid., p. 138.
  • [13]
    Vladimer O. Key, Public Opinion and American Democracy, New York, Alfred A. Knopf, 1961.
  • [14]
    Pour une recension des études importantes autour de cette hypothèse, voir Michael Lewis-Beck, Mary Stegmaier, « Economic Models of Voting », dans Russell J. Dalton, Hans-Dieter Klingemann (eds), The Oxford Handbook of Political Behavior, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 518-537.
  • [15]
    Michael S. Lewis-Beck, William G. Jacoby, Helmut Norpoth, Herbert F. Weisberg. The American Voter Revisited, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2008.
  • [16]
    B. Cautrès, A. Muxel, Comment les électeurs font-ils leur choix ?, op. cit.
  • [17]
    André Blais, Elisabeth Gidengil, Richard Nadeau, Neil Nevitte, Anatomy of a Liberal Victory, Peterborough, Broadview Press, 2002.
  • [18]
    Harold D. Clarke, David Sanders, Marianne C. Stewart, Paul Whiteley, Political Choice in Britain, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [19]
    Le patrimoine brut tient compte de l’endettement des ménages.
  • [20]
    Statistiques produites par la Banque de France et l’Insee dans la rubrique Comptes nationaux (base 2000).
  • [21]
    Nathalie Couleaud, Frédéric Delemarre, « Le patrimoine économique national de 1978 à 2007 », Insee Première, 1229, mars 2009.
  • [22]
    Les OPCVM sont des Organismes de placement collectif en valeurs mobilières qui gèrent un portefeuille dont les fonds investis sont placés en valeurs mobilières. Parmi les OPCVM les plus fréquents, on retrouve les actifs financiers de type FCP ou SICAV.
  • [23]
    Céline Blondeau, « Banque, assurance, bancassurance, assurfinance, lignes de partage : une spécificité française ? », Entreprises et histoire, 39, 2005, p. 91-114.
  • [24]
    Marie Cordier, Cédric Houdré, Catherine Rougerie, « Les inégalités de patrimoine des ménages entre 1992 et 2004 », Insee Données sociales, 2006, p. 455-464.
  • [25]
    J. Capdevielle, É. Dupoirier, « L’effet patrimoine », cité.
  • [26]
    R. Nadeau, M. Foucault, M. S. Lewis-Beck, « Patrimonial Economic Voting : Legislative Elections in France », art. cité ; et « Assets and Risk : A Neglected Dimension of Economic Voting », French Politics, 9 (2), 2011, p. 97-119.
  • [27]
    Shlomo Benartzi, Richard H. Thaler, « Myopic Loss Aversion and the Equity Premium Puzzle », The Quarterly Journal of Economics, 110 (1), 1995, p. 73-92 ; Olof Dahlback, « Saving and Risk Taking », Journal of Economic Psychology, 12 (3), 1991, p. 479-500 ; Chi-Fu Huang, Robert H. Litzenberger, Foundations for Financial Economics, New York, Elsevier Science Publishing Company, 1988.
  • [28]
    Luc Arrondel, André Masson, Daniel Verger, « Préférences individuelles et disparités du patrimoine », Économie et statistiques, 374-375, 2004, p. 129-148.
  • [29]
    Cf. R. Nadeau, M. Foucault, M. Lewis-Beck, « Patrimonial Economic Voting : Legislative Elections in France », art. cité ; et « Assets and Risk : A Neglected Dimension of Economic Voting », art. cité. Voir l’étude classique de Herbert McClosky, John Zaller, The American Ethos. Public Attitudes towards Capitalism and Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
  • [30]
    Stéphane Lollivier, « L’Insee et les enquêtes de patrimoine », Économie et statistique, 374-375, 2004, p. 2-7.
  • [31]
    Luc Arrondel, André Masson, Inégalités patrimoniales et choix individuels, Paris, Economica, 2007 ; et Luc Arrondel, Hector Calvo Pardo, « Les Français sont-ils prudents ? Patrimoine et risque sur le marché du travail », Économie et statistique, 417-418, 2008, p. 27-53.
  • [32]
    Francisco Gomes, Alexander Michaelides, « Portfolio Choice and Liquidity Constraints », International Economic Review, 44 (1), 2003, p. 143-177 ; et « Optimal Life-Cycle Asset Allocation : Understanding the Empirical Evidence », Journal of Finance, 60 (2), 2005, p. 869-904.
  • [33]
    Luigi Guiso, Michael Haliassos, Tullio Jappelli, Household Portfolios, Cambridge, MIT Press, 2001.
  • [34]
    Carles Boix, « Partisan Governments, the International Economy and Macroeconomic Policies in OECD Countries, 1964-93 », World Politics, 53 (1), 2000, p. 38-73 ; Alberto Alesina, Howard Rosenthal, Partisan Politics, Divided Government, and the Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
  • [35]
    Dans le cas français, Nadeau, Foucault et Lewis-Beck ont démontré que les électeurs détenteurs de patrimoine risqué sont plus susceptibles de s’opposer à l’intervention de l’État que les électeurs réticents au risque. De manière similaire, ces mêmes électeurs sont moins favorables au socialisme et aux nationalisations mais affichent des préférences pour le marché, les profits et les privatisations. Cf. R. Nadeau, M. Foucault, M. S. Lewis-Beck, « Assets and Risk : A Neglected Dimension of Economic Voting », art. cité.
  • [36]
    La prise en compte de l’aversion au risque en science politique a été utilisée pour expliquer le vote de type « split-ticket voting » (Alberto Alesina, Howard Rosenthal, Partisan Politics, Divided Government, and the Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Walter R. Jr. Mebane, « Coordination, Moderation, and Institutional Balancing in American Presidential and House Elections », American Political Science Review, 94, 2000, p. 37-57), pour expliquer le vote sanction à l’endroit de candidats ambigus (Kenneth A. Shepsle, « The Strategy of Ambiguity : Uncertainty and Electoral Competition », The American Political Science Review, 66, 1972, p. 555-568 ; Larry M. Bartels, « Issue Voting Under Uncertainty : An Empirical Test », American Journal of Political Science, 30, 1986, p. 709-728 ; Alvarez, R. Michael, Information and Elections, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1997), ou encore pour mesurer les préférences des électeurs américains entre 1972 et 1996 dans leurs choix de politiques (Adam Berinsky, Jeffrey B. Lewis, « An Estimate of Risk Aversion in the U.S. Electorate », Quarterly Journal of Political Science, 2, 2007, p. 139-154).
  • [37]
    En 2009, l’encours du livret A atteignait 153 milliards d’euros (contre 75 milliards en 1982), avec une distribution asymétrique des montants déposés sur ce produit d’épargne. En 1998, 26 millions de personnes (55 % des détenteurs) ont déposé 152 € et moins sur leur livret A, 15 millions (32 % des détenteurs) ont déposé entre 152 € et 7 622 € et enfin 5,6 millions de personnes (11,9 % des détenteurs) ont déposé plus de 7 622 €. Au total, l’encours moyen se situait en 2009 à 2 590 €.
  • [38]
    M. Cordier, C. Houdré, C. Rougerie, « Les inégalités de patrimoine des ménages entre 1992 et 2004 », cité.
  • [39]
    V. Le Hay, M. Sineau, « “Effet patrimoine” : 30 ans après, le retour ? », art. cité, p. 885.
  • [40]
    Pour renforcer notre argument, nous avons pu opérationnaliser pour l’année 1988 une variable supplémentaire pour le patrimoine de risque. L’enquête 1988 ajoutait une question pertinente formulée ainsi : « Vous-même ou un membre de votre foyer, avez-vous acheté des actions privatisées ? » Nous avons codé les réponses sous forme de variable dichotomique prenant la valeur 1 (Oui, une société / Oui, deux sociétés / Oui, trois sociétés) et la valeur 0 (Non, aucune). De cette manière, nous étions en mesure d’isoler un actif risqué (actions de sociétés privatisées) par rapport à l’ensemble des valeurs mobilières que les électeurs pouvaient détenir. L’exploitation de cette variable supplémentaire fait augmenter substantiellement l’effet patrimoine risqué sur le vote de droite en 1988, caractérisé par une hausse significative du coefficient associé à cette variable qui passe alors de 1,29 (voir tableau 4, colonne 2) à 1,56.
  • [41]
    Lors du débat politique télévisé du mercredi 2 mai 2007 entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, ce dernier avait déclaré : « Mon ambition, ce serait de faire de la France un pays de propriétaires. Il y a un Français sur deux qui sont propriétaires de leur logement, il y a 80 % d’Espagnols qui sont propriétaires de leur logement, il y a 76 % des Anglais qui sont propriétaires de leur logement. Il y a 12 millions de familles françaises qui aimeraient être propriétaires et ne le sont pas ».
  • [42]
    Un lecteur attentif pourrait s’interroger sur les conditions à partir desquelles nous nous autorisons à comparer des coefficients estimés d’une élection à l’autre. Certains auteurs ont préféré « pooler » les données d’élections présidentielles (Gregory B. Markus, « The Impact of Personal and National Economic Conditions on Presidential Voting, 1956-88 », American Journal of Political Science, 36, 1992, p. 829-834). Dans notre analyse, nous avons de bonnes raisons de traiter distinctement ces quatre études en raison de leurs différences en termes d’échantillon, de date de questionnaire, d’instrumentation et surtout de violation possible de l’hypothèse de pooling (à savoir une pente à l’origine similaire d’une élection à l’autre). D’une part, notre décision s’appuie sur le fait qu’il s’agit de coefficients non standardisés issus d’une régression non linéaire (logit estimates) réduisant les risques d’un biais liés aux effectifs ; et d’autre part, l’écart-type de la variable dépendante est semblable pour les quatre élections pour une structure estimée identique.
  • [43]
    Le principe général d’une mesure de l’effet total s’appuie sur un modèle récursif fondé sur une causalité unidirectionnelle et une absence de corrélation des erreurs entre équations. Nous suivons en ce sens la démarche de David Kaplan, Structural Equation Modeling. Foundations and Extensions, Thousand Oaks, Sage, 2000.
  • [44]
    Trond Petersen, « A Comment on Presenting Results from Logit and Probit Models », American Sociological Review, 50, 1985, p. 130-131.
  • [45]
    Bennet A. Zelner, « Using Simulation to Interpret Results from Logit, Probit, and Other Nonlinear Models », Strategic Management Journal, 30 (12), 2009, p. 1335-1348.
  • [46]
    Car ln (p/1-p) = ln (0,5/1-0,5) = 0.
  • [47]
    ?i est le coefficient estimé issu d’une régression logistique du vote à droite expliquée par différentes variables de contrôle et le positionnement idéologique.
  • [48]
    ?j est le coefficient estimé de l’effet de la possession de valeurs mobilières sur le vote. Les coefficients sont présentés dans la partie B du tableau 5.
  • [49]
    Il est important de souligner ici que l’absence de significativité des coefficients liés à la détention de patrimoine non risqué en 1988, 1995 et 2002 implique que la possession de patrimoine risqué domine l’effet patrimoine, à l’exception de l’élection 2007 où nous avons pris en compte le patrimoine non risqué (car significatif).
  • [50]
    Cf. chapitre 3, dans Richard Nadeau, Éric Bélanger, Michael S. Lewis-Beck, Bruno Cautrès, Martial Foucault, Les élections présidentielles. Le vote des Français de Mitterrand à Sarkozy, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.
  • [51]
    Voir notamment les travaux de Lewis-Beck et Nadeau sur l’élection américaine de 2008 : Michael S. Lewis-Beck, Richard Nadeau, « Economic Voting Theory : Testing New Dimensions », Electoral Studies, 30 (2), 2011, p. 288-294.
  • [52]
    Nous remercions le Centre de données socio-politiques de Sciences Po Paris pour la mise à disposition des données d’enquêtes utilisées dans cet article. Nous remercions également nos assistants de recherche Angelo Elias et Thomas Didier pour leur collaboration à ce projet. Les auteurs ont bénéficié du soutien financier du Fonds France-Canada pour la recherche (2010-2012). Enfin, nous remercions les évaluateurs de la RFSP pour les suggestions d’amélioration apportées à cet article.
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