Couverture de RFSP_612

Article de revue

Informations bibliographiques

Pages 362 à 368

Notes

  • [*]
    Établies sous la responsabilité de Yves Déloye, assisté de Cécile Brouzeng, avec, pour ce numéro, la collaboration de Pierre-Yves Baudot, François Foret, Jacques de Maillard, Antoine Roger et Odile Rudelle, auxquels la Revue adresse ses remerciements.
  • [1]
    Pierre Manent, Les métamorphoses de la cité. Essai sur la dynamique de l’Occident, Paris, Flammarion, 2010 (Essai).
  • [2]
    Véronique Aubert, Alain Bergounioux, Jean-Paul Martin, René Mouriaux, La forteresse enseignante. La Fédération de l’Éducation nationale, Paris, Fayard, 1985.
English version

Malesherbes – Malesherbes à Louis XVI, ou les avertissements de Cassandre. Mémoires inédits, 1787-1788. Avant-propos d’Alain, marquis de Rosambo. Édition établie, présentée et annotée par Valérie André. – Paris, Tallandier, 2010 (La bibliothèque d’Evelyne Lever). 298 p. Bibliogr. Index

1Après les publications fastes de Tocqueville et l’abbé Sieyès, voici que les archives de Malesherbes – le ministre qui conseilla en vain le malheureux Louis XVI – sont enfin ouvertes avec deux publications majeures qui, outre leur intérêt propre, signent, avec deux siècles de retard, la réconciliation d’une famille héritière du meilleur de l’Ancien Régime avec le monde républicain du savoir académique. Ceci fait espérer qu’il y aura une suite avec l’édition – ou la réédition – d’œuvres aussi décisives pour l’histoire des droits civiques que les recherches du célèbre magistrat sur l’état du peuple juif ou ses mémoires variés sur l’état-civil des protestants, jamais réédités depuis 1787. Rien de tel que la lecture de ces mémoires, rédigés en 1788 pour « refroidir » l’objet Révolution et, selon le vœu de François Furet, l’aborder comme un événement qui échappa au plus grand nombre, mais non aux plus lucides. Car, dans ces pages, nous découvrons d’une part que Malesherbes a démissionné du Conseil du Roi, car la parole ne lui était jamais donnée, et d’autre part que, toujours soucieux du seul service du roi, il a consigné par écrit tout ce qu’il faudrait savoir, prévoir et faire pour que la nécessaire convocation des États généraux, le nécessaire consentement de la nation à l’impôt et le retour régulier d’une assemblée représentant la nation française ne tournent pas au désavantage du roi et, partant, à l’anarchie déjà observée en Angleterre, en Hollande ou en Scandinavie dans des conditions similaires. En d’autre termes, Malesherbes cherche à organiser le futur pouvoir constituant par le concours des différents pouvoirs publics, très conscient du fait qu’une des difficultés majeures de ce temps est de mener simultanément la réforme d’une représentation nationale, qui n’a jamais existé, et d’un pouvoir judiciaire qui, en l’absence d’un pouvoir représentatif, s’est arrogé un pouvoir auquel il faudra renoncer dès lors que la représentation nationale aura été régulièrement constituée, afin de se tourner enfin, vers l’autre grande nécessité : celle des abus de ces deux corps privilégiés que sont le clergé et la magistrature. Et Malesherbes d’utiliser son grand savoir pour prévoir toutes les hypothèses de malentendus, de conflits ou de mauvaise foi de ces deux corps privilégiés, afin que le roi, jamais démuni de solutions appropriées, ne soit pas pris au dépourvu. On sait ce qu’il advint, jusqu’à la guillotine que Louis XVI affronta avec un esprit plus chrétien que politique. On sait moins que la leçon sera retenue à Londres, en 1940, ou à Alger en 1943, afin de concevoir un « rétablissement de la légalité républicaine » qui, grâce au concours des pouvoirs exécutifs, représentatifs et judicaires accompagné du recours à la souveraineté nationale, limitera autant que faire se peut, le temps de la confusion, de l’anarchie ou du désir de vengeance qui, pour réel qu’il fût, resta cependant limité à l’année 1944. Le général de Gaulle avait dit que la Libération ne serait pas séparée de la Révolution : en ces temps d’anniversaire de l’année 1940 – effondrement militaire suivi d’un Appel à la résistance – comme de constitutionnalisation de la question prioritaire de constitutionnalité – extraordinaire retour du droit de remontrances exprimé par la justice constitutionnelle –, la France académique aurait beaucoup à gagner à penser ce long terme d’événements complémentaires afin de retrouver sa place naturelle dans une histoire de l’humanité inséparable de celle de la liberté universelle.

2O.R.

Manent (Pierre) – Le regard politique. Entretiens avec Bénédicte Delorme-Montini. – Paris, Flammarion, 2010 (Essais). 270 p. Index

3Une enfance communiste au point d’avoir cru que l’URSS gagnerait la bataille de l’espace jusqu’à ce que, converti au catholicisme sous l’influence d’un professeur de philosophie, il est mené vers Jacques Maritain, la Bible et le thomisme auxquels la khâgne et l’École normale ajoutent le monde enchanté des idées de Platon : tel est le chemin de Pierre Manent dont la vie est dédiée à la « compréhension » du monde tel qu’il est – sans oublier un appel à l’au-delà que Léo Strauss l’aide à formuler, lui qui lui fit réaliser que notre époque « relativiste » était la chance des philosophes, enfin autorisés à s’exprimer librement, c’est-à-dire sans obligation d’allégeance devant des autorités dogmatiques. Cette simple constatation historique devient une méthode de lecture pour aller chercher les pépites de vérité, cachées au cœur de textes aux allures très respectueuses. Et l’initiation de continuer avec Raymond Aron qui l’emmène de son séminaire au Collège de France et à Commentaire, et de là, aux Hautes Études des années 1970. C’était le temps de l’effervescence « anti-totalitaire » redécouvrant la pensée libérale du premier 19e siècle, devant laquelle Marx avait longtemps fait écran. Ainsi de Tocqueville, le premier à avoir pensé que l’avènement de la démocratie irait jusqu’à changer la nature des rapports entre des citoyens désormais hantés par la ressemblance avec leur voisin. Manent est modeste : se déclarant sans imagination ni créativité, il scrute la chose politique qui, au-delà de la stricte étude sociologique des groupes, gouverne encore et toujours la vie des hommes. Et de proposer un fil de continuité : depuis la plus haute Antiquité, il n’y aurait jamais eu d’autre forme politique que celles de la Cité et de l’Empire. Si bien que la chute de l’empire romain installe un désordre inséparable de la nostalgie de l’unité, et d’autant plus que la papauté qui émerge comme pouvoir nouveau se révèle incapable de susciter une forme politique originale. Jusqu’à ce que la Renaissance et la Réforme, inséparables des retrouvailles avec les Anciens, permettent, avec Machiavel et Hobbes, la redécouverte de la spécificité politique et, in fine, l’émergence de cette forme propre à l’Occident qu’est la nation, née de la confluence de l’héritage antique avec l’idée de bien commun, apport du christianisme. Ce propos – développé dans Les métamorphose de la cité[1] – conduit à une conclusion mélancolique : les vieilles nations et la vieille religion sont en train de doucement abdiquer en faveur de « l’Europe » – idée confuse sauf à être le faux nez des Américains – et d’une religion dite des « droits de l’homme » qui, faisant fi de toute obligation civique, n’impressionne aucune des forces émergentes, bien décidées à prendre leur revanche sur une Europe qui s’éloigne de ce qui avait fait sa force, sa créativité et donc sa capacité d’entraînement.
O.R.

Drakeman (Donald L.) – Church, State and Original Intent. – Cambridge, Cambridge University Press, 2010. 372 p. Bibliogr. Index. Muñoz (Vincent Phillip) – God and the Founders. Madison, Washington, and Jefferson. – Cambridge, Cambridge University Press, 2009. 242 p. Annexes. Index

4Les rapports entre Églises et État sont l’objet d’un débat récurrent aux États-Unis avec des interprétations divergentes de la pensée des Pères fondateurs. La jurisprudence de la Cour suprême, devenue au 20e siècle l’instance régulatrice en la matière, alimente une introspection permanente sur l’identité nationale et l’État de droit.

5Deux réflexions récentes perpétuent cette tradition tout en la mettant en question. D. L. Drakeman s’interroge sur « l’originalisme » des juges constitutionnels. Il critique l’autorité prééminente reconnue aux législateurs de 1789 qui adoptèrent la « clause d’établissement » interdisant la création d’une Église nationale américaine à l’image de l’Église d’Angleterre. Cette disposition ne suscite d’abord que l’indifférence, preuve qu’elle ne constitue pas la doctrine de séparation du politique et du religieux qu’on a voulu y voir bien plus tard. Elle permettra dans les deux siècles qui suivent de multiples interventions du gouvernement sur le terrain religieux, pour des raisons essentiellement politiques. Elle n’empêchera par exemple pas la quasi-évangélisation de force des « Native Americans » comme seule alternative à leur extermination.

6V. P. Muñoz n’est guère plus tendre avec le mythe américain des origines. Il revisite dans le détail les écrits et actes sur l’articulation du politique et du religieux de trois figures canoniques : Madison, Washington et Jefferson. Le premier l’emporte à ses yeux comme source d’inspiration pour un compromis s’énonçant sous la formule « pas de privilèges légaux, pas de pénalisations légales ». Il s’agit d’éviter qu’une religion devienne une catégorie d’action gouvernementale pouvant créer des discriminations entre les confessions et porter atteinte aux libertés individuelles, sans pour autant interdire rigidement à l’État de reconnaître le fait religieux dans l’espace public lorsqu’il le rencontre, comme lors d’un jour férié. Mais l’apport principal de V. P. Muñoz est ailleurs, dans la façon dont il montre les désaccords entre les Pères fondateurs et les fréquentes contradictions entre leur théorisation et leur pratique. Dès lors, la fiction d’une vérité univoque donnée par l’histoire et le droit pour éclairer les enjeux d’aujourd’hui s’effondre. Les auteurs du passé sont à mobiliser de par la qualité de leur réflexion, mais les contemporains sont renvoyés à eux-mêmes pour en faire sens. Ce rappel de la contingence des grands principes et de la conflictualité inhérente à tout choix politique majeur – et les rapports entre pouvoirs spirituel et temporel en sont un – est bienvenu dans une Europe taraudée par son héritage chrétien et les mutations de la laïcité.
F.F.

Bénéton (Philippe) – Introduction à la politique. – Paris, PUF, 2e éd., 2010 (Quadrige. Manuels). 402 p. Bibliogr.

7Il s’agit là de la réédition d’un livre publié en 1997, au milieu de la décennie heureuse qui, faisant suite à la chute du mur de Berlin, était celle d’une époque dont le grand combat mené par les Occidentaux contre les deux totalitarismes avait été gagné. Le ton du livre, apaisé, est alors plutôt à la justification de la spécificité de la politique vue comme un « art » à défendre devant l’assaut sociologique d’une science politique encore à ses débuts. Le plan du livre est donc classique, c’est-à-dire philosophico-historique. Quatre parties s’en partagent les pages, et en premier lieu, les modes d’interprétation de la politique par les Anciens qui introduisent la raison, les Chrétiens qui la soumettent au bien commun et les Modernes qui, depuis Machiavel et Hobbes, font retour vers les réalités terrestres ; puis « l’interprétation » de cette politique, impossible à ignorer, avec la question de son autonomie, mise au jour par Marx, qui crut la dissoudre dans la découverte des forces de l’infrastructure socioéconomique. Ici interviennent les questions de méthode : comment transmettre les leçons de la politique si elle requiert expérience et intuition plutôt que des techniques qui s’enseignent ? Ceci engendre l’interrogation sur la fonction des élites et la forme adoptée par des régimes qui, quelle que soit celle-ci, devront s’adapter au poids des contraintes qui s’imposent à tous. La troisième partie s’ouvre avec Augustin Cochin sur l’irruption des idéologies dans un monde moderne durement secoué par deux totalitarismes, semblables moins par leurs objectifs que par les ressorts de leur propagande. Et, très naturellement, la dernière partie traite de la problématique de la démocratie libérale contemporaine, elle-même divisée en deux versants : celui de la démocratie substantielle qui, fondée sur la reconnaissance politique d’une dignité propre à l’homme, exige que lui soit reconnue liberté et égalité ; et celui d’une démocratie procédurale qui, pratiquée par des hommes « dépourvus de substance commune et de fins naturelles, doit leur permettre de poursuivre leurs objectifs particuliers ». La réticence de cette dernière formulation traduit le malaise actuel d’une France politique et intellectuelle passant – sans mots pour vraiment le dire – d’une vie politique respectant une sorte de transcendance dominant des débats tranchés devant le peuple après une vaste campagne d’opinion à une vie politique plus éclatée puisque des débats capitaux – tels que la peine de mort, l’avortement ou l’eugénisme, etc. – peuvent finalement se voir tranchés sans consultation de la souveraineté du peuple, dans la confidentialité de tribunaux dont l’histoire de la France a fait que l’assise morale et intellectuelle n’est pas aussi bien assurée et assumée que chez nos voisins anglo-saxons, voire même allemands.

8O.R.

Schumaker (Paul) – The Political Theory Reader. – Malden, Wiley-Blackwell, 2010. 352 p.

9Professeur de science politique à l’Université du Kansas et titulaire depuis une trentaine d’années d’un cours de théorie politique, P. Schumaker fournit ici un recueil de textes qui peut s’avérer fort utile en appui des enseignements de théorie politique dans les cursus de science politique français qui en proposent encore. Optant pour une lecture normative et philosophique de la théorie politique, l’ouvrage présente plus de 80 extraits de textes classiques (Platon, Mill, Tocqueville, Rawls, Oakeshott…) mais aussi de textes situés dans des configurations politiques particulières (à l’exemple de la lettre ouverte de Martin Luther King d’avril 1963 ou de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen). L’intérêt de l’ouvrage est aussi d’offrir une série d’éclairages historiques sur les conditions spécifiques au développement de certaines idéologies ou théories politiques. D’où le choix judicieux de donner à lire les analyses fines de Giovanni Gentile sur les bases philosophiques du fascisme ou, dans un autre contexte, les pages célèbres que consacra Thomas H. Marshall au développement des droits civiques. Précisons que chaque chapitre est précédé d’une courte introduction qui permet de tisser d’utiles liens entre les divers auteurs retenus.

10Y.D.

Demossier (Marion), ed. – The European Puzzle. The Political Structuring of Cultural Identities at a Time of Transition. – Oxford, Berghahn Books, 2007. 220 p., Bibliogr. Index

11Témoignant de la vitalité des études d’anthropologie (notamment culturelle) consacrées à la construction communautaire, cet ouvrage collectif dirigé par Marion Demossier intéressera à plus d’un titre les spécialistes des études européennes. Centré sur les « identités politiques » en Europe, l’ouvrage comporte trois parties inégalement novatrices. Dans une première partie (« European political constructs »), le lecteur trouvera une utile mise en perspective constructiviste des questionnements relatifs aux identités culturelles et politiques en Europe. Les chapitres rédigés par M. Demossier et Ralph Grillo permettent notamment de prendre une distance critique à l’égard des nombreux discours qui tendent à naturaliser « l’identité européenne » et plus encore ses dimensions culturelles et parfois religieuses. La deuxième partie de l’ouvrage (« Cultural and political identities in transition ») propose plusieurs décentrements judicieux en analysant cette « identité européenne » au prisme du cinéma (Wendy Everett) ou encore du football (Christian Bromberger) et des phénomènes d’identification que ce sport génère. La dernière partie (« Challenges to existent forms of belonging and cultural values ») pose de manière plus critique (et plus proche aussi de la littérature disponible dans notre discipline) la difficile question des concurrences identitaires entre divers niveaux et formes d’identification (partisanes, territoriales ou encore nationales). Le chapitre rédigé par David Hanley retiendra particulièrement l’attention parce qu’il articule de manière neuve les questions relatives à la structuration partisane en Europe avec celles relatives aux identifications générées par ces allégeances politiques.

12Y.D.

Bertoncini (Yves), Chopin (Thierry) – Politique européenne. États, pouvoirs et citoyens de l’Union européenne. – Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2010 (Amphi). 502 p. Bibliogr. Annexe

13Reflet d’une série d’enseignements sur les questions européennes dispensés notamment à Sciences Po Paris et au Collège de Bruges par les deux auteurs, cet ouvrage entend combiner les apports des différents regards disciplinaires utiles pour penser la complexité des dimensions politiques de la construction communautaire. Outre la science politique, le droit communautaire, l’histoire et la géopolitique sont convoqués pour rendre intelligible les « lignes de force et d’explication du système politique communautaire » (p. 25). Ce parti pris interdisciplinaire singularise ce manuel dans un secteur où les connaissances ont de plus en plus tendance à se fragmenter et à se spécialiser. Si les apports didactiques de cette approche ouverte sont à souligner fortement, il convient aussi de noter qu’elle oblige les auteurs à laisser de côté une part non négligeable des travaux de science politique, notamment mais pas seulement francophones, qui ont ces dernières années tentés justement de normaliser l’étude des « questions européennes » en refusant de les considérer différemment des autres « questions politiques ». C’est singulièrement le cas lorsque les auteurs abordent les questions relatives aux attitudes politiques et aux mécanismes d’identification qui accompagnent la structuration du pouvoir au niveau européen. Soulignons aussi l’intérêt didactique de l’annexe qui rend compte du développement de la procédure de vote à l’unanimité ou à la majorité qualifiée du Conseil à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

14Y.D.

Bonafé-Schmitt (Jean-Pierre) – La médiation pénale en France et aux États-Unis. – Paris, LGDJ/Lextenso Éditions, 2010 (Droit et société classics). 200 p.

15Originellement publié en 1998, La médiation pénale en France et aux États-Unis s’intègre dans l’heureuse initiative de la collection « Droit et société » consistant à rééditer certains ouvrages en format de poche. Celui-ci retrace l’apparition de la médiation pénale en France, en la mettant perspective au regard des États-Unis. Il part du constat de la multiplication des dispositifs de régulation qui s’écartent du modèle judiciaire classique reposant sur l’imposition, mouvement qui implique une pluralisation des formes de régulation sociale. Ce livre a l’immense mérite de rappeler que la médiation pénale ne constitue pas véritablement une alternative aux poursuites, mais plutôt un outil complémentaire pour des parquets afin de diversifier la réponse pénale. Les contrastes entre les deux pays parcourent l’ouvrage : domination par des formes de médiation pénale et des financements publics pour la France, importance des programmes de « community mediation » et poids des fonds privés aux États-Unis. Diversité qui marquerait des conceptions différentes des rapports entre société civile et État : culture de l’intervention de l’État et modèle fondé sur l’intégration de l’individu d’un côté, culture de la limitation de l’État au profit de la communauté de l’autre (p. 195). Si cet ouvrage est utile du point de vue descriptif, on peut regretter, d’abord, qu’il n’ait pas fait l’objet d’une véritable actualisation à l’occasion de cette réédition. Quelques nouvelles sources bibliographiques sont ajoutées (mais guère intégrées dans la réflexion) et, surtout, quasiment aucune des données ne fait l’objet d’une véritable actualisation, même sous la forme d’une simple mise en perspective. On ne compte pas d’informations récentes (que sont devenues les activités de médiation depuis 1998 ? ont-elles fait l’objet d’un soutien continu des autorités ministérielles et locales ? etc.), ce qui ne peut que laisser le lecteur sur sa faim, surtout quand l’auteur aborde le devenir de ces formes de médiation. Il est également dommage que cette nouvelle version n’ait pas été l’occasion de corriger des lacunes de la première édition, notamment du point de vue comparatif. Le cas américain suit le cas français, sans que ne soient tirées à un quelconque moment de vraies leçons comparatives. L’ouvrage passe de façon extrêmement brutal de l’analyse de cas détaillée à la montée en généralité, sans que le lecteur bénéfice des étapes autorisant cette montée en généralité. Ainsi, utile document descriptif sur la genèse de ces nouvelles formes de régulation des conflits, ce livre ne parvient pas à convaincre totalement le lecteur cherchant à comprendre les dynamiques comparées d’institutionnalisation de nouvelles pratiques de régulation.
J. de M.

Frajerman (Laurent), Bosman (Françoise), Chanet (Jean-François), Girault (Jacques), dir. – La Fédération de l’Éducation nationale (1928-1992). Histoire et archives en débat. Avant-propos de Martine de Boisdeffre. – Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2010 (Histoire et civilisations). 352 p. Bibliogr.

16Fruit d’un travail pluridisciplinaire, cet ouvrage collectif vient compléter et poursuivre à sa manière l’ouvrage classique qu’avait consacré notamment la regrettée Véronique Aubert à La forteresse enseignante[2]. Pôle central du paysage éducatif et syndical français jusqu’à sa disparition en 1992, la FEN incarne aussi un moment particulier des politiques éducatives françaises, celui d’une cogestion aujourd’hui décriée. L’origine de cet ouvrage, riche en documents et en illustrations, doit être recherchée dans le dépôt effectué par l’organisation syndicale de ses archives (comptes rendus de réunion, photographies, archives sonores…) aux Archives nationales du monde du travail (ANMT) de Roubaix. D’où la présence ici d’une utile partie consacrée à l’inventaire raisonné des diverses sources archivistiques relatives à l’action de la FEN, de sa création en 1928 à sa scission en 1992. Scission qui donnera naissance à l’UNSA Éducation et à la Fédération syndicale unitaire. Cette partie est complétée par une bibliographie exhaustive, préparée par Jacques Girault, qui retiendra tous les chercheurs intéressés par les politiques éducatives françaises et la contribution syndicale à ces dernières. L’originalité de l’ouvrage est aussi de croiser, comme cela est fréquent dans le domaine de l’histoire de l’éducation, le regard des spécialistes universitaires (historiens, sociologues, politistes) à celui des archivistes et des acteurs.

17Y.D.

Neau-Dufour (Frédérique) – Yvonne de Gaulle. – Paris, Fayard, 2010. 586 p. Bibliogr. Chronologie. Index

18Les « gender studies » ont appris à regarder l’histoire en sa totalité, à ne plus négliger dans l’équilibre général des sociétés le rôle des femmes, invisibles ou silencieuses – au moins dans les archives – mais non absentes du cours des événements, ne serait-ce que par ce rôle – que personne ne leur dénie – de lien social entre les hommes qui, livrés à eux-mêmes, sombrent dans l’anomie, quand ce n’est pas la barbarie. Tel est l’esprit de cette biographie d’une silencieuse s’il en fût, élevée dans la quiétude et la richesse d’une famille bourgeoise de Calais, proche de l’Angleterre où la jeune fille fut envoyée pendant la première guerre mondiale, durant laquelle sa mère se distingua comme infirmière-major, donnant à sa fille un modèle qui, dans l’effondrement de juin 1940, lui permit de prendre vite et seule la décision d’un exil où elle ignorait que son mari l’eût devancée. Mais après le mariage de carte postale, un drame s’était abattu sur le ménage, cette troisième enfant, victime d’un mal que l’on ne savait nommer, qui, tout à la fois, cassa et révéla Yvonne, transcendant ce malheur familial en créant une « œuvre » – nous valant une importante correspondance ici étudiée pour la première fois – comme elle émut la France profonde du malheur, sûre de trouver à l’Élysée ou à Colombey un œil pour être lue avec compassion et bien souvent une oreille pour tempérer la souffrance des jours. Ce livre veut redresser deux images opposées : celle d’un fils qui, oublieux de l’immense souffrance maternelle, ne se remet pas de ce refoulement général des émotions, et celle du Canard enchaîné qui, négligeant son rôle dans l’adoption de la pilule ou d’une politique favorable aux handicapés, a trop souvent réduit « tante Yvonne » à ses petits chapeaux comme à son refus de recevoir les couples divorcés…
O.R.

Hazareesingh (Sudhir) – Le mythe gaullien. – Paris, Gallimard, 2010 (Nrf. Suite des temps). 282 p. Index. Bibliogr.

19L’originalité de ce livre est de commencer par la fin puisqu’en avril 2009, l’auteur avoue avoir été pris par l’émotion lorsque, à l’occasion de l’ultime hommage à Maurice Druon, ami de son père, la cour des Invalides a entendu s’élever le Chant des partisans au cours « d’une scène grandiose d’eschatologie républicaine ». Et d’interroger : quel est ce pays capable de conduire pareilles cérémonies ? Et quel est cet homme, libérateur de la patrie certes, mais devenu une sorte de « père » posthume – devant la tombe de Colombey, défilent pèlerins et hommes politiques – et d’autant plus que le présent de la politique française est devenu médiocre, incertain, toujours en mal de légitimité ? Tout le livre tend à montrer que ce « mythe » fut savamment construit dès Londres par de Gaulle, avec ce « parler gaullien » si particulier, retrouvé dès la première phrase des Mémoires de guerre, fétiche autant que plagié, associé aux rites militaires et décorations ad hoc, avec ces festivités où l’armée, reconstituée et modernisée, devenait le point de ralliement d’une République de fraternité lamartinienne vite reconnue par ce spécialiste du 19e siècle français. Cependant, si ce regard extérieur, nourri d’une incessante comparaison avec la légende napoléonienne que S. Hazareesingh connaît bien, aide à mesurer l’extraordinaire d’un culte né dans la seconde partie du 20e siècle, il laisse entièrement de côté l’analyse des circonstances qui l’ont rendu possible, et à tout jamais singulier : un pays qui, encore divisé par le souvenir de la Révolution, réussit grâce à ce mythe à surmonter tant le schisme des années 1940-1945 que la menace de guerre civile, inséparable de la disparition du vieil empire colonial.

20O.R.

Durandin (Catherine), avec la participation de Guy Hoedts – La mort des Ceau?escu. La vérité sur un coup d’État communiste. – Paris, Bourin Éditeur, 2010 (Document). 220 p. Cartes. Bibliogr. Index

21L’ouvrage relate sur un mode chronologique les événements qui ont précédé la chute du régime communiste en Roumanie. Jamais formulée de façon explicite, la thèse défendue consiste à mettre au jour une articulation de trois dynamiques. Des tensions sociales sont tout d’abord provoquées par les pénuries et les restrictions économiques : bien qu’elles soient sévèrement réprimées, les protestations de salariés enregistrées dans les usines Steagul Rosu et Tractorul de Brasov en 1987 fragilisent le régime. De jeunes « élites impatientes » se trouvent ensuite bloquées dans leur ascension au sein de l’appareil communiste. Un accord tacite est enfin conclu entre l’URSS et les États-Unis pour jeter à bas Nicolae Ceau?escu : les premiers signes en sont perçus dans les critiques formulées par Mikhaïl Gorbatchev à l’encontre de son homologue roumain, lors d’une visite officielle à Bucarest en mai 1987 ; l’ambassade des États-Unis noue dans le même temps des contacts avec des cadres du régime qui ont affiché dans le passé des désaccords avec la direction du Parti communiste roumain et leur adresse des signes de soutien. Pour caractériser ces dynamiques, les auteurs ne mobilisent pas d’archives inédites. Ils s’appuient sur quelques entretiens réalisés – sans plus de précision – avec des intellectuels roumains, mais aussi et surtout sur les mémoires publiés par des diplomates. Le propos présente une forme narrative et ne prétend pas livrer une réflexion générale sur les changements de régime, appuyée sur des outils de sociologie politique. Il ne vise pas davantage à discuter l’historiographie disponible – notamment les travaux de Peter Siani-Davies, consacrés au même objet.

22A.R.

Verkuil (Paul R.) – Outsourcing Sovereignty. Why Privatization of Government Functions Threatens Democracy and What We Can Do about It. – New York, Cambridge University Press, 2007. 232 p. Bibliogr. Index

23L’ouvrage de Paul R. Verkuil analyse la soustraitance d’un nombre croissant d’activités du secteur public à des entreprises privées. Ce processus touche aujourd’hui à des prérogatives affectant les prérogatives régaliennes, qu’il s’agisse de la conduite de la guerre (on pense au rôle de Blackwater dans les opérations militaires en Irak) de la collecte de l’impôt (l’IRS sous-traite la collecte de certaines taxes à des sociétés privées) ou de l’application des sanctions de justice (tel le développement des prisons privées). L’ouragan Katrina l’a mis en évidence : c’est la capacité même du gouvernement à assurer les tâches de commandement, de protection de sa population et d’évaluation de son action qui est aujourd’hui menacée. Le Government of Accountability Office est ainsi contraint de recourir à des sous-traitants pour évaluer ses sous-traitants.

24Montrant que cette privatisation n’est pas nécessairement la voie la plus efficace, l’auteur, farouche partisan de la dérégulation et qui entend le rester, entreprend de rappeler aux gouvernants « leur devoir de gouverner ». Ils ont été investis pour assurer des missions de gouvernement et certaines d’entre elles ne peuvent pas être soustraitées sans contrevenir à l’acte initial de délégation – la Constitution – qui assure que l’agent (les gouvernants) reste dans les cadres qui lui ont été fixés par le principal (le peuple). Pour réaffirmer ces « compétences inhérentes au gouvernement », l’auteur envisage deux solutions principales. Il s’agit d’une part de la professionnalisation de la bureaucratie qui passerait par une réduction sévère du nombre de nominations politiques, de la diversification des carrières des élèves des académies militaires en leur offrant la possibilité d’accéder à des emplois civils, et la création d’une école d’administration publique afin de forger une élite administrative disposant de compétences élevées et du sens de l’État. Il s’agit d’autre part du développement des partenariats publics-privés en lieu et place des contrats de sous-traitance, afin de mieux partager compétences et risques dans la gestion de l’action publique.

25Cet ouvrage repose essentiellement sur la lecture du New York Times, des rapports parlementaires et l’interprétation des controverses juridiques. Le lecteur serait déçu s’il y cherchait une sociologie de l’administration étasunienne, une analyse des fonctionnements organisationnels de services privatisés ou une étude des modalités concrètes d’exercice de ces activités de souveraineté sous-traitées. Mais ce livre se révèle finalement intéressant, non pour son contenu ou les propositions de réforme qu’il formule, mais pour ce qu’il dit de l’évolution des représentations de l’action publique au sein des professions juridiques. On lit en réalité le plaidoyer d’un juriste américain pour la défense de la notion ayant fondé juridiquement l’État (la souveraineté), juriste obligé de revenir au « We the People » initial alors que tout le reste a été consciencieusement rogné.
P.-Y.B.

Notes

  • [*]
    Établies sous la responsabilité de Yves Déloye, assisté de Cécile Brouzeng, avec, pour ce numéro, la collaboration de Pierre-Yves Baudot, François Foret, Jacques de Maillard, Antoine Roger et Odile Rudelle, auxquels la Revue adresse ses remerciements.
  • [1]
    Pierre Manent, Les métamorphoses de la cité. Essai sur la dynamique de l’Occident, Paris, Flammarion, 2010 (Essai).
  • [2]
    Véronique Aubert, Alain Bergounioux, Jean-Paul Martin, René Mouriaux, La forteresse enseignante. La Fédération de l’Éducation nationale, Paris, Fayard, 1985.
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