Notes
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[1]
Carmel Camilleri, « Identité et changements sociaux, point de vue d’ensemble », dans Pierre Tap (dir.), Identités collectives et changements sociaux, colloque international, Toulouse, Privat, 1980, p. 331-342, dont p. 333.
-
[2]
Peter Rupp, « Anthropologie et histoire de l’identité nationale, synchronie des conflits, diachronie des solidarités », dans P. Tap (dir.), Identités collectives…, ibid., p. 61-64, dont p. 62 ; Bartolome Bennassar, « Avant-propos », dans P. Tap (dir.), ibid., p. 7-10, dont p. 7.
-
[3]
C. Camilleri, « Identité et changements… », cité, p. 333.
-
[4]
C. Camilleri, ibid., p. 341.
-
[5]
P. Rupp, « Anthropologie… », cité, p. 62. B. Bennassar, « Avant-propos », cité, p. 7.
-
[6]
Manga Bekombo, « Ethnicité et personnalité individuelle. L’enfant et sa socialisation en Afrique noire », dans P. Tap (dir.), Identités collectives…, op. cit., p. 39-42, dont p. 39.
-
[7]
Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983-1985, p. 355.
-
[8]
Johann Michel, « Narrativité, narration, narratologie : du concept ricœurien d’identité narrative aux sciences sociales », Revue européenne des sciences sociales, 41 (125), 2003, p. 125-142.
-
[9]
Avant la réforme de 1993, les jeunes nés en France de parents étrangers devenaient automatiquement français à leur majorité s’ils habitaient en France à cette date et y résidaient depuis cinq ans. Ils avaient la possibilité de décliner la nationalité française dans l’année précédant leur majorité.
-
[10]
Au cours de l’enquête, 62 entretiens ont été effectués, mais 12 l’ont été avec des jeunes qui ne répondaient pas aux critères choisis, notamment parce qu’ils avaient acquis la nationalité française depuis longtemps.
-
[11]
En 1995, 33,7 %des manifestations de volonté souscrites l’étaient par des Portugais, 32,1 % par des Marocains, 12,2 % par des Tunisiens, 10,1 % par des Turcs et 3,3 % par des Espagnols : Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 1996 », Études et Statistiques Justice, 9, 1998, p. 32. Le faible nombre d’enquêtés de parents espagnols, tunisiens et turcs ne constitue pas une limite à la validité de l’enquête dans la mesure où il ressort de cette recherche que la variable pertinente n’est pas la nationalité, mais l’appartenance ou non à l’Union européenne.
-
[12]
On ne ventile pas ici les ouvriers selon leur qualification car les déclarations des jeunes paraissent sur ce plan particulièrement fragiles.
-
[13]
Michèle Tribalat, Faire France, une enquête sur les immigrés et leurs enfants, Paris, La Découverte, 1995.
-
[14]
11 enquêtés de 16 ans, 14 de 17 ans, 18 de 18 ans et 7 de 19 et 20 ans.
-
[15]
Répartition des enquêtés par niveau d’étudeNiveau d’étude Nombre d’enquêtés Sortie du système scolaire avec un niveau inférieur au brevet des collèges. Inscription à la Mission locale ou en classe de remise à niveau 5 Collège 5 Apprentissage, CAP 6 BEP, baccalauréat professionnel 12 Lycées technique et général Études supérieures 20 2 Total 50
-
[16]
Il s’agit non des décisions définitives, mais de ce que les jeunes envisagent de faire au moment de l’entretien. Les réponses reflètent leurs représentations et ne correspondent pas nécessairement à la réalité juridique. Ainsi, les adolescents qui pensent ne prendre que la nationalité française seront en général juridiquement binationaux. Ils ignorent qu’il leur faut le plus souvent faire des démarches, s’ils le souhaitent, pour se libérer de leurs anciens liens d’allégeance, quand, du moins, l’État de leurs parents les y autorise.
-
[17]
André Lebon, Situation de l’immigration et présence étrangère en France 1993-1994, Paris, La Documentation française, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Direction de la population et des migrations, 1994. Les déclinaisons sont désormais extrêmement rares. Voir infra.
-
[18]
Olivier Galland, Jean-Vincent Pfirsch, Les jeunes, l’armée et la nation, Paris, Centre d’études en sciences sociales de la Défense, 1998.
-
[19]
Sylvain Brouard, Vincent Tiberj, Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
-
[20]
La Mission locale est une structure d’aide à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes.
-
[21]
La question précise était : « Vous personnellement, vous sentez-vous seulement français, plus français qu’européen, autant français qu’européen, seulement européen, ni français ni européen ? »
-
[22]
O. Galland, J.-V. Pfirsch, Les jeunes, l’armée et la nation, op. cit., p. 7.
-
[23]
Ibid., p. 13.
-
[24]
Ibid., p. 8.
-
[25]
Ibid., p. 11-12.
-
[26]
S. Brouard, V. Tiberj, Français comme les autres ?…, op. cit., p. 17.
-
[27]
S. Brouard, V. Tiberj, ibid., p. 126-127.
-
[28]
Ibid., p. 127.
-
[29]
Marcel Mauss, « Nation, nationalité, internationalisme », dans Œuvres, t. 3, Paris, Minuit, 1969, p. 573-625. Dominique Schnapper, La France de l’intégration, sociologie de la nation, Paris, Gallimard, 1991 ; La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994.
-
[30]
Gérard Noiriel, « Nations, nationalités, nationalismes. Pour une socio-histoire comparée », dans Gérard Noiriel (dir.), État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Belin, 2001, p. 87-144.
-
[31]
Max Weber, « Les relations communautaires ethniques », dans Économie et société, l’organisation et les puissances de la société dans leur rapport avec l’économie, Paris, Plon, 1995, p. 139-144 ; Benedict Anderson, L’imaginaire national, réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
-
[32]
G. Noiriel, « Nations… », cité, p. 133.
-
[33]
Alain Dieckhoff, La nation dans tous ses états, les identités nationales en mouvement, Paris, Flammarion, 2000, p. 295.
-
[34]
L’analyse du déroulement de l’enquête montre qu’une catégorie de jeunes n’a pu être rencontrée. Il s’agit de ceux qui sont en dehors de toute structure : ils ne sont plus scolarisés, ne travaillent pas, ni ne fréquentent régulièrement un organisme d’aide à l’insertion professionnelle, et dont des frères, des sœurs ou des travailleurs sociaux m’ont dit qu’ils ne prenaient pas la nationalité française, alors même qu’ils pensaient faire leur vie en France. J’ai tenté de les rencontrer par l’intermédiaire de mes informateurs, mais je n’ai essuyé que des refus. Étant donné que je ne dispose sur ces adolescents que des éléments fournis par mes informateurs, la position singulière dans laquelle ils se trouvent n’a pas été incluse dans l’ensemble des positions présentées.
-
[35]
Diego a 16 ans. Il est en seconde au lycée espagnol. Il habite à Paris dans les beaux quartiers. Son père est chef d’équipe dans le bâtiment. Diego ne veut pas prendre la nationalité française.
-
[36]
À 18 ans, Nizar est en première année de BTS de gestion. Il habite dans les beaux quartiers et a la double nationalité. Son père a une entreprise d’import-export.
-
[37]
Bruno a 18 ans. Il est en deuxième année de BEP et ne veut pas prendre la nationalité française. Il habite un pavillon en lointaine banlieue. Son père est ouvrier.
-
[38]
Au moment de l’enquête, le service national n’avait été abrogé ni en France, ni en Espagne, ni au Portugal.
-
[39]
D’après les données nationales, entre 7 et 9 % des enfants nés en France dans les années 1970 et y résidant 20 ans plus tard, essentiellement des garçons, ne prenaient pas la nationalité française, il est vrai, pour des raisons différentes. Le pourcentage d’enfants restant étrangers a fortement changé pour les générations nées à partir de 1978. Il est de 3,1 % chez les enfants nés en 1978 et diminue ultérieurement : Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 1999 », Études et Statistiques Justice, 17, 2000. Le nombre des déclinaisons est ainsi passé de 193 en 1999 à 45 en 2003 : Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 2003 », Études et Statistiques Justice, 25, 2005. La répartition entre garçons et filles s’est aussi grandement modifiée, devenant beaucoup plus équilibrée. Il faut sans doute y voir l’effet de la suppression en France du service national. Cf. A. Lebon, Situation de l’immigration…, op. cit. ; Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 1999 », cité.
-
[40]
Nizar, binational, cité.
-
[41]
Olivia a 17 ans. Elle est en deuxième année de BEP. Elle a pris la nationalité française mais voudrait avoir « la double ». Elle habite dans les beaux quartiers. Son père, salarié, est réparateur de parapluies.
-
[42]
Emna, 18 ans, est en première STT. Elle s’est faite délivrer sa carte nationale marocaine mais dit avoir pris seulement la nationalité française. Elle habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père est manutentionnaire.
-
[43]
À 17 ans, Khadija est en première ES. Elle a la double nationalité et habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père est ouvrier chez Renault.
-
[44]
Les jeunes qui pensent ne pas avoir la nationalité de leurs parents se trompent. Sur ces représentations erronées, voir Évelyne Ribert, Liberté, égalité, carte d’identité. Les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, Paris, La Découverte, 2006.
-
[45]
Ces jeunes pensent s’être défaits de leur nationalité d’origine, parce qu’ils ne se sont pas fait délivrer leurs papiers : ils font erreur. On ne perd généralement pas ainsi sa nationalité : il faut le plus souvent faire une démarche officielle.
-
[46]
Jean-Marc, 19 ans, en terminale S, a pris la double nationalité. Il habite un pavillon en lointaine banlieue. Son père est ouvrier dans le bâtiment.
-
[47]
Ouahid a pris seulement la nationalité française. À 17 ans, il est en terminale STT. Il habite un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père, décédé, était ouvrier.
-
[48]
David Lepoutre, Isabelle Cannoodt, Souvenirs de familles immigrées, Paris, Odile Jacob, 2005.
-
[49]
La reconnaissance officielle de l’importance de l’immigration dans l’histoire de la France, dont témoigne l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, est récente.
-
[50]
Ces jeunes pensent devoir se faire délivrer leurs papiers pour garder leur nationalité.
-
[51]
Aïcha, 19 ans, est en terminale S et vit dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père, qui a été ouvrier chez Renault, est au chômage.
-
[52]
À 17 ans, Béatrice sort de 3e. Elle veut entrer en apprentissage dans la coiffure. Elle habite en proche banlieue dans un logement qui ne fait pas partie d’un grand ensemble. Son père est peintre en bâtiment.
-
[53]
Ismaël, 16 ans, pense prendre la double nationalité. Il est en 5e et habite en lointaine banlieue. Son père est ouvrier chez Peugeot.
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[54]
Jamila, 18 ans, en première STT, dit n’avoir pris que la nationalité française. Elle habite un pavillon en lointaine banlieue. Son père travaille à la SNCF.
-
[55]
Amel, 16 ans, est en première S. Elle a pris les nationalités marocaine et française. Son père est ouvrier chez Renault.
-
[56]
À 19 ans, Jean-Marc, de père ouvrier, est en terminale S. De nationalités française et portugaise, il réside dans un pavillon en lointaine banlieue.
-
[57]
Jamila, citée, se dit uniquement de nationalité française.
-
[58]
Ismaël, cité, pense prendre la double nationalité.
-
[59]
Hélène, à 17 ans, est en terminale littéraire. Au moment de l’entretien, elle disait n’avoir pris que la nationalité française, mais comptait prendre la double. Elle habite au centre ville en lointaine banlieue.
-
[60]
Amel, citée, vit en lointaine banlieue et a la double nationalité.
-
[61]
L’entretien avec Ouahid, cité, a été réalisé en octobre 1995, après les attentats aux stations Saint-Michel et Maison-Blanche commis à Paris par le Groupe islamique armé (GIA).
-
[62]
Houssine a 18 ans. Il sort de prison. Il est inscrit à la Mission locale. Son père est ouvrier chez Peugeot. Il habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue.
-
[63]
Moussa, 17 ans, en 3e, dit n’avoir pris que la nationalité française. Il habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père, à la retraite, était ouvrier.
-
[64]
Jamila, citée.
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[65]
Aïcha, citée, née en France d’un père marocain ouvrier, a la double nationalité.
-
[66]
Jean-Luc Richard, Partir ou rester ? Destinées des jeunes issus de l’immigration, Paris, PUF, 2004.
-
[67]
S. Brouard, V. Tiberj, Français comme les autres ?…, op. cit.
-
[68]
Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention, Paris, Gallimard, 2007.
-
[69]
C. Braconnier, J.-Y. Dormagen, ibid., p. 60.
-
[70]
Ibid., p. 333.
-
[71]
Nuno a 18 ans. Il est en 2e année de BEP et a pris les nationalités française et portugaise. Il habite dans les beaux quartiers. Son père est chef d’équipe dans le bâtiment.
-
[72]
Né d’un père marocain ouvrier, Ouahid, cité, dit n’avoir pris que la nationalité française.
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[73]
Hélène, citée, compte prendre la double nationalité. Elle habite en centre ville en lointaine banlieue. Son père est ouvrier.
-
[74]
Jamila, citée, se dit seulement de nationalité française.
-
[75]
De parents tunisiens, Fariha a 18 ans. Elle est en CAP et a pris la double nationalité. Son père est mécanicien, elle habite en proche banlieue.
-
[76]
Comme cela a été dit supra, il y a une catégorie de jeunes qu’il n’a pas été possible de rencontrer et sur lesquels je dispose de renseignements par des informateurs. Cette catégorie n’invalide pas l’analyse présentée ici. Ces adolescents, hors de toute structure, ne deviennent pas français, alors qu’ils veulent faire leur vie en France : soit ils n’ont pas le courage d’effectuer les démarches nécessaires pour acquérir la nationalité française, soit ils s’y refusent par révolte. Si les différentes dimensions composant le lien national paraissent dans ce cas un peu plus congruentes (pas d’acquisition de la nationalité française, absence d’identification à la France…), rester étranger tout en voulant vivre dans l’Hexagone est la marque d’une disjonction. Qui plus est, rien ne dit que le lien que ces jeunes entretiennent avec le pays de leurs parents est un lien national. Quoi qu’il en soit, ce qu’ils ont pu dire à leurs proches ou aux travailleurs sociaux sur leur sentiment identitaire semble être un indicateur un peu plus fiable du lien qu’ils entretiennent avec la France que les déclarations des adolescents proches des deuxième et troisième positions, même si l’on peut se demander s’ils n’entretiennent pas malgré tout un lien profond avec la France. Le refus de prendre la nationalité française pourrait n’être qu’un effet du sentiment de stigmatisation et d’exclusion. Ces adolescents étant très minoritaires d’après les statistiques d’acquisition de la nationalité française, ils ne remettent pas en cause l’analyse globale présentée ici.
-
[77]
Isabelle a 18 ans, elle est en seconde. Elle habite un grand ensemble en lointaine banlieue et son père est technicien.
-
[78]
Khadija, citée, a la double nationalité.
-
[79]
Nicolas Mariot, « Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou l’état d’esprit prêté aux foules », Revue française de science politique, 51 (5), octobre 2001, p. 707-738.
-
[80]
Nancy Venel, Musulmans et citoyens, Paris, PUF, 2004, p. 9.
-
[81]
Les catégories proposées par Nancy Venel diffèrent des positions présentées dans cet article car les problématiques et les échantillons des deux enquêtes ne sont pas les mêmes. N. Venel analyse « la citoyenneté “ordinaire” des jeunes Français d’origine maghrébine, musulmans “sociologiques” ». Sa recherche, si elle explore le sentiment d’appartenance nationale, porte d’abord sur la conception, le vécu et les formes de la citoyenneté. Il s’agit pour elle de comprendre comment les jeunes « musulmans sociologiques » concilient citoyenneté et appartenance religieuse ; ce qui la conduit logiquement à présenter des catégories en lien avec la religion. C’est le cas de deux d’entre elles (sur quatre). L’enquête exposée ici porte au contraire sur le choix de la nationalité et le lien entretenu avec la France et le pays des parents. La religion, si elle a souvent été évoquée par les enquêtés, n’est pas apparue comme centrale, à la différence du choix du pays de résidence, thème qui, éloigné de la question de la citoyenneté, n’est que secondaire dans le travail de Nancy Venel. En outre, les échantillons de ces deux recherches diffèrent. Les âges ne sont pas les mêmes, N. Venel ayant rencontré des 18-35 ans. Les nationalités étudiées non plus : la recherche de N. Venel ne porte que sur les « musulmans sociologiques » et elle inclut les Algériens, qui sont absents du travail présenté ici. Or, ceux-ci sont les seuls à composer l’une des quatre catégories qu’elle propose : celle des « Français pratiquants ».
-
[82]
Ruwen Ogien, « Sanctions diffuses, sarcasmes, rires, mépris… », Revue française de sociologie, 31, 1990, p. 591-607.
-
[83]
Sophie Duchesne, Citoyenneté à la française, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 310.
-
[84]
S. Duchesne, ibid., p. 323-324.
-
[85]
Thomas, 18 ans, veut avoir la double nationalité. En apprentissage comme boulanger, il habite en proche banlieue dans un grand ensemble. Son père, invalide, était conducteur de poids lourds.
-
[86]
Souad, 16 ans, de parents tunisiens, a pris la double nationalité. Elle est en première année de CAP. Son père est boulanger (salarié). Elle habite à Paris dans un quartier populaire.
-
[87]
Jamila, citée, se dit seulement française.
-
[88]
Hèlène, citée, pense prendre les nationalités française et portugaise.
-
[89]
Joël Candau, Mémoire et identité, Paris, PUF, 1998, p. 193.
-
[90]
P. Ricœur, Temps et récit, op. cit.
-
[91]
Abdelmalek Sayad, « Les maux-à-mots de l’immigration. Entretien avec Jean Leca », Politix, 12, 1990, p. 7-24, dont p. 11.
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[92]
A. Sayad, ibid., p. 17.
1Quel est le sentiment identitaire des Français issus de l’immigration, et plus précisément des jeunes issus de l’immigration ? Se « sentent-ils » français, étrangers, les deux, ni l’un ni l’autre ? L’étude du sentiment d’identité, quelle que soit la population concernée, se heurte à deux séries de difficultés.
2La première tient au fait que l’identité ne fait pas nécessairement l’objet d’une réflexion approfondie de la part des intéressés. Si l’on reprend les distinctions introduites par Carmel Camilleri [1], Peter Rupp et Bartolome Bennassar [2], l’identité peut être non dite, formulée ou proclamée. L’identité non dite est une identité évidente pour les personnes concernées. Il va de soi, pour celles-ci, qu’elles ont cette identité. Celle-ci ne nécessite pas de détour réflexif. Les individus se savent affiliés à un groupe « avant de pouvoir exprimer ce savoir de façon définie et sans même avoir besoin de le faire » [3]. C’est la forme d’identité que l’on trouve dans des situations où l’identité n’est pas menacée. A contrario, « le passage à la formulation paraît se faire […] lorsque la situation devient problématique » [4]. Les intéressés s’interrogent alors sur leurs appartenances, qu’ils cherchent à définir et auxquelles ils veulent donner un contenu. Quant à l’identité proclamée, ou « identité subjective » pour Peter Rupp et Bartolome Bennassar [5], elle pourrait être définie, en paraphrasant Manga Bekombo, « comme une idée […] proclamée, qu’à un moment donné l’on se fait de soi-même en tant que sujet individuel ou collectif. Cette idée jouit d’un privilège exceptionnel en ceci qu’elle n’a nul besoin d’être fondée : elle se suffit à elle-même » [6]. Autrement dit, elle peut ne pas se baser sur des traits objectifs. Elle est pure affirmation d’une appartenance et témoigne d’une identité problématique.
3La deuxième série de difficultés provient de la variabilité du sentiment d’identité dans le temps et suivant les situations, cette variabilité étant renforcée dans un contexte où les individus ont des appartenances multiples. Dès lors, on peut penser, en reprenant le concept d’identité narrative de Paul Ricœur, que ce n’est qu’à travers la narration d’une histoire que le sentiment identitaire pourra être appréhendé.
« L’identité du qui, écrit Paul Ricœur, […] n’est qu’une identité narrative. Sans le secours de la narration, le problème de l’identité personnelle est en effet voué à une antinomie sans solution : ou bien l’on pose un sujet identique à lui-même dans la diversité de ses états, ou bien l’on tient, à la suite de Hume et de Nietzsche, que ce sujet identique n’est qu’une illusion substantialiste, dont l’élimination ne laisse apparaître qu’un pur divers de cognitions, d’émotions, de volitions. » [7]
5Mais, comme le souligne Johann Michel [8], tout le monde n’élabore pas un véritable récit, au sens où l’entend Paul Ricœur. Certaines personnes peuvent s’y refuser ou n’être pas en mesure de le faire. Les formes narratives sont également diverses : anecdotes, bribes d’histoires, etc. En outre, le récit éventuellement obtenu ou les propos recueillis sont tributaires de la situation d’enquête, le sentiment d’identité, variable, changeant suivant l’interlocuteur. Dans ces conditions, est-il possible de cerner le sentiment identitaire des jeunes Français issus de l’immigration ? Comment interpréter leurs déclarations sur ce sujet ? Celles-ci constituent-elles un bon indicateur du lien qu’ils entretiennent d’un côté avec la France, de l’autre avec le pays de leurs parents ?
6Pour répondre à ces questions, je m’appuierai sur les résultats de différents travaux quantitatifs, ainsi que sur une enquête de terrain que j’ai menée auprès de jeunes nés en France de parents étrangers. Cette enquête a été réalisée en 1995 et 1996 dans le cadre d’une recherche qui visait à comprendre ce que représente l’appartenance nationale pour les jeunes issus de l’immigration. Afin d’éviter d’avoir à poser aux enquêtés des questions auxquelles ils n’ont jamais réfléchi, l’entrée en matière se faisait par la nationalité, les adolescents étant interrogés sur leur choix dans ce domaine. L’occasion de cette enquête a été fournie par la réforme du code de la nationalité de 1993 qui obligeait les enfants nés en France de parents étrangers à faire une démarche positive entre 16 et 21 ans – en d’autres termes, à manifester leur volonté – s’ils souhaitaient acquérir la nationalité française, obligation abrogée en 1998 par la loi dite « Guigou » qui a rétabli, pour ces jeunes, l’automaticité de l’acquisition de la nationalité française à la majorité [9]. Cette réforme ne concernait pas les enfants nés en France d’un parent étranger qui y était lui-même né, ceux-ci étant français de naissance en vertu du « double droit du sol ». Cette disposition s’appliquait notamment aux enfants nés en France de parents algériens, dont l’un des parents était né en Algérie avant l’indépendance de ce pays. Dans le cadre de cette enquête, il s’agissait donc de rencontrer des jeunes concernés par cette procédure de manifestation de volonté, c’est-à-dire âgés de 16 à 21 ans et qui n’avaient pas acquis la nationalité française avant l’entrée en vigueur de la loi le 1er janvier 1994. Cinq nationalités ont été retenues, d’un côté pour éviter l’émiettement, de l’autre pour savoir quel était l’élément éventuellement déterminant par-delà la nationalité : l’appartenance ou non à l’Union européenne en fonction de laquelle varie le droit du séjour, l’ancienneté du courant migratoire, l’existence d’un passé colonial entre la France et le pays d’origine de la famille, le droit de la nationalité du pays d’émigration ou d’hypothétiques différences culturelles. Les cinq nationalités les plus représentées à l’époque dans le total des manifestations de volonté – portugaise, marocaine, tunisienne, turque et espagnole – ont été choisies car elles répondaient à ces différents critères. Divers lieux d’habitation, aux caractéristiques contrastées, ont également été sélectionnés : le 16e arrondissement de Paris, la ville de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis et le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie dans les Yvelines. Il était enfin prévu de rencontrer des jeunes des deux sexes, de milieux sociaux variés, aux trajectoires scolaires différentes et faisant des choix divers en matière de nationalité, afin d’obtenir un échantillon diversifié. La prise de contact avec les adolescents s’est faite par l’intermédiaire d’établissements scolaires, de structures d’aide à l’insertion professionnelle, ainsi que d’associations sportives, de loisirs et de quartier. Introduite par les enseignants, le personnel ou les animateurs, j’y ai présenté ma recherche à des jeunes, individuellement ou en groupe, auxquels je demandais ensuite s’ils accepteraient de m’accorder un entretien.
7Au total, 50 jeunes [10] répondant aux critères retenus ont été interrogés. L’enquête s’est révélée plus ou moins facile suivant les endroits. Particulièrement difficile dans le 16e arrondissement, où les associations et établissements scolaires se sont montrés peu coopératifs, elle a été en revanche très fructueuse dans le Mantois. Les adolescents qui en sont issus sont donc majoritaires (30 enquêtés). Les jeunes rencontrés dans les différents lieux d’enquête n’habitant pas nécessairement le quartier, les lieux d’habitation ont été réorganisés en diverses catégories : arrondissements centraux et coûteux de Paris (7 enquêtés), quartiers populaires de la capitale (5 enquêtés), proche banlieue (8 enquêtés) et lointaine banlieue (30 enquêtés). Pour la banlieue, une distinction supplémentaire a été introduite suivant le type d’habitat : grand ensemble (27 enquêtés) versus centre-ville et zone pavillonnaire (11 enquêtés). La prépondérance du Mantois explique celle des enfants de parents marocains (26 enquêtés, contre 13 de parents portugais, 5 de parents espagnols, 4 de parents tunisiens et 2 de parents turcs) [11], beaucoup de Marocains vivant à Mantesla-Jolie, ainsi que le nombre particulièrement élevé de jeunes de père ouvrier [12] (44 enquêtés, contre 4 dont le père est artisan, commerçant ou indépendant et 2 dont le père appartient aux professions intermédiaires). Ce nombre reflète toutefois d’abord la structure des emplois des parents. L’enquête de Michèle Tribalat [13] montre ainsi qu’environ 80 % des immigrés portugais et marocains ayant occupé leur premier emploi avant 1975 – ce qui est le cas de la majorité des parents des adolescents rencontrés – sont ouvriers, contre 58 % des immigrés espagnols. L’importance des jeunes issus du Mantois n’a pas eu en revanche d’incidence sur la répartition par sexe (27 garçons, 23 filles), âge [14] et niveau d’études [15], qui est diversifiée. Parmi les adolescents rencontrés, quinze souhaitaient [16] n’avoir que la nationalité française, cinq rester étrangers et trente être binationaux. Cette répartition, en ce qui concerne l’acquisition de la nationalité française, correspond aux données nationales de l’époque : 7 à 9 % des enfants nés en France de parents étrangers dans les années 1970 et présents 20 ans plus tard ont décliné la nationalité française [17].
8À partir de cette enquête et des résultats de différents travaux quantitatifs, cet article se propose de montrer que les déclarations des jeunes en matière de sentiment identitaire constituent un indicateur inadéquat pour appréhender le lien que ceux-ci, et plus largement les Français issus de l’immigration, entretiennent d’un côté avec la France, de l’autre avec le pays de leurs parents, et ce, d’abord parce que le lien entretenu avec un pays est un phénomène aux multiples facettes qu’on ne peut cerner à travers quelques questions sur le sentiment identitaire, ensuite parce que celui-ci, pour les adolescents, n’a pas du tout l’importance et la consistance qu’on lui prête.
Les déclarations en matière de sentiment identitaire : un indicateur insuffisant du lien national
Des réponses en apparence contradictoires obtenues dans les enquêtes quantitatives
9Des résultats des travaux quantitatifs d’Olivier Galland et Jean-Vincent Pfirsch sur le rapport des jeunes à la nation et à l’armée [18], et de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj sur les valeurs, l’identité et le rapport à la citoyenneté des Français issus de l’immi-gration [19], on peut déduire que les réponses à certaines questions « classiques » visant à cerner le sentiment identitaire ne constituent pas de bons indicateurs du lien que les personnes issues de l’immigration entretiennent avec la France.
10L’étude d’Olivier Galland et Jean-Vincent Pfirsch a été menée auprès de 687 jeunes de 15 à 24 ans inscrits en classe de terminale professionnelle ou générale, ainsi qu’à la Mission locale [20]. Il en ressort que les adolescents dont le père est né à l’étranger sont beaucoup moins nombreux que ceux dont le père est né en France à déclarer se sentir seulement français ou plus français qu’européen (25,6 % contre 47,5 %) et beaucoup plus nombreux à dire ne se sentir ni français, ni européen (31,6 % contre 7,4 %) [21]. Les réponses à la question « Parmi les unités géographiques suivantes, quelles sont les deux auxquelles vous avez le sentiment d’appartenir en premier ? » sont congruentes : 51,1 % des jeunes de père né en France mentionnent la France, contre 26,7 % des enfants de père né au Maghreb et 30 % de ceux dont le père est natif d’un autre pays. « L’analyse “toutes choses égales par ailleurs” » montre « que l’origine nationale des parents est le facteur le plus significatif devant la section scolaire et le niveau d’études du père » [22]. Enfin, les adolescents issus de l’immigration sont presque deux fois moins nombreux que ceux qui ne le sont pas (22 % contre 41 %) à trouver important pour eux que la France soit « un vieux pays qui a une longue histoire ».
11Mais ce que montre surtout cette enquête est que les réponses données à toutes les autres questions par les enfants de père né à l’étranger et de père né en France ne diffèrent pas significativement. L’image de la France, appréhendée à travers de nombreux indicateurs, est analogue. Même si les premiers considèrent un peu moins que les seconds qu’il y fait bon vivre, les uns et les autres apprécient ce pays et choisiraient à une très forte majorité d’être français s’ils en avaient le choix, les adolescents de père étranger se montrant toutefois un peu plus réservés (69 % contre 81 %). Il n’y a pas non plus de grande différence quant au regard porté sur les devoirs du citoyen : les uns et les autres pensent également que travailler et respecter les lois sont des « devoirs absolus », les enfants de père né à l’étranger étant « juste un peu moins nombreux » [23] à considérer qu’il en va de même du vote et du paiement des impôts. « La réticence relative des jeunes d’origine étrangère à se définir comme français », concluent les auteurs, ne doit donc pas s’interpréter « comme un rejet plus marqué de leur part de la société française » [24]. « Appréciant […] ce pays de manière équivalente à celle des jeunes dont les familles y sont implantées depuis plus longtemps, ils ne parviennent pas à s’y identifier totalement. Ils font plus partie de la société que de la nation » [25].
12L’étude par questionnaire de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj porte sur une population différente : les Français issus de l’immigration turque, africaine et maghrébine qui comprennent « les immigrés devenus français, les Français nés de parents immigrés [et] les Français dont l’un des grands-parents est ou était immigré » [26], les mêmes questions étant posées à un échantillon témoin représentatif de l’ensemble des Français. Les conclusions que l’on peut tirer des résultats présentés sont les mêmes que celles qui ressortent de la recherche d’Olivier Galland et Jean-Vincent Pfirsch : le lien entretenu avec la France est complexe et, suivant les indicateurs utilisés, les réponses obtenues peuvent sembler contradictoires. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, pour les Français issus de l’immigration, les proximités ressenties avec les habitants du pays d’origine d’une part, les coreligionnaires d’autre part, les immigrés enfin, proximités qui sont corrélées entre elles, n’impliquent nullement de se sentir loin des Français [27]. Si 77 % d’entre eux se déclarent « très ou assez proches des habitants du ou des pays d’origine de [leur] famille », 71 % des gens « de même religion » et 76 %des « gens d’origine immigrée en France », ils sont 85 % à se dire proches des « Français en général », contre 84 % des personnes de l’échantillon témoin. Ces proximités avec les habitants du pays d’origine de la famille, les coreligionnaires et les immigrés ne vont pas non plus de pair avec un lien politique faible. Il ressort ainsi de cette étude que les Français issus de l’immigration sont très attachés à la démocratie française, ont confiance en le système politique et n’ont pas de préoccupations politiques différentes de celles des autres Français, même s’ils sont moins inscrits sur les listes électorales : 23 % déclarent ne pas l’être, contre 7 % de l’échantillon témoin. Tous ces résultats montrent, expliquent Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, que « les identités s’articulent plutôt qu’elles ne s’excluent chez les Français issus de l’immigration africaine et turque, qu’ils soient musulmans ou non. […] Les identifications transnationales, religieuses ou minoritaires ne sont pas des alternatives. Elles ne relâchent pas le lien national » [28].
13Par leurs résultats, ces deux recherches suggèrent donc que les réponses à certaines questions sur le sentiment identitaire ne permettent pas d’appréhender le lien que les Français issus de l’immigration entretiennent avec la France. Celui-ci n’y est toutefois que partiellement exploré, ces études étant centrées sur d’autres problématiques. Quels liens les jeunes entretiennent-ils donc avec la France et le pays de leurs parents, et comment les réponses données en matière de sentiment identitaire s’articulent-elles avec ceux-ci ?
Un indicateur réducteur pour des liens complexes
14On s’intéressera à six dimensions possibles du lien entretenu avec un pays, celles qui constituent, sur un plan idéal typique, le lien national, à savoir les dimensions juridique, politique, identitaire, affective, mémorielle et culturelle. Le lien national, qui se traduit juridiquement par la possession de la nationalité, est en effet un lien censé être à la fois politique [29], identitaire [30], affectif [31] et impliquer le partage d’une mémoire [32], ainsi que de valeurs communes [33]. L’enquête par entretiens semi-directifs que j’ai menée auprès de 50 jeunes nés en France de parents marocains, portugais, espagnols, tunisiens et turcs révèle que les liens entretenus avec l’un et l’autre pays diffèrent assez fortement suivant le projet en matière de pays de résidence. C’est donc en fonction de cette variable que les positions présentées, qui ne constituent pas une typologie mais une description ordonnée, ont été distinguées. Il s’agit ici de positions – et non d’individus concrets – entre lesquelles les jeunes peuvent circuler au fil du temps [34].
L’identification au pays des parents
15La première position se caractérise par le fait d’avoir le projet de s’installer à relativement court terme dans le pays d’origine des parents, après avoir décroché son baccalauréat ou un diplôme universitaire. Des plans relativement précis ont été élaborés. Si les considérations matérielles ne sont pas dédaignées, les motivations sont essentiellement identitaires : « Je me considère espagnol, c’est tout », explique Diego [35]. « Chez moi, on est vraiment espagnol. […] Je suis de nationalité espagnole, mes deux parents et toute ma famille [aussi]. […] J’ai toujours voulu [rester espagnol] et pouvoir partir là-bas ». Ces jeunes veulent vivre avec leurs compatriotes dont ils affirment partager les valeurs et la culture, dans ce pays qu’ils aiment, sur lequel ils ne tarissent pas d’éloges et qu’ils considèrent comme leur patrie : « J’aime beaucoup la cuisine marocaine, les fêtes traditionnelles, le pays, l’emblème du pays, le peuple, je ne sais pas moi… Toutes les racines, la musique […] », déclare Nizar [36]. « [L’emblème du pays], c’est le drapeau et le roi surtout. […] Tu arrives là-bas, tu regardes la télé, c’est… C’est le descendant du prophète, c’est l’emblème. […] Je [l’]apprécie beaucoup ». « Je m’entends mieux avec les gens de ma nationalité. On rigole plus », explique quant à lui Bruno [37], qui affirme ne pas avoir en France d’amis autres que portugais. Certains parlent du pays des parents en disant « Là-bas, chez nous », comme s’il s’agissait, pour ces natifs de France, d’un retour. Y effectuer son service militaire est parfois souhaité pour servir sa patrie [38]. « Je veux être espagnol : je fais mon service militaire là-bas », déclare Diego. « Mon service militaire en Espagne : [c’est] pour prouver vraiment que je suis espagnol. […] Si je le fais là-bas, je pourrais dire vraiment que je suis espagnol. […] Même si je le fais ici et que je pourrais avoir ma nationalité espagnole, parce qu’il y a une loi qui dit ça, je ne sais pas, je ne me considérerais pas vraiment espagnol ». Enfin, l’histoire et les grands événements fondateurs du pays sont généralement connus : ils ont été racontés par les parents ou enseignés à l’école quand les jeunes ont été scolarisés dans des établissements étrangers. Le lien entretenu avec le pays d’origine de la famille peut être qualifié de patriotique.
16Au regard de ce tableau, deux éléments sont toutefois surprenants : d’abord, le fait qu’opter pour la double nationalité n’est nullement incompatible avec cette position. Certains des jeunes proches de celle-ci, notamment des adolescents dont les parents ne sont pas ressortissants de l’Union européenne et qui pensent passer encore quelques années en France avant de partir, ainsi que des filles sur le départ nées de parents espagnols ou portugais, deviennent français tout en gardant leur nationalité d’origine [39]. Ensuite, le deuxième élément surprenant tient au fait qu’aucun lien politique n’est entretenu avec le pays d’origine de la famille : les adolescents proches de cette position n’ont pas envie d’y voter, les Européens par désintérêt pour la politique en général, les autres par méconnaissance de la vie politique dans cet État.
17Le rapport entretenu avec la France est, quant à lui, marqué par le sentiment d’y être étranger, voire rejeté, sans qu’il soit possible de déterminer si ce sentiment de rejet est à l’origine du désir d’émigrer ou s’il résulte au contraire de la forte identification aux compatriotes. « [Au Maroc], on se sent chez nous », déclare Nizar [40], « même si dans les deux pays – tout le monde l’a déjà dit – là-bas, on est étranger ; ici, on est étranger […]. Il y a des problèmes ici tant que tu n’es pas français, […] même si tu es français sur les papiers. […] Tu ne peux pas t’intégrer à fond en France. Par contre, dans ton pays d’origine, tu t’intègres : tu as la couleur, tu as la famille ». L’attachement à la France est variable, plus faible chez les adolescents de parents européens proches de cette position que chez leurs homologues issus d’autres pays, qui se distinguent en outre par la volonté de prendre part aux élections tant qu’ils habiteront sur le territoire. Nizar précise ainsi : « La France, il ne faut pas oublier quand même que c’est là que… Ça fait dix-huit ans que je suis en France. […] Je parle mieux français que marocain et j’écris français. Je n’écris pas le marocain. […] J’ai toute une vie quand même en France, faut pas oublier ! Attention ! Je ne vais pas le nier. C’est mon deuxième pays quand même. C’est vrai ».
18Bien que cette position ne soit nullement incompatible avec le fait de choisir la double nationalité, qu’un léger attachement puisse être éprouvé à l’égard de la France et qu’il n’existe pas en général de lien politique avec le pays d’origine des parents, les déclarations en matière de sentiment identitaire semblent être, pour cette position, d’assez bons indicateurs du lien entretenu avec chacun des pays.
Le rêve du « retour »
19La deuxième position est marquée par le fait de rêver d’un départ sur la terre des ancêtres, soit en y croyant, soit en sachant pertinemment que cela ne se fera pas à cause des difficultés d’insertion professionnelle qui ne manqueraient pas de se présenter en raison d’un taux de chômage élevé dans le pays des parents ou d’une insuffisante maîtrise de la langue. Sans compter que les conditions de vie y sont parfois plus dures qu’en France. Aucun plan n’a été élaboré, mais les jeunes proches de cette position aiment à se bercer de l’espoir d’un départ, semble-t-il, pour « se réconforter » et échapper à un présent peu reluisant. « Il y a deux ans de ça, c’était vraiment partir au Portugal, je ne vivais que pour ça », raconte Olivia [41], qui pense désormais qu’« ici, ça serait peut-être mieux ». « Maintenant, […] j’ai ouvert les yeux. J’ai vu ce que c’était : ce n’est pas génial. Et puis j’ai vachement de problèmes pour trouver des petits boulots […]. Ce n’est pas facile. […] C’est avoir quelque chose de loin comme ça. C’est comme un but. On se dit : “Ce n’est pas bien ici, c’est mieux là-bas”. On se réconforte en disant ça : “bientôt, j’irai là-bas”. Je me suis rendu compte de ça. […] Quand j’y vais, je m’amuse. Mais en y restant quelques mois de plus, je me rendrais bien compte que c’est la même chose qu’ici ».
20Là-bas, les jeunes proches de cette position se disent plus appréciés qu’en France, reconnus : ils se sentent « à leur place ». « [Au Portugal], je n’étais pas considérée comme une star, mais j’étais un petit peu sur un piédestal, avoue Olivia, c’est ça qui a beaucoup joué ». « Au Maroc, je me sens mieux. Je me sens en tant que marocaine, explique Emna [42], je me sens à ma place. […] Ici, je ne me sens pas vraiment à ma place ». Le pays des parents est un refuge, que ces adolescents aiment pour les vacances qu’ils y passent. Mais, en dehors de ce lien affectif, les liens entretenus avec cette contrée sont ténus. Certes, quand on les interroge sur leur sentiment identitaire, ces jeunes déclarent se sentir portugais ou marocains. Mais, pour autant, aucun amour du pays ne transparaît. L’histoire de la nation n’est pas particulièrement connue et il n’est nullement fait mention de valeurs communes. Outre le climat et l’ambiance festive, qui séduisent, le pays est apprécié soit pour son côté suranné et son moindre niveau de développement économique, soit, au contraire, pour son absence de différence avec la France. Au Maroc, raconte par exemple Emna, « il y a encore des charrettes, des chevaux sur la route, des petits métiers, tous ceux qui vendent des pois chiches. C’est pour ça que j’aime bien ». Le désir de Khadija [43] de partir au Maroc s’enracine dans une vision très différente : « Au Maroc, il y a des grandes avenues […], de grands hôtels, des voitures pas possibles. C’est la Californie. […] Tu trouves des Français, des Espagnols. Ça ne change pas du tout de la France. […] Bien sûr, il y a des pauvres, comme dans tous les pays. […] On en trouve partout, même aux États-Unis et en Arabie Saoudite. La mode […] sort en premier, parce que c’est la mode américaine. Avant qu’elle arrive en France, il faut une année au moins. Donc elle arrive d’abord au Maroc ou en Espagne. […] On rencontre des gens super. Moi, ça m’a trop plu cette ville [Fès]. C’est une belle ville […]. C’est un centre intellectuel, une grande université et puis un centre touristique ». Aucun lien politique n’est non plus discernable : les jeunes proches de cette position, qui ont tous acquis la nationalité française, n’envisagent pas de voter là-bas et certains pensent d’ailleurs ne pas avoir conservé la nationalité de cet État, croyant à tort ne pouvoir bénéficier de la double nationalité [44]. Le lien entretenu avec le pays des parents ne semble pas national. Il s’agit simplement de fuir la France en pensée.
21Les liens avec la France sont variables. Le sentiment d’être rejeté domine parfois. Il s’accompagne alors du refus de participer aux élections. Mais, quand l’émigration est clairement perçue comme un rêve, un lien affectif peut exister, auquel s’ajoute le désir de voter.
22Cette position, on le voit, est marquée par une certaine ambivalence. Quand on les interroge sur leur sentiment d’identité, les jeunes fournissent en général une réponse qui tranche dans le vif. Celle-ci n’est donc pas, dans ce cas, un bon indicateur du lien entretenu avec les deux pays.
Le choix de la France
23Cette dernière position se caractérise par le fait de vouloir faire sa vie en France. Pour autant, le pays des parents est aimé et les vacances passées là-bas, qui offrent l’occasion de retrouver une partie de la famille, sont appréciées, même si quelques jeunes, qui détestent ces voyages périodiques au pays et se refusent absolument à garder la nationalité de leurs parents [45], font exception. Adultes, les adolescents proches de cette position pensent le plus souvent continuer à aller là-bas de temps en temps pour un séjour estival. « Au Portugal, j’irai pour les vacances, affirme Jean-Marc [46], je pense que papa, maman y passeront, quand ils seront à la retraite, au moins six mois de [l’année]. Je pense que je n’irai pas tous les étés, parce que cela dépend si je me marie avec une autre, une Espagnole par exemple, faudrait bien qu’on partage […]. Le Portugal, ça fera partie de ma vie tout le temps, mais comme vacances. […] Je ne l’oublierai pas, parce que j’y ai passé toutes mes vacances et je pense que je continuerai à passer mes vacances là-bas, mais s’il n’y a pas papa, maman, si je peux choisir un autre endroit pour mes vacances, ça ne me dérangera pas trop ». Ces jeunes, s’ils apprécient le pays d’origine de leur famille, s’y sentent un peu étrangers. « Je crois qu’on a un peu peur », explique Jean-Marc, dont la sœur avait envisagé de terminer ses études au Portugal, « parce qu’en fait, le Portugal, on connaît, mais on ne connaît pas, parce qu’on connaît juste [pendant] les vacances. Ça fait quand même un peu peur, même si on maîtrise la langue correctement. […] Et puis, c’est un peu un pays, pas étranger, mais… on a beau dire : on ne se sent pas vraiment chez soi ». Certains se montrent aussi critiques à son égard, comme Ouahid [47] par exemple : « Je n’ai jamais vu autant de corruption, s’indigne-t-il. Les policiers marocains se frottent les mains pour l’été. […] Je pense qu’ils touchent plus d’argent de la corruption que de leur paye. […] Nous, entre immigrés de France, on rigole sur ça. […] Mais, en vérité, […] c’est grave ! […] Il y a aussi une différence très importante : c’est les hôpitaux. […] Celui qui a de l’argent, il y arrive. Celui qui n’a pas d’argent… Un ami à moi a eu un accident pendant les vacances. Il s’est ouvert la tête. Il m’a dit que c’était la misère : “Pendant que je saignais, c’est mon père qui a dû acheter le coton ! […] Dans l’hôpital, ils n’en ont pas ! Acheter les médicaments.” […] Quand vous rentrez dans un hôpital marocain, vous entendez des gens crier de partout. Ce n’est même pas propre, c’est sale ! J’ai honte de dire ça de mon pays, mais il faut être réaliste ».
24Quel que soit l’amour éprouvé pour le pays d’origine des parents, la connaissance de l’histoire de celui-ci reste en général très rudimentaire. Quand on interroge les intéressés sur l’événement à leurs yeux le plus important, les grands faits sont froidement évoqués : la décolonisation, la révolution des Œillets ou la mort de Franco. Cette histoire ne les concerne pas : elle ne fait pas l’objet d’une appropriation. À quelques exceptions près, l’histoire nationale n’apparaît pas non plus dans la mémoire familiale. Assez limitée, celle-ci se réduit à une mémoire de la vie d’autrefois et de l’émigration. Encore les conditions d’émigration des parents ne sont-elles connues que de façon très approximative. David Lepoutre et Isabelle Cannoodt, qui ont réalisé une recherche sur ce sujet auprès de collégiens de Seine – Saint-Denis, arrivent à la même conclusion [48] : les adolescents ignorent souvent la date de la venue en France de leurs parents, leur âge à cette époque, les raisons pour lesquelles cette décision a été prise et surtout le contexte sociopolitique dans lequel elle s’inscrit. La mémoire de la migration, illégitime aux yeux des parents comme de l’État français [49], n’est transmise que de façon très lacunaire.
25Tout en acquérant la nationalité française, certains des jeunes proches de cette position tiennent à conserver la nationalité de leurs parents, alors que d’autres négligent d’entreprendre les démarches qu’ils pensent nécessaires pour la garder [50]. Aïcha [51], par exemple, voulait la double nationalité : « Mon père tenait absolument [à ce] qu’on garde la nationalité marocaine. […] Si je ne prenais que la nationalité française, il avait l’impression que je rompais tout, que je reniais ma racine. De toute façon, je n’envisageais pas du tout de prendre seulement la française ». Béatrice [52], au contraire, se désintéresse de sa nationalité portugaise : « Toutes mes copines portugaises qui ont fait leurs papiers […] ont la double nationalité. Donc je pense que moi aussi ». Mais certaines lui ont dit que c’était à elle « de choisir » et qu’elle devait aller « au consulat ». « Moi, que j’aille au consulat ou pas, ça ne me fait ni chaud ni froid. Tant que chez moi, il y a mon papier de nationalité française, c’est ce qui m’intéresse ! » Quelques-uns disent aussi vouloir prendre part là-bas au vote, alors que les autres ne l’envisagent pas. Au regard de tous ces éléments, il semblerait qu’on ne puisse qualifier de national le lien entretenu avec le pays des parents. Il s’agit d’un lien sentimental, qui marque une fidélité familiale. L’attachement au pays d’origine des parents paraît analogue à celui que peuvent éprouver certains Français pour la région ou le village dans lequel se situe la maison de famille.
26Si les jeunes proches de cette position se sentent un peu étrangers dans le pays de leurs parents, leur univers familier est la France : ils en connaissent les codes et le mode de fonctionnement. Ils sont habitués à y vivre. C’est l’une des raisons souvent avancées pour expliquer qu’une installation ailleurs n’est pas envisagée. « J’ai grandi ici, dit Ismaël [53], on habite dans les tours qui sont là. J’habite là-haut depuis ma naissance. […] Dans ma tête, je ne peux pas partir d’ici. […] Si je vais au Maroc définitif, je ne pourrais pas m’habituer ». Que ces adolescents s’en réjouissent ou le déplorent, la France est de fait leur pays. L’État dans lequel les garçons veulent s’acquitter de leurs obligations militaires en témoigne. Tous préfèrent effectuer le service national en France, non pour des raisons patriotiques, mais parce qu’ils redoutent de le faire dans un environnement étranger où ils se sentiraient en insécurité. « [Faire mon service militaire au Maroc], c’est chelou ! », affirme ainsi Ismaël. « Je vais rester là-haut. Je vais manger des pommes de terre tous les jours et je parie qu’il n’y a même pas d’hygiène là-haut ! […] En plus, c’est bizarre là-haut, enfin surtout s’ils savent que je suis né ici… […] C’est comme quand on parlait de réputation. […] Je ne connais personne là-bas. Je vais y aller. Il va savoir, il va vouloir m’emmerder et ils vont toujours être sur mon dos à moi ! Je préfère être ici : […] je me comprends ici avec les gens ». Les filles, quant à elles, se pensent généralement plus en sécurité, au niveau des sorties, en France que dans le pays des parents. « C’est surtout pendant les vacances que [mes parents] sont ouverts, dit Jamila [54], quand on retourne au Maroc, pour eux, ils ne voient pas d’inconvénients [à ce qu’on sorte] le soir et quand on vient, ils sont plus carrés. […] Mais ça devrait être l’inverse. On va au Maroc, il faut faire attention. Pour eux, non ! »
27Les adolescents proches de cette position, surtout quand ils résident dans un grand ensemble, sont souvent aussi très attachés à leur quartier. « Je pense que je voudrais être enterrée ici », dit Amel [55], qui habite dans une « cité » en lointaine banlieue. « J’ai grandi ici. Je suis née à la maternité d’à côté. Je voudrais être au cimetière d’à côté. Ça ne plaira peut-être pas à ma famille, […] mais c’est là que je veux mourir ». Les jeunes éprouvent toutefois fréquemment des sentiments ambivalents par rapport au grand ensemble : d’un côté, ils ne veulent pas le quitter, de l’autre, ils le pensent souvent comme responsable des difficultés qu’ils peuvent rencontrer en raison de sa stigmatisation ou de l’influence qu’exerce sur eux le groupe des pairs. Toujours est-il que le désir de rester en France s’ancre souvent sur ce lien affectif fort avec le quartier, même s’il y a des exceptions. Le lieu de résidence peut être aussi détesté, sans que cette aversion ne rejaillisse sur la France, que les intéressés rêvent au contraire de découvrir et ne veulent pas quitter. Enfin, indépendamment de l’attachement au quartier, la France peut tout simplement être appréciée. « Je ne sais pas si vous vous rendez compte, dit par exemple Jean-Marc [56], de la chance qu’on a de vivre en France et d’être français par rapport à d’autres pays qui sont dans la misère ou quoi que ce soit. […] La France est quand même un paradis ! »
28L’existence d’un lien affectif minimal semble conditionner celle d’autres types de liens. Il est peu fait mention spontanément du partage de valeurs avec les Français. Mais l’énoncé des raisons pour lesquelles la vie ici est préférée indique le contraire. Sont évoqués les avantages économiques, le niveau de développement, l’absence de corruption, l’État providence, le caractère méritocratique de l’école et parfois aussi la « mentalité ». Ouahid, on l’a vu, dénonçait la corruption des policiers marocains et l’absence de prise en charge des soins médicaux. Jamila [57] insiste sur d’autres aspects : « Je ne trouve pas tout au Maroc, raconte-t-elle, il n’y a pas ce côté pratique d’achat […] comme ici en France. C’est normal, ce n’est pas le même mode de vie. Ils n’ont pas principalement les mêmes choses à acheter que nous. Et c’est pour ça que je ne trouve pas tout facilement. Et puis ce côté service par exemple, un service administratif assez lent, pas comme en France ». Le discours sur le niveau de développement et le bon fonctionnement de l’administration ne doit pas être compris comme reflétant simplement le désir de bénéficier d’avantages matériels. Il témoigne d’une adhésion à un mode d’organisation gouverné par la rationalité et l’égalité : égalité de traitement des administrés, égalité des candidats aux concours, etc. L’attachement au principe de la solidarité nationale est également très fort.
29Mais les valeurs qui suscitent peut-être le plus l’adhésion sont l’égalité et l’ouverture potentielle de la collectivité à tous ceux qui le souhaitent, qui vont de pair avec le caractère méritocratique de l’école. Même si les jeunes savent que le système éducatif n’est pas complètement égalitaire, ils considèrent qu’il offre à tous la possibilité de réussir et de connaître une ascension sociale, alors que tel ne serait pas forcément le cas, d’après eux, dans le pays d’origine de leur famille. C’est la raison pour laquelle l’émigration en France de leurs parents leur apparaît souvent comme une chance. « [Pour mes parents], explique ainsi Jamila, on a une chance de vivre en France et d’aller à l’école. Grâce à ça, on peut continuer et avoir plus tard quelque chose […]. Par rapport au Maroc, c’est une chance. Je sais que si […] j’avais vécu tout le temps au Maroc, je ne sais pas si je serais comme actuellement, parce que c’est un pays plus évolué, la France. Il est peut-être en crise, mais il y a plus de possibilités de travailler en France qu’au Maroc ». Ismaël [58], en situation d’échec scolaire, tient des propos analogues : « S’il fallait fonder une famille là-bas, [au Maroc], c’est chelou là-haut. Je préfère mille fois qu’ils viennent ici. […] Au moins peut-être qu’ici leur avenir sera assuré. Même s’il y a du chômage, ils pourront réussir au moins à l’école, parce que là-haut, l’école ce n’est pas obligatoire. […] Quand il y a l’école, ça évite la délinquance. […] Une petite personne, quand il n’y a pas d’école, elle est dans la rue. Elle apprend des mauvaises choses. […] Après, ça y est : c’est fini ! » Quelques adolescents de parents portugais apprécient, quant à eux, l’importance accordée en France aux études longues : « Certains parents portugais, raconte Hélène [59], n’aiment pas trop que leurs enfants fassent des études, enfin le nombre est assez restreint. Mon père était maçon, donc il avait… Il pouvait avoir son entreprise […]. Mes deux frères plus vieux travaillaient avec lui. […] Mon père, c’était en fait d’aller à l’école, même que ça soit l’école primaire, aller au collège […]. Pour lui, c’était l’école. Il n’a jamais aimé, parce qu’il n’est jamais parti à l’école. […] Là-bas, avant, c’était ça : à partir d’un certain âge, il fallait travailler. Maintenant, c’est vrai qu’au Portugal, on choisit. Mais généralement […], ils préfèrent aller travailler [tôt], parce qu’ils savent très bien qu’ils peuvent trouver un travail ».
30La mentalité qui règne en France est parfois aussi appréciée. Faisant référence aux relations familiales, marquées au Portugal par l’autorité des parents, Hélène déclare ainsi à propos des immigrés portugais : « S’ils ont décidé de venir en France, c’est pour avoir une certaine liberté vis-à-vis de leurs enfants. […] Ce n’était pas pour rien. C’était pour l’avenir de leurs enfants. […] Rester en France, c’est pouvoir avoir plus de liberté, un choix, parce que là-bas… Maintenant, il y a plus de choix, mais bon. Ce n’est pas vraiment les mêmes idéaux ». « Je ne me vois pas vivre là-haut, dit Amel [60], la mentalité des gens ! Les pots de vin, là-haut, ça court ! […] En plus, j’ai une trop grosse gueule. J’irais en prison au bout de deux mois ! C’est clair ! Ma mère me le dit. Quand on part l’été – à la douane, ils te rasent, c’est quelque chose ! – ma mère, elle me fait : “S’il te plaît, Amel, va dans la voiture”. […] Au Maroc, quand mes oncles ont des discussions politiques, […] je rentre dans la discussion. Mais mon père, il me regarde, mais d’un air… : “Tu sais que ce n’est pas ton rôle !” Mais par contre, pour faire le ménage et puis la bouffe, là, je n’y suis plus. […] Ma grand-mère qui me dit : “Tu sais que c’est honteux que tu ne saches pas faire la bouffe. Moi, à ton âge, j’étais mariée”. “Maintenant, grand-mère, à mon âge, je vais en cours : c’est tout autre chose…” ». Enfin, la démocratie, qui n’est pas toujours en vigueur dans le pays des parents, peut séduire. « Il y a ces cons de terroristes ! [61], s’insurge Ouahid, ils tuent des Français en Algérie, mais il y a des Algériens en France. Pourquoi les Français ne tuent pas les Algériens ? Eux, ils tuent une autre race dans leur pays, alors pourquoi on ne tuerait pas une autre race dans notre pays ? […] Parce que la France, c’est un pays démocratique : donc qui réfléchit. Il y a des pays qui auraient pensé comme ça. Je pense qu’au Maroc, ça aurait été comme ça ».
31En ce qui concerne la dimension politique du lien national, beaucoup d’adolescents proches de cette position disent se sentir concernés par ce qui se passe en France et vouloir voter. Certains veulent « donner leur avis » et participer, comme Houssine [62] : « J’ai le droit de voter. Pour moi, c’est un avantage […]. [Je veux voter] pour donner mon avis. Même s’il le faut, je vote pour Le Pen. Non ! Par pour Le Pen ». Sans doute est-ce une façon pour lui d’éprouver son appartenance à la collectivité nationale. D’autres, comme Moussa [63], veulent faire obstacle à l’extrême droite : « C’est […] de la faute des jeunes, s’insurge-t-il, parce que les jeunes, la plupart, ils sont français. Ils se sont dits : “Un dimanche matin, on va dormir”. Mais si tous les jeunes [votaient], Le Pen, il serait loin ! Même pas 10 % ! Et nous, on dort, on préfère regarder la télé ! Moi je pense que je voterai. […] Je prends une matinée et j’y vais. Ça serait vraiment plus sympa [si] tout le monde dit : “Tous à neuf heures devant la mairie !” Et on va tous voter pour la gauche ou je ne sais quoi ». D’autres encore veulent soutenir le parti de leur choix ou accomplir leur devoir de citoyen : « On nous donne le droit [de] s’exprimer, il faut en profiter quand on sait que les femmes, il n’y a pas longtemps qu’elles ont ce droit », déclare Jamila [64]. « Je voulais absolument avoir [ma carte d’électeur], explique Aïcha [65], parce que je me suis dit : “Voter, c’est un signe, une preuve que tu fais partie de la société, que je ne suis pas exclue, que tu votes, que tu élis quelqu’un, le président de la République”. Donc toi, tu te sens fière : tu vas faire quelque chose pour la France. […] Je vais accomplir mon devoir de citoyen ».
32Il est vrai qu’il ne s’agit souvent que de déclarations, la moitié des jeunes rencontrés n’étant pas majeure. Or, différentes recherches statistiques montrent que les enfants de parents étrangers sont moins inscrits sur les listes électorales que leurs homologues de parents français. D’après l’étude menée par Jean-Luc Richard à partir de l’échantillon démographique permanent, ils seraient 66 %, contre 81 % [66]. Vincent Tiberj et Sylvain Brouard arrivent à un résultat analogue pour les Français issus de l’immigration [67] : d’un côté, ceux-ci font montre d’une plus grande confiance en le système politique français que la population française en général, de l’autre, ils sont moins souvent inscrits sur les listes électorales (77 %, contre 93 %). On peut interpréter de différentes façons ces résultats. Peut-être s’expliquent-ils ainsi par le fait que, dans ces études, les enfants nés en France de parents étrangers et les étrangers devenus français ne sont pas dissociés et que les seconds seraient moins inscrits sur les listes électorales ? On peut penser aussi que les enfants de parents étrangers sont globalement moins inscrits parce que ceux qui rêvent d’un retour au pays, dont on ne sait quelle part ils représentent, se montrent moins enclins à voter que ceux qui veulent faire leur vie en France. Mais ces explications ne permettent pas de comprendre pourquoi les Français issus de l’immigration ont, dans leur ensemble, plus confiance dans les institutions politiques que la population française en général, tout en étant moins inscrits sur les listes électorales. Cet élément accrédite l’idée que cette moindre inscription n’est pas uniquement due à un effet de composition de l’échantillon.
33L’enquête de terrain sur la participation électorale menée dans une « cité » de Saint-Denis par Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen [68] permet d’avancer quelques hypothèses. Ces auteurs montrent que l’absence de participation électorale ne résulte pas d’une augmentation de la défiance par rapport au système politique français, mais de problèmes d’inscription. Les abstentionnistes réguliers sont ainsi des électeurs mal inscrits, c’està-dire inscrits dans un bureau de vote qui ne correspond plus à leur résidence actuelle. Il ressort également de cette enquête que les jeunes qui ont pu bénéficier de l’inscription automatique sur les listes électorales participent aux élections à la même hauteur que les autres. La question principale est donc celle de l’inscription sur les listes électorales, qui implique de faire une démarche administrative plusieurs mois à l’avance, en dehors de tout contexte de mobilisation. « Le coût de l’acte électoral », notent les auteurs, « tend à devenir prohibitif dans les banlieues populaires » [69]. Dans ce cadre, la plus faible inscription des jeunes issus de l’immigration peut s’expliquer soit par le fait qu’ils bénéficieraient moins que les autres de l’inscription automatique, celle-ci étant liée au recensement, soit par le fait que leur famille, et notamment leurs parents, exercerait moins de pression sur eux pour qu’ils votent et s’inscrivent, n’accomplissant pas eux-mêmes ces démarches. Or, comme l’expliquent Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, la famille est la « cellule de base de la mobilisation électorale » [70].
34Malgré la force des liens que les jeunes proches de cette position entretiennent avec la France, ceux-ci refusent souvent de dire qu’ils se sentent français. Quelques-uns le font, comme Nuno [71] : « Je me sentais déjà français, explique-t-il, je suis né [en France]. Et le seul truc qui me manquait, c’était la carte d’identité […], parce que j’avais déjà la fierté d’être français ». Mais beaucoup déclarent se sentir portugais, ou marocain, comme Ouahid [72] : « Jamais je ne pourrai me sentir français. C’est impossible. Je vais me regarder dans un miroir… » D’autres refusent de se classer : « Je me suis toujours sentie dans les deux parties, dit Hélène [73], je suis née en France, mais j’étais inscrite au Portugal, et puis à chaque vacances, je vais au Portugal, ça me plaît. Donc, pour moi, […] j’étais dans les deux clans ». « Je ne peux pas dire, explique quant à elle Jamila [74], que je me sens plus française ou plus marocaine. […] On ne peut pas mettre un degré. Il n’y a pas plus ceci, plus cela. […] En fait, ce mélange-là, il donne, je veux dire, ça aboutit à une autre origine. […] Ça donne ce que ça donne. Je ne peux pas en fait dire exactement ce que c’est ». « Je ne sais même pas où me classer », déplore Fariha [75], qui avait déclaré d’emblée que « si [elle] pouvait, [elle] aurait la nationalité du monde ». Les adolescents, s’ils connaissent bien sûr l’histoire de France, ne se sont pas non plus tellement appropriés cette mémoire commune. Tout juste certains se réfèrent-ils au passé métissé de la France, à sa tradition d’accueil et aux principes républicains.
35Pour cette position, les déclarations des jeunes en matière de sentiment identitaire apparaissent donc comme un bien mauvais indicateur, puisqu’elles masquent les liens très forts que ceux-ci entretiennent avec la France.
36Au terme de ce panorama, deux conclusions se dégagent.
37On s’aperçoit d’abord que les différentes dimensions constitutives du lien national, qui sont censées être imbriquées, ne le sont pas souvent. Les adolescents proches de la première position, qui entretiennent un lien patriotique avec le pays de leurs parents, n’ont pas avec lui de lien politique et certains aimeraient voter en France. Ceux dont l’attitude se rapproche des deuxième et troisième positions, qui se déclarent attachés à la terre de leurs ancêtres, n’en ont pas tous conservé la nationalité, qu’ils pensent ne pas pouvoir bénéficier de la double nationalité ou qu’ils n’aient pas jugé nécessaire de le faire. Enfin, ceux qui veulent faire leur vie en France et entretiennent de nombreux liens avec ce pays – affectif, politique, culturel, etc. – refusent souvent de dire qu’ils se sentent français. L’identification est rejetée, alors même que ces adolescents reconnaissent à demi-mot que leur pays est la France.
38On constate ensuite que les réponses données par les jeunes, quand on les interroge sur leur sentiment d’identité, ne constituent pas un bon indicateur du lien entretenu d’un côté avec la France, de l’autre avec le pays des parents [76]. Que recouvrent-elles donc ? Comment expliquer qu’elles soient un indicateur inadéquat ? Pourquoi les jeunes affirment-ils souvent ne pas se sentir français ? Pour éclairer ces différents points, il convient de comparer les réponses fournies par les adolescents à diverses questions autour de l’identité et de l’appartenance.
Un indicateur inconsistant
Des réponses très sensibles aux formulations des questions…
39Si les adolescents disent fréquemment ne pas se sentir français, quand ils proposent, au cours de l’entretien, ce qui s’apparente à une définition objective d’eux-mêmes, ils se dépeignent tous comme français. Seuls font exception les jeunes proches de la première position et restés étrangers, pour lesquels la réponse donnée, quand on les interroge sur leur sentiment identitaire, semble être un assez bon indicateur. Les autres font valoir qu’ils sont français à la fois juridiquement et sociologiquement : ils sont nés ici, y ont été scolarisés et socialisés. Ils sont donc de fait français et le droit entérine cette réalité. Ceci ne les empêche généralement pas de préciser dans un second temps qu’ils ne sont pas uniquement français, mais qu’ils sont aussi portugais, marocains, etc. Isabelle [77], par exemple, qui vient de prendre la nationalité française, explique : « Avec le recul, maintenant que j’ai la carte, en fait, ça ne m’a rien changé. […] Mais […] ça a aidé un peu, parce que maintenant je me sens mieux dans ma peau. Je me sens quand même espagnole. Je suis de nationalité française, mais je suis espagnole. Ce n’est pas grave : c’est un papier ». Évoquant, dans la suite de l’entretien, le rêve qu’elle caressait de s’établir en Espagne à proximité de ses grands-parents, elle déclare : « C’est peut-être mes grandsparents qui m’attachent à être espagnole. Je veux peut-être être espagnole parce que je veux […] [leur] ressembler […]. C’est peut-être psychologique : c’est ça, ce n’est pas autre chose. […] En fait, […] je suis beaucoup plus française qu’espagnole, parce que je suis née ici, je vis ici, je suis allée à l’école ici. Je connais tout sur la France […], rien sur l’Espagne, sur l’histoire de l’Espagne. […] Tout mon caractère, je l’ai forgé ici. […] Je ne sais pas le dire, mais c’est à l’intérieur de moi, je suis espagnole. Mais ma tête, c’est français, parce que […] [j’ai] une culture française : je n’ai rien d’une culture espagnole. […] Je ne suis pas espagnole, je me veux espagnole ! […] J’aurais l’air fin avec la nationalité espagnole ».
40Différentes attitudes, qui ne sont pas corrélées avec les trois positions présentées, peuvent ensuite être distinguées. Certains déplorent d’être sociologiquement français, tout en reconnaissant qu’ils le sont. Ils insistent alors sur les particularismes qui les différencieraient des Français, même s’ils peinent souvent à en trouver ou en sont réduits à reprendre des éléments stéréotypés. Quand on leur demande s’ils se sentent différents des Français, ils répondent assez logiquement par l’affirmative.
41Les autres mettent en avant l’importance de leur intégration, tout en précisant qu’ils ont pu conserver certaines manières de faire particulières. Mais celles-ci, expliquent-ils, relèvent de la sphère privée et restent strictement limitées. Si, parmi eux, certains se pensent pleinement français, d’autres disent n’être pas des « Français vrais », parce qu’aux yeux des autres, ils ne seront jamais considérés comme tels. Les jeunes soit s’en offusquent, soit reprennent à leur compte ce regard, considérant effectivement que certains particularismes les distinguent, même si, encore une fois, ils se décrivent comme français parce qu’intégrés. Le discours de Khadija [78], qui fait partie de ceux qui se pensent comme pleinement français, est un bon exemple de ces réponses tout en nuances. Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle a acquis la nationalité française, elle explique d’abord : « Je pense que c’est plus… […] Quand on remplit par exemple un papier, je ne sais pas, n’importe quel papier, ils demandent « nationalité », toujours au niveau des études. Donc moi avant je mettais « nationalité marocaine ». Et puis bon, il y a mes camarades « Oh ! Tu es marocaine ! Tu n’as pas la nationalité française… » Même les profs… ils ont tendance à… mettre un peu à l’écart […], tandis que si on a la carte d’identité française, comme c’est le cas pour moi maintenant, ben […] ça leur en bouche un coin, parce que ça leur montre qu’en fait les étrangers, ils sont autant français que les vrais Français de France ». Puis, évoquant les changements provoqués par l’obtention de la carte d’identité, elle souligne la profondeur de son intégration avant d’indiquer qu’elle a gardé certains éléments culturels spécifiques : « Étant donné qu’on a cette carte, on se sent vraiment chez soi. On va à l’école, on a notre travail, on vit comme tout le monde, comme les Français, on mange comme tout le monde, si ce n’est qu’on n’a pas la même culture, bien sûr, mais c’est tout ». Un peu plus tard, Khadija explicite sa pensée : « Je veux dire au niveau de la culture par exemple… Comment dire… Pourtant, on s’habille de la même manière, on mange pareil, si ce n’est que nous, bien sûr, on a plus les spécialités marocaines, donc […] il y a un plus. Par exemple, quand il y a des fêtes, des mariages, il y a la culture marocaine qui ressort, par exemple. Il y a les belles robes marocaines et tout ça, c’est ça ». Entre deux, après avoir parlé des vacances qu’elle passe au Maroc, Khadija n’en explique pas moins qu’elle se considère comme marocaine : « Je suis en France, bien sûr, je poursuis mes études en France, je vis en France avec mes parents, mais je me considère comme marocaine, même si je parle mieux le français ».
42Qu’ils se pensent de « vrais » ou de « faux » Français, ces jeunes, quand on leur demande s’ils se sentent différents d’un côté des Français, de l’autre des habitants du pays de leurs parents, tous affirment ne ressentir aucune différence. « Par rapport aux Français, tu te sens proche, différente, pareille ? », ai-je demandé à Khadija : « Pareille, exactement la même chose […]. Je fais exactement la même chose ». « Et par rapport aux Marocains qui habitent au Maroc de ton âge ? » : « Aux Marocains qui habitent au Maroc ? Ils sont, ils ont exactement la même… Moi, je les envie un peu d’un côté à dire vrai ». Pareilles réponses sont tout à fait congruentes avec les résultats de l’enquête réalisée par Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, dans laquelle les Français issus de l’immigration étaient interrogés sur les proximités ressenties.
43Si l’on prend enfin en compte l’attitude des jeunes lors des compétitions sportives, propices à l’émergence de sentiments patriotiques, les choses se complexifient encore. Paradoxalement, en effet, les jeunes issus de l’immigration se sont assez largement identifiés à l’équipe nationale et, par-delà, à la France, lors de la victoire en finale de la Coupe du monde de football en 1998 et de la qualification pour la finale en 2006. Si tous les adolescents nés en France de parents étrangers n’ont évidemment pas partagé la joie collective, si tous ceux qui sont descendus dans les rues ces soirs-là ne se sont pas non plus nécessairement identifiés à la France – les raisons pour lesquelles les individus participent à des manifestations collectives pouvant être diverses, comme le rappelle Nicolas Mariot [79] –, le fait qu’un certain nombre d’entre eux ait fêté la victoire semble significatif. L’étude de Nancy Venel apporte quelques éléments sur le profil des jeunes qui ont été sensibles à l’événement en 1998. Il ressort de son enquête, menée en 1999 et 2000, sur les représentations de la citoyenneté des « jeunes Français d’origine maghrébine et musulmans sociologiques » [80] que les adolescents proches de ce qu’elle appelle le modèle des « accommodateurs », qui se définissent indissociablement comme français et musulmans, se sont identifiés à la victoire des Bleus en 1998, à la différence, d’une part, des « néo-communautaires », pour lesquels seule compte l’appartenance à la communauté des croyants, et, d’autre part, des « contractants », qui privilégient l’affirmation individuelle sur toute appartenance à un groupe et ont fait preuve d’une identification distanciée. Si les catégories utilisées par Nancy Venel ne recoupent qu’imparfaitement les positions présentées dans cet article [81], il est toutefois possible d’en déduire qu’une partie des adolescents proches des deuxième et troisième positions et qui se décrivent comme français de fait tout en affirmant se sentir portugais ou marocains, se sont identifiés à la France lors des coupes du monde de football. On peut en effet penser que déclarer un sentiment identitaire marocain tout en se présentant comme français et se définir comme indissociablement français et musulman sont deux attitudes proches, l’insistance sur la dimension nationale ou religieuse pouvant s’expliquer par la différence de problématique des deux enquêtes, qui a elle-même une incidence sur les réponses des enquêtés. Il est enfin possible de supposer que l’identification à la France n’est pas propre aux jeunes nés en France de parents maghrébins, mais qu’on la retrouve chez les adolescents issus de parents portugais ou espagnols qui se présentent de la même façon. On peut donc faire l’hypothèse qu’une partie de ces adolescents, qui disent se sentir étrangers, a eu le sentiment au moins un soir d’appartenir à la nation.
44Récapitulons : certains jeunes se décrivent comme français tout en affirmant se sentir étrangers, ce qui ne les empêche ni de déclarer qu’ils ne se sentent différents ni des Français ni des compatriotes de leurs parents, ni de s’identifier à la France lors des victoires pour les coupes du monde de football. D’autres se présentent de façon analogue, mais insistent sur leurs différences avec les Français. Il n’est pas exclu, par ailleurs, qu’ils aient pris part à la liesse collective en 1998 et 2006. Comment comprendre ces déclarations en apparence paradoxales ?
… Mais des réponses logiques
45Décortiquons les différentes déclarations des jeunes pour en saisir la logique. La description d’eux-mêmes que les adolescents proposent se veut objective. Elle apparaît comme une synthèse des différents aspects de leur identité, regroupant leur identité juridique, leur identité pour les autres et leur identité pour eux-mêmes. Il n’est donc pas étonnant qu’elle comprenne des facettes contrastées. En outre, se définir ainsi permet aux jeunes de répondre aux injonctions contradictoires auxquelles ils sont soumis de la part de la société française et de leur famille, en tenant des propos susceptibles de satisfaire les deux parties : d’un côté, ils se disent intégrés, de l’autre ils affirment, à des degrés divers, être restés fidèles à certains éléments de l’héritage. On ne saurait donc leur reprocher un manque d’intégration, ni les accuser d’avoir « renié » leurs origines. On peut interpréter de façon analogue le fait qu’ils déclarent ne se sentir différents ni des Français ni des habitants du pays des parents. Se dire différent risquerait en effet d’être perçu comme une marque de rejet des autres et comme le signe, en France, d’un refus de s’intégrer ou, dans le pays des parents, d’une attitude prétentieuse. Si ces réponses reflètent les convictions des jeunes, elles semblent aussi relativement normées, au sens où elles paraissent socialement définies et sanctionnées. Aux yeux des adolescents, elles constitueraient les réponses à donner. Les jeunes savent s’exposer sinon à la désapprobation des uns ou des autres. C’est l’existence d’une sanction qui autorise à parler de norme, indépendamment de la fréquence de la réponse [82].
46Le sentiment identitaire déclaré correspond à une autre logique. Il est défini beaucoup plus librement. Il s’appuie certes sur certains éléments de la description objective, qui délimite l’ensemble des identités que les jeunes peuvent revendiquer, mais il n’est pas pour autant contraint par eux. La subjectivité des intéressés s’y exprime pleinement. Les réponses fournies sont ainsi beaucoup plus diverses que celles qui ont trait à la description objective de soi, allant d’un sentiment identitaire français à un sentiment identitaire espagnol ou tunisien, en passant par le refus de se classer, qui peut lui-même revêtir des formes variées. Le fait que les jeunes proches des deuxième et troisième positions déclarent généralement ne pas se sentir français, alors même qu’ils reconnaissent être de fait français, peut se comprendre de différentes façons.
47Il peut s’agir encore une fois de montrer qu’ils ne « renient » pas leur origine.
48Pareille attitude peut également être un effet de la stigmatisation ou une forme de réponse à celle-ci : elle peut traduire une reprise à son compte du regard des autres ou être une façon de retourner le stigmate. Ayant réalisé moi-même l’enquête et étant identifiée comme une jeune femme française, ces déclarations pouvaient constituer une forme de discours contestataire : une façon de donner une réponse pensée comme provocatrice, de ne pas avoir l’attitude supposée attendue par la société française, sachant que cette attitude est contrebalancée par les réponses au contraire très normées aux questions sur la description de soi. Ce type de discours ne reflète pas un attachement à des traits culturels spécifiques. Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ne se sentent pas français, les jeunes ne disent pas tenir à des éléments culturels propres.
49Déclarer un sentiment identitaire marocain tout en se décrivant comme français, ne pas parvenir à se classer ou refuser de le faire peuvent aussi s’interpréter comme le signe d’une volonté de se définir librement. Les adolescents refusent de se couler dans des identités préétablies. Ils préfèrent se bricoler une identité sur mesure qui concilie revendication égalitaire et héritage culturel propre. Ce mouvement n’est pas spécifique aux jeunes issus de l’immigration. Comme l’a montré Sophie Duchesne, l’une des deux représentations en France de la citoyenneté « ordinaire » – qu’elle intitule « le modèle des scrupules » – se caractérise par le refus des assignations identitaires : « Le citoyen s’[y] définit d’abord comme un être humain, contraint d’organiser sa vie au milieu de frontières dont il ne reconnaît pas la légitimité, parce qu’elles engendrent une déformation de l’identité de chacun en créant des ressemblances entre membres d’un même pays […] » [83]. Cette représentation, constate Sophie Duchesne, se retrouve plus fréquemment dans le discours des jeunes. Il faut y voir un effet de la montée de l’individualisme et d’une socialisation en période de paix, dans un contexte relativement favorable, qui permet « l’acquisition, par l’individu, d’un “bagage” social d’une ampleur suffisante, par rapport à ses attentes, [lui conférant] la capacité de rechercher d’abord en lui la justification de sa propre existence, autrement dit la possibilité de dépendre moins directement de la confirmation par les autres de son utilité sociale » [84]. S’y ajoute un effet d’âge, la propension à l’individualisation variant suivant les âges de la vie. La tendance à l’identification à la communauté nationale est ainsi plus marquée au moment de l’entrée dans la vie active et du passage à la retraite.
50Enfin, refuser de trancher entre ses diverses identités, se présenter comme une indéfinissable « mixture », se dire citoyen du monde ou éluder la question en répondant ironiquement sont autant de manières, pour les jeunes, de rejeter la légitimité de cette interrogation sur leur sentiment identitaire. La signification précise ne peut se comprendre que par rapport à la situation d’enquête. Étant perçue comme française, le sens en est la remise en cause du bien-fondé d’un tel questionnement de la part des Français, même si certains enquêtés ont déclaré rejeter cette question, à leurs yeux stupide, quel qu’en soit son auteur.
Un sentiment identitaire déclaré très fragile
51Interpréter ainsi le sentiment d’identité déclaré par les jeunes tend à accréditer l’idée qu’on pourrait lui accorder une certaine valeur. Or, si ces interprétations sont fondées, le sentiment identitaire déclaré est loin d’avoir la consistance qu’on lui prête. Il est bien plus fragile qu’on ne l’imagine.
52Les jeunes dont l’attitude se rapproche des deuxième et troisième positions ne confèrent en effet généralement que peu d’importance à la dimension nationale de leur identité. Les réponses données sont courtes. Les adolescents sont souvent dans l’incapacité d’expliciter les raisons pour lesquelles ils déclarent tel sentiment identitaire, quand ils ne donnent pas l’impression de ne savoir que dire. Thomas [85], par exemple, à qui je demande comment il se considère, opte pour la réponse la moins engageante : « Je suis né en France, je suis français. Mes parents sont portugais… Je parle… C’est une langue que j’ai apprise avec mes parents, pas à l’école, donc je suis portugais aussi… Mes grands-parents, […] toute ma famille, elle est au Portugal, ça fait que je suis Portugais. J’ai une maison là-bas ». Certains jeunes hésitent et répondent un peu au hasard. Ils n’ont manifestement jamais vraiment réfléchi au sujet qui, du reste, ne les intéresse guère. Quelques-uns le disent franchement, demandent pourquoi un pareil thème de recherche a été choisi, alors qu’il y a tant de choses importantes à étudier : l’école, la violence, la banlieue… D’autres tentent d’orienter l’entretien vers leurs sujets de prédilection. Interrogés sur leur sentiment identitaire, certains mettent aussi en avant d’autres appartenances : « Je me sens une jeune fille de 16 ans », répond ainsi Souad [86]. Ils ne se définissent pas principalement par leur origine étrangère. Ils sont également des jeunes engagés dans tel cursus scolaire, habitant tel quartier, ayant tels centres d’intérêt.
53En outre, les adolescents disent explicitement que leur sentiment d’identité oscille en fonction du pays dans lequel ils se trouvent. En France, ils se sentent souvent étrangers, alors que dans le pays de leurs parents, ils ont tendance à se sentir français, sentiment qui reflète la façon dont ils sont perçus ici et là-bas. Dans un pays donné, leur sentiment d’identité varie aussi en fonction des situations et des interlocuteurs. Jamila [87] l’explique bien : « Les rapports sexuels avant le mariage, […] personnellement, je dis non […] : pour moi, pour mes parents, la religion, et puis aussi parce que je suis marocaine et donc, chez nous, ça ne se passe pas comme ça. Mais bon, pour d’autres choses, peut-être que je réagis un peu à la française. Je n’arrive pas à dire : “Je me sens plus marocaine ou plus française”, parce que ça dépend des circonstances et des occasions, des situations. Ça dépend de tout événement qui se produit, [comment] je réagis ». Ces variations, on l’a vu, ne sont pas spécifiques aux jeunes de parents étrangers : elles caractérisent tout sentiment identitaire. Elles ne sont d’ailleurs pas vécues par les adolescents comme problématiques et ne débouchent pas sur une crise d’identité. Elles leur paraissent normales, dans la mesure où elles découlent logiquement de leur situation. Les différentes facettes de leur identité se concilient sans tension. « Là-haut, on arrive, c’est : “ Oh ! C’est les Français !” », déclare Hélène [88] dont on a vu qu’elle s’était « toujours sentie dans les deux parties » : « Ce n’est pas grave ! De toute façon, à partir du moment où là-bas, on est immigré, il n’y a même plus… on n’est ni dans un pays ni dans l’autre : on est entre les deux ».
54L’attitude des jeunes proches de la première position est très différente : ils accordent une grande importance à la dimension nationale de leur identité, qui primerait sur les autres dimensions. Leur discours s’oppose en tous points à celui des autres. Le sentiment d’identité, fortement affirmé, est étayé par divers éléments et présenté comme constant. Surtout, celui-ci paraît jouer un grand rôle dans leur trajectoire, déterminant leurs projets et le pays dans lequel ils pensent vivre.
55Au regard de tous ces éléments, il apparaît que le sentiment identitaire n’a une certaine constance que chez les jeunes proches de la première position. Chez les autres, il est variable et peu investi. Or, quelle valeur accorder à un sentiment d’identité qui n’est pas investi ? Si les déclarations en matière de sentiment identitaire sont souvent considérées comme un bon indicateur du lien que certaines populations entretiennent avec un pays, c’est justement parce qu’on présuppose que le sentiment identitaire qu’elles sont censées refléter est fort, constant et important pour les intéressés. Comme le rappelle Joël Candau, le sociologue, « tout entier absorbé par l’étude [des phénomènes identitaires], a naturellement tendance à leur accorder un rôle prééminent ». Il risque alors d’« exagérer l’importance de phénomènes qui, excepté certaines périodes de crise, jouent peut-être un rôle moins grand qu’il ne le pense dans la vie d’individus qui, en premier lieu, se soucient avant tout de travailler, aimer, faire vivre leur famille et, souvent avec difficulté, jouir du temps qui passe » [89]. En outre, on l’a vu avec Paul Ricœur, tenter d’appréhender la dimension nationale de l’identité des individus à travers les réponses à quelques questions sur le sentiment identitaire paraît par nature voué à l’échec. Le sentiment identitaire est lié à la mise en récit. Ce n’est donc pas à travers une interrogation sur « quelle identité ? » qu’une réponse sera éventuellement obtenue, mais à travers la narration du « comment » [90].
56**
57Alors que les déclarations en matière de sentiment identitaire sont souvent considérées comme le critère essentiel permettant d’apprécier les liens que les Français issus de l’immigration, et plus particulièrement les jeunes, entretiennent avec la France, cet article montre qu’elles constituent un indicateur bien trop réducteur pour cerner toute la complexité de ces liens. L’enquête de terrain menée auprès d’adolescents nés dans l’Hexagone de parents étrangers révèle que les déclarations des jeunes sur ce plan ne correspondent souvent pas aux liens réellement tissés d’un côté avec la France, de l’autre avec le pays des parents. Ainsi, nombreux sont les adolescents qui ont des liens très forts avec la France, mais qui disent se sentir portugais ou tunisiens, qui refusent de se classer, ne pouvant trancher entre leurs deux identités, ou qui rejettent la question. Le sentiment identitaire déclaré n’est en adéquation avec le lien entretenu avec chacun des pays que pour les adolescents qui ont un projet précis de départ sur la terre de leurs ancêtres. L’examen détaillé des réponses fournies par les jeunes à différentes questions touchant à l’identité montre la sensibilité extrême de ces réponses à la formulation des questions, les sentiments identitaires des jeunes étant tout en nuances. Ainsi, les intéressés peuvent à la fois se décrire comme français, ne se sentir différents ni des Français ni des compatriotes de leurs parents et déclarer un sentiment identitaire marocain. Les jeunes concilient sans difficulté les différentes facettes de leur identité, qui ne leur paraissent nullement antagonistes. En outre, la dimension nationale de leur identité n’a pas pour eux l’importance qu’on lui prête généralement. À leurs yeux, ce qui est important, ce sont les relations qu’ils entretiennent avec les habitants de chacun des pays, le rejet dont ils peuvent être victimes, les éventuels projets parentaux en matière de pays de résidence, etc. Dès lors, le sentiment identitaire qu’ils déclarent n’a pas grande consistance. La réponse obtenue est peu significative.
58Dans ce contexte, il convient plutôt de s’interroger sur les raisons pour lesquelles une telle importance est accordée au sentiment identitaire. La référence constante à la nation à la française, dans laquelle l’identité nationale primerait sur les autres identités, ainsi que la polarisation du débat public entre modèle d’intégration républicaine et multiculturalisme, semblent en être les causes les plus immédiates. Plus largement, comme le souligne Abdelmalek Sayad, cette interrogation sur l’identité est à référer à la position dominée de cette population. Il n’y a « d’identité en question que l’identité dominée ou l’identité des dominés » [91]. « Et c’est alors même qu’on verse maladroitement dans “l’individualisation”, dans la “privatisation” de ce qui est, au fond, une donnée objectivement sociale, collective, et qu’on incline à dire cela en terme d’identité, et d’identité personnelle […] qu’on trahit ce qui est au cœur de la naturalisation, à savoir que le sentiment de la nationalité se situe, chez les uns et chez les autres (chez les candidats à la naturalisation et chez ceux qui accordent la naturalisation) dans un rapport de forces, le rapport de forces entre nationalités et entre nations » [92]. En accordant peu d’importance à la dimension nationale de leur identité, en refusant parfois de se positionner, les jeunes résistent à cette privatisation. Ils signifient ainsi que les problèmes qu’ils peuvent rencontrer ne sont pas liés à leur identité. Ils ne sont pas personnels : ils proviennent de la société.
Notes
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[1]
Carmel Camilleri, « Identité et changements sociaux, point de vue d’ensemble », dans Pierre Tap (dir.), Identités collectives et changements sociaux, colloque international, Toulouse, Privat, 1980, p. 331-342, dont p. 333.
-
[2]
Peter Rupp, « Anthropologie et histoire de l’identité nationale, synchronie des conflits, diachronie des solidarités », dans P. Tap (dir.), Identités collectives…, ibid., p. 61-64, dont p. 62 ; Bartolome Bennassar, « Avant-propos », dans P. Tap (dir.), ibid., p. 7-10, dont p. 7.
-
[3]
C. Camilleri, « Identité et changements… », cité, p. 333.
-
[4]
C. Camilleri, ibid., p. 341.
-
[5]
P. Rupp, « Anthropologie… », cité, p. 62. B. Bennassar, « Avant-propos », cité, p. 7.
-
[6]
Manga Bekombo, « Ethnicité et personnalité individuelle. L’enfant et sa socialisation en Afrique noire », dans P. Tap (dir.), Identités collectives…, op. cit., p. 39-42, dont p. 39.
-
[7]
Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983-1985, p. 355.
-
[8]
Johann Michel, « Narrativité, narration, narratologie : du concept ricœurien d’identité narrative aux sciences sociales », Revue européenne des sciences sociales, 41 (125), 2003, p. 125-142.
-
[9]
Avant la réforme de 1993, les jeunes nés en France de parents étrangers devenaient automatiquement français à leur majorité s’ils habitaient en France à cette date et y résidaient depuis cinq ans. Ils avaient la possibilité de décliner la nationalité française dans l’année précédant leur majorité.
-
[10]
Au cours de l’enquête, 62 entretiens ont été effectués, mais 12 l’ont été avec des jeunes qui ne répondaient pas aux critères choisis, notamment parce qu’ils avaient acquis la nationalité française depuis longtemps.
-
[11]
En 1995, 33,7 %des manifestations de volonté souscrites l’étaient par des Portugais, 32,1 % par des Marocains, 12,2 % par des Tunisiens, 10,1 % par des Turcs et 3,3 % par des Espagnols : Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 1996 », Études et Statistiques Justice, 9, 1998, p. 32. Le faible nombre d’enquêtés de parents espagnols, tunisiens et turcs ne constitue pas une limite à la validité de l’enquête dans la mesure où il ressort de cette recherche que la variable pertinente n’est pas la nationalité, mais l’appartenance ou non à l’Union européenne.
-
[12]
On ne ventile pas ici les ouvriers selon leur qualification car les déclarations des jeunes paraissent sur ce plan particulièrement fragiles.
-
[13]
Michèle Tribalat, Faire France, une enquête sur les immigrés et leurs enfants, Paris, La Découverte, 1995.
-
[14]
11 enquêtés de 16 ans, 14 de 17 ans, 18 de 18 ans et 7 de 19 et 20 ans.
-
[15]
Répartition des enquêtés par niveau d’étudeNiveau d’étude Nombre d’enquêtés Sortie du système scolaire avec un niveau inférieur au brevet des collèges. Inscription à la Mission locale ou en classe de remise à niveau 5 Collège 5 Apprentissage, CAP 6 BEP, baccalauréat professionnel 12 Lycées technique et général Études supérieures 20 2 Total 50
-
[16]
Il s’agit non des décisions définitives, mais de ce que les jeunes envisagent de faire au moment de l’entretien. Les réponses reflètent leurs représentations et ne correspondent pas nécessairement à la réalité juridique. Ainsi, les adolescents qui pensent ne prendre que la nationalité française seront en général juridiquement binationaux. Ils ignorent qu’il leur faut le plus souvent faire des démarches, s’ils le souhaitent, pour se libérer de leurs anciens liens d’allégeance, quand, du moins, l’État de leurs parents les y autorise.
-
[17]
André Lebon, Situation de l’immigration et présence étrangère en France 1993-1994, Paris, La Documentation française, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Direction de la population et des migrations, 1994. Les déclinaisons sont désormais extrêmement rares. Voir infra.
-
[18]
Olivier Galland, Jean-Vincent Pfirsch, Les jeunes, l’armée et la nation, Paris, Centre d’études en sciences sociales de la Défense, 1998.
-
[19]
Sylvain Brouard, Vincent Tiberj, Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
-
[20]
La Mission locale est une structure d’aide à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes.
-
[21]
La question précise était : « Vous personnellement, vous sentez-vous seulement français, plus français qu’européen, autant français qu’européen, seulement européen, ni français ni européen ? »
-
[22]
O. Galland, J.-V. Pfirsch, Les jeunes, l’armée et la nation, op. cit., p. 7.
-
[23]
Ibid., p. 13.
-
[24]
Ibid., p. 8.
-
[25]
Ibid., p. 11-12.
-
[26]
S. Brouard, V. Tiberj, Français comme les autres ?…, op. cit., p. 17.
-
[27]
S. Brouard, V. Tiberj, ibid., p. 126-127.
-
[28]
Ibid., p. 127.
-
[29]
Marcel Mauss, « Nation, nationalité, internationalisme », dans Œuvres, t. 3, Paris, Minuit, 1969, p. 573-625. Dominique Schnapper, La France de l’intégration, sociologie de la nation, Paris, Gallimard, 1991 ; La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994.
-
[30]
Gérard Noiriel, « Nations, nationalités, nationalismes. Pour une socio-histoire comparée », dans Gérard Noiriel (dir.), État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Belin, 2001, p. 87-144.
-
[31]
Max Weber, « Les relations communautaires ethniques », dans Économie et société, l’organisation et les puissances de la société dans leur rapport avec l’économie, Paris, Plon, 1995, p. 139-144 ; Benedict Anderson, L’imaginaire national, réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
-
[32]
G. Noiriel, « Nations… », cité, p. 133.
-
[33]
Alain Dieckhoff, La nation dans tous ses états, les identités nationales en mouvement, Paris, Flammarion, 2000, p. 295.
-
[34]
L’analyse du déroulement de l’enquête montre qu’une catégorie de jeunes n’a pu être rencontrée. Il s’agit de ceux qui sont en dehors de toute structure : ils ne sont plus scolarisés, ne travaillent pas, ni ne fréquentent régulièrement un organisme d’aide à l’insertion professionnelle, et dont des frères, des sœurs ou des travailleurs sociaux m’ont dit qu’ils ne prenaient pas la nationalité française, alors même qu’ils pensaient faire leur vie en France. J’ai tenté de les rencontrer par l’intermédiaire de mes informateurs, mais je n’ai essuyé que des refus. Étant donné que je ne dispose sur ces adolescents que des éléments fournis par mes informateurs, la position singulière dans laquelle ils se trouvent n’a pas été incluse dans l’ensemble des positions présentées.
-
[35]
Diego a 16 ans. Il est en seconde au lycée espagnol. Il habite à Paris dans les beaux quartiers. Son père est chef d’équipe dans le bâtiment. Diego ne veut pas prendre la nationalité française.
-
[36]
À 18 ans, Nizar est en première année de BTS de gestion. Il habite dans les beaux quartiers et a la double nationalité. Son père a une entreprise d’import-export.
-
[37]
Bruno a 18 ans. Il est en deuxième année de BEP et ne veut pas prendre la nationalité française. Il habite un pavillon en lointaine banlieue. Son père est ouvrier.
-
[38]
Au moment de l’enquête, le service national n’avait été abrogé ni en France, ni en Espagne, ni au Portugal.
-
[39]
D’après les données nationales, entre 7 et 9 % des enfants nés en France dans les années 1970 et y résidant 20 ans plus tard, essentiellement des garçons, ne prenaient pas la nationalité française, il est vrai, pour des raisons différentes. Le pourcentage d’enfants restant étrangers a fortement changé pour les générations nées à partir de 1978. Il est de 3,1 % chez les enfants nés en 1978 et diminue ultérieurement : Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 1999 », Études et Statistiques Justice, 17, 2000. Le nombre des déclinaisons est ainsi passé de 193 en 1999 à 45 en 2003 : Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 2003 », Études et Statistiques Justice, 25, 2005. La répartition entre garçons et filles s’est aussi grandement modifiée, devenant beaucoup plus équilibrée. Il faut sans doute y voir l’effet de la suppression en France du service national. Cf. A. Lebon, Situation de l’immigration…, op. cit. ; Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique, des études et de la documentation, Direction de la population et des migrations, « Les acquisitions de la nationalité française en 1999 », cité.
-
[40]
Nizar, binational, cité.
-
[41]
Olivia a 17 ans. Elle est en deuxième année de BEP. Elle a pris la nationalité française mais voudrait avoir « la double ». Elle habite dans les beaux quartiers. Son père, salarié, est réparateur de parapluies.
-
[42]
Emna, 18 ans, est en première STT. Elle s’est faite délivrer sa carte nationale marocaine mais dit avoir pris seulement la nationalité française. Elle habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père est manutentionnaire.
-
[43]
À 17 ans, Khadija est en première ES. Elle a la double nationalité et habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père est ouvrier chez Renault.
-
[44]
Les jeunes qui pensent ne pas avoir la nationalité de leurs parents se trompent. Sur ces représentations erronées, voir Évelyne Ribert, Liberté, égalité, carte d’identité. Les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, Paris, La Découverte, 2006.
-
[45]
Ces jeunes pensent s’être défaits de leur nationalité d’origine, parce qu’ils ne se sont pas fait délivrer leurs papiers : ils font erreur. On ne perd généralement pas ainsi sa nationalité : il faut le plus souvent faire une démarche officielle.
-
[46]
Jean-Marc, 19 ans, en terminale S, a pris la double nationalité. Il habite un pavillon en lointaine banlieue. Son père est ouvrier dans le bâtiment.
-
[47]
Ouahid a pris seulement la nationalité française. À 17 ans, il est en terminale STT. Il habite un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père, décédé, était ouvrier.
-
[48]
David Lepoutre, Isabelle Cannoodt, Souvenirs de familles immigrées, Paris, Odile Jacob, 2005.
-
[49]
La reconnaissance officielle de l’importance de l’immigration dans l’histoire de la France, dont témoigne l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, est récente.
-
[50]
Ces jeunes pensent devoir se faire délivrer leurs papiers pour garder leur nationalité.
-
[51]
Aïcha, 19 ans, est en terminale S et vit dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père, qui a été ouvrier chez Renault, est au chômage.
-
[52]
À 17 ans, Béatrice sort de 3e. Elle veut entrer en apprentissage dans la coiffure. Elle habite en proche banlieue dans un logement qui ne fait pas partie d’un grand ensemble. Son père est peintre en bâtiment.
-
[53]
Ismaël, 16 ans, pense prendre la double nationalité. Il est en 5e et habite en lointaine banlieue. Son père est ouvrier chez Peugeot.
-
[54]
Jamila, 18 ans, en première STT, dit n’avoir pris que la nationalité française. Elle habite un pavillon en lointaine banlieue. Son père travaille à la SNCF.
-
[55]
Amel, 16 ans, est en première S. Elle a pris les nationalités marocaine et française. Son père est ouvrier chez Renault.
-
[56]
À 19 ans, Jean-Marc, de père ouvrier, est en terminale S. De nationalités française et portugaise, il réside dans un pavillon en lointaine banlieue.
-
[57]
Jamila, citée, se dit uniquement de nationalité française.
-
[58]
Ismaël, cité, pense prendre la double nationalité.
-
[59]
Hélène, à 17 ans, est en terminale littéraire. Au moment de l’entretien, elle disait n’avoir pris que la nationalité française, mais comptait prendre la double. Elle habite au centre ville en lointaine banlieue.
-
[60]
Amel, citée, vit en lointaine banlieue et a la double nationalité.
-
[61]
L’entretien avec Ouahid, cité, a été réalisé en octobre 1995, après les attentats aux stations Saint-Michel et Maison-Blanche commis à Paris par le Groupe islamique armé (GIA).
-
[62]
Houssine a 18 ans. Il sort de prison. Il est inscrit à la Mission locale. Son père est ouvrier chez Peugeot. Il habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue.
-
[63]
Moussa, 17 ans, en 3e, dit n’avoir pris que la nationalité française. Il habite dans un grand ensemble en lointaine banlieue. Son père, à la retraite, était ouvrier.
-
[64]
Jamila, citée.
-
[65]
Aïcha, citée, née en France d’un père marocain ouvrier, a la double nationalité.
-
[66]
Jean-Luc Richard, Partir ou rester ? Destinées des jeunes issus de l’immigration, Paris, PUF, 2004.
-
[67]
S. Brouard, V. Tiberj, Français comme les autres ?…, op. cit.
-
[68]
Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention, Paris, Gallimard, 2007.
-
[69]
C. Braconnier, J.-Y. Dormagen, ibid., p. 60.
-
[70]
Ibid., p. 333.
-
[71]
Nuno a 18 ans. Il est en 2e année de BEP et a pris les nationalités française et portugaise. Il habite dans les beaux quartiers. Son père est chef d’équipe dans le bâtiment.
-
[72]
Né d’un père marocain ouvrier, Ouahid, cité, dit n’avoir pris que la nationalité française.
-
[73]
Hélène, citée, compte prendre la double nationalité. Elle habite en centre ville en lointaine banlieue. Son père est ouvrier.
-
[74]
Jamila, citée, se dit seulement de nationalité française.
-
[75]
De parents tunisiens, Fariha a 18 ans. Elle est en CAP et a pris la double nationalité. Son père est mécanicien, elle habite en proche banlieue.
-
[76]
Comme cela a été dit supra, il y a une catégorie de jeunes qu’il n’a pas été possible de rencontrer et sur lesquels je dispose de renseignements par des informateurs. Cette catégorie n’invalide pas l’analyse présentée ici. Ces adolescents, hors de toute structure, ne deviennent pas français, alors qu’ils veulent faire leur vie en France : soit ils n’ont pas le courage d’effectuer les démarches nécessaires pour acquérir la nationalité française, soit ils s’y refusent par révolte. Si les différentes dimensions composant le lien national paraissent dans ce cas un peu plus congruentes (pas d’acquisition de la nationalité française, absence d’identification à la France…), rester étranger tout en voulant vivre dans l’Hexagone est la marque d’une disjonction. Qui plus est, rien ne dit que le lien que ces jeunes entretiennent avec le pays de leurs parents est un lien national. Quoi qu’il en soit, ce qu’ils ont pu dire à leurs proches ou aux travailleurs sociaux sur leur sentiment identitaire semble être un indicateur un peu plus fiable du lien qu’ils entretiennent avec la France que les déclarations des adolescents proches des deuxième et troisième positions, même si l’on peut se demander s’ils n’entretiennent pas malgré tout un lien profond avec la France. Le refus de prendre la nationalité française pourrait n’être qu’un effet du sentiment de stigmatisation et d’exclusion. Ces adolescents étant très minoritaires d’après les statistiques d’acquisition de la nationalité française, ils ne remettent pas en cause l’analyse globale présentée ici.
-
[77]
Isabelle a 18 ans, elle est en seconde. Elle habite un grand ensemble en lointaine banlieue et son père est technicien.
-
[78]
Khadija, citée, a la double nationalité.
-
[79]
Nicolas Mariot, « Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou l’état d’esprit prêté aux foules », Revue française de science politique, 51 (5), octobre 2001, p. 707-738.
-
[80]
Nancy Venel, Musulmans et citoyens, Paris, PUF, 2004, p. 9.
-
[81]
Les catégories proposées par Nancy Venel diffèrent des positions présentées dans cet article car les problématiques et les échantillons des deux enquêtes ne sont pas les mêmes. N. Venel analyse « la citoyenneté “ordinaire” des jeunes Français d’origine maghrébine, musulmans “sociologiques” ». Sa recherche, si elle explore le sentiment d’appartenance nationale, porte d’abord sur la conception, le vécu et les formes de la citoyenneté. Il s’agit pour elle de comprendre comment les jeunes « musulmans sociologiques » concilient citoyenneté et appartenance religieuse ; ce qui la conduit logiquement à présenter des catégories en lien avec la religion. C’est le cas de deux d’entre elles (sur quatre). L’enquête exposée ici porte au contraire sur le choix de la nationalité et le lien entretenu avec la France et le pays des parents. La religion, si elle a souvent été évoquée par les enquêtés, n’est pas apparue comme centrale, à la différence du choix du pays de résidence, thème qui, éloigné de la question de la citoyenneté, n’est que secondaire dans le travail de Nancy Venel. En outre, les échantillons de ces deux recherches diffèrent. Les âges ne sont pas les mêmes, N. Venel ayant rencontré des 18-35 ans. Les nationalités étudiées non plus : la recherche de N. Venel ne porte que sur les « musulmans sociologiques » et elle inclut les Algériens, qui sont absents du travail présenté ici. Or, ceux-ci sont les seuls à composer l’une des quatre catégories qu’elle propose : celle des « Français pratiquants ».
-
[82]
Ruwen Ogien, « Sanctions diffuses, sarcasmes, rires, mépris… », Revue française de sociologie, 31, 1990, p. 591-607.
-
[83]
Sophie Duchesne, Citoyenneté à la française, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 310.
-
[84]
S. Duchesne, ibid., p. 323-324.
-
[85]
Thomas, 18 ans, veut avoir la double nationalité. En apprentissage comme boulanger, il habite en proche banlieue dans un grand ensemble. Son père, invalide, était conducteur de poids lourds.
-
[86]
Souad, 16 ans, de parents tunisiens, a pris la double nationalité. Elle est en première année de CAP. Son père est boulanger (salarié). Elle habite à Paris dans un quartier populaire.
-
[87]
Jamila, citée, se dit seulement française.
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[88]
Hèlène, citée, pense prendre les nationalités française et portugaise.
-
[89]
Joël Candau, Mémoire et identité, Paris, PUF, 1998, p. 193.
-
[90]
P. Ricœur, Temps et récit, op. cit.
-
[91]
Abdelmalek Sayad, « Les maux-à-mots de l’immigration. Entretien avec Jean Leca », Politix, 12, 1990, p. 7-24, dont p. 11.
-
[92]
A. Sayad, ibid., p. 17.