Couverture de RFSP_581

Article de revue

Le lobbying des ONG internationales d'environnement à Bruxelles

Les ressources de réseau et d'information, conditions et facteurs de changement de l'action collective

Pages 97 à 121

Notes

  • [1]
    Margot Wallström, « Plus proche des citoyens », L’environnement pour les Européens, 3, juillet 2000, p. 3.
  • [2]
    Le système de l’UE « encourage les groupes d’intérêt (et les autres acteurs) à la promiscuité », selon Sonia Mazey et Jeremy J. Richardson, « Interest Groups and EU Policy-Making. Organisational Logic and Venue Shopping », dans Jeremy J. Richardson (ed.), European Union. Power and Policy-Making, Londres, Routledge, 2006, p. 247-268, dont p. 256.
  • [3]
    Gary Marks, Doug McAdam, « Social Movements and the Changing Structure of Political Opportunity in the European Union », Western European Politics, 19 (2), 1996, p. 249-278. Plus récemment, voir Jan Beyer, « Voice and Access. Political Practices of European Interest Associations », European Union Politics, 5 (2), 2004, p. 211-240, dont p. 225.
  • [4]
    Les contributions de l’ouvrage collectif de Doug Imig et Sidney Tarrow ont confirmé cette interprétation : Doug Imig, Sidney Tarrow (eds), Contentious Europeans. Protest and Politics in an Emerging Polity, Lanham, Rowman & Littlefield, 2001.
  • [5]
    Sabine Saurugger, « L’expertise : un mode de participation des groupes d’intérêt au processus décisionnel communautaire », Revue française de science politique, 52 (4), août 2002, p. 375-401.
  • [6]
    Dieter Rucht, « Lobbying or Protest ? Strategies to Influence EU Environmental Policies », dans Doug Imig, Sidney Tarrow (eds), op. cit., p. 125-142.
  • [7]
    Voir au sujet de plusieurs secteurs associatifs (environnement, droit des consommateurs, aide au développement, etc.) Alex Warleigh, « “Europeanizing” Civil Society : NGOs as Agents of Political Socialization », Journal of Common Market Studies, 39 (4), novembre 2001, p. 619-639.
  • [8]
    En France, cf. la démonstration de Calliope Spanou, Fonctionnaires et militants. L’administration des nouveaux mouvements sociaux, Paris, L’Harmattan, 1991 ; et pour les États-Unis, Jeffrey Berry, The New Liberalism. The Rising Power of Citizen Groups, Washington, Brooking Institution Press, 1999, p. 30. Ce raisonnement a été appliqué au cas européen par Sonia Mazey et Jeremy J. Richardson, « Environmental Groups and the European Community : Challenges and Opportunity », Environmental Politics, 1 (4), 1992, p. 109-128, dont p. 121-122.
  • [9]
    Hanspeter Kriesi, « The Organizational Structure of New Social Movements in a Political Context », dans Doug McAdam, John D. McCarthy, Mayer N. Zald (eds), Comparative Perspectives on Social Movements. Political Opportunities, Mobilizing Structures and Cultural Framing, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 152-184, dont p. 153 et suiv.
  • [10]
    Hanspeter Kriesi, ibid. Le processus d’institutionnalisation est défini selon ces deux critères : p. 153 ; p. 156.
  • [11]
    Cf. Doug Imig, Sidney Tarrow, « The Europeanization of Movements ? A New Approach to Transnational Contention », dans Dona Della Porta, Hanspeter Kriesi, Dieter Rucht (eds), Social Movements in a Globalizing World, Londres, Macmillan Press, 1999, p. 112-134, dont p. 118.
  • [12]
    La plupart se sont regroupées au sein d’un collectif dénommé aujourd’hui le « Green 10 ». Il s’agit d’une coalition créée en 1991 qui revendique une même légitimité à représenter les intérêts environnementaux pour intervenir auprès des Conseils européens, ponctuellement, dans le processus décisionnel européen.
  • [13]
    Cette constante de l’analyse des groupes d’intérêt est résumée par Yannis Papadopoulos et Philippe Warin, « Are Innovative, Participatory and Deliberative Procedures in Policy Making Democratic and Effective ? », European Journal of Political Research, 46 (4), 2007, p. 445-472, dont p. 457.
  • [14]
    Les groupes environnementaux correspondent en effet aux « groupes larges » et « inclusifs » délimités par Mancur Olson : leurs succès éventuels profitent à l’ensemble de la population et non à leurs seuls adhérents. Cf. Mancur Olson, Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1987 (1re éd. : 1965).
  • [15]
    Jane J. Mansbridge met en avant cette opposition pour insister sur l’importance d’assurer une représentation aux intérêts diffus : « A Deliberative Theory of Interest Representation », dans Mark P. Petracca (ed.), The Politics of Interests. Interest Groups Transformed, Boulder, Westview Press, 1992, p. 32-57, dont p. 48.
  • [16]
    Jeffrey Berry parle de « policy expertise » : The New Liberalism, op. cit., p. 152.
  • [17]
    Ainsi, au plan international, l’échange d’informations est le principe d’action et de solidarité de ce que Margaret Keck et Kathryn Sikkink désignent comme les réseaux plaidants (advocacy networks), composés d’acteurs variés et d’ONG qui, en collaborant, renforcent la capacité d’action internationale du réseau : Margaret Keck, Kathryn Sikkink, Activists Beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998, p. 28-29.
  • [18]
    Cité dans un document où la Commission dit vouloir éviter des consultations qui « pourraient donner cette impression » (COM(2002) 704 final, Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue. Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées, p. 12).
  • [19]
    C’est un problème que rencontrent aussi les secteurs économiques représentés à Bruxelles par une fédération. Cf. Justin Greenwood, Interest Representation in the European Union, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2003, p. 75 et suiv.
  • [20]
    Cf. note 3, page 99.
  • [21]
    C’est une distinction classique de cet objet d’étude, utilisée, entre autres, par Russell J. Dalton, The Green Rainbow. Environmental Groups in Western Europe, New Haven, Yale University Press, 1994.
  • [22]
    Cet article utilise des données d’entretiens auprès des salariés de ces groupes (en principe, un responsable et un chargé de mission sectoriel pour chaque structure), réalisés en 2001 et 2002.
    Il s’appuie par ailleurs sur l’analyse documentaire de leurs rapports d’activité. Les entretiens avaient pour objectif de recueillir des informations sur les ressources et les stratégies des groupes. Pour distinguer les données de l’analyse, les entretiens sont indiqués dans le texte même : leur numérotation renvoie à la liste en annexe. Ces données ont été complétées par des relances par courrier électronique en 2004 et 2006.
  • [23]
    Voir le témoignage du directeur actuel et fondateur du bureau européen du WWF : Tony Long, « The Environmental Lobby », dans Philipp D. Lowe, Stephen Ward (eds), British Environmental Policy and Europe. Politics and Policy in Transition, Londres, New York, Routledge, 1998, p. 105-118.
  • [24]
    Notons toutefois que FOEI intègre des membres associés qui n’utilisent pas l’identité FOE. Il s’agit souvent d’ONG internationales thématiques.
  • [25]
    John McCormick, The Global Environmental Movement, Chichester, John Wiley & Sons, 1995.
  • [26]
    Ces groupes étant déjà institutionnalisés, ils ont eu d’autant plus de facilité à développer des activités de lobbying nécessaires pour agir à Bruxelles, selon Gary Marks et Doug McAdam, « Social Movements and the Changing Structure of Political Opportunity in the European Union », art. cité, p. 270.
  • [27]
    WWF International, « WWF : Twenty Years in Review », dans Recueil pour le 20e anniversaire, 1982, p. 7-9.
  • [28]
    Conformément à l’institutionnalisation telle que définie par Hanspeter Kriesi, « The Organizational Structure of New Social Movements in a Political Context », cité.
  • [29]
    Le BEE compte vingt-cinq membres fondateurs. EBB, EEB Twentieth Anniversary, 1994.
  • [30]
    Le WWF dispose d’un autre programme office à Washington, consacré aux questions économiques. Notons également qu’un regroupement régional FOE s’est réalisé pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, le siège est basé au Paraguay : Friends of the Earth International, Annual report 2002, Amsterdam, 2003.
  • [31]
    Alex Warleigh, « “Europeanizing” Civil Society… », art. cité, p. 623. Cf. également Julien Weisbein, « Le militant et l’expert : les associations civiques face au système politique européen », Politiques européennes, 4, 2001, p. 105-118.
  • [32]
    « Action Programme Promoting European Environmental NGOs », décision du Conseil, 97/872. Ce programme, renouvelé en 2002, s’intègre à partir de 2007 dans le cadre financier LIFE+, administré par la DG Environnement.
  • [33]
    Sonia Mazey, Jeremy J. Richardson : « Interest Groups and EU Policy-Making… », cité.
  • [34]
    Au sujet de FOEE qui a disposé d’un financement communautaire sur le développement durable, voir Denis Chartier, Jean-Paul Déléage, « The International Environmental NGOs : From the Revolutionary Alternative to the Pragmatism of Reform », Environmental Politics, 7 (3), 1998, p. 26-41, dont p. 31-32.
  • [35]
    Ce type de soutien financier est souvent déterminant dans l’émergence des groupes défendant des biens publics à l’échelle internationale, comme le rappelle, dans sa revue de la littérature, Sidney Tarrow, « La contestation transnationale », Cultures et Conflits, 38-39, 2000, p. 187-223.
  • [36]
    D’après les données de Jean-Marc Dziedzicki, Laurent Mermet, Yann Laurens, Les transformations du rôle et du fonctionnement des ONG internationales et le positionnement des associations françaises, Paris, AScA, ministère de l’Environnement, 1995.
  • [37]
    Voir à ce sujet Justin Greenwood, Interest Representation in the European Union, op. cit.
  • [38]
    L’organisation britannique détient probablement plusieurs records européens : elle regroupe à cette période 1 million d’adhérents, 1 300 salariés, avec des ressources de 50 millions de livres sterling par an.
  • [39]
    Son analyse s’applique au secteur financier. Cf. Pieter Bouwen, « Corporate Lobbying in the European Union : The Logic of Access », Journal of European Public Policy, 9 (3), juin 2002, p. 365-390, dont p. 369.
  • [40]
    Les résultats parus en 2004 invalident certaines des hypothèses avancées sur le lien entre la forme organisationnelle et l’intérêt privilégié. Voir Pieter Bouwen, « Exchanging Access Goods for Access : A Comparative Study of Business Lobbying in the European Union Institutions », European Journal of Political Research, 43 (3), mai 2004, p. 337-369.
  • [41]
    Pour reprendre les deux catégories d’analyse avec lesquelles Calliope Spanou analyse les relations d’échange entre administration et organisations issues de mouvements sociaux : Calliope Spanou, Fonctionnaires et militants…, op. cit., p. 189. Ce type de raisonnement est aussi le fait de Sonia Mazey, Jeremy J. Richardson, « Environmental Groups and the European Community… », art. cité.
  • [42]
    La directive Habitats a vocation à intégrer des « zones de protection spéciale » dans un réseau de sites remarquables sur le plan de la biodiversité : le réseau Natura 2000 (Directive 92/43 CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage).
  • [43]
    Mark Aspinwall, Justin Greenwood, « Conceptualising Collective Action in the European Union : an Introduction », dans Justin Greenwood, Mark Aspinwall (eds), Collective Action in the European Union, Londres, Routledge, 1998, p. 1-30, dont p. 22.
  • [44]
    Dieter Rucht, « Think Globally, Act Locally ? Needs, Forms and Problems of Cross-National Cooperation among Environmental Groups », dans J. Duncan Liefferink et al. (eds), European Integration and Environmental Policy, Londres, Belhaven Press, 1993, p. 75-97, dont p. 77-78.
  • [45]
    Laurent Mermet, Stratégies pour la gestion de l’environnement. La nature comme jeu de société ?, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 52.
  • [46]
    Albert O. Hirschman, Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983, p. 111 et suiv.
  • [47]
    Les eurogroupes sont en général définis comme des fédérations qui représentent les organisations d’un secteur d’activité. Pour une discussion de cette notion, voir Mark Aspinwall, Justin Greenwood, « Conceptualising Collective Action in the European Union… », cité, p. 4.
  • [48]
    Ce raisonnement est de plus en plus courant dans la littérature au sujet des groupes d’intérêt économiques, étant donné le nombre grandissant de firmes présentes à Bruxelles. Justin Greenwood y apporte une analyse plus nuancée dans Interest Representation in the European Union, op. cit.
  • [49]
    C’est la conclusion à laquelle parviennent, dans les années 1990, Gary Marks et Doug McAdam, « Social Movements and the Changing Structure of Political Opportunity in the European Union », art. cité.
  • [50]
    En l’occurrence dans la politique européenne des transports, par Hein-Anton Van der Heijden, « Multi-level Environmentalism and the European Union : The Case of Trans-European Transport Networks », International Journal of Urban and Regional Research, 30 (1), mars 2006, p. 23-37.
  • [51]
    Frank Baumgartner, Beth Leech, Basic Interests. The Importance of Groups in Politics and Political Science, Princeton, Princeton University Press, 1998, p. 147.
  • [52]
    C’est ce que révèlent (à leur dépens) des analyses quantitatives qui opposent, par exemple, inside strategies/public-related strategies : Hanspeter Kriesi, Anke Tresch, Margit Jochum, « Going Public in the European Union : Action Repertoires of Western European Collective Political Actors », Comparative Political Studies, 40 (1), janvier 2007, p. 48-73, dont p. 63-64. Les groupes d’intérêt économique les mieux dotés ont le plus recours aux médias : Jan Beyers, « Voice and Access… », art. cité, p. 224.
  • [53]
    Les observations d’Isabelle Sommier concernant les mobilisations de « sans » montrent que le mélange des modes d’action de politique non conventionnelle et de démarches de lobbying est gage d’efficacité : Isabelle Sommier, Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p. 189-195. Cf. également Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p. 198.
  • [54]
    Pour reprendre les distinctions de Hanspeter Kriesi, « The Organizational Structure… », cité.
  • [55]
    Christopher Rootes, « The Transformation of Environmental Activism : An Introduction », dans Christopher Rootes (ed.), Environmental Protest in Western Europe, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 1-20, dont p. 4 et suiv.

1« Parfois, j’ai l’impression que les personnes qui me rendent visite sont la copie de mes fonctionnaires. Je n’ai rien à redire à propos de mes fonctionnaires, je souhaite simplement que les personnes de l’extérieur se fassent l’écho de ce qui se passe “dehors” » [1]. Ce jugement sévère, exprimé par Margot Wallström, qui détenait le portefeuille de l’Environnement pendant la présidence de Romano Prodi de la Commission européenne, pourrait s’adresser aux groupes d’intérêt en général [2]. Il résume aussi la controverse relative aux stratégies de lobbying adoptées par les groupes environnementaux auprès de l’Union européenne (UE). Le système institutionnel de l’UE favoriserait le recours à ce répertoire d’action. Ainsi les organisations emblématiques de contestations sociales considérées comme des mouvements sociaux – écologiste, pacifiste ou de solidarité – ont-elles tendance à délaisser les moyens de politique non conventionnelle afin de peser sur les choix politiques de l’UE [3]. Les manifestations de rue, directement adressées aux autorités européennes, restent marginales [4]. Au-delà de ce constat quasi unanime, l’efficacité et la légitimité même du lobbying divisent les interprétations. Les organisations non gouvernementales (ONG) d’environnement s’aventurent en effet dans un terrain où les groupes d’intérêt économique disposent de moyens matériels considérables, notamment pour répondre aux besoins d’expertise des décideurs européens et des services de la Commission, en particulier [5]. Leurs porte-parole seraient acculturés à la pratique d’autres groupes d’intérêt et, par conséquent, aux modes de pensée de ceux qu’ils veulent convaincre ou bien contrer [6], abandonnant ainsi le mot d’ordre écologiste : « Faire la politique autrement ». C’est également la capacité des groupes écologistes à relayer les aspirations des citoyens et à favoriser la participation des adhérents aux destinées du groupe qui est mise en cause [7]. Les groupes, qui représentent des causes collectives comme celle de l’environnement, sont considérés comme l’un des principaux lieux d’expression des intérêts des citoyens dans l’arène bruxelloise. Ce regain d’intérêt pour les pratiques démocratiques des ONG s’explique par les particularités institutionnelles de l’UE : les arbitrages intergouvernementaux y restent prépondérants et le Parlement européen ne parvient pas à s’affirmer comme le représentant de l’équivalent d’une volonté nationale.

2Ce débat sur les modes d’action peut être abordé différemment à condition de reconsidérer la spécificité européenne en matière de représentation des intérêts. Cette étape est nécessaire afin de clarifier les catégories d’analyse relatives aux ONG d’environnement (le terme d’ONG reste descriptif et indique que ces organisations sont définies par leur caractère non gouvernemental et non lucratif). Les composantes organisées des mouvements sociaux en Europe ont en partie intégré les attentes des pouvoirs publics et les logiques institutionnelles de la décision publique nationale pour, en retour, mieux l’influencer. Les groupes environnementaux, en particulier, ont investi les domaines d’expertise technique dans les politiques publiques. Ils ont joué un rôle de contre-pouvoir, notamment auprès d’administrations qui cherchaient à fonder et stabiliser une action publique naissante [8]. De telles organisations ont souscrit à un objectif de « représentation politique » plutôt que de « mobilisation politique ». À partir de cette distinction, Hanspeter Kriesi oppose les « organisations de mouvement social » – dans lesquelles les membres participent directement à l’animation et à l’activité du groupe – aux « groupes d’intérêt », dont l’action politique et la continuité dépendent davantage de l’accès aux pouvoirs publics [9]. Les adhérents individuels des groupes d’intérêt n’interviennent plus directement dans le fonctionnement d’une structure toujours plus hiérarchisée. Celle-ci ne les sollicitera que pour diversifier ses modes d’action, par exemple, pour participer à des manifestations. Lorsque les organisations de mouvement social sont capables d’affecter des ressources à la représentation politique, elles gagnent en « autorité » et en « expertise » et basculent, au terme d’un processus d’institutionnalisation, dans la catégorie des groupes d’intérêt. Ce processus affecte donc à la fois leur organisation interne (relations avec les membres individuels) et leurs modes d’action (relations avec les publics extérieurs) [10]. Dans cette perspective, les organisations environnementales qui sont capables d’intervenir régulièrement à Bruxelles sont nécessairement des groupes d’intérêt. Parce que les coûts d’organisation sont élevés au niveau européen [11], seuls quelques groupements – des ONG internationales (OING) d’environnement ou des fédérations associant des groupes environnementaux nationaux basés principalement en Europe – sont parvenus à y établir une présence permanente par l’entremise d’un bureau de salariés [12].

3Non seulement ces groupes environnementaux sont assimilables à des groupes d’intérêt, mais ils se caractérisent peut-être encore davantage que ces derniers parleur utilisation des ressources de l’expertise et de l’information. La conduite de l’action publique nécessite bien souvent la connaissance et la reconnaissance des publics concernés par les normes publiques : les savoir-faire relatifs aux problèmes à réglementer ou le soutien d’une clientèle sont des atouts pour influencer la décision [13]. Parce qu’ils défendent un intérêt diffus [14], ces groupes ne peuvent se prévaloir des mêmes arguments, notamment économiques, avancés par les groupes d’intérêt classiques. L’information est leur principale voie « d’influence », faute de moyens de « pression » [15]. L’incertitude qui détermine les besoins d’information des autorités publiques ne porte en effet pas seulement sur les problèmes. Elle s’explique aussi par le comportement des protagonistes des politiques publiques qui, en poursuivant des stratégies propres, y contribuent. La ressource d’information concourt à une capacité d’expertise plus large que la connaissance scientifique ou technique : une expertise relative aux politiques publiques [16]. Cette expertise porte à la fois sur les problèmes et sur le champ des politiques publiques, ses rapports de force et ses protagonistes. Ce type de compétence est important pour se faire entendre des décideurs, mais également pour arrêter des stratégies à l’intérieur du groupe [17].

4Ces préalables conceptuels et théoriques fondent notre analyse de l’activité des groupes environnementaux présents dans la capitale belge. L’information et le réseau, constitués par des groupes environnementaux nationaux, apparaissent comme deux ressources essentielles à l’action de ce que les études européennes désignent communément comme les « groupes d’intérêt diffus ». Le contexte multiniveaux de l’UE se prête à des stratégies mobilisant ces deux ressources. Dès lors, l’enjeu pour ces groupes qui poursuivent un objectif de représentation politique consiste, non pas à faire participer directement les citoyens sur la scène communautaire, mais à mobiliser les ressources des organisations nationales membres. Les bureaux de permanents des organisations du G10 parviennent-ils à relever ce défi ? Ou bien sont-ils condamnés à ce qui pourrait devenir un biais de la représentation des intérêts : « Bruxelles parle à Bruxelles » [18] (selon les termes d’un praticien du lobbying) ? Cette citation soulève une série de questions. L’entité présente dans la principale capitale de l’UE, par l’entremise « d’un bureau européen » de salariés, ne correspond-elle qu’à un bureau d’information, par conséquent, sans représentativité réelle [19] ? Comment les organisations nationales membres peuvent-elles participer à l’action collective en direction de l’UE ?

5La structuration de l’action collective à Bruxelles est l’angle sous lequel seront traitées ces questions. Il s’agit de mettre en évidence des modes d’organisation interne qui sont autant de solutions pour répondre au double enjeu de la mobilisation des ressources et de la représentation politique, c’est-à-dire de la participation d’un réseau et d’échange d’information. L’approche comparative que nous adopterons met en vis-à-vis les modes d’organisation avec le contexte institutionnel et la nature de l’intérêt représenté. L’analyse porte sur le cadre d’action constitué par quatre ONG d’environnement de dimension internationale, membres du G10 [20], soit : Friends of the Earth International (FOEI), World Wide Fund for Nature (WWF), Greenpeace et Birdlife International. Ces OING ont en commun l’existence d’un réseau d’organisations nationales membres établi au plan international, qui leur permet d’être présentes à l’échelle de la planète. Elles comptent de plus parmi les plus importantes en termes d’effectifs d’adhérents individuels et de ressources financières. La comparaison se justifie enfin en raison même de leurs différences. Elles interviennent sur deux thématiques souvent opposées : la conservation de la nature et l’écologie, qui, pour de nombreux auteurs, conditionnent le recours à des répertoires d’action distincts [21].

6Pour éclairer, en d’autres termes, la manière dont ces OING s’organisent à Bruxelles, il s’agit d’aborder les interactions entre le niveau international, le bureau européen et les organisations nationales membres [22]. La comparaison entre quatre ONG internationales d’environnement éclaire tout d’abord un processus d’institutionnalisation de l’action collective qui se déroule à l’échelle internationale. Si les principes de fonctionnement du bureau européen portent l’empreinte de ces logiques d’émergence, leur examen montre un processus de convergence dû en partie au contexte institutionnel de l’UE. Enfin, les collaborations nouées entre les groupes nationaux européens de ces réseaux internationaux sont déterminantes dans le devenir de la structure européenne, qui est marquée par une dynamique endogène à l’action collective reposant sur le besoin de décisions collectives et le partage d’informations.

La construction d’un collectif européen au sein d’une organisation internationale d’environnement

7Jusqu’au milieu des années 1980, le Bureau européen de l’environnement (BEE), créé en 1974, est la seule structure à représenter des groupes environnementaux nationaux à Bruxelles. D’autres ONG d’environnement, à vocation européenne ou plus largement internationale, l’y ont depuis rejoint [23]. Cette évolution coïncide avec les progrès du droit communautaire de l’environnement : l’Acte unique européen (1986) consacre un titre du traité de Rome à l’environnement, peu de temps après qu’une Direction générale de la Commission soit affectée à cette question. Les financements visant à promouvoir des actions exemplaires, notamment parce qu’elles mettent en œuvre des textes communautaires, sont désormais plus nombreux. La collecte de fonds et la communication d’informations sur l’actualité communautaire, ainsi que les possibilités renouvelées d’influencer les décideurs sont autant d’objectifs que partagent les nouveaux entrants.

8Au-delà de cette similitude d’objectifs, la mobilisation d’organisations nationales membres n’obéit pas aux mêmes logiques. Les groupements fédératifs, comme le BEE, ont vocation à accueillir l’ensemble des groupes environnementaux nationaux désireux de s’affilier en raison des thématiques qu’ils développent : c’est le cas de Climate Network Europe ou encore de la Fédération européenne des Transports (T&E). Au contraire, avant d’établir un bureau de représentation à Bruxelles, Friends of the Earth International (FOEI), World Wide Fund for Nature (WWF), Greenpeace International et Birdlife International disposent déjà d’un réseau composé d’organisations nationales, pour beaucoup basées en Europe. Leur réseau est structuré de manière sélective, selon le principe d’une seule organisation nationale membre par pays [24]. Les activités de représentation politique de ces quatre OING d’environnement ont contribué au développement d’un réseau international où les rôles dévolus aux composantes nationales ont été formalisés progressivement. En raison de règles internes spécifiques à chaque OING, le bureau de permanents créé à Bruxelles représente un collectif européen dont les frontières et la raison d’être varient d’une entité à l’autre.

Le lobbying à Bruxelles, prolongement logique de l’institutionnalisation de l’action collective

9Les relations avec les autorités publiques ont dès le début balisé le champ d’intervention des quatre OING étudiées. Celles-ci ont toutes émergé, mis à part Birdlife International, à une période où la question écologique devient à la fois politique et internationale [25]. Le développement d’un réseau composé par des organisations nationales a servi de tremplin à leur action internationale. Dans des proportions certes variables pour chaque OING, le réseau a contribué à entretenir l’organisation internationale sur un plan financier et à asseoir sa crédibilité auprès de décideurs publics qui ont parfois appuyé son essor. C’est un processus d’institutionnalisation de l’action collective en réseau qui explique que l’organisation internationale ait prolongé ses activités de représentation à Bruxelles [26].

10Le WWF (World Wildlife Fund, devenu par la suite le World Wide Fund for Nature) est créé en 1961 pour collecter des fonds à destination des projets de conservation préparés par les experts de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), une ONG à vocation scientifique [27]. À la recherche du soutien financier d’adhérents individuels, le WWF étend ex nihilo, depuis la fin des années 1960, son réseau de bureaux nationaux dans les pays occidentaux aux économies prospères. Birdlife International réunit depuis 1993 des sociétés nationales d’ornithologie ou équivalentes, mais il est en réalité issu du Conseil international pour la protection des oiseaux (CIPO). Le CIPO a été constitué en 1922 par des organisations naturalistes, en majorité européennes, et des représentants d’organismes publics et gouvernementaux. Birdlife International et le WWF ont un lien de parenté avec des institutions politiques nationales et internationales. Ces OING ont relativement tôt déployé des compétences scientifiques pour justifier et mettre en œuvre des actions concrètes de conservation qu’elles accompagnent de recommandations à l’attention des décideurs. De par leur origine, elles ne partagent pas la vocation contestataire des groupes FOE ou encore de Greenpeace qui ont émergé dans les années 1970. Greenpeace et Friends of the Earth sont parties prenantes de la critique écologique qui met les activités humaines au centre des dérèglements environnementaux. Ces deux OING et leurs composantes n’ont pas pour autant délaissé un registre d’argumentation scientifique, participant à la convention baleinière internationale (cf. annexe, entretien 13) ou bien réclamant un droit à l’information face à des décisions perçues comme technocratiques.

11Friends of the Earth (FOE) est fondé en 1969 aux États-Unis par d’anciens salariés d’une organisation de conservation de la nature, le Sierra Club. Ses animateurs prennent contact avec des activistes européens qui, à leur tour, initient des groupements FOE dans leurs pays respectifs (cf. annexe, entretien 3). Greenpeace est issu d’un mouvement d’opposition aux essais nucléaires américains en Alaska, qui se diffuse ensuite en Europe. L’organisation de groupes sur une base nationale a donc précédé la gestation d’un regroupement international, puisque Friends of the Earth International (FOEI) date de 1971 et Greenpeace International de 1979.

12La création à Bruxelles d’un bureau de représentation coïncide avec un processus d’institutionnalisation de l’action collective qui progresse au sein de chacune de ces quatre organisations internationales (WWF, Birdlife international, FOEI, Greenpeace International). Des règles viennent baliser leurs relations avec et entre les composantes nationales, mais également vis-à-vis de l’extérieur, c’est-à-dire des autorités et du public [28].Ce processus coïncide avec l’extension à la fois géographique et thématique du réseau international.

13Le début des années 1980 correspond ainsi à l’élargissement du réseau de FOEI aux pays du Sud. Les membres européens souhaitent promouvoir dans des voies différentes de celles de leurs homologues nord-américains les questions internationales d’environnement – pollution des CFC, déforestation (entretien 3). Ces divergences, principalement sur les aires d’action du réseau, donnent lieu en 1985, soit deux ans après la première élection d’un exécutif à la tête de FOEI, à la constitution de la Coordination européenne des Amis de la Terre (CEAT), mieux connue sous le sigle de FOEE (Friends of the Earth Europe). De son côté, Greenpeace European Unit est créé en 1989, alors que Greenpeace multiplie, au début des années 1990, les ouvertures de bureaux nationaux ou régionaux à l’extérieur du monde occidental. Quant au bureau européen (ECO, European Community Office) de Birdlife International, il voit le jour en 1993, en même temps que la fondation britannique du même nom. L’organisation internationale a depuis développé les adhésions sur les cinq continents. Le RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) est le principal maître d’œuvre de cette fondation, dont il est le représentant britannique.

14Le WWF UK (Royaume-Uni) joue également un rôle essentiel dans la création en 1989 du bureau européen de politiques publiques (European Policy Office, EPO) du WWF. En prenant l’initiative, le bureau britannique endosse tout d’abord les coûts de fonctionnement du bureau. Le WWF EPO est intégré de manière plus formelle dans le programme européen de l’organisation ultérieurement, à l’occasion de la réorganisation, au milieu des années 1990, de l’action du WWF, qui se décline désormais en programmes régionaux. Les thèmes d’action prioritaires s’élargissent de la protection d’espèces menacées à la conservation de la nature et le bureau européen est étoffé par de nouveaux salariés (entretien 15).

15L’action au niveau communautaire tient dans un premier temps de l’expérimentation au sein du réseau, ou même préalablement du BEE dont plusieurs organisations nationales de FOEI et du WWF ont été membres dès les débuts : par exemple, les Amis de la Terre France et le WWF Italie [29]. Pendant longtemps seule ONG européenne à Bruxelles, le BEE a aussi coopéré relativement tôt avec des groupes nationaux, sans exiger d’adhésion (entretien 5). Ce sera le cas, par exemple, avec le RSPB au moment de l’adoption de la directive oiseaux en 1979. Les coopérations entre groupes environnementaux nationaux ont été déterminantes dans leur décision ultérieure de susciter un bureau de représentation à Bruxelles au sein de leur propre réseau international. Les salariés ou bénévoles qui ont participé aux travaux du BEE ont en effet perçu l’avantage stratégique qui consistait à discuter de textes en préparation à Bruxelles, transmis par les services de la Commission. Les élus des Amis de la Terre découvrent ainsi dans le BEE une « manne d’informations ».

16

« En France, c’était nouveau. On a appris à faire du lobbying grâce à l’Europe. En France, il n’y a jamais eu de politique au niveau gouvernemental de transparence et d’information. Donc, on n’avait pas connaissance, ni des textes en préparation, ni de ce qui se tramait. La grande force de l’Europe pour nous a été de connaître avant les gouvernants français les textes en préparation et donc de les ennuyer au moment de l’élaboration, des débats, etc. » (entretien 3)

17Parce que les groupes environnementaux établis dans les États européens se sont familiarisés avec les règles de la scène communautaire et les attentes de ses protagonistes, les raisons d’agir à Bruxelles se sont construites dans l’action et par de tels échanges d’information.

Le statut du bureau européen vis-à-vis de l’entité internationale

18Si les logiques qui mènent à l’établissement d’un bureau de permanents à Bruxelles sont comparables, le statut de ce dernier varie au sein de chaque entité internationale. Deux critères en déterminent la place : il s’agit du caractère volontaire de l’adhésion et de l’existence de programmes régionaux. L’adhésion des organisations nationales est volontaire aussi bien à Birdlife International qu’à FOEI ; elle est simplement assortie de conditions relatives à l’objet social des groupes membres. Représentant de l’OING dans son pays, chaque groupe membre conserve son autonomie de décision. Ce n’est le cas ni des bureaux nationaux (national offices) du WWF International, chargés de collecter des fonds pour l’entité internationale, ni des structures équivalentes de Greenpeace, où cette fonction de financement s’est affirmée dans les années 1980 (entretien 13). WWF et Greenpeace décident ainsi de toute ouverture d’un nouveau bureau.

19Le WWF et Birdlife International ont en commun de mettre en œuvre des programmes régionaux – c’est-à-dire un ensemble de priorités et d’actions correspondant à une zone géographique – ce qui semble être spécifique à des organisations de conservation qui suivent l’évolution de la biodiversité à l’échelle mondiale. Les bureaux européens, Birdlife International ECO et le WWF EPO, appartiennent au programme régional européen de leur réseau international respectif. Le WWF EPO est ainsi un bureau de programme (programme office) : il reçoit des dotations financières, à l’inverse des bureaux nationaux chargés d’y pourvoir. Le bureau européen est placé sous la supervision du sous-comité de programme (European Programme Sub-Committee),composé des directeurs des bureaux nationaux, en charge du programme européen. À l’image du sous-comité de programme européen du WWF, Birdlife International ECO dépend en partie d’un exécutif composé par les salariés des bureaux nationaux. Il s’agit du « comité régional » responsable du programme européen et élu tous les quatre ans lors de l’assemblée générale de l’organisation internationale. L’équipe de l’ECO à Bruxelles est rattachée à une « division européenne » qui comporte aussi une unité scientifique basée aux Pays-bas. Cette division, totalisant une dizaine de salariés, n’a pas d’existence indépendante de Birdlife International. Le statut de l’ECO est très proche de l’EPO du WWF : son fonctionnement est rattaché à une instance de décision de représentation régionale. C’est pourquoi, sur un plan formel, son statut est ambivalent vis-à-vis de l’organisation internationale.

20L’unité européenne de Greenpeace est, quant à elle, directement reliée au service de Greenpeace International chargé de suivre les accords multilatéraux d’environnement et de prospecter sur les problématiques environnementales : l’unité politique et scientifique. C’est ce service qui a délocalisé une partie de son équipe de lobbyistes à Bruxelles en 1989 (entretien 12). La volonté de contrôle de Greenpeace International sur la cellule européenne coïncide avec une conception où le principe hiérarchique est justifié au nom de l’efficacité. L’unité d’action dans plusieurs pays est en effet le leitmotiv de Greenpeace. Elle est assurée et revendiquée par la communication et les interactions constantes qui s’établissent entre le secrétariat international et les salariés, responsables de fonctions similaires : directeurs et chargés de campagne des bureaux nationaux (entretiens 11 et 12).

21Seul FOEE dispose en réalité d’une existence propre, car son fonctionnement est indépendant de celui de FOEI. Les contacts sont fréquents entre les deux, FOEE et FOEI, par l’intermédiaire des salariés impliqués sur des thématiques d’environnement. FOEE intègre les groupes membres de FOEI qui ont choisi d’adhérer au regroupement européen. Ces derniers se réunissent au sein d’une assemblée générale au cours de laquelle ils désignent un conseil d’administration. Pendant ses premières années d’existence, cette instance collégiale reposait en partie sur le travail d’élus associatifs bénévoles (entretien 3). Les membres de FOEE et le bureau européen se sont depuis professionnalisés. Cela n’a pas été le cas des instances de décision des autres bureaux européens, intégrés dès le début dans un réseau international.

Tableau 1

Le statut du bureau à Bruxelles vis-à-vis de l’entité internationale et des organisations nationales (2002)

Tableau 1
OING (siègeactuel et Friends of the Earth GreenpeaceAmsterdam Birdlife International World Wide Fund for Nature création) International Amsterdam (1971) (1979) Cambridge(1993) Gland (1961) Adhésion libre ? ? Existence d’un ? ? programmerégionaleuropéen Entité présente à Bruxelles FOEE (1985)Friends of the Earth Europe Greenpeace EU (1989)European Unit Birdlife International ECO (1993)EuropeanCommunityOffice WWF EPO (1989)European Policy Office Statut du bureau par rapport à l’OING Indépendant Dépendant Ambivalent Ambivalent Nombre d’organisationsnationales membres 31 12 bureaux nationaux ; 9 bureaux pour trois aires régionales * 40 19 * Europe de l’Est, Nordique, Méditerranée Sources : Données d’entretiens et rapports d’activité.

Le statut du bureau à Bruxelles vis-à-vis de l’entité internationale et des organisations nationales (2002)

22Les contours du collectif européen – auquel est rattaché le bureau à Bruxelles – dépendent de logiques internes. Ainsi, le WWF International a regroupé le Moyen-Orient avec l’Europe dans son programme européen, tandis que Birdlife International a inclus dans le sien l’Ukraine, entre autres. Greenpeace EU associe à son activité les pays scandinaves et la Turquie. Enfin, FOEE a anticipé les offres de coopération de l’Union en élargissant son réseau vers l’Europe de l’Est et la Méditerranée. Cette géographie variable questionne la place des organisations nationales membres dans les activités du bureau de permanents à Bruxelles.

23L’examen des caractéristiques formelles des entités présentes à Bruxelles – reprises dans le tableau 1 supra – révèle des différences que nous allons plus systématiquement analyser.

Les conditions de mobilisation des ressources et des organisations nationales membres par le bureau à Bruxelles

24Pour les trois organisations internationales que sont FOEI, Greenpeace et Birdlife International, l’établissement d’une équipe de salariés à Bruxelles, dédiée au lobbying, correspond à la création d’une structure quasi inédite dans leur organigramme respectif [30]. Si le bureau européen a un statut différent dans chaque entité, les relations entre les organisations nationales et le bureau européen n’en sont pas moins marquées par les contraintes de la représentation communautaire. Cette logique communautaire favoriserait en réalité l’autonomie des bureaux européens d’ONG vis-à-vis des organisations membres et de leurs adhérents, les salariés se consacrant au lobbying à Bruxelles, endroit privilégié pour tenter d’agir en amont sur la décision : « Decision-making is normally left in the hands of key officers, with very little – if any – supporter input »[31]. L’examen du fonctionnement du bureau européen des quatre OING d’environnement en discussion nuance ces interprétations, en particulier si l’on considère l’évolution des instances de délibération interne, vecteurs de participation des groupes nationaux aux initiatives prises au sein du réseau européen.

25Ce que ces OING ont développé au niveau international – des mécanismes de solidarité pour agir et mobiliser des ressources (financières) – elles l’ont aussi adapté à Bruxelles. Les règles qui encadrent l’activité du bureau ne sont pas simplement formelles : elles correspondent à des solutions pour assurer la continuité du bureau européen et agir (ensemble). Afin d’élucider les relations entre le bureau européen et les groupes nationaux membres, nous envisagerons comment les ressources des organisations nationales sont mobilisées dans les activités du bureau européen. La comparaison des modes de fonctionnement des bureaux de permanents des quatre OING met en évidence des convergences s’expliquant par l’enjeu stratégique de participation des groupes nationaux à une action collective de portée communautaire.

Les moyens matériels et humains

26Les moyens financiers du bureau à Bruxelles relèvent le plus souvent de deux sources distinctes. Le réseau international, à travers le soutien soit du secrétariat international soit des organisations membres, contribue toujours à son fonctionnement. À cela s’ajoutent des financements provenant des institutions publiques – communautaires et parfois gouvernementales – ou privées, comme des fondations. Le statut dévolu au bureau européen dans la structure internationale a une incidence directe sur la répartition de ces sources de financement.

27Mis à part Greenpeace EU, les bureaux de représentation actifs à Bruxelles, que nous avons évoqués, voient la moitié de leurs dépenses de fonctionnement (cf. tableau 2 infra) couverte par une subvention que la DG Environnement verse sur une base annuelle à des organisations non gouvernementales dont les champs correspondent à l’environnement et à l’Europe [32]. En demande d’expertise et d’avis contradictoires pour renforcer son autonomie, la Commission a traditionnellement incité les groupes d’intérêt à s’organiser sur une base européenne, pour faciliter leurs échanges [33]. L’exposé des motifs du dispositif en vigueur en 2002 est explicite à cet égard. Il doit donner aux ONG d’environnement européennes les moyens financiers d’intervenir dans les processus de décision communautaires et fournir à l’UE des relais d’action et d’opinion dans les États membres. Ce recours aux ONG est parfois considéré comme discutable car relevant d’une utilisation instrumentale qui canalise leurs revendications [34]. Il s’agit néanmoins d’un cas de figure courant du financement des groupes d’intérêt diffus [35].

28La dotation financière de Greenpeace EU relève de Greenpeace International, qui revendique sa complète liberté vis-à-vis d’intérêts gouvernementaux ou économiques. Greenpeace International subvient à ses besoins par les adhésions individuelles que collectent les bureaux nationaux et par des revenus, plus marginaux, en provenance de fondations. Les organisations nationales du WWF et de Birdlife International participent également au fonctionnement du bureau européen, puisque l’entité internationale reverse une partie de leurs contributions au programme européen et donc au bureau de Bruxelles.

29Paradoxalement, en raison même de son autonomie vis-à-vis d’une entité internationale, FOEE dépend davantage des financements de la Commission européenne. Dans son budget, la part issue des membres, pourtant équivalente à une véritable cotisation, y est plus faible comparée à celle du WWF EPO et de Birdlife International ECO. Pour les bureaux européens, l’obtention de la subvention de la DG Environnement reste un gain symbolique de reconnaissance vis-à-vis de leurs interlocuteurs institutionnels. En échange, leurs salariés doivent inscrire leur activité dans les axes prioritaires fixés avec la Commission et fournir un rapport d’activité sur lequel ils seront évalués pour solliciter la poursuite de cette subvention.

30Ces dotations financières ont également un impact sur les effectifs de salariés présents dans les bureaux à Bruxelles. Leur évolution relève directement du niveau international dans le cadre de Greenpeace. Les effectifs de Greenpeace EU ont fluctué considérablement depuis les débuts. Ils sont dix salariés aux débuts des années 1990, moitié moins en 1995 [36] et deux fin 2002, pour de nouveau plafonner à une dizaine un an plus tard. Le WWF EPO et FOEE connaissent une expansion similaire, le FOEE avec une augmentation de son équipe à treize personnes et plusieurs stagiaires. C’est le WWF EPO qui détient les moyens financiers les plus importants, totalisant vingt-quatre salariés en 2002. L’EPO a également réduit la part des financements communautaires à environ 35 %, ce qui dénote l’investissement des bureaux nationaux. Alors que toutes les autres structures ont vu leurs moyens humains augmenter, l’effectif de l’ECO se maintient à trois personnes.

31Même si les règles de contribution financière varient d’une OING à l’autre, l’importance des moyens humains affectés à Bruxelles dépend en général des ressources que sont prêtes à y consacrer les organisations nationales. Les bureaux les plus prospères contribuent mathématiquement davantage au budget de la structure à Bruxelles. L’expansion des effectifs dénote également la logique d’engrenage des institutions communautaires, qui traitent toujours davantage de problèmes d’environnement, devenant la principale source de droit de l’environnement dans les États membres. L’augmentation de l’équipe de salariés à Bruxelles coïncide avec le nombre grandissant de thèmes traités par les bureaux européens (cf. tableau 2). Les moyens humains affectés au bureau européen ont une incidence directe sur les conditions de la coopération à l’intérieur du réseau.

Les conditions d’accès à la décision collective

32Ce constat est particulièrement flagrant à l’examen des mécanismes de décision internes qui s’appuient sur le travail de coordination effectué par les salariés des bureaux à Bruxelles. Toutes les entités européennes, au sein de ces organisations internationales, disposent d’instances de décision collective qui associent des salariés responsables des structures nationales. Ces instances répondent à un besoin fonctionnel : celui d’aménager des mécanismes de coordination entre l’entité internationale, le bureau européen, et les organisations nationales. Ces lieux de coopération correspondent aux réunions statutaires ou encore aux groupes de travail. Les groupes nationaux ont la possibilité de s’y prononcer ponctuellement sur les priorités d’action du bureau européen, voire d’y participer. Leur évolution est significative d’un certain nombre de convergences.

33Lors des assemblées générales, les membres de FOEE arrêtent les campagnes à entreprendre au niveau communautaire. Les membres du conseil d’administration, élus à cette occasion, auront à discuter en cours d’année des priorités qui n’étaient pas programmées. À l’instar des autres programmes régionaux, le sous-comité du programme européen du WWF, également composé de l’ensemble des organisations nationales, doit se prononcer sur son contenu et sa dotation financière. Mais c’est en réalité un comité plus restreint (EPO management team) qui valide les orientations du bureau à Bruxelles. Il compte une demi-douzaine de personnes : plusieurs directeurs de bureaux nationaux, le directeur du bureau européen et, enfin, le directeur du programme européen, basé au siège du WWF en Suisse. Cette équipe de gestion assure le lien entre les différentes composantes concernées du WWF.

34Le fonctionnement du bureau européen de Birdlife International n’a pas évolué par rapport au cadre fixé en 1993, à la création de l’entité internationale. Le comité régional, qui supervise le programme européen, demeure l’instance collective la plus directement concernée par l’activité de l’ECO. Au contraire, l’articulation entre l’unité européenne et le réseau Greenpeace a évolué vers une nouvelle configuration (entretien 12). Le directeur de l’unité européenne rend traditionnellement compte des activités du bureau à l’unité politique et scientifique de Greenpeace et, désormais, à un comité de pilotage (steering committee). Ce comité assure une forme de direction collégiale qui s’est mise en place à la demande des directeurs nationaux fin 2002. Il associe les directeurs des bureaux nationaux ressortissants de pays membres de l’UE et candidats à l’accession(dont la Turquie), ainsi que la Suisse. À l’intérieur du « comité de pilotage », un bureau plus restreint est composé sur le principe de présidence tournante. Le directeur du bureau national implanté dans le pays qui prend la présidence de l’UE est nommé pilote (line manager) du bureau, tandis que ses deux adjoints sont les directeurs de Greenpeace dans le pays qui vient de la céder et dans celui qui la prendra à la période suivante. L’enjeu de cette restructuration est de faciliter une meilleure communication entre l’unité européenne et les bureaux nationaux. Cet exécutif illustre l’importance de l’implication proactive des bureaux nationaux par rapport à l’agenda communautaire. L’exceptionnalisme de Greenpeace semble s’atténuer. Un représentant de GI siège d’ailleurs au comité de pilotage du bureau à l’instar du directeur de programme européen du WWF sur l’équipe de gestion de l’EPO.

35La coopération entre organisations nationales se réalise également par l’entremise du bureau européen à travers l’organisation de groupes de travail qui convient des représentants des groupes nationaux sur un sujet donné. Avec les réunions statutaires, l’existence de telles instances est également courante au sein des fédérations européennes d’intérêts économiques [37]. La répartition des tâches d’animation de ces groupes de travail obéit toutefois à des règles spécifiques à chaque OING.

36Le fonctionnement de ses task forces reflète la spécificité de Birdlife International ECO. Aucune disposition ne prévoit leur financement, qui dépend de l’initiative des organisations membres. Le travail collectif par l’entremise de l’ECO repose donc sur les ressources que sont prêts à y engager les groupes nationaux. L’équipe de salariés procure surtout un appui logistique aux groupes de travail qui décident des axes de campagne, des actions de lobbying et de communication publique. Ce sont les bureaux nationaux qui assument la coordination des groupes de travail – c’est-à-dire la convocation des réunions et la définition de l’ordre du jour – sur des thèmes aussi variés que les questions de conservation, les fonds structurels ou la réforme de la Politique agricole commune. Au moment de nos entretiens, le RSPB [38] gère la majorité des groupes de travail sur les thèmes communautaires, mais pas automatiquement les plus stratégiques pour les organisations nationales puisque le partenaire hollandais administre le groupe oiseaux et habitats et le finlandais, le groupe pêche (entretien 6).

37La gestion des groupes de travail est plus centralisée dans les autres bureaux européens, puisqu’elle relève de Bruxelles. Depuis le milieu des années 1990, à l’occasion de la réorganisation des actions de la fondation WWF, les salariés de l’EPO coordonnent des équipes thématiques composées des représentants des organisations nationales. Le travail amorcé par les coordinateurs a parfois bousculé des habitudes de collaboration et de communication établies entre les bureaux nationaux et les services de la Commission. Les salariés de l’EPO ont cherché à canaliser les relations à ce niveau pour éviter les doublons et les déperditions d’information. Plusieurs groupes thématiques connectés à l’EPO sont, par ailleurs, nés de collaborations déjà actives entre bureaux nationaux, sur les forêts ou les océans, par exemple.

38Les permanents de FOEE sont également secondés par les membres nationaux afin de poursuivre des campagnes. Le travail se répartit entre un « chargé de campagne » et un « coordinateur » ; c’est-à-dire entre, d’une part, un permanent présent à Bruxelles, qui fait le lien entre les institutions communautaires et les membres du réseau, en dispensant de l’information et, d’autre part, un bureau national en charge sur le plan matériel d’une campagne assortie en général d’un volet de mobilisation de l’opinion publique (entretien 4). Les membres de FOEE sont libres d’y participer et ainsi de recevoir l’aide du bureau pilote pour adapter les actions dans leur propre pays.

Tableau 2

La mobilisation des ressources et des organisations nationales membres (2002)

Tableau 2
Moyens matériels et humains Modalités de décision collective Entité européenne Financement, part en pourcentage Salariés Réunion statutaire : représentation Groupes de travail Organisations nationales membres UE États/ fondations Effectifs Nationale Restreinte Coor donnés par Thèmes traités FOEE 16 48 36 13 Assemblée générale Conseil d’adminis tration Groupe bureau européen 6 Green- 100 2 Comité de Bureau Bureau 2 peace EU pilotage européen Birdlife 50 50 n.c. 3 Comité Groupe 6 Interna tional ECO régional membre WWF EPO(Données valides pour 2003) 52 (dont 17 de WWF I) 35 13 24 Sous- comité de programme EPO manage ment team Bureau européen 9

La mobilisation des ressources et des organisations nationales membres (2002)

39L’unité européenne de Greenpeace ne dispose pas de groupes de travail stricto sensu. Elle bénéficie néanmoins des habitudes de travail en vigueur à l’intérieur de l’organisation, consistant à solliciter régulièrement les salariés des différents bureaux autour de campagnes prévues à l’assemblée générale de Greenpeace International. Dans les bureaux nationaux, chaque chargé de campagne, responsable d’un axe, a vocation à être connecté avec l’unité européenne, comme avec ses homologues des bureaux nationaux et de Greenpeace International. Tous réseaux confondus, le nombre de groupes de travail indique l’éventail important d’enjeux traités par les groupes environnementaux (cf. tableau supra), y compris par Greenpeace EU, qui les a multipliés depuis 2002. Certaines thématiques sont en prises exclusives avec l’actualité communautaire : Greenpeace EU s’est investi sur la question de responsabilité environnementale, question sur laquelle la DG Environnement a, long-temps sans succès, proposé de légiférer. Ces groupes de travail montrent l’imbrication des activités des groupes environnementaux avec des dispositifs publics concrets. Certains d’entre eux sont en lien direct avec les opportunités de discussion que la Commission crée à l’occasion des comités chargés d’adapter la législation existante. C’est le cas du groupe oiseaux et habitats des partenaires de Birdlife International.

40Le tableau supra reprend les ressources dont disposent les bureaux européens pour agir à Bruxelles. Leur fonctionnement ne se réduit pas aux principes affichés. L’organisation de la collaboration transnationale, mise en œuvre au sein de FOEE, offre un éventail de campagnes auxquelles chaque organisation membre est libre de collaborer. C’est également le cas pour les activités de Birdlife International ECO. Ce qui est formalisé au sein de ces deux structures est aussi en vigueur à Greenpeace ou au WWF, comme le font apparaître les données d’entretien. Tous les bureaux nationaux de Greenpeace ou du WWF ne sont pas automatiquement parties prenantes des actions européennes, ils ne contribuent pas de manière équivalente aux activités de la structure à Bruxelles. Les salariés des bureaux nationaux peuvent intervenir à Bruxelles et, quand ils sont experts d’une question, se substituer à leurs homologues du bureau européen dans les démarches de représentation auprès des décideurs. En outre, un bureau national de Greenpeace ou du WWF a la possibilité de prendre en charge une campagne ou un thème d’action. Bien que les composantes nationales de Greenpeace et du WWF doivent inscrire leur activité dans le cadre d’un programme international discuté au sein de leur réseau respectif, l’autonomie financière leur permet aussi de développer leurs propres actions prioritaires. Ils explorent ainsi des thématiques qui pourront susciter des actions communes. Le bureau à Bruxelles joue également souvent ce rôle de prospective, qui repose sur une véritable expertise de politique publique. C’est ainsi l’EPO qui a incité les partenaires du WWF à travailler sur la mise en œuvre de la directive Habitats, un texte ambitieux de conservation de la nature adopté en 1992.

41La capacité des groupes nationaux à participer aux instances de décision collective et aux groupes de travail importe tout autant, sinon plus, que les règles de participation elles mêmes. Une même variable influence le travail des salariés à Bruxelles : les ressources financières, d’expertise et en moyens humains dont les membres nationaux disposent et qu’ils affecteront, le cas échéant, au bureau européen. Pour poursuivre cette discussion, il faut également considérer les stratégies développées par les acteurs de ces réseaux, que l’on traitera sous deux angles : comment les groupes nationaux parviennent à dépasser les inégalités de ressources au sein du réseau, d’une part, et la marge de manœuvre dont disposent les salariés du bureau européen pour se jouer de ces disparités, d’autre part.

Les enjeux de la participation des organisations nationales à l’activité du bureau européen

42Les degrés variables d’investissement des groupes nationaux dans les activités qui gravitent autour des institutions de l’UE, bien réels, ne sont pas pour autant figés. L’utilisation du réseau, par le bureau européen ou bien par les organisations nationales les plus actives, déclenche une dynamique vertueuse parmi les organisations nationales qui s’approprient les thèmes européens. L’exercice de la représentation communautaire rend particulièrement précieuses les ressources d’information dont le réseau constitué des groupes environnementaux nationaux est potentiellement détenteur. Pieter Bouwen fait de l’information la condition d’échange des groupes d’intérêt contre un accès aux institutions de l’UE. Il part du constat classique selon lequel les relations entre autorités et groupes d’intérêt engagent la légitimité des décisions publiques et le succès de leur application. P. Bouwen considère trois types d’information (incluant des formes d’expertise) auxquels correspondent autant de formes organisationnelles, courantes parmi les groupes d’intérêt économique [39]. Il distingue en effet l’expertise technique (expert knowledge),de l’information sur les intérêts et besoins du secteur concerné au niveau national, et de l’information sur les intérêts du secteur au niveau européen. Les entreprises, les fédérations nationales et les fédérations européennes auraient respectivement des accès privilégiés à la Commission, au Parlement et au Conseil, car elles sont capables d’apporter à ces institutions les informations qui leur sont en priorité essentielles.

43Un tel cadre d’analyse, parce qu’il s’applique au secteur financier [40], permet de souligner la singularité des groupes d’intérêt diffus. Ces derniers ne peuvent se prévaloir de représenter le secteur que doit réglementer l’UE. De plus, quand ils se situent dans le champ de l’expertise, technique ou scientifique, c’est bien souvent pour contester la compétence dont se réclament les groupes d’intérêt économique. Telle que conceptualisée par P. Bouwen, la relation d’échange information/accès à telle institution est par ailleurs trop univoque. Les institutions auxquelles s’adressent les groupes d’intérêt sont traversées par des conflits et leurs différents protagonistes sont susceptibles d’appuyer l’action de ces derniers, de leur apporter des « informations » et leur «soutien» [41]. Si l’on considère les institutions européennes comme des entités homogènes, le risque est d’évacuer tous les échanges d’informations qui portent sur les processus politiques eux-mêmes. Ce type de ressource est pourtant particulièrement stratégique dans un contexte de décision publique souvent qualifié de multiniveaux. Il s’agit de comprendre les positionnements des protagonistes de politiques publiques, tout autant que les enjeux en question, à différents moments de la décision, de la formulation à la mise en œuvre du droit communautaire. L’information sur les contextes nationaux et européens fait donc le jeu des relations entre groupes nationaux environnementaux et bureau européen.

44Cette information sur les processus politiques, qui relève d’une expertise sur les politiques publiques, est un facteur de changement au sein des organisations étudiées. Il s’agit en effet d’une compétence à partager pour des organisations qui mettent en œuvre des stratégies et tentent de s’adapter à un contexte d’action. Les exemples marquants de plusieurs de ces collaborations fourniront les arguments d’un cheminement en deux temps. Les motifs de l’action collective ainsi que les structures émergent et se construisent dans l’action : tout d’abord, cette logique endogène à la mobilisation du réseau peut être appréhendée si l’on considère l’action collective comme un échange de ressources entre organisations. Nous verrons ensuite que cet échange concrétise un intérêt à coopérer, perçu comme mutuel, entre les composantes du collectif européen.

Les bénéfices mutuels d’une coopération entre organisations du réseau

45La configuration institutionnelle de l’UE détermine les enjeux que doivent gérer les salariés du bureau européen pour faire du réseau une ressource effective dans le suivi des processus de décision communautaire. Les organisations nationales membres constituent une source d’informations diverses, politique, technique ou scientifique, mais qui présentent toutes l’avantage d’être localisées. Le WWF EPO a ainsi montré les retards accumulés par l’application de la directive Habitats grâce aux bureaux nationaux qui ont mesuré le processus de mise en œuvre par les États membres [42]. Les données ont été publiées de 1997 à 1998 dans le bulletin Spotlight on Natura 2000, en collaboration avec la Commission. Le WWF EPO a également produit un rapport en juin 2000 pour évaluer les propositions nationales des États (entretien 16). Outre ce travail de nature scientifique, les bureaux nationaux peuvent remplir une fonction de veille politique et juridique : l’enjeu est de partager l’information pour comprendre des conflits internes aux administrations et les positions gouvernementales défendues au Conseil de l’UE.

46Les organisations membres sont autant de relais d’action pour reprendre des consignes communes et des « campagnes » dans l’UE. Cette tâche consiste, par exemple, à envoyer un courrier au ministre responsable de la préparation d’un texte de transposition ou à la veille d’un conseil des ministres, comme le partenaire français de Birdlife International pour l’adoption de la directive Habitats. Les Amis de la Terre France ont, quant à eux, repris la campagne « Halte aux OGM » dont la communication et la coordination étaient assurées par leurs homologues britanniques.

47Enfin, dans le réseau constitué par les organisations membres se trouvent des ressources matérielles, humaines et d’expertise dont les équipes de permanents à Bruxelles sont privées : l’activisme des groupes nationaux dans les matières communautaires en devient un enjeu stratégique d’autant plus important. Les services rendus sont multiples. Dans le cadre des discussions entourant la révision de la directive sur la libéralisation du marché de l’électricité proposée par la Commission (COM(2001)125 final), les correspondants de Greenpeace travaillant sur les questions d’énergie ont uni leurs efforts pour produire et envoyer aux députés européens dans plusieurs langues, en quelques heures, un courrier pour les convaincre de voter une proposition d’amendement concernant le sort des fonds de démantèlement des entreprises nucléaires. La coordination, au sein du collectif européen, des groupes nationaux membres facilite la mise en commun des moyens matériels au sein du réseau, mais aussi des ressources d’ordre cognitif. Celles-ci favorisent une compréhension des enjeux discutés et des différentes scènes politiques impliquées – de Bruxelles aux capitales des États membres et à leurs échelons infranationaux de gouvernement – où se superposent les logiques d’une grande multiplicité d’acteurs de statuts divers. L’expertise de politique publique de chaque organisation nationale s’élargit, quand celle-ci mobilise ses propres compétences à l’usage du réseau.

48La tâche d’animation du réseau par les salariés du bureau européen engage leur propre crédibilité de porte-parole auprès des décideurs à Bruxelles. C’est aussi ce par quoi ils démontrent leur utilité vis-à-vis des groupes nationaux qui s’investissent dans l’activité ou/et le financement du bureau européen. Les organisations nationales membres voient, par définition, une part importante de leur activité dépendre du contexte national [43]. L’action communautaire devient stratégique de leur point de vue quand elles en retirent des ressources qu’elles peuvent ensuite mettre à profit dans la mobilisation des membres et dans les démarches de représentation auprès des pouvoirs publics.

49Ainsi, quand la structure internationale s’est investie en 1996 sur une campagne portant sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), l’intérêt précoce que Greenpeace France avait manifesté sur le sujet a pu se concrétiser par l’adhésion de nouveaux membres individuels (entretien 11). Comme sur d’autres questions – les toxiques, les changements climatiques –, le bureau français ne présente à ses adhérents aucune de ses actions indépendamment de ce qui survient sur d’autres scènes politiques nationales, européenne ou internationale. La Ligue de protection des oiseaux, dans le cadre de projets communs avec ses partenaires de Birdlife International, a profité de financements communautaires pour défendre ses propres orientations : la communication auprès des élus locaux et le fait d’associer des agriculteurs à des opérations de suivi de la biodiversité.

50Les résultats d’une action communautaire sont susceptibles d’être valorisés non seulement en interne, dans la gestion des ressources du groupe, mais également auprès de publics extérieurs au niveau européen et/ou national. Par son analyse de la situation nationale dans le dossier de la directive Habitats, le bureau espagnol a gagné en aura auprès de l’unité Nature de la DG Environnement (entretien 15). Les informations que les groupes nationaux apportent au réseau les confortent dans leurs propres actions auprès de leurs interlocuteurs publics habituels. Les Amis de la Terre utilisent des compétences développées, depuis le début des années 1990, sur les questions de certification environnementale pour intervenir auprès du ministère de l’Environnement en France dans un domaine dont nombre de dispositions s’articulent au niveau communautaire. D’un autre côté, le suivi de l’actualité de l’Union peut assurer aux groupes membres une prépondérance certaine à intervenir dans un dossier, notamment dans le cadre des dispositifs nationaux adaptant les normes communautaires. Cela a été le cas du WWF France au début des discussions, coordonnées par la Commission, des listes nationales des sites Natura 2000, avant que des associations disposant d’une connaissance plus localisée des sites soient associées, à part entière, à ce processus (entretien 14).

51Le partage de moyens matériels, d’expériences et de savoir-faire, ainsi que la compréhension commune de problèmes dont les causes sont à appréhender sur un plan global constituent autant de motifs de coopération que Dieter Rucht a soulignés [44]. L’auteur est toutefois beaucoup plus sceptique quant à la mise en pratique de cette action collective. Les quelques cas concrets de coopération que nous avons évoqués viennent tempérer une telle position. Si les bénéfices d’une action en réseau dans le cadre de l’UE sont réels, reste à discuter la manière dont ces contributions peuvent orienter les stratégies communes et faire évoluer le réseau lui-même.

Les mécanismes de coopération et la construction des motifs de participation

52Si elles ne suppriment pas les inégalités de ressources entre les membres et les rapports de pouvoir au sein de la structure internationale, les instances dédiées à cette coopération européenne, et de fait les bureaux à Bruxelles, peuvent néanmoins faire évoluer les positions du réseau et même son fonctionnement, dès lors que des membres s’y impliquent. Il existe un intérêt mutuel à agir ensemble et les échanges qui se déroulent dans ces structures favorisent des processus d’apprentissage entre groupes environnementaux des règles, des bénéfices escomptés de l’action collective, ainsi que des interlocuteurs auxquels s’adresser, au niveau communautaire. Ces acteurs collectifs passent ainsi du « jeu d’aventure », ou l’apprentissage des possibilités, au « jeu de stratégie », c’est-à-dire à la définition des motifs de l’action, pour reprendre un cheminement tracé par Laurent Mermet [45]. Une telle dynamique se met en place dans le réseau à une double condition : que les groupes membres défendent leurs propres options et qu’ils se revendiquent effectivement du collectif européen représenté à Bruxelles. Il s’agit là de toute la difficulté et en même temps de l’enjeu d’une action collective portant sur des politiques publiques communautaires.

53Les structures nationales peuvent se trouver instrumentalisées, si ce n’est par le bureau à Bruxelles, par leurs partenaires européens. Dans le domaine des biotechnologies, les Amis de la Terre ont obtenu, en 1999, l’aide financière d’une fondation américaine grâce à l’intervention de FOEE. Celui-ci souhaitait disposer d’un relais d’action en France, premier pays de l’UE à avoir déposé des demandes d’autorisation commerciale d’OGM auprès de la Commission. Le fait d’omettre le versant français dans une action concertée au niveau européen aurait compromis les efforts consentis. De telles sollicitations sont susceptibles de déboucher sur un engagement plus proactif dans les activités du réseau, car les salariés et responsables des groupes nationaux se familiarisent avec des mécanismes de décision collective. L’activisme européen émerge ainsi à partir de ce qui manifeste le plus les inégalités entre les membres.

54La bonne marche des groupes de travail est immanquablement marquée par l’ascendant d’un nombre plus limité d’organisations nationales. Des noyaux durs de collaboration se forment sur des questions spécifiques. Les groupes sur les énergies renouvelables de Greenpeace, ou celui de Birdlife International ECO dédié à l’agriculture reposent sur le concours réellement assidu de cinq à six salariés, issus des organisations nationales. La participation aux travaux du réseau européen est sélective. Les réunions statutaires, tout comme les groupes de travail qui s’articulent au bureau de représentation à Bruxelles, restent néanmoins les principales voies d’expression des divergences d’avis entre les organisations nationales.

55Ces instances sont en effet le lieu de la définition de stratégies communes. C’est la logique de la représentation d’un collectif européen qui pèse alors en faveur de l’action collective. Les organisations participant à ces activités communes auront à reprendre des mots d’ordre auprès de leurs interlocuteurs habituels, décideurs et adhérents. En d’autres termes, elles devront partager les positions affichées par le réseau européen pour les diffuser. Un tel préalable explique que les débats entourant la réforme de la Politique agricole commune (PAC) ont vu s’affronter des visions très contrastées de ses conséquences sur les agricultures nationales (entretiens 1 et 8). Autre condition d’une stratégie commune, les modes d’action choisis doivent être envisageables pour les organisations membres. Les représentants des structures nationales sont concernés par les contraintes de chacun, tout en se chargeant d’expliquer les obstacles qu’ils doivent eux-mêmes surmonter. Dans les bureaux nationaux de Greenpeace, les chargés de campagnes ont dû évoquer l’état de l’opinion dans leurs pays respectifs pour discuter d’une campagne européenne : les mêmes modes d’actions ne sont pas envisageables en Autriche où les antinucléaires sont majoritaires et en France où cette sensibilité est moins affirmée (entretien 10).

56Le concours des membres aux activités du réseau obéit probablement moins à la préoccupation de répondre à un idéal démocratique qu’à la nécessité de baser des revendications communes sur les compétences et positions de chaque organisation partenaire. En dépit d’une logique vertueuse de participation aux activités du réseau, la décision collective n’est pas nécessairement le dénominateur commun ou la solution optimale au sens parétien. Au contraire, elle fait émerger le conflit quand les organisations nationales choisissent le jeu de la représentation communautaire, c’est-à-dire quand elles ne se contentent pas de profiter du bureau européen comme d’une manne d’information ou d’opportunités de financement auxquelles répondre avec d’autres partenaires du réseau.

57Les distinctions introduites par Albert Hirschman pour analyser les mécontentements des consommateurs et, in extenso, des militants sont pertinentes au sujet de tels conflits. Il fait sens de transposer ces catégories à une organisation nationale, quand une partie de son activité s’articule au niveau communautaire, c’est-à-dire qu’elle n’implique pas seulement un salarié ou un responsable de manière ponctuelle [46]. Le retrait (exit) n’est pas la seule issue offerte aux groupes insatisfaits de la prise en compte de leurs préférences, ils peuvent choisir au contraire de se réinvestir davantage dans les instances de décision collective, soient les réunions statutaires et les groupes de travail (loyalty). Les responsables en France des Amis de la Terre souhaitaient, au moment de nos entretiens, faire partie du conseil d’administration de FOE, conscients de son poids sur les options qu’avalisera le réseau (entretien 2). De même, la LPO siège, par l’entremise de sa chargée de relations internationales, au comité régional européen de Birdlife International, au confluent de multiples flux d’information (entretien 7). Si elles ne permettent pas automatiquement d’influencer les destinées collectives, ces responsabilités assurent aux groupes nationaux un positionnement stratégique vis-à-vis des activités du bureau dont elles sont informées, tout en disposant de la possibilité de s’exprimer (voice). Une quatrième option leur est également offerte en fonction des circonstances : celle de changer les règles du réseau. C’est elle qui a fait évoluer le bureau européen de Greenpeace vers une direction collégiale impliquant les directeurs des bureaux nationaux.

58**

59Le débat sur les modes d’action légitimes et les fins poursuivies par les groupes environnementaux a été abordé à travers un aspect souvent délaissé : la structuration de l’action collective. La comparaison portait ici sur l’organisation interne des activités européennes de quatre OING d’environnement, disposant toutes d’un réseau fondé sur le principe d’une organisation membre par pays (Friends of the Earth International (FOEI), World Wide Fund for Nature (WWF), Greenpeace International et Birdlife International). Afin d’appréhender les processus de construction de l’action collective, cette démarche a été conduite dans une perspective dynamique, en ce qu’elle considère que les raisons d’agir ensemble et leurs modalités ne sont pas données. Un tel éclairage a montré les différences de statut entre les bureaux de salariés présents à Bruxelles. Ainsi, mis à part Friends of the Earth Europe qui est juridiquement indépendant de l’entité internationale, les bureaux à Bruxelles ne peuvent être assimilés à des « eurogroupes », catégorie dans laquelle ils sont souvent classés [47]. Les OING et leurs composantes – groupes nationaux et bureau européen – ont été définies comme des « groupes d’intérêt diffus ». Cette catégorie d’analyse permet de rendre compte de processus d’institutionnalisation à la fois comparables et spécifiques. Les groupes environnementaux poursuivent des activités de représentation qu’ils développent auprès des pouvoirs publics et doivent concilier avec leur propre continuité. Cette similitude d’objectifs explique à la fois les points communs et les divergences entre les réseaux européens étudiés. Or, il est question d’organisations qui adaptent des stratégies afin d’intervenir sur des dossiers politiques précis. Leurs interactions avec les autorités déterminent des choix d’action qui ne sont pas pour autant complètement subis. L’action en réseau et le partage de l’information qui fondent les échanges parmi les groupes environnementaux sont en effet des facteurs essentiels de changement au sein de ces structures internationales et de leurs membres nationaux. Les ressources d’information et de réseau contribuent non seulement aux activités de représentation, mais elles sont également utiles pour répondre à l’impératif de mobilisation des ressources.

60Concernant le premier aspect, les cas de collaboration présentés montrent que c’est en mobilisant les ressources de leurs membres – leurs spécificités, leurs compétences et aussi leurs contraintes d’action – que les bureaux européens se sont laissés approprier, à travers les groupes de travail et les instances de décision collective, par les organisations membres. Celles-ci sont plus à même d’instrumentaliser le niveau européen afin d’atteindre leurs propres objectifs. Différents niveaux d’activisme européen se manifestent, ils sont plus ou moins constants, de l’ordre de quelques individualités ou de l’organisation nationale dans son ensemble. En général, plus l’investissement au sein du réseau ou sur la scène communautaire est poussé, plus il incite les organisations membres à des choix stratégiques, c’est-à-dire à évaluer des fins et des moyens et éventuellement le risque de s’investir sur les questions communautaires.

61L’enjeu de représentation dépend également de l’utilisation d’un réseau qui est constitué de groupes nationaux aux situations contrastées, qui ne sont pas la réplique exacte de l’organisation internationale à laquelle ils sont affiliés. La diversité du réseau peut se révéler être un atout et une ressource, au contraire des eurogroupes souvent affaiblis par la multiplicité des organisations nationales adhérentes qui pénalise une prise de décision rapide et cohérente [48]. Ainsi, la fonction d’animation des organisations membres n’a jamais été délaissée au sein des organisations environnementales évoquées : ni par les bureaux européens qui l’ont progressivement remplie, ni par les organisations nationales les plus influentes au sein du réseau. En cela, nos observations rejoignent le relatif optimisme de Gary Marks et Doug McAdam [49] qui décrivent des ONG environnementales capables de se jouer d’un contexte d’action multiniveaux, à l’inverse des composantes d’autres mouvements sociaux. D’aucuns signalent l’existence « d’un environnementalisme multiniveaux » pour insister sur le fait que des actions communes et de nature différente sont menées à Bruxelles et dans les États membres [50]. Dans les activités menées par ces réseaux, l’enjeu n’est pas seulement une division du travail à l’échelle européenne, mais l’information mutuelle. Au sein de chaque collectif européen, y compris pour les moins indépendants vis-à-vis de la structure internationale – Birdlife International ECO et Greenpeace International EU –, une dose de représentation nationale a été injectée dans les processus de décision. L’intérêt à coopérer pour ces organisations ne repose pas forcément sur la nécessité de défendre une cause en apparence consensuelle, l’environnement, mais plutôt sur l’expression des divergences. Les interactions via le bureau européen mettent en jeu un partage de ressources cognitives, de compréhension des problèmes, des acteurs influents à solliciter, et des contraintes et intérêts de ses propres partenaires. L’expertise de politiques publiques qui résulte de leur participation au réseau est une compétence que chaque groupe national du réseau peut ensuite mettre à profit dans ses propres activités.

62La capacité d’action et d’adaptation des groupes environnementaux met en défaut les raisonnements qui relient, de manière systématique, intérêt défendu et modes d’action, forme de l’organisation et ressources mobilisées. Les études quantitatives, qui ont été menées pendant les années 1980-1990 aux États-Unis, n’ont pu montrer de corrélation significative entre ces variables. « Groups do not have a single strategy determined by internal resources or membership base »[51].Le lobbying et la démonstration d’expertise ne caractérisent pas la stratégie des acteurs disposant d’un accès privilégié aux décideurs, stratégie qui serait à opposer à des actions de communication politique et d’information du public, seul recours laissé aux groupes d’intérêt diffus [52]. Le contexte reste une part irréductible de l’explication des stratégies des groupes environnementaux. Le recours à des études de cas se justifie pour comprendre les dispositifs publics, les rapports de force et les revendications qui font enjeu pour ces groupes [53]. Les relations nouées avec les pouvoirs publics, les stratégies adoptées et l’orientation politique ou « instrumentale » [54] des organisations étudiées expliquent, à moyen terme, un cheminement vers toujours plus d’organisation, c’est-à-dire d’institutionnalisation. La coopération qui est entreprise au sein de ces réseaux a des effets sur les organisations nationales qui y participent. Elle affecte a minima leurs actions de représentation auprès des autorités et, au-delà, leurs modes de fonctionnement en interne et l’ordre de leurs priorités.

63Le mouvement vers la réforme n’est pas irréversible. La diversité est aussi un facteur d’évolution des structures, suscitant le développement de tendances plus radicales. Les groupes mobilisés qui surmontent l’objectif de représentation politique, en refusant le dialogue avec les autorités publiques, sont des aiguillons pour les plus institutionnalisées. Cette configuration est une constante dans l’activité des groupes d’intérêt et des mouvements sociaux [55]. Elle concrétise aussi une option pour imposer leurs vues : prendre le pouvoir au sein de l’organisation. Le pouvoir apparaît ainsi comme une dimension irréductible de l’action collective organisée.


Annexe

64Listes des entretiens

651. Amis de la Terre (AT) – chargé de la campagne OGM : 11 juin 2001, Paris.

662. Amis de la Terre – président de 1998 à 2001, puis trésorier : 18 octobre 2002, Paris.

673. Amis de la Terre – ancien secrétaire général ; BEE – ancien administrateur ; FOEE – ancien administrateur : 12 juillet 2002, Paris.

684. Friends of the Earth Europe (FOEE) – tête de projet OGM : 22 août 2001, Bruxelles.

695. Bureau européen de l’environnement (BEE) – premier secrétaire général (1974-1983) : 25 novembre 2002, Bruxelles.

706. Birdlife International ECO – EU Policy and Advocacy officer : 29 mars 2001, Bruxelles.

717. Ligue de protection des oiseaux (LPO) – chargé des relations internationales : 15 mai 2001, Rochefort.

728. LPO – responsable de la conservation des espaces naturels : 15 mai 2001, Rochefort.

739. LPO – directeur : 15 mai 2001, Rochefort.

7410. Greenpeace France (GF) – chargé de mission Énergies renouvelables : 27 novembre 2002, Paris.

7511. GF – chargé de mission OGM : 27 novembre 2002, Paris.

7612. GF – directeur : 28 novembre 2002, Paris.

7713. GF – ancien secrétaire général : 15 octobre 2002, Paris.

7814. World Wide Fund for Nature (WWF) France, chargé de Natura 2000 : 11 juin 2001, Paris.

7915. WWF EPO – European Policy Funding Coordinator : 21 août 2001, Bruxelles.

8016. WWF EPO – chargé de mission Space and Species : 21 août 2001, Bruxelles.


Date de mise en ligne : 07/03/2008

https://doi.org/10.3917/rfsp.581.0097

Notes

  • [1]
    Margot Wallström, « Plus proche des citoyens », L’environnement pour les Européens, 3, juillet 2000, p. 3.
  • [2]
    Le système de l’UE « encourage les groupes d’intérêt (et les autres acteurs) à la promiscuité », selon Sonia Mazey et Jeremy J. Richardson, « Interest Groups and EU Policy-Making. Organisational Logic and Venue Shopping », dans Jeremy J. Richardson (ed.), European Union. Power and Policy-Making, Londres, Routledge, 2006, p. 247-268, dont p. 256.
  • [3]
    Gary Marks, Doug McAdam, « Social Movements and the Changing Structure of Political Opportunity in the European Union », Western European Politics, 19 (2), 1996, p. 249-278. Plus récemment, voir Jan Beyer, « Voice and Access. Political Practices of European Interest Associations », European Union Politics, 5 (2), 2004, p. 211-240, dont p. 225.
  • [4]
    Les contributions de l’ouvrage collectif de Doug Imig et Sidney Tarrow ont confirmé cette interprétation : Doug Imig, Sidney Tarrow (eds), Contentious Europeans. Protest and Politics in an Emerging Polity, Lanham, Rowman & Littlefield, 2001.
  • [5]
    Sabine Saurugger, « L’expertise : un mode de participation des groupes d’intérêt au processus décisionnel communautaire », Revue française de science politique, 52 (4), août 2002, p. 375-401.
  • [6]
    Dieter Rucht, « Lobbying or Protest ? Strategies to Influence EU Environmental Policies », dans Doug Imig, Sidney Tarrow (eds), op. cit., p. 125-142.
  • [7]
    Voir au sujet de plusieurs secteurs associatifs (environnement, droit des consommateurs, aide au développement, etc.) Alex Warleigh, « “Europeanizing” Civil Society : NGOs as Agents of Political Socialization », Journal of Common Market Studies, 39 (4), novembre 2001, p. 619-639.
  • [8]
    En France, cf. la démonstration de Calliope Spanou, Fonctionnaires et militants. L’administration des nouveaux mouvements sociaux, Paris, L’Harmattan, 1991 ; et pour les États-Unis, Jeffrey Berry, The New Liberalism. The Rising Power of Citizen Groups, Washington, Brooking Institution Press, 1999, p. 30. Ce raisonnement a été appliqué au cas européen par Sonia Mazey et Jeremy J. Richardson, « Environmental Groups and the European Community : Challenges and Opportunity », Environmental Politics, 1 (4), 1992, p. 109-128, dont p. 121-122.
  • [9]
    Hanspeter Kriesi, « The Organizational Structure of New Social Movements in a Political Context », dans Doug McAdam, John D. McCarthy, Mayer N. Zald (eds), Comparative Perspectives on Social Movements. Political Opportunities, Mobilizing Structures and Cultural Framing, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 152-184, dont p. 153 et suiv.
  • [10]
    Hanspeter Kriesi, ibid. Le processus d’institutionnalisation est défini selon ces deux critères : p. 153 ; p. 156.
  • [11]
    Cf. Doug Imig, Sidney Tarrow, « The Europeanization of Movements ? A New Approach to Transnational Contention », dans Dona Della Porta, Hanspeter Kriesi, Dieter Rucht (eds), Social Movements in a Globalizing World, Londres, Macmillan Press, 1999, p. 112-134, dont p. 118.
  • [12]
    La plupart se sont regroupées au sein d’un collectif dénommé aujourd’hui le « Green 10 ». Il s’agit d’une coalition créée en 1991 qui revendique une même légitimité à représenter les intérêts environnementaux pour intervenir auprès des Conseils européens, ponctuellement, dans le processus décisionnel européen.
  • [13]
    Cette constante de l’analyse des groupes d’intérêt est résumée par Yannis Papadopoulos et Philippe Warin, « Are Innovative, Participatory and Deliberative Procedures in Policy Making Democratic and Effective ? », European Journal of Political Research, 46 (4), 2007, p. 445-472, dont p. 457.
  • [14]
    Les groupes environnementaux correspondent en effet aux « groupes larges » et « inclusifs » délimités par Mancur Olson : leurs succès éventuels profitent à l’ensemble de la population et non à leurs seuls adhérents. Cf. Mancur Olson, Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1987 (1re éd. : 1965).
  • [15]
    Jane J. Mansbridge met en avant cette opposition pour insister sur l’importance d’assurer une représentation aux intérêts diffus : « A Deliberative Theory of Interest Representation », dans Mark P. Petracca (ed.), The Politics of Interests. Interest Groups Transformed, Boulder, Westview Press, 1992, p. 32-57, dont p. 48.
  • [16]
    Jeffrey Berry parle de « policy expertise » : The New Liberalism, op. cit., p. 152.
  • [17]
    Ainsi, au plan international, l’échange d’informations est le principe d’action et de solidarité de ce que Margaret Keck et Kathryn Sikkink désignent comme les réseaux plaidants (advocacy networks), composés d’acteurs variés et d’ONG qui, en collaborant, renforcent la capacité d’action internationale du réseau : Margaret Keck, Kathryn Sikkink, Activists Beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998, p. 28-29.
  • [18]
    Cité dans un document où la Commission dit vouloir éviter des consultations qui « pourraient donner cette impression » (COM(2002) 704 final, Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue. Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées, p. 12).
  • [19]
    C’est un problème que rencontrent aussi les secteurs économiques représentés à Bruxelles par une fédération. Cf. Justin Greenwood, Interest Representation in the European Union, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2003, p. 75 et suiv.
  • [20]
    Cf. note 3, page 99.
  • [21]
    C’est une distinction classique de cet objet d’étude, utilisée, entre autres, par Russell J. Dalton, The Green Rainbow. Environmental Groups in Western Europe, New Haven, Yale University Press, 1994.
  • [22]
    Cet article utilise des données d’entretiens auprès des salariés de ces groupes (en principe, un responsable et un chargé de mission sectoriel pour chaque structure), réalisés en 2001 et 2002.
    Il s’appuie par ailleurs sur l’analyse documentaire de leurs rapports d’activité. Les entretiens avaient pour objectif de recueillir des informations sur les ressources et les stratégies des groupes. Pour distinguer les données de l’analyse, les entretiens sont indiqués dans le texte même : leur numérotation renvoie à la liste en annexe. Ces données ont été complétées par des relances par courrier électronique en 2004 et 2006.
  • [23]
    Voir le témoignage du directeur actuel et fondateur du bureau européen du WWF : Tony Long, « The Environmental Lobby », dans Philipp D. Lowe, Stephen Ward (eds), British Environmental Policy and Europe. Politics and Policy in Transition, Londres, New York, Routledge, 1998, p. 105-118.
  • [24]
    Notons toutefois que FOEI intègre des membres associés qui n’utilisent pas l’identité FOE. Il s’agit souvent d’ONG internationales thématiques.
  • [25]
    John McCormick, The Global Environmental Movement, Chichester, John Wiley & Sons, 1995.
  • [26]
    Ces groupes étant déjà institutionnalisés, ils ont eu d’autant plus de facilité à développer des activités de lobbying nécessaires pour agir à Bruxelles, selon Gary Marks et Doug McAdam, « Social Movements and the Changing Structure of Political Opportunity in the European Union », art. cité, p. 270.
  • [27]
    WWF International, « WWF : Twenty Years in Review », dans Recueil pour le 20e anniversaire, 1982, p. 7-9.
  • [28]
    Conformément à l’institutionnalisation telle que définie par Hanspeter Kriesi, « The Organizational Structure of New Social Movements in a Political Context », cité.
  • [29]
    Le BEE compte vingt-cinq membres fondateurs. EBB, EEB Twentieth Anniversary, 1994.
  • [30]
    Le WWF dispose d’un autre programme office à Washington, consacré aux questions économiques. Notons également qu’un regroupement régional FOE s’est réalisé pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, le siège est basé au Paraguay : Friends of the Earth International, Annual report 2002, Amsterdam, 2003.
  • [31]
    Alex Warleigh, « “Europeanizing” Civil Society… », art. cité, p. 623. Cf. également Julien Weisbein, « Le militant et l’expert : les associations civiques face au système politique européen », Politiques européennes, 4, 2001, p. 105-118.
  • [32]
    « Action Programme Promoting European Environmental NGOs », décision du Conseil, 97/872. Ce programme, renouvelé en 2002, s’intègre à partir de 2007 dans le cadre financier LIFE+, administré par la DG Environnement.
  • [33]
    Sonia Mazey, Jeremy J. Richardson : « Interest Groups and EU Policy-Making… », cité.
  • [34]
    Au sujet de FOEE qui a disposé d’un financement communautaire sur le développement durable, voir Denis Chartier, Jean-Paul Déléage, « The International Environmental NGOs : From the Revolutionary Alternative to the Pragmatism of Reform », Environmental Politics, 7 (3), 1998, p. 26-41, dont p. 31-32.
  • [35]
    Ce type de soutien financier est souvent déterminant dans l’émergence des groupes défendant des biens publics à l’échelle internationale, comme le rappelle, dans sa revue de la littérature, Sidney Tarrow, « La contestation transnationale », Cultures et Conflits, 38-39, 2000, p. 187-223.
  • [36]
    D’après les données de Jean-Marc Dziedzicki, Laurent Mermet, Yann Laurens, Les transformations du rôle et du fonctionnement des ONG internationales et le positionnement des associations françaises, Paris, AScA, ministère de l’Environnement, 1995.
  • [37]
    Voir à ce sujet Justin Greenwood, Interest Representation in the European Union, op. cit.
  • [38]
    L’organisation britannique détient probablement plusieurs records européens : elle regroupe à cette période 1 million d’adhérents, 1 300 salariés, avec des ressources de 50 millions de livres sterling par an.
  • [39]
    Son analyse s’applique au secteur financier. Cf. Pieter Bouwen, « Corporate Lobbying in the European Union : The Logic of Access », Journal of European Public Policy, 9 (3), juin 2002, p. 365-390, dont p. 369.
  • [40]
    Les résultats parus en 2004 invalident certaines des hypothèses avancées sur le lien entre la forme organisationnelle et l’intérêt privilégié. Voir Pieter Bouwen, « Exchanging Access Goods for Access : A Comparative Study of Business Lobbying in the European Union Institutions », European Journal of Political Research, 43 (3), mai 2004, p. 337-369.
  • [41]
    Pour reprendre les deux catégories d’analyse avec lesquelles Calliope Spanou analyse les relations d’échange entre administration et organisations issues de mouvements sociaux : Calliope Spanou, Fonctionnaires et militants…, op. cit., p. 189. Ce type de raisonnement est aussi le fait de Sonia Mazey, Jeremy J. Richardson, « Environmental Groups and the European Community… », art. cité.
  • [42]
    La directive Habitats a vocation à intégrer des « zones de protection spéciale » dans un réseau de sites remarquables sur le plan de la biodiversité : le réseau Natura 2000 (Directive 92/43 CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage).
  • [43]
    Mark Aspinwall, Justin Greenwood, « Conceptualising Collective Action in the European Union : an Introduction », dans Justin Greenwood, Mark Aspinwall (eds), Collective Action in the European Union, Londres, Routledge, 1998, p. 1-30, dont p. 22.
  • [44]
    Dieter Rucht, « Think Globally, Act Locally ? Needs, Forms and Problems of Cross-National Cooperation among Environmental Groups », dans J. Duncan Liefferink et al. (eds), European Integration and Environmental Policy, Londres, Belhaven Press, 1993, p. 75-97, dont p. 77-78.
  • [45]
    Laurent Mermet, Stratégies pour la gestion de l’environnement. La nature comme jeu de société ?, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 52.
  • [46]
    Albert O. Hirschman, Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983, p. 111 et suiv.
  • [47]
    Les eurogroupes sont en général définis comme des fédérations qui représentent les organisations d’un secteur d’activité. Pour une discussion de cette notion, voir Mark Aspinwall, Justin Greenwood, « Conceptualising Collective Action in the European Union… », cité, p. 4.
  • [48]
    Ce raisonnement est de plus en plus courant dans la littérature au sujet des groupes d’intérêt économiques, étant donné le nombre grandissant de firmes présentes à Bruxelles. Justin Greenwood y apporte une analyse plus nuancée dans Interest Representation in the European Union, op. cit.
  • [49]
    C’est la conclusion à laquelle parviennent, dans les années 1990, Gary Marks et Doug McAdam, « Social Movements and the Changing Structure of Political Opportunity in the European Union », art. cité.
  • [50]
    En l’occurrence dans la politique européenne des transports, par Hein-Anton Van der Heijden, « Multi-level Environmentalism and the European Union : The Case of Trans-European Transport Networks », International Journal of Urban and Regional Research, 30 (1), mars 2006, p. 23-37.
  • [51]
    Frank Baumgartner, Beth Leech, Basic Interests. The Importance of Groups in Politics and Political Science, Princeton, Princeton University Press, 1998, p. 147.
  • [52]
    C’est ce que révèlent (à leur dépens) des analyses quantitatives qui opposent, par exemple, inside strategies/public-related strategies : Hanspeter Kriesi, Anke Tresch, Margit Jochum, « Going Public in the European Union : Action Repertoires of Western European Collective Political Actors », Comparative Political Studies, 40 (1), janvier 2007, p. 48-73, dont p. 63-64. Les groupes d’intérêt économique les mieux dotés ont le plus recours aux médias : Jan Beyers, « Voice and Access… », art. cité, p. 224.
  • [53]
    Les observations d’Isabelle Sommier concernant les mobilisations de « sans » montrent que le mélange des modes d’action de politique non conventionnelle et de démarches de lobbying est gage d’efficacité : Isabelle Sommier, Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p. 189-195. Cf. également Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p. 198.
  • [54]
    Pour reprendre les distinctions de Hanspeter Kriesi, « The Organizational Structure… », cité.
  • [55]
    Christopher Rootes, « The Transformation of Environmental Activism : An Introduction », dans Christopher Rootes (ed.), Environmental Protest in Western Europe, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 1-20, dont p. 4 et suiv.

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