Notes
-
[1]
Charles O. Jones, An Introduction to the Study of Public Policy, Belmont, Duxbury Press, 1970.
-
[2]
Cf. l’article de Sylvain Brouard et Richard Balme dans ce numéro.
-
[3]
Peter A. Hall, Rosemary Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », Revue française de science politique, 47 (3-4), juin-août 1997, p. 469-496.
-
[4]
Cf., par exemple, Peter A. Hall, Governing the Economy : The Politics of State Intervention in Britain and France, Oxford, Oxford University Press, 1986.
-
[5]
Cf. Hugh Heclo, « Ideas, Interest, and Institutions », dans Lawrence Dodd, Calvin Jillson (eds), The Dynamics of American Politics. Approaches and Interpretations, Boulder, Westview Press, 1994.
-
[6]
James March, Johan Olsen, Rediscovering Institutions : The Organisational Basis of Politics, New York, Free Press, 1989.
-
[7]
Peter A. Hall, « The Role of Interests, Institutions, and Ideas in the Comparative Political Economy of the Industrialized Nations », dans Mark Lichbach, Alan Zuckerman (eds), Comparative Politics. Rationality, Culture, and Structure, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 174-207.
-
[8]
Cf., par exemple, Henri Hatzfeld, Du paupérisme à la sécurité sociale. Essai sur les origines de la sécurité sociale, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2e éd., 1989 (1re éd. : Paris, Colin, 1971), ou Patrick Hassenteufel, Les médecins face à l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.
-
[9]
François-Xavier Merrien, « États providence : l’empreinte des origines », Revue française des affaires sociales, 3, juillet-septembre, 1990, p. 43-56 ; Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher and the Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
-
[10]
Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, Paris, PUF, 2002.
-
[11]
Ce texte repose à la fois sur nos propres travaux et sur les résultats d’un séminaire doctoral conduit conjointement entre 2000 et 2004 et portant sur l’européanisation des politiques publiques et l’intégration européenne. Nos réflexions sont ainsi nourries des échanges que nous avons pu mener avec les étudiants ayant suivi ce séminaire, que nous voulons ici remercier.
-
[12]
Peter A. Hall, Rosemary Taylor, art. cité.
-
[13]
James March, Johan Olsen, op. cit.
-
[14]
Pour plus de détails, cf. l’article de Sylvain Brouard et de Richard Balme dans ce numéro.
-
[15]
Pour une approche qui insiste principalement sur la dimension cognitive et normative de l’action publique, cf. l’article de Pierre Muller dans ce numéro.
-
[16]
Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle, 4, 1984, p. 99.
-
[17]
Andrew Moravcsik, « “Is there Something Rotten in the State of Denmark” ? Constructivism and European Integration », Journal of European Public Policy, 6 (4), 1999, p. 669-681.
-
[18]
Cf. le numéro spécial consacré à « The Social Construction of Europe », dans le Journal of European Public Policy, 6 (4), 1999.
-
[19]
La comparaison (dans le temps ou dans l’espace) reste, en effet, de notre point de vue, le moyen privilégié, sinon unique, de construire des explications convaincantes en sciences sociales. Cf. Todd Landman, Issues and Methods in Comparative Politics : An Introduction, London, Routledge, 2003.
-
[20]
Walter Korpi, The Democratic Class Struggle, Londres, Routledge, 1983.
-
[21]
Walter Korpi, « Un État providence fragmenté et contesté. Le développement de la citoyenneté sociale en France », Revue française de science politique, 45 (4), août 1995, p. 632-667.
-
[22]
Kathleen McNamara, The Currency of Ideas, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[23]
Andrew Moravcsik, « Preferences and Power in the European Community : A Liberal Intergovernmentalist Approach », Journal of Common Market Studies, 31 (4), 1993, p. 473-524.
-
[24]
Sont ici reprises des analyses proposées par Giuliano Bonoli et Bruno Palier, « Reclaiming Welfare. The Politics of Social Protection Reform in France », Southern European Society and Politics, 1 (3), 1996, p. 240-259, et par Maurizio Ferrera, « Modèles de solidarité, divergences, convergences : perspectives pour l’Europe », Revue suisse de science politique, 2 (1), 1996, p. 55-72.
-
[25]
Cf. John Myles, Paul Pierson, « Friedman’s Revenge. The Reform of “Liberal” Welfare States in Canada and the United States », Politics and Society, 25 (4), décembre 1997, p. 443-472.
-
[26]
Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit.
-
[27]
Ibid.
-
[28]
Patrick Hassenteufel, op. cit.
-
[29]
Paul Pierson, « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », Comparative Political Studies, 29 (2), 1996, p. 123-163.
-
[30]
Kenneth Dyson, Kevin Featherstone, The Road to Maastricht : Negotiating Economic and Monetary Union, Oxford, Oxford University Press, 1999.
-
[31]
Kenneth Dyson, Kevin Featherstone, « Italy and EMU as a “Vincolo Esterno” : Empowering the Technocrats, Transforming the State », South European Society and Politics, 1 (2), 1996, p. 272-299.
-
[32]
Cf. Yves Surel, « The Role of Cognitive and Normative Frames in Policy-Making », Journal of European Public Policy, 7 (4), 2000 ; Yves Surel « L’intégration européenne vue par l’approche cognitive et normative des politiques publiques », Revue française de science politique, 50 (2), avril 2000, p. 235-254. Cf. aussi l’article de Pierre Muller dans ce numéro.
-
[33]
Christelle Mandin, Bruno Palier, « L’Europe et les politiques sociales. Vers une harmonisation cognitive des réponses nationales », dans Christian Lequesne, Yves Surel (dir.), L’intégration européenne. Entre émergence institutionnelle et recomposition de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 255-285.
-
[34]
Claudio Radaelli, « The Domestic Impact of European Union Public Policy : Notes on Concepts, Methods, and the Challenge of Empirical Research », Politique européenne, 5, 2001, p. 107-142.
-
[35]
Kathleen McNamara, The Currency of Ideas, op. cit.
-
[36]
Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994.
-
[37]
Vivien A. Schmidt, « Values and Discourse in the Politics of Adjustment », dans Fritz W. Scharpf, Vivien A. Schmidt, Welfare and Work in the Open Economy, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 229-309. Cf. aussi Claudio Radaelli, Vivien A. Schmidt (eds), Policy Change and Discourse in Europe, Londres, Frank Cass, 2004.
-
[38]
Bruno Palier, « Gouverner le changement des politiques de protection sociale », dans Pierre Favre, Yves Schemeil (dir.), Être gouverné. Mélanges offerts en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 163-179.
-
[39]
Cf. Jean Leca, « La “gouvernance” de la France sous la Cinquième République », dans François d’Arcy, Luc Rouban (dir.), De la Cinquième république à l’Europe, hommage à Jean-Louis Quermonne, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 359-360.
-
[40]
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 2003 (Que sais-je ? 2354).
-
[41]
Il faudrait ici citer le « rocardisme », la CFDT, le socialisme municipal et la Fondation Saint-Simon, qui ne forment pas un groupe homogène.
-
[42]
On pense, ici, à des acteurs piliers de la CNAF, souvent conseillers de ministres des Affaires sociales de gouvernement de droite.
-
[43]
« Plus certains thèmes idéologiques sont ambigus, polysémiques, plus ils permettent à des groupes sociaux divers de construire un consensus sur leur base. C’est sur des ambiguïtés de ce type que s’est construit le compromis social qui fonde l’État providence » (Bruno Jobert, « Les politiques sociales et sanitaires », dans Madeleine Grawitz, Jean Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, p. 310).
-
[44]
Cf. les travaux de Pierre Lascoumes, notamment L’Éco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, La Découverte, 1994, ou « Normes juridiques et politiques publiques », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 43-51.
-
[45]
Mancur Olson, Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1987.
-
[46]
Peter Swenson, « Bringing Capital Back in, or Social Democracy Reconsidered : Employer Power, Cross-Class Alliances, and Centralization of Industrial Relations in Denmark and Sweden », World Politics, 43 (4), 1991, p. 513-544 ; Isabela Mares, « The Sources of Business Interest in Social Insurance. Sectoral versus National Differences », World Politics, 55 (2), 2003, p. 229-58.
-
[47]
Margarita Estevez-Abe, Torben Iversen, David Soskice, « Social Protection and the Formation of Skills : A Reinterpretation of the Welfare State », dans Peter A. Hall, David Soskice (eds), Varieties of Capitalism : The Institutional Foundations of Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press, 2001.
-
[48]
Robert Elgie, « The Politics of the European Central Bank : Principal-Agent Theory and the Democratic Deficit », Journal of European Public Policy, 9 (2), 2002, p. 186-200.
-
[49]
Paul Pierson, « Path Dependence, Increasing Returns, and the Study of Politics », American Political Science Review, 94 (2), 2000, p. 251-267.
-
[50]
Douglass C. North, Institutions, Institutional change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
-
[51]
Il s’agit de la traduction de path dependence par les économistes en France.
-
[52]
Paul Pierson, « When Effects Become Cause. Policy Feedback and Political Change », World Politics, 45 (4), 1993, p. 608. C’est nous qui traduisons.
-
[53]
Mancur Olson, op. cit.
-
[54]
Kathleen Thelen, « Comment les institutions évoluent : perspectives de l’analyse comparative historique », L’Année de la régulation, 7, 2003-2004, p. 13-44.
-
[55]
Ibid.
-
[56]
Kathleen Thelen, Wolfgang Streek (eds), Beyond Continuity : Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press, à paraître en 2005.
-
[57]
Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983 (1re éd. en anglais : 1960) ; Peter A. Hall, « Policy Paradigm, Social Learning and the State : The Case of Economic Policy in Britain », Comparative Politics, 25 (3), avril 1993, p. 275-296 ; Yves Surel, L’État et le livre. Les politiques publiques du livre en France (1957-1993), Paris, L’Harmattan, 1997.
-
[58]
Peter A. Hall, Governing the Economy…, op. cit.
-
[59]
Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, op. cit.
-
[60]
Décalage comparable au décalage global/sectoriel conceptualisé par Bruno Jobert et Pierre Muller. Cf. l’article de Pierre Muller dans ce numéro.
-
[61]
Jochen Clasen, « Motives, Means and Opportunities : Reforming Unemployment Compensation in the 1990’s », West European Politics, 23 (2), 2000, p. 89-112.
-
[62]
Bruno Palier, La réforme des retraites, Paris, PUF, 2003 (Que sais-je ? 3657).
-
[63]
Bruno Palier, La réforme des systèmes de santé, Paris, PUF, 2004 (Que sais-je ? 3710).
-
[64]
Thomas Risse, « Ideas Do Not Float Freely : Transnational Coalitions, Domestic Structures, and the End of the Cold War », International Organization, 48 (2), 1994, p. 185-214.
-
[65]
Cf. Charles O. Jones, op. cit. ; ainsi que les présentations de cette grille dans Yves Mény, Jean-Claude Thoenig, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989 (Thémis) ; Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 2000.
-
[66]
Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit.
-
[67]
Cf. Bruno Palier, « Gouverner le changement des politiques de protection sociale », cité.
-
[68]
Cf. Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit., chap. 6 à 8.
-
[69]
Charles Lindblom, The Policy-Making Process, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1980.
-
[70]
Cf. Andrew Moravcsik, The Choice for Europe : Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[71]
Kathleen McNamara, « Consensus and Constraint : Ideas and Capital Mobility in European Monetary Integration », Journal of Common Market Studies, 37 (3), 1998, p. 455-476 ; Martin Marcussen, « Central-Bankers, the Ideational Life-Cycle and the Social Construction of EMU », Florence, Institut universitaire européen/Centre Robert Schumann, Working Papers Series, n° 98/33, 1998 ; Nicolas Jabko, « In the Name of the Market : How the European Commission Paved the Way for Monetary Union », Journal of European Public Policy, 6 (3), 1999, p. 475-795.
-
[72]
Yves Surel, « Comparer des sentiers institutionnels. Les réformes des banques centrales au sein de l’Union européenne », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 135-166.
1 Comme la plupart des disciplines constituant la science politique, l’analyse des politiques publiques s’est d’abord constituée par des emprunts successifs et par la mise au point d’un vocabulaire qui lui soit propre. Cette affirmation parfois contradictoire d’autonomie a débouché sur des notions (ou des « outils », selon l’expression consacrée) aussi connues que la grille séquentielle de Jones [1] ou sur l’usage de travaux classiques associés notamment à la question de la rationalité des décisions publiques [2]. Par la suite, en se rapprochant d’autres champs de la science politique, comme la sociologie de l’action collective ou les relations internationales, l’analyse des politiques publiques a, peu à peu, intégré de nouvelles influences et s’est ouverte dans le même temps aux controverses qui parcourent la discipline. C’est sans doute pourquoi elle s’est trouvée confrontée, depuis les années 1990, à l’influence dominante du néo-institutionnalisme en science politique ou, plutôt, des néo-institutionnalismes, selon la classification admise depuis l’article de Peter Hall et Rosemary Taylor [3]. Or, ces problématiques nouvelles ont non seulement posé des problèmes d’intégration (comment croiser ces nouveaux instruments avec l’analyse séquentielle ?), mais également nourri des interrogations sur les éventuelles différences ou incompatibilités qui semblent caractériser les relations entre ces trois néo-institutionnalismes.
2 De manière plus précise, l’une des caractéristiques principales des problématiques soulevées par ces trois courants de la littérature contemporaine, spécialement anglo-saxonne, est d’avoir insisté sur trois séries de variables ou trois dimensions possibles pour l’analyse, formées par ce que l’on appelle parfois les « trois I ». Par cette expression, on désigne habituellement les trois ensembles d’éléments que sont les « idées », les « intérêts » et les « institutions ». Ces notions sont parfois diversement substantivées, on le verra, mais leur utilisation invite à s’intéresser de manière systématique à plusieurs dimensions souvent séparées de l’analyse. Si leur usage se fait souvent dans l’analyse de l’action publique, notamment de l’État providence, leur portée analytique ne se limite pas à ce champ de recherche et l’on en trouve la « trace » en relations internationales ou dans certaines études de politique comparée.
3 Il est difficile de trouver un véritable « initiateur » à ce « modèle des trois I », cette expression étant sans doute d’ailleurs impropre en l’absence d’un véritable système cohérent d’analyse. Les références les plus fréquentes s’appliquent cependant aux travaux de Peter Hall dans ce champ précis des politiques publiques [4], ainsi qu’à un article de Hugh Heclo [5]. Si cette genèse est difficile à faire (et sans doute d’ailleurs inutile), c’est d’abord probablement parce que les notions d’intérêt, d’idée et d’institution sont tout sauf originales, constituant depuis longtemps des dimensions analytiques importantes au sein des sciences sociales. La seule réelle nouveauté de leur usage contemporain réside dès lors dans cette déclinaison des trois dimensions au sein du néo-institutionnalisme forgé dans les années 1980 par James March et Johan Olsen [6] et dans la volonté de synthèse de ces « tendances » affichée par Peter Hall. Comme le remarque à plusieurs reprises ce dernier, l’une des spécificités d’un bon nombre de travaux récents est, en effet, d’insister alternativement ou concurremment sur le poids des idées, des intérêts et des institutions sur la genèse, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, mais sans chercher véritablement à fonder une articulation entre ces trois séries de variables [7]. De la sorte, les travaux s’inspirant directement et explicitement de cette démarche de recherche restent rares, voire inexistants. On peut y voir la marque de l’influence très forte exercée par d’autres courants de recherche, comme le choix rationnel ou le constructivisme, mais également un effet de la difficulté qu’il y a à combiner différentes dimensions d’analyse, qui paraissent toutes également importantes a priori dans l’analyse des politiques publiques.
4 L’objet du présent article n’est pas de « modéliser » l’usage des « trois I », mais d’essayer d’en dégager la pertinence et l’utilité en distinguant trois propriétés principales de ces « outils » de l’analyse des politiques publiques. Mobiliser les « intérêts », les « idées » et les « institutions » permet, tout d’abord, de rester attentif à la pluralité des dimensions possibles de l’analyse et à la diversité également des « causes » possibles dans l’étude de l’action publique. En s’appuyant sur plusieurs pans importants de la littérature, cet usage des « trois I » permet, en outre, de formuler diverses hypothèses a priori sur les phénomènes observés, qui peuvent se révéler concurrentes ou complémentaires a posteriori. Ceci signifie, enfin, que ces différentes dimensions sont à hiérarchiser ex post en découpant les processus de l’action publique en différentes séquences.
5 Il est peut-être bon de préciser que l’idée (ou l’intérêt ?) de mobiliser ces trois entrées analytiques n’est pas issue d’une discussion abstraite des courants existants, mais bien plutôt d’une insatisfaction communément ressentie devant les alternatives théoriques proposées, le plus souvent exclusives les unes des autres. Ainsi, pour ce qui concerne les politiques monétaires en Europe, la plupart des travaux partent invariablement de l’un ou l’autre de ces « trois I ». Pour les recherches qui s’inscrivent plus ou moins explicitement dans une veine intergouvernementaliste, l’hypothèse principale reste, par exemple, centrée sur les intérêts et tente de montrer comment les préférences évolutives des États membres furent au principe des formes empruntées par l’Union économique et monétaire (UEM), ainsi que l’élément déterminant du « timing » du processus. D’autres travaux insistent, au contraire, sur les éléments d’héritage institutionnel, entretenus par le Système monétaire européen (SME), qui apparaît, dans cette perspective, comme la condition de possibilité et le socle de l’intégration monétaire qui a suivi. Enfin, certains auteurs estiment que c’est plutôt le mouvement des idées – en particulier, la conversion progressive des leaders politiques aux idées monétaristes – qui apparaît comme le principal facteur explicatif de l’UEM. Par ailleurs, dans l’analyse des développements des systèmes de protection sociale, de nombreux travaux français ont insisté sur le poids des groupes d’intérêts bloquant ou formatant les évolutions des politiques sociales [8], tandis que d’autres recherches soulignent combien le poids des institutions pèse sur les trajectoires des systèmes de protection sociale [9], ces deux approches négligeant trop souvent l’analyse des changements de paradigmes des politiques sociales, notamment au cours des années 1990 [10].
6 Ces explications sont-elles concurrentes ou complémentaires ? Comment les comparer et en mesurer la portée explicative ? Portent-elles vraiment sur les mêmes objets ? L’ambition de ce papier est de tenter de répondre à ces différentes questions à partir de nos travaux (les politiques monétaires en Europe, d’une part, la comparaison des réformes nationales des systèmes de protection sociale en Europe, d’autre part) et de poser quelques pistes de réflexion sur ce que pourrait être un usage des « trois I » dans les recherches sur l’action publique [11]. S’il ne s’agit pas ici de proposer une nouvelle approche théorique, ni de préconiser une méthodologie particulière, nous voudrions formuler ce qui nous semble être les trois temps nécessaires d’une démarche qui vise à analyser les politiques publiques de manière inductive, en tenant compte de la pluralité des variables en présence, et qui permette de comprendre comment s’articulent et se combinent les mécanismes causaux à l’origine des phénomènes étudiés.
Identifier les dimensions et/ou variables pertinentes de l’analyse
7 Comme le remarquent Hall et Taylor [12], les trois néo-institutionnalismes s’appuient sur un présupposé commun minimal, à savoir insister sur le poids des institutions comme un ensemble de contraintes socialement construites, qui permettent de mieux appréhender les comportements des individus et des organisations dans l’espace public, en s’affranchissant des limites des approches antérieures d’inspiration béhavioraliste. Dans la lignée de ce que March et Olsen indiquaient déjà [13], les trois néo-institutionnalismes insistent sur le poids des règles formelles et informelles, des pratiques enracinées et des cartes mentales dans la détermination des dynamiques propres à la sphère politique. L’analyse des politiques publiques a, dès lors, constitué un champ privilégié d’études pour éprouver les hypothèses induites par cette définition extensive de la notion d’institution, notamment dans le domaine des politiques sociales, un champ saturé de règles, de conventions et de normes. Hall et Taylor notent toutefois aussitôt que le contenu et le sens donnés à la notion d’institution varient fortement d’un courant à un autre, au point que les trois néo-institutionnalismes semblent reproduire les divisions classiquement observées en science politique. Ainsi, le néo-institutionnalisme du choix rationnel repose-t-il fondamentalement sur les théories classiques de l’acteur individuel rationnel, dont les motivations sont fondées sur une fonction de préférence et sur la volonté de maximiser son intérêt dans une situation de choix et/ou d’interaction. Les institutions sont vues, dans cette perspective utilitariste, comme la conséquence des choix effectués par les acteurs et comme un moyen de rendre leurs opérations et leurs relations plus efficaces en diminuant les coûts de transaction [14]. Symétriquement, le néo-institutionnalisme sociologique se trouve fondé, en partie, sur le poids accordé aux éléments structurels sur les dynamiques sociales et débouche sur une vision plus extensive et moins fonctionnaliste des institutions, qui intègre notamment les éléments normatifs et culturels dans les facteurs explicatifs pertinents [15]. Enfin, dans une forme de position médiane, le néo-institutionnalisme historique postule que c’est l’effet de sédimentation de règles et de pratiques qui apparaît, dans le temps long, comme l’élément le plus explicatif et, souvent, le plus méconnu des comportements individuels et collectifs. Ainsi, pour Tilly, la notion de répertoire d’action collective recouvre-t-elle l’idée que des pratiques de mobilisation répétées et couronnées d’un certain succès vont constituer, par agrégations successives, une forme de stock au sein duquel les acteurs concernés vont puiser leurs registres d’action [16].
8 Mobiliser conjointement les « trois I » repose, par conséquent, sur l’idée que ces variables explicatives ne sont pas exclusives les unes des autres, mais peuvent être associées au moins a priori pour délimiter les axes de la recherche et les dynamiques pertinentes dans l’analyse de l’État en action. Car l’une des caractéristiques des travaux précités est de minorer le plus souvent les variables d’analyse qui apparaissent pertinentes chez d’autres. Ainsi, les partisans du choix rationnel tendent-ils à limiter, voire à dénuer toute portée explicative aux idées. Leur argument se base tout d’abord sur l’impossibilité qu’il y a, selon eux, à identifier clairement les idées ou autres éléments normatifs pour fonder une véritable analyse scientifique. De manière plus précise, il leur apparaît impossible d’accorder une quelconque valeur causale aux idées, qui forment, au mieux, une rationalisation ex post des comportements des acteurs et ne peuvent donc être tenues comme une série de variables pertinentes pour l’analyse. Moravcsik est d’ailleurs très explicite sur ce point, estimant que les approches d’inspiration constructiviste ne sauraient passer le test de scientificité [17]. Mais, la position inverse est également vigoureusement défendue, de nombreux auteurs notant les limites associées au choix rationnel : identification aléatoire de l’intérêt ; formalisation excessive qui perd de vue la complexité du social ; rationalité nécessairement limitée des acteurs, pris dans un tissu d’interactions et d’institutions, et déterminés par des dynamiques structurelles qui échappent à leur contrôle [18].
9 Il est impossible et inutile de vouloir régler de telles controverses, mais il reste envisageable de tenter un dépassement de ces approches concurrentes en proposant quelques pistes pour articuler ces dimensions de l’analyse. Si l’on admet que les processus étudiés sont tout à la fois portés par des conflits et des compromis entre les intérêts concernés, formatés par les institutions héritées du passé et formulés au travers de cadres cognitifs, normatifs et rhétoriques, alors la première tâche de la recherche vise à décomposer l’objet étudié en unités constitutives basées sur les « trois I ». Analyser les politiques publiques consiste dès lors à décomposer un réel complexe en dimensions (ou variables) identifiables, non pour le simplifier, mais pour le rendre compréhensible au moyen des catégories d’analyse existantes, pour permettre ensuite d’effectuer la comparaison avec d’autres phénomènes similaires [19] et pour tester enfin un certain nombre d’hypothèses fondées sur ces variables, telles qu’elles ont été déjà parfois formulées au sein de la littérature.
Le jeu des intérêts
10 Poser le problème de la recherche en termes d’intérêt consiste à identifier quels sont les acteurs pertinents dans le domaine observé et à insister sur certaines dynamiques fondamentales, comme les logiques de l’action collective, les calculs et les stratégies déployées par les acteurs en fonction des coûts et bénéfices attendus des conflits éventuels ou des coopérations envisageables, les conséquences des anticipations faites par les individus ou par les organisations impliquées dans l’action publique. Le repérage des intérêts en présence, des préférences des acteurs et de leurs stratégies constitue sans doute l’approche la mieux balisée dans l’analyse de l’action publique. Elle s’est concentrée de manière précoce, par exemple, sur les questions relatives à la rationalité de la prise de décision, aux logiques propres à l’action collective et aux modalités d’influence et d’interaction qui caractérisent les relations de pouvoir dans un secteur donné de l’action publique.
11 Pour comprendre le développement des politiques sociales, il est ainsi nécessaire de repérer les acteurs en présence, leurs préférences, leurs forces, leur capacité d’action et de mobilisation, ainsi que leurs stratégies. Un des courants les plus importants de l’analyse du développement de l’État providence, la power resources approach, lancée par Walter Korpi, repose sur l’analyse de « la lutte des classes démocratique » [20]. Elle tend notamment à montrer que, face au pouvoir économique du capital, le mouvement ouvrier, s’il rassemble une grande partie du monde du travail et s’il est fortement organisé, détient un pouvoir politique important qui lui permet d’obtenir la mise en place de politiques sociales en dépit des réticences des employeurs. C’est dès lors par l’analyse des différences entre les modalités d’organisation du mouvement ouvrier (uni ou divisé), sa capacité de mobilisation, le niveau de syndicalisation, la force des partis socialistes ou sociaux démocrates que l’on peut comprendre, selon Walter Korpi, les différences de développement entre l’État providence suédois, américain ou français [21]. L’organisation précoce du mouvement ouvrier a pu ainsi déterminer le développement rapide et significatif de mécanismes de protection sociale dans un pays comme la Suède, alors que la division caractéristique du syndicalisme français et une tradition de mobilisation plus conflictuelle sont au principe d’une institutionnalisation plus tardive et plus fragmentaire de l’État providence en France.
12 En ce qui concerne les politiques monétaires en Europe, étudier les intérêts en présence (et en interaction) nécessite de voir quels furent les arguments et les compromis utilisés dans les négociations et de voir en quoi et pourquoi les traités passés sont le reflet des conflits et/ou des coopérations identifiés. Quelles étaient, par exemple, les attentes de la Commission dans ce processus ? S’agissait-il de la volonté de renforcer le cadre communautaire par la création d’une nouvelle autorité supranationale ? Cette autorité était-elle pensée comme un partenaire ou comme un concurrent éventuel ? Quelles furent les stratégies déployées par la Commission pour obtenir satisfaction dans ce jeu pluraliste à niveaux multiples ? Autres exemples de processus ou de questions mis en valeur par cette logique « d’intérêt », les mobilisations possibles d’acteurs domestiques concernés, à des titres divers, par l’intégration monétaire. Une partie de la littérature économique semble défendre une idée assez simple, reprise par Kathleen MacNamara dans son étude [22], selon laquelle les politiques monétaires sont l’exemple même d’une action publique qui ne prédispose pas à une mobilisation forte des intérêts domestiques, les coûts et les bénéfices des décisions en la matière paraissant diffus. Pourtant, l’étude des débats ayant entouré la réforme de la Bank of England et la permanence des controverses associées à l’entrée dans la zone euro donnent des résultats contre-intuitifs : loin d’être systématiquement opposés à l’UEM, certains acteurs de la City de Londres, inquiets notamment de voir la place financière se retrouver quelque peu marginalisée dans les marchés européens, ont fait preuve d’un activisme certain en faveur de cette décision publique. Cet exemple conduit à mettre en évidence deux points importants qui s’avèrent contraires aux analyses souvent développées : les intérêts domestiques sont bien affectés par le mouvement d’intégration et utilisent leurs ressources financières et leur appartenance à des réseaux constitués pour faire un lobbying actif auprès du gouvernement britannique (cf. les campagnes de presse répétées du Financial Times en faveur de l’euro) ; ces intérêts puissants ne parviennent cependant pas à infléchir la position gouvernementale, ce qui est contraire aux hypothèses souvent développées par Moravcsik, qui considère que les intérêts domestiques dominants sont à même de définir la position de l’État membre concerné lors des négociations au niveau européen [23].
Le poids des institutions
13 Les dynamiques institutionnelles constituent la seconde série de variables. Poser le problème en ces termes suppose de voir comment le tissu plus ou moins ancien et serré de règles, de pratiques et de cartes mentales enracinées pèse sur les comportements des acteurs publics et privés concernés. Il s’agit, par conséquent, de donner à l’objet d’étude une profondeur historique nécessaire pour identifier quelles sont les ressources et les contraintes institutionnelles qui régissent les interactions au sein du domaine étudié et pour éprouver la « solidité » de ces institutions au sens large. Pour ce faire, il faut, là encore, décomposer les processus étudiés en dimensions repérables et comparables, à partir d’une grille d’analyse construite à l’aide de la littérature existante.
14 C’est sans doute dans le domaine des politiques sociales que le poids des institutions a été le plus analysé (sans doute parce qu’il s’agit d’un domaine d’action publique particulièrement « saturé » d’institutions), dans la mesure où ces institutions, au sens large, peuvent influencer la nature des problèmes rencontrés, les ressources et les répertoires mobilisés par les acteurs concernés, de même que les diagnostics et solutions retenus. Adopter une telle perspective suppose ainsi de repérer quels sont les traits institutionnels susceptibles de peser sur les processus étudiés. Les analyses institutionnelles de l’État providence tendent, de ce point de vue, à identifier quatre dimensions principales [24] : (1) les critères d’accès à la prestation, qui peuvent être fondés sur le travail (prestations contributives), la citoyenneté (prestations universelles), ou le besoin (prestations sous condition de ressources) ; (2) la nature et le niveau de cette prestation, qui peut être en nature ou en espèces, forfaitaire ou bien proportionnelle ; (3) le mode de financement (impôt ou cotisation sociale) ; et (4) les structures de décision, d’organisation et de gestion de l’organisme qui sert cette prestation (État central, décentralisé ou gestion déléguée aux partenaires sociaux ou à des entreprises privées). Ces différentes dimensions, combinées, définissent autant de manières de faire de la protection sociale, qui varient selon les programmes et selon les systèmes de protection sociale et qui constituent des configurations cohérentes et stables déterminant l’action publique. En permettant de saisir de façon exhaustive les structures institutionnelles élémentaires de tout programme de protection sociale, ces dimensions institutionnelles offrent un point d’appui pour penser tout à la fois les conditions d’apparition et d’évolution des politiques sociales, ainsi que leurs conséquences sur la stratification sociale comme sur les conditions d’exercice du pouvoir politique.
15 Il convient ici de souligner une première interaction entre les deux séries de variables étudiées. En effet, les intérêts ne peuvent pas être compris en dehors du contexte institutionnel dans lequel ils se forment et interagissent, car ils ne peuvent être définis et identifiés ex nihilo, par la seule analyse du groupe social étudié. Ainsi, alors même que les études centrées sur la lutte des classes démocratiques pensaient que tous les mouvement ouvriers favorisaient le développement des politiques sociales et que tous les mouvements patronaux s’y opposaient « par définition », des études plus précises ont pu montrer comment les institutions particulières de protection sociale structurent les intérêts. Chaque régime particulier de protection sociale (et les institutions qui lui sont associées) a, par conséquent, une façon spécifique de déterminer les intérêts et les enjeux politiques autour des réformes. Ainsi, les critères d’accès aux droits sociaux déterminent les groupes bénéficiaires et qui sont susceptibles de défendre une configuration particulière régissant les politiques sociales. Des prestations sociales garanties à tous les citoyens ne bénéficient pas du même soutien politique que des prestations sociales sous condition de ressources destinées aux plus pauvres. Des prestations sociales associées au statut professionnel seront plus défendues par les syndicats de salariés que des prestations universelles, versées à tous les citoyens et dont le soutien politique reposera plutôt sur les partis politiques. Enfin, certains dispositifs fondés sur le mécanisme de l’impôt négatif peuvent constituer une configuration institutionnelle originale sur laquelle se retrouvent tout à la fois les associations de lutte contre la pauvreté et les syndicats patronaux favorables à un allègement des charges sociales, ainsi que l’ont montré John Myles et Paul Pierson en analysant plusieurs réformes récentes entreprises au Canada et aux États-Unis [25].
16 Tandis que les critères d’accès aux droits déterminent qui bénéficie des prestations, le mode de financement détermine qui doit payer. Le soutien politique à un mode de financement est d’autant plus fort que ceux qui paient sont les mêmes que ceux qui bénéficient des prestations. Parmi les prestations généralement financées par l’impôt, les prestations forfaitaires universelles semblent garantir un sentiment de solidarité plus grand que des prestations ciblées. Tout le monde touche des prestations universelles, tandis que, dans la plupart des cas, les prestations sous condition de ressources sont versées à ceux qui ne paient pas d’impôt. En outre, plus le lien entre cotisation et prestation est fort, plus la légitimité d’un mode de financement est importante. Cette différence de légitimité des différents modes de financement de la protection sociale détermine par conséquent les capacités d’action des gouvernements. On a pu ainsi montrer que les cotisations sociales apparaissent comme un mode de financement des dépenses sociales plus acceptable que l’impôt (et, donc, plus facile à augmenter) [26].
17 Le mode d’organisation et de gestion de la protection sociale joue aussi un rôle dans la définition des enjeux politiques liés aux réformes de la protection sociale. Le mode d’organisation et de gestion du système détermine, en partie, la responsabilité et la légitimité des différents acteurs. Il aide à comprendre qui sont les acteurs impliqués (acteurs étatiques, partenaires sociaux, société civile, etc.). Dans le cas où les décisions et la gestion relèvent du seul État, tous les bénéfices, mais aussi tous les reproches associés aux politiques sociales, peuvent être renvoyés au gouvernement. Dans ce cas, les débats sont restreints aux sphères gouvernementales et opposent souvent (et seulement) les partis politiques et leurs experts (cas britannique). En revanche, dans le cas où les partenaires sociaux participent aux décisions et, surtout, à la gestion des prestations et à la collecte des cotisations sociales, les débats et les prises de décision engagent un nombre beaucoup plus important d’acteurs, ce qui affaiblit les capacités de contrôle et de réforme des gouvernements. La structure des oppositions politiques peut en être modifiée, les débats opposant moins la gauche et la droite que, d’un côté, les partis de gouvernements, favorables aux réformes qui leur redonneraient une capacité de contrôle sur le système de protection sociale, et, de l’autre, les représentants des salariés, défenseurs du système de protection sociale [27]. Il convient enfin de noter que le mode d’organisation d’un système induit aussi les intérêts d’acteurs spécifiques, dont les ressources sont directement liées à la configuration institutionnelle en vigueur (on pense ici, par exemple, aux positionnements différents des médecins selon le mode d’organisation du système de protection maladie [28] ou bien aux différents liens que peuvent nouer certaines associations avec les dispositifs de protection sociale – cf. l’UNAF et les dispositifs de politique familiale en France).
18 Paul Pierson a aussi pu montrer combien la compréhension des phénomènes d’intégration européenne nécessitait de cerner les intérêts en jeu, mais passait aussi par la prise en compte des dynamiques institutionnelles marquées par l’héritage des politiques précédentes, des strates institutionnelles qu’elles ont engendrées et qui pèsent sur les choix présents [29].
19 Dans le cas des politiques monétaires, la dimension institutionnelle permet à la fois d’établir l’existence de mécanismes d’apprentissage et de montrer quelles étaient les marges de manœuvre des différents États membres au moment des négociations. Ainsi, la mise en place du serpent monétaire, puis du Système monétaire européen dans les années 1970, peut être vue comme un mécanisme typique de sédimentation institutionnelle de mécanismes de coordination des fluctuations monétaires, de dynamiques de socialisation des élites politico-administratives (réunions régulières des gouverneurs des banques centrales nationales ; suivi des politiques monétaires par les chefs d’État et de gouvernement dans le cadre du Conseil européen, etc.) et de pratiques enracinées (réponses simultanées en cas de spéculation, négociations régulières sur les réévaluations monétaires, etc.). L’Union économique et monétaire n’est donc pas apparue ex nihilo, mais elle fut bien le fruit d’un sentier institutionnel initié dans les années 1970 et conçu comme une réponse conjointe des États membres à l’abandon du système de Bretton Woods.
20 Par ailleurs, les mécanismes institutionnels enclenchés dans le cadre du SME, comme ceux qui organisent les dynamiques de révision des traités, peuvent permettre de comprendre comment les États membres sont pris dans un faisceau de ressources et de contraintes qui déterminent les relations de pouvoir dans le cours des négociations et qui institutionnalisent ces relations asymétriques dans la configuration mise en place par le traité de Maastricht. L’étude de Dyson et Featherstone montre ainsi comment le jeu à deux niveaux (domestique, national) qui caractérisa l’élaboration et la mise en œuvre du Traité, reste partiellement analysable par la mise à jour des dynamiques institutionnelles propres au SME et de la position relative des États dans le cours des négociations [30]. Leur analyse du rôle de l’Italie met ainsi en avant les ressources institutionnelles associées à la présidence tournante du Conseil européen, dont firent usage les élites politico-administratives italiennes pour établir des compromis et pour permettre de conserver une place et une influence (même limitées) dans le processus de négociation et dans la mise en place ultérieure du Système européen des banques centrales [31].
La dimension intellectuelle des politiques publiques
21 Restent enfin les éléments cognitifs et normatifs qui correspondent à la dimension intellectuelle de l’action publique (la case « idées »). Pas plus que les autres, cette dimension ne dispose d’une réelle substance aisément repérable empiriquement et théoriquement. Mais si l’on s’appuie ici sur ce que l’on nomme parfois l’approche cognitive et normative des politiques publiques, on pourra identifier une série de notions ou de composantes qui permettent de délimiter et de guider le travail d’enquête, afin de repérer les dimensions cognitives et normatives des processus étudiés. Ainsi, les travaux de Peter Hall, Pierre Muller et Bruno Jobert, tout comme ceux de Paul Sabatier, donnent-ils des précisions, lorsqu’ils se penchent sur les composantes de leurs notions principales, à savoir les paradigmes, référentiels et autres systèmes de croyances [32]. Dans ce dernier cas notamment, Sabatier insiste sur plusieurs dimensions importantes, selon une hiérarchisation qui porte tout à la fois sur le degré d’abstraction et l’extension sociale des éléments constitutifs d’un système de croyances. La première strate, la plus large et la plus abstraite, porte ainsi sur des valeurs fondamentales, qui définissent l’espace du possible, ainsi que des prescriptions normatives très générales. Ce « deep core », que Sabatier assimile explicitement à des croyances religieuses, est notamment constitué de couples antinomiques qui assignent des identités aux acteurs concernés et qui définissent des principes d’action pour l’ensemble du corps social (selon l’opposition, exemplaire chez lui, entre deux valeurs fondamentales, liberté versus égalité). La seconde strate de ce système de croyances, le « policy core », est formée, pour l’essentiel, de diagnostics et prescriptions relatifs à un domaine particulier de l’intervention étatique. Il va s’agir ici de processus de décodage et de recodage, qui tiennent compte des spécificités du secteur ou du champ social concerné pour décliner les principes normatifs et/ou moraux les plus généraux. Enfin, le modèle de Sabatier mentionne des « aspects secondaires », qui recouvrent tout à la fois des éléments de méthode, mais également des indications pratiques sur les instruments mobilisables et sur leurs différents usages possibles. Il faudrait sans doute ajouter les « images » et autres modèles concrets utilisés afin de résumer et représenter, dans sa globalité et dans sa signification, l’ensemble du cadre cognitif et normatif (tel le paysan sur son tracteur pour incarner les politiques de modernisation agricoles étudiées par Pierre Muller).
22 Ainsi, pour travailler sur les transformations des paradigmes des politiques sociales, que ce soit au niveau des modèles promus par les organisations internationales ou bien dans l’analyse des réformes menées par un gouvernement, nous avons identifié cinq dimensions à analyser : les diagnostics des problèmes, les valeurs et objectifs affichés, les normes d’action publique, les instruments et les images ou modèles [33]. Il s’agit ici d’identifier les diagnostics des problèmes avancés (la croissance limitée est-elle un effet d’une demande atrophiée ou d’une offre contrainte, l’augmentation des dépenses de santé est-elle inéluctable ou bien liée au fonctionnement du système de soin, etc. ?), les hiérarchies de valeurs et de principes mis en avant par les acteurs (autour d’oppositions comme équité versus efficacité, liberté versus égalité, etc.), les normes d’action proposées (définissant notamment le rôle et la place de l’État par rapport à d’autres entités comme le marché, la famille ou le tiers secteur), les instruments privilégiés (taux d’intérêt ou déficit budgétaire, mise en concurrence des fournisseurs de soins, passage de la répartition à la capitalisation pour financer les retraites, etc.) et les images (telle la baleine, symbole retenu en 1987 lors des états généraux de la Sécurité sociale pour incarner la Sécurité sociale en danger, qu’il faut sauver) ou bien les pays « modèles », promus pour leur exemplarité et leur capacité à incarner la politique retenue (l’austérité allemande symbolisée par la Bundesbank, le « miracle néerlandais » pour promouvoir des politiques d’emploi actives, le Chili pour promouvoir le système de retraite à trois piliers voulu par la Banque mondiale).
23 La question souvent posée ici à propos de ces éléments cognitifs et normatifs tient à la difficulté de repérer et d’isoler ces principes généraux, ces prescriptions et ces instruments supposés déterminants pour l’analyse des politiques publiques. Claudio Radaelli, en s’appuyant d’ailleurs pour partie sur le modèle de l’advocacy coalition proposé par Sabatier, a montré, à plusieurs reprises, que le repérage de ces éléments pouvait toutefois être fait par l’étude des récits ou « narratives » qui sont tenus par les acteurs [34]. Loin de les considérer comme des rationalisations ex post, ces discours aux statuts divers sont, en effet, à postuler ici comme des « révélateurs » des représentations véhiculées de façon inégalement consciente par les acteurs publics et privés dans un domaine de l’action publique. L’analyse des « récits » formulés par les personnalités politiques et les hauts fonctionnaires ayant participé aux négociations sur l’UEM atteste ainsi du caractère déterminant et récurrent de principes de jugement et de prescriptions inspirés des théories monétaristes, ce que McNamara a pu appeler un « monétarisme pragmatique » [35]. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de postuler la fidélité de ces principes d’action publique aux « récits » scientifiques, pas plus qu’il n’est utile de supposer qu’il s’agit là de structures cognitives et normatives totalement cohérentes et exclusives. Sur le premier point, Bruno Jobert a bien montré, par exemple, que les « récits » portés par les acteurs varient d’un « forum » à l’autre, qu’il s’agisse du forum scientifique, du forum de politiques publiques ou du forum politique. Chacune de ces arènes est marquée, en effet, par des règles du jeu et par des types de relations qui lui sont spécifiques. Ainsi le forum politique est-il déterminé, pour l’essentiel, par les règles et par les séquences propres à la compétition électorale. Il n’est donc pas utile, voire même est-il contre-productif pour un leader politique de tenir un discours à caractère scientifique, sauf à considérer que le discours scientifique lui-même est suffisamment simple et clairement identifié au substrat idéologique caractéristique de l’identité partisane du locuteur concerné [36]. Dans une voie un peu différente, Vivien Schmidt a, quant à elle, suggéré de distinguer les discours politiques de communication, qui visent essentiellement l’électorat et nourrissent une simplification et/ou une radicalisation, et les discours de coordination, formes de « récits » tenus « en interne » à destination des différents acteurs politico-administratifs concernés [37].
24 En outre, comme l’ont montré plusieurs études, les acteurs s’accordent bien souvent sur un socle minimal qui permet des différences d’interprétation souvent profondes, à l’origine de ce que l’on a pu appeler des consensus contradictoires. L’adoption de réformes importantes est souvent marquée, en effet, par de fortes ambiguïtés dans les discours et les idées avancées, ce qui justifie une méfiance envers la prise en compte des idées dans l’analyse des politiques publiques. Comme il a été montré par ailleurs [38], avec ces ambiguïtés, nous touchons pourtant à une des dimensions fondamentales de l’action politique : la logique d’agrégation [39], qui peut nous permettre de comprendre certaines des interactions existantes entre intérêts et idées. L’enjeu pour une réforme comme pour une élection est ainsi de rassembler une majorité d’acteurs. Cette majorité ne peut réunir que des intérêts différents, divergents, voire contradictoires, qu’il s’agit d’agréger. Dès lors, le flou qui entoure le sens des mesures, les interprétations divergentes des solutions retenues n’apparaissent pas comme des parasites à une action claire et rationnelle, mais bien au cœur même de leur fonctionnalité politique. Dans un domaine aussi légitime que la protection sociale et qui engage une telle variété d’acteurs, une mesure qui serait trop univoque ne pourrait être adoptée. Les mesures qui passent sont celles qui ménagent les différents intérêts en jeu grâce à leur propre polysémie, au fait qu’elles font l’objet de plusieurs interprétations possibles. De la même façon, les implications négatives associées à la perte de la souveraineté nécessitaient, pour les élites politiques de l’époque, de manipuler des argumentaires formant comme autant d’oxymores (« créer l’euro, c’est renforcer le franc »…).
25 Dès lors, la formulation des diagnostics, des valeurs ou des normes d’action est moins l’œuvre d’un groupe d’acteurs suffisamment habiles pour présenter les choses de façon à plaire à tout le monde, que de processus qui s’élaborent progressivement au cours d’interactions répétées, où chacun met son veto à certaines orientations et apporte sa propre contribution à d’autres. Observations participantes et entretiens montrent qu’au-delà des prétentions particulières de certains acteurs individuels, il n’est bien souvent pas possible de repérer un groupe homogène d’acteurs (de « médiateurs », pour reprendre la notion de Pierre Muller [40]) qui aurait joué un rôle prééminent dans l’élaboration et l’adoption de ces mesures. À l’inverse, il est possible de repérer des influences multiples, qui sont autant de contributions à la complexité, à la polysémie, mais aussi à l’acceptabilité de ces mesures. Ainsi, le RMI trouve certaines de ses origines et de ses caractéristiques à gauche de l’échiquier politique (plutôt la « deuxième gauche ») [41], mais aussi à sa droite (catholique et familialiste) [42].
26 D’une façon générale, de même qu’au sommet du Mont Gerbier des Joncs, il existe trois sources authentiques de la Loire, il est toujours possible d’identifier plusieurs groupes d’acteurs qui ont contribué à l’élaboration d’une mesure de politique publique et en formulent les idées principales. Ce qui est intéressant à reconstituer est moins la (ou les) source(s) de la mesure, que ce qui a fait confluence, ce qui a permis aux différents ruisseaux de se rejoindre en un fleuve, plutôt que de rester séparés et de retourner en sous-sol. Comprendre pourquoi une mesure de politique publique a été adoptée passe donc par l’analyse de sa capacité à agréger des intérêts divergents, voire contradictoires, par la compréhension de la polysémie de son contenu, qui repose sur ce que Bruno Jobert qualifie d’« idéologie molle » [43]. Plutôt que de chercher à reconstituer le sens d’une mesure au moment de son élaboration et de son adoption, il convient, dès lors, d’en saisir les sens possibles, afin de comprendre comment un consensus ambigu a pu se créer autour de cette mesure.
Formuler un faisceau d’hypothèses concurrentes ou complémentaires
27 Décomposer l’objet en utilisant ces « trois I » paraît une démarche nécessaire, mais non suffisante. Cette phase préalable vise, en effet, simplement à constituer une palette d’éléments utiles à l’analyse, mais elle ne dit rien sur les processus étudiés, qui forment le véritable « puzzle » de la recherche. Car la généralisation des observations ne peut porter sur des éléments statiques, mais doit conduire à éclairer les dynamiques qui régissent les modes de régulation des problèmes et des secteurs sociaux. L’analyse des politiques publiques est ainsi, sans doute pour l’essentiel, l’analyse de plusieurs processus principaux, déjà bien identifiés par la grille séquentielle : l’activation de l’espace politico-administratif par la problématisation de faits ou d’intérêts sociaux ; le processus d’élaboration, de discussion et de négociation des solutions possibles ; le processus de décision lui-même, qui voit le système politique tenter d’apporter une « réponse » aux pressions sociales, que celles-ci résultent d’un effet structurel (changement démographique), d’un événement soudain (catastrophe naturelle) ou d’une mobilisation collective ; la mise en œuvre des politiques publiques, qui est souvent vue comme une dynamique ambiguë de traduction/trahison des choix formulés par les autorités investies de puissance gouvernementale [44].
28 Pour mieux éclairer ces dynamiques, les « trois I », parce qu’ils reposent précisément sur des courants de recherche existants, permettent de mobiliser plusieurs hypothèses que l’on doit considérer a priori comme étant alternatives ou complémentaires, plutôt que de les voir comme radicalement incompatibles. Autrement dit, chacun des « trois I » va nourrir une interrogation particulière sur le processus observé. La hiérarchisation des variables et la tentative d’explication causale se feront a posteriori, une fois l’analyse menée, sous la forme d’une généralisation inductive.
Les stratégies des acteurs
29 Se placer dans une logique de choix rationnel rend, par exemple, possible la mobilisation des analyses classiques de Mancur Olson sur les logiques de l’action collective [45] et permet d’interroger les limites de l’action collective et les mécanismes incitatifs qui ont pu guider les mobilisations sur le terrain concerné. Quels éléments incitèrent, par exemple, les acteurs financiers à se mobiliser en Grande-Bretagne en faveur d’une intégration à la « zone euro » ? Quelles stratégies (communication, pressions diverses, négociations, etc.) ont-ils développé vis-à-vis des acteurs politico-administratifs ? Comment le jeu à deux niveaux de la négociation a-t-il pu permettre aux élites politiques italiennes de convertir la faiblesse de leur légitimité domestique en une ressource au niveau européen ? Quels changements de préférence peuvent expliquer les ruptures stratégiques opérées récemment par plusieurs syndicats patronaux en Europe dans la perspective d’une redéfinition du partenariat social ?
30 En matière de politique sociale, un ensemble de travaux américains fondés sur le modèle du choix rationnel a pu montrer récemment que les employeurs avaient parfois intérêt à développer certaines politiques sociales, aussi bien pour mutualiser le risque (notamment, l’accident du travail) que pour organiser une gestion à moyen terme de la main d’œuvre (qu’il s’agit notamment de fidéliser) [46]. Les hypothèses sont ici formulées à partir de la compréhension de l’influence des institutions politiques et économiques liées aux différentes formes des capitalismes qui se sont développés à partir de l’après Seconde Guerre mondiale. L’hypothèse plus générale retenue est que, selon le type de qualification nécessaire pour l’activité économique (qualification générale ou bien très spécialisée), les acteurs économiques auront, plus ou moins, intérêt à développer des avantages sociaux pour les salariés [47].
31 Autre exemple d’hypothèses possibles liées à l’activation de la variable « intérêt », l’emploi de théories éprouvées, comme le modèle « principal-agent ». Cette forme de théorisation des interactions entre n acteurs (généralement deux au moins par simplification et par hypothèse) est actuellement très utilisée, spécialement dans le cadre européen pour tenter de montrer comment fonctionnent les interactions entre les acteurs domestiques et les institutions communautaires. Les acteurs nationaux, supposés constituer les « principals », confient, en effet, aux différentes institutions communautaires un certain nombre de fonctions par délégation, qui en font des « agents ». Ce modèle est précieux, car il permet de voir en amont de l’action quels sont les mécanismes de sanction mis en place par les « principals » pour s’assurer d’opérations conformes à la délégation du côté des « agents ». Ainsi, la Banque centrale européenne a-t-elle été étudiée, notamment par Robert Elgie, comme un « agent » des États membres, dont les actions sont déterminées en amont par les dispositions juridiques figurant dans les traités, avec des mécanismes de contrôle mis en place pour sanctionner d’éventuelles déviances [48]. Dans cette perspective, les dynamiques évolutives de l’UEM restent plus particulièrement guidées par un jeu complexe d’interactions entre les préférences changeantes des États membres et les logiques institutionnelles qui déterminent les politiques monétaires et qui délimitent le champ d’influence de la Banque centrale européenne. En focalisant l’attention sur les dispositifs institutionnalisés de délégation et de contrôle mis en place par les « principals » (les États membres) à l’égard de l’agent (la BCE), le modèle permet, en définitive, de circonscrire les ressources respectives des organisations concernées et de voir en quoi et pourquoi leur activation peut conduire à une redéfinition constante des relations de pouvoir dans ce domaine particulier de l’action publique. Pour certains auteurs, c’est ainsi le caractère excessif et impraticable au concret des mécanismes de contrôle prévus (telle la révision des traités comme arme de dissuasion ultime, une arme qui nécessite l’unanimité) qui a nourri l’autonomisation sans cesse accrue de la BCE au sein du système politico-administratif européen.
Les dynamiques institutionnelles
32 Autres dynamiques, autres hypothèses : celles des variables et théories institutionnelles. L’intérêt des approches néo-institutionnalistes est de fournir ici un ensemble d’éléments permettant de comprendre pourquoi, malgré l’intérêt de certains acteurs économiques (comme les grandes firmes multinationales) ou politiques (comme des gouvernements conservateurs ultra-libéraux), malgré certaines révolutions idéologiques, certains changements de politiques publiques ne paraissent pas possibles. Les intérêts (du capital) et/ou les idées (néo-libérales) ne peuvent, à eux seuls, rendre compte des dynamiques récentes des politiques publiques, marquées par une absence de convergence et de fortes continuités sectorielles ou nationales. Malgré la globalisation, malgré le tournant néo-libéral, chaque pays semble, en effet, préserver les traits spécifiques qui caractérisent ses politiques publiques.
33 Pour comprendre ces processus, l’une des notions les plus connues et les plus employées ici est sans doute l’idée de « dépendance au sentier » (path dependence) réactualisée par Paul Pierson [49], s’appuyant notamment sur des travaux d’Arthur Stinchcombe dans les années 1960 et de Douglass North dans les années 1990. Utiliser cette notion permet d’identifier et d’analyser les formes prises par des processus de cristallisation et de sédimentation de règles et de pratiques, qui vont limiter les possibilités d’action des acteurs publics et privés concernés. Elle permet ainsi de faire un certain nombre d’hypothèses sur l’influence possible des institutions identifiées dans le premier temps de la recherche.
34 La notion de path dependence est issue de l’économie et s’inscrit notamment dans une perspective critique de la théorie classique et de certains de ses présupposés associés à l’idée d’un équilibre général et aux dynamiques de rendements décroissants. Certains économistes, comme Douglass C. North [50] par exemple, partent ainsi du constat que les choix retenus initialement tendent à perdurer et à produire des effets cumulatifs (des rendements croissants) et ce, même si l’on connaît une solution plus efficace (en matière de technologie, de nouveaux produits ou de localisation, par exemple). Pour North, ce phénomène de « dépendance au sentier » [51] tient cependant moins aux technologies elles-mêmes qu’au comportement des individus au sein des institutions. Changer signifierait ainsi perdre l’amortissement et les rendements croissants des investissements de départ et supposerait d’investir à nouveau ; il faudrait aussi reprendre les processus d’apprentissage : ce serait risquer de ne plus être coordonné avec les autres institutions ; il faudrait enfin modifier ses anticipations et être capable de prévoir les nouveaux comportements adaptés. Paul Pierson a repris ces analyses pour montrer que « les choix initiaux en matière de design institutionnel ont des implications de long terme en matière de performance économique et politique » [52]. Les processus de développement institutionnels subissent ainsi les contraintes posées par les règles choisies précédemment, ce qui signifie, pour l’analyse de l’action publique, de bien montrer comment les politiques publiques passées et les institutions structurent les incitations et les ressources présentes. Avec le temps, il devient de plus en plus coûteux (voire impossible) de ne pas respecter les règles et les normes posées par les choix politiques précédents (ce qui interdit toute forme d’exit option), de chercher à revenir sur les options institutionnelles passées. Créer de nouvelles institutions alternatives générerait des coûts élevés en matière d’investissement (d’attention et de capital politique) de départ, d’apprentissage, de coordination et d’anticipation. C’est pourquoi il semble le plus souvent préférable d’adapter les institutions existantes plutôt que de les remplacer par de nouvelles. En outre, Paul Pierson souligne que les dynamiques des intérêts et celles des représentations collectives sont, elles aussi, caractérisées par des phénomènes de rendements croissants.
35 Les processus de mobilisation collective, bien que marqués par les « problèmes de l’action collective » analysés par Mancur Olson [53], qui, théoriquement, rendent toute mobilisation improbable, car non rationnelle, sont en fait rendus possibles par des phénomènes de rendement croissant : la mobilisation d’un individu dépend beaucoup de l’action des autres. La coordination de l’activité de nombreuses personnes est un des enjeux principaux de la vie politique. Dès lors, Pierson conclut à l’importance des contraintes de coordination et d’anticipation adaptative en matière d’action collective. Ces mécanismes de « rendement croissant » en matière d’action collective sont en particulier très importants dans le domaine de la Sécurité sociale en France. Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer le nombre et la fréquence des mobilisations de défense de la Sécurité sociale déclenchées par les syndicats de salariés, dont les manifestations sont devenues des réactions quasiment institutionnalisées aux propositions de réformes, et les difficultés à mobiliser pour défendre de nouveaux arrangements de la part de partis politiques ou de syndicats proposant des réformes.
36 Les processus cognitifs d’interprétation et de légitimation collective des enjeux et de la vie politique sont, eux aussi, sujets à des effets d’auto-renforcement. Le développement et la diffusion d’interprétations sociales et politiques communes impliquent des coûts d’investissement et d’apprentissage élevés. Les représentations sont partagées avec les autres acteurs sociaux d’une façon qui engendre des effets de coordination (nécessité de partager des analyses et un langage communs) et d’adaptation par anticipation au point de vue des autres. Une fois établies, les conceptions politiques de base sont généralement tenaces – Paul Sabatier assimilant, on l’a vu, le changement du « deep core » d’un système de croyances à une conversion religieuse – et favorisent la continuité. Cet aspect des processus politiques ne concerne, en outre, pas seulement les représentations des élites et des experts, il touche aussi l’ensemble de la population. Il implique, par conséquent, que les gouvernements doivent souvent chercher d’abord à changer les points de vue avant de changer de politiques publiques ou d’institutions de protection sociale.
37 Cependant, la référence à la path dependence a trop souvent conduit les recherches néo-institutionnalistes à insister sur les continuités sans parvenir à rendre compte des changements institutionnels. Les travaux de Kathleen Thelen, qui restent inscrits dans une approche néo-institutionnaliste, cherchent à sortir de cette incapacité à penser le changement en identifiant différents types de dynamiques d’évolution possibles des institutions, qui fournissent autant d’hypothèses sur les dynamiques institutionnelles [54]. Elle souligne ainsi que les approches néo-institutionnalistes considèrent les interactions entre institutions et intérêts de façon trop unilatérale, insistant sur les déterminations que les institutions font peser sur les intérêts. Pourtant, les institutions opèrent non seulement comme des contraintes, mais aussi comme des ressources stratégiques pour les acteurs qui réagissent à un changement du contexte politique et/ou économique, offrant de nouvelles opportunités ou lançant de nouveaux défis. À côté des phénomènes d’inertie institutionnelle, Kathleen Thelen a, dès lors, identifié au moins deux processus à travers lesquels les institutions évoluent de façon incrémentale, mais profonde. Il s’agit, en premier lieu, des dynamiques d’adjonction institutionnelle (layering) et, en second lieu, des dynamiques de conversion institutionnelle, qui forment autant de processus à travers lesquels les arrangements institutionnels sont renégociés périodiquement d’une façon qui altère leurs formes et leurs fonctions. Kathleen Thelen fait l’hypothèse que des arrangements institutionnels peuvent progressivement remplir des fonctions qui sont très éloignées de celles pour lesquelles ils étaient initialement conçus par leur promoteur, notamment parce qu’ils peuvent devenir des ressources (plutôt que de simples contraintes) pour des acteurs qui contestent les types de pratiques considérées comme appropriées ou souhaitables. Ainsi, la stratégie de la Banque centrale européenne a-t-elle été partiellement facilitée par l’étendue des ressources disponibles (autonomie décisionnelle, absence de sanctions effectivement utilisables par les États membres, etc.), ce qui lui a permis de capitaliser sur les choix institutionnalisés par le traité de Maastricht et d’étendre ainsi ses prérogatives (définition indépendante d’un seuil d’inflation à 2 %, par exemple).
38 De manière plus précise, la notion d’« adjonction institutionnelle » (institutional layering) implique la renégociation partielle de quelques éléments d’un ensemble donné d’institutions, laissant les autres inchangés, ou bien l’ajout de nouvelles institutions à côté de celles déjà existantes, cet ajout altérant progressivement l’ensemble de l’édifice institutionnel. Les innovateurs institutionnels se sont accommodés et ont adapté leurs préférences et leurs stratégies à la logique du système préexistant, en contournant les éléments qu’ils ne pouvaient pas changer. La « conversion institutionnelle » implique, quant à elle, que des institutions existantes sont réorientées vers de nouveaux objectifs conduisant à des changements dans le rôle qu’elles jouent et/ou des fonctions qu’elles assument. Ces processus peuvent être mis en mouvement par un changement dans l’environnement qui confronte les acteurs à de nouveaux problèmes, qu’ils traitent en utilisant différemment les institutions existantes. Autre input possible, l’incorporation de partis ou de groupes, antérieurement marginaux, qui réorientent les institutions existantes ou héritées vers de nouvelles finalités [55]. La création d’un « gouvernement économique » au sein de l’UE répondrait à la première logique ; les élargissements successifs de la zone euro peuvent correspondre à la seconde dynamique identifiée.
39 À partir de ces premiers travaux, Kathleen Thelen et Wolfgang Streek ont mis en place une analyse systématique des changements institutionnels, qui permettent d’identifier cinq grands types de changements institutionnels : déplacement, adjonction, glissement, conversion, épuisement (displacement, layering, drift, conversion, exhaustion) [56]. Ces travaux permettent ainsi de diversifier les hypothèses quant au type de transformation institutionnelle que l’on peut rencontrer au moment d’une étude particulière. Enfin, ces analyses présentent l’avantage de prendre en compte aussi bien l’importance des usages stratégiques des institutions que les transformations de celles-ci, l’une de leurs limites restant toutefois de négliger souvent la dynamique propre à la dimension intellectuelle des politiques publiques.
Changement cognitif et normatif et changement de politiques publiques
40 La mobilisation des « matrices cognitives et normatives » peut, dès lors, permettre de compléter les hypothèses précédentes en s’interrogeant sur les changements de croyances et de représentations, ainsi que sur leurs conséquences pour l’action publique. Peter Hall a, par exemple, développé l’idée que des changements de paradigme de politiques publiques peuvent s’analyser à la façon dont Thomas Kuhn a étudié les révolutions scientifiques [57]. Face à de nouveaux problèmes, les gouvernements reproduisent, en effet, d’abord les diagnostics traditionnels et les politiques éprouvées, en modifiant seulement le niveau d’utilisation des instruments à leur disposition (changements de politiques de premier ordre). Ces actions produisent cependant, parfois, des conséquences non voulues et/ou se révèlent incapables de résoudre les problèmes posés, comme Peter Hall le montre lui-même avec les effets désastreux des plans de relance d’inspiration keynésienne initiés par le gouvernement britannique dans les années 1970 [58]. La persistance des problèmes apparaît dès lors comme une « anomalie » par rapport aux façons habituelles de faire et de penser. Des tentatives d’adaptation peuvent être engagées, notamment en créant de nouveaux instruments (processus d’apprentissage, qui entraînent un changement de politiques de second ordre). Si les problèmes persistent et se développent, les cadres d’interprétation et d’action peuvent enfin être remis en cause, ouvrant une période de crise et d’incertitudes normatives, en particulier lorsque d’autres façons de faire et de penser existent déjà, qui forment ainsi un stock de diagnostics alternatifs et de prescriptions différentes au sein duquel les acteurs vont puiser les nouveaux ressorts de leur action. Si l’opportunité politique se présente, autrement dit, si ces diagnostics et ces recettes sont saisis par les acteurs politico-administratifs, ces nouvelles conceptions de l’action publique peuvent alors être, peu à peu, amenées à prendre la place du paradigme précédent (changement de politiques de troisième ordre).
41 Sur une base initiale similaire, Bruno Jobert a pu également montrer comment ces changements paradigmatiques sont susceptibles de se produire [59]. Selon lui, le nouveau référentiel n’était, en effet, pas immédiatement lisible, notamment parce qu’il n’existe pas de véritable scène politique globale où la cohérence d’ensemble des différentes politiques autour d’une doctrine unique et homogène serait identifiable. Il faut, dès lors, plutôt étudier les interactions et les articulations des trois « forums » déjà évoqués : forum scientifique (où sont imposées les analyses des problèmes), forum de la communauté des politiques publiques (où sont discutées les recettes et les solutions) et forum de la rhétorique politique (où se déterminent les opportunités d’agir ou non). Chacune de ces sphères où s’affrontent différentes visions du monde obéit à des logiques particulières. La logique du forum scientifique est déterminée par la production d’un paradigme scientifique dominant. Au sein de la communauté des politiques publiques, qui regroupe l’ensemble des experts administratifs ou indépendants, la logique vise à élaborer et fournir au politique des recettes pour l’action. Enfin, la logique qui structure les discours dans la sphère de la communication politique est celle de la rhétorique politique pour la conquête du pouvoir, qui doit agréger différents intérêts pour devenir majoritaire.
42 Cette vision générale de la façon dont changent les paradigmes de politiques publiques permet notamment de comprendre la crise et les transformations actuelles de l’État providence. Dans plusieurs pays européens, l’usage keynésien des politiques sociales à la fin des années 1970 s’est soldé par un échec économique profond et traumatisant. Les expériences de relance économique fondées sur une augmentation des prestations sociales qui furent, par exemple, tentées en France, en 1974-1975 et en 1981-1982, n’aboutirent pas aux résultats escomptés. Elles permirent effectivement une relance de la consommation, mais celle-ci bénéficia, pour l’essentiel, aux produits importés et ne déboucha ni sur une reprise de l’activité économique nationale, ni sur des rentrées fiscales plus importantes. Résultat : les déficits publics se creusèrent inexorablement, la balance commerciale devint très déficitaire, les taux de change défavorables. Pour y faire face, les dévaluations du franc se succédèrent, les taux d’imposition furent augmentés, l’inflation augmenta en même temps que le chômage s’accrut. Le terme de stagflation apparut alors pour désigner une situation qui mêlait stagnation économique, chômage et inflation, en contradiction complète avec un certain nombre de théories et de prescriptions politiques d’inspiration keynésienne, notamment la courbe de Phillips. On peut de même citer le cas du gouvernement travailliste britannique qui, après avoir mené une politique de relance fondée sur la hausse des prestations sociales, fut conduit, en 1979, à devoir emprunter au FMI de quoi rembourser une dette publique devenue insupportable.
43 La mise en œuvre des recettes (keynésiennes) traditionnelles du passé débouchait ainsi sur des résultats inattendus, anomalies qui remirent en cause le cadre général de l’action publique. Suite aux mécanismes analysés en détail par Bruno Jobert et son équipe, de nouvelles politiques macro-économiques devinrent progressivement la norme en Europe, placées sous le signe de la rigueur budgétaire, de la modération salariale, du monétarisme et de la compétitivité des entreprises. La mise en place du marché unique européen et les critères du traité de Maastricht, puis du pacte de stabilité et de croissance sont, de ce point de vue, significatifs de l’adoption collective d’un nouveau modèle de politique économique, différent des politiques keynésiennes : il s’agit de politiques de l’offre (monétaristes, néo-classiques) qui promeuvent la libre concurrence (dérégulation, flexibilisation), qui reposent sur l’orthodoxie budgétaire (dette et déficits réduits, taux d’intérêts bas, taux d’inflation réduits) et qui s’appuient sur une configuration institutionnelle particulière (indépendance de la banque centrale, renforcement du rôle des agences, régulation par le droit, etc.).
44 Alors que ce « tournant néo-libéral » en Europe a commencé dès la fin des années 1970 et s’est effectué tout au long des années 1980 en matière de politiques économiques dans les différents pays européens, les politiques sociales ont longtemps continué de fonctionner sur les logiques du passé (keynésien). Par là même, ces politiques sociales se sont trouvées en crise, caractérisées par un décalage croissant avec les logiques (économiques) globales nouvelles. Pour résoudre la crise née de ce décalage entre politiques économiques et politiques sociales [60], il s’agit, dès lors, d’adapter les systèmes de protection sociale à une politique d’offre (supply side) et non plus de demande. Selon les nouvelles normes en cours d’élaboration, l’État providence doit, par conséquent, être mis au service de la compétitivité et les réformes rendre les systèmes de protection sociale plus favorables à l’emploi. Les changements entrepris conduisent ainsi à une réduction du coût des politiques sociales (notamment, les charges sociales qui pèsent sur le travail) et doivent également s’appuyer sur des incitations au retour à l’emploi. La solution qui aurait consisté à démanteler purement et simplement l’État providence, bien que réclamée par les ultra-libéraux, n’est pas à l’ordre du jour, aussi bien du fait des résistances institutionnelles et politiques que de l’attachement des Européens à leur « modèle social ». Dès lors, la recherche d’un système de protection sociale qui soit plus favorable à l’emploi est devenue un trait commun des réformes conduites, relayée d’ailleurs par les analyses menées au sein de l’Union européenne.
45 Il reste toutefois que, s’il est sans doute possible de « lire » cette tendance commune à la plupart des réformes des différents secteurs de la protection sociale (réforme des modalités d’indemnisation du chômage [61], réforme des retraites [62], réforme des systèmes de santé [63]), le seul récit des interactions entre évolutions du paradigme des politiques économiques et du paradigme des politiques sociales ne vaut pas explication. Celle-ci passe plus généralement par une compréhension de l’articulation entre dynamiques stratégiques, institutionnelles et intellectuelles.
Hiérarchiser le poids des variables ou le retour des séquences
46 Le fait de vouloir combiner les variables et les hypothèses déduites de ces « trois I » ne signifie pas qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les dynamiques explicatives avancées. Simplement, l’intérêt de ce mode d’enquête est de ne pas présupposer la prévalence des intérêts, des institutions ou des idées, mais d’examiner a posteriori quelles sont les dynamiques pertinentes. Il ne s’agit donc pas de considérer a priori que seules les interactions stratégiques doivent faire l’objet d’investigations, les autres dynamiques étant secondaires ou marginales, mais de voir si ce sont bien les logiques de l’action collective ou les échanges de « coups » entre les acteurs concernés qui éclairent de manière pertinente la décision adoptée et le processus enclenché. Symétriquement, il ne s’agit pas de postuler qu’un simple changement de « l’air du temps », marqué par l’émergence de nouvelles croyances dominantes, suffit à expliquer un mouvement de réformes substantiel. Il faut, au contraire, montrer en quoi et pourquoi les idées « ne flottent pas librement », pour reprendre l’expression de Thomas Risse [64], et s’attacher à cerner les modalités variables d’institutionnalisation et les processus de mobilisation qui sont attachés à ces mécanismes cognitifs et normatifs.
47 La dernière opération attachée à cet usage « des trois I » consiste, dès lors, à bien spécifier à quel moment les dynamiques intellectuelles, institutionnelles ou stratégiques paraissent avoir un poids explicatif important, en procédant à un séquençage des variables et des hypothèses formulées. La façon dont le séquençage est effectué dans la recherche dépend évidemment du domaine et de la période étudiés, mais il a toujours pour but de montrer que les interactions entre les dimensions de l’analyse sont, tout à la fois, constantes et diversement hiérarchisées. La mobilisation des données empiriques montre, en effet, qu’à un instant t et/ou dans un espace donné, l’évolution des politiques publiques est déterminée tout à la fois par des conduites stratégiques, des logiques institutionnelles et des dynamiques cognitives et normatives, mais également, qu’à ce même instant t et/ou dans un espace donné, l’un des « trois I » tend à impulser le mouvement au détriment des deux autres dimensions retenues.
Les « trois I » et les quatre séquences de politiques publiques
48 L’une des façons les plus évidentes de mobiliser les « trois I » pour « découper » le processus de politique publique étudié s’appuie sur la grille séquentielle forgée par Jones, qui divise en quatre ou cinq phases principales la dynamique d’ensemble des politiques publiques : l’émergence du problème public, son inscription sur l’agenda, la décision, la mise en œuvre et (éventuellement) l’évaluation [65]. Croiser cette grille initiale avec les « trois I » vise, ici, à voir comment, pour chaque séquence, s’articulent et se hiérarchisent les trois dynamiques susceptibles d’expliquer les processus étudiés.
49 L’analyse des réformes du système français de protection sociale peut servir d’exemple ici, notamment parce que l’interprétation de ces changements de politique publique conduit à remettre en cause l’idée communément admise de l’inertie institutionnelle qui serait caractéristique de ce secteur particulier de l’action publique [66]. Pour saisir ces transformations et s’affranchir des hypothèses uniquement centrées sur l’identification de chemins de dépendance, il paraît dès lors nécessaire de suivre tout à la fois les dynamiques stratégiques, institutionnelles et intellectuelles qui ont permis d’opérer des changements au sein des dispositifs de protection sociale en France. Plusieurs mesures, progressivement établies, ont ainsi alimenté, ces dernières années, une transformation profonde du système français de protection sociale : mise en place d’une nouvelle prestation – le Revenu minimum d’insertion (RMI) –, d’une nouvelle forme de financement de la protection sociale – la Contribution sociale généralisée (CSG) –, développement de nouvelles procédures de décision, dont le vote, par le Parlement, de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Croiser les « trois I » et le séquençage traditionnel de l’action publique conduit alors à comparer, de façon systématique, les processus stratégiques, institutionnels et intellectuels qui ont permis l’adoption et la mise en œuvre de ces instruments, en décomposant ces processus en phases identifiables et comparables : la construction du diagnostic des problèmes, l’élaboration des solutions, l’adoption des mesures, leur mise en œuvre. La question devient alors de savoir si, dans les différents cas de changements de politiques, chacune de ces phases partage des caractéristiques communes ou est marquée, au contraire, par une dynamique particulière, ce qui permettrait de dessiner les traits généraux des processus politiques de changements de politiques de protection sociale. La comparaison des processus enclenchés montre alors que, dans tous les cas de figure étudiés, les changements d’institutions et de logiques de protection sociale ne passent pas par la prise de pouvoir de nouveaux acteurs, ni par un changement idéologique radical et explicite, mais plutôt par l’introduction, d’abord marginale, de nouveaux instruments de politiques publiques [67]. Chacune des phases identifiées est ainsi marquée par un processus commun qui combine de façon particulière les dynamiques mentionnées précédemment.
La construction du diagnostic des problèmes
50 Les nouveaux instruments ne peuvent être introduits que sur la base de l’invalidation des façons de faire passées. Tout changement profond de politique sociale repose ainsi sur un diagnostic de la situation présente, remettant en cause les instruments choisis dans le passé. C’est ici la logique de mobilisation des acteurs qui semble permettre cette évolution, les acteurs de la société civile se mobilisant pour faire prendre en charge les problèmes de la nouvelle pauvreté par le biais du RMI, tandis que les acteurs économiques, notamment le patronat, lancent la « bataille des charges », afin d’obtenir un changement dans le mode de financement de la protection sociale. Pour leur part, les hauts fonctionnaires développent une série d’argumentaires qui visent à délégitimer le rôle des partenaires sociaux dans la gouvernance de la protection sociale en France [68].
L’élaboration des solutions
51 Lors de la seconde phase, il est possible de voir que les nouveaux instruments sont bien plus souvent conçus par opposition aux façons de faire du passé, que pour résoudre les problèmes présents. On voit ici peser les logiques institutionnelles du passé, dans une dynamique assez proche de l’incrémentalisme classique, où les institutions présentes formatent les intérêts tout comme les réflexions pour construire des solutions nouvelles sur la base d’un mécanisme « essai/erreur » [69]. Autant Paul Pierson a pu insister sur les effets de « retour positifs et auto-renforçants » (positive return) des institutions, autant, ici, on voit un effet en retour négatif de contraposition, impliqué par les configurations institutionnelles des politiques sociales passées.
L’adoption des mesures
52 Si la plupart des acteurs concernés sont favorables aux nouvelles mesures, c’est le plus souvent pour des raisons bien différentes et, parfois, contradictoires. On a déjà pu faire allusion au phénomène de consensus contradictoire qui nous semble dominer la phase d’adoption des recettes d’action publique. Celle-ci est marquée, en effet le plus souvent, par la combinaison paradoxale de logiques d’intérêts et de paradigmes des politiques publiques. Des coalitions inattendues peuvent alors se former et conduire à légitimer des choix politiques qui ne sont donc pas uniquement explicables en termes de coûts et de bénéfices rationnellement identifiables pour les acteurs concernés.
La mise en œuvre
53 Dans une dernière phase, les nouvelles façons de faire sont introduites « à la marge » du système, mais vont progressivement affecter tout à la fois les représentations jusque-là dominantes, les configurations institutionnelles existantes et les préférences des acteurs. Dans la mesure où elles portent une logique propre et différente des façons de faire et de penser traditionnelles et dans l’hypothèse où elles peuvent se développer jusqu’à prendre une importance significative, elles tendent, en effet, à diffuser une nouvelle logique au sein du système. C’est donc ici la dynamique d’évolution institutionnelle qui l’emporte, puisqu’il s’agit de phénomènes d’adjonction institutionnelle, tels que Kathleen Thelen les a conceptualisés.
Séquençage par temporalité
54 Une autre forme de séquençage possible repose sur l’idée que chacune des trois séries de dynamiques identifiées est régie par une temporalité différente. Pour paraphraser les catégories employées par Fernand Braudel, on peut établir ici que les « idées » sont rythmées par un temps long, les « intérêts » par un temps court et les institutions par une temporalité intermédiaire. Conformément à l’intuition de Paul Sabatier, les « idées » sont, en effet, les variables les moins susceptibles de changer, au moins dans le court laps de temps sur lequel portent la plupart des travaux. Leurs transformations, assimilées à une « conversion religieuse » on l’a vu, supposent des changements structurels importants (une nouvelle hiérarchie entre l’État et le marché, l’affirmation ou le déclin relatifs de certaines classes sociales, un changement démographique profond, etc.), qui vont amener les individus et les groupes sociaux à se positionner différemment dans le corps social et à modifier progressivement leurs représentations et leurs croyances fondamentales. Certains travaux soutiennent ainsi l’idée que le changement de paradigme, considéré comme caractéristique des années 1980, fut « préparé » dans les années 1970 par les transformations profondes intervenues dans l’économie avec les chocs pétroliers, la crise durable de la croissance et la déstabilisation du système monétaire international caractérisée par l’abandon des règles fixées après guerre à Bretton Woods. À l’inverse, les « intérêts », notamment parce qu’ils se définissent souvent dans l’interaction, s’inscrivent plus systématiquement dans une temporalité courte, marquée par les échanges de coups, la recherche des compromis et la conclusion d’alliances. L’hypothèse, parfois formulée par les travaux issus du choix rationnel, du caractère stable et durable des préférences paraît, de ce point de vue, peu convaincante, y compris d’ailleurs dans les études de cas qui s’inscrivent explicitement dans cette perspective [70]. Enfin, on peut établir que les logiques institutionnelles sont plus généralement déterminées par des temporalités « moyennes », dans la mesure où les logiques d’institutionnalisation des dispositifs d’action demandent du temps (procédures administratives, déblocage des crédits, formation des personnels, etc.). Autre illustration, les hypothèses liées à la notion d’apprentissage, très fortement présentes dans les travaux développant une perspective institutionnaliste, reposent toutes, peu ou prou, sur l’idée de changements incrémentaux, les dispositifs d’action publique évoluant à la marge, comme l’ont montré Wildavsky pour la procédure budgétaire ou Pierson pour les politiques sociales.
55 Si l’on examine dans cette perspective temporelle l’Union économique et monétaire, on peut montrer ici que le poids des « idées » s’inscrit bien dans une double dynamique de « temps long ». L’idée de l’intégration européenne et le respect de la logique continue d’approfondissement guident, tout d’abord, les leaders politiques, alimentant la conviction qu’un échec n’est pas possible, dans un contexte marqué en outre par la réunification allemande et la dislocation du bloc soviétique. Par ailleurs, l’enracinement progressif des principes d’action monétaristes confère également un « sens » aux négociations entreprises en vue de la création d’une monnaie unique [71]. Autre élément déterminant, le succès du Système monétaire européen (aucun changement des parités monétaires n’a eu lieu de 1987 à 1992) a déterminé une logique d’apprentissage en « socialisant » les gouverneurs des banques centrales nationales dans ce contexte, en développant une expertise particulière dans la gestion commune des crises financières et en modifiant les stratégies des acteurs financiers. Ces deux éléments préalables aux négociations elles-mêmes ne suffisent cependant pas à éclairer la conclusion du traité de Maastricht. L’examen du processus montre, en effet, que le contenu même de l’Union économique et monétaire a été largement déterminé par les négociations entre États membres : d’abord pour définir le cadre général du processus, domaine où la position forte de l’Allemagne dans les négociations a pesé sur le mimétisme avec le modèle de la Bundesbank ; ensuite, pour la mise au point des règles communes, le seuil des 3 % de déficit public ayant, semble-t-il, été fixé au cours de la négociation à l’initiative de François Mitterrand, alors que les discussions paraissaient bloquées. Par la suite, la logique institutionnelle paraît à nouveau pertinente pour examiner la structuration progressive du Système européen des banques centrales (SEBC), ainsi que pour comprendre les logiques d’intégration de la contrainte européenne dans les contextes domestiques [72].
56 Bien d’autres découpages sont sans doute encore imaginables pour permettre de considérer la façon dont se combinent les dynamiques stratégiques, institutionnelles et intellectuelles des politiques publiques. On peut notamment aussi penser à un découpage temporel qui distingue différentes périodes du cycle de vie d’une politique publique passant, tour à tour, par une phase d’émergence, d’institutionnalisation, de remise en cause et, enfin, de réforme, éventuellement suivie d’une phase de déclin ou de disparition du programme.
57 **
58 Les « trois I », plus qu’un véritable modèle d’analyse, reposent donc sans doute encore une fois avant tout sur cette volonté exprimée par Peter Hall de croiser les « tendances » repérables dans la littérature contemporaine sur l’analyse de l’action publique. Le constat initial semble évident, qui vise à combiner les variables explicatives centrées sur les intérêts, les idées et les institutions, toujours présentes dans les recherches sur l’action publique et, le plus souvent, opposées. La richesse des hypothèses associées est également stimulante, notamment parce qu’elle oblige à une construction de l’objet qui prenne en compte une dimension temporelle longue et parce qu’elle facilite l’entreprise comparative en valorisant les éléments transversaux aux cas étudiés. Enfin, l’un des intérêts principaux de ces problématiques croisées est sans doute moins dans la volonté de créer un nouvel appareil (théorique ou ménager ?) dominant, que de vouloir s’abstraire de discussions théoriques récurrentes, souvent stériles et empiriquement peu fondées. Reste donc à établir plus fermement l’articulation des variables, à mieux combiner les hypothèses diverses puisées dans chacun des « trois I » et à réfléchir plus systématiquement au séquençage. Et surtout, reste à fonder empiriquement la pertinence (et les limites) de cette approche, seul test véritable de ces propositions théoriques.
Notes
-
[1]
Charles O. Jones, An Introduction to the Study of Public Policy, Belmont, Duxbury Press, 1970.
-
[2]
Cf. l’article de Sylvain Brouard et Richard Balme dans ce numéro.
-
[3]
Peter A. Hall, Rosemary Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », Revue française de science politique, 47 (3-4), juin-août 1997, p. 469-496.
-
[4]
Cf., par exemple, Peter A. Hall, Governing the Economy : The Politics of State Intervention in Britain and France, Oxford, Oxford University Press, 1986.
-
[5]
Cf. Hugh Heclo, « Ideas, Interest, and Institutions », dans Lawrence Dodd, Calvin Jillson (eds), The Dynamics of American Politics. Approaches and Interpretations, Boulder, Westview Press, 1994.
-
[6]
James March, Johan Olsen, Rediscovering Institutions : The Organisational Basis of Politics, New York, Free Press, 1989.
-
[7]
Peter A. Hall, « The Role of Interests, Institutions, and Ideas in the Comparative Political Economy of the Industrialized Nations », dans Mark Lichbach, Alan Zuckerman (eds), Comparative Politics. Rationality, Culture, and Structure, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 174-207.
-
[8]
Cf., par exemple, Henri Hatzfeld, Du paupérisme à la sécurité sociale. Essai sur les origines de la sécurité sociale, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2e éd., 1989 (1re éd. : Paris, Colin, 1971), ou Patrick Hassenteufel, Les médecins face à l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.
-
[9]
François-Xavier Merrien, « États providence : l’empreinte des origines », Revue française des affaires sociales, 3, juillet-septembre, 1990, p. 43-56 ; Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher and the Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
-
[10]
Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, Paris, PUF, 2002.
-
[11]
Ce texte repose à la fois sur nos propres travaux et sur les résultats d’un séminaire doctoral conduit conjointement entre 2000 et 2004 et portant sur l’européanisation des politiques publiques et l’intégration européenne. Nos réflexions sont ainsi nourries des échanges que nous avons pu mener avec les étudiants ayant suivi ce séminaire, que nous voulons ici remercier.
-
[12]
Peter A. Hall, Rosemary Taylor, art. cité.
-
[13]
James March, Johan Olsen, op. cit.
-
[14]
Pour plus de détails, cf. l’article de Sylvain Brouard et de Richard Balme dans ce numéro.
-
[15]
Pour une approche qui insiste principalement sur la dimension cognitive et normative de l’action publique, cf. l’article de Pierre Muller dans ce numéro.
-
[16]
Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle, 4, 1984, p. 99.
-
[17]
Andrew Moravcsik, « “Is there Something Rotten in the State of Denmark” ? Constructivism and European Integration », Journal of European Public Policy, 6 (4), 1999, p. 669-681.
-
[18]
Cf. le numéro spécial consacré à « The Social Construction of Europe », dans le Journal of European Public Policy, 6 (4), 1999.
-
[19]
La comparaison (dans le temps ou dans l’espace) reste, en effet, de notre point de vue, le moyen privilégié, sinon unique, de construire des explications convaincantes en sciences sociales. Cf. Todd Landman, Issues and Methods in Comparative Politics : An Introduction, London, Routledge, 2003.
-
[20]
Walter Korpi, The Democratic Class Struggle, Londres, Routledge, 1983.
-
[21]
Walter Korpi, « Un État providence fragmenté et contesté. Le développement de la citoyenneté sociale en France », Revue française de science politique, 45 (4), août 1995, p. 632-667.
-
[22]
Kathleen McNamara, The Currency of Ideas, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[23]
Andrew Moravcsik, « Preferences and Power in the European Community : A Liberal Intergovernmentalist Approach », Journal of Common Market Studies, 31 (4), 1993, p. 473-524.
-
[24]
Sont ici reprises des analyses proposées par Giuliano Bonoli et Bruno Palier, « Reclaiming Welfare. The Politics of Social Protection Reform in France », Southern European Society and Politics, 1 (3), 1996, p. 240-259, et par Maurizio Ferrera, « Modèles de solidarité, divergences, convergences : perspectives pour l’Europe », Revue suisse de science politique, 2 (1), 1996, p. 55-72.
-
[25]
Cf. John Myles, Paul Pierson, « Friedman’s Revenge. The Reform of “Liberal” Welfare States in Canada and the United States », Politics and Society, 25 (4), décembre 1997, p. 443-472.
-
[26]
Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit.
-
[27]
Ibid.
-
[28]
Patrick Hassenteufel, op. cit.
-
[29]
Paul Pierson, « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », Comparative Political Studies, 29 (2), 1996, p. 123-163.
-
[30]
Kenneth Dyson, Kevin Featherstone, The Road to Maastricht : Negotiating Economic and Monetary Union, Oxford, Oxford University Press, 1999.
-
[31]
Kenneth Dyson, Kevin Featherstone, « Italy and EMU as a “Vincolo Esterno” : Empowering the Technocrats, Transforming the State », South European Society and Politics, 1 (2), 1996, p. 272-299.
-
[32]
Cf. Yves Surel, « The Role of Cognitive and Normative Frames in Policy-Making », Journal of European Public Policy, 7 (4), 2000 ; Yves Surel « L’intégration européenne vue par l’approche cognitive et normative des politiques publiques », Revue française de science politique, 50 (2), avril 2000, p. 235-254. Cf. aussi l’article de Pierre Muller dans ce numéro.
-
[33]
Christelle Mandin, Bruno Palier, « L’Europe et les politiques sociales. Vers une harmonisation cognitive des réponses nationales », dans Christian Lequesne, Yves Surel (dir.), L’intégration européenne. Entre émergence institutionnelle et recomposition de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 255-285.
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[34]
Claudio Radaelli, « The Domestic Impact of European Union Public Policy : Notes on Concepts, Methods, and the Challenge of Empirical Research », Politique européenne, 5, 2001, p. 107-142.
-
[35]
Kathleen McNamara, The Currency of Ideas, op. cit.
-
[36]
Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994.
-
[37]
Vivien A. Schmidt, « Values and Discourse in the Politics of Adjustment », dans Fritz W. Scharpf, Vivien A. Schmidt, Welfare and Work in the Open Economy, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 229-309. Cf. aussi Claudio Radaelli, Vivien A. Schmidt (eds), Policy Change and Discourse in Europe, Londres, Frank Cass, 2004.
-
[38]
Bruno Palier, « Gouverner le changement des politiques de protection sociale », dans Pierre Favre, Yves Schemeil (dir.), Être gouverné. Mélanges offerts en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 163-179.
-
[39]
Cf. Jean Leca, « La “gouvernance” de la France sous la Cinquième République », dans François d’Arcy, Luc Rouban (dir.), De la Cinquième république à l’Europe, hommage à Jean-Louis Quermonne, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 359-360.
-
[40]
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 2003 (Que sais-je ? 2354).
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[41]
Il faudrait ici citer le « rocardisme », la CFDT, le socialisme municipal et la Fondation Saint-Simon, qui ne forment pas un groupe homogène.
-
[42]
On pense, ici, à des acteurs piliers de la CNAF, souvent conseillers de ministres des Affaires sociales de gouvernement de droite.
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[43]
« Plus certains thèmes idéologiques sont ambigus, polysémiques, plus ils permettent à des groupes sociaux divers de construire un consensus sur leur base. C’est sur des ambiguïtés de ce type que s’est construit le compromis social qui fonde l’État providence » (Bruno Jobert, « Les politiques sociales et sanitaires », dans Madeleine Grawitz, Jean Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, p. 310).
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[44]
Cf. les travaux de Pierre Lascoumes, notamment L’Éco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, La Découverte, 1994, ou « Normes juridiques et politiques publiques », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 43-51.
-
[45]
Mancur Olson, Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1987.
-
[46]
Peter Swenson, « Bringing Capital Back in, or Social Democracy Reconsidered : Employer Power, Cross-Class Alliances, and Centralization of Industrial Relations in Denmark and Sweden », World Politics, 43 (4), 1991, p. 513-544 ; Isabela Mares, « The Sources of Business Interest in Social Insurance. Sectoral versus National Differences », World Politics, 55 (2), 2003, p. 229-58.
-
[47]
Margarita Estevez-Abe, Torben Iversen, David Soskice, « Social Protection and the Formation of Skills : A Reinterpretation of the Welfare State », dans Peter A. Hall, David Soskice (eds), Varieties of Capitalism : The Institutional Foundations of Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press, 2001.
-
[48]
Robert Elgie, « The Politics of the European Central Bank : Principal-Agent Theory and the Democratic Deficit », Journal of European Public Policy, 9 (2), 2002, p. 186-200.
-
[49]
Paul Pierson, « Path Dependence, Increasing Returns, and the Study of Politics », American Political Science Review, 94 (2), 2000, p. 251-267.
-
[50]
Douglass C. North, Institutions, Institutional change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
-
[51]
Il s’agit de la traduction de path dependence par les économistes en France.
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[52]
Paul Pierson, « When Effects Become Cause. Policy Feedback and Political Change », World Politics, 45 (4), 1993, p. 608. C’est nous qui traduisons.
-
[53]
Mancur Olson, op. cit.
-
[54]
Kathleen Thelen, « Comment les institutions évoluent : perspectives de l’analyse comparative historique », L’Année de la régulation, 7, 2003-2004, p. 13-44.
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[55]
Ibid.
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[56]
Kathleen Thelen, Wolfgang Streek (eds), Beyond Continuity : Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press, à paraître en 2005.
-
[57]
Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983 (1re éd. en anglais : 1960) ; Peter A. Hall, « Policy Paradigm, Social Learning and the State : The Case of Economic Policy in Britain », Comparative Politics, 25 (3), avril 1993, p. 275-296 ; Yves Surel, L’État et le livre. Les politiques publiques du livre en France (1957-1993), Paris, L’Harmattan, 1997.
-
[58]
Peter A. Hall, Governing the Economy…, op. cit.
-
[59]
Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, op. cit.
-
[60]
Décalage comparable au décalage global/sectoriel conceptualisé par Bruno Jobert et Pierre Muller. Cf. l’article de Pierre Muller dans ce numéro.
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[61]
Jochen Clasen, « Motives, Means and Opportunities : Reforming Unemployment Compensation in the 1990’s », West European Politics, 23 (2), 2000, p. 89-112.
-
[62]
Bruno Palier, La réforme des retraites, Paris, PUF, 2003 (Que sais-je ? 3657).
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[63]
Bruno Palier, La réforme des systèmes de santé, Paris, PUF, 2004 (Que sais-je ? 3710).
-
[64]
Thomas Risse, « Ideas Do Not Float Freely : Transnational Coalitions, Domestic Structures, and the End of the Cold War », International Organization, 48 (2), 1994, p. 185-214.
-
[65]
Cf. Charles O. Jones, op. cit. ; ainsi que les présentations de cette grille dans Yves Mény, Jean-Claude Thoenig, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989 (Thémis) ; Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 2000.
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[66]
Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit.
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[67]
Cf. Bruno Palier, « Gouverner le changement des politiques de protection sociale », cité.
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[68]
Cf. Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit., chap. 6 à 8.
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[69]
Charles Lindblom, The Policy-Making Process, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1980.
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[70]
Cf. Andrew Moravcsik, The Choice for Europe : Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
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[71]
Kathleen McNamara, « Consensus and Constraint : Ideas and Capital Mobility in European Monetary Integration », Journal of Common Market Studies, 37 (3), 1998, p. 455-476 ; Martin Marcussen, « Central-Bankers, the Ideational Life-Cycle and the Social Construction of EMU », Florence, Institut universitaire européen/Centre Robert Schumann, Working Papers Series, n° 98/33, 1998 ; Nicolas Jabko, « In the Name of the Market : How the European Commission Paved the Way for Monetary Union », Journal of European Public Policy, 6 (3), 1999, p. 475-795.
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[72]
Yves Surel, « Comparer des sentiers institutionnels. Les réformes des banques centrales au sein de l’Union européenne », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 135-166.