Couverture de RFSP_551

Article de revue

De la comparaison internationale à la comparaison transnationale

Les déplacements de la construction d'objets comparatifs en matière de politiques publiques

Pages 113 à 132

Notes

  • [1]
    À certains égards, la comparaison internationale est devenue un instrument de politique publique, comme l’illustre, par exemple, le recours au benchmarking dans le cadre de la méthode ouverte de coordination au niveau européen, cf. Isabelle Bruno, Sophie Jacquot, Christelle Mandin, « L’européanisation saisie par son instrumentation : Benchmarking, Mainstreaming et méthode ouverte de coordination… Boîte à outils ou boîte de Pandore ? », communication à la journée d’étude de l’école doctorale de l’Institut d’études politiques de Paris, « Européanisation des politiques publiques et intégration européenne », 13 février 2004 <http:// sciences-po. fr/ recherche/ forum_européen/ prépublications/ papiers. htm>.
  • [2]
    Toutefois la demande politique et médiatique présente toujours le risque de « pousser la comparaison vers la recherche du “meilleur modèle”, c’est-à-dire l’exemple à suivre » ; Jan Spurk, « Épistémologie et politique de la comparaison internationale : quelques réflexions dans une perspective européenne », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), Stratégies de la comparaison internationale, Paris, Presses du CNRS, 2003, p. 75.
  • [3]
    Michèle Dupré, Annie Jacob, Michel Lallement, Gilbert Lefèvre, Jan Spurk, « Les comparaisons internationales : intérêt et actualité d’une stratégie de recherche », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), ibid., p. 15.
  • [4]
    Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1983 (1re éd. : 1895), p. 124.
  • [5]
    Giovanni Sartori, « Comparing and Miscomparing », Journal of Theoretical Politics, 3 (3), 1991, p. 243-257.
  • [6]
    Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit.
  • [7]
    Daniel-Louis Seiler, La méthode comparative en science politique, Paris, Armand Colin, 2004.
  • [8]
    Manfred Schmidt, « Vergleichende Policy-Forschung », dans Dirk Berg-Schlosser, Ferdinand Müller-Rommel (dir.), Vergleichende Politikwissenschaft, Opladen, Leske+Budrich, 1992, p. 197-212.
  • [9]
    Harold Wilensky, The Welfare State and Equality, Berkeley, University of California Press, 1975.
  • [10]
    On en trouvera quelques exemples dans l’article de Richard Balme et Sylvain Brouard dans ce même numéro.
  • [11]
    Manfred Schmidt, « When Parties Matter : A Review of the Possibilities and Limits of Partisan Influence on Public Policy », European Journal of Political Research, 30 (3), 1996, p. 155-183.
  • [12]
    Jeremy Richardson (ed.), Policy Styles in Western Europe, Londres, Allen & Unwin, 1982 ; Jürgen Feick, « L’analyse comparative des politiques publiques : un chemin vers l’intégration des résultats », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 179-225.
  • [13]
    Andy Smith, « L’analyse comparée des politiques publiques : une démarche pour dépasser le tourisme intelligent ? », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 7-19.
  • [14]
    Patrick Hassenteufel, Claude Martin, « Comparer les politiques publiques au prisme de la représentation des intérêts. Le cas des associations familiales en Europe », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 21-51.
  • [15]
    Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), Les réseaux de politique publique. Débats autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; David Marsh (ed.), Comparing Policy Networks, Buckingham, Open University Press, 1998.
  • [16]
    De manière plus générale, le programme de recherche de l’institutionnalisme historique domine aujourd’hui le champ des approches comparatives configuratives, à savoir celles qui se situent entre les approches centrées sur les variables (grand nombre de cas) et les approches culturalistes (un seul cas), comme le souligne Olivier Giraud (« Le comparatisme contemporain en science politique : entrée en dialogue des écoles et renouvellement des questions », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit., p. 87-106).
  • [17]
    Peter A. Hall, « Le rôle des intérêts, des institutions et des idées dans l’économie politique comparée des pays industrialisés », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 53-92. Sur cette articulation, on se reportera aussi à l’article de Bruno Palier et Yves Surel dans ce même numéro.
  • [18]
    Daniel Gaxie, « Remarques sur le comparatisme, le franco-centrisme et quelques autres sujets topiques », Paleastra, 3 (9), 1997, p. 34-35.
  • [19]
    Dans une contribution antérieure, je les avais qualifiées, sur un mode plus ludique, de « comparaison-Canada-Dry », de « comparaison de bureau », de « comparaison-jivaros » et de « comparaison-ventriloque » (« Deux ou trois choses que je sais d’elle. Remarques à propos d’expériences de comparaisons européennes », dans CURAPP, Les méthodes au concret, Paris, PUF, 2000, p. 105-124).
  • [20]
    Daniel-Louis Seiler, op. cit., p. 194-198.
  • [21]
    C’est là un des écueils de l’approche culturaliste fondée sur le postulat de l’irréductibilité des cultures. Il est contourné par certains culturalistes (à la suite, notamment, de Ruth Benedict et de son livre, The Chrysantemum and the Sword. Patterns of Japanese Culture, Boston, Houghton Mifflin, 1946) par le recours à la comparaison singularisante, reposant sur la confrontation de cas fortement contrastés, afin de mettre en lumière leurs singularités.
  • [22]
    Le clivage droite/gauche en est un exemple particulièrement éclairant, cf. Daniel-Louis Seiler, op. cit., p. 237-239.
  • [23]
    « Pragmatique de la comparaison », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit., p. 306.
  • [24]
    Giovanni Sartori, art. cité.
  • [25]
    Dans la mesure où les appels d’offre, européens en particulier, exigent le plus souvent la constitution d’équipes de recherche plurinationales.
  • [26]
    Et le risque de recours à des concepts inadéquats car trop liés à une réalité nationale spécifique : le « parochialisme », pour reprendre l’expression de Giovanni Sartori, art. cité, p. 247.
  • [27]
    Aux difficultés du dialogue international, dépendant fortement des compétences linguistiques inégalement partagées des uns et des autres, s’ajoutent les pièges de la traduction au sens littéraire : notions intraduisibles, notions décalées pour certains cas nationaux, notions qui n’ont pas le même sens en fonction du contexte national dans lequel elles sont utilisées…
  • [28]
    Puisque ce choix de stratégie d’écriture est fréquent dans le cadre de comparaisons menées collectivement, surtout dans le cadre d’équipes plurinationales.
  • [29]
    Pour Bruno Jobert, il s’agit là d’un véritable « biais » de la recherche comparative lié à la « recherche de données comparables [qui] peut conduire à privilégier les informations les plus routinisées » (« Politique de la comparaison », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit., p. 327).
  • [30]
    David Marsh, R. A. W. Rhodes, « Les réseaux de politiques publiques en Grande-Bretagne », dans Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), op. cit., p. 59.
  • [31]
    Pour une discussion récente, en français, on se reportera à Ève Fouilleux, « Propositions pour une approche dynamique des processus d’inertie et de changement dans les politiques publiques. L’exemple de la PAC », dans Joseph Fontaine, Patrick Hassenteufel (dir.), To Change or not to Change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 255-279.
  • [32]
    Michaël Werner, Bénédicte Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales. Histoire, sciences sociales, 58 (1), 2003, p. 8.
  • [33]
    On en trouvera plusieurs exemples, notamment celui de l’émergence de la figure de l’administrateur au 18e siècle, dans la première partie de Michaël Werner, Bénédicte Zimmerman (dir.), De la comparaison à l’histoire croisée, Paris, Le Seuil, 2004.
  • [34]
    Michaël Werner, Bénédicte Zimmermann, art. cité, p. 36.
  • [35]
    Ibid., p. 22-23.
  • [36]
    Colin J. Bennett, « What Is Policy Convergence and What Causes It ? », British Journal of Political Science, 21 (2), 1991, p. 217.
  • [37]
    Le point de départ de cette déclinaison de la convergence des politiques publiques est la caractérisation à cinq dimensions de Colin J. Bennett (ibid., p. 218), précisée et étoffée.
  • [38]
    Remarquons toutefois, à la suite de David Dolowitz et de David Marsh (« Learning from Abroad : The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy-Making », Governance, 13 (1), 2000, p. 13), que cette distinction est simplificatrice, parce que les deux dimensions sont souvent mêlées et qu’il existe donc toute une série de situations intermédiaires (par exemple, la convergence volontaire perçue comme une nécessité ou la convergence conditionnelle). C’est pour cela qu’il est préférable de concevoir ces deux formes de convergence comme les deux pôles opposés d’un continuum fondé sur le degré de contrainte.
  • [39]
    Le point de départ est ici aussi la distinction que fait Bennett (art. cité, p. 220 et suiv.) entre quatre processus de convergence : l’émulation, les réseaux d’élites, l’harmonisation et la pénétration. Ni la distinction entre les deux premiers processus (il s’agit, en fait, du même processus vu sous deux angles différents : national et transnational), ni celle entre les deux derniers (très proches) ne sont pleinement convaincantes. De plus, Bennett néglige le niveau infra-national et ne distingue pas clairement convergence verticale et horizontale.
  • [40]
    Michelle Cini, « The Soft Law Approach : Commission Rule-Making in the EU’s State Aid Regime », Journal of European Public Policy, 8 (2), 2001, p. 192-207.
  • [41]
    Patrick Hassenteufel, Sylvie Delaye, Frédéric Pierru, Magali Robelet, Marina Serré, « La libéralisation des systèmes de protection maladie européens. Convergence, européanisation et adaptations nationales », Politique européenne, 2, 2000, p. 29-48.
  • [42]
    David Dolowitz, David Marsh, « Who Learns What From Whom : A Review of the Policy Transfer Literature », Political Studies, 44 (3), 1996, p. 334.
  • [43]
    Pour une présentation d’ensemble, on se reportera aux deux articles de David Dolowitz et de David Marsh précédemment cités, ainsi qu’à celui de Mark Evans et de Jonathan Davies, « Understanding Policy Transfer : A Multi-Level, Multi-Disciplinary Perspective », Public Administration, 77 (2), 1999, p. 361-385.
  • [44]
    La notion de transfert est aussi présente dans un certain nombre de travaux historiques. Une des critiques majeures qui lui est adressée est de partir d’un cadre stable avec un point de départ et un point d’arrivée ; de ce fait, elle n’intègre pas, à la différence de l’histoire croisée, les phénomènes de réciprocité (le point de départ peut être modifié du fait du transfert) et de réversibilité. Ce cadre analytique ne permet donc pas d’appréhender l’ensemble des interactions entre deux entités nationales qui sont modifiées par leurs interdépendances (Michaël Werner, Bénedicte Zimmermann, art. cité, p. 13-15).
  • [45]
    « La scène internationale […] multiplie les possibilités de double jeu pour le plus grand profit de ces contrebandiers, courtiers ou compradores dans l’ordre symbolique, qui savent exploiter au mieux l’incertitude et les approximations des échanges internationaux, afin d’accroître leur marge de manœuvre » (Yves Dezalay, Bryant G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine. Entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Le Seuil, 2002, p. 3).
  • [46]
    L’observation directe, voire participante, quand elle est possible (notamment au sein d’institutions internationales) est, sur cet aspect, d’un apport précieux, car elle permet d’appréhender en acte ces interactions, notamment les échanges informels, les signes de familiarité, les formes de connivences, ainsi que les tensions et les oppositions.
  • [47]
    Frédéric Pierru, Marina Serré, « Les organisations internationales et la production d’un sens commun réformateur de la politique de protection maladie », Lien social et politiques, 45, 2001, p. 105-128.
  • [48]
    Patrick Hassenteufel, Bruno Palier, « Le social sans frontières ? Vers une analyse transnationaliste de la protection sociale », Lien social et politiques, 45, 2001, p. 13-27.
  • [49]
    Comme le montre, par exemple, le cas de la lutte anti-blanchiment des capitaux liés au trafic de drogue, qui repose plus sur une logique de pression entre pairs sur les « cancres » n’appliquant pas les recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux – créé à la suite de l’adoption de la convention de Vienne contre le trafic illicite de stupéfiants à la fin des années 1980 – que sur des sanctions directes (cf. Gilles Favarel-Garrigues, « Crime organisé transnational et lutte anti-blanchiment », dans Josepha Laroche (dir.), Mondialisation et gouvernance mondiale, Paris, PUF, 2003, p. 161-173).
  • [50]
    Béatrice Hibou, « Économie politique du discours de la Banque mondiale en Afrique subsaharienne. Du catéchisme économique au fait (et méfait) missionnaire », Les études du CERI, 39, 1998.
  • [51]
    Sur cette notion, cf. Emery Roe, Narrative Policy Analysis, Durham, Duke University Press, 1994.
  • [52]
    Claudio Radaelli, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union Européenne », Revue française de science politique, 50 (2), avril 2000, p. 255-275.
  • [53]
    Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996, p. 80.
  • [54]
    L’importation anticipe aussi le processus de formation de nouvelles élites, comme le souligne Bertrand Badie à propos de l’importation de modèles politiques occidentaux (L’État importé, Paris, Fayard, 1992, p. 152 et suiv.).
  • [55]
    Yves Dezalay, Bryant G. Garth, op. cit., p. 27.
  • [56]
    « Les intermédiaires en politique. Médiation et jeux d’institution », dans Olivier Nay, Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action politique, Paris, Economica, 2002, p. 13-15.
  • [57]
    Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 36, 1986, p. 169-208.
  • [58]
    Pierre Lascoumes, « Rendre gouvernable : de la “traduction” au “transcodage”. L’analyse du changement dans les réseaux d’action publique », dans CURAPP, La gouvernabilité, Paris, PUF, 1996, p. 325-338.
  • [59]
    À titre d’exemple, on peut mentionner l’étude sociologique approfondie, à base d’un matériau biographique très abondant, des « élites compradors », également qualifiées de « courtiers », que proposent Yves Dezalay et Bryant G. Garth (op. cit.), pour analyser les stratégies d’internationalisation ayant permis la restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, c’est-à-dire « la façon dont les opérateurs nationaux cherchent à tirer profit d’un capital étranger – en termes de titres universitaires, de contacts et, plus généralement, de légitimité ou de notoriété internationale – pour accroître leur influence dans le champ national » (p. 31). On soulignera toutefois que cette enquête, très riche, n’est pas forcément transposable, puisqu’elle a été rendue possible par les entrées importantes que Bryant G. Garth possède dans ce milieu étudié.
  • [60]
    Bertrand Badie met cependant en garde contre l’idée que « les pratiques d’importation débouchent nécessairement sur une logique d’hybridation, que les flux venus du dehors ont vocation à être appropriés par la société réceptrice, comme si une mystérieuse main invisible assurait une prise de possession des biens et des symboles conçus et façonnés par d’autres histoires et d’autres cultures » (op. cit., p. 223). Le rejet ou la production de désordres, comme le met en avant Bertrand Badie, sont ainsi fréquemment le produit de l’importation de modèles politiques.
  • [61]
    Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • [62]
    Patrick Hassenteufel, « L’européanisation par la libéralisation ? Les réformes des systèmes de protection maladie dans l’Union Européenne », dans Patrick Hassenteufel, Sylvie Hennion-Moreau (dir.), Concurrence et protection sociale en Europe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 209-232.
  • [63]
    Yves Dezalay, Bryant G. Garth, op. cit.
  • [64]
    Klaus Armingeon, Michelle Beyerler (eds), The OECD and European Welfare States, Cheltenham, Edward Elgar, 2003.
  • [65]
    Patrick Hassenteufel, « Les réformes des systèmes de protection maladie entre libéralisation et étatisation. Une comparaison européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne) », Revue internationale de politique comparée, 5 (2), 1998, p. 315-341.
  • [66]
    Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999.
  • [67]
    Pierre Lascoumes, L’éco-pouvoir. Environnement et politiques, Paris, La Découverte, 1994, p. 269 et suiv.
  • [68]
    Ce texte a bénéficié des remarques faites lors de présentations orales dans le cadre du séminaire du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) sur les méthodes d’analyse des politiques publiques et de la journée d’études organisée par l’IREIMAR à l’Institut d’études politiques de Rennes portant sur les méthodes comparatives, ainsi que des lectures stimulantes de Gilles Favarel-Garrigues et de Romain Pasquier.

1 La dimension comparative est, aujourd’hui, pleinement intégrée à l’analyse des politiques publiques. Alimentée par la demande publique (émanant tant des institutions nationales, européennes et internationales), la question de la pertinence de la démarche comparative ne semble plus vraiment se poser. Elle est quasiment devenue, pour les politiques publiques en particulier, un passage obligé pour faire l’objet d’une forte reconnaissance scientifique. Il est vrai qu’à l’heure de la mondialisation et de l’élargissement de la construction européenne, le savoir-faire comparatif est de plus en plus valorisé socialement et professionnellement. Regarder « comment font les autres » est devenu un réflexe fréquent, non seulement pour les décideurs publics (comme le traduisent la présence généralisée d’éléments de comparaison dans la plupart des rapports officiels et le développement de la pratique du voyage d’étude ou d’information à l’étranger pour des hauts fonctionnaires et parfois même pour des ministres) [1], mais aussi pour les médias (les projets de réforme gouvernementaux sont très souvent confrontés aux politiques menées dans d’autres pays) et d’autres groupes sociaux impliqués dans les politiques publiques (groupes d’intérêts, en particulier). Bref, la comparaison est en vogue et alimente de plus en plus fortement la décision publique. Au-delà de cette conjoncture très favorable [2], les apports de la comparaison internationale sont multiples. Tout d’abord, le « détour » comparatif permet de porter un regard décentré sur sa propre réalité nationale, en questionnant des éléments qui peuvent paraître évidents d’un point de vue strictement interne, et « oblige à questionner en permanence les instruments les plus élémentaires qui concourent tant à la mise en forme de notre pratique de chercheurs qu’à la construction de nos manières plus générales de penser, de sentir ou d’agir » [3]. Surtout, la démarche comparative, par la multiplication des cas qu’elle suppose, permet la validation (ou l’invalidation) empiriquement fondée d’hypothèses théoriques générales lorsque qu’elle est mobilisée de manière déductive. Rappelons ici que, pour Durkheim, la comparaison est l’unique outil d’administration de la preuve de l’existence d’une causalité en sociologie : « Nous n’avons qu’un moyen de démontrer qu’un phénomène est cause de l’autre, c’est de comparer les cas où ils sont simultanément présents et absents et de chercher si les variations qu’ils présentent dans ces différentes combinaisons de circonstances témoignent que l’un dépend de l’autre » [4]. De même, pour Giovanni Sartori [5], le contrôle des hypothèses générales, en termes de vérification et de falsification, est la raison première du recours à la démarche comparative. Utilisée de manière plus inductive, la démarche comparative, dans la mesure où elle conduit à mettre en évidence des ressemblances et/ou des dissemblances, conduit aussi, en quelque sorte « naturellement », à formuler des hypothèses explicatives. La comparaison inductive n’est pas seulement description, elle est aussi explication (ou plutôt tentative d’explication).

2 La question n’est donc plus « faut-il comparer ? » ou « peut-on comparer ? », mais « comment comparer ? » Cette interrogation est d’autant plus nécessaire que les travaux comparatifs prolifèrent. Il est de ce point de vue rassurant de constater que la multiplication des comparaisons de politiques publiques s’accompagne d’une réflexivité accrue, loin d’être propre à ce champ d’analyse des sciences sociales. On peut, en particulier, mentionner la publication récente d’un riche ouvrage sur les stratégies de la comparaison internationale faisant suite à un séminaire pluridisciplinaire réunissant une trentaine de chercheurs [6] et du premier manuel en français sur les méthodes comparatives en science politique [7], qui, toutefois, néglige quelque peu les politiques publiques qui ont pourtant largement contribué au développement des analyses comparatives. Ces réflexions concourent à la prise de conscience des problèmes méthodologiques posés par la démarche comparative et des préalables que celle-ci nécessite, à trois niveaux en particulier : celui de la construction de l’objet, celui du cadrage théorique et celui du travail empirique.

3 Cette démarche, aujourd’hui de plus en plus répandue, se heurte aussi à deux critiques, en partie liées : d’une part, une tendance à privilégier les continuités (au niveau national ou infra-national) au détriment de la question du changement (ce qui renvoie aussi à la domination actuelle de l’approche néo-institutionnaliste en matière de comparaison des politiques publiques) ; d’autre part, une difficulté à prendre en compte la dimension transnationale. Or, celle-ci est aujourd’hui centrale dans le double contexte de la construction européenne et de la mondialisation. Elle nécessite un déplacement décisif de l’analyse comparative des politiques publiques : celui des comparaisons internationales vers les comparaisons transnationales. Ce déplacement a des conséquences sur la façon de construire l’objet d’analyse, sur les terrains et sur les méthodes, comme on le développera ici. Toutefois, la prise en compte du transnational ne doit pas conduire à abandonner la comparaison internationale, l’enjeu central étant plutôt celui de l’articulation entre comparaison internationale et comparaison transnationale. L’objet de cet article est donc aussi de formuler des propositions d’ordre méthodologique et théorique pour être en mesure de travailler sur ce nouveau chantier de l’analyse comparative des politiques publiques.

Problèmes et limites de l’analyse comparative des politiques publiques

4 L’analyse des enjeux actuels de l’analyse comparative des politiques publiques nécessite de rappeler préalablement les principales évolutions de cette approche. En effet, l’essor de la comparaison s’est accompagné de déplacements tant dans les questionnements que dans les problématisations.

Les trois premières phases de l’analyse comparative des politiques publiques

5 On partira ici de la distinction que fait Manfred Schmidt [8] entre trois grandes phases de l’évolution des travaux comparatistes sur les politiques publiques. Les premiers d’entre eux, qui apparaissent à la fin des années 1950, portent sur un grand nombre de cas, se fondent principalement sur des données statistiques, mettent l’accent sur les variables de type économique et, surtout, s’inscrivent dans la perspective théorique de la convergence des sociétés industrielles avancées. Ces recherches, américaines pour la plupart, visent à mettre en avant le processus de convergence croissant (mesuré, en particulier, à travers le niveau de dépenses publiques) des pays développés à économie de marché, sous l’effet de la croissance économique et du développement technologique. On peut donner comme exemple les travaux de Harold Wilensky [9] sur la convergence croissante dans le domaine du développement de l’État providence, à partir de la mesure des dépenses de protection sociale rapportées au PNB. Ces travaux s’inscrivent clairement dans la perspective développementaliste. De ce fait, la critique majeure qui leur a été adressée porte sur le déterminisme socio-économique qui les sous-tend. C’est pour cela que se mettent en place, par la suite, des recherches, toujours fondées sur un grand nombre de cas et sur des données quantitatives, mais insistant sur des variables politiques à partir de la question « Does politics matter ? » Des séries chronologiques, reposant sur des indicateurs tels que le niveau de dépenses publiques, le niveau de dépenses sociales, le taux d’imposition, le taux d’inflation ou le niveau de chômage sont alors corrélées à l’orientation partisane des gouvernements [10]. Cette deuxième approche a, quant à elle, fait l’objet d’une triple critique [11]. C’est tout d’abord la mesure de la variable politique par le parti au pouvoir qui est incriminée puisqu’elle conduit à négliger toute une série d’autres éléments explicatifs : la structure institutionnelle du pouvoir, l’existence de coalitions majoritaires, l’attitude de l’opposition, le rôle des groupes d’intérêts auxquels sont liés les partis, etc. Le deuxième ordre de critique vise la mesure des outputs : ces indicateurs quantitatifs ont pour double inconvénient de ne pas rendre compte des éléments non quantifiables d’une politique publique et de se limiter à quelques-unes d’entre elles (principalement les politiques macro-économiques et de protection sociale). Enfin, les résultats empiriques obtenus ne permettent que rarement d’établir une corrélation nette entre output de politique publique et présence d’un parti politique au pouvoir.

6 Pour toutes ces raisons, à la fin des années 1970, s’opère un tournant dans la comparaison des politiques publiques. Il correspond à un triple déplacement : de l’attention aux résultats des politiques publiques à celle de leur processus de production ; de recherches quantitatives fondées sur un grand nombre de cas vers des recherches plus qualitatives fondées sur un nombre de cas plus limité (pour le dire autrement, on passe d’une stratégie de recherche centrée sur les variables à une stratégie de recherche centrée sur les cas) ; de l’isolement de variables explicatives vers l’interaction entre différentes variables. Cette nouvelle génération de travaux comparatistes en matière de politiques publiques met l’accent sur les différences dans les processus nationaux de production des politiques publiques, débouchant sur des typologies mettant en avant des « styles nationaux » contrastés de politiques publiques à partir du croisement de deux dimensions : le mode de prise en charge des problèmes publics par les gouvernants et la structure des interactions entre les différents acteurs des politiques publiques [12]. Si ces travaux sont restés à dominante descriptive [13], ils ont contribué à relancer la réflexion sur les politiques publiques comparées autour de plusieurs thèmes. Le premier est celui de l’importance des interactions entre acteurs de l’action publique, en particulier entre l’État et des groupes d’intérêt [14], dans une perspective théorique néo-corporatiste, prolongée par l’approche en termes de réseaux de politiques publiques [15]. Surtout, a été pris en compte, de façon croissante, le rôle structurant des institutions, dans une perspective néo-institutionnaliste, tendant à valoriser les héritages institutionnels [16]. Enfin, la dimension cognitive a également été intégrée, ce qui a conduit à une combinaison croissante des trois variables en « I », les intérêts, les idées et les institutions, comme Peter Hall l’a bien montré pour l’économie politique [17].

7 Toutefois, ce mode, devenu dominant, d’analyse comparative des politiques publiques n’est pas sans poser des problèmes tant méthodologiques que théoriques.

De quelques problèmes méthodologiques de la comparaison des politiques publiques

8 Il existe, tout d’abord, de multiples biais méthodologiques dans les travaux comparatifs qui conduisent à des « comparaisons au rabais » [18]. Quatre d’entre elles semblent particulièrement répandues [19].

9 On peut d’abord mentionner la comparaison « factice », c’est-à-dire les travaux qui ont l’apparence de la comparaison, mais qui, en définitive, quand on les regarde de plus près, n’en sont pas ou si peu… C’est souvent le cas d’ouvrages collectifs portant, par exemple, sur une politique publique sectorielle, formés de chapitres couvrant un cas national et rédigés par des auteurs différents (en général, originaires du pays traité). La comparaison se réduit alors à de vagues considérations introductives (voire conclusives) dans la mesure où la présentation des différents cas nationaux n’est pas faite à partir d’une grille d’analyse partagée et homogène.

10 On peut ensuite évoquer le cas des comparaisons « à distance ». Cette appellation peut être conférée aux travaux comparatifs qui s’appuient sur la littérature secondaire, sur la presse, voire, dans certains cas, sur des questionnaires envoyés à des experts, dispensant ainsi au chercheur d’aller lui-même sur le terrain. Il est vrai qu’Internet permet de démultiplier la documentation primaire (rapports, prises de position, textes officiels, etc.), la littérature secondaire et la presse directement accessibles de son bureau, tout en facilitant les échanges directs avec des acteurs et des experts étrangers. Mais, s’il s’agit là d’un préalable indispensable à toute recherche comparative, la comparaison suppose une certaine familiarité, donc des contacts directs, avec les cas nationaux observés. En effet, tout phénomène politique est indissociable de la culture dans laquelle il s’inscrit ; pour le comprendre, il est nécessaire d’être en mesure de reconstruire les modes de pensée et de raisonnement étrangers, ce qui suppose une immersion, plus ou moins longue, selon les cas, les capacités intuitives du chercheur et le degré de familiarité de celui-ci avec le phénomène étranger observé. Il faut être en mesure d’appréhender le « non-dit » et le « non-écrit » du fait de l’importance des manières de penser et de sentir intériorisées par les acteurs [20]. La compréhension des contextes et des styles de raisonnement implique donc l’apprentissage sur le terrain.

11 Le troisième de cas de figure est celui des comparaisons réductrices. On pense ici notamment aux comparaisons fondées sur des indicateurs quantitatifs, qui réduisent, par exemple, le développement de l’État providence au niveau de dépenses sociales ou le type de politique économique suivie au taux d’inflation et au taux de chômage. Cette réduction des réalités nationales comparées n’est pas propre aux travaux quantitatifs centrés sur les variables, très nombreux dans les deux premières phases de la comparaison des politiques publiques ; elle est également repérable dans les analyses visant à mettre au jour des « styles nationaux », caractérisant assez schématiquement les politiques publiques dans un pays donné à partir d’un nombre limité de traits saillants (imposition/consensus, anticipation/réactivité, etc.).

12 On signalera, enfin, le cas de la comparaison « biaisée », c’est-à-dire les cas où la comparaison, dans le cadre d’une démarche très déductive, n’est là que pour valider une hypothèse sans qu’aucune autre hypothèse ne soit prise en compte. Ici, la façon de construire la comparaison détermine a priori le résultat. Le travail empirique n’a plus qu’une valeur illustrative ou décorative. Le chercheur ne laisse pas « parler » la comparaison, il la fait « parler », ou plutôt, il parle à sa place.

13 Éviter nombre des écueils présents dans ces quatre (mauvaises) façons de faire de la comparaison suppose de s’interroger sur les conditions nécessaires à une pratique méthodologiquement maîtrisée. Ce questionnement peut être opéré à trois niveaux : celui de la construction de l’objet, qui pose le redoutable problème de la comparabilité ; celui du travail empirique, qui amène à évoquer les conditions de faisabilité de la comparaison ; enfin, celui de la restitution, qui conduit à se pencher sur les stratégies d’écriture comparative.

14 Faire de la comparaison suppose, en préalable, de se démarquer de deux positionnements : le premier est celui de l’incomparabilité, le second est celui de la comparabilité spontanée. Dans le premier cas, l’accent est mis sur l’irréductible spécificité nationale de tel ou tel processus politique et qui ferait obstacle à toute démarche de type comparative : en effet, pas de comparaison sans comparabilité [21]. Mais, en même temps, la comparabilité est rarement un donné, elle est, au contraire, à construire. C’est ici qu’il faut se méfier des pièges du nominalisme et de la traduction, c’est-à-dire comparer deux objets parce qu’ils sont désignés par le même terme dans des pays différents, alors que ses significations et ses connotations peuvent être très variables selon les pays étudiés [22]. Ce problème se pose tant pour l’analyse des acteurs d’une politique publique que pour une politique publique en tant que telle. Il en résulte une double exigence de déconstruction et de reconstruction, comme le souligne Michel Lallement [23]. La déconstruction des termes, des statistiques, des nomenclatures, des conventions monétaires et linguistiques nationales est un préalable indispensable à la construction d’objets comparables. Le travail de repérage des trajectoires des termes clefs et de leurs significations multiples est particulièrement indispensable puisqu’un terme apparaît à un moment précis dans un lexique politique donné. La déconstruction préalable suppose donc à la fois d’établir une généalogie sémantique des termes et des conceptions que ceux-ci recouvrent, ainsi que de tracer la matrice des exportations et des importations. L’enjeu analytique est, ici, d’établir un lien entre les termes faisant l’objet de la comparaison et les configurations dans lesquelles il est utilisé.

15 Le travail de reconstruction passe ensuite par l’élaboration de notions et de méthodes pertinentes pour les différentes réalités nationales étudiées, sur la base du repérage de questionnements communs et non pas spécifiques à une réalité nationale afin d’échapper aux risques importants de malformation des concepts liés, selon Sartori [24], aux penchants ethnocentriques, à la « scalomanie » (degreeism), c’est-à-dire la construction d’échelles et de continuum à partir d’une dimension unique et universelle, et à surtout l’élasticité conceptuelle (concept stretching), qui revient à forger des concepts attrape-tout, car trop larges et renvoyant à des réalités très diverses. La construction d’un objet comparé passe donc par la remise en cause des « évidences » nationales, un important travail de définition analytique et la mise à l’épreuve comparative des notions retenues.

16 Quant au travail empirique, l’exigence fondamentale est celle de la mise en œuvre de la même grille d’analyse sur le même type de terrain en recueillant le même type de données. Face à cette exigence, deux options restent, en pratique, possibles : l’option solitaire et l’option collective. La comparaison individuelle garantit bien évidemment l’homogénéité du questionnement comparatif, mais l’exigence d’un travail empirique de même nature sur les terrains comparés limite le champ de la comparaison pour des raisons matérielles (financement des déplacements et des séjours à l’étranger), temporelles (temps disponible pour des séjours multiples à l’étranger) et linguistiques (nécessité de maîtriser la langue du pays comparé). Ces différentes contraintes conduisent souvent à privilégier la pratique collective de la comparaison, qui permet, en effet, de multiplier les cas nationaux en accroissant les ressources tant matérielles [25] que temporelles et (surtout !) linguistiques. Mais, en même temps, l’homogénéité de questionnement et de démarche devient problématique ou, tout au moins, n’est plus garantie a priori. En effet, la comparaison en équipe nécessite une phase d’appropriation collective de la grille d’analyse et de son mode d’opérationalisation empirique. Si, en la matière, comme pour toutes les méthodes de sciences sociales, le bricolage prévaut, deux remarques peuvent être faites.

17 Tout d’abord, il est nécessaire de souligner que l’apprentissage collectif prend du temps, car c’est sur la durée que s’établissent une bonne compréhension mutuelle et des rapports de confiance, indispensables à tout travail collectif. L’habitude du travail en commun facilite l’appropriation collective de la problématique comparative et limite les risques d’incompréhensions et de décalages. L’expérience accumulée sur la base d’expériences partagées, dans le cadre de plusieurs recherches successives, est une variable déterminante pour la réalisation d’un travail de terrain véritablement comparatif. La deuxième remarque porte sur la constitution d’équipes plurinationales. A priori, il s’agit de la solution la plus adaptée à la comparaison dans la mesure où elle minimise les risques d’erreurs d’analyse des réalités nationales [26], où elle supprime l’obstacle linguistique et où elle réduit fortement les coûts matériels de la recherche. Mais, en même temps, cette façon de faire de la comparaison est celle qui débouche le plus fréquemment sur la comparaison « factice ». Plus une équipe est éclatée géographiquement, plus les risques de décalage et de malentendus [27] sont importants : on a alors souvent autant de problématiques que de pays comparés, chaque membre appliquant sa propre grille d’analyse à sa propre réalité nationale. En fait, la constitution d’équipes plurinationales suppose, outre une inscription dans la durée, comme pour le cas de figure précédemment évoqué, qu’elle s’établisse avec des personnes connaissant aussi les autres pays intégrés à la comparaison. Il est, de ce fait, très heuristique de faire du travail de terrain en équipes plurinationales. Mais, si ce dispositif est riche méthodologiquement, il est, en revanche, plus coûteux financièrement, contraint par les compétences linguistiques et compliqué à mettre en place. Il restreint donc le nombre de pays comparés.

18 Le recours à une équipe de recherche rend aussi plus complexe la restitution du travail de terrain. La question de l’écriture est trop rarement abordée dans les débats méthodologiques, comme si elle n’était pas en soi un problème. Certes, le rapport à l’écriture est éminemment subjectif, mais il n’en reste pas moins que l’on peut se livrer à quelques considérations générales à propos de la stratégie d’écriture comparative. En fait, la question est celle de l’organisation du travail de rédaction pour laquelle deux options se présentent : la structuration par terrains ou la structuration par entrées analytiques. Si, bien sûr, des compromis entre les deux options sont possibles, il s’agit, cependant là de deux choix assez sensiblement différents. La première option privilégie la description approfondie des terrains nationaux, au risque d’une écriture qui juxtapose ces terrains plus qu’elle ne permet de les comparer. Dans ce cas, l’écriture est plus guidée par le terrain que par la comparabilité de l’objet construit préalablement. La comparaison à proprement parler n’intervient alors que de façon conclusive et sous la forme de tableaux et/ou de schémas comparatistes. Le risque inhérent à cette stratégie d’écriture est à nouveau celui de la comparaison « factice » [28]. La deuxième option, au contraire, favorise une logique d’écriture guidée par la grille d’analyse et les hypothèses comparatives. Plus concrètement, cela passe par l’adoption de découpages ne renvoyant jamais spécifiquement à un cas national : le point d’entrée est systématiquement analytique et non pas national, afin de faciliter les allers-retours entre les cas comparés. Cette stratégie d’écriture présente, cependant, le risque de déformer les cas nationaux en ne prenant en compte que ce qui rentre dans le cadre de la comparaison. Toutefois, cette option paraît la plus adaptée à la démarche comparative, mais sa validité dépend de la pertinence de l’objet comparé, donc, surtout, de la façon dont celui-ci a été construit en termes de comparabilité.

19 Ces quelques remarques forment, en quelque sorte, un socle d’exigences minimales permettant d’éviter, pour une grande part, les quatre dérives de la comparaison distinguées ci-dessus. Mais, la comparaison internationale, telle qu’elle est pratiquée dans le cadre de l’analyse des politiques publiques depuis la fin des années 1970, se heurte, en outre, à des limites plus théoriques.

Les limites théoriques de la comparaison internationale

20 En faisant de la question des spécificités nationales la question centrale et en privilégiant les continuités diachroniques, les travaux comparatifs de la troisième génération présentent la double limite de négliger les convergences à l’œuvre et de minorer les changements. De plus, ils ne prennent pas suffisamment en compte les phénomènes transnationaux (européens et mondiaux) qui affectent, de façon croissante, les politiques publiques et qui les rendent aussi de plus en plus interdépendantes.

21 Les travaux comparatifs dominants des années 1980 et 1990, s’inscrivant dans la perspective des réseaux d’action publique et du néo-institutionnalisme, ont permis de mettre au jour les spécificités des configurations nationales dans des secteurs donnés. De ce fait, l’approche adoptée était largement centrée sur la question de la structuration de ces configurations, analysée dans une perspective prioritairement diachronique. La plupart des recherches menées ainsi permettent de comprendre les différences internationales dans un grand nombre de politiques publiques, mais, dans le même temps, elles tendent à négliger l’explication du changement en mettant l’accent sur les continuités [29]. C’est le cas des approches en termes de réseau d’action publique : l’existence d’un réseau implique une certaine stabilité dans l’interaction et apparaît, de ce fait, le plus souvent, comme un obstacle au changement dans l’action publique. Celui-ci est pourtant repérable, y compris dans des secteurs caractérisés par des réseaux d’interactions fortement stabilisés. Dans le cadre de cette approche, l’explication du changement dépend le plus souvent d’un facteur exogène. Par exemple, David Marsh et R. A. W. Rhodes [30] mettent en avant quatre facteurs liés à l’environnement : le changement économique, l’idéologie du parti au gouvernement, l’évolution du savoir et les institutions transnationales (l’Union européenne, en particulier). Mais, si le changement vient de l’environnement, les réseaux d’action publique ne sont plus alors qu’un élément explicatif mineur. De même, les travaux néo-institutionnalistes en matière de politiques publiques ont fortement mis l’accent sur la notion de path dependance, dont la visée explicative porte, avant tout, sur les limites du changement, c’est-à-dire sur les verrous (institutionnels, politiques, cognitifs, etc.) qui font obstacle au changement et sur les contraintes existantes en termes de restriction des choix envisageables et d’effets d’irréversibilité découlant des choix antérieurs [31]. Sans pour autant rejeter toute idée de changement, les approches néo-institutionnalistes en matière de politiques publiques ne proposent pas de véritable modèle explicatif du changement à partir des institutions et, comme pour les réseaux, mettent en avant les logiques d’adaptation à des pressions externes, liées notamment à l’intégration européenne et à la mondialisation économique. Les dimensions transnationales restent, de ce fait, extérieures à l’approche, puisqu’elles sont considérées comme des composantes de l’environnement des réseaux et des institutions. En même temps, ces approches reconnaissent de façon croissante l’importance des dynamiques transnationales. La question posée à la démarche comparative est donc bien celle de l’intégration de cette dimension transnationale.

22 Cette exigence s’impose avec encore plus de force si l’on considère une autre limite de cette troisième génération des travaux comparatifs en matière de politique publique : le fait qu’ils analysent de façon isolée des réalités nationales, en ne prenant que faiblement en compte les interdépendances entre les politiques publiques nationales. Or, les politiques publiques d’un pays ont (depuis longtemps) des effets sur celles d’autres, de manière directe (pour les politiques économiques, en particulier, mais aussi en matière d’immigration ou de transport, par exemple) et de manière indirecte, parce que les références aux autres réalités nationales occupent une place de plus en plus visible dans les débats nationaux autour de la question « Comment font les autres ? » Elle est posée à la fois par les acteurs politiques (qui s’appuient sur des cas étrangers), par les acteurs gouvernementaux (qui ont recours aux visites d’étude à l’étranger), par les acteurs administratifs (dans le cadre des rapports officiels), par les experts (de plus en plus internationalisés) et par les médias. Ces interdépendances sont pourtant loin d’être un phénomène nouveau, comme le met très clairement en avant « l’histoire croisée ».

23 Cette démarche, employée depuis une dizaine d’années, part de la mise « en rapport, souvent à l’échelle nationale, de formations sociales, culturelles et politiques, dont on suppose qu’elles entretiennent des relations » [32]. Le point de départ est double : d’une part, le refus de considérer les entités comparées comme étant closes sur elles-mêmes ; d’autre part, la prise en compte du caractère dynamique et actif du croisement. De ce fait, l’histoire croisée ne s’intéresse pas seulement au croisement en tant que tel (c’est-à-dire les façons dont il s’opère), mais aussi à ses effets sur les différentes entités entrecroisées. Les croisements sont considérés comme à la fois actifs et interactifs (en termes de réciprocité et/ou d’asymétrie). Il s’agit, par conséquent, d’une approche attentive à la dynamique des processus de croisement qui l’amène à prendre en compte, de manière centrale, le changement. Quatre dimensions sont ici privilégiées : les croisements intrinsèques à l’objet de recherche (qui se traduisent par des recherches sur la construction de savoirs à partir du croisement de traditions nationales différentes [33]) ; le croisement des points de vue (en confrontant, par exemple, des modalités de réception d’un texte dans le temps et/ou l’espace) ; les croisements entre l’observateur et son objet (qui conduit à une démarche réflexive sur la constitution de ses cadres d’analyse, attentive « à la pluralité des points de vue possibles, aux décalages produits par les langues, les terminologies, les catégorisations et conceptualisations, les traditions et usages disciplinaires » [34]) ; et le croisement des échelles permettant d’intégrer la multiplicité des niveaux d’action et leurs interrelations. Dans cette perspective, « le transnational ne peut pas simplement être considéré comme un niveau supplémentaire qui viendrait s’ajouter au local, régional ou national, selon une logique de changement de focale. Il est, au contraire, appréhendé en tant que niveau qui se constitue en interaction avec les précédents et qui génère des logiques, avec des effets en retour sur les autres logiques de structuration de l’espace » [35]. Le programme de recherche de l’histoire croisée peut être largement repris pour l’analyse comparative des politiques publiques contemporaines, puisqu’il part des interdépendances entre phénomènes nationaux, parce qu’il propose une grille d’analyse du changement et parce qu’il intègre de façon dynamique et interactive le transnational.

24 L’exigence de prise en compte du transnational est également liée au rôle croissant des acteurs transnationaux comme producteurs de politiques publiques : institutions internationales, experts transnationaux, entreprises multinationales, ONG, etc.

Comment articuler comparaison internationale et comparaison transnationale ?

25 La prise en compte du transnational remet au premier plan de l’analyse comparative la question de la convergence des politiques publiques. Celle-ci peut être définie, à la suite de Colin J. Bennett [36], comme un processus dynamique qui se traduit par le fait que, dans un même domaine et face au même type d’enjeu et de problème, un nombre important de pays aux politiques publiques contrastées, adopte progressivement les mêmes politiques publiques. Cette convergence peut être repérable, au moins, à sept niveaux différents [37] :

  1.  Les objectifs de l’action publique. La convergence est d’ordre cognitif et renvoie aux modalités de construction du problème, de définition de finalités prioritaires de l’orientation d’une politique publique, et donc de légitimation de celle-ci.
  2. Le contenu d’une politique publique. La convergence porte sur l’articulation entre objectifs et instruments, qui caractérise une politique publique à un moment donné.
  3. Les instruments de l’action publique. La convergence concerne uniquement les outils adoptés et leur mode d’utilisation.
  4. Le mode d’adoption d’une politique publique. La convergence porte sur les processus décisionnels et sur le type d’interaction entre acteurs d’une politique publique.
  5. Le public d’une politique publique. La convergence concerne les ressortissants visés par une politique publique.
  6. Les effets d’une politique publique. La convergence porte sur les résultats de la mise en œuvre de la politique publique en termes d’outputs.
  7. Les acteurs dominants d’une politique publique. La convergence est ici plus transversale, puisqu’elle concerne à la fois les acteurs jouant un rôle clef au niveau de la définition du problème, de l’orientation de la politique, de la formulation de son contenu, de son adoption et de sa mise en œuvre.
Il est donc nécessaire de préciser à quel niveau convergent des politiques publiques, car il est rare que cette dynamique soit repérable simultanément à tous ces niveaux, même si ceux-ci sont largement interdépendants. La convergence est souvent réduite au second niveau, certes fondamental, mais qui ne permet pas de dépasser le constat d’une convergence partielle. Parler de convergence des politiques publiques nécessite donc de préciser à quel niveau elle se situe et de distinguer convergence totale, partielle et limitée.

Les différentes modalités de convergence des politiques publiques

26 De plus, il ne s’agit pas seulement de constater une convergence, a posteriori, au niveau des outputs des politiques publiques, sur la base de données principalement quantitatives, mais plutôt de comprendre comment et pourquoi s’opère cette convergence. Ce questionnement part de deux hypothèses fortes : d’une part, le fait que la convergence résulte d’un processus d’articulation entre différents niveaux (transnational, national, infra-national) des politiques publiques ; d’autre part, la convergence est soit imposée, soit volontaire [38]. Par conséquent, elle peut revêtir de multiples modalités qu’il est possible de synthétiser à l’aide du tableau suivant [39], dont la fonction est plus de typifier, afin de proposer une grille d’analyse à portée classificatoire, que de décrire des situations empiriques, qui, souvent, combinent plusieurs de ces modalités.

Tableau 1

Les modalités de convergence des politiques publiques [*]

Convergence imposée
(Degré de contrainte élevé)
Convergence volontaire
(Degré de contrainte limité)
Convergence verticale
(transnational/national)
Harmonisation transnationale Convergence « en douceur » (diffusion par la soft law)
Convergence verticale
(national/infra-national)
Centralisation Reprise
Convergence horizontale
(national/national)
Dépendance Mimétisme
Convergence horizontale
(infra-national/infra-national)
Convergence par le bas
[*] Étant donné que cet article porte sur la comparaison internationale, je ne fais que mentionner les cas de convergence limités à un espace national (lignes 2 et 4 du tableau). On notera aussi que la convergence horizontale imposée est plus un cas théorique que concret, c’est pour cela que cette case du tableau est restée vide.

Les modalités de convergence des politiques publiques [*]

27 L’harmonisation transnationale résulte principalement de l’adoption de normes coercitives par des institutions internationales (par exemple, l’OMC), processus particulièrement important et visible au niveau de l’Union européenne. Elle peut aussi être le fait d’acteurs privés, en particulier, les firmes multinationales, qui, dans certains domaines, adoptent des réglementations et des normes imposées à l’ensemble des entreprises dans un secteur donné (par exemple, des normes comptables ou financières). Parfois, ce sont aussi des institutions internationales, qui relaient les propositions d’entreprises multinationales (pour les normes ISO, par exemple).

28 La convergence « en douceur » – expression découlant de la notion de soft law particulièrement utilisée dans le cadre des travaux sur l’européanisation des politiques publiques [40] – renvoie à des processus non contraignants, souvent d’ordre cognitif, résultant de la diffusion d’orientations, de contenus et d’instruments de politiques publiques par des institutions internationales et par des experts transnationaux. Les institutions internationales effectuent un travail de légitimation et d’objectivation de ces orientations, contenus et instruments de politiques publiques, par la production de rapports, de données comparatives dans une logique de classement et de benchmarking, de données statistiques, etc. Leur diffusion est assurée par une forte activité de publication, l’alimentation des médias en données, l’enrôlement d’experts, l’organisation de colloques, de réunions de travail ou de séminaires permettant de socialiser un nombre croissant d’acteurs aux propositions qu’elles formulent.

29 Le mimétisme renvoie à l’adoption non contraignante d’éléments d’une politique publique mise en place dans un ou plusieurs autres pays, dans une double logique d’émulation et/ou d’inspiration. Ce processus est souvent lié à l’importation de contenus et d’instruments par des experts nationaux ayant une activité transnationale. Il est fréquemment articulé à la convergence en douceur, comme le montre le cas de la libéralisation des systèmes de protection maladie européens, à la fois liée au transfert d’instruments d’un pays à l’autre et au rôle de diffusion joué par l’OCDE, en particulier [41].

30 Enfin, la dépendance renvoie à des situations de domination d’un État (colonisation ou occupation militaire, en particulier) sur un autre, permettant l’imposition, fondée sur la contrainte, de politiques publiques.

31 Il ne faut cependant pas se cantonner à cette analyse principalement descriptive, mais s’inscrire dans un cadre d’analyse permettant de rendre compte sociologiquement de la transnationalisation des politiques publiques, qui ne peut pas se réduire à la convergence.

Les outils d’analyse sociologiques de la comparaison transnationale des politiques publiques : transfert, traduction et hybridation

32 L’outil d’analyse aujourd’hui le plus utilisé pour analyser la transnationalisation de l’action publique est celui du transfert de politique publique (policy transfer). David Dolowitz et David Marsh définissent la notion comme « le processus par lequel un savoir sur des politiques publiques, des structures administratives, des institutions etc., à un moment donné et/ou à un endroit donné, est utilisé pour développer des politiques publiques, des structures administratives et des institutions à un autre moment et/ou endroit » [42]. Les travaux, aujourd’hui assez nombreux, portant sur ces transferts de politiques publiques [43] privilégient trois questions : celle du pourquoi (dans une perspective parfois teintée de fonctionnalisme), celle du comment (en privilégiant une approche à dominante descriptive, voire mécaniste, des processus de transfert et du contenu des transferts) et celle de l’intensité du transfert (intégrant les limites, voire les échecs de certains transferts). Toutefois, ils négligent trois aspects importants : la sociologie des acteurs opérant les transferts, les modes de réception des éléments de politiques publiques transférés (processus de traduction) et la façon dont se mêlent éléments transférés et éléments existants (processus d’hybridation) [44].

33 La sociologie des acteurs opérant des transferts, qui sont souvent des acteurs transnationaux (experts auprès d’institutions internationales, hauts fonctionnaires internationaux, consultants, etc.), apparaît en effet nécessaire pour comprendre comment sont diffusés des modèles d’action publique (orientation et principes généraux) et des modes opératoires concrets de politique publique (instruments et modalités d’utilisation d’instruments). Cette sociologie passe tout d’abord par le repérage des ressources multiples et diversifiées sur lesquelles s’appuient ces acteurs : ressources d’expertise, ressources de légitimité, ressources relationnelles, ressources de pouvoir (lorsqu’ils siègent au sein d’institutions disposant d’un pouvoir d’imposition), ressources matérielles… Celles-ci permettent de comprendre les stratégies déployées pour diffuser des modèles et/ou des modes opératoires. Ce repérage suppose de mettre au jour les trajectoires de ces acteurs, d’autant plus diversifiées qu’elles se déroulent le plus souvent à des niveaux multiples (internationaux et nationaux) avec des allers-retours et des chevauchements fréquents qui permettent d’accroître leur capacité stratégique [45], notamment sur la base du recueil d’un matériau biographique. Celui-ci permet non seulement de caractériser sociologiquement des acteurs clefs, mais aussi d’apporter des informations sur les sources d’influences, les alliés et les adversaires, autrement dit, de mettre également au jour des configurations d’interactions transnationales [46].

34 Il apparaît également nécessaire de s’intéresser aux stratégies discursives mobilisées pour promouvoir des orientations de l’action publique. Elles peuvent emprunter plusieurs modalités. Soulignons tout d’abord le rôle que jouent certaines données statistiques internationales. On peut prendre le cas de l’OCDE, dont les données en matière de santé sont quasiment l’unique source quantitative des comparaisons internationales. C’est sur la base de ces indicateurs qu’ont été établis des diagnostics allant dans le sens de la transformation libérale des systèmes de protection maladie : celle-ci est donc présentée, non pas comme un objectif a priori, mais comme une tendance convergente mise en évidence par des travaux comparatifs, qui sont, ainsi, partie intégrante de l’argumentation [47]. L’objectivation statistique donne une légitimité scientifique aux acteurs visant à diffuser cette orientation.

35 Une autre modalité est celle de la promotion de cas exemplaires, qui deviennent des modèles à suivre : ainsi en est-il, par exemple, de la réforme chilienne des retraites comme illustration réussie (!) du modèle de la retraite à trois piliers promu par la Banque mondiale ou de la mise en place de « quasi-marchés » au sein du système de santé britannique [48]. De manière plus générale, les organisations internationales ont recours à la pratique du « naming and shaming », autrement dit, à la désignation des « bons » et des « mauvais » élèves par rapport à une orientation et à des modes opératoires qu’elles promeuvent, en ayant recours à des analyses comparatives évaluatives qui sont bien alors une composante à part entière des politiques publiques transnationales [49].

36 Une troisième modalité importante est le recours à une rhétorique normative et répétitive, qui oppose fréquemment, de manière simplifiée et dichotomique, des « bonnes » et « mauvaises » manières de faire, à l’image du discours de la Banque mondiale en matière de réformes économiques, qui s’apparente à un « catéchisme » à vocation performative [50]. Ainsi, ces acteurs transnationaux sont des producteurs importants de récits de politique publique [51], dont la fonction est de certifier et de stabiliser des hypothèses relatives à une décision publique, dans une situation d’incertitude et de conflit relatif, à partir d’une simplification des données complexes. Ces récits ont une forme logique (avec un début, un milieu et une fin) et sont découpés en séquences temporelles qui s’enchaînent de manière causale, afin de les rendre aisément compréhensibles. Les récits partent du présent pour décrire un ou plusieurs scénarios probables en fonction des décisions qui devraient être prises. Comme le souligne Claudio Radaelli [52], le rôle de ces récits est aussi d’exclure des possibles, soit en leur donnant la forme d’une scénario négatif (apocalyptique ou noir) mettant l’accent sur toutes les conséquences négatives d’une décision à laquelle on s’oppose, soit en les passant sous silence, en ne les faisant pas apparaître sous la forme de récits (ce qui relève d’une logique de non-dit). Les récits permettent donc d’imposer une décision publique et d’exclure toute alternative, sur la base de la confrontation d’hypothèses schématisées et de la présentation simplifiée (voire tronquée) des connaissances disponibles et des faits. La mise au jour de ces récits, nombreux à être produits par des acteurs transnationaux, est un aspect important à prendre en compte du fait de leur forte dimension performative.

37 Enfin, la sociologie des opérateurs de transferts nécessite d’étudier les lieux et les espaces d’interaction (forums, colloques, séminaires, réunions, etc.) au sein desquels les acteurs transnationaux vont diffuser leurs conceptions, en étant en contact avec des acteurs nationaux. Là encore l’observation directe et/ou participante est d’un apport important.

38 Toutefois, il faut non seulement s’intéresser à la façon dont sont diffusés les modèles et les discours, mais aussi analyser la façon dont sont réappropriés nationalement des modèles et des modes opératoires venus d’ailleurs. Comme le met en avant la sociologie des transferts culturels, plus stimulante ici que la littérature sur les transferts de politiques publiques, dans la mesure où elle s’intéresse aux logiques d’extraversion définies comme le fait « d’épouser des éléments culturels étrangers en les soumettant à des objectifs autochtones » [53], les modèles extérieurs font l’objet d’appropriations, de réinterprétations et de dérivations. Le national et le transnational sont étroitement interdépendants : la diffusion de modèles et de normes est liée non seulement à l’action d’exportateurs, mais aussi à celle d’importateurs [54], comme l’expriment clairement Yves Dezalay et Bryant G. Garth : « L’essor du marché de l’import-export symbolique repose à la fois sur une demande suscitée par les guerres de palais des pays importateurs et une offre alimentée par la compétition internationale pour l’exportation des expertises et des savoirs d’État » [55]. Ajoutons que la distinction entre acteurs transnationaux exportateurs et acteurs nationaux importateurs, si elle est analytiquement pertinente, ne l’est pas toujours empiriquement, tant les passerelles, les allers-retours, les interactions et les interdépendances sont nombreuses. Il est pour cela nécessaire d’appréhender ensemble ces acteurs, afin de mettre au jour de configurations d’interactions multi-niveaux. Il me semble, en outre, heuristique de les concevoir comme des acteurs intermédiaires transnationaux, dans la mesure où ils sont à la fois des généralistes et des courtiers, pour reprendre la distinction d’Olivier Nay et Andy Smith [56]. Ils ont, en effet, tout d’abord un rôle généraliste de production d’arguments et de représentations communes correspondant à la dimension cognitive de l’intermédiation. Celle-ci est liée à une capacité de passer d’un univers cognitif à un autre (en termes de savoirs, de modes de raisonnement, de croyances, de registres de légitimation, etc.). Ils ont également une activité de courtage reposant sur l’élaboration de compromis et de solutions acceptables par tous, correspondant à la dimension stratégique de l’intermédiation. Ces acteurs assurent alors un rôle d’entremetteur qui permet l’échange entre les parties, c’est-à-dire une entente sur les termes de l’échange et les bénéfices (matériels et/ou symboliques) de celui-ci.

39 De ce fait, les normes et les outils portés par des acteurs (intermédiaires) transnationaux ne font pas, en général, l’objet d’une simple transposition au niveau des politiques publiques nationales : ils sont, au sens littéral et sociologique du terme, « traduits » nationalement. Le recours à la notion de traduction, empruntée à Michel Callon [57], présente, en effet, un intérêt indéniable. Certes, comme le souligne Pierre Lascoumes [58] qui lui préfère la notion de transcodage, chez Michel Callon, la traduction désigne le passage d’un univers scientifique à un autre dans le cadre de la sociologie des sciences, en termes de déplacement et de transposition d’un univers précis à un autre. Les quatre opérations que distingue analytiquement Michel Callon (la problématisation – qui correspond à l’activité de reformulation d’un problème afin de le rendre acceptable –, l’intéressement – qui correspond aux activités de négociation scellant des alliances –, l’enrôlement – par lequel des rôles sont assignés aux différents acteurs – et la mobilisation – qui permet la réalisation de l’action) sont tout aussi pertinentes pour la transnationalisation des politiques publiques que celles, très proches, que met en avant Pierre Lascoumes pour le transcodage (reformulation d’un problème, recyclage de conceptions et de pratiques existantes, diffusion des constructions cognitives et organisationnelles effectuées, tracé d’un cadre d’évaluation des actions entreprises) permettant d’appréhender plus spécifiquement le changement dans l’action publique. Mais parler de traduction permet de renvoyer, plus nettement que le terme de transcodage, au passage d’une réalité nationale à une autre, même si nous souscrivons entièrement aux remarques de Pierre Lascoumes sur le fait que les objets et les techniques, dont parle Michel Callon, sont nettement plus identifiables qu’un processus d’action publique ; que les déplacements de sens et les transpositions cognitives sont bien plus hétéroclites dans le champ politique que dans le champ scientifique ; enfin, que les capacités des acteurs à la traduction sont inégales et dépendantes de leurs ressources spécifiques.

40 Ainsi, une sociologie de la transnationalisation des politiques publiques a aussi pour objet d’analyse les modalités nationales d’appropriation et de traduction de modèles et de modes opératoires diffusés internationalement. Une telle approche suppose de s’appuyer également sur une démarche comparative permettant d’appréhender les variations nationales de la diffusion d’un modèle et/ou de modes opératoires élaborés par des acteurs transnationaux. Ces variations peuvent s’analyser à plusieurs niveaux : celui des acteurs importateurs et traducteurs [59], celui du moment et du contexte des réformes inspirées par ces modèles, celui des enjeux à partir desquels les réformes ont été introduites, celui de l’étendue de ces réformes, celui de leur contenu précis et celui de leur inscription dans une configuration nationale préexistante. C’est ainsi que la comparaison transnationale des politiques publiques intègre les questionnements, les méthodes et les apports de l’analyse comparative internationale, contrairement aux travaux sur les transferts de politiques publiques, qui, le plus souvent, en privilégiant les cas de transfert d’un pays à l’autre, délaissent la comparaison.

41 Par ces questionnements, la comparaison transnationale permet également de mettre au jour les limites de la convergence. Celles-ci ne sont pas seulement liées au caractère partiel de la convergence, ne recouvrant pas forcément les sept niveaux distingués précédemment, et aux résistances qu’elle rencontre. Il faut, en effet, aussi tenir compte du fait que les politiques publiques actuelles correspondent, de plus en plus, à des construits hybrides mêlant des éléments externes et internes [60]. L’analyse comparée des modalités contrastées du tournant néo-libéral des politiques économiques en Europe de l’Ouest [61], des différentes formes de libéralisation des systèmes de protection maladie européens [62], de l’intensité variable de l’import/export de conceptions juridiques (État de droit) et économiques (économie de marché) américaines en Amérique latine [63], de l’impact différencié de l’OCDE sur les réformes des systèmes de protection sociale européens [64] met ainsi clairement en évidence cette articulation étroite entre dynamiques convergentes transnationales avec des traductions nationales dépendant des configurations d’interactions d’acteurs préexistantes. De plus, la notion d’hybridation renvoie non seulement à la combinaison d’éléments convergents et divergents, mais aussi de composants a priori contradictoires (par exemple, l’étatisation et la libéralisation combinées des systèmes de protection maladie européens [65]), ainsi que d’éléments préexistants et d’éléments nouveaux. En cela, la notion d’hybridation est à la fois plus riche que celle de métissage, qui renvoie principalement à l’entremêlement de composants nationaux variés [66], et que celle de recyclage [67], qui concerne avant tout le changement bricolé à partir d’éléments préexistants.

42 **

43 Pour conclure, on peut mettre en avant trois enjeux actuels auxquels est confrontée la comparaison transnationale. Le premier est celui de l’opérationalisation sociologique des notions théoriques. En effet, l’analyse des politiques publiques souffre, aujourd’hui, d’un double handicap : celui de la prolifération de « concepts écrans » (notamment la mondialisation, la globalisation ou encore la gouvernance) et un déficit en matière de réflexions méthodologiques. C’est pour cela que je plaide ici pour le recours à des notions plus opératoires pour l’analyse comparative des politiques publiques, en particulier celles de configuration d’interactions, de traduction et d’hybridation. L’enjeu majeur est bien celui d’opérer une sociologie des acteurs exportateurs et/ou importateurs en interaction à des niveaux multiples. Cette sociologie des acteurs intermédiaires transnationaux doit aussi intégrer la dynamique temporelle des transferts et des traductions qui s’inscrivent, plus généralement, dans des processus d’apprentissage, instrumentaux, stratégiques et cognitifs.

44 La sélection des cas nationaux constitue un deuxième enjeu. En effet, l’analyse comparée des politiques publiques se voit aujourd’hui confrontée à la remise en cause des typologies existantes, ce qui rend plus problématique la sélection de cas contrastés, pourtant indispensable si l’on veut travailler sur la convergence. C’est pour cela que la reformulation des typologies doit être pleinement intégrée à la comparaison transnationale.

45 Il faut enfin évoquer la question des conditions matérielles de la recherche. Le financement des travaux comparatifs en matière de politique publique relève de façon croissante d’institutions internationales (en particulier, la Commission européenne), exigeant la constitution d’équipes de recherches plurinationales. Cette façon de faire de la comparaison, si elle présente des avantages (en termes d’accessibilité et de compréhension des cas étrangers), présente aussi l’inconvénient d’accentuer certains des « pêchés originels » de l’analyse comparée, notamment l’élasticité conceptuelle, d’autant plus que les appels d’offres européens, qui regorgent de notions écrans, cherchent souvent à imposer des cadres d’analyse et à orienter la recherche comparative vers la légitimation d’un « one best way » ou d’une « one best practice ». Deux conditions apparaissent alors nécessaires : celle de l’autonomie intellectuelle de la recherche comparative et celle de l’apprentissage commun au sein de l’équipe de recherche, qui implique des échanges inscrits dans la durée.

46 À partir des exigences formulées ici, l’analyse comparative des politiques publiques semble être mesure de relever le défi stimulant, tant intellectuellement qu’empiriquement, de l’analyse sociologique de l’européanisation et de la mondialisation. Si la question de la convergence est redevenue centrale, elle s’est considérablement complexifiée et nécessite d’intégrer des niveaux multiples et interdépendants, afin de mettre au jour les processus de transnationalisation des politiques publiques à partir du rôle que jouent des acteurs intermédiaires en interaction [68].


Date de mise en ligne : 01/01/2006

https://doi.org/10.3917/rfsp.551.0113

Notes

  • [1]
    À certains égards, la comparaison internationale est devenue un instrument de politique publique, comme l’illustre, par exemple, le recours au benchmarking dans le cadre de la méthode ouverte de coordination au niveau européen, cf. Isabelle Bruno, Sophie Jacquot, Christelle Mandin, « L’européanisation saisie par son instrumentation : Benchmarking, Mainstreaming et méthode ouverte de coordination… Boîte à outils ou boîte de Pandore ? », communication à la journée d’étude de l’école doctorale de l’Institut d’études politiques de Paris, « Européanisation des politiques publiques et intégration européenne », 13 février 2004 <http:// sciences-po. fr/ recherche/ forum_européen/ prépublications/ papiers. htm>.
  • [2]
    Toutefois la demande politique et médiatique présente toujours le risque de « pousser la comparaison vers la recherche du “meilleur modèle”, c’est-à-dire l’exemple à suivre » ; Jan Spurk, « Épistémologie et politique de la comparaison internationale : quelques réflexions dans une perspective européenne », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), Stratégies de la comparaison internationale, Paris, Presses du CNRS, 2003, p. 75.
  • [3]
    Michèle Dupré, Annie Jacob, Michel Lallement, Gilbert Lefèvre, Jan Spurk, « Les comparaisons internationales : intérêt et actualité d’une stratégie de recherche », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), ibid., p. 15.
  • [4]
    Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1983 (1re éd. : 1895), p. 124.
  • [5]
    Giovanni Sartori, « Comparing and Miscomparing », Journal of Theoretical Politics, 3 (3), 1991, p. 243-257.
  • [6]
    Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit.
  • [7]
    Daniel-Louis Seiler, La méthode comparative en science politique, Paris, Armand Colin, 2004.
  • [8]
    Manfred Schmidt, « Vergleichende Policy-Forschung », dans Dirk Berg-Schlosser, Ferdinand Müller-Rommel (dir.), Vergleichende Politikwissenschaft, Opladen, Leske+Budrich, 1992, p. 197-212.
  • [9]
    Harold Wilensky, The Welfare State and Equality, Berkeley, University of California Press, 1975.
  • [10]
    On en trouvera quelques exemples dans l’article de Richard Balme et Sylvain Brouard dans ce même numéro.
  • [11]
    Manfred Schmidt, « When Parties Matter : A Review of the Possibilities and Limits of Partisan Influence on Public Policy », European Journal of Political Research, 30 (3), 1996, p. 155-183.
  • [12]
    Jeremy Richardson (ed.), Policy Styles in Western Europe, Londres, Allen & Unwin, 1982 ; Jürgen Feick, « L’analyse comparative des politiques publiques : un chemin vers l’intégration des résultats », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 179-225.
  • [13]
    Andy Smith, « L’analyse comparée des politiques publiques : une démarche pour dépasser le tourisme intelligent ? », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 7-19.
  • [14]
    Patrick Hassenteufel, Claude Martin, « Comparer les politiques publiques au prisme de la représentation des intérêts. Le cas des associations familiales en Europe », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 21-51.
  • [15]
    Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), Les réseaux de politique publique. Débats autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; David Marsh (ed.), Comparing Policy Networks, Buckingham, Open University Press, 1998.
  • [16]
    De manière plus générale, le programme de recherche de l’institutionnalisme historique domine aujourd’hui le champ des approches comparatives configuratives, à savoir celles qui se situent entre les approches centrées sur les variables (grand nombre de cas) et les approches culturalistes (un seul cas), comme le souligne Olivier Giraud (« Le comparatisme contemporain en science politique : entrée en dialogue des écoles et renouvellement des questions », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit., p. 87-106).
  • [17]
    Peter A. Hall, « Le rôle des intérêts, des institutions et des idées dans l’économie politique comparée des pays industrialisés », Revue internationale de politique comparée, 7 (1), 2000, p. 53-92. Sur cette articulation, on se reportera aussi à l’article de Bruno Palier et Yves Surel dans ce même numéro.
  • [18]
    Daniel Gaxie, « Remarques sur le comparatisme, le franco-centrisme et quelques autres sujets topiques », Paleastra, 3 (9), 1997, p. 34-35.
  • [19]
    Dans une contribution antérieure, je les avais qualifiées, sur un mode plus ludique, de « comparaison-Canada-Dry », de « comparaison de bureau », de « comparaison-jivaros » et de « comparaison-ventriloque » (« Deux ou trois choses que je sais d’elle. Remarques à propos d’expériences de comparaisons européennes », dans CURAPP, Les méthodes au concret, Paris, PUF, 2000, p. 105-124).
  • [20]
    Daniel-Louis Seiler, op. cit., p. 194-198.
  • [21]
    C’est là un des écueils de l’approche culturaliste fondée sur le postulat de l’irréductibilité des cultures. Il est contourné par certains culturalistes (à la suite, notamment, de Ruth Benedict et de son livre, The Chrysantemum and the Sword. Patterns of Japanese Culture, Boston, Houghton Mifflin, 1946) par le recours à la comparaison singularisante, reposant sur la confrontation de cas fortement contrastés, afin de mettre en lumière leurs singularités.
  • [22]
    Le clivage droite/gauche en est un exemple particulièrement éclairant, cf. Daniel-Louis Seiler, op. cit., p. 237-239.
  • [23]
    « Pragmatique de la comparaison », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit., p. 306.
  • [24]
    Giovanni Sartori, art. cité.
  • [25]
    Dans la mesure où les appels d’offre, européens en particulier, exigent le plus souvent la constitution d’équipes de recherche plurinationales.
  • [26]
    Et le risque de recours à des concepts inadéquats car trop liés à une réalité nationale spécifique : le « parochialisme », pour reprendre l’expression de Giovanni Sartori, art. cité, p. 247.
  • [27]
    Aux difficultés du dialogue international, dépendant fortement des compétences linguistiques inégalement partagées des uns et des autres, s’ajoutent les pièges de la traduction au sens littéraire : notions intraduisibles, notions décalées pour certains cas nationaux, notions qui n’ont pas le même sens en fonction du contexte national dans lequel elles sont utilisées…
  • [28]
    Puisque ce choix de stratégie d’écriture est fréquent dans le cadre de comparaisons menées collectivement, surtout dans le cadre d’équipes plurinationales.
  • [29]
    Pour Bruno Jobert, il s’agit là d’un véritable « biais » de la recherche comparative lié à la « recherche de données comparables [qui] peut conduire à privilégier les informations les plus routinisées » (« Politique de la comparaison », dans Michel Lallement, Jan Spurk (dir.), op. cit., p. 327).
  • [30]
    David Marsh, R. A. W. Rhodes, « Les réseaux de politiques publiques en Grande-Bretagne », dans Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), op. cit., p. 59.
  • [31]
    Pour une discussion récente, en français, on se reportera à Ève Fouilleux, « Propositions pour une approche dynamique des processus d’inertie et de changement dans les politiques publiques. L’exemple de la PAC », dans Joseph Fontaine, Patrick Hassenteufel (dir.), To Change or not to Change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 255-279.
  • [32]
    Michaël Werner, Bénédicte Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales. Histoire, sciences sociales, 58 (1), 2003, p. 8.
  • [33]
    On en trouvera plusieurs exemples, notamment celui de l’émergence de la figure de l’administrateur au 18e siècle, dans la première partie de Michaël Werner, Bénédicte Zimmerman (dir.), De la comparaison à l’histoire croisée, Paris, Le Seuil, 2004.
  • [34]
    Michaël Werner, Bénédicte Zimmermann, art. cité, p. 36.
  • [35]
    Ibid., p. 22-23.
  • [36]
    Colin J. Bennett, « What Is Policy Convergence and What Causes It ? », British Journal of Political Science, 21 (2), 1991, p. 217.
  • [37]
    Le point de départ de cette déclinaison de la convergence des politiques publiques est la caractérisation à cinq dimensions de Colin J. Bennett (ibid., p. 218), précisée et étoffée.
  • [38]
    Remarquons toutefois, à la suite de David Dolowitz et de David Marsh (« Learning from Abroad : The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy-Making », Governance, 13 (1), 2000, p. 13), que cette distinction est simplificatrice, parce que les deux dimensions sont souvent mêlées et qu’il existe donc toute une série de situations intermédiaires (par exemple, la convergence volontaire perçue comme une nécessité ou la convergence conditionnelle). C’est pour cela qu’il est préférable de concevoir ces deux formes de convergence comme les deux pôles opposés d’un continuum fondé sur le degré de contrainte.
  • [39]
    Le point de départ est ici aussi la distinction que fait Bennett (art. cité, p. 220 et suiv.) entre quatre processus de convergence : l’émulation, les réseaux d’élites, l’harmonisation et la pénétration. Ni la distinction entre les deux premiers processus (il s’agit, en fait, du même processus vu sous deux angles différents : national et transnational), ni celle entre les deux derniers (très proches) ne sont pleinement convaincantes. De plus, Bennett néglige le niveau infra-national et ne distingue pas clairement convergence verticale et horizontale.
  • [40]
    Michelle Cini, « The Soft Law Approach : Commission Rule-Making in the EU’s State Aid Regime », Journal of European Public Policy, 8 (2), 2001, p. 192-207.
  • [41]
    Patrick Hassenteufel, Sylvie Delaye, Frédéric Pierru, Magali Robelet, Marina Serré, « La libéralisation des systèmes de protection maladie européens. Convergence, européanisation et adaptations nationales », Politique européenne, 2, 2000, p. 29-48.
  • [42]
    David Dolowitz, David Marsh, « Who Learns What From Whom : A Review of the Policy Transfer Literature », Political Studies, 44 (3), 1996, p. 334.
  • [43]
    Pour une présentation d’ensemble, on se reportera aux deux articles de David Dolowitz et de David Marsh précédemment cités, ainsi qu’à celui de Mark Evans et de Jonathan Davies, « Understanding Policy Transfer : A Multi-Level, Multi-Disciplinary Perspective », Public Administration, 77 (2), 1999, p. 361-385.
  • [44]
    La notion de transfert est aussi présente dans un certain nombre de travaux historiques. Une des critiques majeures qui lui est adressée est de partir d’un cadre stable avec un point de départ et un point d’arrivée ; de ce fait, elle n’intègre pas, à la différence de l’histoire croisée, les phénomènes de réciprocité (le point de départ peut être modifié du fait du transfert) et de réversibilité. Ce cadre analytique ne permet donc pas d’appréhender l’ensemble des interactions entre deux entités nationales qui sont modifiées par leurs interdépendances (Michaël Werner, Bénedicte Zimmermann, art. cité, p. 13-15).
  • [45]
    « La scène internationale […] multiplie les possibilités de double jeu pour le plus grand profit de ces contrebandiers, courtiers ou compradores dans l’ordre symbolique, qui savent exploiter au mieux l’incertitude et les approximations des échanges internationaux, afin d’accroître leur marge de manœuvre » (Yves Dezalay, Bryant G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine. Entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Le Seuil, 2002, p. 3).
  • [46]
    L’observation directe, voire participante, quand elle est possible (notamment au sein d’institutions internationales) est, sur cet aspect, d’un apport précieux, car elle permet d’appréhender en acte ces interactions, notamment les échanges informels, les signes de familiarité, les formes de connivences, ainsi que les tensions et les oppositions.
  • [47]
    Frédéric Pierru, Marina Serré, « Les organisations internationales et la production d’un sens commun réformateur de la politique de protection maladie », Lien social et politiques, 45, 2001, p. 105-128.
  • [48]
    Patrick Hassenteufel, Bruno Palier, « Le social sans frontières ? Vers une analyse transnationaliste de la protection sociale », Lien social et politiques, 45, 2001, p. 13-27.
  • [49]
    Comme le montre, par exemple, le cas de la lutte anti-blanchiment des capitaux liés au trafic de drogue, qui repose plus sur une logique de pression entre pairs sur les « cancres » n’appliquant pas les recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux – créé à la suite de l’adoption de la convention de Vienne contre le trafic illicite de stupéfiants à la fin des années 1980 – que sur des sanctions directes (cf. Gilles Favarel-Garrigues, « Crime organisé transnational et lutte anti-blanchiment », dans Josepha Laroche (dir.), Mondialisation et gouvernance mondiale, Paris, PUF, 2003, p. 161-173).
  • [50]
    Béatrice Hibou, « Économie politique du discours de la Banque mondiale en Afrique subsaharienne. Du catéchisme économique au fait (et méfait) missionnaire », Les études du CERI, 39, 1998.
  • [51]
    Sur cette notion, cf. Emery Roe, Narrative Policy Analysis, Durham, Duke University Press, 1994.
  • [52]
    Claudio Radaelli, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union Européenne », Revue française de science politique, 50 (2), avril 2000, p. 255-275.
  • [53]
    Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996, p. 80.
  • [54]
    L’importation anticipe aussi le processus de formation de nouvelles élites, comme le souligne Bertrand Badie à propos de l’importation de modèles politiques occidentaux (L’État importé, Paris, Fayard, 1992, p. 152 et suiv.).
  • [55]
    Yves Dezalay, Bryant G. Garth, op. cit., p. 27.
  • [56]
    « Les intermédiaires en politique. Médiation et jeux d’institution », dans Olivier Nay, Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action politique, Paris, Economica, 2002, p. 13-15.
  • [57]
    Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 36, 1986, p. 169-208.
  • [58]
    Pierre Lascoumes, « Rendre gouvernable : de la “traduction” au “transcodage”. L’analyse du changement dans les réseaux d’action publique », dans CURAPP, La gouvernabilité, Paris, PUF, 1996, p. 325-338.
  • [59]
    À titre d’exemple, on peut mentionner l’étude sociologique approfondie, à base d’un matériau biographique très abondant, des « élites compradors », également qualifiées de « courtiers », que proposent Yves Dezalay et Bryant G. Garth (op. cit.), pour analyser les stratégies d’internationalisation ayant permis la restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, c’est-à-dire « la façon dont les opérateurs nationaux cherchent à tirer profit d’un capital étranger – en termes de titres universitaires, de contacts et, plus généralement, de légitimité ou de notoriété internationale – pour accroître leur influence dans le champ national » (p. 31). On soulignera toutefois que cette enquête, très riche, n’est pas forcément transposable, puisqu’elle a été rendue possible par les entrées importantes que Bryant G. Garth possède dans ce milieu étudié.
  • [60]
    Bertrand Badie met cependant en garde contre l’idée que « les pratiques d’importation débouchent nécessairement sur une logique d’hybridation, que les flux venus du dehors ont vocation à être appropriés par la société réceptrice, comme si une mystérieuse main invisible assurait une prise de possession des biens et des symboles conçus et façonnés par d’autres histoires et d’autres cultures » (op. cit., p. 223). Le rejet ou la production de désordres, comme le met en avant Bertrand Badie, sont ainsi fréquemment le produit de l’importation de modèles politiques.
  • [61]
    Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • [62]
    Patrick Hassenteufel, « L’européanisation par la libéralisation ? Les réformes des systèmes de protection maladie dans l’Union Européenne », dans Patrick Hassenteufel, Sylvie Hennion-Moreau (dir.), Concurrence et protection sociale en Europe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 209-232.
  • [63]
    Yves Dezalay, Bryant G. Garth, op. cit.
  • [64]
    Klaus Armingeon, Michelle Beyerler (eds), The OECD and European Welfare States, Cheltenham, Edward Elgar, 2003.
  • [65]
    Patrick Hassenteufel, « Les réformes des systèmes de protection maladie entre libéralisation et étatisation. Une comparaison européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne) », Revue internationale de politique comparée, 5 (2), 1998, p. 315-341.
  • [66]
    Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999.
  • [67]
    Pierre Lascoumes, L’éco-pouvoir. Environnement et politiques, Paris, La Découverte, 1994, p. 269 et suiv.
  • [68]
    Ce texte a bénéficié des remarques faites lors de présentations orales dans le cadre du séminaire du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) sur les méthodes d’analyse des politiques publiques et de la journée d’études organisée par l’IREIMAR à l’Institut d’études politiques de Rennes portant sur les méthodes comparatives, ainsi que des lectures stimulantes de Gilles Favarel-Garrigues et de Romain Pasquier.

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