1 Entre la psychanalyse, en sa dimension freudienne, et ce que l’on nomme psychosomatique, il y a ce que l’on peut appeler une pomme de discorde : le fantasme. Différend qui engage tout le rapport du sujet, entre corps et symptôme (Assoun, 1997), mais qui se récapitule électivement autour de cette problématique fantasmatique, point sensible s’il en est. Ce différend sera impliqué ici à titre d’enjeu, occasion de lever de durables malentendus d’origine, l’essentiel étant de revenir à la question intrinsèque des rapports stratégiques entre corps et fantasme, pour saisir la cristallisation du symptôme dit somatique.
2 Une investigation métapsychologique (Assoun, 1993 & 2000) est là essentielle. C’est assurément ce qui distingue une approche clinique fondée sur la problématisation freudienne. Cette théorie fondamentale des processus inconscients a un enjeu clinique vivant, car « la santé », au dire de Freud, « ne se laisse définir que métapsychologiquement » (Freud,1937), affirmation provocatrice mais des plus éclairantes. C’est une façon de signifier que l’on ne sait rien de la « santé » – somato-psychique – d’un sujet, tant que l’on n’a pas exploré l’état de son antagonisme interne, le rapport de forces des instances de son appareil psychique et son économie – espèce de « scanner méta- psychologique » ! Tel sujet apparemment « équilibré » révèle à l’examen métapsychologique un moi crispé sur ses défenses, un surmoi délétère ou une misère pulsionnelle. Qu’est-ce que « la sorcière métapsychologie » (ibid.)peut donc dire du fantasme, sur le fondement de son expérience clinique ? Le retour à la problématisation de la formation inconsciente fantasmatique est essentiel pour aider à localiser ce qui se joue là. Formation psychique, certes, mais étroitement corrélative d’une position corporelle.
3 Comment se représenter, à l’aide de cette boussole, les liens du fantasme et du corps dans l’économie du sujet ? Question basique, mais qui nous semble paradoxalement éludée et ne cesse de faire retour en sourdine dans l’investigation du somatique, puisqu’il n’y a rien de plus intime que l’articulation entre la mise en acte du corps et le travail du fantasme, alors même que le fantasme semble représenter un « décollement » psychique et représentationnel, voire une « sublimation », au sens d’une poussée vers le haut. Cette question, nous l’avons logiquement rencontrée au croisement de notre recherche, respectivement sur le corps en son rapport générique au symptôme (Assoun, 1997, op. cit.) et sur le fantasme considéré en lui-même (Assoun, 2007), foyer géométrique en quelque sorte. Voici l’occasion d’en explorer plus directement et frontalement le nouage. Cela engage la clinique de la somatisation, car il y va du statut du fantasme dans son rapport au corps, en tant qu’il s’acte dans le symptôme que l’on appelle somatique. Il n’y a pas de possibilité de saisir ce qui « tourne mal » dans le corps, alors qu’aucune explication organique n’est disponible, sans passer par la question du fantasme, clé du symptôme somatique, dans la mesure où ce symptôme, défiant la médecine, constitue une initiative, secrète et énigmatique, du sujet. C’est aussi bien l’occasion de saisir le fameux « saut du psychique au somatique », via le fantasme qui en est le « passeur ».
Le fantasme ou le corps en acte
L’image et le corps
4 À la seule évocation et nomination du « fantasme », ce qui vient à l’idée immédiatement, conformément à la notion de phantasma, c’est celle d’une (mise en) image. Fantasmer, c’est « voir » quelque chose, mais in petto, dans le recel de son intériorité, c’est une image du dedans, surgissant sur l’écran diurne : dimension fantasmagorique.
5 Envisagée cette fois comme formation psychique, elle s’avère « mixte » – émargeant aux deux « systèmes » de l’appareil psychique, conscient/préconscient et inconscient. Le fantasme peut en effet se vivre et se verbaliser à ciel ouvert et en plein jour, alors même que les ressorts en demeurent cachés, ce qui marque la clause du secret que Freud exprime de la façon la plus incisive : on confesserait plus volontiers ses forfaits que ses fantasmes (Freud, 1908), même s’il est des moyens de le livrer à une « semi-publicité », entendons habilement et artistiquement voilé.
6 Enfin, il s’agit d’un synopsis : le fantasme renvoie à un phrasé qui restitue un récit, une structure narrative, si élémentaire soit-elle, un récit succinct constituant le scénario filmique, avec présentation sommaire du sujet, de l’action et des personnages principaux. L’écriture littéraire n’est ni plus ni moins que le délayage du fantasme de l’auteur, s’élevant à l’occasion au statut de chef-d’œuvre (Assoun, 1996). Ce n’est d’ailleurs pas la plus élémentaire « narration » qui est la moins efficace, quant à la fonction autoérotique qu’elle a à remplir.
7 À ce simple rappel – acquis préalable de l’appréhension analytique –, on situe le croisement du fantasme entre image, vécu et récit, à la façon d’une représentation iconique, portant en légende un commentaire, bref une sorte d’estampe psychique. « Dessin animé », littéralement, car il y a bien une théâtralité du fantasme, ce qui exige d’en éclairer la dramaturgie. Rien n’éloigne plus du réel du fantasme que de l’aborder comme une sorte de « distraction » où le sujet se mettrait « en roue libre », car rien n’est plus contraignant que le fantasme, qui fait droit à une nécessité. C’est le jeu le plus sérieux qui soit, car il engage, on va le voir, le rapport – voilé et divisé – du sujet à une vérité impérieuse et cette vérité concerne électivement le sexuel. S’il est bien des thématiques fantasmatiques autres que sexuelles, le sexuel n’est pas seulement le contenu du fantasme, mais le ressort de l’activité fantasmatique. Cette polarisation est liée au fait que le sexuel est le lieu même d’attraction et d’inavouable, par lequel le sujet met en scène et en acte sa division par rapport au contenu du refoulé. Tel le rêve, le fantasme est une semi-confidence que le sujet se fait, de jour ou de nuit (car il est des fantasmes « encapsulés » dans des rêves).
Corps et fantasme : la passante du fantasme
8 Où est le corps là-dedans ? Si le fantasme est mis en scène en effigie de ce théâtre, le corps serait le plancher de la scène. Le « fantaste » (Phantast) – terme qui désigne chez Freud le sujet du fantasme, fantasmant en acte – vit avec et par son fantasme, un événement du corps, particulièrement intense, comme « jouissance privée ». C’est quand il fantasme que le sujet sent son corps le plus intensément. Mais de quel corps s’agit-il ?
9 Un exemple d’allure élémentaire exhibe ce lien : Freud pointant, dans l’un de ses premiers textes élaborés sur le fantasme, en son régime hystérique (Freud, 1909), le lien entre l’événement somatique, l’éclosion du symptôme et le rôle actif des fantasmes en cette opération. C’est tout naturellement l’hystérique qui nous montre le chemin, et il ne faut jamais perdre de vue ce rôle de pionnière en la matière. Voici une patiente-passante, cheminant dans la rue. Il va lui arriver une histoire que l’on peut aborder par les deux pôles qui nous intéressent et que sa mésaventure sert justement à cristalliser.
10 Côté corps, considérons qu’elle marche silencieusement, sans doute en se hâtant quelque peu, d’un air préoccupé et surtout « absent » – petit automatisme ambulatoire, semblant aller nulle part, quoiqu’elle soit affairée à atteindre quelque but. Or, parvenue au terme de son trajet, voilà qu’elle éclate brusquement en sanglots. Les larmes ont une fonction exemplaire de décharge de l’affect dans le corps et par l’organe, manifestée par le flux lacrymal, sécrétion d’affect en quelque sorte. De ces pleurs comme surgis de nulle part, Freud va donner la clé de déchiffrement. En attendant, on ne voit que cela : une femme qui marche et qui pleure, comme si cette déambulation avait été propice à la libération de quelque synopsis fantasmatique.
11 Côté fantasme, puisqu’il nous faut basculer là, le trajet spatial de ce « mobile » a coïncidé avec le développement d’un script intérieur. Il y a « toute une histoire » là-dessous : elle a disons « imaginé » – s’investissant d’un rôle théâtral ou romanesque en diable – qu’« elle avait lié une tendre relation avec un pianiste virtuose bien connu dans la ville […] elle avait eu un enfant de lui […] et elle avait été abandonnée à la misère avec son enfant. C’est à cet endroit du roman qu’avaient jailli ses larmes ». C’est donc peu dire qu’elle a « imaginé », elle s’est identifiée in corpore. Elle a été, le temps du trajet, l’héroïne de ce drame dans lequel elle est tombée comme dans un filet.
12 La motricité de la bien nommée « passante » a donc, en quelques mètres, servi à franchir toute une tranche de vie fantasmée : roman d’amour, maternité, déception et abandon. Or, ce que l’on voit de l’extérieur, c’est seulement une femme en pleurs, dont on peut s’étonner qu’elle se transforme brusquement en fontaine. Ces pleurs appartiennent autant à la réalité du corps – comme excrétion affectale – qu’à l’événement intérieur de la romance fantasmée. C’est bien « à cet endroit du roman » (ourdi par le fantasme romancier) que les larmes ont surgi. Espace-temps : cet endroit romanesque coïncide avec un point temporel du synopsis fantasmatique. Elle pleure, en effet, autant avec son corps à elle qu’avec celui de l’autre femme, figure fantasmée à laquelle elle s’est identifiée : la maîtresse du pianiste. (Cela ferait un bon titre de romance ou de film, et pour cause, il ne s’agit de rien d’autre que de fantasme filmé dans le registre cinémato-graphique). Les yeux en pleurs sont l’agrafe, via l’affect, du soma et du récit. Les « yeux rougis » sont l’effet somatique – par innervation – du fantasme, en son moment de déception. Si le fantasme est un semblant – comme « fantasmagorie » –, il a un effet de réel spectaculaire, bref il s’incorpore, faisant de l’organe un acteur. Il a beau résider dans le recel du sujet, dans son « for intérieur », il agit spectaculairement dans le dehors. Mais c’est comme une « boîte noire », on n’en voit les effets qu’à la sortie, alors qu’il travaille dans le canal interne.
13 La promenade, ce mouvement lent et sans but assigné, est éminemment propice à l’activité fantasmatique, elle pourrait en être la finalité secrète : se promener pour fantasmer, pour donner chance au jeu avec son propre désir de se déclencher. On peut parler ici des « rêveries de la promeneuse solitaire », à l’instar de son célèbre homologue masculin. « Passante considérable » – pour parodier le mot de Mallarmé à propos de Rimbaud –, bien que femme parmi d’autres, mais magnifiée par son fantasme, son bien inaliénable. Femme frustrée, mais qui, face à cette Versagung, ce qui lui est intimement refuséne reste pas inerte… Elle met en marche le train du fantasme, qui la fait sortir du train-train du renoncement quotidien, ce qui en constitue le bénéfice (même si elle le paie de quelques larmes, qui font partie de l’opération). Elle monte clandestinement dans le train du désir (« un tramway nommé désir »), à l’insu de tous. Ainsi nous indique-t-elle la voie vers une approche du fantasme comme formation psychique et événement du corps, solidairement.
Le corps pulsionnel ou le « corps à corps » fantasmatique
14 On le voit dès ce premier exemple : le fantasme nourrit le désir, autant qu’il s’en nourrit. Alors même que c’est une histoire, dans le scénario en question, qui finit mal – pas question de happy end –, le corps hystérique aura joui sur tout le trajet, tant au sommet de son histoire d’amour qu’en son issue ravageante… C’est au « réveil », quand elle émerge de sa rêverie, que, dégrisée, chutant, tel un déchet, du fait de l’abandon imaginé, elle se liquéfie littéralement, ce qui la ramène à la triste réalité. En cet effondrement même, il faut souligner qu’œuvre une satisfaction secrète, elle y culmine même : il y a indéniablement un plaisir hystérique à verser des larmes. On le sent au soulagement que cela représente, mais plus profondément on aperçoit un « au-delà du principe de plaisir » (sur lequel il sera donc indispensable de revenir), mais aussi à la façon d’une rêverie de désir, qui, tournant mal, réveille le rêveur. Il est donc essentiel que le corps – réel, pulsionnel – ait été mis en acte par l’action du fantasme. Au reste, l’échec même de l’histoire fantasmée réalise une satisfaction masochiste (Assoun,2007)qui pose la base d’un gain déterminant : on le verra, c’est comme objet que le sujet réalise la plus grande plus-value fantasmatique.
15 Cela nous donne vue sur l’arrière-plan de l’événement. Ce qui est sous-jacent au fantasme, c’est le corps-sujet en sa dimension pulsionnelle, et, en deçà, excitationnelle. L’excitation est cette « montée », « point d’impact unique » (Freud, 1915) qui constitue l’étincelle somatique, car la pulsion (Trieb) est une poussée (Drang) qui s’origine de (et dans) la zone érogène, en quoi elle constitue un « concept-frontière » (Grenzbegriff) entre « psychique » et « somatique » (ibid.),elle s’amorce par cet événement somatique de degré zéro ou de degré un que l’on appelle excitation (Assoun, 2013). Freud note joliment que l’excitation (physiologique) constitue le « grain de sable » à partir duquel se constitue « la perle » du symptôme somatique inconscient (Freud, 1905 ; Freud, 1917). De même donc qu’une huître, pour se défendre contre le corps étranger qui pénètre dans son « manteau », produit une perle, par sécrétion d’une substance nommée « aragonite ». À nous de recueillir « la perle » du symptôme à interpréter, sauf à ne pas perdre de vue qu’il a pris naissance dans le « grain de sable » de l’excitation somatique.
16 Le mouvement pulsionnel a pour « but » de supprimer la tension somatique où elle prend sa source (comme on dit d’un cours d’eau), au moyen d’un objet. Mais le plus remarquable dans la pulsion est d’une part sa continuité, comme afflux interne, et, d’autre part son caractère rétroactif – elle donne à penser une activité, mais aussi un mouvement vers le retour à un avant, celui de la satisfaction primitive. Plutôt que finalisée par la satisfaction, la pulsion est échappement (moteur) à l’insatisfaction, l’objet n’étant que le moyen (vital) de revenir au point de départ (d’où son trajet « en boucle ») et ce qui donne l’occasion à la pulsion de s’acter. Ce double aspect – continuité et rétroaction – donne à la pulsion son caractère répétitif et atemporel, d’où l’impression qu’elle « surgit de nulle part », alors même que c’est du corps qu’elle provient. C’est en quelque sorte une éternelle première fois, une chronicité aiguë.
17 Surtout, c’est l’occasion de retrouver son vrai corps, en quelque sorte, de se souvenir que l’on a un corps pulsionnel. Le fantasme est la façon la plus précieuse de faire corps avec son corps propre, celui de la jouissance. On le voit bien en examinant l’état amoureux : le sujet, le temps de l’amour, vit dans un monde fantasmatique qui donne des couleurs au monde, à condition que le fantasme se soit connecté, se soit « mis en consonance » (Freud, 1910) avec un objet du monde extérieur. Le « miracle » de l’amour, pour l’exprimer dans le vécu naïf mais révélateur de l’affect amoureux, est que l’objet du fantasme (dedans) et l’objet réel (dehors) sont jumelés, voire confondus – en une « consonance » (Ein-klang). C’est le plus agréable des vécus confusionnels entre « dedans » et « dehors » par où le corps se réincarne et, si en contraste, on voulait oublier ce corps pulsionnel (par l’abstinence), le symptôme se chargerait de rappeler au sujet qu’il n’échappe pas aux exigences têtues de ce corps-là. Le symptôme est un rejeton, en dernière instance, de « l’amour refoulé ». C’est précisément là que se forme la conjoncture d’une somatisation, de la « névrose d’angoisse » à la « psychonévrose ».
L’économie du fantasme : la réserve naturelle du principe de plaisir
18 Comment se constitue donc le corps du fantasme et par quelle économie ? Celle du retour ponctuel – le temps du « tournage » du scénario fantasmatique – au principe de plaisir (Lustprinzip). L’« être de bonheur du fantasme » consiste en « la réinstauration de l’indépendance de l’acquisition du plaisir envers la réalité », d’où le caractère fondamental de plaisance de l’habitat fantasmatique, lieu où le sujet se retire périodiquement pour re-jouir – à temps partiel – d’objets ordinairement interdits d’accès et d’un espace protégé ou, pour le dire en termes plus modernes, à la façon d’une « réserve naturelle » du style du Yellowstone Park, la première ayant été créée en 1872 : « De même qu’une nation, dont la richesse repose sur l’exploitation de ses trésors terrestres, réserve un certain domaine qui doit être laissé dans l’état originel et épargné des transformations de la culture »(souligné par nous)(Freud,1911). Enclave sauvage qui explique que, pendant l’opération fantasmatique, « ça barde » dans le corps. Mais Freud ne nous en donne pas une image tropicale de luxuriance, c’est plutôt une « pause » – précieuse – dans le refoulement et dans la répression culturelle – ce qui rendra possible le retour à la réalité, une récréation qui est plus fondamentalement une re-création de potentialités désirantes du corps. C’est pourquoi le fantasme est « bon pour la santé » pulsionnelle, tandis que la dépression se reconnaît a contrario au fait que, son fantasme ne travaillant plus pour le sujet, il a l’impression saisissante que les/ses jours se suivent et se ressemblent si tristement pour lui.
19 On peut alors parler d’un sujet « défantasmant », faute d’un rapport au manque pratiqué comme tel (qui semble manifester la perte de quelque « compétence fantasmatique »). Que se passe-t-il en fait ? À la place de ce qui nourrissait son manque désirant se forme un vide, répété de jour en jour. Cela touche le corps propre, dont le sujet se désintéresse par une « incurie » généralisée. L’« atonie » est corrélative de l’inappétence à désirer. Le déprimé a l’impression qu’il n’a « plus envie de rien », alors qu’il est dans la situation de ne plus manquer de rien, puisque plus rien ne laisse à désirer, donc ne le laisse désirer. Le désir est bien en ce sens ce qui travaille solidairement par l’angoisse et le fantasme (Assoun,2016). Que l’on considère les « névroses actuelles », celles qui témoignent d’un problème de psychisation de la frustration pulsionnelle. Pourquoi, dans la névrose d’angoisse, le sujet anxieux, prenant acte de ce malaise dans le corps, forge-t-il toutes sortes de petits scénarios catastrophiques, imaginant qu’un malheur est arrivé à ses proches par exemple ? C’est que le corps propre aux abois réalise projectivement des mises en scène de cette menace interne, ce qui se vérifie dans le vécu « neurasthénique » ou dépressif. Dans l’hypocondrie, en revanche, se produit une sorte de fermentation de la libido narcissique, à même le corps propre – les scénarios d’issues pathologiques catastrophiques imaginées venant en quelque sorte médicaliser le fantasme ! Les névroses actuelles sont révélatrices de cette émulsion fantasmatique, qui provient de la perception « endoscopique » des transformations du corps propre pulsionnel, mais c’est avec les « psychonévroses » que l’activité fantasmatique trouve sa richesse d’expression propre, au-delà de l’émulsion au ras du corps. On ne soulignera jamais assez que l’hystérie, si elle est loin d’épuiser la variété des avatars somatiques, jouit de ce privilège de paradigme concret.
20 On peut ainsi mettre au jour le rôle du corps dans le devenir pulsionnel. De la pulsion, que faire à part la satisfaire, sachant qu’elle est foncièrement empêchée ? On rencontre là les « destins » de la pulsion, soit ce qui peut lui arriver et, au premier chef le refoulement, qui du reste ne s’exerce pas sur la pulsion même (en soi in-refoulable), mais sur ses représentants psychiques, au premier chef la représentation du refoulé. Freud le rappelle, la doctrine de l’affectivité analytique renvoie à la théorie de la libido, mais celle-ci se « psychise » par le truchement de ces « députés » que sont l’affect (en décharge directe) et la représentation (qui rend possible une médiation), sauf à souligner que l’affect, tout en dissimulant un conflit représentationnel, garde un lien par définition plus direct au corps pulsionnel, dont il constitue le mode électif de déchargement.
Fonctions inconscientes du fantasme
21 Il nous faut, pour prendre la mesure clinique de ce qui se joue, présenter un « portrait métapsychologique » du fantasme, en sa triple dimension : dynamique, à travers la fonction qu’il joue dans la conflictualité pulsionnelle ; topique, quant aux instances psychiques engagées dans l’opération fantasmatique ; et enfin économique, quant aux déplacements qui sont engagés dans cette opération.
La fonction pulsionnelle du fantasme : de la suppléance au « double jeu »
22 Le rappel relatif à la pulsion est indispensable pour situer la fonction inconsciente princeps du fantasme, qui ne peut être considéré comme tel que dans la mesure où le refoulement a été posé.
23 Le fantasme est la mise en scène de la satisfaction pulsionnelle, mais foncièrement indirecte. C’est dans la mesure où elle est peu ou prou empêchée que la pulsion s’approprie ce moyen du fantasme, de se rapporter – quand même – au refoulé. Il a donc une fonction « vicariante » ou de suppléance. On parle bien d’« organe vicariant », depuis le xix esiècle, pour désigner un organe assurant une fonction de remplacement fonctionnel d’un autre organe. Cela suppose de regagner quelque chose de ce à quoi le refoulement a obligé à renoncer, soit cette jouissance intimement exclue. Freud en donnera la formule la plus élaborée en examinant le trait distinctif de la névrose. Le fantasme est un « dédommagement » ou une indemnisation apportée au ça, ce pôle pulsionnel « ouvert à son extrémité » sur le somatique (Freud, 1923) ou plutôt est-ce le ça qui, de sa poussée aveugle, cherche à se réapproprier un territoire.
24 Le fantasme touche donc « viscéralement » au soma, en ce qu’il parle le langage du ça. Sauf à tenir compte de l’interdit surmoïque et du refus de laisser-aller du moi, il l’inclut dans son dispositif dosant « jusqu’où aller trop loin ». C’est à cela que travaille la mise en scène du fantasme : évoquer le refoulé – ce sont les « voix » du fantasme (Assoun,2016) –, tout en prenant des détours, plus ou moins savants car il y a bien un « art » inconscient du fantasme. Le ressort de l’opération fantasmatique est clair : figurer une situation où l’interdit (de jouir) est déjoué. « Double jeu » du fantasme, puisqu’il pose, dans le même acte, l’interdit et la transgression. Tel est le « savoir artistique » du fantasme.
Excitation et auto-érotisme : le « préconscient » en acte
25 Nous pouvons, par ce détour métapsychologique, décrire concrètement l’opération fantasmatique, s’amorçant par la poussée excitationnelle, qui convoque ce que l’on peut traduire littéralement par « rêve de jour » (Tagtraum). C’est une activité diurne – contrairement au rêve, activité nocturne, d’où la mobilisation du « pré-conscient », afin de soutenir une activité auto-érotique.
26 Ce voyage dans le scénario a pour support le mouvement masturbatoire, qui confère au fantasme son caractère auto-giratoire. On le sent bien, le fantasme tourne sur lui-même, c’est un mouvement en boucle ou « en toupie ». C’est une sorte de pensée du corps à lui-même, pensée mise en branle, soutenue par l’évocation d’un scénario. Celui-ci revient toujours à placer la jouissance dans l’Autre supposé jouir, le corps auto-érotisé se branchant sur ce scénario pornographique strictement privé : transgression sans autre « public » que le sujet lui-même (qui est son propre « public privé » !). « L’évocation du fantasme » est ce qui fait soudure (Verlötung) avec « la réalisation active d’autosatisfaction, au sommet de celle-ci » (Freud, 1909, op. cit.), terme révélateur qui dit la jonction intime, soit l’adjonction par fusion d’une « pièce ».
Le métissage topique
27 À partir de cette utilité dynamique, voici la mise au point essentielle au plan topique : le fantasme est un métissage instantiel. Considérée en elle-même, la formation fantasmatique ressemble aux formations psychiques conscientes, appartenant donc au « système conscient-préconscient », son « haut degré d’organisation » faisant qu’elle n’a rien à envier à la consistance des formations conscientes, souligne Freud. C’est au reste ce qui lui confère son caractère vrai-semblable.
28 Mais son origine inconsciente se trahit à un certain trait – à la manière, dit Freud, de ces métis (Mischlinge) qui, dans un régime ségrégatif (de style apartheid), sont admis à jouir des droits communs, avec une limite : quand se trahit leur origine, par ce trait physique qui a un effet discriminatif et les exclut des droits réservés aux indigènes, ceux qui ne présentent pas ce trait. Le fantasme a donc pour caractéristique de mimer en quelque sorte la formation consciente et d’instaurer une dialectique étonnante avec l’économie inconsciente.
Les « voix du fantasme », entre corps et langage
29 Cela se trouve explicité par Freud dans la période de maturation de sa théorie du fantasme, à travers la déconstruction soigneuse du fantasme de fustigation, où l’on voit se déployer la dialectique entre les dimensions consciente et inconsciente, placées en quelque sorte « en sandwich » dans le fantasme (Freud, 1919). Le corps battu est sur le devant de la scène, puisque le sujet se voit assailli par l’image d’un enfant que l’on bat, ce qui se spécifie ensuite par la représentation d’un père qui bat l’enfant. Mais, ce que l’on trouve derrière ces représentations de façade obsédantes, c’est la représentation, elle inconsciente, d’être battu(e) par le père, envers inavouable du scénario, qui prend sens dans le désir œdipien, transformation de l’actif en passif qui représente un gain narcissique.
30 Ce n’est pas un hasard, si c’est mettant au jour le contenu masochiste structurel du fantasme, que Freud en systématise le mode d’écriture. On peut alors parler de « voix » du fantasme : Die Phantasie lautet, telle est l’expression employée pour désigner le thème/scénario d’un fantasme. Lauten, signifie à la fois « dire », « sonner », « tinter ». C’est comme un carillon, à la façon de cloches. Quand le « fantaste » dit qu’il voit un enfant qu’on bat (par qui ? pourquoi ?), on peut dire que simultanément il entend une voix (non sonore) (Assoun, 1995) qui lui fait entendre « un enfant est battu… ». Sans aller jusqu’à l’hallucination (verbale), le dispositif fantasmatique est bien scopico-verbal. C’est à la fois le corps propre et le « parlêtre » qui sont ébranlés par l’événement fantasmatique.
31 De ce portrait métapsychologique du fantasme, ressort sa nature d’entre-deux à tous les niveaux, ce qui culmine avec sa fonction bisexuelle : le fantasme ne fonctionne qu’à faire jouer le masculin et le féminin (Assoun, 2007). C’est proprement un lieu de passage. Il joue décidément sur les deux tableaux et c’est ce qui va permettre d’en comprendre la signification clinique, dans cet autre entre-deux, du fantasme et du symptôme.
Du fantasme au symptôme somatique
La « compétence » fantasmatique
32 Nous pouvons à présent mesurer le contenu et les enjeux du différend autour du statut du fantasme. Le point de départ en est le repérage d’un type de patients affectés de problèmes somatiques chronicisés, qui semblent organiser un régime psychique particulier. C’est bien ce qui a déterminé les divers courants de la psychosomatique d’inspiration analytique – de l’École de Chicago à l’École psychosomatique de Paris – à accréditer l’idée d’une personnalité psychosomatique sui generis, et même d’une « structure psychosomatique ». Dans le « portrait » d’une telle structure, la paupérisation des formations inconscientes, du rêve au fantasme, apparaît un trait distinctif, « dé-psychisation » qui va jusqu’à la « démentalisation » (Marty, 1991). Ce n’est pas un hasard si, lancée dans le registre de la difficulté d’intégration de la personnalité psychosomatique, on en vient à réintroduire une problématique du « mental », profondément étrangère à la logique inconsciente, à laquelle la métapsychologie fait droit. C’est comme si ces patients « anomiques » faisaient éclater le modèle métapsychologique ! Notre idée est qu’il n’en est rien, sauf à prendre en compte en effet la difficulté clinique et thérapeutique que posent de tels patients.
33 En un tel déchiffrement psychosomatique, la « carence fantasmatique » apparaît, dans la foulée, comme un trait distinctif, en contraste avec les positions névrotiques, d’où l’insistance marquée sur un modèle dérogatoire de celui de l’hystérie. Dès lors, le fantasme apparaît bien comme une sorte de compétence, dont de tels sujets auraient perdu la disponibilité. Fantasmer ne serait plus « dans leurs cordes ». Or, de l’examen précédent, il apparaît que le fantasme n’est pas une compétence qui s’acquerrait ou se perdrait, dans le cas de patients dits psychosomatiques. Les fantasmes sont bel et bien là mais, de fait, s’ils donnent l’impression d’être « neutralisés », ils sont bien plutôt « incorporés », selon un processus de régression spécial, destin au reste remarquable. On pourrait alors parler de défaut d’intégration désirante, mais cette expression forcée exprime la contradiction de la conception intégrationiste même, c’est bien plutôt une difficulté majeure dans la régulation fantasmatique du « manque ».
34 Ainsi, certaines formes d’hystérie de jeunesse peuvent, avec le temps, être relayées par des syndromes psychosomatiques : telle « maladie de Crohn » peut apparaître comme une forme de « stabilisation » de l’hystérie, passé un certain âge. Le malaise s’installe comme à demeure dans le corps, ce qui modifie effectivement les manifestations du symptôme : à la binarité conversive, avec des pointes aiguës, se substitue une chronicisation. Est-ce une raison pour parler de « maladie psychosomatique », là où il s’agit, en l’occurrence, d’un dialecte de l’hystérie, différemment « historisée » ? Il n’y a donc aucune homogénéité des patients psychosomatiques, à l’aune de la dialectique du sujet inconscient.
35 En revanche, il y a bien une question, utilement pointée par la psychosomatique, de sujets qui sont dans un régime fantasmatique tel, qu’ils semblent en quelque manière désabonnés, ponctuellement ou chroniquement, des ressources du fantasme. Mais de quoi s’agit-il en fait ? Voilà la question de réel clinique qui doit arbitrer la discussion proprement théorique. Il va de soi qu’il convient, au cas par cas, de sonder l’irruption du symptôme en ce sens. Le mot « éclosion » prend ici toute sa portée : éclore, c’est germer, sortir du cocon et par là même commencer à exister.
L’éclosion du symptôme somatique ou le retour du fantasme
36 Pour comprendre ce qui se joue dans ce « clignotement » (absence/présence) du fantasme dans le corps et le rôle du corps-sujet dans cette dialectique, quelques exemples précieux doivent être médités. On trouve dans un texte de Freud une suggestion majeure – quoique non immédiatement développée par lui-même – sur l’éclosion du symptôme somatique – au sens qui nous intéresse, celui qui affecte bien le corps pulsionnel, sans être réductible à une causalité organique –, mais justement à partir d’une « occasion » fournie par une pathologie organique. « Il arrive assez fréquemment que, chez des personnes qui sont disposées à la névrose, sans souffrir d’une névrose déclarée, une transformation corporelle – par inflammation ou lésion – éveille le travail du symptôme » (Freud, 1917, op. cit.) – entendons ici : le symptôme névrotique. Que s’est-il passé ? Il faut bien entendre, en allant jusqu’au bout de la phrase, ce qui s’est acté dans l’entre-deux du fantasme inconscient et du corps : « de telle sorte que ce symptôme qui lui est donné par la réalité se fait en grande hâte le représentant de tous ces fantasmes inconscients qui ne guettent que l’occasion de s’approprier un moyen d’expression ».
37 En d’autres termes, les fantasmes inconscients se ruent pour ainsi dire sur l’ouverture créée dans le corps organique pour s’acter, point décisif pour la clinique de la somatisation. Les fantasmes constituent, on l’a dit, des îlots de jouissance inconsciente – qu’on pense à « l’effet Yellowtone Park » –, le corps pulsionnel étant étroitement articulé au corps organique. Qu’une lésion survienne dans l’organe, et ces fantasmes « aux aguets » s’approprient cette faille comme « moyen d’expression ». Ce qui crée, ajouterons-nous, les conditions de déclenchement de la somatisation. « Déclenchement » au sens étymologique, quand se lève la « clenche », petite pièce qui fait qu’une porte s’ouvre d’un moment à l’autre. Le fantasme stagnant se trouve éveillé par l’accident organique, suivi de l’intervention opératoire.
38 Second exemple éloquent : Freud note qu’une opération chirurgicale peut avoir un effet – en un sens similaire – pour déstabiliser l’intrication pulsionnelle. Cela permet de comprendre que les fantasmes se font les acteurs de la somatisation mais, là, apparaît que le corps pulsionnel, si l’on en détaille les fonctions métapsychologiques (Assoun, 1997, op. cit.), n’est pas seulement libidinal, narcissique, « égologique » (se référant au « moi-corps »), il est aussi et surtout sur le front des pulsions de vie et de mort. Si le fantasme travaille du côté de l’Éros et des pulsions de vie, il y a bien un régime mortifère du fantasme. Dans le cas de la patiente évoquée par Freud, ce sont certains « fantasmes masochistes dans son intérieur » (utérus) qui, lors d’une opération gynécologique d’extraction d’un myome, produisent une régression (Freud, 1937, op. cit.). La patiente hystérique, soignée jadis pour une abasie ou trouble de la marche, au moyen de ce que l’on appelle « traitement psychique », avec succès, mais sans que cela profite à son désir propre – si elle va et vient, c’est pour se dévouer au service des autres –, redéclenche son désir propre au moyen d’un « roman d’amour » pour son chirurgien, ainsi « voilé ». (On voit qu’il n’y a pas que des pianistes dans les histoires hystériques…). C’est alors que se produit un déchaînement de jouissance fantasmatique. L’histoire d’amour ne s’accomplira pas, là encore (c’est le destin hystérique), mais la patiente, guérie de son myome, reviendra dans le bercail de son symptôme, refuge pathologique où du moins son désir trouve refuge et bénéfice, mutation de la morbidité où le langage du désir, à défaut de sa réalisation, a le dernier mot. Le corps dès lors ne cessera plus de « causer » de façon morbide.
Le sexuel et son destin : le « grippage » fantasmatique
39 La conception fonctionnaliste du fantasme de la psychosomatique ne surgit pas de nulle part, elle procède de la référence aux « névroses actuelles », surtout aux névroses d’angoisse. Pour ces névroses en quelque sorte nucléaires, Freud recourt à une explication en termes économiques : c’est en effet la non-satisfaction sexuelle liée à la frustration qui, empêchant la décharge, crée cette espèce de bouchon par isolement des « groupes psychiques ». On notera qu’il ne s’agit pas seulement d’une carence de satisfaction corporelle, mais d’une espèce de « goulot d’étrangement » qui se forme entre psychique et somatique. Tout le malaise psychique qui accompagne la Versagung procède de ce clivage, d’où des innervations mécaniques, qui contrastent avec l’expression médiée (fantasmatiquement) des « psycho-névroses ». C’est au fond cette explication économique que la psychosomatique généralise, pour ce qui devient les « maladies psychosomatiques », ce qui ramène inévi- tablement un raisonnement en termes de « carence » ou de dysfonctions.
40 L’intérêt clinique en est d’attirer l’attention sur cette espèce de « grippage » de l’activité fantasmatique qui apparaît dans les névroses traumatiques sous toutes leurs formes. La régression théorique, en revanche, nous paraît de négliger les avatars dynamiques, qui placent le sujet non hors désir, mais dans une position anomique. On peut en avoir une idée en rappelant la fonction du fantasme de produire comme un « cordeau » entre les deux dimensions ou « ekstases » temporelles que sont le passé, le présent et le futur (Freud, 1908, op. cit.). Le fantasme confronte ici et maintenant, dans l’actualité de la production fantasmatique, à une construction désirante, mais qui simultanément – entendons au cœur de ce présent – réactualise (au sens fort) la rencontre avec une satisfaction passée et de ce fait, du même mouvement, ouvre sur le futur espéré d’une satisfaction à venir, laissant entrouvertes les portes du désir. C’est cette temporalisation qui semble brisée ou plutôt entravée chez ces sujets dits psychosomatiques, dès lors stabilisés, voire pétrifiés, dans un présent coupé du passé et « dé-futurisés » : on reconnaît une version de la logique dépressive et surtout mélancolique.
41 Corrélativement, le fantasme rend possible une syntaxe, donc une écriture, justement par ce « cordeau » qui lui donne la dimension du continued story (Anna Freud, 1922). L’effraction traumatique – celle du « pare-excitations » – produit, pour employer le langage numérique, une sorte de bug mais, à entendre tout autrement que comme un défaut programmatique, plutôt en reprenant le sens d’origine de « l’insecte » (bug) venant se colloquer aux tubes de la machine et produisant un « choc thermique », symbole adéquat de l’événement traumatique, d’où l’effet de solidification ou « prise en masse » du signifiant et le fonctionnement en « holophrase » (Lacan, 1973). Reste que le sujet insiste, jusqu’au bout de son trajet, à réagir au désir, même s’il en apparaît « désabonné ». C’est ce qui organise la stratégie des somatisations.
42 L’enjeu du différend est considérable : la psychanalyse du fantasme ne montre pas, à travers l’impasse psychosomatique, une désexualisation, car le fantasme ne saurait se réduire à quelque fonction d’identification moïque ou d’identité – le moi « syndic de fonctions » –, sa fonction est sexuelle. Si ces sujets donnent l’impression d’effondrement de cette fonction, c’est que la catastrophe traumatique les amène, par une dés-objectalisation, à se rabattre sur une fonction d’auto-conservation, fonction de « sauvegarde ». « Sauver sa peau » exige paradoxalement de contracter une « maladie de peau ».
43 Il y va d’une question pratique centrale et en quelque sorte vitale : là où le fantasme est constitué, le transfert est possible, c’est même en quelque sorte l’arrimage fantasmatique de la relation thérapeutique. Que faire quand on a affaire à un grippage transférentiel, corrélatif de ce gel apparent de l’activité fantasmatique même ? Mais précisément le transfert a pour enjeu, pour de tels patients, de dégeler la position pour faire réémerger la structure inconsciente abritée derrière le symptôme de circonstance. Les sujets semblent dans une « salle d’attente », sans rien attendre. C’est dans cette schize entre parole et corps que le corps se fait si « bavard ». Plutôt que de quelque carence, il y aurait donc lieu de parler d’une « discordance » qui touche l’affect et l’investissement du sujet même sur ses propres productions. Là où la discordance corporelle était, le transfert aurait à advenir, via le travail du fantasme réenclenché.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : pulsion, fustigation, voix, principe de plaisir, fantasme, rêverie, corps, excitation, sexuel, symptôme, pulsion de mort
Mise en ligne 25/11/2016
https://doi.org/10.3917/rfps.050.0133