1Quand Marie Bonaparte demande à être analysée par Freud, elle est au bord du suicide, passant de longs mois alitée, dépressive. Elle souffre de frigidité et dans une anxiété permanente elle cherche, comme le personnage féminin d’un roman qu’elle vient d’écrire, à « échapper au néant des voluptés froides ». Au même moment, en 1924, elle fait paraître sous un pseudonyme un article sur les causes anatomiques qui expliqueraient l’absence de transfert de l’érogénéité du clitoris sur le vagin de par l’éloignement trop important entre ces deux formations du sexe féminin. Elle a subi plusieurs opérations chirurgicales qui viseraient à les rapprocher et qui n’amèneront pas l’effet escompté. Freud, lors de l’analyse de cette dernière, ne pourra empêcher une récidive chirurgicale : masochisme agi, désir passif érotisé d’être châtrée par le père du fait de l’équivalence imaginaire « envie de plaisir = envie de pénis » qui contribue à ce projet de « rectification de son sexe féminin » ? Serait-ce aussi par culpabilité que Marie Bonaparte retournera le bistouri contre elle, agissant concrètement une scène primitive sadique par chirurgien interposé, dans cette période où Freud doit subir plusieurs opérations de la mâchoire ? Marie a perdu sa mère un mois après sa naissance et a été élevée par un père assez lointain et une grand-mère dure et froide. Si elle insiste dans cet article sur « la femme éternelle blessée », « la fille qui doit se reconnaître comme châtrée », « la redoutable pénétration » effractrice de son propre corps dans l’acte sexuel, ces conceptions peuvent être mises en lien avec la conception sadique du coït. L’histoire trouble de la mort de sa mère qui a considérablement enrichi son père fait planer la figure de l’homme – assassin sur ce père adoré de sa petite enfance. Son propre mariage avec un homme « tellement respectueux » qu’elle décrit comme finalement « indifférent à l’amour féminin », époux qui lui aurait dit lors de leur nuit de noces « je hais cela autant que toi, mais il faut bien si on veut des enfants... », ne la délivre pas de l’angoisse, bien au contraire. Le choix de partenaire et la formation du couple orientés par la défense névrotique (la « névrose en couple » en quelque sorte) dans le contexte culturel bien connu de l’époque peuvent avoir comme effet le renforcement de cette construction fantasmatique et de son corolaire, le symptôme. Néanmoins, la théorie du « rapprochement » des deux zones féminines, clitoris et vagin, laisse entendre la profondeur des défaillances dans l’articulation des doubles identifications et dans l’étayage de celles-ci au sein des liens précoces dont le lien érotique et tendre transmis généralement par la relation à l’objet premier. Elle écrit en 1958 : « C’est dans les profondeurs de la chair maternelle [...] que la nature fit de moi, par le sexe, une femme ratée, mais en revanche, par le cerveau, un homme. » On ne saurait en effet sous-estimer la part de cette défaillance dans la transmission primitive du féminin et l’organisation de la bisexualité psychique qui va générer une excitation liée à une fantasmatisation de la pénétration violente et désorganisatrice. Est-ce alors ainsi que le « clitoris devient ce paratonnerre qui empêche la foudre (!) d’entrer » ? L’auteur repère cependant bien à quel point l’agressivité devient un frein à l’érotisation concave du vagin qui ne peut que se retourner sous forme de masochisme dont l’excès interdit souvent la pénétration.
2Une prescription terriblement castratrice figure à la fin de cet article : « Le clitoris, phallus tronqué, ne doit jamais atteindre au degré d’activité, même imaginaire, auquel peut prétendre le pénis. » La femme est ainsi enfermée dans une passivité obligatoire (interdite de fantasme) en plus de celle qui serait biologico-anatomique. Les découvertes récentes sur la physiologie et l’anatomie du sexe féminin ont permis d’établir une continuité entre clitoris et vagin, contredisant apparemment les théories freudiennes, mais on sait à quel point l’investissement érogène ne suit pas l’anatomophysiologie mais bien plutôt le découpage imaginaire du corps.
3Le travail de Janine Chasseguet-Smirgel sur la sexualité féminine (1964), initié par Jones et Melanie Klein, relie la répression de la féminité à la haine de la mère et propose l’intégration (et non la répression) des pulsions prégénitales dans le faisceau de la génitalité épanouie. Cette publication marquera surtout le début d’un tournant dans les travaux des psychanalystes concernant la sexualité féminine, la jouissance et ses entraves, dans un contexte socioculturel en pleine effervescence. Cette évolution théorique est repérable de façon paradigmatique par les articles de Jean Cournut et de Joyce McDougall qui suivent celui, historique, de Marie Bonaparte. Les lecteurs d’un autre volume de la rfp intitulé « Avancées freudiennes. Textes 1954-2009 » trouveront plusieurs autres textes d’auteurs qui ouvrent la voie à ces recherches contemporaines sur la sexualité féminine.