Notes
-
[1]
Mes italiques.
-
[2]
Mes italiques.
-
[3]
J. Chasseguet-Smirgel (1984), Éthique et esthétique et la perversion, Seyssel, Champ Vallon, p. 24.
-
[4]
Mes italiques.
-
[5]
S Freud (1926), La question de l’analyse profane, Paris, Gallimard, 1985.
-
[6]
W. Kinston (1983), A theorical context for shame, in Int. J. Psycho-Anal., vol. 64, p. 212-226.
-
[7]
Mes italiques.
-
[8]
P. 212 (ma traduction).
-
[9]
Ibid.
-
[10]
Ibid.
-
[11]
A. Bourguignon, P. Cotet, J. Laplanche, F. Robert (1989), Traduire Freud, Paris, PUF.
-
[12]
Que je tiens à remercier ici de son aide amicale et généreuse.
-
[13]
Notamment dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910), Leçons d’introduction à la psychanalyse (1916), Inhibition, symptôme et angoisse (1926).
-
[14]
Mes italiques.
-
[15]
Mes italiques.
-
[16]
Mes italiques.
-
[17]
S. Freud (1913), Le début du traitement, in La technique psychanalytique (1977), Paris, PUF.
-
[18]
Mes italiques.
-
[19]
Liens qui sont au centre des Confessions de J.-J. Rousseau, ouvrage capital sur la honte : le mot y revient à 22 reprises...
-
[20]
In OCP, t. III, Paris, PUF.
-
[21]
O. Mannoni (1982), Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Le Seuil.
-
[22]
Notons toutefois que S. Tisseron (1992) a souligné les points d’émergence d’une telle théorie dans son ouvrage : La honte. Psychana1yse d’un lien social, Paris, Dunod.
-
[23]
S. Ferenczi (1933), Confusion de langue entre l’enfant et l’adulte, in Psychanalyse, no 4, 1982, Paris, Payot.
-
[24]
H. Hartmann et R. Loewenstein, Notes sur le Surmoi, in Psychoanalytical Study of Child, t. 17, p. 42-81.
-
[25]
H. Kohut (1971), The Analysis of the Self, New York, New York Univ. Press.
-
[26]
H. Kohut, Réflexions sur le narcissisme et la rage narcissique, in RFP, t. XLVII, no 4, 1978.
-
[27]
Voir également A. Oppenheimer (1996), Kohut et la psychologie du self, Paris, PUF, ainsi que Heinz Kohut, Paris, PUF, « Psychanalystes d’aujourd’hui », 1998.
-
[28]
W. Kinston, op. cit., voir p. 216 s.
-
[29]
V. de Gaulejac (1996), Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer.
-
[30]
J. Furtos, C. Laval (1998), L’individu postmoderne et sa souffrance dans un contexte de précarité. Introduction à une clinique de la disparition, in Confrontations psychiatriques, no 39, p. 373-398.
-
[31]
C. Dejours (1998), Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil.
-
[32]
I. Hermann (1943), L’instinct filial, Paris, Denoël, 1972.
-
[33]
S. Tisseron (1992), La honte. Psychanalyse d’un lien social, Paris, Dunod.
-
[34]
Voir, en particulier, Deuil et mélancolie (OCP, t. XIII), ainsi que l’évocation d’un cas de parano ïa dans Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense (OCP, t. 111), Un cas de parano ïa contredisant la théorie (OCP, t. XIII) et Le président Schreber, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF.
-
[35]
M. de M’Uzan (1972), Un cas de masochisme pervers. Esquisse d’une théorie, in La sexualité perverse, Paris, Payot.
-
[36]
Et même avant Freud : Pierre Bourdier m’a ainsi signalé l’importance des considérations d’Havelock Ellis sur cette question.
-
[37]
Je voudrais signaler en outre l’existence de travaux psychanalytiques non publiés à ce jour : Jacques Miedzirzecki, qui dirige un séminaire à Toulouse sur cette question et y a consacré un beau texte : Les surprises de la honte ; Alain Ferrant qui, en collaboration avec A. Ciccone, prépare un ouvrage sur la honte, élaboré dans le cadre d’une recherche universitaire à l’Université de Lyon II : Jean-Claude Sempé, qui y a consacré depuis longtemps des développements pénétrants, notamment dans un séminaire au Collège de philosophie en 2000-2001.
-
[38]
A. Green (1982), Après-coup l’archa ïque, in La folie privée, Paris, Gallimard, 1990.
-
[39]
Cf. Inhibition, symptôme et angoisse, t. XVII des OCP, p. 255.
-
[40]
R. Emde. D. Oppenheim, La honte, la culpabilité et le drame œdipien : considérations développementales à propos de la moralité et de la référence aux autres, in Devenir, no 4, vol. 14, 2002.
-
[41]
Mes italiques.
-
[42]
Ibid.
-
[43]
OCP, t. XIX, p. 148.
-
[44]
C’est moi qui souligne.
-
[45]
Cette orthographe, employée ici par J.-L. Donnet, à la suite de J. Derrida, insiste sur l’importance de ce qui est différé.
-
[46]
Mes italiques.
-
[47]
O. Fenichel, The Psychoanalytic Theory of Neuroses, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1946.
-
[48]
S. Lebovici (1995), Quelques notes sur la genèse et l’évolution du Surmoi, in Surmoi II. Les développements postfreudiens, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[49]
Alain Fine a souligné, en 1989, « le recours (...) au sentiment de honte massive plutôt qu’au dévoilement insupportable de la culpabilité », in Bulletin de la SPP, no 15, « Entre honte et culpabilité, une enquête », avril 1989.
-
[50]
Cf. Inhibition, symptôme et angoisse (1926).
-
[51]
A. Green (1973), Le discours vivant, Paris, PUF, 1973, p. 54.
-
[52]
Mon commentaire entre crochets.
-
[53]
Ibid., p. 64.
-
[54]
In Inhibition, symptôme et angoisse (1926).
-
[55]
J. Chasseguet-Smirgel (1975), L’Idéal du Moi, Paris, Tchou.
-
[56]
Ibid., p. 51.
-
[57]
Mes italiques. On peut se demander si l’on ne pourrait pas aussi bien parler ici du Sur-moi.
-
[58]
A. Freud, Le normal et le pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968.
-
[59]
Cf. la formule de Freud dans les Trois essais : « Trouver l’objet sexuel n’est en somme que le retrouver. »
-
[60]
P. 56-57.
-
[61]
P. 60.
-
[62]
Paris, Payot, 1975.
-
[63]
P. 75.
-
[64]
J. Guillaumin (1973), Honte, culpabilité, dépression, in RFP, t. XXXVII, no 5-6.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
G. D. Painter (1965), Marcel Proust, Paris, Mercure de France, 1966 (2 tomes).
-
[67]
Cf. n. 5, p. 1667.
-
[68]
J. Guillaumin, op. cit., p. 994.
-
[69]
Ibid., p. 1003.
-
[70]
In F. Pasche (1968). De la dépression, in À partir de Freud, Paris, Payot, 1969.
-
[71]
Je rappelle ici qu’on pourrait schématiquement distinguer, à la suite de Grunberger deux destins de la libido : un destin réunissant Œdipe-Sur-moi-Culpabilité-Angoisse de castration, le tout représentant l’économie névrotique, et un destin réunissant Narcissisme - Idéal du Moi - Honte - Angoisse de perte d’objet, le tout représentant l’économie dépressive. On sait que la psychanalyse contemporaine ne sépare plus distinctement les deux lignées. Pour l’indiquer d’un mot, il y a, depuis vingt-cinq ans malgré leurs différences une continuité certaine entre les travaux portant sur les états limites : je pense en particulier à ce qui unit, dans leurs différences, les travaux de Jean Bergeret et ceux d’André Green, dit point de vue des liens existants entre ces deux types d’économie.
-
[72]
F. Pasche, op. cit., p. 182.
-
[73]
Mes italiques.
-
[74]
Op. cit., p. 187.
-
[75]
Mes italiques.
-
[76]
S. Freud (1913), Totem et tabou, in OCP, t. XI, Paris, PUF, 1998, p. 362.
-
[77]
Mes italiques.
-
[78]
Ibid., p. 363.
-
[79]
OCP, p. 63.
-
[80]
Bien que le thème de la pédophilie de La ïos ait fait l’objet d’un numéro de la RFP (t. LVII, no 2, 1993).
-
[81]
S. Freud (1939), L’homme Moise et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, 1986.
-
[82]
Mes italiques.
-
[83]
S. Freud, op. cit., p. 147.
-
[84]
Ibid., p. 8.
-
[85]
Ibid.
-
[86]
Mes italiques.
-
[87]
S. Freud, op. cit., p. 151.
-
[88]
Mes italiques.
-
[89]
Ibid.
-
[90]
Ibid.
-
[91]
R. Kaës (1993), Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod.
-
[92]
Cf. ce passage déjà cité supra : « Ils révoquaient leur acte en déclarant défendue la mise à mort du substitut paternel, du totem, et renonçaient à ses fruits, en se refusant les femmes devenues libres. Ils créaient ainsi à partir de la conscience de culpabilité du fils les deux tabous fondamentaux du totémisme, qui pour cette raison même ne pouvaient que concorder avec les deux souhaits refoulés du complexe d’Œdipe. »
-
[93]
Mes italiques.
-
[94]
R. Kaës, op. cit., p. 274.
-
[95]
D. Braunschweig et M. Fain (1971), Éros et Antéros. Réflexions psychanalytiques sur la sexualité, Paris, Payot.
-
[96]
Mes italiques.
-
[97]
OCP, t. XVI, p. 42-43.
-
[98]
D. Lagache (1958), La psychanalyse et la structure de la personnalité, in La psychanalyse, t. VI, p. 43
-
[99]
C. Couvreur (1991), D’un trouble à l’autre (réponse à Annette Fréjaville), in RFP, t. LV, no 5, 1991, p. 1171-1175.
-
[100]
On entrevoit ici les différences cliniques entre les manifestations de honte qui accompagnent soit l’homosexualité dont l’objet du désir inconscient est le père, soit l’homosexualité dont la mère est l’objet du désir inconscient. C’est peut-être autour de cette remarque que les liens que je proposais plus haut entre petite et grande honte, d’une part, et petite et grande sublimation, d’autre part, trouvent ici un champ de pertinence...
-
[101]
Changement d’objet dont Bernard Chervet a décrit avec talent les avatars, les impossibilités et leurs conséquences dans Dandysme et confection de fétiche ou comment habiller un vide, in RFP, t. LVIII, no 2, 1994.
-
[102]
Mes italiques.
-
[103]
Un enfant est battu, OCP, t. XV, p. 119.
-
[104]
Ibid., p. 130-131.
-
[105]
Ce texte annonçant ainsi Le problème économique du masochisme.
-
[106]
Cf. notamment : Psychologie des masses et analyse du moi, OCP, t. XVI, p. 44-45. « Quand, par exemple, une des jeunes filles d’un pensionnat a reçu, de celui qui est secrètement aimé, une lettre qui excite sa jalousie et à laquelle elle réagit par un accès hystérique, quelques-unes de ses amies, au courant du fait, vont attraper cet accès par la voie de l’infection psychique, comme nous disons. Le mécanisme est celui de l’identification sur la base d’un pouvoir se mettre ou d’un vouloir se mettre dans la même situation. Les autres aimeraient aussi avoir un rapport amoureux secret et sous l’influence de la conscience de culpabilité, elles acceptent aussi la souffrance qui y est liée. Il serait inexact d’affirmer qu’elles s’approprient le symptôme à partir d’un sentiment partagé. Au contraire, le sentiment partagé n’apparaît qu’à partir de l’identification, et la preuve en est qu’une telle infection ou imitation s’instaure également dans des circonstances où il faut admettre, entre les deux personnes, une sympathie préexistante bien moindre que celle qui existe habituellement entre des amies de pension. L’un des moi a perçu dans l’autre une analogie significative sur un point, qui est dans notre exemple la même propension sentimentale ; il se forme là-dessus une identification sur ce point et, sous l’influence de la situation pathogène, cette identification se déplace, devenant le symptôme que l’un des moi a produit. L’identification par le symptôme devient ainsi l’indice d’un lieu de recouvrement des deux moi, qui doit être maintenu refoulé. »
-
[107]
Mes italiques.
-
[108]
Malaise dans la culture, in OCP, t. XVIII, p. 287.
-
[109]
C. Barazer (2000), Hontes sans issue, in Bulletin intérieur de l’Association psychanalytique de France, « Documents et débats », no 52.
-
[110]
C’est-à-dire : l’excrément.
-
[111]
Mes italiques.
-
[112]
Ibid.
-
[113]
S. Freud (1908), Les théories sexuelles infantiles, in La rie sexuelle, Paris, PUF, 1973.
-
[114]
Cet aspect a été fort bien vu par D. Maugendre (2000) : La honte : un sentiment déraisonnable, in Bulletin intérieur de l’Association psychanalytique de France, « Documents et débats », no 52.
-
[115]
P. 277, n. 1.
-
[116]
Mes italiques.
-
[117]
Cette idée, on le verra dans le chapitre suivant, a été développée par Jean-Claude Lavie. Elle est actuellement prise en considération par les psychologues, de façon intéressante. Ainsi, Klaus Scherer, professeur à l’Université de Genève, écrivait récemment : « La honte est une émotion socialisante par excellence (...) Il n’est donc pas surprenant que l’évocation de la honte soit utilisée comme moyen de socialisation : “Est-ce que tu n’as pas honte de faire ça ?” Il est intéressant de noter que non seulement cette technique de socialisation mais aussi le phénomène de la honte elle-même semblent en voie de disparition » (Conférence à l’Université de tous les savoirs, Paris, 1er novembre 2001).
-
[118]
Mes italiques.
-
[119]
Selon la traduction de la Bible de Jérusalem.
-
[120]
Je signale d’ailleurs que, dans un ouvrage paru en novembre 2002 aux PUF, Quand la pudeur prend corps, Josée Morel Cinq-Mars soutient, de façon intéressante, un point de vue opposé. Je note toutefois qu’elle est conduite (p. 196), sans doute pour les besoins de sa démonstration, à traduire la « honte » de la fameuse note de Malaise dans la culture par « pudeur »...
-
[121]
Mes italiques.
-
[122]
A. Jeanneau (1997), Pour une clinique psychanalytique de la phobie, in Peurs et phobies, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[123]
A. Ferrant (2001), Le reste de terre, in Œuvre de J. Guillaumin, Paris, In Press. 2003 (à paraître).
-
[124]
Mes italiques.
-
[125]
S. Freud (1905), Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Paris, Gallimard, p. 189.
-
[126]
Rapport au LIXe CPLF, in RFP, t. LXIII, no 5, 1999, p. 1445-1488.
-
[127]
R. Roussillon, Les paradoxes et la honte d’Œdipe, in Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF, 1991.
-
[128]
Mes italiques.
-
[129]
Voir le texte sur les phobies cité dans cet ouvrage.
-
[130]
Cf. P. Denis, Emprise et théorie des pulsions, Rapport au LIIe CPLF, Rome, 1992, ainsi que Emprise et satisfaction, les deux formants de ici pulsion (1998), Paris, PUF, « Le Fil rouge », dont les conceptions sont essentielles pour mon propos.
-
[131]
Mes italiques.
-
[132]
Mes italiques.
-
[133]
Psychanalyse, IV, p. 78.
-
[134]
In P. Mazet et al., Émotions et affects chez le bébé et ses partenaires, Paris, Eshel, 1992.
-
[135]
Mes italiques.
-
[136]
R. N. Emde, op. cit., p. 86-87.
-
[137]
René Thom a montré qu’il était possible de représenter mathématiquement une discontinuité, une rupture dans un système, en partant de l’hypothèse fondamentale qu’une forme, ou une « apparence qualitative », est le résultat d’une discontinuité. Ainsi ce qui engendre la continuité de la structure, c’est la discontinuité qui y surgit.
-
[138]
Dans Figurabilité et régrédience (rapport au LXIe CPLF), RFP, t. LXVI, no 5, 2001.
-
[139]
P. Luquet (1962), Les identifications précoces dans la structuration et la restructuration du moi, RFP, numéro spécial Congrès (1963).
-
[140]
Cette culpabilité primaire se conçoit. bien entendu, sans l’existence du Sur-moi au sens classique ; il faut postuler ici son lieu avec l’imago, en ayant présentes à l’esprit les considérations de P. Denis sur cette question ; pour lui, le Sur-moi précoce tel que Melanie Klein le décrit est davantage de l’ordre d’une imago que de celui d’une instance, cf. D’imago en instances : un aspect de la morphologie du changement, in RFP, t. LX, no 4, 1996.
-
[141]
Le chaud et le froid : les logiques du traumatisme et leur gestion dans la cure psychanalytique, in RFP, t. XLIX, no 2, 1985.
-
[142]
Cf. Paul Denis, Emprise et théorie des pulsions, Rapport au LIIe CPLF, Rome, 1992, ainsi que Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion, Paris, PUF, « Le Fil rouge », 1998.
-
[143]
Cf. Contenir par le contact. Encadrer par l’hallucinatoire, in RFP, t. LXV, no 4, 2001.
-
[144]
J. Laplanche (1987), Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, PUF.
-
[145]
R. Roussillon (2001), Le plaisir et la répétition, Paris, Dunod.
-
[146]
Cf. P. Denis, États de passivité, in RFP, t. LXIII, no 5, 1999, p. 1577-1585.
-
[147]
Mes italiques.
-
[148]
P. Denis, op. cit., p. 1581-1582.
-
[149]
A. Green. Passivité-passivation : jouissance et détresse, in RFP, t. LXIIL no 5, 1999.
-
[150]
D. Ribas, Passivité de vie, passivité de mort, in RFP, t. LXIII, no 5, 1999.
-
[151]
C. et S. Botella, Sur la carence auto-érotique du parano ïaque, in RFP, t. XLVI, no 1, 1982.
-
[152]
Ibid., p. 72-73.
-
[153]
M. de M’Uzan (1994), Les esclaves de la quantité, in La bouche de l’inconscient, Paris, Gallimard.
-
[154]
S. Freud (1924), Le problème économique du masochisme, in OCP, t. XVII, Paris, PUF, 1992, p. 15-16.
-
[155]
C. Janin (1985), Le chaud et le froid : les logiques du traumatisme et leur gestion dans la cure psychanalytique, in RFP, t. LXIX, 2.
-
[156]
B. Rosenberg (1991), Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[157]
Idée entrevue également par A. Ferrant, et qui apparaît dans les toutes dernières lignes de son ouvrage Pulsion et liens d’emprise, Paris, Dunod, 2001.
-
[158]
B. Rosenberg, op. cit., p. 86.
-
[159]
F. Pasche (1983), Définir la perversion, in RFP, t. XLVII, no 1, 1983.
-
[160]
Il s’agit de Diane L’Heureux-Le Beuf.
-
[161]
S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1991.
-
[162]
Ibid., p. 99 ; mes italiques.
-
[163]
Ibid., p. 99-101.
-
[164]
Mes italiques.
-
[165]
Ibid., p. 101.
-
[166]
In OCP, t. III, p. 130.
-
[167]
Sur le plan clinique, Freud développera cette idée en 1909, dans Le petit Hans (voir infra, p. 1697).
-
[168]
Mes italiques.
-
[169]
Cf. D. Anzieu (1959), L’auto-analyse de Freud, Paris, PUF.
-
[170]
« Bonne honte sort du danger », Jean Antoine du Ba ïf (1532-1589).
-
[171]
Mes commentaires entre crochets.
-
[172]
S. Freud (1922), Le moi et le ça, in OCP.F, t. XV, Paris, PUF, 1991, p. 277.
-
[173]
Mes italiques.
-
[174]
S. Freud (1908), Caractère et érotisme anal, in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
-
[175]
Souligné par Freud.
-
[176]
C. Le Guen (1985), Le refoulement (les défenses), in RFP, t. L, no 1, 1986. En particulier : p. 135-154.
-
[177]
S. Vizinczey (2001), Éloge des femmes mûres, Paris, Éditions du Rocher.
-
[178]
Mes italiques.
-
[179]
Mes italiques.
-
[180]
P. Denis (2001), Éloge de la bêtise, Paris, PUF, « Épîtres ».
-
[181]
T. Tremblais-Dupré (1993), La sexualité adolescente et son trouble, in Les troubles de la sexualité, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[182]
Voir. sur ces questions : Clés pour le féminin. Femme, mère, amante et fille (sous la dir. de J. Schaeffer, M. Cournut-Janin, S. Faure-Pragier, F. Guignard), PUF, « Débats de psychanalyse », ainsi que : H. Troisier (1993), La « position féminine » chez la femme, RFP, numéro spécial Congrès, Paris, PUF ; F. Guignard (1997), Épître à l’objet, Paris, PUF, « Épîtres ».
-
[183]
Op. cit., p. 82.
-
[184]
Ibid.
-
[185]
Cette coalescence place ainsi les liens de la honte et de l’adolescence au cœur de la pratique analytique ; elle mobilise du même coup une problématique transtéro-contre-transférentielle spécifique que je développe p. 1736.
-
[186]
É. Kestemberg (1962), L’identité et les identifications chez les adolescents, La Psychiatrie de l’enfant, 5, 2, 441-522.
-
[187]
Fonction de l’Idéal du Moi, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[188]
P. Blos (1993), Fonctions de l’Idéal du Moi, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[189]
C. Chabert (1993), Entre honte et culpabilité : l’hystérie à l’adolescence, in Adolescence, t. XI, no 1. Il me paraît nécessaire de décondenser l’expression de C. Chabert ; il me semble que, au sein de la topique, il y a collapsus entre Sur-moi et Idéal du Moi.
-
[190]
A. Birraux (1993), La honte du corps à l’adolescence, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[191]
J.-L. Donnet, Lord Jim ou la honte de vivre, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[192]
A. Green (1969), Le narcissisme moral, in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, 1982.
-
[193]
P. 183.
-
[194]
P. 196.
-
[195]
P. 179-180.
-
[196]
Jean Guillaumin (2001) a beaucoup insisté sur la spécificité de la postadolescence. Cf. en particulier : Adolescence et désenchantement, Le Bouscat, L’Esprit du temps.
-
[197]
M. Neyraut (1997), Les raisons de l’irrationnel, Paris, PUF, p. 81-82.
-
[198]
J.-C. Lavie (1997), L’amour est un crime parfait, Paris, Gallimard.
-
[199]
Ibid., p. 71-73.
-
[200]
Voir, sur les liens entre hystérie et traumatisme : F. Brette (2000), Hystérie et traumatisme, in Hystérie, Paris, PUF, « Monographies de psychanalyse ».
-
[201]
In Le sens de la psychanalyse, Paris, PUF, « Le Fil rouge », 1988.
-
[202]
Ibid., p. 100.
-
[203]
Italiques de F. Pasche.
-
[204]
P. 99-100.
-
[205]
Mes italiques.
-
[206]
P. 99.
-
[207]
Rapports qui sont implicitement présents dans les travaux de J. Chasseguet-Smirgel. Voir, en particulier : J. Chasseguet-Smirgel (1969), Le rossignol de l’empereur de Chine. Essai psychanalytique sur le « faux », in Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité, Paris, Payot, 1977.
-
[208]
A. Green (1993), Le travail du négatif, Paris, Éd. de Minuit, p. 292.
-
[209]
G. Bonnet (1993), La honte et le couple inhibition/exhibition à l’adolescence, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[210]
G. Rosolato (1976), Que contemplait Freud sur l’Acropole ?, in La relation d’inconnu, Paris, Gallimard, p. 237.
-
[211]
D. W. Winnicott (1971), La localisation de l’expérience culturelle, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 132-152.
-
[212]
M. Klein (1933), Le développement précoce de la conscience chez l’enfant, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1967.
-
[213]
Ibid., p. 298.
-
[214]
Ibid.
-
[215]
Voir notamment : F. Guignard (1997), Épître à l’objet, p. 26-32, ainsi que : F. Guignard (2002). Intrication pulsionnelle et fonctions du sadisme primaire, in RFP, t. LXVI, no 4, 2002, p. 1103-1116.
-
[216]
Mes italiques, C. Le Guen, L’après-coup, RFP, t. XLVI, no 3, 1982, p. 527-534.
-
[217]
J. Cournut, L’innocence de la marquise, RFP, t. XLVI, no 3, 1982, p. 535-557.
-
[218]
Sur les liens entre honte et culpabilité, voir, entre autres : J. Goldberg (1985), La culpabilité. Axiome de base de la psychanalyse, Paris, PUF, « Voix nouvelles en psychanalyse ».
-
[219]
OCP, t. XVI, p. 72-83.
-
[220]
Les paroles de la patiente évoquent un poème de Xavier Forneret, cité autrefois par B. Grunberger dans Le narcissisme (p. 183 dans l’Édition Petite Bibliothèque Payot). Curieusement, Grunberger ne donnait pas le titre du poème, qui s’intitule : « Un pauvre honteux »...
-
[221]
D. Anzieu (1974), Le Moi-peau, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 9.
-
[222]
Il apparaît clairement ici que la constitution de la honte-signal d’alarme est essentielle dans la formation de la pudeur.
-
[223]
Je dois cette idée de honte empruntée à une remarque de C. Seulin.
-
[224]
O. Mannoni (1982), La férule, in Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Le Seuil, p. 70.
-
[225]
O. Mannoni, ibid., p. 72.
-
[226]
P. 72.
-
[227]
Mes italiques.
-
[228]
Ibid.
-
[229]
Ibid.
-
[230]
Ibid.
-
[231]
Mes italiques.
-
[232]
Mes italiques.
-
[233]
OCP, t. XV, p. 119.
-
[234]
Mes italiques.
-
[235]
Ibid.
-
[236]
O. Mannoni, op. cit., p. 75.
-
[237]
S. Freud (1896), Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense, in OCP, t. III, p. 132.
-
[238]
OCP, t. XVI, p. 72-83.
-
[239]
Mes italiques.
-
[240]
Schiller, Le camp de Wallenstein, scène 6, v. 208 et 209.
-
[241]
O. Mannoni, op. cit., p. 83.
-
[242]
C. Barazer (2000), Hontes sans issue, in Bulletin intérieur de l’Association psychanalytique de France, « Documents et débats », no 52.
-
[243]
A. Green (1983). Le narcissisme moral, in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit.
-
[244]
R. Dodds (1948), Les Grecs et l’irrationnel, Paris, Aubier.
-
[245]
R. Benedict (1946), Paris, Picquier, 1995.
-
[246]
Je considère ainsi que Le chrysanthème et le sabre est un livre que beaucoup d’éléments rapprochent de Totem et tabou, dont Freud disait qu’il était le résultat dune rêverie, lors d’un dimanche après-midi pluvieux...
-
[247]
P. 120.
-
[248]
P. 127-128.
-
[249]
P. 285-331.
-
[250]
P. 303.
-
[251]
Je me suis aperçu, après avoir terminé ce travail, que H. Kohut avait, bien avant moi, souligné l’importance de l’ouvrage de R. Benedict sur ce point précis de l’éducation.
-
[252]
Cf. Freud (1921), Psychologie des masses et analyse du moi, in OCP, t. XVI, Paris, PUF, 1991 : « Il se produit toujours une sensation de triomphe quand quelque chose dans le Moi co ïncide avec l’Idéal du Moi. Peuvent aussi être compris comme expression de la tension entre Moi et Idéal le sentiment de culpabilité et le sentiment d’infériorité » (mes italiques).
-
[253]
S. Freud (1929), Malaise dans la culture, in OCP, t. XVIII, Paris, PUF, 1994.
-
[254]
R. Begnigni (1997), La vita e bella, Rome, Miramax et BAC films, 117 min.
-
[255]
L’enfant, sur le plan manifeste, parle ici d’un char d’assaut que son père lui avait promis comme récompense du « jeu du camp de concentration », mais il y a coalescence entre la « victoire » promise par le père et la « victoire œdipienne »...
-
[256]
V. Cerami, La vie est belle, Paris, Gallimard, « Folio », no 3146. Les deux passages auxquels je fais référence sont situés p. 196 et 250-251.
-
[257]
Je renvoie sur ce point à : R. Rosemblum (2000), Peut-on mourir de dire ? Sarah Kofman, Primo Levi, Revue française de Psychanalyse, t. LXIV, no 1, 2000.
-
[258]
Voir C. Janin (1998), Les sublimations et leurs destins, in RFP, t. LXII, no 4, 1998. Cette double valence avait été bien antérieurement soulignée par Denys Ribas. Voir D. Ribas (1992), Sublimation de la pulsion et idéalisation de l’objet, in Les Cahiers du Centre de psychanalyse et de psychothérapie, no 25.
-
[259]
Mes italiques.
-
[260]
Ibid.
-
[261]
S. Freud (1917), Une difficulté de la psychanalyse, in RFP, t. XLV, no 6, 1981.
-
[262]
G. Pragier (1993), Aber wer kann den Erfolg und Ausgang voraussehen : qui peut prévoir ?, in RFP, t. LVII, no 4, 1993.
-
[263]
Mes italiques.
-
[264]
D. W. Winnicott (1971), La localisation de l’expérience culturelle, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.
-
[265]
Mes italiques.
-
[266]
Mes italiques.
-
[267]
Mes italiques.
-
[268]
D. W. Winnicott, Lettres vires, Paris, Gallimard, 1989.
-
[269]
D. Ribas (2000), Donald Woods Winnicott, Paris, PUF, « Psychanalystes d’aujourd’hui », p. 35-26.
-
[270]
Cet aspect a été fort bien vu par Dominique Clerc (1988) dans son article : La honte, découverte, in Espaces, no 16, automne 1988.
-
[271]
N. Zaltzman (1988), De la guérison psychanalytique, Paris, PUF, « Épîtres ».
-
[272]
Il me semble d’ailleurs que ce point de vue est strictement freudien : Freud relève que « chacun voudrait se faire passer pour une “exception” (...) Il peut y avoir plus d’une motivation de cet ordre ; dans les cas que j’ai examinés, on parvient à mettre en évidence une particularité commune à tous les malades, dans les destins antérieurs de leurs vies : leur névrose se rattachait à une expérience ou à une souffrance qui les avaient touchés dans les premiers temps de leur enfance, dont ils se savaient innocents et qu’ils pouvaient estimer être une injustice, un préjudice porté à leur personne » (Quelques types de caractère dégagés par le travail psychanalytique (1916), in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985). Voir aussi le pénétrant article de P. Bourdier (1976), Handicap physique, préjudice,. exception, in NRP, no 13, 1976. Ne se pourrait-il pas alors que l’analyste qui, négligeant cette dimension, qui est celle d’une logique phallique, et se laissant prendre dans une telle illusion. puisse être ainsi conduit à ignorer le noyau de toute hystérie ?...
-
[273]
R. Cahn (1998), L’adolescent dais la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation, Paris, PUF.
-
[274]
Ibid., p. 53-54.
-
[275]
Ibid., p. 111.
-
[276]
A. Freud, L’enfant dans la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1976.
-
[277]
Mes italiques.
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[278]
Cf. S. Freud (1932), La décomposition de la personnalité psychique, in Nouvelles suites d’introduction à la psychanalyse, OCP, t. XIX, Paris, PUF, 1995.
-
[279]
Dont j’ai pu donner des exemples dans Figures et destins du traumatisme.
-
[280]
In Jeu et réalité.
-
[281]
Cité par Christian David dans La bisexualité psychique, Paris, Payot, 1992.
-
[282]
André Green a magistralement décrit de telles situations d’ « évitement associatif » dans La position phobique centrale, in La pensée clinique, Paris, Odile Jacob, 2002.
-
[283]
G Rosolato (1976), La relation d’inconnu, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’inconscient ».
“ L’excès de honte (...) renvoie au refus de toute honte : au refus de ce qui suscite nos hontes premières, après coup. Honte de devoir la vie à la copulation d’un homme et d’une femme : honte d’être né inter faeces et urinas ; honte d’avoir été bercé, caressé, nourri, changé et d’avoir aimé cela ; honte d’accepter, sous la menace de castration, les compromis œdipiens ; honte des transactions subtiles entre les besoins du corps et de ses zones érogènes et la purification de l’idéal. ”
INTRODUCTION : DE QUELQUES PROBLÈMES PSYCHIQUES ET SÉMANTIQUES.. ET DE LEURS CONSÉQUENCES SUR LA THÉORIE PSYCHANALYTIQUE DE LA HONTE
« Une honteuse peur de penser nous retient tous. Plus oppressante que la censure des gouvernements est la censure qu’exerce l’opinion publique sur les œuvres de notre esprit. »
1La honte accompagne la levée du refoulement qu’appelle l’élaboration théorique, pour peu que le plaisir sublimé de la découverte nouvelle vienne régressivement à se sexualiser. Et si cette sexualisation survient lors de l’anticipation de la communication de cette découverte devant ses pairs ou un public plus large, alors le fantasme exhibitionniste inconscient est aussi régressivement convoqué : comme l’a noté J. Chasseguet-Smirgel, lorsque Freud, dans Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique (1914), relate ses sentiments de triomphe [1] de voir confirmer ses théories sur la sexualité infantile par l’observation des jeunes enfants, il ajoute plaisamment : « Ce qui me gâtait toutefois un peu cette joie, c’était l’idée qu’il s’agissait somme toute d’une découverte qu’on devrait être honteux [2] d’avoir faite. » [3]
2Toute élaboration théorique confronte ainsi à la honte d’autrefois, celle de l’enfance puis de l’adolescence, et, dans une certaine mesure, l’actualise. Mais si l’objet de l’élaboration concerne l’affect même qu’elle peut produire latéralement, on perçoit la résistance à une telle élaboration. Serait-ce une des raisons pour lesquelles la question de la honte est restée si longtemps relativement peu traitée par les psychanalystes ?... Il est, en tout cas, légitime de se poser la question tant il paraît évident, dès lors que l’objet de nos recherches vise, à la suite de Freud, à élaborer une théorie de l’infantile, que nous sommes sans cesse confrontés au risque de voir celle-ci infiltrée par l’infantile de la théorie, infiltration que la notion même de théorie sexuelle infantile rend inévitable. Un passage très connu de La question de l’analyse profane met ces liens en évidence :
3« Un autre caractère de la sexualité infantile précoce est que l’organe sexuel proprement féminin n’y joue encore aucun rôle, l’enfant ne l’a pas encore découvert. Tout l’accent est mis sur le membre viril, tout l’intérêt se porte sur lui, il s’agit de savoir s’il est là ou pas. De la vie sexuelle de la petite fille, nous en savons moins que celle du garçon. Nous n’avons pas à avoir honte [4] de cette différence. » [5] J’hésite presque à commenter ce passage, tant la coalescence entre la théorie scientifique et la théorie sexuelle infantile est ici évidente, entre ignorance théorique et ignorance sexuelle infantile, entre différence d’élaboration dans le champ du savoir et différence des sexes, cette coalescence produisant ici – sous forme dénégatoire – un affect de honte : comme on le voit, cette question de la honte est essentielle pour la psychanalyse.
4Une comparaison rapide des tables de concordance pour la Standard Edition des œuvres de Freud et de celles qui sont consacrées aux Gesammelte Werke, montre d’emblée les difficultés terminologiques que l’on rencontre dès qu’on veut aborder le problème de la honte ; deux chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a, en langue anglaise, 90 occurrences de shame et, en allemand, 42 occurrences du mot qui y correspond sur le plan linguistique – Scham – : le problème de traduction est évident ; la définition des champs sémantiques différents pour les termes allemand et anglais, inévitable...
5En 1983, un des premiers psychanalystes à consacrer une remarquable étude théorique d’ensemble à la question de la honte, Warren Kinston [6], tentait de traiter de cette question. La relecture de ce travail aujourd’hui montre la difficulté de la tâche... et la possibilité d’erreurs importantes ! Ainsi, notant que la honte se réfère, à la fois à l’intime et au social, Kinston tente d’expliquer cette double valence du terme par des considérations linguistiques qui méritent d’être discutées : il note par exemple que « cette double perspective est moins claire avec la langue anglaise [7] qui a un seul mot pour désigner la honte et la pudeur, tandis que des langues comme l’allemand et le français ont deux mots » [8]. Selon cet auteur, au mot allemand Scham correspond le mot français pudeur, et « se réfère à la modestie, à la chasteté, à la timidité. Dans le langage biblique, il se réfère aux organes génitaux. L’accent, dans cette acception, est mis sur l’expérience intime » [9]. Kinston oppose ensuite, à cette acception, l’allemand Schande et le français Honte, « qui se réfère au déshonneur, au scandale, au crime (...) L’accent, dans cette acception, est mis sur les coutumes et usages habituels » [10]. C’est ainsi que l’inceste, en langue allemande, se dit : Blutschande (littéralement : « le déshonneur du sang »). Kinston ajoute qu’ « il n’y a pas de références à Schande dans l’index des Gesammelte Werke », mais omet de relever que les tables de concordance allemandes mentionnent 9 occurrences de ce terme.
6Dans le glossaire de l’ouvrage de référence Traduire Freud [11], François Cotet considère que le sens habituel de Schani est : « pudeur », mais peut aussi parfois avoir le sens de : « honte ». Schande me semble pouvoir être traduit par « ignominie » ou « déshonneur », ou encore « opprobre ». Notons toutefois que les distinctions entre Scham et Schande, du point de vue de la traduction, sont parfois discutables ; ainsi, en nous référant, avec A. Beyer [12] (SPP, Lyon), aux 9 occurrences de Schande dans les Gesammelte Werke, nous nous sommes aperçus que plusieurs d’entre elles concernaient la perversion polymorphe de l’enfant : plusieurs occurrences concernent les fantasmes exhibitionnistes ou voyeuristes du petit Hans, et d’autres encore apparaissent, dans un contexte similaire, dans le chapitre V de la Traumdeutung en lien avec les rêves de nudité, de sorte que, pour ces occurrences, la connotation sexuelle liée à Schande nécessite une traduction en termes de honte. Je signale pour mémoire les autres occurrences de Schande [13] : ces dernières interviennent dans un contexte où l’opposition entre le savoir et l’ignorance est mise en jeu dans l’écriture de Freud : en homme de son temps, mais aussi en homme de science en psychanalyste, Freud met en lien honte, déshonneur et ignorance, d’une part, et honte et refus de savoir, d’autre part. Ces liens qui sont encore pertinents aujourd’hui seront étudiés dans le chapitre IV.
7Comme on peut le voir, les problèmes de traduction sont complexes. Alfred Beyer souligne que, selon le dictionnaire allemand Fischer, le mot Scham est défini selon deux axes :
8— En anatomie – et c’est là le lien avec la pudeur –, Scham concerne la région génitale. Cette désignation se retrouve dans la langue française (cf. « parties honteuses », « nerf honteux », « artère honteuse », etc.). Une série de termes employés par Freud, et indexés dans les tables de concordance, renvoient à cette acception sexuelle :
- Schamberg (terme désuet). Littéralement : « montagne de la honte », signifiant : mont de Vénus ;
- Schamhaaren. Littéralement : « cheveux de la honte », signifiant : poils pubiens ;
- Schamlippen. Littéralement : « les lèvres de honte » (i.e les grandes lèvres) ;
- Schamspalte. Littéralement « la fente de honte », autrement dit le sexe féminin...
9— Plus généralement, Scham désigne aussi un état de mal-être psychique surgissant dans le dévoilement de ce que le sujet voudrait cacher. Dans cette acception, il est intéressant de noter que le mot schamlos (sans honte, éhonté, sans vergogne...) est également référé au sens de unverhüllt : être sans couverture, nu, dévoilé.
10Pour en revenir à la langue française, il faut admettre que la distinction opérée entre « honte » et « pudeur » n’est pas aussi marquée que les considérations précédentes le laissent entendre. Ainsi, le Dictionnaire de l’Académie française considère la honte comme :
11« Confusion, trouble, sentiment pénible excité dans l’âme par l’idée de quelque déshonneur qu’on a reçu [14] ou qu’on craint de recevoir, ou qu’on aurait seulement à ses propres yeux. » [15] Comme on le voit, la distinction entre l’intime et le social, évoquée par Kinston, n’est pas aussi clairement établie dans notre langue. De même, ce dictionnaire admet que « honte » renvoie également au déshonneur et à la pudeur.
12Le Dictionnaire de la langue française, d’Émile Littré, donne comme définition de la honte :
13« Déshonneur, honte, humiliation », mais reprend aussi, en des termes quasi identiques, la définition du Dictionnaire de l’Académie française :
14« Sentiment pénible qu’excite dans l’âme la pensée ou la crainte [16] du déshonneur. »
15Là encore, la distinction entre le psychique et le social ne paraît pas clairement établie ; il semble même qu’avec l’emploi de termes tels que « sentiment », « pensée » ou « crainte », Littré accentue, par rapport aux définitions antérieures, le caractère psychique de la honte par rapport à son caractère social : nous verrons d’ailleurs que cette distinction entre psychique et social ou, pour dire mieux, entre psychisme interne et groupalité est centrale dans l’étude de la honte. Notons également que, toujours selon Littré, « honte » et « pudeur » sont considérées comme synonymes, dans la citation suivante : « Les reproches de la conscience causent de la honte. Les sentiments de modestie produisent la pudeur. Elles font quelquefois monter le rouge au visage, mais alors on rougit de honte et l’on devient rouge par pudeur », mais, avec une telle citation, le problème se complexifie, puisque avec l’évocation des « reproches de la conscience », la question des liens entre honte et culpabilité est posée.
16Notons enfin, pour compléter ces brèves notations sémantiques, que la langue française définit également la « mauvaise honte », appelée encore « fausse honte », comme une honte ou une timidité mal placée, qui retient, ou entrave ; cette expression est utilisée par Freud en 1913, de façon significative pour mon propos :
17« (...) Le médecin décide de prime abord de traiter devant le patient des questions d’argent, avec autant de franchise naturelle qu’il en exige lui-même de son patient en ce qui touche la sexualité (...) Le praticien montre à ce dernier qu’il renonce à toute fausse honte. ” [17], [18]
18Il convient donc, avec cette citation, et pour conclure ces remarques sémantiques, de noter les liens entre pudeur, honte, nudité, dévoilement, exhibition [19] et de souligner la relation centrale entre honte et sexualité : on comprend mieux alors comment, dans l’œuvre de Freud, sur les 42 occurrences de Scham, dix sont concentrées dans les Trois essais sur Ici théorie sexuelle. J’ajoute également que, sur toutes les occurrences du terme, seules trois sont postérieures à : Pour introduire le narcissisme... Si l’on se réfère maintenant aux tables de concordance de la Standard Edition, les mêmes observations peuvent être faites : tout semble se passer, comme si les avancées décisives de Freud, à propos du narcissisme, puis avec l’introduction de la deuxième topique, ne l’avaient guère conduit à développer une théorie de la honte. L’explication de cette absence de théorie est d’ailleurs assez difficilement compréhensible ; en effet, en 1896, Freud, dans ses Nouvelles remarques sur les névropsychoses-de-défense [20], met en relation passivité et survenue de l’affect de honte : ainsi, les prémisses d’une théorie prenant en compte les atteintes narcissiques passivantes comme grandes pourvoyeuses du sentiment de honte sont déjà présentes.
19Toujours est-il que les conséquences de cette absence apparente de théorie de la honte chez Freud, déjà signalée par O. Mannoni [21], se sont fait sentir sur ses successeurs [22]. Si l’on excepte en effet Ferenczi, pour qui honte et traumatisme sont indissolublement liés [23], et les analystes qui sont liés au mouvement psychanalytique hongrois (M. Balint et, en France, B. Grunberger, J. Chasseguet-Smirgel), la honte a été assez largement ignorée, ou simplement mentionnée, jusqu’à une période récente, par les analystes postfreudiens. En particulier, elle est peu distinguée de la culpabilité : ainsi, Hartman et Loewenstein [24] en 1962, affirment que honte et culpabilité peuvent être considérées comme des termes équivalents. Ces auteurs se placent ainsi dans une ligne de pensée très classiquement freudienne, en ce sens qu’ils ne font pas de l’Idéal du Moi une instance distincte du Sur-moi.
20Pour sa part, Kohut, en 1971 [25] postule que la honte peut survenir dans d’autres configurations psychiques que celles qui sont liées à un conflit entre le Moi et le Sur-moi - Idéal du Moi. Selon lui, la honte serait le résultat d’un conflit interne au Moi, résultant d’une confrontation entre des images idéales du self et le self tel qu’il peut être perçu par l’auto-observation. On peut naturellement observer que cette conception est, sur le plan théorique, assez problématique, en ce sens que, si cette confrontation entre ces images idéales du self et le self lui-même apparaît phénoménologiquement intramo ïque, elle est structurellement liée à un conflit entre instances. Cependant, il est important de noter que la mesure de cet écart interne produit une blessure narcissique qui, dans les développements théoriques de Kohut, génère une rage narcissique, qui est en fait le pendant agressif de la honte. C’est ainsi qu’il souligne que « le trouble essentiel, qui est à la base de l’expérience de honte, se ramène à l’exhibitionnisme sans bornes du Soi mégalomane, [tandis que] le trouble fondamental à l’origine de la rage se rattache à l’omnipotence de cette structure narcissique [26], [27].
21Cette place centrale accordée à la théorie du narcissisme dans l’étude de la honte a été soulignée par Kinston [28], qui est l’un des premiers psychanalystes à s’être confronté aux insuffisances des théories sociologisantes induites par la dimension groupale de la honte, et à avoir tenté de proposer une étude psychanalytique exhaustive de celle-ci. Notons encore que cette lignée de pensée tentant de mettre en rapport la pensée psychanalytique avec la sociologie ou la psychologie sociale est assez vivace en France : en témoignent des travaux aussi divers que ceux de V de Gaulejac [29], de J. Furtos et C. Laval [30], et de C. DeJours [31].
22Selon W. Kinston, les troubles du narcissisme trouvent leur origine au moment où l’enfant tente de s’individuer au regard des efforts des parents pour maintenir une relation symbiotique. Les parents, inconsciemment, se sentent mis en échec par l’enfant qui, en ne se comportant pas comme un prolongement de ces derniers, leur cause chagrin, dépression et rancune.
23On notera d’ailleurs ici que c’est dans cette ligne étiologique que se situent les travaux de Imre Hermann [32], dont l’importance a été signalée par Serge Tisseron [33]. Pour Kinston, les réactions coercitives parentales conduisent l’enfant à se forger une image négative de lui-même, ce qui, chez le futur adulte, se traduira par une pathologie du self ; en effet, dans cette configuration, l’obtention de l’amour parental passe par un renoncement au vrai self, aboutissant à sa destruction : l’enfant tente d’atteindre une satisfaction conforme à l’attente des parents, n’éprouvant plus, dans cette circonstance, ni conflits ni désirs. La honte est alors l’affect qui vient accompagner le mouvement psychique dans lequel le sujet renonce à son vrai self, pour se trouver dans cet état psychique sans désir, sans dépendance, sans conflits, sans imperfections. Ensuite, la honte disparaît, le sujet devient sans vergogne, dans une destructivité impitoyable. Il n’est pas inutile ici de souligner que, sur le plan clinique, cet « au-delà de la honte » est, à plusieurs reprises, signalé par Freud : d’une part, lorsqu’il évoque l’absence de honte dans la mélancolie, mais également lorsqu’il évoque la clinique de la parano ïa, cet « au-delà de la honte » constituant ainsi un des traits du couple structural, sur le plan psychopathologique, que constituent parano ïa et mélancolie [34]. Ce rapprochement pose d’emblée la question du rapport entre une certaine forme de honte, que j’appellerai « honte primaire », et les particularités de développement et de fonctionnement des auto-érotismes précoces. Elle est manifestement à l’œuvre dans les perversions, et je pense ici en particulier au patient masochiste « éhonté », « sans vergogne », « au-delà de la honte » dont M. de M’Uzan a rapporté le cas [35]. On peut d’ailleurs penser, à la lecture de ce cas, à l’écho littéraire qu’en donne Valéry Larbaud dans Les poésies de A. O. Barnabooth :
“ Je veux baiser le mépris à pleines lèvres,Allez dire à la honte que je meurs d’amour pour elle... »
25Comme on l’entrevoit, la question du mal et celle de la honte doivent nécessairement se rencontrer ; ainsi, l’expression si mystérieuse de la langue française : Toute honte bue, est au cœur de cette rencontre entre le mal et la honte, Littré l’attribue à un poète du XIIe siècle selon lequel, dans le temps de l’Apocalypse, l’Antéchrist verse sur la terre de pleins brocs de honte que boivent les humains...
26La conceptualisation de Kinston, assez marquée par la théorie des relations d’objet et par l’intersubjectivisme, me paraît néanmoins assez intéressante, en ce sens qu’on y perçoit la place centrale que peut y prendre, sur le plan clinique, la problématique de l’analité, et en particulier de l’analité primaire ; de ce point de vue, on peut lier, au départ de notre parcours, la composante sexuelle de la honte et sa composante narcissique : j’y reviendrai.
27Comme on l’a déjà entrevu, toute honte comporte une dimension groupale ; « j’ai honte de toi », « tu me fais honte », « j’ai honte pour toi » : ces expressions montrent assez à quel point la honte circule entre les individus comme lien. Traditionnellement référée à l’Idéal du Moi, on comprend en effet que si ce dernier est, comme le soutient Freud dans Psychologie collective et analyse du moi, un élément essentiel de la constitution groupale, alors la honte est un lien négatif qui cimente les relations inter-individuelles. Songeons un instant aux expressions que je viens d’évoquer, et essayons de les appliquer à la culpabilité ; on voit que c’est plus difficile. La circulation de la honte entre les individus, et son caractère contagieux, mis en évidence par ces expressions, font peut-être de la honte la chose au monde la mieux partagée : cette dernière ayant ainsi une dimension qui la rattache à l’hystérie.
28Au terme de cette introduction, une constatation s’impose : si, comme je l’ai dit, il n’y a pas, à ce jour, de théorie psychanalytique d’ensemble de la honte, il n’en demeure pas moins que de nombreux auteurs, à partir de Freud, en ont proposé des éléments théoriques [36]. C’est pourquoi, en ayant l’ambition de proposer au lecteur une théorie générale de la honte, j’ai choisi de faire dialoguer les auteurs au moyen de citations parfois longues, mais qui ont le mérite de restituer à chacun, au sein de ce qui se veut un document de référence, la part qui lui revient dans cette élaboration [37].
I – ASPECTS MÉTAPSYCHOLOGIQUES DE LA HONTE
« Le véritable antagoniste d’Éros ne serait pas alors Thanatos, mais une autre force, tenant d’un fait de culture, psychanalytiquement rattachable au mythe de la castration ancestrale du père de la horde primitive. »
1 / Honte et instances : le point de vue freudien
29La honte est repérable dans tout le champ développemental, et je me propose d’en esquisser un parcours qu’on ne peut, pour autant, isoler de celui de la culpabilité : si, classiquement, la culpabilité est référée au Sur-moi, et la honte à l’Idéal du Moi, il ne me paraît pas possible de séparer, sauf artificiellement pour étude, les deux dimensions et de faire ainsi du Sur-moi et de l’Idéal du Moi deux instances distinctes, même si de nombreux auteurs ont, à la suite de Grunberger, suivi cette trace. Je remarque d’autre part que, si la honte est toujours référée à une instance, l’Idéal du Moi, que l’on fasse de celui-ci une instance autonome ou qu’il soit un des versants de l’instance surmo ïque, elle est aussi en partie « héritière » du narcissisme primaire comme l’a bien noté A. Green [38] : je serai ainsi conduit à distinguer une honte primaire, héritière du narcissisme primaire, d’une honte secondaire apparaissant au cours de la période de latence, et liée au déclin du complexe d’Œdipe. Cette distinction entre une honte primaire et une honte secondaire n’est somme toute que l’application du modèle des destins de l’affect, tel que Freud le postule en 1925 à partir de l’angoisse, dans Inhibition, symptôme et angoisse, texte dans lequel il distingue une angoisse primaire, liée à la prématurité, d’une angoisse-signal liée à la différenciation en instances [39], puisqu’elle apparaît, dit Freud, en réponse à la menace de perte d’amour du Sur-moi, ou à sa colère, et enfin d’une angoisse secondaire, trace, dans le psychisme maintenant différencié en instances, d’angoisses plus précoces (par exemple, l’angoisse de castration).
30Il me paraît particulièrement important de procéder aux mêmes distinctions que celles opérées par Freud par rapport à l’angoisse, de façon à proposer une unité conceptuelle de la honte, quand de nombreux auteurs se sont contentés d’évocations phénoménologiques ou cliniques de certaines configurations psychiques ou existentielles (maladies, guerres, précarité, etc.), qui aboutissent en général à une psychologie psychanalytique descriptive, plutôt qu’à une métapsychologie. Or il est frappant de constater que les élaborations et les observations les plus pertinentes ne peuvent, faute de références métapsychologiques suffisamment établies, se déployer dans toute leur complexité : j’ai été ainsi frappé qu’un des psychanalystes américains les plus estimés, Robert Emde, n’ait pu donner aux premières réflexions sur la honte qu’il a menées avec David Oppenheim en 1995, de portée suffisante, notamment par rapport à la culpabilité, faute d’assises métapsychologiques établies : en relisant son travail, traduit en décembre 2002 par Antoine Guedeney [40], j’ai constaté que la difficulté à penser le cadre du drame œdipien, compte tenu de la complexité et de la multiplicité des conceptions postfreudiennes, avait conduit Robert Emde à concevoir la honte au sein – je cite – d’ « une théorie relationnelle et motivationnelle du premier développement de l’enfant ». On voit alors les impasses théoriques qui découlent de ce choix, chez un auteur qui est sans doute l’un des premiers à avoir observé avec raison que la honte précède la culpabilité.
31Ces considérations imposent de situer la réflexion sur la honte au cœur même de la métapsychologie freudienne, afin de proposer ainsi les bases d’une véritable métapsychologie de la honte.
32Je me propose donc de partir d’une relecture des textes de Freud relatifs aux instances, et des commentaires pénétrants qu’en a livrés Jean-Luc Donnet. Dans son commentaire de la XXXIe Nouvelle conférence intitulée : La décomposition de la personnalité psychique, Donnet cite d’abord Freud :
33« Il nous reste à mentionner une importante fonction que nous attribuons à ce Sur-moi. Il est aussi le porteur de l’Idéal du Moi auquel le Moi se mesure, auquel il aspire, dont il s’efforce de satisfaire la revendication d’un perfectionnement [41] toujours plus avancé. Aucun doute, cet Idéal du Moi est le précipité de l’ancienne représentation des parents, l’expression de l’admiration pour la perfection [42] que l’enfant leur attribuait alors. » [43]
34J.-L. Donnet commente ainsi ce passage :
35« Cet écart entre perfection et perfectionnement indique que l’identification aux parents œdipiens idéalisés ne permet pas pour autant que le moi “se prenne” pour l’idéal : il y a bien hiatus, séparation, clivage structurel entre le moi et le Sur-moi, et c’est de ce clivage que s’origine en quelque sorte le chemin du perfectionnement ; en d’autres termes, il n’est pas possible de séparer le versant surmo ïque interdicteur – ne sois pas comme ton père – et le versant idéal – sois comme ton père [44].
36« Il faut d’autre part noter que cette perfection celle des parents œdipiens –, alliée au perfectionnement, rend pensable un jugement de réalité de l’enfant vis-à-vis des parents, mesurant l’écart entre sa petitesse et leur puissance, point d’ancrage réel de la différence des générations et d’une “différence” [45] temporelle.
37“ Il est donc difficile de dissocier ce qui, par le biais de l’aspect narcissique des identifications œdipiennes, ou du Moi idéal, découle de l’aliénation narcissique, et ce qui relève de cette “différance” porteuse. » [46]
38On peut donc, à la lecture attentive de ce commentaire, admettre que la honte, bien avant de se déployer dans le champ psychopathologique, est structurellement présente du fait de la différenciation psychique en instances : on pourrait même postuler que, au niveau œdipien post-œdipien qui voit cette différenciation des instances, la honte a une fonction de signal d’alarme, tout comme l’angoisse. Cette honte-signal d’alarme a d’ailleurs été décrite en 1946 par Fenichel [47]. J’ajoute que les liens entre le Sur-moi et la honte, notamment du point de vue de l’aspect protecteur de la honte œdipienne, ont été particulièrement bien étudiés par S. Lebovici pour qui la mise en latence ; sous l’effet de la honte, des vœux meurtriers envers le père œdipien permet l’assomption d’une véritable rivalité adolescente [48].
39On peut alors remarquer que signal d’angoisse et signal de honte sont des affects, observables et pensables avant une différenciation psychique en instances, tandis que sentiment de honte et sentiment de culpabilité ne sont pensables que dans le cadre d’une différenciation des instances. Dès lors, il est tout à fait possible de penser le passage de la honte à la culpabilité comme un progrès dans le « travail de civilisation » que chaque sujet a à accomplir au long de son existence, tandis que le passage de la culpabilité à la honte serait une voie régrédiente dans le même travail de civilisation [49] ; progrédience et régrédience du couple honte-culpabilité s’observant aussi bien dans la cure analytique que dans les faits de culture ; la question de la sublimation sera, dans cette perspective, particulièrement convoquée.
40Relier ainsi l’affect d’angoisse et l’affect de honte d’un point de vue économique, quand nous sommes partis d’une opposition entre honte et culpabilité, opposition qui suppose, on l’a vu, un point de vue topique, aboutit donc à un questionnement dans lequel il faudrait prendre en compte le signal de honte comme « symbole mnésique » [50] d’une situation vécue antérieurement, mais que la dynamique psychique, par le biais du refoulement, tient encore à l’écart... Si, classiquement, on oppose refoulement des représentations et répression des affects, cette distinction n’est sans doute pas aussi tranchée que cette opposition le laisserait entendre. En effet, comme le souligne A. Green : « Si Freud soutient bien une distinction de destin (dans les psychonévroses) entre le représentant et l’affect, jamais cette opposition n’a été aussi tranchée [51] [que certains commentateurs l’ont affirmé [52]]. » La distinction est essentiellement liée à un « facteur quantitatif : dans l’affect, celui-ci est immaîtrisable, exigeant la décharge, rebelle et impropre à tout traitement, tandis qu’il est réductible, maniable, apte à se lier et à se combiner dans la trace mnésique » [53]. Enfin, il est capital de rappeler ici, à propos de l’affect de honte, un commentaire de J. Laplanche et J.-B. Pontalis, dans leur Vocabulaire de la psychanalyse :
41« Notons enfin que Freud a formulé une hypothèse génétique destinée à rendre compte de l’aspect vécu de l’affect. Les affects seraient “des reproductions d’événements anciens d’importance vitale et éventuellement pré-individuels” comparables à des “accès hystériques universels, typiques et innés”. » [54] Nous aurons donc à déterminer les événements ici en cause, tant sur le plan de l’espèce que sur le plan individuel, qui feraient de la honte une trace phylogénétique d’un événement ancien.
2 / Honte et instances : à propos de certains aspects postfreudiens
42Dans son important ouvrage consacré à l’Idéal du Moi [55], J. Chasseguet-Smirgel note [56] : « L’Idéal du Moi a des exigences quant à la manière dont le Moi s’est constitué et ne supporte pas de failles dans cette édification. » [57] Cela est à rapprocher de l’idée d’Anna Freud qu’il existe une tendance innée à achever le développement [58]. Reprenant ensuite les thèses de Ferenczi développées dans Thalassa, Janine Chasseguet-Smirgel postule que, « si le renoncement obligatoire au narcissisme primaire est accompagné d’un détachement de ce narcissisme sous forme d’Idéal du Moi, et si cet Idéal du Moi implique la promesse d’un retour à la fusion primitive par identification au père génital qui s’unit sexuellement à la mère [59], on peut comprendre que cet Idéal du Moi pousse à la réalisation d’une génitalisation achevée nécessaire à l’accomplissement du projet initial » [60] – l’échec narcissique de ce programme étant facteur de honte.
43L’idée, reprise de Béla Grunberger, selon laquelle « la barrière de l’inceste constitue une protection pour l’enfant œdipien contre la blessure narcissique d’avoir à reconnaître sa propre impuissance » [61], permet de comprendre comment la honte primaire liée à l’impuissance narcissique est troquée contre la culpabilité œdipienne. Ainsi, Grunberger, dans Le narcissisme [62], évoque un patient trop tôt séduit par sa mère dont il partageait, et pas seulement en rêve, la couche ; patient dont il dit que « sa blessure narcissique avait pour cause son incapacité orgastique infantile » [63]. Il y a ainsi un lien entre l’impuissance liée à la prématurité biologique et la honte, pour peu que l’objet ne protège pas de l’éprouvé traumatique de cette prématurité : j’y reviendrai.
44En opposition apparente avec cette idée d’une honte primaire, J. Guillaumin [64] postule que l’affect de honte est une formation réactionnelle : le Moi éprouverait de la honte lorsque, à la place de la satisfaction narcissique escomptée d’une conduite conforme aux exigences de l’Idéal du Moi, « ce qui était appréhendé, et présenté aux autres comme beau, noble, glorieux, est soudain révélé comme laid, infâme et dégradant. On peut donc dire que la honte exprime spécifiquement la manière dont le Moi supporte la dénonciation de l’échec de sa prétention à bénéficier de l’héritage de plénitude mégalomaniaque jadis déléguée à l’Idéal ».
45J. Chasseguet-Smirgel, dans son rapport sur l’Idéal du Moi, qui sert de point de départ à l’argumentation de J. Guillaumin, voit dans l’éprouvé de la honte le résultat du « retournement de l’exhibition phallique en exposition anale ». On voit donc comment la honte a un enracinement pulsionnel, puisque analité, voyeurisme et exhibitionnisme ainsi que retournement y sont d’emblée convoqués. C’est, en quelque sorte, une « crise pulsionnelle », dans laquelle la dimension économique est au premier plan : Guillaumin souligne un régime d’ « instabilité de l’orientation du fantasme », régime dans lequel se produit une brusque déliaison, génératrice d’angoisse : ainsi, le Moi est brusquement passivé ; cette passivation est en quelque sorte en quête d’une représentation, celle de l’effondrement honteux. Ces mécanismes à l’œuvre dans la honte, note avec justesse Guillaumin, ne sont pas sans rapport avec l’attaque hystérique, dont il les distingue pourtant, dans la mesure où l’investissement d’objet y tient une moindre place, c’est le Moi qui est ici investi comme objet. Il distingue également le raptus honteux du raptus dépressif, dans lequel, selon lui, « le fantasme, particulièrement archa ïque, ne s’articule pas tant, à la limite, en termes de pénétration, de voyeurisme ou de maîtrise, ou en termes généraux d’activité ou de passivité, qu’en termes de vide et de plénitude, de présence ou d’absence, d’amour et de haine, et, plus profond encore, d’être et de non-être globalement éprouvés » [65]. Dans le raptus honteux, au contraire, les oppositions passif-actif, devant-derrière, haut-bas, phallique-châtré sont essentielles, mais ne régressent pas, dit Guillaumin, aux oppositions amour-haine et vie-mort. Il y aurait, en quelque sorte, une « zone de honte » qui serait protectrice. On entrevoit alors, me semble-t-il, l’opposition qu’il pourrait y avoir entre la « zone de honte » protectrice, qui n’est pas sans rapport avec la honte-signal d’alarme, déjà évoquée, et la honte dévastatrice, celle de l’ « au-delà de la honte », de l’ « éhonté » ; sans engager davantage pour l’instant leur comparaison, je voudrais souligner qu’il y a sans doute une nécessité clinique et théorique à distinguer la « grande honte » de la « petite honte », comme on pourrait le faire pour la sublimation, en distinguant les « petites sublimations » (i.e le processus sublimatoire au quotidien) des « grandes sublimations » (celles qui aboutissent aux grandes œuvres), et qui ont sans doute peu de choses à voir avec les processus sublimatoires, habituels : le Marcel Proust de George D. Painter [66] qui met implicitement en lien cette « grande sublimation » qu’est l’écriture d’À la recherche du temps perdu et l’éhonté – forme négativée de la « grande honte » – est, à cet égard, éclairant...
46En essayant maintenant de distinguer le raptus de honte de la culpabilité, on s’aperçoit d’entrée que, si l’on peut parler de « raptus de honte » ou de « raptus dépressif », l’expression « raptus de culpabilité » choque, n’est pas possible, parce que le rapport à la culpabilité est essentiellement compréhensible en termes d’instance : le Sur-moi. Plus précisément, dans la culpabilité, dit Guillaumin qui semble ici ne plus distinguer l’Idéal du Moi comme une instance différenciée du Sur-moi, le défaut de différenciation, dans l’éprouvé de la culpabilité, se fait latéralement entre les instances paternelles de référence, Sur-moi et Idéal du Moi : la perte de l’Idéal n’est pas réalisée, mais redoutée, de sorte que l’affect de culpabilité introduit la différance [67]. La honte, au contraire, introduit une sorte de collapsus entre Sur-moi et Idéal : « (...) C’est l’objet même auquel le Moi a cherché à exhiber son pouvoir phallique et qu’il a voulu contraindre à la position passive, qui passe à l’autre pôle et met à nu la zone anale du glorieux, dénonçant et punissant ainsi directement, par le talion, le sadisme secret que cachait l’idéalisation de ses désirs. » [68]
47Reste à examiner maintenant les points de passage entre culpabilité et honte. On admet volontiers que toute culpabilité véritable nécessite d’être référée à l’organisation génitale œdipienne. Toutefois, pour Guillaumin, si on admet l’existence d’une culpabilité liée à un archa ïque, d’une culpabilité primitive, liée au premier objet, alors on peut rapprocher honte et culpabilité primitive. En d’autres termes, je pense pouvoir ici postuler que la culpabilité est rendue possible par l’impersonnalisation du Sur-moi héritier du complexe d’Œdipe, tandis que la honte est liée au collapsus Sur-moi précoce – Idéal du Moi dont l’objet primaire est projectivement porteur. Comme le dit Guillaumin, c’est le père qui surprend l’ « enfant coupable », tandis que, pour l’ « enfant honteux », « l’œil du père qui surprend est celui de la mère elle-même » [69]. Pour retrouver l’objet primaire, en évacuant le père, se pourrait-il alors qu’on accepte de troquer la culpabilité contre la honte ?
48Cette hypothèse se trouve, dans une certaine mesure, exprimée par F. Pasche, dans un texte de 1961 : « De la dépression » [70]. Il y aborde d’une manière très originale la question des liens et des différences entre Sur-moi et Idéal du Moi, qui permettent d’appréhender les relations entre les termes qui composent le couple honte-culpabilité [71]. Il traite, dans ce texte, de la dépression d’infériorité, qui « se définit par la dévalorisation de soi-même, l’autodépréciation de soi-même, [et qui]... est dépourvue d’idée consciente de culpabilité. (...) Elle se situe en deçà de la culpabilité » [72].
49Le point de vue intéressant, du point de vue de la honte, est le suivant :
50— Le Sur-moi du déprimé est, comme le Sur-moi normal, impersonnel – « apophatique », dit Pasche.
51— « L’Idéal du Moi est une image concrète [73], l’image des attributs, des qualités portées à leur perfection dont le déprimé se croit dépourvu absolument et dont il exige d’être pourvu absolument (...) Cet idéal est, chez le déprimé, du même degré de perfection que le Sur-moi et, dans certains cas, il peut n’être autre que ce Sur-moi auquel il est ajouté une figure (celle d’un Moi porté à sa perfection) mais en lui laissant son efficace : c’est-à-dire son omniscience toute-puissante. » [74], [75] Il s’agit là d’un point de vue capital puisqu’il permet de comprendre, sur le plan métapsychologique, les possibilités de passage entre honte et culpabilité, mais le point de vue de Pasche me paraît concerner également la spécificité de la problématique adolescente ; je reviendrai ainsi (p. 1685 et s.) sur la question de la relation entre honte et instances chez l’adolescent.
3 / Honte, groupalité, homosexualité : l’hypothèse d’une honte originaire
52À partir de la question du « troc » de la culpabilité contre la honte, et pour interroger l’hypothèse freudienne du caractère phylogénétique de l’affect, je souhaite reprendre et commenter les élaborations de Freud à propos de la « horde primitive » :
53« Ils ha ïssaient le père qui faisait si puissamment obstacle à leur besoin de puissance et à leurs revendications sexuelles, mais ils l’aimaient et l’admiraient aussi. Après qu’ils l’eurent éliminé, qu’ils eurent satisfait leur haine et mené à bien leur souhait d’identification avec lui, les motions tendres, qui avaient alors été terrassées, ne pouvaient manquer de se faire valoir. Cela se produisit sous la forme du repentir, il apparut une conscience de culpabilité, co ïncidant ici avec le repentir éprouvé en commun. Le mort devenait maintenant plus fort que ne l’avait été le vivant, toutes choses telles que nous les voyons encore aujourd’hui dans le destin d’êtres humains. Ce qu’il avait autrefois empêché par son existence, Ils se l’interdisaient maintenant eux-mêmes dans la situation psychique de l’ “obéissance après coup”, si bien connue de nous par les psychanalyses. Ils révoquaient leur acte en déclarant défendue la mise à mort du substitut paternel, du totem, et renonçaient à ses fruits en se refusant les femmes devenues libres. Ils créaient ainsi à partir de la conscience de culpabilité du fils les deux tabous fondamentaux du totémisme, qui pour cette raison même ne pouvaient que concorder avec les deux souhaits refoulés du complexe d’Œdipe. » [76]
54Si l’on suit bien ce passage célèbre, en ce qui concerne le premier des souhaits refoulés du complexe d’Œdipe, la culpabilité, liée au repentir d’avoir mis à mort le père aimé et admiré, fit retour d’abord sous forme du repentir éprouvé en commun. Pour le deuxième souhait, les choses semblent autrement complexes :
55« Ainsi, il ne resta plus aux frères, s’ils voulaient vivre ensemble, qu’à ériger, peut-être après avoir surmonté de graves incidents, l’interdit de l’inceste par lequel ils renonçaient tous à la fois aux femmes désirées par eux, à cause desquelles ils avaient pourtant éliminé le père en premier lieu. Ils sauvèrent ainsi l’organisation qui les avait rendus forts et qui pouvait reposer sur des sentiments et activités homosexuels ayant bien pu se mettre en place chez eux à l’époque de l’éviction. » [77], [78]
56Je ne puis que rapprocher cette dernière phrase d’une note de Freud dans le chapitre qu’il consacre à « la masse et la horde originaire », dans Psychologie des masses et analyse du moi [79] :
57« On peut aussi, par exemple, faire l’hypothèse que les fils évincés, séparés du père, progressèrent de l’identification mutuelle à l’amour d’objet homosexuel et acquirent ainsi la liberté de tuer le père. »
58Freud semble ainsi soutenir l’idée que la prohibition de l’inceste, fondatrice de l’interdit de la réalisation du désir œdipien, prend sa source dans le lien homosexuel qui a fondé la horde des frères comme groupe des frères. Plus précisément – continuons cette lecture de l’homosexualité des frère en décondensant la note de Freud –, on peut supposer que les frères, dans leur révolte grandissante contre le père de la horde, refusèrent de continuer à être les objets sexuels de ce dernier – au même titre que les femmes. Avec ce renoncement au père, se constitua pour chacun des frères une identification à lui, mis en position d’Idéal ; ce lien identificatoire de chaque frère avec le père de la horde permit que cette horde des frères se constituât sous forme groupale ; l’homosexualité était dès lors dans le camp des frères ; puis le meurtre survint, permettant l’appropriation des femmes, puis enfin la mise en place des deux interdits. Ici se dévoilerait alors une autre source de la honte telle qu’elle aurait pu surgir au sein du groupe des frères de la horde dont nous restons les descendants : toute reviviscence du désir œdipien, et de l’interdit de sa réalisation, renvoie régressivement à ce temps homosexuel premier, d’abord avec le père, puis substitutivement entre les frères, dans un temps où ce père était en position d’idéal ou, plus précisément, de Moi idéal auquel les frères étaient soumis. Dès lors, la honte, et je pense particulièrement ici à la honte adolescente, renverrait électivement à la séquence suivante :
59— Choix d’objet amoureux - reviviscence du conflit œdipien - régression au choix d’objet homosexuel - fantasme d’être l’objet sexuel du père sous les yeux des frères - changement régressif du primat du génital au primat de l’anal.
60On m’objectera le caractère spéculatif de cette hypothèse [80] ; cependant, elle se trouve validée par l’observation de Freud concernant les rêves typiques. Je suis en effet frappé que la série : rêves de mort de personnes chères - rêves d’examens - rêves de nudité re-parcourt cette « fantaisie » phylogénétique sur un plan intrapsychique. Je voudrais de plus ajouter que, si Freud n’évoque pas la honte dans Totem et tabou, elle est par contre présente dans une autre de ses « fantaisies phylogénétiques » : je propose que l’on réfléchisse à un passage de L’homme Mo ïse et la religion monothéiste [81] qui se termine par l’évocation de la honte ; ce passage m’intéresse, non seulement parce qu’il fait référence à la honte, mais aussi parce qu’il se situe, sur le plan méthodologique, dans le droit-fil de Totem et tabou : en effet, la démonstration de Freud part de la prémisse historique qu’il y aurait eu deux Mo ïse. Il Introduit, pour justifier cette hypothèse, la notion de nécessité dans un modèle conceptuel : est-il « nécessaire, se demande-t-il d’invoquer, l’influence de Mo ïse sous la forme finale de la représentation juive de Dieu, s’il ne suffit pas de faire l’hypothèse d’un développement spontané [82] en direction d’une spiritualité supérieure » [83] ? Il répond à cette question par la négative : puisque les mêmes circonstances n’ont pas amené spontanément le monothéisme dans d’autres cultures, on peut se demander pourquoi une idée si forte aurait pu se former ex nihilo dans des conditions historiques aussi défavorables, au sein d’une nation « minuscule et impuissante ». Bien sûr, ajoute-t-il, on pourrait invoquer le génie propre de ce peuple, mais « le génie est, comme on le sait, incompréhensible et sans responsabilité » [84]. Par contre, « il est impossible de nier l’influence personnelle de grands hommes isolés sur l’histoire universelle », a contrario, on peut se demander « quel sacrilège on commet en ne voulant reconnaître que des mobiles tirés des besoins matériels » [85]. Freud est ici on ne peut plus clair : il a besoin de ce modèle explicatif – deux Mo ïse –, pour la cohérence interne de son modèle, comme il avait besoin, dans Totem et tabou, du meurtre du père originaire et du repas totémique ; mais, par rapport à Totem et tabou, Freud engage ici un débat sur la méthode historique, et notamment la question des liens dialectiques entre les divers types de causalités mises en œuvre dans l’écriture de l’histoire.
61On rencontre également, dans cette section du texte, un problème important, évoqué par Freud : après le meurtre de Mo ïse, « la relation vraie de ces événements anciens, de la nature de la religion mosa ïque et de l’éviction brutale du grand homme devait être soustraite à la connaissance des générations suivantes, trouver en quelque sorte le repos éternel (...) Or le fait singulier est qu’il n’en est pas ainsi, que les plus fortes répercussions de cette expérience vécue par le peuple ne se manifestent que plus tard... » [86].
62Freud propose alors une analogie [87] entre latence historique et latence psychique, en prenant pour modèle la névrose traumatique et le « temps d’incubation » nécessaire entre l’événement déclenchant et la constitution de la névrose : il postule une inscription conflictuelle des traces mnésiques liées à l’événement traumatique – le meurtre de Mo ïse : elles furent effacées des écrits, mais furent perpétuées dans traditions orales, comme si « ces traditions, au lieu de s’affaiblir avec le temps, devinrent toujours plus puissantes [88] au cours des siècles, se frayèrent un chemin dans le traitement postérieur des récits officiels [89] (...). En dépit de tous les efforts inhérents à des tendances postérieures, il ne fut plus possible de masquer cet état de fait honteux » [90].
63Quant à l’application de cet « état de fait honteux » à ma lecture de Totem et tabou, concernant la honte des frères « objets sexuels du père », je propose qu’on la relie aux développements proposés par René Kaës [91] qui introduit l’idée d’un « pacte dénégatif » entre les frères après le meurtre du père primitif. Cette dénégation commune porte sur le meurtre du père, telle que Freud l’explicite dans Totem et tabou [92], et, selon moi, cette rupture, cette « sortie » du pacte dénégatif par un des frères est génératrice de honte.
64« Il y a deux polarités du pacte dénégatif : l’une est organisatrice du lien et de l’ensemble trans-subjectif, l’autre est défensive. En effet, chaque ensemble particulier s’organise positivement sur des investissements mutuels, sur des identifications communes, sur une communauté d’idéaux et de croyances, sur un contrat narcissique, sur des modalités tolérables de réalisations de désirs ; chaque ensemble s’organise aussi négativement sur une communauté de renoncements et de sacrifices, sur des effacements, sur des rejets et des refoulements, sur un “laissé de côté” et sur des restes. Le pacte dénégatif contribue à cette double organisation. Il crée, dans l’ensemble du non-signifiable, du non-transformable, des zones de silence, des poches d’intoxication, des espaces poubelles ou des lignes de fuite qui maintiennent le sujet étranger à sa propre histoire [93]. Dans les couples, dans les familles, dans les groupes et dans les institutions, les alliances, contrats et pactes inconscients soutiennent notamment le destin du refoulement et de la répétition » [94] : on ne saurait mieux décrire le terreau habituel de la honte...
65Ce pacte dénégatif n’est pas sans rapport avec le « contrat narcissique »de Piera Aulagnier, ou la « communauté de déni » de D. Braunschweig et M. Fain. Je note également que, dans une perspective un peu différente, il apparaît au sein d’une autre communauté de frères : les « joyeux labadens » décrits par D. Brauschweig et M. Fain dans Éros et Antéros [95] ; la culpabilité serait ainsi attachée à Éros, comme la honte le serait à Antéros.
66Concernant ma lecture de la « fantaisie » freudienne sur la horde primitive, je voudrais souligner qu’une « preuve par la honte » surgissant dans le processus théorisant semble bien apparaître dans cet extrait du chapitre VII, consacré par Freud à l’identification, dans « Psychologie des masses et analyse du moi ». Freud n’a pas encore pris en compte les quatre courants du complexe œdipien, et c’est ce qui le conduit à une dénégation « tranquille » (?) de l’importance du désir sexuel du fils pour le père :
67« Le petit garçon fait montre d’un intérêt particulier pour son père, il voudrait et devenir et être comme lui, venir à sa place en tous points. Disons-le tranquillement : il fait du père son idéal. Ce comportement n’a rien à voir avec une position passive ou féminine envers le père (et envers l’homme en général), il est bien plutôt masculin par excellence ». [96], [97]
68Il faut aussi souligner que, dans cette série régressive, l’Idéal du Moi, en jeu dans le choix amoureux, mais aussi dans l’organisation œdipienne, cède la place au Moi idéal, défini ici dans une certaine proximité avec Daniel Lagache, et qui « comporte une identification primaire à un autre être, investi de la toute-puissance » [98]. Pour Lagache, il s’agit de la mère, de l’imago maternelle archa ïque, mais on peut également postuler que le « père de la préhistoire personnelle », ou bien même le père de la horde sont tout aussi bien en perspective dans une telle série, de sorte qu’il faut souligner ici, avec Catherine Couvreur, que si (...) « les fantasmes originaires (...) peuvent transmuter l’expérience de perte narcissique en séduction sexuelle, transformer une angoisse diffuse et insensée en une angoisse de castration » [99], il est alors tout à fait possible d’envisager aussi que le fantasme de honte originaire, tel que je viens de le lire à travers Totem et tabou, tente de rendre compte du passage de la passivité du fils vis-à-vis de la mère, passivité liée, on le sait, à la situation de l’infans en proie à la séduction des soins maternels, à la passivité vis-à-vis du père œdipien : ouvrant ainsi la voie à la culpabilité, la honte, à l’évidence, est à l’origine du travail de civilisation du petit d’homme, à condition que cette honte puisse connaître un changement d’objet [100], [101].
69Enfin Freud note, dans Un enfant est battu, que « l’aveu de cette fantaisie [un enfant est battu] ne se fait qu’avec hésitation (...) ; Honte et conscience de culpabilité [102] s’éveillent, à cette occasion, avec peut-être plus de force que lors de communications analogues sur les souvenirs des débuts de la vie sexuelle » [103]. Je souligne, en évoquant On bat un enfant, que la passivité est aussi à considérer dans le cadre du retournement pulsionnel, et particulièrement dans le cadre de la problématique sadisme/masochisme :
70« La fantaisie de la période d’amour incestueuse avait dit : Il [le père] n’aime que moi, il n’aime pas l’autre enfant, car c’est bien celui-ci qu’il bat. La conscience de culpabilité ne saurait trouver de plus dure punition que l’inversion de ce triomphe : “Non, il ne t’aime pas, car il te bat.” Ainsi, la fantaisie de la deuxième phase – être soi-même battu par le père – deviendrait l’expression directe de la conscience de culpabilité à laquelle est maintenant soumis l’amour pour le père. Elle est donc devenue masochiste ; à ma connaissance, il en est toujours ainsi, chaque fois la conscience de culpabilité est le facteur qui transmue le sadisme en masochisme. Ce n’est certainement pas tout le contenu du masochisme. La conscience de culpabilité ne peut pas être restée à elle seule maîtresse du terrain ; à la motion d’amour doit aussi revenir sa part. Souvenons-nous qu’il s’agit d’enfants chez qui, pour des raisons constitutionnelles, la composante sadique pouvait venir au premier plan prématurément et isolément. Nous n’avons pas à abandonner ce point de vue. C’est précisément chez ces enfants qu’un retour en arrière à l’organisation prégénitale, sadique-anale, de la vie sexuelle est particulièrement facilité. Si l’organisation génitale, à peine atteinte, est frappée par le refoulement, ce qui survient n’est pas seulement cette seule et unique conséquence que toute représentance psychique de l’amour incestueux devient ou demeure inconsciente, il s’y ajoute encore comme autre conséquence que l’organisation génitale elle-même connaît un rabaissement régressif. Le : “Le père m’aime” était pris au sens génital, par la régression, il se transforme en : “Le père me bat” (je suis battu par le père). Ce être-battu est maintenant une conjonction de conscience de culpabilité et d’érotisme, il n’est pas seulement la punition de la relation génitale prohibée, mais aussi le substitut régressif de celle-ci, et c’est de cette dernière source qu’il reçoit l’excitation libidinale qui lui sera désormais attachée et qui trouvera l’éconduction dans des actes onaniques. Or c’est seulement à partir de là qu’on a l’essence du masochisme. » [104]
71On peut donc faire l’hypothèse que c’est dans le retournement régressif [105] du sadisme en masochisme que la culpabilité (active) cède la place à la honte (subie).
4 / Le corps au carrefour de la honte : hystérie, analité et narcissisme
72Si, comme Je l’ai souligné, la réflexion sur la honte conduit à la fois du côté d’une réflexion sur les instances, du côté d’une réflexion sur l’affect, et du côté de la groupalité, il paraît évident que l’hystérie est au carrefour de la honte. Je pense même que l’hystérie, prise ici dans la dimension adolescente que Freud lui a toujours accordée [106], est au cœur de l’analyse que nous pouvons faire de la honte : la rencontre, dans l’adolescence, du caractère nécessairement corporel de l’affect avec les bouleversements physiologiques et psychiques liés à la puberté dessinent la géographie de ce carrefour. La problématique de l’analité, quant à elle, peut être introduite avec une réflexion capitale de Freud, telle qu’elle apparaît dans une longue – et célèbre – note de Malaise dans la culture que je ne puis ici que rappeler dans sa quasi-intégralité, compte tenu de son importance :
73« La périodicité organique du processus sexuel s’est, il est vrai, maintenue, mais son influence sur l’excitation sexuelle psychique s’est plutôt renversée dans son contraire. Cette modification est avant tout en corrélation avec le passage à l’arrière-plan des stmuli olfactifs par lesquels le processus de menstruation agissait sur la psyché masculine. Leur rôle fut repris par des excitations visuelles qui, à l’opposé des stimuli olfactifs intermittents, pouvaient entretenir une action permanente. Le tabou de la menstruation est issu de ce “refoulement organique” comme défense contre une phase de développement surmonté, toutes les autres motivations sont vraisemblablement de nature secondaire. (...) Ce processus se répète à un autre niveau, quand les dieux d’une période culturelle dépassée deviennent des démons. Mais le passage à l’arrière-plan des stimuli olfactifs semble lui-même résulter du fait que l’être humain s’est détourné de la terre, s’est décidé à la marche verticale, par laquelle les organes génitaux Jusque-là recouverts deviennent visibles et ont besoin de protection, et qui ainsi suscite la honte [107]. Au début de ce procès culturel fatal, il y aurait donc la verticalisation de l’être humain. L’enchaînement à partir d’ici passe par la dévalorisation des stimuli olfactifs et l’isolation pendant la période menstruelle, va jusqu’à la prépondérance des stimuli visuels, à la visibilité acquise des organes génitaux, puis jusqu’à la continuité de l’excitation sexuelle, à la fondation de la famille, et par là jusqu’au seuil de la culture humaine. Cela n’est qu’une spéculation théorique, mais suffisamment importante pour mériter d’être exactement vérifiée sur les conditions de vie des animaux proches de l’être humain.
74« De même, dans l’aspiration culturelle à la propreté, qui trouve une justification après coup dans des considérations hygiéniques, mais qui s’est déjà manifestée avant qu’on en ait l’idée, on ne peut méconnaître un facteur social. L’incitation à la propreté découle de la pressante nécessité de mettre à l’écart les excréments devenus désagréables à la perception sensorielle. Nous savons qu’il en est autrement dans la chambre des enfants. Les excréments ne suscitent chez l’enfant aucune répugnance, ils lui apparaissent comme ayant une valeur en tant que partie de son corps qui s’est détachée. L’éducation insiste ici avec une particulière énergie sur l’accélération du parcours de développement à venir, qui doit rendre les excréments sans valeur, dégoûtants, répugnants et abominables. Une telle transvaluation serait à peine possible si ces matières soustraites au corps n’étaient pas condamnées par leurs fortes odeurs à partager le destin qui est réservé aux stimuli olfactifs après la verticalisation de l’être humain par rapport au sol. L’érotisme anal succombe donc d’abord au “refoulement organique” qui a frayé la voie à la culture. Le facteur social qui assure la mutation ultérieure de l’érotisme anal se trouve attesté par le fait que, malgré tous les progrès de développement, l’odeur de ses propres excréments est à peine choquante pour l’être humain, celle des excrétions de l’autre continuant seule à l’être. Le malpropre, c’est-à-dire celui qui ne dissimule pas ses excréments offense donc l’autre, ne témoigne d’aucun égard pour lui, et c’est d’ailleurs ce que disent bien les injures les plus énergiques et les plus usuelles. Il serait d’ailleurs incompréhensible que l’être humain utilise comme mot injurieux le nom de son plus fidèle ami du monde animal, si le chien ne s’attirait pas le mépris de l’être humain par deux particularités, être un animal olfactif qui ne craint pas les excréments et n’avoir pas honte de ses fonctions sexuelles. » [108]
75Les rapports entre honte et analité sont ainsi mis en relation par Freud à travers l’évocation du « montré » des organes génitaux, donc à travers la question de l’exhibitionnisme.
76Dans un remarquable travail, C. Barazer [109] signale d’ailleurs que Freud, dans la préface au livre de John-Gregory Bourke consacré aux rites scatologiques, en 1913, « félicite l’auteur d’oser aborder, à l’instar du psychanalyste, un sujet aussi difficile, transgressant, comme ce dernier un interdit ». Il évoque l’idée que la société réagit non seulement en assimilant ce discours sur le « reste de terre » [110] au reste de terre lui-même, mais en traitant celui qui le tient comme ce « reste de terre ». Et de conclure :
77« Il n’a pas été permis à la science de s’occuper de ces aspects honteux [111] de la vie humaine en sorte que quiconque étudie de telles choses se voit considéré comme à peine moins inconvenant que celui qui fait réellement des choses inconvenantes. » [112]
78Un tel rapprochement est d’ailleurs constant dans la clinique de Freud : je rappelle pour mémoire que, dans « Les théories sexuelles infantiles » [113], il évoque la conception infantile selon laquelle être marié, c’est, pour les époux, pouvoir se montrer le derrière sans honte, ou bien encore les nombreux passages du Petit Hans dans lesquels Hans évoque sa « honte d’uriner devant les autres ».
79Cette mise en lien de l’analité de l’exhibitionnisme trouve d’ailleurs une résonance dans une autre note importante de Freud, dans Malaise dans la culture, et selon laquelle maîtrise pulsionnelle et maîtrise sphinctérienne [114] vont de pair, cette maîtrise étant liée au renoncement à l’homosexualité :
80« Un matériel psychanalytique incomplet, qu’on ne peut interpréter avec certitude, permet cependant au moins une supposition – qui parait fantastique – au sujet de l’origine de ce haut fait humain. C’est comme si l’homme originaire avait eu l’habitude, quand il rencontrait le feu, de satisfaire sur lui un plaisir infantile en l’éteignant par son jet d’urine. Sur la conception phallique originaire de la flamme qui, comme une langue, s’étire dans les airs, il ne peut y avoir, d’après les légendes existantes, aucun doute. Éteindre le feu en urinant – ce à quoi ont encore recours ces tardifs enfants de géants que sont Gulliver à Lilliput et le Gargantua de Rabelais – était donc comme un acte sexuel avec un homme, comme une jouissance de la puissance masculine sans la compétition homosexuelle. Celui qui, le premier, renonça à ce plaisir, épargnant le feu, put l’emporter avec lui et le contraindre à le servir. En étouffant le feu de sa propre excitation sexuelle, il avait domestiqué cette force de la nature qu’est le feu (...) [115], [116].
81Janine Chasseguet-Smirgel a, à plusieurs reprises, développé l’idée selon laquelle, au désir d’exhibition narcissique phallique se substituerait, dans la honte, le fantasme d’exhibition de l’anus. Ainsi, l’exhibitionniste suivrait une voie régrédiente par rapport à l’axe phylogénétique décrit si précisément par Freud dans cette note de Malaise... Cependant, une autre question doit être ici ouverte : si Scham signifie chez Freud à la fois « pudeur » et « honte » – ici la pudeur acquise par l’hominisation –, ce procès culturel de la pudeur est décrit en lien avec l’a honte qui conduirait à renoncer au plaisir non seulement exhibitionniste, mais également olfactif. D’où l’idée que la honte serait le représentant groupal – idéologique, en quelque sorte – de l’instance refoulante [117]. Ainsi, la honte est probablement le premier affect organisateur de la psyché humaine. Si j’emploie ainsi le terme d’ « organisateur », c’est pour souligner que je considère la honte comme un affect. dont le poids est déterminant dans l’hominisation. Présent début de la vie psychique, il l’est aussi à l’origine de l’humanité, telle que les évoquent nos grands récits mythiques ; qu’on se rappelle la Genèse : « ... Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas de honte l’un devant l’autre. (...) La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir l’entendement [118]. Elle prit de son fruit et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle et il mangea. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus, ils cousurent des feuilles de figuier et se firent des pagnes. » [119] Le récit biblique des premiers temps :dans lequel connaissance, nudité, honte sont intimement liées trouve aussi un écho, tout à fait extraordinaire dans la XXXIIIe des Nouvelles suites des leçons d’introduction à la psychanalyse, lorsque Freud fait l’hypothèse qu’une des premières formes de manifestation de civilisation vient des femmes qui, avec l’invention du tissage et du tressage, imitent la nature qui fait, écrit-il, « pousser, au moment de la puberté, la toison pubienne qui cache les organes génitaux ». Ainsi, pour cacher aux hommes ce que Freud nomme, dans la même conférence, « le défaut [Deffekt] de l’organe génital », les femmes échappent à la honte en inventant en quelque sorte, dans le même temps, la pudeur et la sublimation. Ce qui, soit dit en passant, relativise sérieusement l’affirmation de Freud, toujours dans ce même texte, selon laquelle « les femmes ont apporté peu de contributions aux découvertes et aux inventions de l’histoire de la culture »... Il faut, en s’arrêtant un instant sur ce point de vue, souligner une fois encore les liens complexes existant entre pudeur et honte. Dire que la pudeur permet d’échapper à la honte, c’est souligner les liens sémantiques et psychiques, pour ainsi dire organiques entre les deux termes, liens que fondent, dans la honte comme dans la pudeur, aussi bien l’importance de la déclinaison des destins de la pulsion scopique que le rôle de l’Autre ou celui de l’objet. Mais c’est également suggérer les points de passage entre pudeur et honte, points de passage dont le ressort me paraît être essentiellement économique : c’est, me semble-t-il, ce que Freud indique dans sa fable sur le tissage en ayant recours à ce destin pulsionnel particulier qu’est la sublimation. De ce point de vue, il y a une parenté certaine entre la pudeur et la honte-signal [120], et c’est à l’évidence les mères, les femmes, qui en sont les messagères.
82Sur la question de l’exhibition, A. Jeanneau a d’ailleurs mis magistralement en lien l’éreutophobie et l’analité : déplacement du bas vers le haut, comme l’hominisation passe du derrière/accroupi au devant/debout, puis au devant/derrière : que de déplacements !...
83« (...) La honte se place entre l’insuffisance et la faute, l’incapacité et la culpabilité [121]. Car il n’y a pas de honte sans mouvement pulsionnel dont le sujet ait motif à rougir. L’autodépréclation se suffit d’un constat d’impuissance, apparemment passif. (...) L’éreutophobie s’inscrit dans cette dynamique, où l’actif regard qui se cache est surpris aux yeux de tous, où l’exhibition surgit de l’intimité pour envahir les parties découvertes. Et ce qui nous intéresse ici, c’est qu’il existe un incontrôlable secret, mécanisme, dont le montage s’apparente à, un symptôme de conversion. Étonnante conversion qui, par cette subite vasodilatation faciale, concerne ainsi le système végétatif sur lequel le fantasme inconscient toujours porté par la représentation-but, n’a, par principe, pas d’action. Sauf si la modification vasculaire prend sa place dans un projet d’acte ou de relation, qu’elle accompagne alors, au même titre que l’idée de marcher a déjà tendu le muscle et modifié en conséquence sa vascularisation. Ce qui, dans l’éreutophobie, irait ainsi de bas en haut, dans un mouvement hystérique tout ferenczien, se ferait par les mêmes détours que, le globus laryngé ou l’aphonie hystérique. Et, dans ce cas, par régression de l’exhibition phallique à la défécation anale, qui remplit l’être de toutes ses forces avant de le vider, pousse activement en toute opposition et couvre aussi bien de honte en ayant perdu toute maîtrise, le visage congestionné montrant en toute ambivalence ce qu’il fallait cacher. » [122]
84On rapprochera ce point de vue d’un passage de : Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, dont l’intérêt est souligné par A. Ferrant [123] : « Le sexuel qui forme le contenu de la grivoiserie englobe plus que ce qui est particulier à chacun des deux sexes, il s’y ajoute des choses communes aux deux sexes sur lesquelles porte la honte, c’est-à-dire l’excrémentiel, dans toute l’étendue du terme [124]. Or c’est là l’étendue que possède le sexuel au moment de l’enfance, lorsqu’il existe pour la représentation une sorte de cloaque à l’intérieur duquel la séparation entre le sexuel et l’excrémentiel se fait mal ou pas du tout. » [125]
II – PSYCHOGENÈSE DE LA HONTE
1 / Honte, traumatisme, excitation : pour introduire la honte primaire
« À l’origine de l’excitation, les mouvements pulsionnels doivent être saisis dans leur double dimension ; passive du côté de la sensation, de l’empreinte (...), active du côté de l’exercice, de la maîtrise. »
85Comme on peut le discerner, la honte, que nous avons d’abord structurellement liée à l’infantile, se déploie dans un état psychopathologique stable, lié à la pathologie du narcissisme, c’est un point de vue assez voisin qui peut être inféré d’un travail de R. Roussillon [127]. L’auteur y montre que ce n’est pas le tableau habituel de la honte, liée pour lui à la passivation, qu’Œdipe exhibe à son retour sur scène ; il se place au-delà de la honte. Il faudra, dit-il, l’intervention de Créon pour désigner l’impudeur de cette exhibition :
86« Vite, conduisez-le dans la maison, il n’est pas décent d’étaler les malheurs de la famille devant d’autres personnes que les parents. » [128]
87Roussillon évoque justement l’exhibition anale, en suivant là la thèse d’A. Jeanneau [129], via le visage :
88« Ce sang qui ruisselle en pluie noire, en grêle de caillots sanguinolents. »
89Pour Roussillon, il s’agit bien ici d’un retournement contre soi, sur le mode passif/actif, dans lequel, pour éviter le retour effractif d’une passivation primaire traumatique, Œdipe se fait à lui-même activement ce qu’il a eu à subir originairement : être exposé, avoir les pieds liés, c’est-à-dire être originairement entravé dans son activité : il s’agit d’une entrave à la pulsion d’emprise [130].
90Roussillon expose ici une théorie traumatique originaire :
91« Aussi la pulsion d’emprise d’Œdipe a-t-elle été d’emblée trop empêchée. » [131]
92Cette formulation laisse d’ailleurs entendre qu’il aurait pu en être autrement. Pourtant l’enfant aux pieds liés n’est pas sans rapport avec la situation de passivité originaire de l’infans, liée à la prématurité somato-psychique du nouveau-né. En ce sens, je postule provisoirement l’idée d’une « honte primaire », en quelque sorte constitutionnelle, que seul le travail de liaison qui est permis par les objets permet d’intégrer ensuite ; cette honte primaire, secondarisée lors du développement œdipien, puis à la période de latence, peut également faire retour, sous certaines conditions, au cours de l’adolescence. Reste que la question des traumatismes précoces, ou ultérieurs, vient compliquer cette question des destins de la honte primaire. D’un certain point de vue, il y a une parenté entre Œdipe, « soupçonné » dès sa naissance du fait de l’oracle, et « Das unwillkomene Kind » – l’enfant mal accueilli. Ferenczi évoque à ce propos des patients qui ont été, écrit-il, « des hôtes non bienvenus dans la famille » et qui présentent des troubles somatiques divers, un fort désir de mourir : « Ces enfants ont bien remarqué les signes conscients et inconscients d’aversion ou d’impatience de leur mère (...) et leur volonté de vivre s’en est trouvée brisée. » [132], [133]
93Ainsi, à partir de l’hystérie et de l’adolescence, notre parcours régrédient nous a conduit, via l’analité, au sexuel infantile, puis aux traumas narcissiques par échec de l’emprise.
94Cette question de la honte primaire mérite donc un développement particulier. Ceux qui font de l’observation directe de nourrissons attestent l’existence de manifestations comportementales et de mimiques témoignant d’une honte précoce. Je ne puis, dans le cadre de ce travail, passer cette littérature en revue. Je signale, pour mémoire, l’article de Robert N. Emde, « Génétique des émotions (développement terminé et développement interminable) » [134], et le point de vue qu’il y développe :
95« Dans notre perspective, les émotions morales précoces incluent : le partage des affects positifs et la fierté ; la honte – le sentiment de “dommage” (possible précurseur de la culpabilité). (...) La honte est une émotion qui semble indiquer la conscience qu’a l’enfant d’avoir fait quelque chose de mal [135]. Cela se manifeste par un évitement du regard, une expression de déplaisir et une certaine » mollesse « dans le cadre de la réalisation d’un acte interdit » [136].
96On ne peut qu’être frappé par la confusion entre honte et culpabilité qui s’exprime ici. Elle me paraît assez compréhensible, faute d’un fondement métapsychologique ; elle a cependant le mérite d’esquisser un lien entre honte et culpabilité précoces qu’il faut tenter d’éclairer.
97Jean Laplanche, au plus près de Freud, a repris, dans Vie et mort en psychanalyse, la question de la naissance de l’objet, sorte de « big-bang » dans lequel, dans le même temps, surgissent objet du désir, pulsion, hallucination de la satisfaction, auto-érotisme ; c’est cette émergence, véritable catastrophe psychique, au sens de la théorie des catastrophes [137], que César et Sàra Botella ont décrit sous le nom de « sexuel primordial » [138]. Cette naissance à la vie psychique se produit sur fond d’absence : « L’objet naît dans la haine », écrivait Freud, parce qu’au moment où l’objet de la satisfaction hallucinatoire naît, l’objet réel et le réel de l’objet, c’est-à-dire la chose – Das Ding – sont irrémédiablement perdus. Un des destins possibles de ce drame est le procès inlassable fait par le sujet à l’objet, à lui-même, puis à l’analyste de cette perte dont il est l’artisan, dans une quête éperdue de ce que C. et S. Botella ont nommé « l’objet perdu de la satisfaction hallucinatoire ». On perçoit alors comment, à mon sens, la « mère défaillante » peut être une construction psychique après coup, effet d’une projection sur l’objet de la culpabilité de l’avoir soi-même mise en position d’absence : culpabilité surmo ïque précoce projetée sur l’objet qui fait de cette mère défaillante une « inclusion imago ïque » au sens que Pierre Luquet [139] donna à ce concept en 1962. Mais à cette définition de la culpabilité primaire [140] me paraît nécessairement liée l’idée d’une honte primaire liée au débordement par la pulsion sexuelle in statu nascendi et qui laisse le sujet dans une certaine détresse. Je pense, sur ce point, que la honte primaire précède la culpabilité primaire, cette dernière étant produite par :
- un retournement de la passivité en activité : « l’objet ne m’a pas laissé dans la détresse ; c’est moi qui l’ai laissé » ;
- puis par une projection : « Ce n’est pas moi qui l’ai laissé, c’est lui qui m’a laissé, parce que je lui ai fait du mal (je l’ai tué, détruit, etc.). »
98De ce point de vue, il me paraît nécessaire de continuer à s’appuyer sur la théorie de l’étayage qui permet de lier ainsi honte et culpabilité, la seconde étant troquée contre la première dès l’origine de la vie psychique. Cette conception prenant en compte culpabilité et honte primaires, n’est somme toute que la généralisation du modèle que j’ai proposé autrefois avec le « noyau chaud » et le « noyau froid » du traumatisme. Dans un article de 1985 [141], dans lequel j’avais exposé le cas d’une patiente chez qui la honte était très présente, j’écrivais alors, à propos des deux temps précoces du traumatisme :
99« Ces deux temps précoces, à propos desquels j’ai évoqué le non-respect des besoins du patient pour le premier, et la sexualisation de ce premier temps pour le second, me paraissent présenter une homologie structurale avec ce que nous savons de l’étayage de la pulsion sexuelle. Bien que je ne puisse actuellement soutenir une démonstration serrée de ce point de vue, J’avancerai l’idée que ces mouvements dans lesquels inlassablement, et de façon répétitive, certains patients tentent de transformer du traumatique (du non-sexuel) en quelque chose de sexuel, témoignent d’un échec primaire des processus d’étayage des pulsions sexuelles sur les pulsions d’autoconservation, et notamment d’une faillite du “double retournement” pulsionnel. Dans cette perspective ce serait la mise en échec, dans la situation traumatique, de la pulsion d’emprise, qui interdirait la mise en route du processus d’étayage normal. Peut-être pourrait-on d’ailleurs avancer que l’essence même du traumatique, c’est ; la mise en échec de l’emprise [142]. Ce point de vue me paraît en tout cas devoir être repris et appliqué à un certain nombre de situations psychopathologiques : il m’apparaît ainsi que les “bricolages” des scénarios pervers retracent dans leur diversité cet essai de transformation de “non-sexuel” en “sexuel”, en une sorte de simulacre d’étayage de la pulsion sexuelle chez des sujets ayant vécu des expériences traumatiques relativement précoces.
100« On pourrait m’objecter que l’étayage est, d’un point de vue génétique, situé relativement tôt dans le développement de l’être humain ; cela ne me paraît que partiellement vrai. Si Freud prend pour modèle de l’étayage l’exemple de la faim et la constitution de l’auto-érotisme oral, il n’en demeure pas moins vrai que d’autres pulsions vont venir s’étayer sur des besoins d’autoconservation plus tardifs. D’autre part, le développement par Freud de la notion de choix d’objet par étayage indique à mon sens que l’idée de rapport d’étayage entre les pulsions d’autoconservation précoces et des mises en jeu pulsionnelles plus tardives n’est pas étrangère à la pensée de Freud. Enfin, il me semble que la clinique permet de constater que les étayages pulsionnels sont dynamiques et susceptibles de désétayages ou de ré-étayages au cours de l’existence d’un sujet et des avatars de ses choix ou relations d’objets, cela est notamment très perceptible à l’adolescence et peut se rencontrer aussi ultérieurement. »
101Comme on le voit, la question de la passivation, qu’elle soit liée à l’émergence pulsionnelle ou qu’elle soit liée aux carences environnementales qui mettent directement ou indirectement l’emprise en échec, relie mon point de vue de 1985 et celui que je propose aujourd’hui autour de cette question de la honte primaire : je reste ainsi convaincu de la nécessité, pour la théorie psychanalytique, de la théorie de l’étayage, en tant qu’elle fait partie de ce que j’ai nommé théorique primordial [143] : ces éléments théoriques sont pour nous, psychanalystes, à la fois nécessaires au développement de nos théories, mais aussi inconnaissables par l’observation directe, constituant ainsi un originaire après coup.
102Dans la conception que je propose aujourd’hui, le « noyau chaud » correspond à l’émergence de la pulsion sexuelle, et le « noyau froid » à la détresse provoquée par ce débordement, le « noyau traumatique du moi » étant la matrice de la honte et de la culpabilité primaires. Je ne puis cependant passer sous silence qu’en 1985 je proposais, pour caractériser les deux temps du traumatisme, le « non-respect des besoins », pour le premier, et « la sexualisation de ce premier temps », pour le second. Je ne serai pas, près de vingt ans après, aussi affirmatif, sauf à considérer que le « travail de civilisation » que représentent les soins maternels est à la fois un non-respect des besoins du bébé, considérés ici sous l’angle strictement biologique, et un respect de ces besoins, du point de vue de la « civilisation » du bébé ; c’est d’ailleurs au cœur même de cette tension qu’il est possible de penser vraiment le « suffisamment bon » défini par Winnicott : ainsi, selon les termes d’un début ancien, la théorie de l’étayage permet de penser l’articulation de la « nature » et de la « culture », « pulsionnel » et « culturel » étant alors strictement synonymes... On peut ici comprendre en quoi théorie de l’étayage et théorie de la « séduction originaire » se trouvent dans une continuité. De ce point de vue, étayage de la pulsion sur la fonction et étayage sur l’objet me paraissent liés de façon nécessaire. Cette dernière question continue d’ailleurs à « hanter » la psychanalyse contemporaine. Elle a été introduite par Freud dans une note célèbre des Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique (OCP, t. XI, p. 14-15, no 2) : « (...) L’utilisation d’une fiction de ce genre se justifie si l’on remarque que le nourrisson, pour peu qu’on y ajoute les soins de la mère, est bien près de réaliser un tel système psychique. » Elle est à l’origine des Nouveaux fondements pour la psychanalyse [144] de J. Laplanche ; ses derniers développements sont dus à R. Roussillon (2001), avec Le plaisir et la répétition [145], notamment dans le chapitre intitulé « La pulsion, l’étayage et l’objet » dans lequel l’auteur évoque la « scène originaire de l’étayage » ; elle parcourt enfin l’œuvre d’A. Green.
103Toutes ces considérations plaident en faveur d’une « définition métapsychologique de la passivité » [146]. Je rejoins ici les remarques très pertinentes de Paul Denis, qui, en mettant en lien passivité et excitation, propose de distinguer la passivation provoquée par l’excitation portée par autrui, et une excitation « sui generis, excitation sexuelle spontanée, auto-engendrée, indépendante des stimuli venant d’autrui (...), sorte de chaos libidinal qui serait le premier aspect de la passivité psychique. Comme les eaux de ruissellement, l’excitation creuse ensuite ses propres voies, ses frayages en direction de la satisfaction et de l’objet, investissant les stimulations qui en proviennent ; le rôle de l’autre, de la mère comme première séductrice et de ses messages énigmatiques, provoquerait davantage l’organisation de l’excitation que son surgissement quantitatif. Il nous faudrait alors distinguer ce qui est excitation inorganisée, ou désorganisée, excitation devant laquelle le travail du psychisme est au plus bas – qu’il soit suspendu ou débordé – de l’excitation qui a pris forme, qui s’est pulsionnalisée et connaît les voies de sa décharge ou de sa satisfaction. La pulsion est toujours active, dit Freud, l’excitation pulsionnelle est habitée des promesses de sa satisfaction, à l’inverse de l’excitation flottante, inhabitée, fauteuse d’angoisse massive. La désorganisation produite par le traumatisme ramène l’excitation à un état chaotique, retour à la passivité du psychisme dont l’activité est annihilée par débordement » [147], [148]. La prise en compte, par Paul Denis, de cette désorganisation rejoint ainsi le point de vue d’André Green distinguant passivité et passivation [149], et celui de Denys Ribas qui distingue une passivité de vie et une passivité de mort [150].
104Toute expérience de passivation est constitutive de cette honte primaire, selon des modalités que je me propose maintenant de développer.
105Je souligne préalablement que la qualité des auto-érotismes est un antidote au caractère dévastateur que la honte primaire peut parfois revêtir. Il n’est ainsi pas étonnant, de ce point de vue, de retrouver dans l’autobiographie du président Schreber de nombreuses références à une honte (déniée), en lien avec une passivité (pseudo-sexuelle) : C. et S. Botella nous ont montré ce qu’il en était des carences auto-érotiques du parano ïaque [151]. La distinction qu’ils ont, dans leur travail éponyme, opérée entre auto-érotismes primaires et auto-érotismes secondaires, me semble devoir être reprise au sein de cette réflexion sur la honte primaire :
106« (...) En somme, nous sommes en train d’esquisser deux types d’auto-érotismes que l’on peut qualifier de primaires et de secondaires. Les auto-érotismes secondaires, dont le modèle est le suçotement du pouce (...). Les auto-érotismes primaires se situent en deçà. Dans des circonstances adéquates, leur destin est d’être rassemblés dans la toute première relation et d’être repris par l’enfant sous la forme d’un auto-érotisme secondaire. À la différence de ce dernier qui possède la capacité de retenir l’excitation, les auto-érotismes primaires sont avant tout des surinvestissements de la décharge même, pour elle-même, jusqu’à l’épuisement. » [152]
107Les sujets fonctionnant sous le primat de ces auto-érotismes primaires sont, selon la forte expression de M. de M’Uzan, des « esclaves de la quantité » [153]. On pourrait, à vrai dire, se demander si, ici, l’expression « auto-érotisme primaire » convient bien ; je me sens assez en accord avec les auteurs qui ont choisi de nommer « autosensualité » ces états psychiques décrits par C. et S. Botella sous l’expression d’ « auto-érotismes primaires ». De sorte que, pour tenter de comprendre ces états de « détresse auto-érotique » – c’est bien de cela dont il s’agit dans les autosensualités –, il ne me semblerait pas inutile, arrivé à ce point de mon développement, de postuler qu’il existe pour tout sujet un temps de passivité non sexuelle, qui ne s’unit que secondairement à la sexualité, dans le temps de surgissement de la pulsion sexuelle, et qui devient alors la « honte primaire », ou bien, pour le dire autrement ; la honte primaire est l’après-coup (sexualisé) d’un temps originaire de passivité, temps pendant lequel l’autoconservation est entièrement liée à la vicariance de l’objet.
108Il faut d’ailleurs discuter, même rapidement, cette question de l’émergence de la honte primaire : en effet, si j’ai tenté ici de l’envisager en référence à la Métapsychologie de 1915, il faut également l’envisager en se référant au « Problème économique du masochisme » (1924), à travers le processus de liaison de la pulsion de mort par la libido, dans l’émergence du masochisme érogène primaire. Je ne puis ici, bien entendu, reprendre le débat théorique si complexe et dense, qui anime la psychanalyse française depuis plus de trente ans sur l’épistémologie et la clinique de la pulsion de mort, et la question essentielle qu’il véhicule : y a-t-il continuité ou rupture épistémologique entre la métapsychologie d’avant 1920 et celle d’après 1920 ? Pour mon propos, tout en laissant cette question en suspens, il me semble important de souligner la valeur heuristique de la définition par Freud du masochisme originaire, érogène :
109« La libido a pour tâche de rendre inoffensive cette pulsion destructrice, et elle s’en acquitte en la dérivant vers l’extérieur pour une grande part, et bientôt à l’aide d’un système d’organe particulier, la musculature, en la dirigeant contre les objets du monde extérieur. Il convient alors de l’appeler pulsion de destruction, pulsion d’emprise, volonté de puissance. (...) Une autre part ne participe pas à ce report vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là elle est liée libidinalement à l’aide de la coexcitation sexuelle déjà mentionnée ; en elle nous avons à reconnaître le masochisme érogène originel. » [154]
110Je voudrais souligner que les conditions de déflexion vers le monde extérieur, au moyen de la musculature, de la pulsion de mort devenant alors pulsion d’emprise, dépendent en grande partie des capacités de l’objet primaire à ne pas entraver cette déflexion – par exemple par un dressage sphinctérien précoce : il me semble en effet que, dans de telles configurations cliniques, la stase de la pulsion d’emprise est alors telle qu’elle déborde les capacités de la libido à la lier en d’autres termes, je postule l’idée, déjà présente dans mon travail de 1985 [155], que la mise en échec de cette déflexion de l’emprise est fondamentale dans le défaut de constitution du masochisme érogène primaire : dans de telles conditions, et pour reprendre une formulation de B. Rosenberg, les sujets qui ont connu de telles entraves nous conduisent à penser « une définition quantitative du plaisir comme besoin de réduction drastique de la tension d’excitation » [156].
111La question de la honte primaire se complique donc ici passablement, mais trouve sans doute aussi l’occasion d’un éclairage de la clinique : cette honte primaire-là – définie à partir de l’échec de la déflexion de la pulsion d’emprise [157] –, pourrait être essentiellement à l’œuvre dans les affections psychopathologiques et psychosomatiques sévères. Dans de telles configurations cliniques, où la déflexion de l’emprise vers l’extérieur est empêchée ou entravée, la constitution du sadisme est elle-même entravée et ouvre ainsi, comme l’a montré B. Rosenberg, à une potentialité mortifère du masochisme :
112« Quand Freud dit, comme on se le rappelle, que “la plus grande part” de la pulsion de mort est drainée-projetée à l’extérieur par la libido, il définit, croyons-nous, la structure névrotique normale. Le rôle de cette “proportion” est capital : qu’elle change, que le rôle du masochisme devienne prépondérant par rapport à la projection, et au fur et à mesure du changement, le masochisme évolue, lui aussi de gardien de la vie en masochisme mortifère.
113« D’où le rôle capital que joue le sadisme dans la différenciation entre masochisme gardien de la vie et masochisme mortifère. Il ne s’agit pas que du sadisme “placé directement au service de la pulsion sexuelle”, mais aussi du sadisme dans un sens plus large qui comprend la “pulsion de destruction”, la “pulsion d’emprise” et la “volonté de puissance”. La part du sadisme, dans cette acception du terme, réside dans l’économie du sado-masochisme moral prépondérante, comme celle de la projection par rapport à l’intrication pulsionnelle : l’inversion de cette “proportion”, par introjection massive du sadisme, est le signe de la constitution du masochisme en train de devenir mortifère ; d’où la signification, fondamentale selon nous, du sadisme comme défense par rapport au masochisme en général, et par rapport à la potentialité mortifère du masochisme en particulier. » [158]
114Il me semble possible, à partir de l’analyse de B. Rosenberg, de proposer qu’au sentiment inconscient de culpabilité correspond un sentiment inconscient de honte et qu’ainsi – car il s’agit de termes équivalents – au besoin de punition correspond un besoin d’humiliation. On pourrait ainsi entrevoir le lien, pour ainsi dire organique, entre la honte primaire définie dans ce cadre et la perversion sexuelle, si, phénoménologiquement, la honte consciente est souvent subjectivement absente chez les pervers sexuels, il en va tout autrement de la honte inconsciente, comme l’a fort bien vu F. Pasche. Ce dernier, dans sa communication au XLIIe Congrès des psychanalystes de langue française, en définissant la perversion comme un « auto-érotisme » dans lequel le pervers « renonce ainsi à percevoir autrui dans sa totalité, à le reconnaître, à l’aimer et à être lui-même aimé par lui », insiste sur le fait que le pervers doit ainsi « se diminuer pour jouir. La honte est souvent la rançon d’une perversion » [159]. Idée qui rencontre un accord avec la fine observation de M. de M’Uzan, selon laquelle ce à quoi le pervers aspire, c’est à l’abaissement de sa personnalité : dans de telles configurations, la honte est au cœur de l’être, comme le mal est, pour reprendre le titre du roman de J. Conrad, « au cœur des ténèbres »...
115Enfin, puisque j’ai évoqué la clinique psychosomatique à propos de ces configurations d’empêchement de la déflexion vers l’extérieur de la pulsion d’emprise, je voudrais évoquer brièvement un exemple clinique. Il s’agit d’un cas, rapporté par une collègue chevronnée [160] et que j’avais été amené à discuter il y a quelques années : le patient avait fait, en cours d’analyse, une somatisation assez sévère, sous forme d’un cancer de la prostate. Ce qui était frappant dans ce cas, c’était que la force du masochisme féminin, actualisé dans le transfert, pouvait être mise en relation avec des expériences de passivation traumatique dans la petite enfance. Or ces dernières avaient été en quelque sorte répétées dans une première analyse : en effet, certaines interprétations du premier analyste, relatives aux interventions paternelles sur l’anus du patient, avaient sans doute, par leur style même, répété l’effraction paternelle et, dans leur contenu, empêché toute déflexion agressive sur l’analyste. Dans ces conditions, il est probable que la potentialité mortifère du masochisme s’en est trouvée activée. Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de noter que, dans la vignette clinique rapportée par cette collègue, la honte avait une place centrale : honte éprouvée dans le contre-transfert et qui témoignait de l’impossibilité, pour le patient, de subjectiver sa propre honte, qui ne se déduisait que de son besoin d’humiliation mis en acte dans certains aspects relatifs à sa somatisation...
2 / Les transformations de l’affect de honte, 2 / de la période de latence à l’adolescence et à la post-adolescence : 2 / pour introduire la honte secondaire
« L’individualisation de la période de latence implique et présuppose la découverte connexe de l’inconscient et de la sexualité infantile, à travers la résistance due aux processus défensifs. »
2 . 1 / La période de latence
116C’est dans le deuxième des Trois essais sur la théorie sexuelle [161] que Freud dépeint le tableau de la période de latence. C’est « au cours de cette période de latence, écrit-il, que s’édifient les forces psychiques qui se dresseront plus tard comme des obstacles sur la voie de la pulsion sexuelle et qui, telles des digues, resserreront son cours de dégoût, la pudeur [162], les aspirations idéales esthétiques et morales) ». Comme on le voit ici, c’est pendant la période de latence que la honte se constitue comme affect spécifique, sous l’effet de « l’œuvre de l’éducation » (Freud). Cette sublimation, conçue ici par Freud comme formation réactionnelle, trouve son origine dans un conflit entre « les motions pulsionnelles des années d’enfance », « perverses en soi », provoquant du déplaisir « dans la mesure où les fonctions de reproduction sont ajournées », et éveillant ainsi des « motions réactionnelles qui, afin de réprimer efficacement ce déplaisir, édifient les digues psychiques déjà mentionnées : dégoût, pudeur et morale » [163], [164]. Pourtant, note Freud, « de temps à autre, on assiste à la percée d’un fragment de manifestation sexuelle qui s’est soustrait à la sublimation » [165].
117Ce très court fragment des Trois essais sur la théorie sexuelle, tiré lui-même d’un paragraphe très peu développé par Freud sur la période de latence, me paraît extrêmement important :
118— Il reprend des idées développées de façon assez complètes en 1896, dans les « Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense » [166] : « Dans une première période – période de l’immoralité enfantine – surviennent les événements qui contiennent le germe de la névrose ultérieure. Tout d’abord, dans l’enfance la plus précoce, les expériences vécues de séduction sexuelle qui rendent ultérieurement possible le refoulement, puis les actions d’agression sexuelle contre l’autre sexe qui ultérieurement apparaissent comme actions à reproche [167]. À cette période met fin l’arrivée de la “maturation” sexuelle, elle-même souvent anticipée. Alors un reproche s’attache au souvenir de ces actions à plaisir, et la corrélation avec l’expérience vécue initiale de passivité [168] rend possible – souvent, seulement après une contention consciente et remémorée – de le refouler et de le remplacer par un symptôme de défense primaire. Scrupulosité, honte, méfiance de soi-même sont les symptômes par lesquels commence la troisième période, celle de la santé apparente, à vrai dire celle de la défense réussie. »
119Il souligne la transformation de la honte primaire, définie essentiellement par la force de la passivation pulsionnelle, et ce quel que soit le primum movens de celle-ci – un « trop d’excitation interne » ou un défaut d’ « encadrement » par l’objet primaire –, en une honte secondaire, liée à un conflit psychique entre instances (cf. les « digues psychiques »).
120— La « percée d’un fragment de manifestation sexuelle » introduit au lien qui existe sans doute entre souvenir-écran et honte [169]. La clinique ordinaire de l’enfant en période de latence montre de semblables exemples.
121En particulier, il me paraît opportun de souligner une fois encore l’idée d’une « honte-signal d’alarme » qui viendrait, sur le modèle de l’angoisse-signal d’alarme, alerter le moi sur le danger d’un débordement passivant par la pulsion : c’est la « bonne honte » [170].
122Un exemple clinique peut expliciter ce point de vue : Maxime, aujourd’hui âgé de 28 ans, et en analyse depuis quelques mois, raconte en séance comment à 8 ans, en CE2, il était rentré bouleversé de l’école, lui qui mettait alors un point d’honneur à être irréprochable en orthographe – on voit ici à la fois le contre-investissernent de la honte et sa dérivation dans le champ sublimatoire – avait fait dans une dictée de contrôle une faute inhabituelle. Il avait donné sa note à ses parents, avec un sentiment perceptible de honte que son père lui a rapporté récemment. La dictée avait eu lieu après la récréation, temps pendant lequel il avait, contrairement à son habitude, délaissé le jeu de billes entre garçons pour parler avec Astrid, une petite voisine, qui venait d’avoir un petit frère et lui en parlait, ils s’étaient même disputés, parce que, lorsque Astrid avait évoqué le médecin chez qui sa mère venait d’emmener le bébé, Maxime avait exprimé, sur un ton moqueur, sa certitude qu’on ne dit pas « médecin » mais : « métecin » ; tous deux avaient demandé au maître de trancher leur différend, c’est après cet incident que Maxime a fait des fautes d’orthographe... Cette courte séquence tant elle parle d’elle-même : il y a ici, ravivées par la naissance d’un bébé, les questions, déplacées dans le champ sublimatoire, des théories sexuelles infantiles et de l’antériorité du savoir sexuel des parents, questions induisant un mouvement de vacillement dans lequel l’angoisse de castration de Maxime s’exprime dans un symptôme a minima d’inhibition intellectuelle : reprenant le récit de tous ces événements avec son psychanalyste, Maxime expliquera avoir pensé à l’époque : « Un docteur, c’est un homme... Alors “t”, c’est plus logique, c’est une lettre “droite”, une lettre d’homme... Le “d”, c’est une lettre ronde, une lettre de dame... » En pensant ainsi, l’enfant Maxime s’est livré à une opération psychique extrêmement complexe dans sa condensation : il s’est trouvé dans un moment de régression animique dans lequel il y avait adéquation entre le signe et la chose. Le signe, la lettre – « t » ou « d » ne représentaient pas l’objet mais incarnaient l’objet, et plus précisément l’incarnaient dans sa dimension sexuelle : le caractère « droit » du pénis érigé, pour la lettre « t », ou le caractère « rond » du ventre de la mère enceinte, pour la lettre « d » ; mais, du même coup, il y a une autre dimension psychique à l’œuvre dans la pensée de Maxime : il s’est agi pour lui d’assigner un sexe au mot « médecin », après en avoir examiné la potentialité bisexuelle. En d’autres termes, Maxime est brusquement et régressivement conduit, dans l’épisode narré, à ce moment du développement œdipien au cours duquel, pour reprendre les termes que Freud emploie dans « Le moi et le ça », la « bisexualité originelle » entre en conflit avec l’identification au parent de même sexe : « On peut admettre, comme résultat le plus général de la phase sexuelle, dominée par le complexe d’Œdipe, écrit Freud, un précipité dans le Moi, lequel consiste en l’instauration de ces deux identifications susceptibles d’être accordées l’une à l’autre [et qui sont, ajouterai-je, constitutives ou, mieux, constituantes de la bisexualité psychique] [171]. Cette modification du moi, ajoute Freud, garde sa position à part, elle s’oppose au reste du Moi, comme Idéal du Moi ou Sur-moi. » [172]
123La honte, affect spécifique de la période de latence, y apparaît en tant qu’affect subjectivé ; le déclin du complexe d’Œdipe, qui instaure une phase de calme pulsionnel, par le refoulement de la sexualité, permet cette subjectivation. Je rappelle pour mémoire que, selon Freud, « à l’époque de la vie que l’on peut caractériser comme “période de latence sexuelle”, de la cinquième année accomplie jusqu’aux premières manifestations de la puberté vers la onzième année, on voit se créer dans la vie psychique, aux frais de ces excitations fournies par les zones érogènes, des formations réactionnelles, des contre-puissances, comme la honte, le dégoût et la morale [173], qui s’opposent comme des digues à la mise en activité ultérieure des pulsions sexuelles » [174]. Freud signale également dans le même sens, en évoquant le petit Hans, que la honte est issue de ce conflit entre poussée pulsionnelle et refoulement : « À la fin, il jette le masque et devient impoli envers son père. Il s’agit de choses qui auparavant lui procuraient beaucoup de plaisir [175], mais dont maintenant, depuis que le refoulement s’est installé, il a très honte et professe d’être dégoûté. » Je dois souligner ici que nous sommes redevable à C. Le Guen d’avoir explicité le lien organique indiqué par Freud entre refoulement, contre-investissement et honte [176].
124C’est particulièrement à ce moment du développement psychique que se constitue parmi les diverses figures de la honte celle, particulière, de la honte des parents ; elle est particulière, en ce sens qu’elle fera le lien entre période de latence et adolescence. On pourrait même, dire que, dans une certaine mesure, cette honte des parents est le représentant, dans la période de latence, à la fois de l’avant – l’impact de la sexualité des parents dans la période pré-œdipienne et œdipienne – et de l’après – projection, sur les parents, de la honte éprouvée par l’adolescent devant les difficultés rencontrées dans son développement psychosexuel actuel. C’est ainsi qu’il est banal d’observer, au cours d’une cure, l’évocation, par le patient, d’un sentiment de honte apparu, au cours de la période de latence, devant des parents qui montrent « trop », dans des activités de type sublimatoire, le plaisir qu’ils prennent ensemble, puis d’une honte invasive survenue à l’adolescence, dans des circonstances où le lien entre la sexualité de l’un ou l’autre parent, ou des deux, d’une part, et la sexualité de l’adolescent, d’autre part, se fait dans l’échec du refoulement : je pense ici à un jeune patient qui se souvenait de la honte qu’il éprouvait, autour de 6 ou 7 ans, lorsqu’il voyait ses parents, musiciens et chanteurs, donnant un spectacle – se donnant en spectacle ? – lors des fêtes familiales... Ce même patient évoqua longuement dans sa cure l’appréciation flatteuse – « Elle est vachement “canon”, ta mère ! » – qu’un de ses camarades lui lança au lycée après l’avoir croisé, la veille, en compagnie de celle-ci, dans un grand magasin...
125Inversement, cette honte des parents peut apparaître lorsque ces derniers renvoient l’enfant ou l’adolescent à sa situation de « petit » au moment où celui-ci se vit comme un « grand ». Dans un roman récent [177], Stephen Vizinczey, auteur américain d’origine hongroise, en donne un exemple particulièrement savoureux :
126« Tante Alice était la seule à reconnaître l’importance et le sérieux de mon personnage. Comme, dans mon imagination, J’étais devenu le premier pape hongrois, mort en martyr, je me considérais déjà comme un grand saint, temporairement retenu dans l’enfance [178]. Certes, c’était une grandeur d’un autre ordre que m’attribuait Tante Alice en me traitant de démon, mais je sentais qu’au fond nous parlions de la même chose.
127« Pour libérer ma mère de temps en temps, ses amies m’emmenaient faire de longues promenades, ou parfois au cinéma. (...) Je me souviens surtout de notre sortie ce jour où, pour la première fois, je n’étais plus en culottes courtes [179]. C’était un après-midi ensoleillé vers la fin du printemps ou au début de l’automne – un peu avant l’entrée en guerre des États-Unis, car nous allions voir Le Magicien d’0z. Mon costume de jeune homme était arrivé quelques jours plus tôt, et j’étais impatient de m’exhiber devant Tante Alice, qui apprécierait à coup sûr. Quand elle arriva enfin, toute parfumée et poudrée, elle se lança dans de telles explications sur son retard qu’elle manqua de remarquer ma nouvelle tenue. Au moment où nous nous préparions à partir, pourtant, elle fit entendre un “hh” guttural et recula pour me dévorer des yeux. Je lui offris mon bras, qu’elle prit en s’écriant : “Aujourd’hui, c’est moi qui ai le plus beau cavalier. Comme il ressemble à son père, Erzsi, tu ne trouves pas ?” Nous nous dirigions vers la porte bras dessus bras dessous, en couple heureux, quand soudain j’entendis la voix de ma mère :
128« “Andràs, tu as pensé à faire pipi ?”
129« Je quittai la maison au bras de Tante Alice, en me jurant de ne jamais y revenir. »
130J’ai évoqué, on l’aura noté, deux exemples cliniques concernant des garçons ; cette honte des parents, doublement articulée autour de la différence des générations et de la différence des sexes, se situe à des niveaux différents pour les fillettes. Si, en tant qu’enfants, garçons et filles sont semblables, du point de vue de la différence des sexes, en ce sens que la différence des sexes se joue d’abord, comme le rappelait René Diatkine, entre « grands » des adultes) et « petits » des enfants), il n’en demeure pas moins que l’impact du soubassement narcissique de cet affect de honte est bien différent chez le garçon et chez la fille : cette dernière, malgré les riches possibilités de déplacement d’investissements qu’elle possède, paraît désavantagée par rapport au garçon qui lui, au moyen d’un surinvestissemen narcissique, dote la « petite différence » sexuelle d’une « sorte de valeur fétichique qui vise à nier sa propre castration par rapport aux adultes » [180].
2 . 2 / L’adolescence
1312 . 2 . 1 / Les transformations sexuelles de la puberté et leurs conséquences. — Au cours de l’adolescence, cette différence narcissique va connaître d’autres destins ; avec la survenue des règles, « ce cycle menstruel, non maîtrisable par un contrôle sphinctérien, ces “pertes” régulières réveillent la vieille blessure narcissique (...) » [181] Ainsi, la honte, celle liée à la castration, et celle liée à la passivité se rencontrent ; du fait de la prévalence de l’imago de la mère pré-œdipienne, honte primaire et honte secondaire se trouvent, chez la fille adolescente, irrémédiablement liées. La question du non-maîtrisable indique d’autre part l’importance de la relation, déjà signalée, entre passivité et passivation ; c’est une question qui parcourt l’ensemble des travaux contemporains sur le féminin [182].
132Pour le garçon, cette liaison entre honte primaire et honte secondaire va se jouer selon des modalités différentes : la honte adolescente va se focaliser spécifiquement autour des activités masturbatoires : comme l’écrit T. Tremblais-Dupré : « La découverte du plaisir éjaculatoire est fulgurante, plaisir d’organe qui produit une élation, un élargissement du Moi, l’impression d’une nouvelle naissance. Il entraîne une flambée d’auto-érotisme dans un retour narcissique vers l’objet prégénital retrouvé, plaisir d’un retour quasi utérin. » [183] Le point de vue de T. Tremblais-Dupré me paraît extrêmement intéressant, en ce sens qu’il souligne le double mouvement par lequel l’élation narcissique du « plaisir d’organe » est à la fois source d’élargissement du Moi et, du fait du débordement quantitatif par le plaisir, désorganise le Moi et ouvre à un mouvement régrédient.
133En effet, les fantasmes masturbatoires impliquent la scène primitive, ce qui permet de triompher de l’exclusion, dans la réalisation d’un fantasme de complétude bisexuelle, et permet aussi la reviviscence des « émois liés aux zones érogènes de la petite enfance : s’imaginer voir / être vu, scénarios sadomasochistes où l’image phallique de la mère se confond avec celle du père, où le sujet peut être tour à tour possédé, voire humilié, puis sadique et dominateur. (...) Dans cet espace-temps sans limites, les deux pôles de l’activité et de la passivité vont se donner libre cours » [184].
134Ainsi, dans l’activité masturbatoire à l’adolescence, la coalescence de la passivation par la poussée sexuelle pubertaire et de la réactivation des fantasmes prégénitaux, qui impliquent de surcroît une position passive du fait du masochisme par rapport aux imagos parentales, tient une place essentielle dans la flambée de honte adolescente [185].
135C’est de ce point de vue qu’Évelyne Kestemberg [186] considérait la spécificité de l’activité masturbatoire à l’adolescence :
136« Nous la disons spécifique car il en va de la masturbation comme de la sexualité en général. Il est indubitable qu’il existe une sexualité infantile dès le plus jeune âge et qu’elle préside à tout le développement, il est non moins induscutable qu’il existe une masturbation infantile, parfois très précoce, mais l’enfant est inconscient de ses besoins sexuels en tant que tels et il se masturbe sans savoir ce qu’il fait avec précision. L’adolescent, lui, le sait, et en a généralement honte et peur. Cette honte et cette peur peuvent être comprises à différents niveaux : tout d’abord, à un niveau conscient, l’adolescent (ou l’adolescente) a honte de se masturber parce que la masturbation lui est une preuve qu’il est seul et que la solitude qu’il prétend rechercher lui est toujours une blessure. La masturbation donc altère son image de lui-même qui altère de ce fait son estime de soi et son Idéal du Moi. À un niveau un peu moins conscient, il trouve dans la masturbation, le témoignage de l’inadéquation de son appareil génital dont il sent bien, et dont il sait, qu’il est un instrument de relation avec autrui ; il trouve donc là une nouvelle blessure. Enfin, et à un niveau inconscient, dans la mesure où toute activité masturbatoire est en fait une participation à ce qu’il est convenu d’appeler en psychanalyse la scène primitive, c’est-à-dire le co ït parental fantasmatisé, le plaisir que l’adolescent en éprouve entraîne l’angoisse inhérente au conflit œdipien, d’abord l’angoisse de castration, puis plus profondément l’angoisse de morcellement qui la sous-tend. »
1372 . 2 . 2 / Honte et instances à l’adolescence. — Parmi les auteurs postfreudiens qui ont étudié la relation entre Sur-moi et Idéal du Moi à l’adolescence, je signale l’intérêt particulier du travail de Peter Blos qui, dans un article de 1972 [187], s’est attaché à décrire la pathologie de l’Idéal du Moi, qu’il évoque surtout chez le sujet masculin. Selon lui, « de nombreux travaux ont été consacrés à la pathologie du Sur-moi à l’adolescence, mais on s’est peu intéressé à la pathologie de l’Idéal du Moi. Dans mon travail analytique avec de grands adolescents de sexe masculin, j’ai observé que l’Idéal du Moi demeure une instance immature, visant à l’idéalisation de soi et à l’accomplissement du désir ; aussi longtemps que le complexe d’Œdipe négatif n’est pas analysé, l’Idéal du Moi refuse de se transformer en une force plus mature, une force autonome, dirigée vers un but et susceptible d’inciter à l’action. (...) La formation d’un Idéal du Moi opérant, c’est-à-dire mature, ne reprendra son cours normal qu’après l’analyse de la fixation du complexe d’Œdipe négatif. Cela m’a conduit à dire que l’Idéal du Moi, tel qu’il apparaît à la fin de l’adolescence, est l’héritier du complexe d’Œdipe négatif. Je suppose que la restructuration psychique suit un cours similaire chez les adolescents qui ne bénéficient pas d’une aide thérapeutique.
138« Ainsi, j’ai d’abord situé l’origine de l’Idéal du Moi au stade de la perfection narcissique. J’ai ensuite suivi l’évolution du psychisme vers le stade triadique du choix d’objet narcissique et de son investissement en libido homosexuelle. Ses composantes pulsionnelles voyeuriste et exhibitionniste ont tendance à présenter les fixations tenaces et gratifiantes qui sont à l’origine de la pathologie de l’Idéal du Moi [188]. Cette situation est comparable à quelque chose que nous connaissons bien : lorsqu’il est sexualisé, le Sur-moi ne réussit pas à remplir ses fonctions et, au lieu de cela, s’enlise dans le sadisme moral ou le masochisme moral. C’est à l’adolescence qu’incombe une tâche capitale, le désinvestissement pulsionnel de l’Idéal du Moi œdipien, afin de lui permettre de retrouver sa fonction originelle à un niveau plus élevé de la vie psychique. (...) Pour ce qui est du comportement, je dirais que l’Idéal du Moi de l’enfant en période de latence est essentiellement du domaine des réalisations concrètes, alors que l’Idéal du Moi de la fin de l’adolescence tend à être autonome et orienté vers les valeurs et la pensée. Lorsque la formation de l’Idéal du Moi est réussie, la libido homosexuelle se trouve liée, absorbée, c’est-à-dire neutralisée. C’est là le secret de la force de l’Idéal du Moi. II exerce sans doute la plus intransigeante de toutes les influences qui pèsent sur la conduite de l’individu arrivé à maturité et son statut est sans équivoque. »
139Les conceptions de P. Blos sont particulièrement importantes : dans certains cas, en effet, la personnalisation du Sur-moi est le résultat d’un Idéal du Moi collé à un Sur-moi sévère ; en d’autres termes, il peut se produire un véritable « collapsus entre honte et culpabilité » [189] ; en d’autres termes encore, la honte peut être une défense contre la culpabilité, une façon de re-sexualiser les liens avec le Sur-moi.
140De son côté, A. Birraux [190] souligne que, « transitoirement pendant l’adolescence – au cours du processus de séparation et de conquête de l’identité – ce sont les imagos parentales idéalisées qui font office d’instance surmo ïque. Or c’est pendant ce temps que l’affect de honte semble se substituer à la culpabilité : pendant ce temps de résolution du processus d’adolescence où l’objet idéalisé doit s’estomper pour laisser sa place à l’édification de l’Idéal du Moi. C’est pendant ce temps que, d’une part, la recrudescence des désirs incestueux et, d’autre part, le non-renoncement aux idéalisations des images parentales rendent difficile le rapport des adolescents à la loi, les idéalisations des images parentales fonctionnant non comme des interdicteurs sadiques mais comme un pseudo-Sur-moi. La honte surgit là où l’idéalisation des objets parentaux fait obstacle à la constitution du Sur-moi ».
141La question de la temporalité adolescente, introduite par les considérations précédentes, est centrale dans le travail de J.-L. Donnet consacré au roman de Joseph Conrad : Lord Jim [191]. J.-L. Donnet y démontre en effet que la honte est un effet d’après-coup : liant la honte à l’originaire, et plus précisément aux fantasmes originaires négativés, il fait de la honte un après-coup de cette négativation. Lord Jim est, de ce point de vue, un héros typique de l’adolescence :
142« L’excès de honte, chez Jim, renvoie au refus de toute honte ; au refus de ce qui suscite nos hontes premières, après coup. Honte de devoir la vie à la copulation d’un homme et d’une femme ; honte d’être né inter faeces et urinas ; honte d’avoir été bercé, caressé, nourri, changé et d’avoir aimé cela ; honte d’accepter, sous la menace de castration, les compromis œdipiens ; honte des transactions subtiles entre les besoins du corps et de ses zones érogènes et la purification de l’idéal.
143« Jim refuse ses pulsions parce que leur acceptation vaudrait pour acquittement des parents, pour complicité avec la jouissance qu’ils ont pu trouver en le concevant. En somme, Jim récuse le troc narcissique qui nous fait tenir à la vie ; il continue de se vivre comme victime d’une séduction avilissante, compromettante. De ne pas pouvoir “faire avec” cette honte première – la simple honte inhérente à la vie – l’expose à vivre toute satisfaction comme une menace passivante, désubjectivante, toute séduction comme originaire ; à la limite : un afflux rouge qui le met à nu, un déchaînement élémentaire. »
144Héros de l’adolescence, Lord Jim est, bien plus fondamentalement encore, un héros du narcissisme moral, tel que l’a si bien décrit A. Green [192].
145« Le narcissique moral n’a pas commis d’autre faute que d’être resté fixé à sa mégalomanie infantile et qui est toujours en dette envers son Idéal du Moi. La conséquence est qu’il ne se sent pas coupable mais qu’il a honte de n’être que ce qu’il est ou de prétendre à être plus qu’il n’est. [...] Dans le narcissisme moral [...] la punition – ici la honte – s’accomplit par le redoublement insatiable de l’orgueil. » [193]
146Dans cette configuration du narcissisme moral, « l’Idéal du Moi du narcissique moral s’édifie sur les vestiges du Moi-idéal ; c’est-à-dire sur une puissance de satisfaction omnipotente idéalisante qui ne connaît rien des limitations de la castration, qui a donc moins affaire au complexe d’Œdipe de la phase œdipienne qu’à ce qui la dénie » [194].
147« Freud, depuis “Le moi et le ça”, confère aux différentes instances un matériau spécifique. Ce que la pulsion est au Ça, la perception le sera pour le Moi et la fonction de l’Idéal – fonction de renoncement à la satisfaction de la pulsion et ouverture à l’horizon indéfiniment repoussé de l’illusion – au Sur-moi. Ainsi apparaît-il que le narcissisme moral, dans la mesure où les rapports de la morale et du Sur-moi sont clairement établis, doit se comprendre dans une relation étroite Moi-Sur-moi, ou, plus précisément, puisqu’il s’agit de la fonction de l’Idéal, Idéal du Moi - Sur-moi. Que le Ça ne soit aucunement étranger à cette situation, c’est ce que la suite de notre travail montrera. Si nous concevons que le Ça est dominé par l’antagonisme des pulsions de vie et des pulsions de mort, que le Moi vit un perpétuel échange d’investissements entre le Moi et l’objet, et que le Sur-moi est partagé entre le renoncement à la satisfaction et les mirages de l’illusion, nous concevons que le Moi, dans son état de double dépendance à l’égard du Ça et du Sur-moi, n’a pas à servir deux maîtres mais quatre, puisque chacun d’eux se dédouble. C’est ce qui se produit d’ordinaire pour tout un chacun et nul n’est dépourvu de narcissisme moral. » [195]
2 . 3 / La post-adolescence
148Il me paraît maintenant possible d’essayer de définir la honte « normale », celle qui correspond à « la honte signal d’alarme », à laquelle le sujet adulte aura à faire, au cours de son existence, au sortir de l’adolescence [196]. Elle a été fort bien décrite par Michel Neyraut :
149« La honte est un sentiment logique. La logique d’un sentiment [...] n’est pas seulement le simple affrontement d’un quantum d’affects déterminant une résultante [...] il est le défilé déterminé par lequel les représentations doivent s’ordonner à la suite d’un traumatisme minime. Faute de pouvoir trouver une expression adéquate, ces représentations se traduiront par une émotion physiologiquement repérable : la rougeur par exemple, et par un sentiment spécifique, c’est-à-dire qualitativement défini. Dans le cas de la honte, le traumatisme est toujours constitué par un dévoilement, qu’il s’agisse au pied de la lettre du dévoilement des organes génitaux ou, selon l’esprit de la lettre, du dévoilement d’un contenu psychique : la honte qui accompagne inévitablement le lapsus par exemple. (La pudeur est une autre affaire, bien que voisine, mais plutôt du côté préventif que conséquentiel.) Essayons à partir de ces considérations de définir la honte : la honte est le dévoilement d’un élément inconsciemment caché. “Inconsciemment caché” signifie que la chose cachée (l’élément) n’est pas ce sur quoi porte la dénégation. La représentation de chose n’est pas ici inconsciente et, en d’autres circonstances, elle n’aurait donné lieu à aucun sentiment de honte. Ce qui est déterminant est que cette chose ait été inconsciemment cachée, c’est-à-dire que le fait de cacher était inconscient et non la chose même, et que c’est seulement par son dévoilement que son caractère caché (devant être caché) éclate au grand jour. La dénégation était inconsciente et portait sur le caractère “à cacher” de l’élément. Il convient d’ajouter que le sentiment de honte peut être rétrospectif. » [197]
150Jean-Claude Lavie, pour sa part, a postulé le caractère protecteur de la honte, dans un texte au titre évocateur – « La honte m’habite » [198] :
151« La honte fait partie des valeurs qui sont enseignées assez tôt. Non sans peine, d’ailleurs. Combien de : “Tu devrais avoir honte” ne nous sont-ils pas servis pour notre bien, afin de nous déprendre de notre innocence première. Les parents, qui inculquent de force ce sentiment, ne se doutent pourtant pas du “bien” que recèle l’humiliation qu’ils infligent. Vous, moi, que la honte peut envahir à l’occasion, ne savons pas mieux discerner le profit que nous dispense, ce qui semble plutôt venir nous accabler. C’est que la honte a une vertu cachée, que met en évidence le divan [...]. En analyse, la honte n’est assurément pas toujours sexuelle, puisqu’elle n’est qu’une coloration donnée à l’expression. Mais il se trouve que le registre sexuel est l’objet de tant d’interdits que la honte peut souvent apporter une aide appréciable à son évocation. La chose est si banale qu’elle ne trompe guère et la honte à propos de sexe en dit parfois encore trop pour pouvoir s’exprimer sans détour. Une patiente, à la personnalité dominée par l’angoisse, présentait quelques traits phobiques, tenaces sous une apparence discrète. Entre autres, elle avait la particularité de ne pouvoir avoir ses cigarettes allumées qu’avec des allumettes, ce qui, lorsqu’on lui offrait du feu avec un briquet, ne passait pas inaperçu, comme tout symptôme névrotique qui se respecte. Ce préjudice apparemment bien léger resta incompréhensible jusqu’au jour où un mot, évoqué de temps à autre comme ne pouvant absolument pas être prononcé, put être énoncé sous la haute protection de la “honte à l’avouer”. Ce mot, d’une grande banalité, éclaira l’histoire des allumettes en laissant obscure, un temps encore, l’origine de son pouvoir. Ce mot était le banal mot d’ “imbriqué”. Son assonance concédait une explication à la gêne devant l’offre d’ “un briquet”, proposition qui mettait cette femme “dans un drôle d’état”, en résonance avec le mot honteux. Le souvenir de la scène présumée avoir été à l’origine de cette phobie revint plus tard, sous la forme d’une étonnante parole attribuée au père : “Qu’est-ce qu’ils ont ces deux-là à se tenir imbriqués comme ça, ils ne sont pas en train de faire des enfants quand même !” L’excitation liée au sens donné à la formule paternelle était réactivée, par homophonie, évidemment chaque fois qu’en toute innocence on offrait à cette personne un briquet qui allumait autant son désir que la cigarette “dont elle ne pouvait se passer”. En séance, la honte à évoquer le mot “imbriqué” était évidemment liée à une excitation actuelle (...) La honte est, en définitive, un moyen privilégié pour s’accepter et s’exprimer. La psychanalyse la montre essentiellement au service de la relation transférentielle, clé secrète de toute parole. Ce que les parents nous ont, en définitive, enseigné est qu’un transgresseur est pardonné s’il manifeste de la contrition. Cette contrition peut s’accoler avec cela même qui l’encourt, grâce à la honte. “J’espère que tu as honte de ce que tu viens de dire”, implique que la honte peut rendre la pire parole recevable. La honte nous est donc vraiment inculquée “pour notre bien”. » [199]
152La vignette clinique de Jean-Claude Lavie, laisse aussi apparaître – et ce n’est pas son moindre mérite – que c’est le fantasme originaire de scène primitive qui est impliqué – et « allumé » dans la série symptomatique de la patiente ; le mot : « s’imbriquer » contient à la fois le briquet (pénis ?), le sein, les connotations sexuelles du verbe « briquer », etc.
153Je propose donc ici de considérer, en suivant les analyses de Francis Pasche, que la convocation inconsciente du fantasme de scène primitive est sans doute une des voies régrédientes qui va de la honte secondaire à la honte primaire, lorsque l’excitation, du fait de son caractère traumatique, ne peut recourir à la honte-signal d’alarme. Et puisque j’ai proposé de mettre en lien la honte, l’hystérie et le traumatisme [200], il me paraît tout à fait important d’examiner quelles sont les théories de l’hystérie qui permettent de mieux comprendre la survenue et l’inscription de cet affect. II s’agit en somme de voir ici à quels repères métapsychologiques la passivation qui est la condition de survenue de l’affect de honte peut être indexée.
154Dans L’origine de l’hystérie [201], Pasche propose d’étayer « cette recherche de l’origine par la forme la plus élaborée de l’hystérie : la phobie » [202]. Relisant le cas Emma des Études sur l’hystérie, il suggère que le premier temps du traumatisme subi par Emma à l’âge de 5 ans – les caresses subies de la part du confiseur – n’est en fait, compte tenu de l’âge d’Emma, qu’un souvenir-écran. Il propose d’examiner l’hypothèse selon laquelle une scène analogue est survenue plus tôt. Cette scène, écrit Pasche, a été enregistrée dans sa forme [203], cette dernière constituant la trace mnésique de l’événement : elle est en quelque sorte une « forme sans signifié, non intégrable à l’expérience, qui s’est trouvée liée à une surcharge brutale d’excitation, laquelle a dû être fixée, bloquée, dans l’inconscient – véritable corps étranger –, comme par une sorte de réflexe de défense plus organique que psychique ; et c’est là [ajoute Pasche], la description même du refoulement primaire » [204].
155D’autre part, si cette scène a été enregistrée ainsi, c’est que le pare-excitation a été forcé [205] : « Est traumatique toute manifestation du monde extérieur dont la forme franchit le pare-excitation. Je me demande, et Freud avant moi, si une première scène traumatique a jamais été perçue (...) Cette première scène, appréhendée plutôt que perçue, est la “scène primitive”. » [206]
156Enfin, pour conclure ce chapitre, la question des rapports qu’entretiennent la sublimation et la honte dans la post-adolescence mérite un développement particulier [207]. Rappelons d’abord, avec André Green, que la sublimation est liée à « un détournement », ou, pour reprendre l’idée de Laplanche, à une « dérivation », « de par l’influence civilisatrice, d’une pulsion, originellement sexuelle, qui est invitée à se déplacer, lorsqu’elle se transporte dans le champ social, et à se modifier en conséquence, de telle manière qu’elle ne puisse plus s’exercer en accomplissant sans frein ses buts sexuels » [208].
157Gérard Bonnet a proposé [209], du point de vue de la sublimation, une analyse extrêmement intéressante du texte de Freud Un trouble de mémoire sur l’Acropole ; Freud, en s’embarquant pour la Grèce, est pris d’un malaise dans lequel le doute, l’inhibition sont au premier plan ; vient le temps de l’auto-analyse, la culpabilité par rapport au père, et la production d’un objet théorique : la critique du « sentiment océanique » proposé par Romain Rolland. Nombreux sont les auteurs qui ont noté le caractère partiel – et défensif – de ce moment d’auto-analyse ; Bonnet suggère que Freud, en prenant le bateau, n’a pas pu ne pas s’être remémoré des interdits de la loi mosa ïque portant sur les représentations iconiques, et qui étaient bien opposées à la culture grecque antique. Conflit de culture, donc, entre la culture du père et les idéaux de la culture d’élection. On peut dès lors penser que la condamnation sévère, dans la lettre à Romain Rolland, des émotions liées à l’éprouvé du « sentiment océanique » est, inconsciemment, une marque d’allégeance à cette culture paternelle ; il s’agit donc d’une manifestation de culpabilité œdipienne, et d’obéissance rétrospective au Sur-moi paternel. Mais il faut également ici prendre en compte le point de vue de Rosolato [210] selon lequel le refus de Freud d’éprouver comme émotion esthétique la vision de l’Acropole renvoie in fine – comme Rome – au corps maternel ; l’objet esthétique (D. Meltzer), c’est le corps de la mère. On perçoit dès lors la relation entre la pulsion scopique ayant pour objet le corps maternel, et l’objet culturel ; et, de la même manière, les liens entre l’expérience culturelle, d’une part, et le conflit entre le désir de voir et l’interdit de voir, d’autre part : l’expérience culturelle authentique permet, via la sublimation, de sortir de ce conflit, sans qu’il soit pour autant résolu ; on voit ici également comment honte et culpabilité sont liées : la culpabilité est engendrée par la transgression de l’interdit paternel, tandis que la honte est liée à la passivation que le « corps à corps visuel » avec le maternel entraîne. Peut-être tenons-nous ici une des raisons qui permettraient de comprendre mieux les puissants motifs inconscients qui conduisent l’adolescent à investir l’objet culturel comme objet de transition permettant de passer de la honte secondaire à la culpabilité secondaire. On peut également remarquer ici que D. W. Winnicott, propose [211], dans sa conceptualisation, une localisation de l’expérience culturelle qui échappe à la dynamique de la conflictualité pulsionnelle, rendant ainsi problématique la question de la sublimation et ne permettant pas alors de rendre compte de l’expérience de honte, telle que je tente de l’expliciter : ne se pourrait-il pas alors que le succès de cette conceptualisation soit une des raisons pour lesquelles les racines pulsionnelles de la honte sont souvent méconnues dans la clinique psychanalytique d’aujourd’hui ?...
158Pour conclure ces considérations théoriques sur la honte, il me paraît utile de résumer et d’articuler les différents points développés à propos de la honte primaire et de la honte secondaire.
159a) La prématurité biologique de l’infans fait que la désorganisation produite par le traumatisme que représente l’excitation liée aux soins maternels entraîne un état de passivation par débordement des capacités de liaison psychique : c’est l’Hilflosigkeit du nourrisson.
160b) Le « big-bang » psychique dans lequel émergent à la fois objet interne, pulsion, hallucination de la satisfaction, auto-érotisme – ce « sexuel primordial », décrit par les Botella –, constitue un temps d’intrication de la détresse, qui devient alors la honte primaire.
161c) Cette honte primaire va connaître alors deux destins différents ; son premier destin est de se transformer en culpabilité primaire :
- par un retournement de la passivité en activité : « L’objet ne m’a pas laissé dans la détresse ; c’est moi qui l’ai laissé » ;
- puis par une projection : « Ce n’est pas moi qui l’ai laissé, c’est lui qui m’a laissé, parce que je lui ai fait du mal (je l’ai tué, détruit, etc.). »
162On pourrait se demander ici pourquoi je postule une précession de la honte primaire sur la culpabilité primaire. Certains écrits de M. Klein apportent de sérieux arguments en faveur de cette conception. Je voudrais, par exemple, reprendre l’argumentation de M. Klein dans un article de 1933, « Le développement précoce de la conscience chez l’enfant » [212]. Il est tout à fait frappant de constater que, dans cet article, l’argumentation de l’auteur concernant la genèse de la culpabilité liée au Sur-moi précoce repose sur le postulat d’une intrication première entre libido et pulsion d’agression ; le produit de cette intrication, externalisé, projeté sur les objets, est « fondamental dans les relations sadiques aux objets » [213]. Toutefois, M. Klein tente de prendre en compte, sans le nommer, le masochisme primaire, dont elle ne semble pas non plus prendre en compte le caractère érogène ; par contre, elle soutient que, du fait de cette première intrication, « une division se produit dans le Ça. (...) Cette mesure de défense – apparemment la première – établie par le Moi constitue (...) l’assise de développement du Sur-moi » [214]. C’est sur ce point précis que je me sépare de son argumentation : il me semble, au contraire, que la division opérée dans le Moi, entre deux destins de l’intrication pulsionnelle, l’un marqué par la prééminence de la projection, l’autre par l’absence de déflexion vers l’extérieur du fait de l’impossibilité de mobiliser la libido contre la pulsion de mort, souligne justement un écart programmatique extrêmement précoce entre les prétentions du Moi idéal et les capacités réelles du Moi, écart au sein duquel la honte primaire se constitue en tant que premier affect représentant l’échec partiel de la liaison, ou, si l’on préfère, représentant la passivation primaire par l’organisation pulsionnelle.
163Je me sens, en tentant de rendre compte de ces premiers temps de l’organisation pulsionnelle à partir de l’affect, et notamment le temps de précession de la honte primaire sur la culpabilité primaire, assez proche des points de vue développés ces dernières années par Florence Guignard, qui a proposé l’hypothèse d’une succession de paliers d’intrication pulsionnelle, hypothèse qui permet de se dégager de certaines des apories qui avaient conduit M. Klein à parler à la fois de « sadisme du Ça » et de « sadisme du Sur-moi » [215].
164Le deuxième destin de la honte primaire est d’inaugurer la série des hontes liées à la sexualité infantile, qui garderont ces caractéristiques de hontes primaires jusqu’au refoulement de la période de latence, permettant alors la subjectivation de l’affect de honte (honte secondaire). De sorte que la honte secondaire n’est pas que le produit d’un contre-investissement et d’une formation réactionnelle ; elle est aussi la trace, dans le psychisme de la prématurité d’un Moi débordé un jour dans sa mission de liaison de l’excitation sexuelle. Cette honte reste, dans sa survenue, personnalisée, liée à la figure de l’adulte, celui qui dit : « Tu n’as pas honte ? ! » Mais prendre ainsi en compte cette continuité entre la honte primaire « naissante » et les éprouvés de honte « par grandes quantités » susceptibles de surgir au cours du développement de la sexualité infantile nécessite de considérer la honte primaire à la fois du point de vue de l’origine et de l’après-coup. Je pense rester, en gardant une indécidabilité de ce double point de vue, profondément fidèle à une conception freudienne de l’après-coup dans laquelle, si le deuxième temps réinterprète le premier, ce n’est que parce que ce qui est advenu dans le premier temps « attire » ce qui est advenu dans le second ; en ce sens, le modèle « refoulement originaire / refouletnent secondaire » me paraît devoir être évoqué, pour la pleine compréhension de la honte et de ses développements. Je rappelle d’ailleurs que C. Le Guen postulait que « l’après-coup implique aussi et nécessairement la démarche qui va de l’avant à l’après ». Reprenant l’exemple du refoulement, il précisait : « L’attraction exercée par le déjà refoulé est aussi indispensable au refoulement après coup que la répulsion venue du conscient (...) sans doute même est-elle la plus importante. C’est dire que cette attraction, par ce qui est aussi l’histoire, détermine et contraint l’ici-et-maintenant. » [216]
165J. Cournut, pour sa part, précisait que, « l’essentiel de l’ensemble est que, précisément, cette chronologie devienne un ensemble signifiant, dans lequel ce qui est avant dans le temps objectif explique ce qui vient après, mais ce qui vient après dans la réalité psychique explique ce qui était survenu avant » [217] : la Primärscham, la honte primaire, n’est pas une Zurückscham, une honte rétroactive...
166d) Avec le déclin du complexe d’Œdipe, la différenciation du Moi en instances (Sur-moi - Idéal du Moi) entraîne une impersonnalisation du Sur-moi qui permet l’assomption de la culpabilité secondaire.
167e) Les mouvements de sexualiasation ou de désexualisation, liés eux-mêmes aux mouvements de personnalisation ou d’impersonnalisation du Sur-moi / Idéal du Moi, entraîneront alors, dans les deux sens, des possibilités de passage entre la honte secondaire et la culpabilité secondaire [218]. Cette conception est indiquée par Freud dans les « Suppléments » qui clôturent « Psychologie des masses et analyse du moi » [219], lorsqu’il évoque « la différenciation entre identification du Moi et remplacement de l’Idéal du Moi par l’objet ». Le premier terme est sous-tendu par ce que j’appelle impersonnalisation, tandis que la personnalisation est à l’œuvre dans le second.
168f) Si la honte signal d’alarme ne joue pas son rôle, les régressions aux hontes primaires sont alors possibles.
169Le schéma de la page 1711 articule ces différents points.
III – LA HONTE DANS LA PRATIQUE DE LA CURE
1 / La honte dans une configuration névrotique
170Je voudrais évoquer, pour illustrer les parcours de la honte, l’analyse d’Antoinette, âgée de 40 ans et qui est venue, il y a cinq ans, à l’analyse pour des ruminations obsessionnelles autour de son âge : sa mère est morte à 50 ans d’une maladie de Kreuzfeld-Jacob, dans une longue et épouvantable agonie ; Antoinette avait alors 30 ans ; elle a elle-même peur de mourir de la même façon, au même âge et, depuis quelques années, surveille de façon obsessionnelle sa nourriture et celle de ses deux enfants qui sont préadolescents : la connaissance récente des rapports entre l’ESB et les maladies dégénératives du cerveau ont accru ses craintes. Aînée de 5 filles, elle a eu un père ingénieur des Mines qu’elle décrit comme extrêmement brutal, battant et terrorisant ses enfants, et ce dès leurs premiers mois, cassant tout dans la maison, tandis que la mère, douce, féminine et élégante, ne pouvait jamais intervenir devant le caractère paroxystique des colères paternelles. Cet homme, probablement psychotique, tenait la porte de son bureau fermée à clé, mais en laissant la clé sur la serrure, et laissait entendre à ses filles que le châtiment serait terrible si, par malheur, elles y pénétraient. Terrorisée depuis l’enfance, Antoinette a très tôt quitté sa famille, et est partie loin de la ville du Nord où elle avait grandi ; après des études supérieures réussies, elle devient professeur de lettres, se marie, et a deux enfants. Ayant pu construire sa vie au prix de mécanismes d’isolation très coûteux, elle s’est trouvée très en difficulté lorsque le père, qui n’a repris contact avec elle qu’après la mort de sa mère, s’est fait insistant ces dernières années pour reprendre des liens familiaux plus serrés. Elle a décidé de ne pas répondre aux lettres de son père, dans lesquelles il lui propose de reprendre leurs relations comme si de rien n’était, et le lui a fait savoir dans une lettre où elle lui demande de ne plus lui écrire désormais. Le père, une fois de plus, n’a pas tenu compte de cette demande, et continue à écrire. Lors d’une séance, Antoinette évoque avec une extrême jubilation, assez inhabituelle chez cette femme si contrôlée, le cérémonial qui préside à la réception de ces lettres : « Je les prends, je les regarde sans les ouvrir, je les soupèse, puis je vais aux toilettes ; sans les ouvrir, je les déchire, les jette dans la cuvette, puis je tire la chasse » : l’analité est ici présente on ne peut plus clairement [220]. Mais, ce matin-là, les choses tournent autrement : en rentrant hier soir chez elle, elle a trouvé non pas une lettre, mais un paquet envoyé par son père. Elle a été très décontenancée : « Je ne peux pas le mettre aux toilettes ; je vais lui renvoyer son paquet », s’est-elle dit. En évoquant ce moment, elle est soudain prise d’un très violent mal dans le dos. Elle quitte alors ce ton jubilatoire et agressif, et dans un sanglot évoque une honte gigantesque : « Ce mal de dos, c’est... comme des coups de fouet... c’est... Le sadomasochisme. Je ne puis en parler... Je vais lui renvoyer son paquet... » S’installe alors un long silence, dans lequel Antoinette semble s’enfermer. Je pense, durant ce silence, que ce « paquet » m’est destiné, et que je ne puis le laisser « en souffrance »... Je risque alors :
171« Le sadomasochisme ? Un paquet psychique que vous ne pourriez ouvrir ?
172— (Elle se replie physiquement sur elle-même.) J’ai mal au dos. Pourtant c’est de l’humain, vous devriez pouvoir l’entendre sans...
173— Prendre le fouet ? (Je suis étonné par le style de ces deux interventions trop condensées, mettant peut-être en acte plus qu’en jeu l’intensité du contre-transfert paternel mais, du même coup, m’interprétant aussitôt pour moi-même l’intensité du transfert paternel.)
174— (C’est la fin de la séance.) Cette honte, c’est comme si je pouvais mourir, comme si je devais arrêter de respirer. »
175Je comprends alors que la honte accompagne ici une condensation extrême dans laquelle sont mêlés des éléments réels – la mort de la mère, la brutalité du père –, et fantasmatiques (scène primitive ; fantasme de fustigation). Je pense alors, après la fin de la séance, à la « condensation à boulets rouges » de Michel Fain.
176À la séance suivante, elle poursuit : « J’ai commencé à parler de ce paquet psychique... Pour moi, les mots pour en parler, c’est comme des boulets rouges ; ça me fait penser au poêle de mon grand-père contre lequel je m’étais brûlée... Ce paquet, c’est les mots de l’enfance pour désigner le corps et les fonctions du corps, c’est impensable pour moi de les employer, c’est quelque chose comme le déshonneur, la perte de la face... Voilà... Je commence à ouvrir l’emballage du paquet. » À travers cette métaphore de l’emballage du paquet, l’analité est, bien entendu, convoquée ici au premier plan, on remarquera également qu’il y a là une représentation métaphorique de ce que Didier Anzieu a décrit en 1974 avec « le Moi-peau » [221]. Comme l’écrit Alain Ferrant, « les trois grandes fonctions du Moi-peau, de préservation vis-à-vis des dangers extérieurs, de conservation des bonnes choses internes et de filtre des échanges avec l’objet sont toutes les trois compromises dans la honte. La différence du Moi corporel et du Moi psychique si fragile et instable à l’adolescence est brusquement abolie ». C’est ce qu’Alain Ferrant nomme « la perte de la contenance ». Antoinette montrera d’ailleurs ce défaut de contenance en des termes particulièrement saisissants : « J’ai, pour me protéger de la folie de mon père, construit un mur autour de moi ; non, pas un mur : comme un plâtre sur une blessure : ça ne guérit pas, mais ça protège. J’ai peur de ses irruptions qui ouvrent la blessure, comme j’ai peur de vos interventions ; même une reformulation de votre part de ce que je viens de dire, me paraît insupportable... »
177Quelques séances plus tard, Antoinette m’avertit que, après la dernière séance de la semaine, elle partira en vacances pour quelques jours, seule. Elle arrive à cette séance... chargée de paquets : un dans chaque main, un sous un bras, et un sac à dos ! « Je ne peux pas vous serrer la main », me dit-elle avec un charmant sourire. Avec cette phobie du contact, convoquée par la réalité des « paquets », l’analité n’est pas loin, là non plus ; en effet elle est en arrière-plan du matériel qui va suivre, mais, cette fois, la honte n’apparaît pas directement, elle est contre-investie dans l’exhibitionnisme : « J’ai décidé de partir quelques jours dans un camp de nudistes ; je trouve que c’est bien de pouvoir montrer son corps, même s’il est moche, sans que personne n’y fasse attention... Tiens... Ça me rappelle qu’à l’adolescence, mes cousins m’avaient dit qu’ils dormaient nus ; j’avais alors abandonné mes chemises de nuit, mais au retour des vacances, ma mère m’avait dit : “Arrête ça : tu salis les draps...” Tiens... Ça me rappelle autre chose : lorsque nous étions petits, avec ces cousins, je me mettais nue devant eux... Et ma mère disait, avec une voix ravie : “Mais qu’est-ce ce que je vois là ? Le petit chat est tout nu !” »
178Il y a, dans cette séquence, une rupture thymique entre la honte liée à la déclinaison du fantasme : « On bat un enfant » et le souvenir-écran de l’exhibitionnisme infantile ; je dis souvenir-écran, car il condense plusieurs éléments du sexuel infantile : la comparaison implicite avec les garçons, et la transformation de l’angoisse – et de la honte de la castration – en exhibitionnisme du corps tout entier érigé phalliquement, ainsi que la séduction homosexuelle de la mère. C’est d’ailleurs après cette séquence qu’apparaîtra tout un matériel dans lequel la mère, dont j’apprendrai la propre complaisance exhibitionniste déjà sensible dans ce souvenir-écran, se moquait aussi gentiment des essais que faisait Antoinette, enfant, avec ses chaussures et sa trousse de maquillage. On notera en outre la précocité d’une position identificatoire dont la mère ne permettra pas la reprise à l’adolescence (condamnation de la « saleté » du corps nu). Ainsi, il n’est pas impossible de postuler comme une inversion paradoxale de la position maternelle : encouragement implicite de l’exhibition phallique du corps tout entier avant la période de latence, et condamnation de la « saleté » du corps à l’adolescence ; là où une « honte-signal » d’alarme aurait dû surgir, devant la double valence – des sexes et des générations – convoquée dans le souvenir-écran dans l’opposition entre « grand » et « petit », le triomphe apparaît [222]. C’est sans doute dans ce premier temps, prématurant et prématuré, que se constituent certains aspects du caractère obsessionnel d’Antoinette, tandis que la voie régressive au fantasme masochique se trouve sans doute ouverte dans le deuxième temps de l’adolescence. Cette absence du caractère organisateur de la honte signal-d’alarme apparaîtra dans une précision qu’Antoinette m’apportera à la séance suivante, en réévoquant la nudité : elle et son mari avaient coutume de se promener nus devant leur fille aînée, et aussi de pratiquer le naturisme, jusqu’à ce qu’elle lût la honte qu’éprouvait sa fille, dans les yeux de celle-ci, et qu’alors elle s’arrêtât...
179L’analité, apparue avec l’évocation de la honte, va prendre alors le devant de la scène... Antoinette doit subir une coloscopie, un examen gynécologique, et consulter aussi pour des hémorro ïdes : « Dans mon enfance, il y avait un seul mot pour désigner le vagin, l’anus, les fesses... Un mot que je ne pourrais pas prononcer ici ; ça m’arracherait la bouche et le cerveau, en m’immergeant dans cette réalité passée ; je ne veux pas être livrée sans défense à ces médecins sans tact. »
180Je lui montrerai – doucement – qu’elle exprime là sa peur d’être livrée à un analyste sans tact dès lors qu’elle évoquerait sa sexualité infantile. Tout d’abord, elle me parlera de son traitement contre les hémorro ïdes :
181« C’est un traitement par suppositoires... C’est un médicament particulier ; on ne sait pas où il va... Je pense à ce qu’on dit des femmes violées, qu’en fait, elles le veulent... Je veux, je désire votre aide.
182— (Moi) : il y a quelques jours, vous me disiez que même une reformulation de ce que vous veniez de me dire vous était intolérable...
183— (Elle, sur un ton de déception) : C’est pour ça que vous ne dites rien ? Vous pouvez, vous savez ! !
184— (Moi) : Alors vous attendez mes interventions à la fois comme un traitement bienfaisant, mais vous les redoutez aussi, comme un traitement dont on ne sait pas où il va...
185— (Elle) : C’est exactement ça ! ! »
186À partir de ce moment-là, elle amènera tout un matériel important : « L’ambiance de mon enfance est faite d’un mélange de violence et d’érotisme ; ma mère disait : “Quand on est malade, il faut mettre des médicaments dans tous les trous : les oreilles, le nez, l’anus.” Antoinette se remémore alors la période de ses 3 ou 4 ans, lorsqu’elle eut un ténia, et que sa mère et sa grand mère lui administrèrent de force lavements et potions :
187« C’était un être que j’avais en moi et qu’elles voulaient m’arracher...
188— (Moi) : comme un bébé ?
189— Oui ! D’ailleurs quelque temps après, elle m’a fait opérer de l’appendicite, et j’avais peur de mourir, d’être vidée. J’ai peur de vous parler, de vous raconter mes rêves » [ver = rêve ?].
190Après cette reviviscence transférentielle très intense, Antoinette poursuit, à la séance suivante : « Depuis hier, je me sens très détendue, physiquement détendue. Depuis... le visage... jusqu’à... l’anus, en passant par mon ventre. Une détente inconnue... Je ne fais plus la lessive, j’accepte mieux les taches... » Elle qui est d’habitude si scrupuleuse sur le paiement m’annonce – nous sommes le dernier jour du mois – qu’elle me paiera... la fois suivante. Je constaterai qu’elle ne me remettra pas, cette fois-ci, une enveloppe cachetée sur laquelle sont inscrits le nombre de séances et le résultat du produit de ce nombre par le prix de la séance ! Elle comptera et recomptera lentement ses billets qu’elle me remettra sans protection.
191Après cette détoxication de l’analité, Antoinette va s’interroger ainsi : « Ma honte, je pense qu’elle s’est constituée avec mes fantasmes sadomasochistes, tels qu’ils sont apparus avec l’histoire du ténia ; parce que, après, je ne voulais plus manger de viande, je la crachais, et ma mère, pendant des heures, me forçait à la remanger, et me frappait, jusqu’à ce que j’arrête de dire : “non”. Et elle ajoute : “C’est curieux, je suis passée de : recevoir derrière (les suppositoires) à expulser devant ; c’est ça, perdre la face...” »
3 / La honte dans une configuration non névrotique
192Á 25 ans, évoluant dans un milieu à la fois intellectuel et mondain, Philippe est « agent artistique ». Ce métier lui offre l’occasion d’aller, en conquérant, de rencontres en rencontres, d’excès en excès, au gré des occasions, et des jours et des nuits. Il se définit lui-même comme un « SAF » : Sans attachement fixe. Il vit souvent dans de grands hôtels, squatte parfois chez des amis, part brusquement pour des destinations touristiques renommées, en revient aussi vite, de sorte qu’il vient assez régulièrement à ses séances, pour un travail psychanalytique en face à face entrepris il y a environ quatre ans. Il possède également un minuscule appartement, où il ne séjourne que rarement, et qu’il décrit comme une sorte de tanière qui le protège, lorsque sa vie devient à ses yeux trop effrayante. Cet effroi, dont je me suis longtemps demandé ce qui pouvait le provoquer – car il n’en disait rien –, je finirai par comprendre qu’il est consécutif à une situation répétitive très particulière : les hasards de sa profession le conduisent à rencontrer une femme, en général physiquement et intellectuellement séduisante, à laquelle il s’attache, au point de construire avec elle des projets de vie tout à fait sérieux ; parallèlement il se livre alors à une multiplication de rencontres, hors de son milieu habituel, avec des femmes draguées dans la rue, ou dans les cafés, ou rencontrées dans des clubs spécialisés, et avec lesquelles il a des rapports sexuels compulsifs dans lesquels le masochisme pervers a une certaine place. Il rompt alors brutalement avec la femme qu’il avait rencontrée, se réfugie dans sa tanière, et la crise s’apaise jusqu’à la prochaine fois. Ce qui est frappant dans les séances, c’est que Philippe ne peut rien dire de cette répétition : il la constate, la trouve, dit-il, « ennuyeuse et déroutante », voudrait bien y mettre fin, mais ne la met pas en lien avec quelque circonstance de son histoire. Je suis aussi frappé par l’absence complète d’affects dans la narration de ces situations, en particulier par l’absence de la moindre honte qui, me disais-je un peu bêtement, devrait normalement être présente dans une configuration marquée à la fois par l’agir sexuel compulsif et l’absence de ressaisissement par le sens.
193Progressivement le récit de Philippe s’enrichira de sorte que nous comprendrons qu’il est un enfant non désiré, venu très tard dans sa fratrie, puisqu’il a 18 ans de différence avec la sœur qui le précède ; suite à un rejet maternel très important survenu dès sa naissance, et qui l’a laissé dans une extrême détresse, il a été élevé par cette sœur qui, lorsqu’elle s’est mariée, autour de 22 ans, l’a à la fois laissé dans un dénuement affectif intense, mais aussi livré à la rage d’une mère terrible qui ne voulait pas de lui ; dénuement d’autant plus catastrophique que son père ne semblait pas en mesure de s’opposer au sadisme maternel. Les répétitions à l’identique de ses rencontres, suivies de passages à l’acte pleins de rage, puis de désinvestissement et de ruptures prendront progressivement sens dans notre travail, à partir de cette construction de l’histoire psychique du patient, au point de s’espacer considérablement, et même de se modifier. Mais toujours pas la moindre trace de honte, de sorte que j’étais assez pessimiste quant à la solidité des changements psychiques, pourtant non négligeables qui étaient advenus dans notre travail. Jusqu’au jour où, après deux ans d’une relation stable avec Sonia, sans qu’aucun des actings sexuels habituels ne soit survenu, des projets de mariage se sont progressivement formés. Philippe qui, comme toujours, a laissé se développer cette relation à l’écart de ses parents et de sa famille, a pris la décision de leur présenter Sonia. C’est pour la semaine prochaine, le dimanche. Mais le mercredi, Philippe quitte brusquement Lyon. La nuit qui suit, il fait un rêve dans lequel il se trouve dans un bar à hôtesses, entièrement blanc et désert.
194Il poursuit : « Je comprends bien pourquoi je fais ce rêve, c’est en lien avec tout ce à quoi je me suis efforcé de renoncer ces dernières années, et que je recherche là, dans mon rêve, au moment où j’ai ces projets d’avenir avec Sonia. Alors, ce blanc, c’est le blanc du mariage ? Non... Certainement pas... Pourquoi c’est blanchi comme ça ? Oh, après tout, dit-il, prêt à se détourner de son mouvement introspectif..., on blanchit bien l’agent sale ! ! L’agent artistique qu’est Philippe est saisi par son lapsus – “agent” au lieu d’ “argent” : l’agent sale... il comprend que lui qui n’a jamais éprouvé subjectivement la moindre honte se sent écrasé par elle ; il cache sa tête dans ses mains, et pleure. Je saisis alors que le blanc du rêve est à la fois le résultat d’un contre-investissement de l’analité et l’expression du blanc du désinvestissement.
195Après cette séance au cours de laquelle la représentation de la saleté s’est trouvé réaffectée, Philippe peut enfin nommer l’affect de honte, et se rappeler que quelques années avant le début de son travail analytique, après ces moments d’agir sexuels compulsifs que j’ai évoqués, il éprouvait une honte gigantesque : « J’étais honteux à en mourir. » La honte est donc ici éprouvée alors « par grandes quantités », du fait du clivage entre l’affect et les représentations ; la levée de ce clivage va permettre, par le biais du travail associatif, une transformation en « petites quantités ».
196Lors de la séance suivante, en effet, il fait un rêve : « Je me réveille un matin ; je me regarde dans la glace, et je vois que quelqu’un est venu pendant mon sommeil me raser la moitié du visage ; en voyant cela, dans mon rêve, je suis très angoissé. » Il associe : « Hier soir, j’ai regardé à la télévision un film qui se passe en France sous l’Occupation ; j’ai été frappé par le contraste qu’on perçoit chez l’héro ïne entre le moment où elle affiche fièrement dans la rue son amour pour un soldat allemand et le moment où, quinze jours plus tard, on la voit pleurer dans la rue, le crâne rasé. »
197La honte est ainsi évoquée par lui en lien avec un fantasme d’identification à une femme, aimée et maltraitée, situation qui n’est pas sans lien avec le peu qu’il m’a dit alors de ses relations sexuelles compulsives. Il associe alors sur une de ses sœurs, beaucoup plus âgée que lui, qui est l’aînée de celle qui l’a élevé, et qui rentrait de soirées très arrosées, ivre et le visage tuméfié, comme si elle avait été battue. Philippe se souvient qu’elle était alors l’objet de la sollicitude inquiète de son père. Il lui revient alors qu’à l’occasion d’un déménagement de ses parents, lorsqu’il était dans les classes primaires, il avait lu au fronton de sa nouvelle école : « École de filles », et qu’il en avait été très angoissé et honteux, et qu’à cette école, c’est son père qui venait le chercher... Il ajoute que, pendant l’intervalle entre les deux séances, il a entendu, au cours d’une soirée avec les amis, Sonia lui parler d’une circonstance où elle avait eu honte. Les amis présents on fait de même, et il s’est étonné, et soulagé, qu’un sentiment aussi intime puisse être ainsi évoqué et partagé avec d’autres...
198Un pan important de son histoire psychique, méconnu jusqu’alors, va s’éclairer à partir de cette identification à la sueur maltraitée ; je comprendrai au fil des séances qu’il s’agit d’une femme psychotique, qui est tombée gravement malade dès l’enfance, et qui a mobilisé constamment l’attention de la mère, sur un mode particulier : il apparaîtra de plus en plus clairement que cette mère avait honte de sa fille, l’isolait, l’enfermait, dans un système de contrôle de tous les instants, négligeant ainsi ses autres enfants et déléguant l’éducation de son fils à son autre fille. Nous comprendrons alors que, dans les scénarios pervers qui alimentaient ses relations sexuelles compulsives, il s’agissait de retrouver l’investissement maternel ; mais la honte liée à ces actings était aussi, sans doute, une honte empruntée [223] à ses objets, la mère terrible et la sœur déglinguée.
3 / La honte dans le contre-transfert
199Il s’agit d’une question importante : on parle plus facilement de la haine dans le contre-transfert, que de la honte dans le contre-transfert... Il me revient à ce propos la phrase introductive de l’exposé d’un collègue parlant dans un séminaire d’un cas d’exhibitionnisme pervers : « Je me suis longtemps dit que je n’oserais pas vous parler de ce patient... » Lorsque la honte est absente – en apparence, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises – chez le patient, elle est le plus souvent éprouvée par l’analyste.
200Plus précisément, dans un texte extrêmement intéressant sur la honte [224], O. Mannoni a montré le risque fantasmatique qu’il y a, pour un analyste à exposer sur ce sujet : exposer, s’exposer, s’exhiber, la marge n’est pas grande, et la survenue de la honte toujours possible. C’est ce qu’O. Mannoni montre courageusement. En effet, l’exposé de cas qui va permettre ce centrage sur la honte est précédé de cette considération : « Il faudrait pour qu’on puisse raconter des histoires de cas qu’on les centre sur le contre-transfert » [225] ; le lecteur est donc prévenu : c’est au cœur de la rencontre entre transfert sur l’analyste et contre-transfert de l’analyste que nous allons rencontrer la honte. De quoi s’agit-il ? Une patiente, « à différents intervalles, de façon parfaitement imprévisible et sans rapport apparent avec ce qu’elle disait (...) levait les deux jambes de façon peu décente, jetait au plafond le sac ou le mouchoir qu’elle tenait à la main, en criant de façon en apparence compulsionnelle une série de “merde, merde”... » [226], [227] ; (...) Je ne pouvais pas l’envoyer à un autre analyste, qui aurait pensé que je me moquais de lui [228] (...) Je restais dans l’embarras [229] (...) Je m’aperçus qu’au moment où elle se livrait à ses extravagances, je regardais du côté de mon bureau [230] (...) Or sur mon bureau à ce moment-là, et de façon très accidentelle, se trouvait un objet dont ce n’était pas la place : c’était une férule.
201Suit alors un souvenir d’enfance de l’analyste :
202« Moi-même, enfant, dans un pays méditerranéen, j’ai passé quelques semaines dans une école de village et j’ai dû tendre la paume pour recevoir des coups de férule. J’ignorais alors qu’on me traitait à l’antique. Si mon regard était attiré par la férule qui traînait sur mon bureau, c’est parce que [231] je pensais que mon “analysante” méritait plutôt une correction enfantine... (...). Il me revint une conception ethnographique : la distinction entre les sociétés où l’éducation s’appuie sur la honte et celles où elle utilise la culpabilité. »
203Arrêtons-nous un instant sur ces préliminaires : l’exhibition de la patiente teintée d’analité est au premier plan ; l’analyste éprouve inconsciemment cette honte, d’abord en pensant projectivement qu’un autre analyste pourrait penser que lui, Mannoni, se moquerait de celui-ci, et détourne le regard, voulant ainsi « sortir » du couple exhibitionniste-voyeuriste convoqué par la patiente ; la férule qu’il rencontre des yeux en se détournant est associée à un souvenir d’enfance : on notera que le « souvenir d’enfance », associé à l’évocation de la correction méritée par la patiente, contient tous les éléments du fantasme « Un enfant est battu », ce qui est d’ailleurs confirmé in fine par l’évocation de la honte et de la culpabilité ici associées, comme elles le sont dans les premières lignes de « Un enfant est battu » :
204« Honte et conscience de culpabilité [232] s’éveillent, à cette occasion, avec peut-être plus de force que lors de communications analogues sur les souvenirs des débuts de la vie sexuelle. » [233]
205Dès lors, une sorte de frayage est ouverte, qui va conduire O. Mannoni jusqu’à sa propre honte :
206« Je me suis rappelé une conduite de Swann : il avait lu par transparence la lettre d’Odette à Forcheville et, dans la suite, quand il y repensait, saisi d’une bouffée de honte [234], il faisait une grimace particulière ou un claquement des doigts. Et aussitôt, me revenait une remarque de Sartre, dans Les Mots : quand, enfant, il était saisi de honte, il allait grimacer devant la glace : “Contre les fulgurantes décharges de la honte [235], je me défendais par un blocage musculaire...” C’est très bien dit, mais il ne s’agit peut-être pas d’un “blocage” et l’image de soi doit y jouer un rôle, devant la glace. Et, un soir, après les séances, comme je lisais le journal de Gombrowicz, je me surpris à prononcer à haute voix, de façon compulsionnelle, une phrase qui n’avait pourtant rien de particulier, je relus la page entière : la phrase qui précédait me rappelait, je m’en aperçus seulement alors, un souvenir ancien dont je ne suis pas fier. Tout cela m’aurait échappé sans la question que me posait le comportement de mon analysante. Je ne claquais pas des doigts, je ne faisais pas de grimaces devant la glace, je ne levais pas les jambes en disant merde. Je lisais seulement une phrase à haute voix de façon compulsionnelle, ce qui me paraissait absolument du même ordre. (...) Tout cela, évidemment, je le savais – d’un savoir que je n’utilisais pas. Sans aucun doute, j’aurais fini par m’en apercevoir, même si on ne m’avait pas fait cadeau d’une férule. » [236]
207L’évocation à deux reprises, par O. Mannoni, de son attitude compulsionnelle est à rapprocher des remarques de Freud à propos de la névrose de contrainte, concernant les liens entre la sexualité infantile refoulée et la honte : « Ce qui est reproche (d’avoir accompli l’action sexuelle à l’âge d’enfant) se transforme avec facilité en honte (si un autre venait à l’apprendre). » [237]
208L’analyse du contre-transfert semble s’arrêter ici, bien que le fait que j’ai lu, en quelque sorte, entre les lignes, ne suppose pas a priori que Mannoni n’ait pas fait de même ; un fait cependant m’intrigue : l’histoire de sa soumission enfant à la férule du maître est véritablement un « souvenir de couverture », puisque sur... la couverture de son ouvrage, qui comporte bien d’autres textes, est reproduite la planche botanique de ferula narthex – la férule ! !
209Mais Mannoni – et cela est assez exemplaire du travail de contre-transfert – abandonne, par le moyen de la projection sur sa patiente, ce qui, dans cette histoire de honte, le concerne : « Quelle honte ancienne pouvait faire agir l’analysante d’une façon compulsionnelle beaucoup plus spectaculaire que les gestes de Swann, les grimaces de Sartre, ou ma lecture à haute voix ? »
210Mannoni se pose alors la question théorique de la honte dans l’œuvre de Freud. Il note, mais cela est discutable, que Freud a court-circuité par un trait de caractère – l’ambition – sa honte infantile ; il en déduit qu’il n’y a pas, dans l’œuvre freudienne de théorie de la honte, si ce n’est une théorie négative. Cette théorie se trouverait, selon lui, dans les « Suppléments » qui clôturent Psychologie des masses et analyse du moi [238].
211« La différenciation entre identification du Moi et remplacement de l’Idéal du Moi par l’objet trouve une illustration intéressante dans les deux grandes masses artificielles que nous avons étudiées au début, l’Armée et l’Église chrétienne.
212« Il est évident que le soldat prend pour idéal son supérieur, donc à proprement parler le meneur de la force armée, cependant qu’il s’identifie avec ses semblables et fait découler de cette communauté des Moi les obligations, propres à la camaraderie, d’assistance mutuelle et de partage réciproque des biens. Mais il devient ridicule [239] s’il veut s’identifier avec le commandant en chef. Dans Le Camp de Wallenstein, le chasseur raille à ce sujet le maréchal des logis :
« Sa manière de racler du gosier et de cracher,Vous la lui avez drôlement bien chipée !... » [240]
214L’idée exposée ici par Octave Mannoni à partir du texte de Freud, est que, dans une communauté, l’identification trop apparente au Moi, et non à l’Idéal du Moi, provoque, lorsqu’elle est explicitement dénoncée, ou implicitement visible, un « ridicule », une honte. On saisit alors la mince marge qu’il y a entre le sublime, lié à l’identification au leader, et le ridicule. On voit bien également, comment, à travers la triple référence au groupe, à l’identification, et à la prise de possession (cf. « chipée ») se dévoile cliniquement, une fois encore, le lien entre honte et problématique homosexuelle.
215« Pour qui te prends-tu ? » Question que l’enfant souvent entend, dans ses communautés d’appartenance, qui vient de l’adulte mis en position d’Idéal (parent, maître...), et qui témoigne de la fragilité des identifications. Question qui est au cœur de la problématique de l’hystérie... La question de la honte, on le voit, est directement convoquée dès que l’opposition « petit/grand » surgit. Mannoni donne, à ce propos, un fragment de cure dans lequel une jeune patiente évoque un souvenir d’enfance :
216« Elle était dans la cour d’école, avec un groupe de camarades, et elle “faisait la dame” avec une certaine exaltation, quand elle vit, à l’improviste, arriver sa mère. Elle fut saisie d’une honte intense, à “rentrer sous terre”, faute d’avoir où se cacher. » [241] Faire « comme si » ou être comme : c’est dans un tel écart que la honte se niche...
IV – HONTE ET TRAVAIL DE CULTURE : IV – CIVILISATIONS DE LA HONTE, HONTE DANS LA CIVILISATION, IV – « CIVILISATION » DE LA HONTE
217J’ai tenté de démontrer, à travers une lecture nouvelle de Totem et tabou, et en m’appuyant sur plusieurs passages de Malaise dans la culture, que la honte est un lien interindividuel puissant, en quelque sorte à l’origine de l’hominisation et consubstantiel à cette dernière : un long développement phylogénétique a conduit l’homme occidental de la honte à la culpabilité.
218Sur le plan individuel, c’est la différenciation psychique en instances au cours du processus de civilisation de l’enfant qui permet l’émergence d’une dialectique entre la honte et la culpabilité, susceptible de mouvements progrédients et régrédients. C’est également cette différenciation en instances qui permet une transmission de cette dialectique entre les générations. Des points de fixation peuvent activer plus ou moins cette potentialité régressive, particulièrement dans des périodes critiques de l’existence ; je l’ai, naturellement, souligné avec l’adolescence, mais la pratique clinique permet de mettre en lumière de tels mouvements lors des remaniements psychiques que produisent immanquablement pour tout sujet les événements rencontrés : la survenue régressive de la honte accompagne ainsi assez souvent les mouvements de désorganisation ou d’involution somatiques, les ruptures sociales mais parfois aussi certains bouleversements produits par l’Histoire dans lesquels alors peuvent advenir, selon la belle expression de C. Barazer, des « hontes sans issue » [242]. Inversement, la mise en travail de la honte peut permettre d’accéder au travail de la culpabilité : c’est ce que la vignette clinique d’Antoinette permet d’entrevoir. Enfin, il me paraît certain que certains moments de l’existence allègent ou suspendent cette dialectique de la honte et de la culpabilité : C. David en a montré les potentialités dans sa description de l’état amoureux.
1 / Hontes et civilisations
219Sur le plan du destin du travail des Civilisations, il est également certain que cette dialectique de la honte et de la culpabilité connaît des développements tout à fait particuliers. Dans sa très belle étude sur « Le narcissisme moral » [243], A. Green évoque, à la suite de Dodds [244], la distinction qui peut être faite entre civilisations de la honte et civilisations de la culpabilité. Cette distinction capitale fut en fait opérée pour la première fois par une anthropologue américaine, Ruth Benedict, dans un livre admirable, Le chrysanthème et le sabre [245], et dans des circonstances qui valent d’être racontées : dans le temps où l’espoir de la victoire des Alliés sur l’Allemagne et sur le Japon semblait se préciser, l’Office of War Information qui souhaitait savoir comment assurer une transition démocratique au Japon après la victoire finale commanda à R. Benedict une étude sur la civilisation japonaise : autant la restauration de la démocratie en Allemagne ne semblait pas poser de problèmes, en termes institutionnels s’entend, autant les autorités politiques et militaires des États-Unis étaient conscientes qu’il ne saurait être question de transporter brutalement dans le Japon impérial les structures politiques de l’Occident. Selon des proches du général Mac Arthur, c’est ce rapport de Ruth Benedict, fruit d’un travail de réflexion, sans avoir naturellement pu être élaboré sur le terrain [246], qui aurait convaincu celui-ci de garder au Japon son régime impérial ; et c’est de ce rapport qu’est issu Le chrysanthème et le sabre, dont la richesse est attestée par le nombre d’études qui lui sont, aujourd’hui encore, consacrées. Dans son travail, Benedict met en relief l’importance de la honte dans la civilisation japonaise ; elle met en évidence l’importance culturelle du On, qui signifie en général : obligation, mais plus précisément une charge, une dette, un fardeau [247], dès lors qu’on reçoit quelque chose de quelqu’un. Le On concerne tous les débiteurs : l’enfant vis-à-vis de ses parents et grands-parents, le parent vis-à-vis de ses enfants, qui, en s’occupant d’eux comme ses parents se sont occupés de lui lorsqu’il était sans défenses, s’acquitte de sa dette envers ceux-ci, et finalement, tout le monde vis-à-vis de l’empereur. Le On est inextinguible, comme en témoignent les divers mots pour dire Merci en japonais : arigato ( « Oh, cette chose difficile » ), sumimasen ( « Oh, cela n’a pas de fin » ), katajikenai, que l’on écrit avec l’idéogramme qui signifie insulte, le fait de perdre la face (...) Par cette tournure, on reconnaît explicitement sa honte de recevoir un on [248].
220Les contreparties du On sont le gimu (remboursements illimités quant à leur montant et à leur durée), et le giri, notion extrêmement complexe, s’apparentant à l’honneur ; on parle ainsi du giri envers son propre nom, et le giri comporte toujours l’idée de ce qui est le plus dur à supporter : comme on le voit, la question de la honte (subjective) et du déshonneur (social) est au cœur de la culture japonaise.
221Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de constater que cette culture de honte, sorte de superstructure de l’organisation sociale, a son pendant dans l’éducation des très jeunes enfants dans laquelle on peut discerner une sorte d’apprentissage quasi expérimental de la passivité et de la honte : à propos de diverses situations éducatives, R. Benedict évoque « des expériences [qui] constituent un riche terreau pour la peur du ridicule ». La lecture du long chapitre que R. Benedict a consacré à l’éducation des enfants [249] est, à cet égard, convaincante : en particulier, il y a un décalage très sensible entre des modes d’éducation sphinctérienne qui sont très contraignants et humiliants, et une grande liberté d’expression de la sexualité infantile, de sorte que le conflit interne après l’adolescence est, sur le plan surmo ïque, particulièrement important : « Les enfants, disent les Japonais en souriant avec bienveillance, ignorent la honte (haji). Et ils ajoutent : c’est pourquoi ils sont si heureux. Là est l’abîme profond, invariable, qui sépare l’enfant de l’adulte, car dire d’un adulte : “il ignore la honte” revient à dire qu’il a perdu tout sens des convenances. » [250] Comme on le voit dans les propos de l’adulte, c’est en toute innocence que la conflictualité dont résultera la honte est implantée, à travers les soins maternels, pour le bien de l’enfant [251]...
2 / Honte et procès de civilisation
222Tout adultes – et je ne parle plus seulement des Japonais – peut, nous l’avons déjà évoqué, ignorer sa honte : A. Green, dans « Le narcissisme moral », a analysé, en se référant à Sophocle, les liens entre la folie meurtrière d’Ajax, après qu’il se fut vu privé des armes d’Achille, et le mouvement de honte térébrante qui s’ensuivit ; A. Green met ainsi en évidence les liens entre mouvement maniaque et honte [252], et le mouvement particulier de défense contre la honte éprouvée à l’intérieur, en se montrant éhonté : il s’agit d’un double – retournement (en son contraire, et sur la personne propre).
223J’ai présentes à l’esprit les phrases par lesquelles Freud conclut « Malaise dans la culture » : « Les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la maîtrise des forces de la nature que, avec l’aide de ces dernières, il leur est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier. Ils le savent, de là une bonne part de leur inquiétude présente, de leur malheur et de leur fonds d’angoisse. » [253] Dans ce texte qui date de 1929, il ne fait pas de doute que ces moyens d’extermination mutuelle gagnés par la maîtrise de la nature étaient, dans l’esprit de Freud, constitués par les armes modernes dont les armées européennes étaient en train de se doter ; il n’avait pas prévu cet impensable qui surgirait dix ans plus tard : le génocide des juifs d’Europe.
224Il me paraît donc aujourd’hui nécessaire d’interroger, du point de vue de la honte, le processus civilisateur dont la culture occidentale se veut porteuse, et qui, avec les exterminations de masse que notre fin de siècle a connues, a rencontré un impensable. De ce point de vue, je formule l’hypothèse d’une honte par nous-mêmes ignorée, gui est liée à cet impensable. Il me revient ainsi en mémoire le sentiment de malaise profond – peut-être même de honte – que j’avais ressenti, en 1998, en regardant à la télévision la cérémonie de clôture du festival de Cannes qui voyait, cette année-là, le Grand Prix du Jury récompenser le film de Roberto Benigni La vie est belle [254]. Ce soir-là, sur la scène du Palais des festivals, Benigni, dans un état d’exaltation psychique et avec une agitation motrice impressionnantes, recevait son prix, entraînant l’assistance dans ce que j’ai personnellement interprété comme un mouvement de triomphe maniaque ; quelle honte cachée se manifestait-elle ainsi ?
225Ce film, chacun s’en souvient, mettait en scène un juif italien et son fils dans un camp d’extermination, celui-ci laissant penser à celui-là qu’ils se trouvaient dans une sorte de parc d’attractions, en train de jouer à un grand jeu collectif dont le vainqueur gagnerait un char d’assaut. Je peux comprendre ce qui a ému critiques et spectateurs : le désir de ce père de protéger son fils de l’horreur concentrationnaire. Mais, en réalisant ce film, Benigni a été sans doute le premier réalisateur contemporain à proposer une vision des camps de concentration dans laquelle le ressort essentiel de l’histoire narrée s’appuie sur une contradiction que j’avais alors trouvée insoutenable : le ressort dramatique de ce film qui repose sur la description des efforts désespérés d’un père qui tente de créer pour son fils une aire de jeu qui permette à ce dernier d’échapper à l’horreur de l’univers concentrationnaire, et qui y réussit, me paraît être, dans son essence, négationniste, en ce sens qu’il déniait le projet central de cet univers qui subordonnait l’extermination à une terreur constante, excluant toute aire de jeu, et que tous les rescapés ayant écrit sur les camps – de Primo Levi à Robert Antelme, en passant par Bruno Bettelheim – ont décrit avec force et netteté.
226Il y a d’ailleurs dans ce film une scène terrifiante, en ce qu’elle montre la folie de ce projet paternel : le père est en train de travailler dans un sinistre atelier, et son fils vient en pleurant lui dire qu’on veut forcer les enfants à prendre une douche, et que lui s’est caché parce qu’il ne veut pas se laver. « Tu dois prendre ta douche », répond le père, comme si, dans ce moment-là, l’horreur reprenait le dessus, et que ce projet paternel apparaissait enfin pour ce qu’il est : pure culture maniaque de l’instinct de mort... La honte que j’ai éprouvée est liée en partie au sentiment d’exclusion et de solitude vécu lorsque j’exposais à des proches ce point de vue très critique ; elle a été redoublée par l’éprouvé que se vérifient, dans l’accueil public fait à ce film, les vues de Freud sur la psychologie des masses : tout s’est passé en, effet comme si le public avait été entraîné par l’aspect maniaque de cette narration, au point d’en gommer toute l’horreur qui y est perceptible. On pourrait penser que j’exagère... Mais qu’on se rappelle : à la fin du film, le camp est délivré, le père tué, et le fils s’éloignant sur les routes avec sa mère, dit à cette dernière : « Nous avons gagné ! » Amère et terrible victoire œdipienne qui rencontre ici le réel [255]... J’ajoute que la préface de Benigni au livre de Vincenzo Cerami qui contient les dialogues du film [256] confirme une fois encore les liens que j’ai soulignés entre honte et mouvement maniaque :
227« Permettez-moi de commencer par un effluve de satisfaction, que je répands sur vous avec toute la joie possible, car c’est la première fois que je parle de cette histoire, et c’est pour moi une émotion qui me dilate les poumons, me fend le thorax, m’éventre les côtes et m’emplit tout le cœur d’une bien douce sensation. C’est comme être enceinte, les chairs deviennent plus belles ; les oreilles s’allongent, les mollets prospèrent, le lobe s’amuse, la malléole s’élargit et tout l’intrinsèque du corps se diffuse dans la joie de la vie elle-même, car, pour un homme, faire un film c’est comme tenir un rôle puerpéral [...]. »
228Nous ne pouvons aujourd’hui que nous interroger sur les raisons profondes d’un aveuglement devant la honte inconsciente dont ce film, et l’accueil qui lui fut fait témoignent ; je rappelle que l’admirable livre de Primo Levi, Si c’est un homme, ne trouva pas de lecteurs au moment de sa parution, et qu’il n’y a que très peu de temps que les générations qui ont suivi prennent connaissance de ce témoignage [257] : devant ce refus de savoir, n’est-il pas possible d’évoquer une honte méconnue, déniée, expulsée ?
229J’ai, dans un travail antérieur, développé l’idée selon laquelle la sublimation a une double valence – du côté d’Éros comme de Thanatos [258] : le film de Benigni me paraît, de ce point de vue, assez exemplaire d’une « sublimation de mort » mise au service d’un pacte dénégatif, analogue à celui que j’ai défini pour la honte des frères.
230Mais, à mon sens, le Kulturarbeit – l’exigence de travail de civilisation dans le champ psychique – est parcouru lui aussi par cette double valence : le terme est d’ailleurs proche de termes tels que Kulturkampf, terme repris parfois, mais ironiquement, par Freud à... Bismarck, et aussi de révolution culturelle, épisode historique dont on sait aujourd’hui quelles sinistres réalités elle recouvrit ; nous retrouvons ici une des apories de la civilisation, et du malaise qui lui est consubstantiel : si le lien social de masse est une opération essentiellement narcissique puisque résultant d’une identification entre les hommes avec le leader – ce que la langue allemande nomme Führer –, il n’est alors référable qu’à l’Idéal du Moi et au Moi-plaisir purifié, débarrassé de tout déplaisir ; on peut dès lors penser que cette question de la purification est consubstantielle, sur le plan inconscient, de tout système de pensée qui se proposerait comme horizon le souverain bien de tous les hommes, et qu’encore une fois la honte et son déni en sont l’horizon.
3 / La honte et la science : quand l’idéologie s’en mêle...
231Freud, lui-même, n’est pas exempté de cette problématique idéologique du « souverain bien » :
232« C’est notre meilleur espoir pour l’avenir que l’intellect-esprit scientifique, la raison, parvienne avec le temps à la dictature [259] dans la vie psychique de l’homme (...) La contrainte commune d’une telle domination [260] de la raison s’avère comme le lien unificateur le plus fort entre les hommes et ouvrira la voie à de nouvelles unifications. » Je ne puis ici que rapprocher le contenu idéologique du texte de Freud du fameux texte de 1917 : Une difficulté de la psychanalyse [261]. Comme on le sait, l’objet de ce texte est de mettre en évidence les trois grandes blessures narcissiques que la science a infligées à l’humanité : Galilée nous a montré que nous n’étions pas au centre de l’univers, Darwin que nous n’étions pas au centre de la création, et... Freud que nous n’étions pas au centre de notre Moi : tout se passe dans ce texte de 1917 comme si cette idéalisation de la raison scientifique était le seul rempart contre la blessure narcissique des croyances infantiles de l’humanité ; la théorie scientifique contre les théories infantiles : la honte combattue ici par la dictature de la raison. Il est d’ailleurs nécessaire d’examiner de plus près les conséquences de cette idéalisation de la raison chez Freud. Dans un travail de 1993 [262], Georges Pragier en a fort bien caractérisé les conséquences : Freud, pourtant grand admirateur d’Einstein, lorsqu’il se trouve confronté à la nouveauté scientifique radicale de la théorie de la relativité, ne peut la supporter ; il écrit alors : « La théorie de la relativité de la physique moderne semble leur être montée à la tête (de tels nihilistes intellectuels) [c’est] une contrepartie de l’anarchisme politique [263], peut-être une de ses émanations. » G. Pragier souligne ainsi à quel point Freud critique ces innovateurs de la même façon que lui-même, Copernic ou Darwin avaient été critiqués ; il fait remarquer qu’il est ainsi en contradiction avec son propre point de vue, celui qui lui faisait écrire :
233« Dans le domaine des sciences, il ne devrait pas avoir de place pour la crainte du nouveau. Éternellement incomplète et insuffisante, la science est portée à chercher son salut dans des découvertes et des interprétations nouvelles. » G. Pragier postule ainsi chez Freud, à partir de ces constatations, l’existence d’un narcissisme des grandes différences : les scientifiques démontrent, avec la relativité et la physique quantique, que l’univers n’obéit plus (seulement) aux lois logiques de la raison. Pour lui, pour qui la raison est un rempart contre les exigences tyranniques du ça et contre la toute-puissance de l’animisme, il y a là une menace, et la mise en place d’une défense idéologique par le recours défensif à une raison positiviste.
234Il faut cependant souligner que dans Malaise dans la culture, Freud note :
235« II ne paraît pas qu’on puisse amener l’homme, par quelque moyen que ce soit, à troquer sa nature contre celle d’un termite ; il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle contre celle de la masse (...) La pulsion agressive... l’hostilité d’un seul contre tous et de tous contre un seul s’oppose à ce programme de la civilisation (...) Cette pulsion agressive est la descendante et la représentation principale de l’instinct de mort. » Cela apparaît donc comme un éloge fait par Freud de la déliaison au service de la liaison, contre le lien social, contre le Kulturarbeit, et l’on voit alors comment, entre sujet et objet, entre individu et groupe, entre Sur-moi et Idéal du Moi, entre pulsion de vie et pulsion de mort se déploie le malaise de la civilisation et comment la dialectique de la honte et de la culpabilité est structurellement présente au cœur de ce malaise.
4 / De la théorie de la honte á la honte 4 / dans le processus théorisant : un exemple chez Winnicott
236On peut déjà entrevoir, à travers ces destins de la sublimation que je viens de rappeler, combien sont conflictuels les liens du sujet théorisant – le psychanalyste –, pris entre les exigences de son individualisme et celles de son groupe d’appartenance, sa soumission aux idéaux culturels et sa révolte contre leur poids. Je vais en développer un exemple précis qui apparaît, sous la plume de Winnicott, dans un chapitre de Jeu et réalité ; il y écrit :
237« Freud n’a pas, dans sa topique de l’esprit, fait de place à l’expérience des choses culturelles. Il a donné une nouvelle valeur à la réalité psychologique intérieure et, par là, une nouvelle valeur aux choses qui existent véritablement dans le monde extérieur. Il a certes utilisé le mot de “sublimation” pour indiquer la place où l’expérience culturelle prend tout son sens, mais sans aller jusqu’à nous désigner le lieu psychique où réside cette expérience. » [264]
238Cette affirmation surprend, parce qu’elle présente en fait deux affirmations différentes, l’une vraie – Freud ne nous a pas désigné le lieu psychique où réside l’expérience culturelle – et l’autre fausse – Freud n’a pas, dans sa topique de l’esprit, fait de place à l’expérience des choses culturelles –, ces deux affirmations étant d’ailleurs présentées comme équivalentes ; de sorte qu’en lisant Winnicott ici, je suis pris d’une sorte d’incrédulité : c’est comme s’il n’avait pas lu Totem et tabou, Le moi et le ça, Psychologie collective et analyse du moi, Malaise dans la civilisation, L’homme Mo ïse et la religion monothéiste. J’en suis d’autant plus étonné que Winnicott développe dans ce chapitre des vues sur le traumatisme qui sont directement inspirées des textes de Freud de la même période. Comme je ne puis penser sérieusement plus longtemps à cette hypothétique ignorance, je me sens contraint de chercher plus avant dans le texte de Winnicott ce qui permettrait de comprendre ce qui se donne à voir comme une « impasse » ; je lis alors, dans la suite du texte, ceci ; dont je souligne les points importants :
239« Peut-être en ai-je assez dit pour montrer à la fois ce que je sais et ne sais pas touchant le sens du mot culture. Cependant un problème latéral m’intéresse, le fait que, dans tout champ culturel, il est impossible d’être original sans s’appuyer sur la tradition. À l’inverse, il n’est personne parmi ceux qui contribuent à la culture pour simplement répéter – sauf quand il s’agit d’une citation délibérée ; le péché impardonnable, dans le domaine culturel, c’est le plagiarisme. Le jeu réciproque entre l’originalité et l’acceptation d’une tradition, en tant qu’il constitue la base de la capacité d’inventer, me paraît simplement être un exemple de plus, et fort excitant pour l’esprit, du jeu réciproque entre la séparation affective et l’union. »
240Dans cet extrait, Winnicott dit aborder de façon latérale la question de la filiation culturelle dans sa complexité, alors même qu’il est pour lui question de montrer ce qu’il sait et ne sait pas. En d’autres termes l’interrogation qui était mienne à partir de sa première citation – « a-t-il lu les écrits culturels de Freud ? » – est au cœur de ses préoccupations non pas latérales, mais... centrales ! Je comprends mieux en effet maintenant pourquoi le mot « impasse » est venu sous ma plume : c’est un peu comme si Winnicott se situait comme un étudiant en train de passer un examen, situation dans laquelle il s’agit toujours de montrer ce qu’on sait à quelqu’un qui cherche à savoir... ce qu’on ne sait pas, l’enjeu symbolique étant de savoir si on est digne d’être comme lui ! La suite de l’argumentation de Winnicott va dans ce sens : il ne s’agit pas, dans le champ culturel, de faire le lien entre tradition et nouveauté ; il s’agit, nous dit-il, de l’acceptation de la tradition. Acceptation qui paraît ici non assumée sur le plan conscient, alors qu’elle l’est sur le plan inconscient. En effet, en termes freudiens, via cette référence à l’opposition originalité ou acceptation de la tradition, c’est la question de l’identification au père, du Sur-moi paternel qui est ainsi évoquée. [Je cite à nouveau l’extrait concerné, pour que le lecteur puisse suivre ma démonstration] : « En ai-je assez dit pour montrer à la fois ce que je sais et ne sais pas [265] touchant le mot culture. Cependant un problème latéral m’intéresse, le fait que dans tout champ culturel il est impossible d’être original sans s’appuyer sur la tradition. » [266] On perçoit mieux alors la valeur économiquement défensive de l’emploi du mot « latéral » : la question de l’identification au père se pose doublement, et par le biais des références théoriques implicites, et par le biais de la première partie de la citation, relative à Freud, que je rappelle également : « Freud n’a pas, dans sa topique de l’esprit, fait de place à l’expérience des choses culturelles. Il a donné une nouvelle valeur à la réalité psychologique intérieure, et, par là, une nouvelle valeur aux choses qui existent. véritablement dans le monde extérieur. Il a certes utilisé le mot de “sublimation” pour indiquer la place où l’expérience culturelle prend tout son sens, mais sans aller jusqu’à nous désigner le lieu psychique où réside cette expérience. »
241J’ajoute enfin qu’il n’est pas indifférent de resituer ces citations dans leur contexte : il s’agit de propos tenus par Winnicott lors d’un banquet qui marquait, en 1966, l’achèvement de la publication de la Standard Edition des Œuvres de Freud sous la direction de J. Strachey, qui a été également l’analyste de Winnicott. Ainsi, c’est au moment même ou toute l’œuvre est disponible que tout un pan en semble ignoré par celui-là même qui lui rend hommage : l’ambivalence – mais nous ne nous en étonnerons pas, sauf à une idéalisation dénégatoire – semble ici jouer à plein régime. Une part de l’explication de cet étrange aveuglement de Winnicott peut être comprise à partir d’une lettre à E. Jones du 22 juillet 1952, qu’il me paraît intéressant de citer presque in extenso :
242« Je vous ai été très reconnaissant de votre lecture et de votre commentaire de ma conférence “Qu’est-ce que la psychanalyse ?”. Il est étrange qu’une stupidité : mes mots “pas très volumineux”, s’y soit faufilée. Peut-être l’explication de cette incongruité vous intéressera-t-elle. En dix ans d’analyse, Strachey ne fit pratiquement pas de faute et se tint à une technique classique avec un sang-froid dont je lui ai toujours été reconnaissant. Il lui arriva cependant de dire deux ou trois choses qui n’étaient pas des interprétations à un moment où il fallait une interprétation. Chacune de ces choses dites m’a tracassé et, à un moment ou à un autre, est sortie d’une façon inattendue. Un jour, au lieu de faire l’interprétation que je peux à présent facilement me faire moi-même, au sujet de mes inhibitions à lire Freud, il chercha à me persuader de faire un effort, avec ces mots : “Après tout, la partie que vous avez besoin de lire n’est pas très volumineuse.” [267] En vérité, je suis furieux d’avoir autorisé ceci à ressortir, et je vais rayer ces mots dans tous les exemplaires que j’envoie. » [268]
243Denys Ribas, à qui cette lettre de Winnicott n’a pas échappé, l’analyse de façon très pertinente : « Que l’on prenne le sens sexuel latent, sur le volume modeste de la partie dont Winnicott aurait besoin, ou le sens premier, désagréable de la part du traducteur [i.e. Strachey] qui a, lui, besoin de tout lire du texte freudien et y fait face, la blessure narcissique est indéniable. C’est en tout cas l’indice d’un sentiment d’infériorité chez le patient et d’un contre-transfert apitoyé de l’analyste. » [269] Cette remarque de Denys Ribas confirme a posteriori que la problématique de la honte inconsciente est centrale dans cet extrait de Winnicott que j’ai choisi de commenter.
244Si j’ai développé un peu longuement les réflexions que ce passage de Winnicott m’a inspirées, c’est parce que j’y vois un exemple emblématique des difficultés dans lesquelles les successeurs de Freud sont pris, et qui sont constitutives de notre « malaise dans la théorisation ». Je me souviens avoir lu, il y a bien des années, dans un Bulletin de la Fédération européenne de psychanalyse un texte dans lequel Bela Grunberger évoquait « l’ombre immense de Freud » ; je pense aujourd’hui que se trouvaient contenues dans l’expression de B. Grunberger des indications de ce qui fait notre difficulté à théoriser : théoriser en restant dans l’ombre de Freud, ne serait-ce pas alors rendre impossible, imaginairement, notre vœu de sortir de l’ombre, d’être reconnus comme successeurs ? Ne serait-ce pas être condamnés à une création théorique mélancolique dans laquelle l’ombre de la théorie freudienne tomberait sur notre propre créativité analytique ? Sortir de l’ombre, se montrer, montrer ce que l’on sait, ne serait-ce pas alors risquer de passer sans transition, du « rêve typique d’examen » au « rêve de nudité » ? La honte est ici encore cachée au cœur du processus théorisant [270], perceptible à travers un déni a minima, assez banalement représentatif de ce qui peut s’emparer de nous lorsqu’il s’agit de sortir de l’ombre portée par Freud, lorsque nous éprouvons à quel point, parfois, Freud nous fait de l’ombre.
5 / Une forme clinique de la honte dans la théorie : 5 / l’incomplétude. (Éloge de l’impureté)
245J’ai, à plusieurs reprises, dans des écrits antérieurs, fait état de l’étonnement qu’a provoqué en moi de façon durable la revendication adressée par Ferenczi à Freud d’une analyse « complète », et qui a, me semble-t-il, hanté les analystes des générations suivantes ; il faudrait toujours plus d’analyse, de plus en plus profondément, et du côté des sphères les plus archa ïques de la psyché : on rejoint ici les remarques critiques faites par Nathalie Zaltzman [271] sur une conception « nourrissonne » de la psychanalyse, de telle sorte que je me demande aujourd’hui si la résistance à l’analyse ne se cache pas sous « les habits neufs » du narcissisme primaire et de ses avatars, tant la blessure qu’est l’interdit œdipien est finalement plus insupportable pour la psyché dans son aspect Interdit/Castration, que dans son aspect Impuissance infantile, parce que cette dernière est, du point de vue de la logique inconsciente, un absolu sans limites [272]. Sur ce point, je me demande d’ailleurs si l’idée que les limites de l’analyse peuvent être sans cesse reculées n’est pas une idée de Nourrisson Savant. Je voudrais, relativement à cette « revendication nourrissonne » de l’analyse complète, proposer deux ordres de considérations :
246La première a trait à cette extraordinaire valorisation d’une conception de l’analyse selon laquelle il faudrait sans cesse aller chercher dans les couches psychiques les plus anciennes celles qui sont relatives aux premiers temps du développement psychique, les traces d’expériences dé-symbolisées, clivées. Pour justifiée qu’elle soit, je me demande aujourd’hui si cette valorisation – je m’interroge davantage sur la valorisation idéologique de cette conception que sur la conception elle-même – n’évacue pas une des dimensions essentielles de la cure psychanalytique qui a trait à l’analyse de l’adolescence dans la cure. Dans un, ouvrage récent [273], Raymond Cahn noue invite à considérer l’adolescence, dans ses singularités cliniques et dans les singularités techniques que la cure analytique des adolescents suppose, comme un paradigme des problèmes posés à la psychanalyse contemporaine :
247« C’est à cette période [l’adolescence] que s’exacerbent les obstacles, internes et externes, à l’appropriation par le sujet de ses pensées et désirs propres, de son identité propre, où l’incessant travail de déliaison-reliaison dans tous les domaines, narcissiques et objectaux risque de se trouver compromis par l’excès de déliaison. (...) Tout semble se passer comme si la reviviscence tardive des angoisses dépressives et de séparation, amplifiées par l’affrontement au conflit œdipien et aux blessures narcissiques qui en découlent, faisait resurgir les premières angoisses jusqu’alors peu ou prou surmontées et mobilisant alors, par voie rétroactive, les mécanismes archa ïques dont le poids, en certains cas, risque de devenir déterminant. D’où le recours à la régression narcissique, à l’externalisation constante, au clivage, aux identifications empruntées, à la recherche éperdue d’une authenticité introuvable. (...) Tout se passe désormais comme si la psyché était devenue la prisonnière d’introjects hostiles ou hyper-excitants installés désormais au cœur de l’être. Les mécanismes de désinvestissement, de clivage et de déni, protection fondamentale du sujet contre le conflit, réduisent plus ou moins considérablement la possibilité pour lui d’être le sujet de ses conflits, sans oublier l’éjection hors de la psyché des tensions par l’acte, par les identifications projectives et même par les rêves et les fantasmes. » [274] On comprend, à l’évocation de ce tableau clinique, que c’est bien toute la pratique psychanalytique contemporaine qui est engagée. Et pourtant, toujours selon Raymond Cahn, « nombre d’échecs d’analyses seraient dus en fait à la non-élaboration des expériences d’adolescence. Celle-ci se verrait évitée par la privilégisation par le patient du matériel infantile contre les sentiments, bien plus vifs, de honte, de culpabilité, de blessure narcissique, etc., datant de son adolescence. » [275] On pourrait faire l’hypothèse, pour éclairer les raisons de cette constatation clinico-théorique assez mystérieuse, mais déjà faite par Anna Freud [276], que le cadre analytique représente l’équivalent symbolique et mis en quelque sorte en acte, de la problématique de l’adolescence, en ce sens qu’il actualise le potentiel de réalisation incestueuse représenté par la règle fondamentale, malgré l’interdit de l’agir, dans la mesure où l’analyste, par sa présence même, fût-elle toute de retrait, incarne une des spécificités de la problématique adolescente : la proximité d’un objet œdipien toujours excitant et interdicteur, mais avec lequel la réalisation concrète du désir incestueux serait possible. Je considère qu’on ne prend pas suffisamment en compte aujourd’hui cette donnée fondamentale dans la pratique analytique, parce que les avatars des histoires individuelles des sujets susceptibles de bénéficier d’une analyse peuvent rencontrer traumatiquement cette particularité du cadre lors de son instauration, au point d’éjecter la problématique de l’adolescence hors du champ de la cure, et d’instaurer défensivement dans le déroulement de cette dernière une analyse de l’archa ïque. Transfert de honte et honte de contre-transfert pourraient, ici, dans certaines configurations, se rencontrer...
248Une remarque de Freud dans l’Abrégé de psychanalyse est importante pour conclure mon propos : « Nous disons que dans toute psychose existe un morcellement du moi, et si nous tenons tant à ce postulat, c’est qu’il se trouve confirmé dans d’autres états plus proches des névroses et finalement de ces dernières aussi. » [277] Ce point de vue de Freud est capital en ce qu’il postule une continuité entre névroses et psychoses : d’une façon plus générale, les réévaluations permises aujourd’hui par la prise en compte de toute la métapsychologie freudienne nous invitent à penser ensemble, les conflits psychiques liés, et aux aspects libidinaux de la psyché, et aux aspects liés à la destructivité, qui se rencontrent dans les combinatoires diverses chez la plupart des patients qui consultent un analyste. Il faut envisager le problème des défenses dans la même perspective : à côté des défenses classiques décrites dans la névrose, avec, au premier chef, le refoulement, il importe d’évaluer et de prendre en compte d’autres, types de défense, et notamment le clivage, le déni et l’hallucination négative, portant non plus, comme pour le refoulement, sur les avatars du désir inconscient, mais bien électivement sur les processus de pensée eux-mêmes. La clinique contemporaine montre d’ailleurs la coexistence de ces différents modes de défense, névrotiques et non névrotiques à l’œuvre chez de nombreux patients. Cette constatation nous oblige à nous interroger de façon nouvelle sur la question du conflit psychique, puisque, dans la conception de la névrose « pure », la résolution du symptôme est liée à l’analyse aussi complète que possible du conflit entre les instances psychiques, alors que, dans la conception contemporaine, le conflit n’est plus entre les instances, mais conçu, à la suite des dernières conceptions de Freud, au cœur même des instances. Dans ces conditions la question de l’opportunité de l’analyse se pose donc de façon nouvelle. En effet, le terme même d’ « analyser », implique l’idée d’une dissolution, d’une « décomposition » [278] en éléments ; on peut dès lors s’interroger sur l’effet d’une analyse trop loin et trop activement menée, de cette fameuse analyse « complète » revendiquée par Ferenczi, lorsque le moi, clivé en lui-même, ou séparé des autres instances, ne dispose pas alors de la capacité de déplacer, de transférer. Certes, dans une telle occurrence, l’analyste est conduit alors à repérer ce qui dans la psyché de l’analysant n’a pu être symbolisé et à permettre que, par le biais du jeu transitionnel, symbolisation, liaison, représentation et affect puissent advenir. Ce qui était alors du ressort de l’analyse, au sens classique de la décomposition, se déporte alors du côté de la construction au sens de Freud dans « Constructions dans l’analyse », ou de la coconstruction d’un espace analytique transitionnel [279]. Mais il faut aussi souligner que dans une telle occurrence Winnicott adresse aux analystes une mise en garde : ils « doivent éviter [dit-il], de créer un sentiment de confiance et une aire intermédiaire où le jeu peut trouver sa place, pour ensuite gonfler cette aire en y injectant des interprétations qui, en réalité, ne sont que le produit de leur propre imagination créatrice » [280], [281]. Et pourtant, il est souhaitable que l’analyse permette la levée des clivages, ou le désenclavement de ce qui est du registre de l’isolation... J’ai encore en mémoire un échange personnel avec une collègue qui me disait, à propos d’un événement de son histoire dans lequel la honte était au premier plan : « Tu penses bien que ça, je n’en ai pas parlé à mon analyste !... » [282] Il aurait pourtant été souhaitable que l’analyse ait pu autoriser la survenue de la honte comme problématique psychique au lieu de la laisser à l’état traumatique.
249Pour ma part, je conçois l’analyse comme nécessairement « incomplète », laissant sa part à l’inconnu, ou mieux encore, à la relation d’inconnu [283], et à l’irreprésenté : quelque chose dans l’analyse se passe, dans le meilleur des cas, dans cette aire transitionnelle au sein de laquelle deux psychés se rencontrent, sans participation du langage : silencieusement. Il y a alors passage d’un pacte dénégatif à un authentique partage psychique : en d’autres termes si l’analyste porte – et supporte –, pour lui et son analysant, l’idée non idéale de l’incomplétude de l’analyse, simple conséquence de l’incomplétude humaine, alors la honte, comme affect et comme questionnement, peut advenir authentiquement dans l’analyse et commencer à être ainsi défaite. Cette défaite silencieuse de la honte n’est pas une de ses moindres énigmes car si, dans la cure, la règle fondamentale est prescription de vérité, de mise à nu, et convoque ainsi nécessairement la honte, le partage psychique silencieux, lui, permet une mutation profonde qui n’est pas soutenue par l’art de l’interprétation, mais bien d’abord par la présence et l’écoute de l’analyste : lorsque le dire de la honte étayé par cette présence silencieuse peut advenir, cette défaite est, pour ainsi dire, consommée.
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Mots-clés éditeurs : Honte secondaire, Métapsychologie, Culpabilité, Honte primaire, Honte originaire, Civilisation
Notes
-
[1]
Mes italiques.
-
[2]
Mes italiques.
-
[3]
J. Chasseguet-Smirgel (1984), Éthique et esthétique et la perversion, Seyssel, Champ Vallon, p. 24.
-
[4]
Mes italiques.
-
[5]
S Freud (1926), La question de l’analyse profane, Paris, Gallimard, 1985.
-
[6]
W. Kinston (1983), A theorical context for shame, in Int. J. Psycho-Anal., vol. 64, p. 212-226.
-
[7]
Mes italiques.
-
[8]
P. 212 (ma traduction).
-
[9]
Ibid.
-
[10]
Ibid.
-
[11]
A. Bourguignon, P. Cotet, J. Laplanche, F. Robert (1989), Traduire Freud, Paris, PUF.
-
[12]
Que je tiens à remercier ici de son aide amicale et généreuse.
-
[13]
Notamment dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910), Leçons d’introduction à la psychanalyse (1916), Inhibition, symptôme et angoisse (1926).
-
[14]
Mes italiques.
-
[15]
Mes italiques.
-
[16]
Mes italiques.
-
[17]
S. Freud (1913), Le début du traitement, in La technique psychanalytique (1977), Paris, PUF.
-
[18]
Mes italiques.
-
[19]
Liens qui sont au centre des Confessions de J.-J. Rousseau, ouvrage capital sur la honte : le mot y revient à 22 reprises...
-
[20]
In OCP, t. III, Paris, PUF.
-
[21]
O. Mannoni (1982), Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Le Seuil.
-
[22]
Notons toutefois que S. Tisseron (1992) a souligné les points d’émergence d’une telle théorie dans son ouvrage : La honte. Psychana1yse d’un lien social, Paris, Dunod.
-
[23]
S. Ferenczi (1933), Confusion de langue entre l’enfant et l’adulte, in Psychanalyse, no 4, 1982, Paris, Payot.
-
[24]
H. Hartmann et R. Loewenstein, Notes sur le Surmoi, in Psychoanalytical Study of Child, t. 17, p. 42-81.
-
[25]
H. Kohut (1971), The Analysis of the Self, New York, New York Univ. Press.
-
[26]
H. Kohut, Réflexions sur le narcissisme et la rage narcissique, in RFP, t. XLVII, no 4, 1978.
-
[27]
Voir également A. Oppenheimer (1996), Kohut et la psychologie du self, Paris, PUF, ainsi que Heinz Kohut, Paris, PUF, « Psychanalystes d’aujourd’hui », 1998.
-
[28]
W. Kinston, op. cit., voir p. 216 s.
-
[29]
V. de Gaulejac (1996), Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer.
-
[30]
J. Furtos, C. Laval (1998), L’individu postmoderne et sa souffrance dans un contexte de précarité. Introduction à une clinique de la disparition, in Confrontations psychiatriques, no 39, p. 373-398.
-
[31]
C. Dejours (1998), Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil.
-
[32]
I. Hermann (1943), L’instinct filial, Paris, Denoël, 1972.
-
[33]
S. Tisseron (1992), La honte. Psychanalyse d’un lien social, Paris, Dunod.
-
[34]
Voir, en particulier, Deuil et mélancolie (OCP, t. XIII), ainsi que l’évocation d’un cas de parano ïa dans Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense (OCP, t. 111), Un cas de parano ïa contredisant la théorie (OCP, t. XIII) et Le président Schreber, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF.
-
[35]
M. de M’Uzan (1972), Un cas de masochisme pervers. Esquisse d’une théorie, in La sexualité perverse, Paris, Payot.
-
[36]
Et même avant Freud : Pierre Bourdier m’a ainsi signalé l’importance des considérations d’Havelock Ellis sur cette question.
-
[37]
Je voudrais signaler en outre l’existence de travaux psychanalytiques non publiés à ce jour : Jacques Miedzirzecki, qui dirige un séminaire à Toulouse sur cette question et y a consacré un beau texte : Les surprises de la honte ; Alain Ferrant qui, en collaboration avec A. Ciccone, prépare un ouvrage sur la honte, élaboré dans le cadre d’une recherche universitaire à l’Université de Lyon II : Jean-Claude Sempé, qui y a consacré depuis longtemps des développements pénétrants, notamment dans un séminaire au Collège de philosophie en 2000-2001.
-
[38]
A. Green (1982), Après-coup l’archa ïque, in La folie privée, Paris, Gallimard, 1990.
-
[39]
Cf. Inhibition, symptôme et angoisse, t. XVII des OCP, p. 255.
-
[40]
R. Emde. D. Oppenheim, La honte, la culpabilité et le drame œdipien : considérations développementales à propos de la moralité et de la référence aux autres, in Devenir, no 4, vol. 14, 2002.
-
[41]
Mes italiques.
-
[42]
Ibid.
-
[43]
OCP, t. XIX, p. 148.
-
[44]
C’est moi qui souligne.
-
[45]
Cette orthographe, employée ici par J.-L. Donnet, à la suite de J. Derrida, insiste sur l’importance de ce qui est différé.
-
[46]
Mes italiques.
-
[47]
O. Fenichel, The Psychoanalytic Theory of Neuroses, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1946.
-
[48]
S. Lebovici (1995), Quelques notes sur la genèse et l’évolution du Surmoi, in Surmoi II. Les développements postfreudiens, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[49]
Alain Fine a souligné, en 1989, « le recours (...) au sentiment de honte massive plutôt qu’au dévoilement insupportable de la culpabilité », in Bulletin de la SPP, no 15, « Entre honte et culpabilité, une enquête », avril 1989.
-
[50]
Cf. Inhibition, symptôme et angoisse (1926).
-
[51]
A. Green (1973), Le discours vivant, Paris, PUF, 1973, p. 54.
-
[52]
Mon commentaire entre crochets.
-
[53]
Ibid., p. 64.
-
[54]
In Inhibition, symptôme et angoisse (1926).
-
[55]
J. Chasseguet-Smirgel (1975), L’Idéal du Moi, Paris, Tchou.
-
[56]
Ibid., p. 51.
-
[57]
Mes italiques. On peut se demander si l’on ne pourrait pas aussi bien parler ici du Sur-moi.
-
[58]
A. Freud, Le normal et le pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968.
-
[59]
Cf. la formule de Freud dans les Trois essais : « Trouver l’objet sexuel n’est en somme que le retrouver. »
-
[60]
P. 56-57.
-
[61]
P. 60.
-
[62]
Paris, Payot, 1975.
-
[63]
P. 75.
-
[64]
J. Guillaumin (1973), Honte, culpabilité, dépression, in RFP, t. XXXVII, no 5-6.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
G. D. Painter (1965), Marcel Proust, Paris, Mercure de France, 1966 (2 tomes).
-
[67]
Cf. n. 5, p. 1667.
-
[68]
J. Guillaumin, op. cit., p. 994.
-
[69]
Ibid., p. 1003.
-
[70]
In F. Pasche (1968). De la dépression, in À partir de Freud, Paris, Payot, 1969.
-
[71]
Je rappelle ici qu’on pourrait schématiquement distinguer, à la suite de Grunberger deux destins de la libido : un destin réunissant Œdipe-Sur-moi-Culpabilité-Angoisse de castration, le tout représentant l’économie névrotique, et un destin réunissant Narcissisme - Idéal du Moi - Honte - Angoisse de perte d’objet, le tout représentant l’économie dépressive. On sait que la psychanalyse contemporaine ne sépare plus distinctement les deux lignées. Pour l’indiquer d’un mot, il y a, depuis vingt-cinq ans malgré leurs différences une continuité certaine entre les travaux portant sur les états limites : je pense en particulier à ce qui unit, dans leurs différences, les travaux de Jean Bergeret et ceux d’André Green, dit point de vue des liens existants entre ces deux types d’économie.
-
[72]
F. Pasche, op. cit., p. 182.
-
[73]
Mes italiques.
-
[74]
Op. cit., p. 187.
-
[75]
Mes italiques.
-
[76]
S. Freud (1913), Totem et tabou, in OCP, t. XI, Paris, PUF, 1998, p. 362.
-
[77]
Mes italiques.
-
[78]
Ibid., p. 363.
-
[79]
OCP, p. 63.
-
[80]
Bien que le thème de la pédophilie de La ïos ait fait l’objet d’un numéro de la RFP (t. LVII, no 2, 1993).
-
[81]
S. Freud (1939), L’homme Moise et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, 1986.
-
[82]
Mes italiques.
-
[83]
S. Freud, op. cit., p. 147.
-
[84]
Ibid., p. 8.
-
[85]
Ibid.
-
[86]
Mes italiques.
-
[87]
S. Freud, op. cit., p. 151.
-
[88]
Mes italiques.
-
[89]
Ibid.
-
[90]
Ibid.
-
[91]
R. Kaës (1993), Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod.
-
[92]
Cf. ce passage déjà cité supra : « Ils révoquaient leur acte en déclarant défendue la mise à mort du substitut paternel, du totem, et renonçaient à ses fruits, en se refusant les femmes devenues libres. Ils créaient ainsi à partir de la conscience de culpabilité du fils les deux tabous fondamentaux du totémisme, qui pour cette raison même ne pouvaient que concorder avec les deux souhaits refoulés du complexe d’Œdipe. »
-
[93]
Mes italiques.
-
[94]
R. Kaës, op. cit., p. 274.
-
[95]
D. Braunschweig et M. Fain (1971), Éros et Antéros. Réflexions psychanalytiques sur la sexualité, Paris, Payot.
-
[96]
Mes italiques.
-
[97]
OCP, t. XVI, p. 42-43.
-
[98]
D. Lagache (1958), La psychanalyse et la structure de la personnalité, in La psychanalyse, t. VI, p. 43
-
[99]
C. Couvreur (1991), D’un trouble à l’autre (réponse à Annette Fréjaville), in RFP, t. LV, no 5, 1991, p. 1171-1175.
-
[100]
On entrevoit ici les différences cliniques entre les manifestations de honte qui accompagnent soit l’homosexualité dont l’objet du désir inconscient est le père, soit l’homosexualité dont la mère est l’objet du désir inconscient. C’est peut-être autour de cette remarque que les liens que je proposais plus haut entre petite et grande honte, d’une part, et petite et grande sublimation, d’autre part, trouvent ici un champ de pertinence...
-
[101]
Changement d’objet dont Bernard Chervet a décrit avec talent les avatars, les impossibilités et leurs conséquences dans Dandysme et confection de fétiche ou comment habiller un vide, in RFP, t. LVIII, no 2, 1994.
-
[102]
Mes italiques.
-
[103]
Un enfant est battu, OCP, t. XV, p. 119.
-
[104]
Ibid., p. 130-131.
-
[105]
Ce texte annonçant ainsi Le problème économique du masochisme.
-
[106]
Cf. notamment : Psychologie des masses et analyse du moi, OCP, t. XVI, p. 44-45. « Quand, par exemple, une des jeunes filles d’un pensionnat a reçu, de celui qui est secrètement aimé, une lettre qui excite sa jalousie et à laquelle elle réagit par un accès hystérique, quelques-unes de ses amies, au courant du fait, vont attraper cet accès par la voie de l’infection psychique, comme nous disons. Le mécanisme est celui de l’identification sur la base d’un pouvoir se mettre ou d’un vouloir se mettre dans la même situation. Les autres aimeraient aussi avoir un rapport amoureux secret et sous l’influence de la conscience de culpabilité, elles acceptent aussi la souffrance qui y est liée. Il serait inexact d’affirmer qu’elles s’approprient le symptôme à partir d’un sentiment partagé. Au contraire, le sentiment partagé n’apparaît qu’à partir de l’identification, et la preuve en est qu’une telle infection ou imitation s’instaure également dans des circonstances où il faut admettre, entre les deux personnes, une sympathie préexistante bien moindre que celle qui existe habituellement entre des amies de pension. L’un des moi a perçu dans l’autre une analogie significative sur un point, qui est dans notre exemple la même propension sentimentale ; il se forme là-dessus une identification sur ce point et, sous l’influence de la situation pathogène, cette identification se déplace, devenant le symptôme que l’un des moi a produit. L’identification par le symptôme devient ainsi l’indice d’un lieu de recouvrement des deux moi, qui doit être maintenu refoulé. »
-
[107]
Mes italiques.
-
[108]
Malaise dans la culture, in OCP, t. XVIII, p. 287.
-
[109]
C. Barazer (2000), Hontes sans issue, in Bulletin intérieur de l’Association psychanalytique de France, « Documents et débats », no 52.
-
[110]
C’est-à-dire : l’excrément.
-
[111]
Mes italiques.
-
[112]
Ibid.
-
[113]
S. Freud (1908), Les théories sexuelles infantiles, in La rie sexuelle, Paris, PUF, 1973.
-
[114]
Cet aspect a été fort bien vu par D. Maugendre (2000) : La honte : un sentiment déraisonnable, in Bulletin intérieur de l’Association psychanalytique de France, « Documents et débats », no 52.
-
[115]
P. 277, n. 1.
-
[116]
Mes italiques.
-
[117]
Cette idée, on le verra dans le chapitre suivant, a été développée par Jean-Claude Lavie. Elle est actuellement prise en considération par les psychologues, de façon intéressante. Ainsi, Klaus Scherer, professeur à l’Université de Genève, écrivait récemment : « La honte est une émotion socialisante par excellence (...) Il n’est donc pas surprenant que l’évocation de la honte soit utilisée comme moyen de socialisation : “Est-ce que tu n’as pas honte de faire ça ?” Il est intéressant de noter que non seulement cette technique de socialisation mais aussi le phénomène de la honte elle-même semblent en voie de disparition » (Conférence à l’Université de tous les savoirs, Paris, 1er novembre 2001).
-
[118]
Mes italiques.
-
[119]
Selon la traduction de la Bible de Jérusalem.
-
[120]
Je signale d’ailleurs que, dans un ouvrage paru en novembre 2002 aux PUF, Quand la pudeur prend corps, Josée Morel Cinq-Mars soutient, de façon intéressante, un point de vue opposé. Je note toutefois qu’elle est conduite (p. 196), sans doute pour les besoins de sa démonstration, à traduire la « honte » de la fameuse note de Malaise dans la culture par « pudeur »...
-
[121]
Mes italiques.
-
[122]
A. Jeanneau (1997), Pour une clinique psychanalytique de la phobie, in Peurs et phobies, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[123]
A. Ferrant (2001), Le reste de terre, in Œuvre de J. Guillaumin, Paris, In Press. 2003 (à paraître).
-
[124]
Mes italiques.
-
[125]
S. Freud (1905), Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Paris, Gallimard, p. 189.
-
[126]
Rapport au LIXe CPLF, in RFP, t. LXIII, no 5, 1999, p. 1445-1488.
-
[127]
R. Roussillon, Les paradoxes et la honte d’Œdipe, in Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF, 1991.
-
[128]
Mes italiques.
-
[129]
Voir le texte sur les phobies cité dans cet ouvrage.
-
[130]
Cf. P. Denis, Emprise et théorie des pulsions, Rapport au LIIe CPLF, Rome, 1992, ainsi que Emprise et satisfaction, les deux formants de ici pulsion (1998), Paris, PUF, « Le Fil rouge », dont les conceptions sont essentielles pour mon propos.
-
[131]
Mes italiques.
-
[132]
Mes italiques.
-
[133]
Psychanalyse, IV, p. 78.
-
[134]
In P. Mazet et al., Émotions et affects chez le bébé et ses partenaires, Paris, Eshel, 1992.
-
[135]
Mes italiques.
-
[136]
R. N. Emde, op. cit., p. 86-87.
-
[137]
René Thom a montré qu’il était possible de représenter mathématiquement une discontinuité, une rupture dans un système, en partant de l’hypothèse fondamentale qu’une forme, ou une « apparence qualitative », est le résultat d’une discontinuité. Ainsi ce qui engendre la continuité de la structure, c’est la discontinuité qui y surgit.
-
[138]
Dans Figurabilité et régrédience (rapport au LXIe CPLF), RFP, t. LXVI, no 5, 2001.
-
[139]
P. Luquet (1962), Les identifications précoces dans la structuration et la restructuration du moi, RFP, numéro spécial Congrès (1963).
-
[140]
Cette culpabilité primaire se conçoit. bien entendu, sans l’existence du Sur-moi au sens classique ; il faut postuler ici son lieu avec l’imago, en ayant présentes à l’esprit les considérations de P. Denis sur cette question ; pour lui, le Sur-moi précoce tel que Melanie Klein le décrit est davantage de l’ordre d’une imago que de celui d’une instance, cf. D’imago en instances : un aspect de la morphologie du changement, in RFP, t. LX, no 4, 1996.
-
[141]
Le chaud et le froid : les logiques du traumatisme et leur gestion dans la cure psychanalytique, in RFP, t. XLIX, no 2, 1985.
-
[142]
Cf. Paul Denis, Emprise et théorie des pulsions, Rapport au LIIe CPLF, Rome, 1992, ainsi que Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion, Paris, PUF, « Le Fil rouge », 1998.
-
[143]
Cf. Contenir par le contact. Encadrer par l’hallucinatoire, in RFP, t. LXV, no 4, 2001.
-
[144]
J. Laplanche (1987), Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, PUF.
-
[145]
R. Roussillon (2001), Le plaisir et la répétition, Paris, Dunod.
-
[146]
Cf. P. Denis, États de passivité, in RFP, t. LXIII, no 5, 1999, p. 1577-1585.
-
[147]
Mes italiques.
-
[148]
P. Denis, op. cit., p. 1581-1582.
-
[149]
A. Green. Passivité-passivation : jouissance et détresse, in RFP, t. LXIIL no 5, 1999.
-
[150]
D. Ribas, Passivité de vie, passivité de mort, in RFP, t. LXIII, no 5, 1999.
-
[151]
C. et S. Botella, Sur la carence auto-érotique du parano ïaque, in RFP, t. XLVI, no 1, 1982.
-
[152]
Ibid., p. 72-73.
-
[153]
M. de M’Uzan (1994), Les esclaves de la quantité, in La bouche de l’inconscient, Paris, Gallimard.
-
[154]
S. Freud (1924), Le problème économique du masochisme, in OCP, t. XVII, Paris, PUF, 1992, p. 15-16.
-
[155]
C. Janin (1985), Le chaud et le froid : les logiques du traumatisme et leur gestion dans la cure psychanalytique, in RFP, t. LXIX, 2.
-
[156]
B. Rosenberg (1991), Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[157]
Idée entrevue également par A. Ferrant, et qui apparaît dans les toutes dernières lignes de son ouvrage Pulsion et liens d’emprise, Paris, Dunod, 2001.
-
[158]
B. Rosenberg, op. cit., p. 86.
-
[159]
F. Pasche (1983), Définir la perversion, in RFP, t. XLVII, no 1, 1983.
-
[160]
Il s’agit de Diane L’Heureux-Le Beuf.
-
[161]
S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1991.
-
[162]
Ibid., p. 99 ; mes italiques.
-
[163]
Ibid., p. 99-101.
-
[164]
Mes italiques.
-
[165]
Ibid., p. 101.
-
[166]
In OCP, t. III, p. 130.
-
[167]
Sur le plan clinique, Freud développera cette idée en 1909, dans Le petit Hans (voir infra, p. 1697).
-
[168]
Mes italiques.
-
[169]
Cf. D. Anzieu (1959), L’auto-analyse de Freud, Paris, PUF.
-
[170]
« Bonne honte sort du danger », Jean Antoine du Ba ïf (1532-1589).
-
[171]
Mes commentaires entre crochets.
-
[172]
S. Freud (1922), Le moi et le ça, in OCP.F, t. XV, Paris, PUF, 1991, p. 277.
-
[173]
Mes italiques.
-
[174]
S. Freud (1908), Caractère et érotisme anal, in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
-
[175]
Souligné par Freud.
-
[176]
C. Le Guen (1985), Le refoulement (les défenses), in RFP, t. L, no 1, 1986. En particulier : p. 135-154.
-
[177]
S. Vizinczey (2001), Éloge des femmes mûres, Paris, Éditions du Rocher.
-
[178]
Mes italiques.
-
[179]
Mes italiques.
-
[180]
P. Denis (2001), Éloge de la bêtise, Paris, PUF, « Épîtres ».
-
[181]
T. Tremblais-Dupré (1993), La sexualité adolescente et son trouble, in Les troubles de la sexualité, Paris, PUF, « Monographies de la RFP ».
-
[182]
Voir. sur ces questions : Clés pour le féminin. Femme, mère, amante et fille (sous la dir. de J. Schaeffer, M. Cournut-Janin, S. Faure-Pragier, F. Guignard), PUF, « Débats de psychanalyse », ainsi que : H. Troisier (1993), La « position féminine » chez la femme, RFP, numéro spécial Congrès, Paris, PUF ; F. Guignard (1997), Épître à l’objet, Paris, PUF, « Épîtres ».
-
[183]
Op. cit., p. 82.
-
[184]
Ibid.
-
[185]
Cette coalescence place ainsi les liens de la honte et de l’adolescence au cœur de la pratique analytique ; elle mobilise du même coup une problématique transtéro-contre-transférentielle spécifique que je développe p. 1736.
-
[186]
É. Kestemberg (1962), L’identité et les identifications chez les adolescents, La Psychiatrie de l’enfant, 5, 2, 441-522.
-
[187]
Fonction de l’Idéal du Moi, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[188]
P. Blos (1993), Fonctions de l’Idéal du Moi, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[189]
C. Chabert (1993), Entre honte et culpabilité : l’hystérie à l’adolescence, in Adolescence, t. XI, no 1. Il me paraît nécessaire de décondenser l’expression de C. Chabert ; il me semble que, au sein de la topique, il y a collapsus entre Sur-moi et Idéal du Moi.
-
[190]
A. Birraux (1993), La honte du corps à l’adolescence, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[191]
J.-L. Donnet, Lord Jim ou la honte de vivre, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[192]
A. Green (1969), Le narcissisme moral, in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, 1982.
-
[193]
P. 183.
-
[194]
P. 196.
-
[195]
P. 179-180.
-
[196]
Jean Guillaumin (2001) a beaucoup insisté sur la spécificité de la postadolescence. Cf. en particulier : Adolescence et désenchantement, Le Bouscat, L’Esprit du temps.
-
[197]
M. Neyraut (1997), Les raisons de l’irrationnel, Paris, PUF, p. 81-82.
-
[198]
J.-C. Lavie (1997), L’amour est un crime parfait, Paris, Gallimard.
-
[199]
Ibid., p. 71-73.
-
[200]
Voir, sur les liens entre hystérie et traumatisme : F. Brette (2000), Hystérie et traumatisme, in Hystérie, Paris, PUF, « Monographies de psychanalyse ».
-
[201]
In Le sens de la psychanalyse, Paris, PUF, « Le Fil rouge », 1988.
-
[202]
Ibid., p. 100.
-
[203]
Italiques de F. Pasche.
-
[204]
P. 99-100.
-
[205]
Mes italiques.
-
[206]
P. 99.
-
[207]
Rapports qui sont implicitement présents dans les travaux de J. Chasseguet-Smirgel. Voir, en particulier : J. Chasseguet-Smirgel (1969), Le rossignol de l’empereur de Chine. Essai psychanalytique sur le « faux », in Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité, Paris, Payot, 1977.
-
[208]
A. Green (1993), Le travail du négatif, Paris, Éd. de Minuit, p. 292.
-
[209]
G. Bonnet (1993), La honte et le couple inhibition/exhibition à l’adolescence, in Adolescence, t. XI, no 1.
-
[210]
G. Rosolato (1976), Que contemplait Freud sur l’Acropole ?, in La relation d’inconnu, Paris, Gallimard, p. 237.
-
[211]
D. W. Winnicott (1971), La localisation de l’expérience culturelle, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 132-152.
-
[212]
M. Klein (1933), Le développement précoce de la conscience chez l’enfant, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1967.
-
[213]
Ibid., p. 298.
-
[214]
Ibid.
-
[215]
Voir notamment : F. Guignard (1997), Épître à l’objet, p. 26-32, ainsi que : F. Guignard (2002). Intrication pulsionnelle et fonctions du sadisme primaire, in RFP, t. LXVI, no 4, 2002, p. 1103-1116.
-
[216]
Mes italiques, C. Le Guen, L’après-coup, RFP, t. XLVI, no 3, 1982, p. 527-534.
-
[217]
J. Cournut, L’innocence de la marquise, RFP, t. XLVI, no 3, 1982, p. 535-557.
-
[218]
Sur les liens entre honte et culpabilité, voir, entre autres : J. Goldberg (1985), La culpabilité. Axiome de base de la psychanalyse, Paris, PUF, « Voix nouvelles en psychanalyse ».
-
[219]
OCP, t. XVI, p. 72-83.
-
[220]
Les paroles de la patiente évoquent un poème de Xavier Forneret, cité autrefois par B. Grunberger dans Le narcissisme (p. 183 dans l’Édition Petite Bibliothèque Payot). Curieusement, Grunberger ne donnait pas le titre du poème, qui s’intitule : « Un pauvre honteux »...
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[221]
D. Anzieu (1974), Le Moi-peau, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 9.
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[222]
Il apparaît clairement ici que la constitution de la honte-signal d’alarme est essentielle dans la formation de la pudeur.
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[223]
Je dois cette idée de honte empruntée à une remarque de C. Seulin.
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[224]
O. Mannoni (1982), La férule, in Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Le Seuil, p. 70.
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[225]
O. Mannoni, ibid., p. 72.
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[226]
P. 72.
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[227]
Mes italiques.
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[228]
Ibid.
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[229]
Ibid.
-
[230]
Ibid.
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[231]
Mes italiques.
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[232]
Mes italiques.
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[233]
OCP, t. XV, p. 119.
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[234]
Mes italiques.
-
[235]
Ibid.
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[236]
O. Mannoni, op. cit., p. 75.
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[237]
S. Freud (1896), Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense, in OCP, t. III, p. 132.
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[238]
OCP, t. XVI, p. 72-83.
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[239]
Mes italiques.
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[240]
Schiller, Le camp de Wallenstein, scène 6, v. 208 et 209.
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[241]
O. Mannoni, op. cit., p. 83.
-
[242]
C. Barazer (2000), Hontes sans issue, in Bulletin intérieur de l’Association psychanalytique de France, « Documents et débats », no 52.
-
[243]
A. Green (1983). Le narcissisme moral, in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit.
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[244]
R. Dodds (1948), Les Grecs et l’irrationnel, Paris, Aubier.
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[245]
R. Benedict (1946), Paris, Picquier, 1995.
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[246]
Je considère ainsi que Le chrysanthème et le sabre est un livre que beaucoup d’éléments rapprochent de Totem et tabou, dont Freud disait qu’il était le résultat dune rêverie, lors d’un dimanche après-midi pluvieux...
-
[247]
P. 120.
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[248]
P. 127-128.
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[249]
P. 285-331.
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[250]
P. 303.
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[251]
Je me suis aperçu, après avoir terminé ce travail, que H. Kohut avait, bien avant moi, souligné l’importance de l’ouvrage de R. Benedict sur ce point précis de l’éducation.
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[252]
Cf. Freud (1921), Psychologie des masses et analyse du moi, in OCP, t. XVI, Paris, PUF, 1991 : « Il se produit toujours une sensation de triomphe quand quelque chose dans le Moi co ïncide avec l’Idéal du Moi. Peuvent aussi être compris comme expression de la tension entre Moi et Idéal le sentiment de culpabilité et le sentiment d’infériorité » (mes italiques).
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[253]
S. Freud (1929), Malaise dans la culture, in OCP, t. XVIII, Paris, PUF, 1994.
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[254]
R. Begnigni (1997), La vita e bella, Rome, Miramax et BAC films, 117 min.
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[255]
L’enfant, sur le plan manifeste, parle ici d’un char d’assaut que son père lui avait promis comme récompense du « jeu du camp de concentration », mais il y a coalescence entre la « victoire » promise par le père et la « victoire œdipienne »...
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[256]
V. Cerami, La vie est belle, Paris, Gallimard, « Folio », no 3146. Les deux passages auxquels je fais référence sont situés p. 196 et 250-251.
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[257]
Je renvoie sur ce point à : R. Rosemblum (2000), Peut-on mourir de dire ? Sarah Kofman, Primo Levi, Revue française de Psychanalyse, t. LXIV, no 1, 2000.
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[258]
Voir C. Janin (1998), Les sublimations et leurs destins, in RFP, t. LXII, no 4, 1998. Cette double valence avait été bien antérieurement soulignée par Denys Ribas. Voir D. Ribas (1992), Sublimation de la pulsion et idéalisation de l’objet, in Les Cahiers du Centre de psychanalyse et de psychothérapie, no 25.
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[259]
Mes italiques.
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[260]
Ibid.
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[261]
S. Freud (1917), Une difficulté de la psychanalyse, in RFP, t. XLV, no 6, 1981.
-
[262]
G. Pragier (1993), Aber wer kann den Erfolg und Ausgang voraussehen : qui peut prévoir ?, in RFP, t. LVII, no 4, 1993.
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[263]
Mes italiques.
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[264]
D. W. Winnicott (1971), La localisation de l’expérience culturelle, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.
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[265]
Mes italiques.
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[266]
Mes italiques.
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[267]
Mes italiques.
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[268]
D. W. Winnicott, Lettres vires, Paris, Gallimard, 1989.
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[269]
D. Ribas (2000), Donald Woods Winnicott, Paris, PUF, « Psychanalystes d’aujourd’hui », p. 35-26.
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[270]
Cet aspect a été fort bien vu par Dominique Clerc (1988) dans son article : La honte, découverte, in Espaces, no 16, automne 1988.
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[271]
N. Zaltzman (1988), De la guérison psychanalytique, Paris, PUF, « Épîtres ».
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[272]
Il me semble d’ailleurs que ce point de vue est strictement freudien : Freud relève que « chacun voudrait se faire passer pour une “exception” (...) Il peut y avoir plus d’une motivation de cet ordre ; dans les cas que j’ai examinés, on parvient à mettre en évidence une particularité commune à tous les malades, dans les destins antérieurs de leurs vies : leur névrose se rattachait à une expérience ou à une souffrance qui les avaient touchés dans les premiers temps de leur enfance, dont ils se savaient innocents et qu’ils pouvaient estimer être une injustice, un préjudice porté à leur personne » (Quelques types de caractère dégagés par le travail psychanalytique (1916), in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985). Voir aussi le pénétrant article de P. Bourdier (1976), Handicap physique, préjudice,. exception, in NRP, no 13, 1976. Ne se pourrait-il pas alors que l’analyste qui, négligeant cette dimension, qui est celle d’une logique phallique, et se laissant prendre dans une telle illusion. puisse être ainsi conduit à ignorer le noyau de toute hystérie ?...
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[273]
R. Cahn (1998), L’adolescent dais la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation, Paris, PUF.
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[274]
Ibid., p. 53-54.
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[275]
Ibid., p. 111.
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[276]
A. Freud, L’enfant dans la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1976.
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[277]
Mes italiques.
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[278]
Cf. S. Freud (1932), La décomposition de la personnalité psychique, in Nouvelles suites d’introduction à la psychanalyse, OCP, t. XIX, Paris, PUF, 1995.
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[279]
Dont j’ai pu donner des exemples dans Figures et destins du traumatisme.
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[280]
In Jeu et réalité.
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[281]
Cité par Christian David dans La bisexualité psychique, Paris, Payot, 1992.
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[282]
André Green a magistralement décrit de telles situations d’ « évitement associatif » dans La position phobique centrale, in La pensée clinique, Paris, Odile Jacob, 2002.
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[283]
G Rosolato (1976), La relation d’inconnu, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’inconscient ».