Notes
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[1]
Aux interlocuteurs habituels du dialogue de formation s’ajoutent des interlocuteurs inhabituels, invités dans le dispositif de formation pour les besoins de la recherche. Par leur présence, ils introduisent dans le dialogue des destinataires supplémentaires à qui potentiellement peuvent s’adresser les acteurs de la formation, qui deviennent aussi de fait des participants d’une autre activité dans le contexte de la recherche.
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[2]
Il convient de considérer une enquête grammaticale comme la formalisation des raisonnements pratiques des acteurs qui rendent compte de la signification de leur expérience et de la téléologie de leur action. Ce concept wittgensteinien de « grammaire » est utilisé dans ce cadre pour rendre compte du lien interne ou logique qui existe entre le système des règles énoncées par l’acteur et la signification/téléologie, d’emblée publique, de l’expérience ainsi décrite. Les enquêtes grammaticales permettent ainsi de fournir des visions synoptiques de ces systèmes de règles (jeux de langage, dans le vocabulaire de Wittgenstein) dont l’utilité principale est de permettre une « thérapie du langage ». Par extension, les visions synoptiques construites dans le cadre de ces recherches ont pour vocation d’aider les participants à transformer leurs pratiques et les chercheurs à introduire des critères d’interprétation plus féconds et prédictifs.
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[3]
Les modes sont des spécifications de la substance ne pouvant cependant exister sans elle, un peu comme le trot et le galop ne peuvent exister sans le cheval ou les vagues sans l’océan.
Introduction
1Dans le champ des sciences humaines et sociales, et plus particulièrement dans les travaux menés sur la formation des adultes, la dialectique entre, d’un côté, les recherches technologiques ayant des visées techniques et de conception et, d’un autre côté, les recherches empiriques intégrant des enjeux de production de connaissances scientifiques et de conception théorique, est toujours d’actualité. L’idée n’est pas ici de passer sous silence le travail scientifique engagé depuis quelques années pour tenter de dépasser cette dialectique. Sans prétendre à l’exhaustivité, il est possible d’identifier un certain nombre de travaux mono-disciplinaires menés en ergonomie (Daniellou, 2015), en didactique professionnelle (Rogalski, 2014), en sciences de l’éducation et de la formation (Thievenaz, Barbier & Saussez, 2020), en clinique de l’activité (Clot, 1999) ou encore en anthropologie cognitive située (Durand, 2008), qui abordent plus ou moins directement l’enjeu d’articulation des visées en question. Mais ce travail d’articulation est parfois aussi tenté dans le cadre de publications mobilisant plusieurs courants théoriques. C’est le cas, par exemple, de l’étude d’Albero, Guérin et Watteau (2019) proposant une articulation de l’approche sociotechnique et de la théorie du cours d’action. C’est aussi le cas de l’ouvrage coordonné par Vidal-Gomel (2018) au sein duquel, à partir de la didactique professionnelle et de l’ergonomie, des perspectives pour la conception et la transformation des situations de formation sont tracées à l’occasion de l’analyse de l’activité. Une lecture attentive de ces productions permet de constater le caractère spécifique de leurs propositions pour penser (sur la base d’un ancrage épistémologique), structurer (par la déclinaison de postulats théoriques) et réaliser (par la mise en jeu de choix de méthode) des recherches poursuivant des visées à la fois scientifiques et technologiques. Elle permet, en outre, de constater que ces constructions présentent un « air de famille » car elles restent toutes intrinsèquement fondées sur une nécessaire relation de codétermination entre ces deux visées.
2Fondamentalement, en instituant ce type de relation entre les visées scientifiques et technologiques, ces travaux tentent de répondre, plus ou moins directement, au « casse-tête » des sciences humaines et sociales (Ogien, 2007), autrement dit à l’une de leurs difficultés épistémologiques les plus significatives. En prenant appui sur les propositions d’Ogien (2007), il est effectivement possible de postuler que l’adoption de telle ou telle visée est la conséquence de choix épistémologiques initiaux quant à ce qui est entendu par la « compréhension » des activités ordinaires déployées dans une communauté considérée. Dans certains travaux, « comprendre » une activité équivaudrait pour les chercheurs à appliquer à la pratique ordinaire des professionnels des critères scientifiques (externes) d’intelligibilité. Cette façon de comprendre correspondrait alors à s’engager dans une démarche méthodologique d’extériorité au cœur de laquelle l’étude des pratiques ordinaires des professionnels se réaliserait d’un point de vue théorique, après les avoir assimilées à des objets d’étude. Ce type d’engagement aurait pour effet premier d’accentuer le fossé entre les significations scientifiques et ordinaires, associées respectivement par les chercheurs ou les professionnels eux-mêmes aux pratiques professionnelles, selon des « logiques incommensurables » (Sensevy, 2009). Le plus souvent réalisée suite au travail scientifique, la visée technologique, bien que présente, serait secondaire et tributaire de la visée scientifique. Elle serait ainsi marquée par l’engagement des chercheurs dans une approche technologique « applicationniste » (Yvon & Durand, 2012) au sein de laquelle les propositions techniques et de conception seraient pensées de l’extérieur à partir des résultats empiriques obtenus en amont.
3À l’opposé, dans d’autres travaux, comprendre une activité équivaudrait pour les chercheurs à se saisir immédiatement du sens des pratiques des professionnels par l’intermédiaire d’une familiarisation à celles-ci, notamment en participant à la communauté de pratiques professionnelles considérée (Lave & Wenger, 1991). Comprendre l’activité ordinaire les conduirait alors à s’engager dans une démarche méthodologique d’intériorité au cœur de laquelle l’étude des pratiques des professionnels se réaliserait de façon inductive (Roy, 2006) en y participant et en adhérant progressivement aux conceptions ordinaires des professionnels (Rogoff, Matusov & White, 1996). Bien qu’elle permette aux chercheurs d’éviter de construire des significations scientifiques étrangères à celles des professionnels, cette démarche les priverait néanmoins en retour de la possibilité de produire des énoncés différents de ceux de ces derniers. Au final, ce type de recherche n’apporterait donc qu’une valeur ajoutée limitée aux connaissances que les professionnels auraient déjà construites sur leur propre activité. Par ailleurs, le travail scientifique entrepris n’aurait pas vocation à aboutir à une théorie générale de l’activité étudiée, mais seulement à modéliser les raisonnements pratiques des participants et les « ordres négociés » par les collectifs professionnels (Dubar & Tripier, 1998) sur une base conceptuelle indigène. Finalement, les propositions technologiques ne découleraient pas directement du travail scientifique. Elles seraient pensées de l’intérieur, c’est-à-dire établies efficacement mais lentement par les professionnels eux-mêmes au cours d’un processus de conceptualisation à « basse cohérence interne » (Saury, 2012).
Objet de problématisation
4En excluant toute adoption exclusive de l’une ou l’autre de ces deux définitions de la compréhension, les constructions épistémologiques, théoriques et/ou méthodologiques réalisées à ce jour revendiquent, en quelque sorte, de ne pas choisir ou plutôt de faire le choix de les considérer conjointement. Pour y parvenir, elles instituent une relation de codétermination entre les visées scientifiques et technologiques. Ceci leur permet effectivement de trouver une solution à l’appauvrissement potentiel de chacune de ces deux visées et d’éviter, respectivement, la stricte application technologique de résultats empiriques obtenus en amont versus l’enfermement dans une construction de connaissances fortement situées déjà possédées par les professionnels. L’adoption de cette relation de codétermination laisse toutefois en jachère un certain nombre de questions significatives.
5C’est là l’objet problématique et l’enjeu épistémologique auxquels s’attaque principalement cet article. En effet, pour certains auteurs, la collaboration entre chercheurs et professionnels ne peut par exemple devenir effective que s’ils trouvent un intérêt partagé (Barcellini, 2017) formalisable en objet de recherche « biface » (Marlot, Toullec-Théry & Daguzon, 2017). Toutefois, peu de choses sont dites à propos de la méthodologie à respecter pour construire ce type d’objets, alors même qu’intrinsèquement les préoccupations des chercheurs et des professionnels sont nécessairement étrangères. De la même manière, certaines productions conditionnent la relation de codétermination entre les visées scientifiques et technologiques à la construction d’un « espace tiers-espace de la rencontre » (Marcel, 2010) et d’une « intelligibilité pour partie partagée » (Marlot, Toullec-Théry & Daguzon, 2017). Bien qu’il soit avancé que cette condition rende indispensable l’élaboration d’un langage commun aux chercheurs et professionnels (Marcel, 2016), rien n’est non plus clairement précisé en termes de gestion de la temporalité nécessaire à cette élaboration ni même en termes de conditions à mettre en œuvre pour que chercheurs et professionnels s’engagent dans une action réellement conjointe (Filliettaz, 2010).
6Finalement, cet article tente d’apporter certains éléments de réponse à ces questions. Inspiré de ce que Clot (2008) associe à une « recherche fondamentale de terrain », il substitue une relation de « consubstantialité » entre les visées scientifiques et technologiques à la relation de « codétermination » jusqu’ici adoptée. En son sein, les deux visées ne s’inscrivent donc plus dans une relation d’influence réciproque après avoir été clairement et strictement identifiées. Bien qu’ayant une identité et un développement propres, ces visées font intrinsèquement unité et ne sont donc pas, à ce titre, désolidarisables tout au long du projet scientifique.
De l’obstacle épistémologique à surmonter à la construction des conditions méthodologiques
7Au préalable, il convient de définir rapidement ce qu’il faut entendre dans cet article par codétermination et consubstantialité, dès lors qu’on applique ces concepts aux visées de la recherche. Si la codétermination suppose un couplage entre deux entités, dont l’influence réciproque engendre la transformation permanente, la consubstantialité suppose l’existence d’une seule entité, dont les manifestations et les perceptions peuvent être différentes selon le sujet qui les perçoit. Dans le cadre de ce texte, il n’est pas possible de développer la philosophie spinozienne qui inspire cette conception d’une substance unique se donnant à voir à l’entendement de chacun selon des « modes » différents. Ce qu’il est possible de dire, c’est que les visées empirique et technologique des recherches menées dans le cadre de ce programme se comportent comme des manifestations différentes de la même recherche et non comme des entités autonomes, dont la transformation dépendrait des interactions qu’elles entretiennent entre elles. De la même manière, un seul et unique objet d’étude est formulé d’emblée, au commencement de la recherche, et les visées des communautés professionnelle et scientifique à l’égard de cet objet sont des modalités ou perceptions différentes de cet objet et de ses transformations.
8Considérer qu’entrer dans une recherche fondamentale de terrain nécessite la substitution d’une relation de consubstantialité à la relation de codétermination entre visées scientifiques et technologiques n’est pas sans conséquence en matière de conditions méthodologiques. Parmi celles-ci, trois nous apparaissent comme suffisamment significatives pour être détaillées. Dites de « négociation », de « signification » et de « transformation », ces conditions s’ancrent sur certains postulats épistémologiques forts et engageants. Nous considérons effectivement qu’il reste vain pour les chercheurs engagés en sciences humaines et sociales de chercher à satisfaire leur « pulsion de généralité » (Wittgenstein, 2004), c’est-à-dire leur désir d’énoncer des règles générales de pensée et d’action qui, de fait, négligeraient les différences et les spécificités des circonstances dans lesquelles elles ont été produites. L’enjeu est donc plutôt celui de l’analyse qualitative du « sol raboteux de la vie ordinaire » (Laugier, 2015) ou, en ce qui nous concerne, de la vie professionnelle ordinaire. Cet ordinaire a toutefois ceci d’étrange qu’il n’est jamais, en réalité, directement accessible aux chercheurs. Sous leurs yeux, il reste difficile, voire impossible, d’accès sans que ces derniers ne participent de la forme de vie (professionnelle) (Laugier, 2002), objet de leurs travaux. Ne pouvant répondre à cette exigence, sauf à s’étudier entre pairs, les chercheurs se trouvent finalement dans la nécessité d’organiser les conditions d’une enquête singulière. Cette dernière, on l’aura compris, ne peut s’apparenter à une tentative vaine de participation progressive à la forme de vie étudiée par le biais d’une observation participante, comme c’est notamment le cas en ethnographie (Roy, 2006). Elle ne peut donc être que spéculative et porter « sur ce que les conditions et possibilités de la vie [professionnelle] pourraient être » (Ingold, 2017, p. 32). Autrement dit, pour tenter de comprendre l’ordinaire des professionnels, les chercheurs doivent créer, momentanément, les conditions de l’« extra » ordinaire. Pour produire de l’empirie sur l’ordinaire de la vie des professionnels, ils sont ainsi contraints de les engager dans une transformation leur permettant de s’extraire momentanément de leur pratique usuelle.
9Sur l’ensemble des thèses menées et soutenues au sein du programme de recherche considéré, des enquêtes de ce type ont été engagées. Elles ont conduit à modifier de façon significative les situations ordinaires de travail et/ou les situations de formation menées à l’université ou au travail tant par l’introduction d’artefacts (humains et/ou techniques) visant la production de connaissances que par l’étude exploratoire de l’activité des participants à partir de méthodes indirectes (Clot, 2008). Ceci a ainsi été le cas lorsqu’il s’est agi d’observer les retombées d’aménagements de la situation traditionnelle de tutorat, par l’introduction de situations du co-enseignement (Michel, 2019), ou de la situation de tutorat mixte, par la mise en œuvre de temps de co-planification et co-analyse du travail mené en classe (Escalié, 2012), sur la formation et la satisfaction professionnelle (Amathieu, 2015) des enseignants novices. Ceci a aussi été le cas lorsqu’il s’est agi d’observer les retombées d’usages singuliers d’outils technologiques comme la vidéo (Gaudin, 2014), les plateformes de formation hybrides (Tribet, 2018) ou encore le « ear-coaching » (Cadière, 2019) en matière de renforcement de la continuité entre les temps de formation menés à l’université et les temps de pratique professionnelle en établissement scolaire. Enfin, ce type d’enquête a aussi été exploité lorsqu’il s’est agi d’observer la dimension formative des entretiens d’inspection (Voisin-Girard, 2020), le développement professionnel nourri par la transmission de l’expérience d’enseignement entre pairs professeurs des écoles (Talérien, 2019) ou encore la valeur formative de séquences d’entretiens d’autoconfrontation croisée aménagées sur un collectif de chefs d’établissement expérimentés (Bos, 2020).
10Au cœur de toutes ces enquêtes engagées, les visées scientifiques et technologiques ont, de fait, été consubstantielles. Chercheurs et professionnels se sont effectivement engagés dans une même enquête spéculative faisant, en quelque sorte, substance partagée pour eux. Au sein de celle-ci, leurs modes d’appréhension ont été et sont restés néanmoins différents. Du côté des chercheurs, le mode d’appréhension était essentiellement réflexif et spéculatif, en lien avec la production de faits nouveaux et/ou prédictifs du point de vue de l’hypothèse scientifique qu’ils avaient initialement posée. Du côté des professionnels, le mode d’appréhension était directement déterminé par leur intention de mieux faire et/ou de mieux se retrouver dans ce qu’ils faisaient déjà.
Condition de négociation
11Cette condition est indispensable afin que chercheurs et professionnels puissent s’engager ensemble dans la construction d’une enquête spéculative. Ce n’est en effet qu’en acceptant de négocier, c’est-à-dire de faire momentanément un pas de côté conceptuel, scientifique pour les uns, et ordinaire pour les autres, que respectivement chercheurs et professionnels créent les conditions d’une recherche féconde. L’idée n’est pas ici de considérer qu’à force de discussions et de négociations, chercheurs et professionnels aboutissent à la construction d’un objet d’étude « intermédiaire » (Vinck, 2009), autrement dit à un objet réduisant au silence leurs propres modes d’appréhension respectifs. Elle est plutôt de prétendre que les négociations engagées aboutissent progressivement à l’émergence d’un dispositif expérimental de recherche au sein duquel une enquête spéculative partagée est rendue possible. Comme précisé en amont, ce dispositif est fait d’une ou de plusieurs situations originales, autonomes et d’emblée hybrides puisque portant en elles de façon consubstantielle les conditions épistémiques et transformatives de la recherche. Ces situations n’intègrent pas, par contre, les visées scientifiques et technologiques, intrinsèquement hétérogènes, autonomes et assimilables aux modes d’appréhension respectifs des chercheurs et des professionnels. Autrement dit, au sein du dispositif de recherche qui émerge, l’espace de significations et les visées ne sont pas codéterminés et encore moins partagés par les chercheurs et les professionnels dans ce qui pourrait être assimilé à une communauté professionnelle autonome comme c’est souvent avancé dans le cadre des recherches dites participatives (Morrissette, Pagoni & Pepin, 2017). Les chercheurs ne pratiquent donc jamais le travail du quotidien des professionnels pour parvenir à mieux le saisir et le rendre plus efficace. Parallèlement, ces derniers ne sont pas formés aux enjeux théoriques et aux concepts des chercheurs (Kaddouri, 2008). Il n’y a donc pas à considérer de codétermination entre les visées épistémiques et transformatives qui restent nécessairement différentes, incommensurables et intra-communautaires puisqu’appartenant à la forme de vie des chercheurs, d’un côté, ou à celle des professionnels, de l’autre.
12Ceci ne signifie pas que les professionnels n’ont pas connaissance des avancées des résultats de la recherche. Au contraire, dans les dispositifs mis en œuvre, les résultats de l’analyse des données sont bien souvent réinjectés dans l’interaction de formation. Par exemple, la réintroduction de données issues des entretiens d’autoconfrontation dans des situations d’interaction en formation initiale par le conseil pédagogique a permis de transformer d’emblée l’activité des participants qui sont parvenus à réduire les problèmes d’étayage (pour le formateur) et d’orientation des tâtonnements (pour les enseignants novices), au cours même de la durée de la recherche (Bertone & Saujat, 2013). Cependant, les formateurs et les enseignants novices n’ont pas reçu une formation à l’autoconfrontation et à ses soubassements théoriques, de même que les chercheurs n’ont pas réalisé d’entretiens de conseil pédagogique avec les enseignants novices. Chaque participant, travaillant au développement de l’objet de recherche qui portait sur les conditions d’efficacité de la réflexivité sur l’activité en conseil et en classe, a retiré des éléments de connaissance ou d’efficacité indexés à des visées spécifiques, autonomes et incommensurables.
Condition de signification
13Cette condition recouvre la nécessité d’accorder un primat au point de vue des professionnels sur leur travail pour le rendre intelligible, potentiellement le transformer, voire le modéliser (Céfaï, 2003). Pour ainsi dire étrangers face à ce donné (Ogien, 2018), livrés à leur activité d’observation et de signification, les chercheurs requièrent effectivement l’accompagnement des professionnels de sorte que leur forme de vie en devienne partiellement déchiffrable et compréhensible. Autrement dit, les chercheurs ont besoin de se faire instruire par les professionnels pour accéder aux critères d’intelligibilité de leurs activités. Ce n’est pas là une position facile à adopter car les chercheurs qui sont familiarisés avec le travail des professionnels se trouvent face à un grand nombre d’« obstacles internes » (Clot, 2008) à la réalisation de l’enquête. Ils doivent donc parvenir à s’écarter de cette tentation de faire parler leurs connaissances afin de s’engager dans une « conquête de l’ignorance » (Canguilhem, cité par Lecourt, 2008). Dès lors, la production des données ne peut s’envisager sans confrontation des professionnels aux traces de leur travail. C’est d’ailleurs en ce sens qu’est exploité, en termes de méthode de recueil des données, l’entretien d’autoconfrontation. Ce type d’entretien permet en effet aux chercheurs de procéder à une remise en situation des professionnels autoconfrontés par une sorte d’« immersion mimétique » (Durand, 2008). Ils les invitent alors, par des questions spécifiques, à suspendre toute analyse de leur expérience, à se « dé-situer » de l’expérience actuelle d’interlocution pour se « resituer » dans l’expérience professionnelle passée (Theureau, 2010). Les chercheurs ne sont pas alors des « étayeurs » (Broussal, 2016). Ils s’engagent, au contraire, dans une sorte d’« étayage à l’envers » (Bertone & Chaliès, 2015) lors duquel les professionnels autoconfrontés les instruisent et leur apprennent à comprendre correctement ce qu’ils font, c’est-à-dire à signifier comme eux, et à faire comme s’il leur revenait ensuite d’agir conformément aux modes opératoires énoncés. En réponse à certaines critiques adressées aux travaux menés notamment dans le cadre du courant de recherche-action (Barrère & Lussi Borer, 2017), les significations produites à l’occasion de cette instruction doivent néanmoins faire l’objet, après coup, d’un travail scientifique autonome d’affranchissement du terrain professionnel (Clot, 2008). Ce travail donne lieu à une resignification des énoncés avancés par les professionnels à partir du « noyau dur » (Lakatos, 1994) conceptuel du programme de recherche au sein duquel l’étude est réalisée.
14Par exemple, dans une série d’études de cas menées sur les difficultés d’enseignants novices à rapatrier en classe des conseils délivrés en entretien de conseil pédagogique par leurs tuteurs de terrain (Bertone, Chaliès & Flavier, 2009 ; Bertone, Chaliès & Clot, 2009), l’identification du concept hybride d’« alternance » (traduit par work et work analysis dans les publications en anglais) a permis de resignifier à un niveau intermédiaire la problématique formulée par les participants. Il a ainsi été possible d’intégrer à la recherche une hypothèse issue du noyau dur théorique vygotskien : celle de la « migration fonctionnelle de l’expérience » (Vygotski, 2003). L’instrumentalisation par l’enseignant novice de l’expérience de classe, pour participer à une expérience dialogique de conseil en formation, devait lui permettre de construire une « liaison » féconde entre ces situations. La fécondité de cette liaison entre « faire classe » et « dire quelque chose » de ce qui a été fait en classe, dans le cadre de l’étayage en conseil pédagogique, était avérée si l’enseignant novice participant était en mesure ensuite de « faire (à nouveau) quelque chose » de ce qui « avait été dit », dans une situation ultérieure de classe. Ce faisant, l’enseignant novice engageait un cycle de migration de l’expérience de classe, redevenue expérience de classe après avoir fait l’objet d’une expérience dialogique de formation. Cet exemple rend plus largement compte du fait que la resignification conceptuelle au travers du concept d’alternance a permis d’introduire des artefacts de recherche/formation se comportant comme des avatars de l’hypothèse théorique du noyau dur et incorporant dans le dispositif ordinaire une hypothèse auxiliaire (Lakatos, 1994) dont la fécondité était alors à évaluer. Sans cet effort de resignification, la compréhension des pratiques des professionnels ne pourrait effectivement sans doute s’opérer qu’avec les concepts ordinairement mobilisés par eux et n’ajouterait pas d’intelligibilité supplémentaire aux phénomènes professionnels étudiés. Il en découlerait alors des difficultés à concevoir et transformer ces mêmes pratiques à partir d’un autre régime de significations comportant, cette fois-ci, une cohérence conceptuelle scientifique. Parallèlement, les professionnels eux-mêmes, sous l’effet de leur autoconfrontation, s’engagent de façon autonome dans une resignification de leur pratique professionnelle pouvant parfois les conduire à la modifier.
Condition de transformation
15En s’engageant dans une enquête spéculative faisant substance partagée pour eux, les chercheurs et les professionnels se transforment. Nous rejoignons là la prise de position d’autres chercheurs qui assimilent la transformation des acteurs tout à la fois à l’objet et à la méthode de la recherche engagée. Autrement dit, la transformation, notamment des professionnels, n’existe pas en tant que visée à part entière faisant suite (ou concomitante) à toute enquête (Voisin & Martin, 2017). Source de « perturbations » (Bertone & Chaliès, 2015), d’« étonnements » (Clot, 2008) et de « dépassements » (Durand, 2008), la transformation est, au contraire, intrinsèquement constitutive de la démarche de recherche.
16Cette transformation concerne d’abord les professionnels qui, devant sortir de l’ordinaire de leur travail pour faire avec la présence des chercheurs (Ingold, 2017) dans une enquête partagée, se voient finalement proposer cinq niveaux de transformation de leur activité. Ce sont là des niveaux qui ont la particularité d’être cumulatifs, le dernier niveau ne pouvant advenir que si les précédents ont été investis. Un 1er niveau de transformation est rendu possible par le dispositif de travail « extra » ordinaire mis en œuvre qui, pour reprendre le postulat porté par l’ergonomie constructive, porte en lui « les germes de processus développementaux » (Carta & Falzon, 2017). Bien qu’ayant en amont collaboré avec les chercheurs pour structurer ce dispositif, les professionnels n’échappent pas in situ à la nécessité de s’y adapter et donc, de fait, de s’engager dans le développement de leur activité. Un 2e niveau de transformation est offert aux professionnels à l’occasion des entretiens d’autoconfrontation menés après coup avec les chercheurs pour rendre compte de ce qui a été ou non réalisé et de ce qu’il aurait été souhaitable ou non de faire en pareilles circonstances extraordinaires de travail. À certaines conditions, la présence des chercheurs qui mènent l’entretien permet aux professionnels de singulariser hic et nunc l’observation, la signification et la description de leur activité passée. C’est là aussi une opportunité d’un développement professionnel nourri par une « action transformatrice » des chercheurs (Clot, 2008). Le 3e niveau de transformation se situe dans le possible déploiement en cours d’entretien d’autoconfrontation de ce que Durand (2008) appelle des « fictions de 1er niveau ». Les professionnels peuvent en effet se saisir de leur autoconfrontation pour s’engager, accompagnés ou non par les chercheurs, dans la conception d’actions et d’opérations professionnelles alternatives à partir des significations antérieurement associées à leur activité observée. Les chercheurs deviennent alors « l’instrument » (Clot, 2008) des professionnels qui s’efforcent de trouver des solutions pratiques à des problèmes professionnels préalablement signifiés. Le 4e niveau de transformation peut aussi advenir en cours d’entretien d’autoconfrontation si les professionnels et les chercheurs s’engagent, sur la base de la conception d’actions et d’opérations professionnelles alternatives, dans la conception d’un nouvel environnement de travail. Assimilé à une « fiction de 2e niveau » (Bertone & Chaliès, 2015), ce niveau de transformation est d’autant plus significatif qu’il nourrit une « organisation capacitante » (Barcellini, 2017) incluant tout à la fois le développement de l’activité des professionnels et de leurs situations de travail mais aussi les conditions de sa pérennisation et de sa poursuite une fois la recherche finalisée. La mise en œuvre effective de ce nouvel environnement de travail, après sans doute de multiples négociations auprès des instances décisionnelles mais aussi certains aménagements travaillés entre les professionnels eux-mêmes, offre à ces derniers un cinquième et dernier niveau de transformation de leur activité. Alors même qu’ils sont souvent absents lors de ce temps de retour au travail, les chercheurs peuvent à ce niveau évaluer l’entièreté de l’« effet positif induit » (Barcellini, Van Belleghem & Daniellou, 2013) sur le développement des professionnels et de leurs situations de travail.
17Dans l’étude citée en amont (Bertone, Chaliès & Clot, 2009), la présence des chercheurs dans les situations ordinaires de formation, parfois à la demande des acteurs qui étaient en difficulté, parfois à l’initiative des chercheurs souhaitant explorer lesdites situations, a d’emblée engendré l’introduction de surdestinataires [1] du dialogue de formation et a doublé les intentions ordinaires de visées dialogiques nouvelles en rapport avec l’adressage à de nouveaux spectateurs du dialogue en question. À ce premier niveau de transformation se sont rapidement ajoutés les niveaux de transformation engendrés par les entretiens d’autoconfrontation avec les participants, tuteurs de terrain et enseignants novices. Au cours de ces entretiens, la réalisation par le langage des actions de classe et de formation passées a amené ces derniers à penser à nouveaux frais ces actions pour en rendre compte aux chercheurs. Au-delà, « se » rendre compte d’une expérience (2e niveau) pour « en » rendre compte à un interlocuteur (3e niveau) a constitué une activité nouvelle à part entière, engendrant la projection de scénarios fictifs, l’ouverture de possibles alternatifs, la reconsidération et l’évaluation de ce qui a été fait, etc. (4e niveau). Ces possibles nouveaux pour l’acteur ont été identifiés lors des entretiens d’autoconfrontation où il était possible pour le chercheur de susciter des explications à propos de l’origine des actions réalisées, c’est-à-dire leur indexation aux scénarios alternatifs envisagés plus tôt. Dans cette étude, la dernière étape de transformation a consisté à introduire une ingénierie de formation conçue sur la base des résultats construits. L’apparition de difficultés systématiques des tuteurs de terrain à recycler les préoccupations des enseignants novices en de nouvelles actions situées a engendré la conception d’un avatar/artefact de formation qui a été introduit par la suite dans les situations de conseil. Une « visite-conseil » a été alors mise en œuvre à partir de l’introduction d’un deuxième formateur, tuteur universitaire, qui accompagnait le tuteur de terrain et avait pour mission d’introduire dans la formation des activités nouvelles considérées comme fécondes pour engendrer des cycles de migration fonctionnelle de l’expérience chez l’enseignant novice. Sans détailler les tenants et aboutissants de ces artefacts dans l’économie de ce texte, il est possible de dire toutefois qu’un suivi à la trace du devenir des conseils dispensés lors de cette visite-conseil a été engagé, permettant de pister et d’évaluer l’effectivité du développement professionnel de tous les participants.
18Rarement mise en avant, la transformation des chercheurs est aussi à souligner. À l’occasion de l’enquête spéculative, ils sont eux aussi engagés dans une situation de travail « extra » ordinaire, leur système conceptuel étant subordonné à l’activité des professionnels. Cette prise de position nous écarte de façon significative d’autres méthodologies employées en recherche action, collaborative, participative ou intervention. Ces dernières mettent toutes en avant la nécessité de créer les conditions d’une véritable posture de la collaboration (Morrissette, Pagoni & Pepin, 2017) entre les chercheurs et les professionnels de sorte de mieux accompagner la transformation de ces derniers. Par contre, rien n’est dit sur les retombées de cette collaboration sur la transformation des chercheurs eux-mêmes. Tout comme les professionnels, ces derniers entrent pourtant dans une relation de correspondance avec les situations de travail engendrées par l’enquête spéculative mise en œuvre. Devant faire « avec » les professionnels, ils se transforment donc nécessairement. Parfois évoquée (Boccara, Laneyrie, Brunet et al., 2019), cette transformation n’est paradoxalement jamais réellement étudiée alors même que, comme toute pratique d’intervention auprès d’autrui, l’implication des chercheurs au cœur de l’enquête partagée avec les professionnels est, de fait, soumise à une « succession d’incertitudes » (Ogien, 2014) auxquelles il leur revient sans cesse de s’adapter.
« Mise en exercice » de la méthodologie par des choix de méthode singuliers
19Les conditions méthodologiques détaillées en appellent nécessairement à l’adoption et à la mise en œuvre de choix de méthode singuliers. Ces choix sont présentés ci-après. Ils sont structurés selon quatre étapes successives et constitutives d’une méthode visant l’établissement d’une relation de consubstantialité entre les visées scientifiques et technologiques de la recherche.
Étape 1 : création des conditions scientifiques de l’étude
20Bon nombre de recherches proches de nos postulats sont clairement engagées à partir d’une demande de terrain (Boccara, Laneyrie, Brunet et al., 2019) et s’inscrivent dans le courant ergonomique de la recherche fondamentale de terrain (Wiesner, 1995). Cependant, nous ne nous retrouvons pas complètement dans les dispositifs d’intervention-recherche (Espinassy, Brière-Guenoun & Félix, 2018) qui taisent, plus ou moins intentionnellement, le caractère fondamental de la recherche. Le premier préalable qu’il convient d’introduire ici est que toute recherche doit conserver la dimension « fondamentale », même lorsque l’intention initiale est d’aider les acteurs à se transformer et à transformer leur contexte de travail ou de formation. Le second préalable essentiel à nos yeux concerne la démarche épistémologique adoptée. Nous situerons la recherche fondamentale de terrain dans une démarche hypothético-déductive heuristique et considérons que chaque recherche a pour point de départ des questions scientifiques nourries par le programme de recherche au sein duquel elle s’inscrit. Chaque recherche menée a donc pour principal objet de stabiliser le noyau dur théorique de son programme d’appartenance en participant de l’établissement d’une « ceinture d’hypothèses auxiliaires » (Lakatos, 1994) ayant pour fonction de le protéger (« heuristique négative »). En retour, le programme rend possible l’ouverture de nouvelles hypothèses auxiliaires, autrement dit la délimitation de nouvelles questions scientifiques et donc l’engagement de nouvelles recherches pour essayer d’y répondre (« heuristique positive »).
21C’est précisément avec la formalisation d’une nouvelle hypothèse auxiliaire, pour étendre le noyau dur du programme de recherche, que s’ouvre la première étape de la méthode adoptée. Cette formalisation se fait sous la forme d’une « définition minimale » de l’objet d’étude (Saury, 2012) afin de permettre aux chercheurs d’aller à la rencontre et d’échanger avec les professionnels, mais aussi d’inscrire leur recherche dans l’ensemble des autres travaux menés par la communauté scientifique. Temporellement parlant, cette formalisation se réalise avant l’identification par les chercheurs d’un terrain professionnel susceptible de devenir un terrain potentiel d’étude. Lors de cette première étape, les chercheurs recensent et s’approprient donc les terrains professionnels existants afin de parvenir à sélectionner le plus heuristique d’entre eux compte tenu de l’hypothèse préalablement formalisée. Complémentairement, un travail de revue de la littérature scientifique relative au terrain professionnel présélectionné, et aux activités menées en son sein, est mené. À ce stade, il nous paraît important de souligner que ce n’est donc pas à partir du dialogue informel avec les professionnels sur leurs difficultés professionnelles que les questions scientifiques sont pré-délimitées. La consistance technologique de la recherche n’est donc pas construite par les chercheurs a posteriori, en considérant les transformations des activités et/ou des situations de travail envisagées par les professionnels comme le point de départ de la formulation des hypothèses auxiliaires. Elle ouvre, au contraire, la possibilité de création des conditions professionnelles de l’étude.
22À ce niveau, il convient de souligner que la situation des doctorants se présente parfois de façon différente. Ces derniers peuvent effectivement appartenir à une communauté professionnelle et, dans ce cas, le choix de leur terrain d’étude rend possible l’investigation de l’une de leurs préoccupations du quotidien. Ceci n’enlève en rien la nécessité de créer des conditions scientifiques avant même de construire les conditions professionnelles de toute recherche fondamentale de terrain. De fait, ce type de doctorants débutent leur engagement dans le travail de recherche en essayant de s’extraire, sans complètement s’en émanciper, de leurs préoccupations professionnelles pour progressivement s’approprier celles avancées par leur directeur.
Étape 2 : création des conditions professionnelles de l’étude
23Prioriser, comme nous le proposons, les conditions scientifiques aux conditions professionnelles ne nous conduit pas inexorablement à un travail « sur » plutôt qu’« avec » les professionnels (Lieberman, 1986). L’initiative de la transformation du terrain professionnel sur une base théorique appartient, il est vrai, aux chercheurs. Il n’en reste pas moins que son effectivité, en lieu et place de l’activité située au travail, incombe quant à elle aux professionnels qui doivent tout au long de leurs tâtonnements faire avec (ou sans) les concepts et modélisations théoriques, avec leur réductionnisme (professionnellement) intenable. En somme, seule la situation professionnelle transformée, pétrie de conditions symboliques et matérielles « ordinaires » et « extraordinaires » engendrées par l’enquête spéculative, est vraiment partagée. Tout le reste est à l’initiative soit des chercheurs soit des professionnels pour des visées qui restent en réalité, pour une large part, non partagées et hétérogènes. Autrement dit, s’il y a une relation de consubstantialité entre les visées scientifiques et technologiques de l’étude, elle ne peut se situer que dans cette situation au cœur de laquelle les chercheurs produisent des connaissances scientifiques et les professionnels transforment (ou non) leur travail dans le sens attendu par eux-mêmes. Considérer que ce sont les chercheurs qui « conduisent le changement agile » (Autissier & Peretti, 2016) des professionnels revient sans doute à faire peu de cas de l’autonomie de ces derniers du point de vue de leurs actions réglées et de leurs transformations mais aussi à considérer que les conditions théoriques constituent une commande pour le travail, amenant une transformation « par le haut ». Réciproquement, penser que la demande puis la transformation des professionnels guident la théorie à partir d’une cohérence « ordinaire », ou encore que les visées transformatives sont clairement issues de la communauté professionnelle, revient à faire peu de cas de l’initiative des chercheurs qui, bien souvent, interviennent sans réelle commande professionnelle ou la re-signifient au service de leur propre projet scientifique. À ce stade de développement, la question qui se pose donc est celle du comment les chercheurs enrôlent les professionnels pour qu’ils s’engagent avec eux dans une enquête spéculative pleinement partagée. Concrètement, les chercheurs rencontrent à plusieurs reprises les professionnels impliqués dans le terrain d’étude pré-délimité en Étape 1. L’objectif est alors celui de la construction collaborative de la transformation du terrain professionnel pré-délimité en terrain potentiel d’étude. Soulignons que cette collaboration entre professionnels et chercheurs ne nécessite en rien la construction d’une communauté intermédiaire (Voisin & Martin, 2017) ou d’une institution (Marlot, Toullec-Théry & Daguzon, 2017) étayée par des savoirs d’« intermédiation » (Las Vergnas, 2020) et des préoccupations communes (Morrissette & Desgagné, 2009). Seule l’enquête co-construite peut être considérée comme « objet intermédiaire » (Barcellini, 2017) à des chercheurs et professionnels engagés dans des dynamiques de transformation propres. Du côté des chercheurs, la préoccupation est celle de la construction d’une transformation du terrain professionnel d’étude de sorte que la fécondité de l’hypothèse auxiliaire préalablement définie puisse y être potentiellement vérifiée. Pour rappel, cette fécondité tient (a) aux faits nouveaux que la transformation opérée pourra engendrer et qui pourront être observés par les chercheurs et les professionnels et (b) à des faits anciens, que l’on observait déjà mais qui étaient considérés comme incompréhensibles ou surprenants par les chercheurs et/ou les professionnels et qui ne le seront plus moyennant les critères d’interprétation indexés à l’hypothèse auxiliaire (Lakatos, 1970).
24Cela a été le cas, par exemple, à l’occasion de la thèse de Dastugues (2017) ayant fait l’objet de plusieurs publications (Dastugue & Chaliès, 2020 ; Dastugue, Escalié, Duces et al., 2017). Dans le cadre de ce travail, l’ancrage au noyau dur du programme de recherche tenait dans l’hypothèse selon laquelle la construction de la subjectivité des formés se réalise selon un flux expérientiel continu alimenté d’expériences normatives (Lähteenmäki, 2003) au gré des situations de formation et/ou de travail rencontrées. Au regard de cette hypothèse de noyau, l’hypothèse de ceinture travaillée à l’occasion de la thèse avait été formalisée comme suit : le caractère continu du flux expérientiel des formés nécessite leur engagement dans des situations de formation et/ou de travail permettant qu’une partie de leurs expériences passées devienne le substrat de leurs expériences normatives en cours. Pour tester la validité de cette hypothèse, un dispositif transformatif de formation avait été mis en œuvre dans le cadre de la formation de futurs enseignants d’EPS engagé dans un master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ». Au sein de ce dispositif, des aménagements avaient été réalisés, en termes notamment d’activités et de situations de formation proposées, de sorte que certains aspects des expériences vécues par les formés en tant que danseurs puissent devenir le substrat de leurs expériences d’enseignement de la danse en milieu scolaire. Concrètement, ces aménagements s’inscrivaient dans une triple temporalité conduisant progressivement les étudiants à (i) vivre et apprendre comme danseur certaines expériences en vue de les enseigner à leurs élèves, (ii) vivre et apprendre certaines expériences constitutives de l’enseignement prenant pour substrat les expériences préalablement apprises comme danseur et, enfin, à s’exercer à (iii) l’enseignement de ces expériences « substratifiées » auprès d’élèves dans le cadre de situations d’enseignement de moins en moins aménagées.
25Du côté des professionnels, la préoccupation est celle de se saisir de cette opportunité pour répondre à certaines de leurs difficultés et/ou insatisfactions en s’engageant, à tâtons et en pleine autonomie, dans le renouvellement de certaines de leurs façons de faire leur travail. Finalement, une contractualisation est officiellement menée entre chercheurs et professionnels. Bien que la plus explicite possible, cette contractualisation n’aboutit pas à l’institution d’un « observatoire » qui présagerait, et sans doute contraindrait, à l’avance des transformations potentielles de l’activité des professionnels ou encore inviterait ces derniers à délimiter les situations significatives à étudier (Albero, Guérin & Watteau, 2019). Elle détaille le terrain potentiel d’étude co-construit et les règles partagées qui entourent sa mise en œuvre comme, par exemple, celles relatives au « coût » temporel de l’implication de chacun, au contrat d’accès et d’exploitation des données de l’étude ou encore au respect de la confidentialité.
Étape 3 : recueil et traitement des données
26Le recueil des données s’effectue tout d’abord in situ, au sein du terrain professionnel transformé. Ce recueil de données extrinsèques est réalisé à partir d’enregistrements audiovisuels de l’activité des professionnels y étant engagés mais aussi par la prise de notes d’observation et la récupération de traces (photos, documents de travail exploités, etc.) par les chercheurs. En écho avec les conditions de signification et de transformation détaillées en amont, le recueil des données intrinsèques s’effectue de façon complémentaire lors d’entretiens d’autoconfrontation menés sur la base des données extrinsèques. Lors de ces entretiens, les chercheurs s’engagent dans un questionnement semi-structuré afin de recueillir le plus grand nombre d’éléments possibles permettant de rendre intelligible l’activité observée des professionnels, c’est-à-dire de reconstituer a posteriori les « règles » (Wittgenstein, 1996) ayant gouverné leur activité alors même qu’ils étaient engagés dans le terrain professionnel transformé. L’activité des professionnels peut être effectivement assimilée à un « flux expérientiel » (Theureau, 2015) nourri partiellement par certaines « expériences normatives situées » (Lähteenmäki, 2003). Vécues antérieurement, dans d’autres situations de travail et/ou de formation, ces expériences passées se développent par un processus de « substratification expérientielle » (Chaliès, 2016 ; Chaliès, Xiong & Matthews, 2019) au sein même des expériences vécues à présent. Inviter tout professionnel à rendre compte à un interlocuteur de ces expériences holistiques et situées, c’est-à-dire toujours aux prises avec les situations et leur complexité, revient ainsi à l’inviter à rendre compte de ce processus en formalisant en « règles suivies » certaines de ses expériences vécues (Ogien, 2007).
27Après avoir présenté aux professionnels interviewés la démarche relative au déroulement de l’entretien d’autoconfrontation, les chercheurs structurent leur questionnement autour d’une double temporalité. Dans un premier temps, ils les incitent, par leurs questions, à les instruire sur la signification qu’il convient d’accorder aux activités visionnées. Dans le détail, les questions posées sont relatives :
- aux significations attribuées aux activités observées et aux jugements pouvant y être associés (« Qu’est-ce que tu fais là ? » ; « Qu’est-ce que tu penses de ton intervention à ce moment de l’entretien ? ») ;
- à une demande d’étayage à l’envers des jugements préalablement portés. Cette demande se fait par des relances des chercheurs effectuées soit sous la forme d’une demande de précisions soit par la mise en jeu d’une controverse avec les professionnels interviewés (« Je ne comprends pas pourquoi tu considères cette action comme intéressante, peux-tu reprendre ? » ou « Ce qui est étonnant, c’est que tu ne lui dis pas clairement comme tu me le dis à moi que ce n’est pas satisfaisant ? ») ;
- aux résultats attendus quant aux activités observées (« Et là tu t’attends à quoi ? »).
29Dans un second temps, les chercheurs questionnent les professionnels interviewés afin de les engager et les accompagner dans la transformation des activités préalablement signifiées. Dans le détail, les questions posées sont alors relatives :
- aux activités professionnelles alternatives à celles effectuées (« Aurais-tu pu ou souhaité faire autrement en de pareilles circonstances ?) ;
- aux transformations potentielles du terrain d’étude (« Penses-tu possible et souhaitable de transformer la situation de travail ? »).
31L’ensemble, composé des données extrinsèques et intrinsèques, est ensuite traité par les chercheurs. Ce traitement permet de formaliser les règles suivies par les professionnels pour rendre compte des expériences vécues au sein du terrain professionnel transformé. Il est structuré en six étapes successives (Chaliès, Bruno, Méard et al., 2010) :
- les données extrinsèques et intrinsèques sont temporellement mises en correspondance par l’établissement d’un protocole en trois volets. Sous la forme d’un tableau (voir tableau 1 en annexe), ce protocole met en correspondance un Volet 1 comprenant les données extrinsèques relatives à l’enregistrement audiovisuel, la transcription des comportements et des communications des professionnels et les éléments recueillis sous forme de notes et/ou de traces d’activité, et un Volet 2 comprenant les données intrinsèques issues de l’autoconfrontation et formalisées sous la forme d’une retranscription verbatim ;
- le corpus de données d’autoconfrontation fait ensuite l’objet d’un traitement singulier (Volet 3). Il est découpé en unités d’interaction à partir de l’identification de l’objet des significations attribuées par les professionnels lors leur autoconfrontation aux activités visionnées. Par convention, une nouvelle unité d’interaction est créée à chaque fois que l’objet de la signification attribuée par les professionnels autoconfrontés change ;
- pour chaque unité d’interaction, les éléments d’étayage de la signification attribuée par les professionnels autoconfrontés sont ensuite identifiés. Par convention, ces éléments d’étayage correspondent à l’ensemble des circonstances évoquées par les professionnels pour expliquer aux chercheurs la façon de s’y prendre pour signifier les activités visionnées de la même façon qu’eux, c’est-à-dire en suivant la même règle ;
- les règles suivies par les professionnels sont ensuite formalisées. Par convention, chaque règle est étiquetée à partir (a) de l’objet de la signification attribuée par les professionnels, (b) de l’ensemble des circonstances évoquées par ces derniers pour étayer cette signification et (c) des résultats constatés et/ou usuellement attendus ;
- des enquêtes grammaticales [2] diachronique et synchronique sont enfin réalisées. L’enquête grammaticale diachronique permet de retracer, par l’intermédiaire des règles suivies, l’historicité des expériences vécues par les professionnels sur la durée du dispositif transformatif. L’enquête grammaticale synchronique est aussi réalisée pour comparer, si nécessaire, les règles suivies par chacun des professionnels à chaque instant de ce dispositif ;
- lors d’une dernière étape, la validité des résultats obtenus est testée. Tous les résultats obtenus sont comparés par plusieurs chercheurs et discutés jusqu’à l’obtention d’un accord. En l’absence d’accord, ils sont rejetés.
Étape 4 : progressions scientifique et technologique
33Il serait naïf de considérer que la mise en œuvre d’une enquête spéculative n’offre à aucun moment aux chercheurs et professionnels qui l’investissent des opportunités de questionnements, d’échanges voire de partage. Malgré tout, les bénéfices qu’ils en tirent leur sont propres, compte tenu de leur attribut respectif.
34À partir des résultats obtenus, la progression scientifique du programme de recherche est travaillée par les chercheurs. Chaque recherche fondamentale de terrain est effectivement menée au sein du programme dans le but de confirmer ou d’infirmer la valeur heuristique d’hypothèses auxiliaires déployées en amont à partir de son noyau dur théorique (Lakatos, 1994). Pour ce faire, deux étapes dites de « clôture » et d’« ouverture » permettent de finaliser chacune des recherches menées :
- l’ensemble des résultats obtenus est tout d’abord ordonné compte tenu de l’hypothèse auxiliaire initialement formalisée. Certains résultats sont ainsi retenus car ils permettent de soutenir, d’un point de vue empirique, le caractère « fécond », ou à l’inverse « stérile », de cette dernière. Ils sont sélectionnés par les chercheurs car ils permettent de soutenir que l’hypothèse auxiliaire a rendu possible, ou au contraire n’a pas rendu possible, la prédiction de certains faits nouveaux au sein du terrain professionnel d’étude. Sur cette base, la recherche fondamentale est clôturée par une (in)validation de l’hypothèse auxiliaire initialement retenue ;
- l’étape d’ouverture engage les chercheurs dans la formalisation d’une nouvelle hypothèse auxiliaire prédictive. Cette dernière vient compléter l’hypothèse préalablement testée ou s’y substitue si celle-ci n’a pas été validée.
36Dans l’étude citée en amont (Bertone, Chaliès & Clot, 2009), l’hypothèse auxiliaire de l’alternance n’a pas été entièrement validée. En effet, la fécondité de la situation de visite-conseil proposée a certes montré un développement de l’activité réflexive des enseignants novices engagés dans l’étude mais, parallèlement, a révélé une porosité limitée entre cette activité réflexive et leur activité d’enseignement en classe. Parmi les conclusions de cette étude, celle relative à la nécessité pour le tuteur de terrain d’accompagner, au sein même de la classe, les décisions de l’enseignant novice pour que des transformations réelles de son pouvoir d’action se produisent était particulièrement significative. L’hypothèse théorique de la migration fonctionnelle de l’expérience appelait donc, pour ainsi dire, à être complétée par celle d’une autonomie de développement entre la réflexivité post actu (plus proche de ce que Clot [2008] appelle le « pouvoir d’agir », ou le rayon des actions possibles envisagées par l’acteur) et la réflexivité ou cognition située permettant à l’acteur d’agir en situation (le pouvoir d’action situé qui ne se réalise pas en lien direct avec le développement du pouvoir d’agir). De nouvelles études ont donc été engagées à partir d’une nouvelle hypothèse théorique selon laquelle il existerait une autonomie importante entre le régime de conscience en action (l’inhérence, selon Ogien, 2007) et celui de la conscience réflexive sur l’action (l’appréhension de l’inhérence, selon Ogien, 2007). Sur cette base, de nouveaux dispositifs fondés sur l’hypothèse auxiliaire d’un nécessaire rapprochement des situations de formation et de travail, allant jusqu’au co-enseignement (Chaliès, 2016 ; Michel & Bertone, 2017), ont donc été produits et ont été le support de plusieurs études (Chaliès, Bertone, Flavier et al., 2008 ; Chaliès, Bruno, Méard et al., 2010).
37Parallèlement au travail de production de connaissances par les chercheurs, la progression technologique est travaillée, cette fois-ci par les professionnels. Il relève effectivement de leur responsabilité d’envisager collectivement, non pas la possibilité d’une généralisation des connaissances scientifiques produites (Xiao & Vicente, 2000), mais davantage celle de diffuser le terrain professionnel transformé à l’occasion de la recherche fondamentale menée. Pour ce faire, ils peuvent prendre appui sur les résultats scientifiques obtenus qui auront pu leur être présentés par les chercheurs mais surtout sur leur propre vécu à l’occasion de cette dernière. Sur cette base, ils envisagent les aménagements à apporter à la transformation initiale du terrain professionnel de sorte qu’il puisse être diffusé à la communauté professionnelle élargie comme un nouveau terrain « outil potentiel de formation et de développement » (Barbier, 2009). Cette prise de position est d’autant plus significative qu’elle alimente une autre façon de considérer la collaboration entre chercheurs et professionnels. Ces derniers gardent la main, pour ainsi dire, sur une potentielle progression professionnelle qui leur appartient bien qu’ils puissent la travailler avec les chercheurs. De fait, nous ne considérons pas qu’il y ait besoin pour les chercheurs de transférer de quelconques « compétences en reconception transverse et durable » (Carta & Falzon, 2017) du terrain professionnel transformé à l’occasion de la recherche fondamentale menée. De la même manière, il nous paraît discutable de considérer que les chercheurs puissent être à l’origine de la construction des « dispositifs de pérennisation » (Barcellini, 2017) de ce terrain professionnel transformé.
38Cela a été par exemple le cas suite à une étude menée sur les intérêts et les limites des usages de la vidéo dans le cadre de la formation des enseignants novices. Initialement, cette étude avait été mise en œuvre pour tester le caractère heuristique du « primat des exemples » (Narboux, 2003) visionnés lors de l’enseignement de nouvelles expériences normatives situées. Comme nous avons pu l’expliciter dans un certain nombre de publications, les exemples visionnés à l’occasion de chaque enseignement ostensif ont ensuite servi aux enseignants novices comme échantillons expérientiels pour « voir et/ou agir comme » (Pastorini, 2011) – c’est-à-dire sous une certaine description à partir d’une grammaire expérientielle apprise (Anscombes, 2002) – il est attendu de le faire en de telles circonstances de classe. Institués comme « paradigmatiques » (Chauviré, 2003), c’est-à-dire comme substrat d’un voir et/ou d’un agir comme dans de nouvelles circonstances, ces exemples ont donc nourri un processus de « normativité » (Le Blanc, 1998) alors même qu’ils n’étaient initialement qu’une préférence adoptée par les formateurs engagés dans la formation (voir par exemple : Chaliès, Gaudin & Tribet, 2015 ; Gaudin, Flandin, Moussay et al., 2018). À l’issue de cette étude, du fait du constat de leur incapacité à s’accorder sur des exemples partagés, les formateurs ont souhaité poursuivre leur engagement technologique afin de se construire comme un véritable collectif de formation et non plus seulement comme une collection de formateurs. Pour ce faire, ils se sont engagés dans la construction d’une plateforme numérique de formation. Au sein de celle-ci, ils ont progressivement déposé des extraits vidéo titrés « exemples » pouvant être exploités lors de leurs enseignements mais aussi, en complément, des extraits vidéo titrés « mésinterprétations » illustrant les principales difficultés rencontrées par les enseignants novices et, enfin, des extraits vidéo titrés « solutions » pouvant potentiellement permettre de répondre à ces difficultés. Ayant pour intention de faire du collectif, les formateurs se sont donc progressivement saisis des visées de l’étude pour, au final, les transformer en pleine responsabilité. À des usages normatifs de la vidéo instruits par l’étude initialement conduite, ils ont substitué des usages à teneur plus développementale, et ce sans en référer aux chercheurs.
Éléments de conclusion
39Au sein de cet article, le postulat fondamental de la conciliation de visées épistémiques et transformatives (Schwartz, 1997) au sein de toute recherche a été posé de façon singulière. Nous avons effectivement défendu la nécessaire conception d’un travail de construction d’une réalité partagée à partir de descriptions différentes et dé-cohérentes entre elles. En refusant l’idée de la possibilité d’un « pas de côté » théorique pour les professionnels et pratique pour les chercheurs, aboutissant à un objet d’étude partagé et intelligible pour tous les participants de la recherche, nous avons souligné combien il convenait plutôt de concevoir que l’accès à un objet commun n’était sans doute possible qu’au travers de perceptions et descriptions incommensurables et relativement autonomes. Autrement dit, en ne suivant pas les mêmes règles au sein d’un même jeu de langage, les professionnels et les chercheurs se déplacent, dans un même monde, animés par des visées et des modes de perception autonomes. Pour ouvrir à la réflexion, il nous semble opportun de conclure en précisant deux visions illustrant de façon métaphorique la teneur du travail de construction de l’objet d’étude dans le cadre de recherches portant des visées scientifiques et technologiques.
40La première vision consiste à considérer la réalité des objets d’étude négociés comme unique pour les chercheurs et les professionnels qui l’appréhendent malgré tout depuis leur monde et à partir de leurs propres modes d’expression. On pourrait dire, à la façon de Spinoza dans l’Éthique, que la perception du dispositif conçu par les chercheurs et les professionnels dans le cadre de leurs négociations est « ce que l’entendement perçoit de la substance comme constituant son essence » (Éthique, I, déf. 4). Le dispositif conçu sur base théorique et professionnelle serait alors immédiatement intelligible pour tous les participants de la recherche au travers d’attributs à la fois distincts et immanents à sa substance. Chaque attribut exprimerait alors une certaine essence (ce « qu’est » le dispositif pour le chercheur et ce « qu’il est » pour le professionnel) mais le rapport entre cette « essence » du dispositif et sa « substance » serait un rapport d’immanence. En d’autres termes, les attributs « théorique/conceptuel » et « pratique/technique » ne seraient pas à proprement parler des « façons de voir », des représentations différentes, mais bien des dimensions de la substance du dispositif négocié lui-même. On retrouve dans cette formulation métaphorique de la réalité des dispositifs négociés de recherche/intervention les caractéristiques de consubstantialité que nous avons repérées dans les recherches menées. Chaque description des transformations produites au sein du dispositif est à la fois consubstantielle du dispositif décrit (elle en est l’essence selon une description communautaire) et différente avec celle produite par l’autre communauté. Cette métaphore mérite cependant des précisions car elle ne correspond que partiellement à ce que l’on constate dans les résultats de nos études. Au sein de celles-ci, on trouve en effet plus fréquemment une forte autonomie de fonctionnement et une incommensurabilité des régimes conceptuels au sein des communautés partenaires. Il nous semble donc utile d’introduire le concept de « modes » de la substance chez Spinoza [3]. Dans la mesure où il n’y a qu’une substance, les différences que l’on constate sont inévitablement des manières d’être de cette substance. Si donc l’attribut de la substance en exprime l’essence, le mode en exprime différentes manières d’être. Ainsi, les activités des chercheurs et des praticiens prennent leur substance dans l’objet d’étude négocié, mais se différencient en tant que modes ou affectations de cette substance. En se spécifiant selon les visées qui les affectent, ces activités se différencient et suivent des destins qui sont singuliers et incommensurables dans leurs rationalités, mais communs car engendrés par la définition négociée de l’objet d’étude.
41Dans notre vocabulaire, on dira qu’il n’est pas possible de concevoir à ce jour (au moins le temps nécessaire à la construction collective d’approches épistémologiques et méthodologiques « alternatives » selon l’expression de Berthelot, 2012) l’existence d’une forme de vie partagée entre chercheurs et professionnels et, par conséquent, d’un jeu de langage commun comportant des systèmes de règles et de significations uniques. Le seul point de convergence tient en la définition d’un objet d’étude commun qui, comme la substance spinozienne génère des modes ou des spécifications, engendre des activités spécifiques. Ces activités spécifiques sont subordonnées à l’acceptation de l’objet d’étude par les participants et leur incommensurabilité tient à ce qu’elles sont affectées par des visées et préoccupations singulières en rapport avec la production de connaissances ou la transformation d’une pratique.
Tableau 1. Exemple de protocole triple volets
Tableau 1. Exemple de protocole triple volets
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Mots-clés éditeurs : théorie de l’éducation, méthodologie, formation des adultes, recherche
Date de mise en ligne : 21/06/2021
https://doi.org/10.4000/rfp.10088Notes
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[1]
Aux interlocuteurs habituels du dialogue de formation s’ajoutent des interlocuteurs inhabituels, invités dans le dispositif de formation pour les besoins de la recherche. Par leur présence, ils introduisent dans le dialogue des destinataires supplémentaires à qui potentiellement peuvent s’adresser les acteurs de la formation, qui deviennent aussi de fait des participants d’une autre activité dans le contexte de la recherche.
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[2]
Il convient de considérer une enquête grammaticale comme la formalisation des raisonnements pratiques des acteurs qui rendent compte de la signification de leur expérience et de la téléologie de leur action. Ce concept wittgensteinien de « grammaire » est utilisé dans ce cadre pour rendre compte du lien interne ou logique qui existe entre le système des règles énoncées par l’acteur et la signification/téléologie, d’emblée publique, de l’expérience ainsi décrite. Les enquêtes grammaticales permettent ainsi de fournir des visions synoptiques de ces systèmes de règles (jeux de langage, dans le vocabulaire de Wittgenstein) dont l’utilité principale est de permettre une « thérapie du langage ». Par extension, les visions synoptiques construites dans le cadre de ces recherches ont pour vocation d’aider les participants à transformer leurs pratiques et les chercheurs à introduire des critères d’interprétation plus féconds et prédictifs.
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[3]
Les modes sont des spécifications de la substance ne pouvant cependant exister sans elle, un peu comme le trot et le galop ne peuvent exister sans le cheval ou les vagues sans l’océan.