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Article de revue

Quand étudier, c’est travailler. Cadres institués des études et perspectives étudiantes

Pages 5 à 10

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Les textes réunis dans ce dossier sont issus du colloque « Les étudiants au travail. Les outils de la sociologie du travail au service de l’analyse des apprentissages », organisé par le Centre nantais de Sociologie (CENS-UMR 6025), et soutenu par l’UMR IDEES (Identité et Différenciation de l’Espace, de l’Environnement et des Sociétés) de l’université du Havre, l’UCO (Université catholique de l’Ouest), l’INSPÉ (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) de Nantes, qui s’est tenu les 29 et 30 novembre 2018 à l’Université de Nantes. L’intégralité du programme est disponible ici : https://cdp.univ-nantes.fr/colloque-international-les-etudiant-e-s-au-travail.
Les membres du comité scientifique étaient : Annabelle Allouch (CURAPP-ESS, u. d’Amiens), Marianne Blanchard (CERTOP, u. de Toulouse), Romuald Bodin (GRESCO, u. de Poitiers), Samuel Bouron (IRISSO, u. Paris Dauphine), Marie Cartier (CENS, u. de Nantes), Fanny Darbus (CENS, u. de Nantes), Géraud Lafarge (CENS, u. Rennes 1), Thibaut Menoux (CENS, u. de Nantes), Mathias Millet (CITERES, u. de Tours), Fabienne Pavis (CENS, u. de Nantes), Charles Suaud (CENS, u. de Nantes), Marie Toullec-Théry (CREN, u. de Nantes). Les membres du comité d’organisation étaient : Ludivine Balland (CENS, u. de Nantes), Mary David (CENS, u. de Nantes), Gérald Houdeville (CENS, UCO), Fanny Jedlicki (IDEES, u. du Havre), Sophie Orange (CENS, u. de Nantes), Tristan Poullaouec (CENS, u. de Nantes).

1Les travaux portant sur les étudiant.es constituent un domaine investi par la recherche sociologique en France depuis les années 1960 (Bourdieu & Passeron, 1964 ; Molinari, 1992 ; Baudelot, Establet, Benoliel et al., 1981 ; Galland, 1996 ; Erlich, 1998 ; Felouzis, 2001 ; Gruel, Galland & Houzel, 2009) du fait notamment de la hausse significative de leurs effectifs à partir de cette époque. Plusieurs dimensions de la vie étudiante ont ainsi été étudiées : les trajectoires de formation, les ressources scolaires, sociales et économiques des étudiant.es, leurs pratiques associatives, culturelles et de loisirs, leur engagement politique (Muxel, 2001 ; Michon, 2008 ; Casta & Porte, 2015) ou encore leur travail salarié (Pinto, 2014). Le « métier d’étudiant » (Coulon, 1997) a plus rarement été pris pour objet de recherche, sinon par ses marges (Gaillard & Rexand-Galais, 2017). Lorsque la transmission des savoirs a fait l’objet d’enquêtes sociologiques, elle a été le plus souvent envisagée du côté des enseignant.es, de leurs prescriptions et de leurs attendus, et moins de celui de leur réception du côté des étudiant.es.

2Les travaux portant sur les étudiant.es en médecine dans les années 1950 aux États-Unis montrent cependant tout l’intérêt qu’il y a à se situer de leur point de vue pour saisir leurs logiques de travail face aux études comme les objectifs qu’elles et ils assignent aux contenus d’enseignement (Merton, Reader & Kendall, 1957 ; Becker, Hughes, Geer et al., 1961) : il s’agit pour elles et eux davantage d’apprendre pour réussir aux examens et à devenir un.e étudiant.e en médecine qu’apprendre à devenir un.e médecin. D’autres enquêtes sociologiques ont cherché à documenter le contenu de l’activité étudiante en s’intéressant à la transformation du savoir scientifique en activités pédagogiques au sein de la classe, ce que Michel Verret a conceptualisé sous le nom de « transposition didactique » (Verret, 1975). Les travaux de Bernard Lahire, Mathias Millet et Everest Pardell, consacrés aux manières d’étudier, ont mis en évidence le rôle des cadres institutionnels et des spécificités disciplinaires dans la définition des tâches formelles réalisées par les étudiant.es (pratiques scripturales, pratiques d’entraînement, pratiques de révision, etc.) et ont montré comment la sélection des informations à retenir variait selon les contextes et les modalités d’évaluation. Les usages différenciés de l’écrit par les étudiant.es de première année d’université ont également été analysés par Valérie Erlich et Jacques Lucciardi (2004), qui les mettent en lien avec la réussite dans les études. Ces différentes recherches montrent de façon féconde tout l’intérêt qu’il y a à étudier, au-delà du « rapport au savoir » (Charlot, 1999) des étudiant.es, leurs usages des savoirs. En effet, l’objectivation de l’ensemble des activités réalisées par les étudiant.es face aux enseignements permet d’éclairer la façon dont elles et ils envisagent les consignes et s’approprient les savoirs et les savoir-faire (Barrère, 2003), mais aussi de comprendre les éventuels malentendus entre enseignant.es et étudiant.es dans la définition du travail à faire.

3Ce numéro prend donc pour objet la question des apprentissages dans l’enseignement supérieur en cherchant à expliciter notamment le rôle actif qu’y jouent les étudiant.es. Ces apprentissages comportent l’appropriation par les étudiant.es des savoirs académiques, professionnels dispensés dans les institutions de formation et la socialisation au métier d’étudiant.e – la façon dont les étudiant.es s’adaptent, s’affilient et transgressent les règles (Coulon, 1997). À cet effet, le recours à des méthodes et des concepts relevant de la sociologie du travail (Arborio, Cohen, Fournier et al., 2008 ; Avril, Serre & Cartier, 2010) s’avère heuristique pour saisir et rendre visible l’ensemble des activités et des dimensions constitutives du travail des étudiant.es. En dressant le portrait de l’étudiant.e en travailleur.euse (Boltanski & Chiapello, 1999), on se donne les moyens « d’articuler la façon dont le travail s’impose aux travailleuses et aux travailleurs et la manière dont ils le redéfinissent activement » (Avril, Serre & Cartier, 2010). Le métier d’étudiant.e s’appuie en effet sur des consignes, des objectifs, des postes de travail, des outils et engage des techniques du corps et de l’esprit (Alava & Romainville, 2001 ; Jellab, 2013). Il est scandé par des contrôles, cadré par des protocoles et s’inscrit dans des collectifs de travail. Cette approche permet de porter l’attention sur les pratiques effectives mises en œuvre en prenant au sérieux leurs logiques propres, qui favorisent ou non leur réussite (Barrère, 1997). Cela suppose de prendre en compte le travail réel qu’elles et ils effectuent au sein des institutions d’enseignement supérieur, comme d’adopter leurs perspectives, c’est-à-dire d’enregistrer et d’interpréter ce qu’elles et ils font, pensent, sentent selon leurs propres critères et selon leurs propres termes. Cet angle choisi permet de tenir ensemble les contraintes variées qui pèsent sur les apprentissages et le travail des étudiant.es et sur ce que ces dernier.ères en font, comment ils et elles les renégocient, individuellement et collectivement. Cela permet de comprendre qu’une partie de cette négociation ne tourne pas seulement autour de strictes questions de savoirs mais engage plus largement des rapports aux études (plus ou moins assidus, vécus comme vocationnels, etc.), des ethos ainsi que des activités afférentes aux savoirs et liées au curriculum caché (gérer le temps, les efforts, les émotions).

4Cette proposition analytique permet d’observer et de rendre compte des conditions d’études de manière renouvelée. Elle opère un décalage par rapport aux approches courantes du travail étudiant, parfois désincarnées voire normatives, et complète, nuance, critique différentes dimensions connues des apprentissages des étudiant.es, tout en mobilisant diverses traditions sociologiques. Recourir à la sociologie du travail pour des objets usuellement réservés à la sociologie de l’éducation et de l’enseignement supérieur permet de les « déscolariser » temporairement et, ce faisant, d’éclairer des logiques et des pratiques habituellement non visibles dans les approches scolaro-centrées. Cette approche, mobilisée pour analyser le travail professoral (Hélou & Lantheaume, 2008), ne l’a que très peu été pour l’analyse du travail des étudiant.es. Analyser ce dernier à l’aune de concepts comme la division du travail ou le travail réel, comme de cadres théoriques tels que les analyses de l’activité, les approches cliniques, les analyses interactionnistes voire dispositionnelles, permet d’étudier sous un nouveau jour les scolarités étudiantes. Les contributions du présent numéro s’efforcent de mettre au jour précisément des dimensions peu explorées aujourd’hui en sociologie de l’éducation : la thématique de la temporalité et de l’organisation étudiante, l’importance des pairs dans la définition et la gestion du travail, la question de la charge de travail, celle de l’engagement différencié dans les études comme de l’intériorisation par les étudiant.es de certaines normes (pression, sérieux, compétition, etc.). Elles complètent les analyses du métier d’étudiant.e en incluant, pour certaines, ce qui se joue à l’intérieur de la salle de cours, dans le travail d’étude au sens strict.

5Cette analyse ne doit pas négliger pour autant les caractéristiques sociales des travailleuses et des travailleurs concerné.es ni les hiérarchies propres aux contextes comme aux institutions dans lesquelles elles et ils travaillent, agissant dans le sens des dispositions professionnelles sollicitées ou valorisées tout autant que sur les normes intériorisées. L’offre d’enseignement supérieur s’est considérablement diversifiée ces dernières années et les textes présentés dans ce numéro entendent tenir compte de la variété des contextes institutionnels internes à l’enseignement supérieur et de leurs effets différenciés sur leurs publics.

6La mobilisation par les auteur.es de terrains et de méthodologies variées autorise, par la comparaison souple que permettent leurs enquêtes, la mise en évidence de régularités en matière de travail étudiant. Tout d’abord, on observe que celui-ci fait l’objet de concurrences, négociations et résistances entre les groupes en présence, afin de contrecarrer les logiques et les cadences de travail imposées par les enseignant.es. Par ailleurs, au travers des différents segments de l’enseignement supérieur étudiés, il apparaît que les activités étudiantes de travail font l’objet d’un ajustement à la fois institutionnel, scolaire et parfois intime entre des cultures professionnelles de référence et les caractéristiques socio-scolaires des étudiant.es qui les intègrent. Enfin, en fonction de la position des formations dans l’espace universitaire, le travail étudiant est plus ou moins autonome des logiques, valeurs et normes du travail comme emploi. Celles-ci modèlent le travail étudiant, l’étudiant.e compris. C’est particulièrement frappant dans le cas des formations dites professionnalisantes analysées dans trois articles portant sur le travail étudiant en Instituts de soins infirmiers (IFSI), dans des écoles supérieures d’art ou encore de l’intervention sociale. Il ne faudrait cependant pas croire que les formations se présentant a priori comme les moins perméables à la demande sociale – la fonction de transmission de connaissances faisant écran –, telles que les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), auxquelles un article est consacré, y échappent : des travaux, de longue date ou plus récents, ont montré la forge à dispositions morales socialement situées que sont les CPGE (Bourdieu, 1981 ; Darmon, 2013), remplissant des fonctions d’intégration morale ajustée, en termes de positions sociales visées, de manière implicite quand d’autres le font sur un mode explicite (Denecheau, Houdeville & Mazaud, 2015).

7Il est éclairant de confronter les activités de travail étudiant à une approche en termes de division du travail (sociale, genrée ou générationnelle) attentive aux pratiques informelles des travailleuses et des travailleurs, à leurs arrangements, autrement dit à ce qui peut rappeler, toutes choses égales par ailleurs, une contre-culture ouvrière ou salariale (Durand, 2006 ; Roy, 2006 ; Willis, 1977). L’attention portée aux tenues de travail, aux outils, aux machines et aux équipements qui encadrent la pratique (Prunier-Poulmaire, 2000 ; Belorgey, 2016), aux hexis professionnelles, aux savoir-être et aux émotions dictés par les institutions (Hochschild, 2017) permet d’opérer un pas de côté par rapport aux travaux et aux recherches existants. On peut tout d’abord envisager l’existence de cultures professionnelles propres à chaque filière ou discipline avec leurs normes éthiques propres et leur littérature professionnelle jugée utile (Paillet, 2007). Les prescriptions de certaines formations, normées, répétitives et découpées en une série de tâches, rappellent les consignes de travail des ateliers de production ou encore des lignes de caisse (Bernard, 2005). Dans son article (« Le processus de construction des inégalités dans l’apprentissage de la régulation émotionnelle en classe préparatoire littéraire »), Cédric Laheyne montre que la classe préparatoire produit des cadres stricts de travail, générant la construction d’un rapport déterminé au temps et au travail scolaire. Souvent déstabilisés par leur accession dans cet univers institutionnel, les élèves apprennent à prendre en charge leurs états intérieurs et leur manière de les percevoir. Le travail sur les émotions (Hochschild, 2017), comme manière de s’ajuster aux contraintes institutionnelles, est un travail à part entière, qui varie en fonction de l’origine sociale et des trajectoires scolaires de ces élèves. Il souligne enfin que l’action socialisatrice propre à la classe préparatoire préfigure des attendus du monde professionnel par l’inculcation d’un « sérieux managérial ».

8Il est également intéressant d’appréhender les pratiques d’études comme des postes de travail auxquels les étudiant.es s’ajustent (Linhart, 1978). Les différents espaces institutionnels, dans lesquels les pratiques d’apprentissage prennent place, par leur relative permanence et l’encadrement qu’ils imposent, déterminent en partie les profils sociaux étudiants ainsi que les qualités et savoir-faire attendus, ou encore les hiérarchies du travail induites, comme les formes que ce travail revêt. Ces institutions de formation, différemment situées dans l’espace social segmenté et hiérarchisé de l’enseignement supérieur, engagent des temporalités, des techniques et des façons de faire ainsi que des curricula, auxquels les étudiant.es s’ajustent en fonction de leurs caractéristiques socio-scolaires, de leurs parcours et de leurs ressources. Proposant une analyse des manières d’étudier en IFSI, l’article d’Alice Lermusiaux (« L’effet des socialisations scolaire et professionnelle sur les pratiques de travail en IFSI ») développe une analyse du travail étudiant et montre que les « techniques du travail intellectuel » (Bourdieu & Passeron, 1964) propres au métier d’infirmière font l’objet d’une transmission et d’un apprentissage effectifs, qui reposent sur une organisation, des tâches, un emploi du temps spécifiques à ces formations. Le travail étudiant est ici rapporté à la socialisation scolaire des étudiant.es et montre la continuité qui existe entre des dispositions scolaires acquises antérieurement et les manières d’étudier. L’article de Gaële Henri-Panabière (« De la première à la troisième année d’une licence : comment l’assiduité étudiante est-elle travaillée ? ») montre pour sa part comment, dans une institution universitaire aux cadres matériels et temporels lâches, les indicateurs de réussite ne sont pas très éloignés des indicateurs de performance à l’œuvre dans certains contextes professionnels (Belorgey, 2016 ; Eyraud, 2013). Des formes de contrôle social horizontal s’y développent de manière similaire : la quantité de travail fournie par les étudiant.es ou encore les pratiques d’absentéisme font d’abord l’objet d’un ajustement pratique via le jugement des pairs avant même de faire l’objet d’un traitement institutionnel. De la même façon, une partie des apprentissages se réalise in fine « sur le tas », au contact des pairs.

9De manière complémentaire, Ruggero Iori (« L’“intensité” du curriculum en service social : un apprentissage en tension entre standardisation scolaire et qualification professionnelle ») montre que les filières en service social s’appuient sur des cadres temporels et matériels plus étroits, contribuant ainsi à structurer institutionnellement les manières d’étudier des étudiant.es. L’intensité du curriculum, comme des formes de travail induites en formation, est une des modalités permettant l’inculcation d’un ethos professionnel. Plus verticale et serrée, l’emprise de la formation n’en est pas totale pour autant et, en fonction de leurs caractéristiques sociales, les étudiant.es entretiennent un rapport plus ou moins lâche aux prescriptions professionnelles. Dans d’autres espaces d’études, l’injonction à l’autonomie fait penser aux nouvelles organisations de travail mises en œuvre dans nombre d’entreprises marchandes ou de service (Linhart, 2009). Serge Proust, Myriam Normand et Corinne Védrine (« Ethos vocationnel et extension du travail pour les étudiants des écoles supérieures d’art ») s’intéressent dans leur article aux modalités d’imposition de cadres (travail sur projet, flexibilité, etc.) au travail étudiant de plusieurs écoles supérieures d’art. Les étudiant.es y sont sommé.es de façon constante voire « totale » (l’amplitude temporelle de cet encadrement dépassant largement les emplois du temps officiels) de montrer et de justifier leurs réalisations (à travers leur corps ou à l’aide de multiples exercices et techniques ou encore en transformant des matières et des objets). L’émergence d’un ethos vocationnel, ainsi recherchée chez ces étudiant.es, se révèle congruente avec des formes essentielles de l’organisation capitaliste actuelle du travail (Boltanski & Chiapello, 1999 ; Menger, 2002).

10Ce numéro de la RFP montre que les étudiant.es ne sont pas les « pâtes molles » des institutions éducatives supérieures (Lagroye & Offerlé, 2011). Au contraire, elles et ils contribuent activement à la définition de leurs apprentissages. Autrement dit, à la manière des travailleuses et des travailleurs qui façonnent leur poste, les manières d’étudier des étudiant.es façonnent en retour les institutions d’enseignement supérieur ; elles et ils interprètent et reformulent les attentes enseignantes, y résistent ou les détournent ; elles et ils engagent leur propre « perspective », à savoir « une définition de la situation dans laquelle les actrices et les acteurs sont impliqués, une formulation des objectifs qu’ils s’efforcent d’atteindre, un ensemble d’idées précisant quel genre d’activités sont propices et appropriées et un ensemble d’actes ou de pratiques en accord avec ces dernières » (Becker, Hughes, Geer et al., 1961, p. 436). Pour autant, si les étudiant.es ne sont pas des réceptacles passifs, ce sont bien des formes et des formats établis de l’enseignement supérieur actuel qu’elles et ils investissent de leurs appropriations différenciées. Au final donc, les articles qui suivent soulignent la dimension dialectique des rapports entre formes et formats institués et investissements étudiants dans différents secteurs de l’espace des études supérieures en France. On songe ici à appliquer à cet espace la remarque de Jacques Lagroye mettant en avant « la dialectique fondatrice de tout fait institutionnel, entre l’objectivité (règles, rites, etc.) et les investissements variés des membres qui, seuls, font “exister l’institution” par leur engagement dans ses activités ». Ainsi, dans la continuité des travaux de Becker et son équipe, en se situant dans une approche résolument interactionniste, l’article de Marie David (« Travailler à l’université. La définition étudiante du niveau et de la direction des efforts à fournir ») s’intéresse à la façon dont les étudiant.es construisent, à l’échelle du groupe (ici le groupe TD), leurs apprentissages réels. L’apprentissage collectif des savoirs universitaires par des étudiant.es de première année dans trois filières différentes (physique, chimie, sociologie) est ainsi analysé comme un cas particulier de travail contrôlé et encadré, ici par des enseignant.es. Pour autant, à l’instar de ce que révèle Roy (2006) en observant le travail ouvrier, les travailleuses et les travailleurs, ici les étudiant.es enquêté.es, ont des marges de manœuvre : elles et ils établissent en effet, en amont, durant et en aval des séances de TD, ensemble, des normes collectives visant à réduire d’une part la quantité de travail qui leur est demandé et d’autre part les efforts d’apprentissage à fournir. L’article montre ainsi comment est négocié le travail prescrit et comment se construit à l’échelle collective le travail réel.

11Enfin, pour donner à voir la dimension heuristique de la perspective théorique proposée tout au long de ce numéro, nous y incluons la traduction par Ruggero Iori et Florian Tixier d’un chapitre de l’ouvrage Boys in white (Becker, Hughes, Geer et al., 1961), ouvrage portant sur la socialisation des étudiant.es en médecine. Ce livre, important à la fois pour la sociologie du travail et des professions développée par les sociologues de Chicago à la suite d’Everett Hughes comme pour la sociologie de l’éducation, est paradoxalement mal connu en France. Cela tient probablement à sa non-traduction en français jusqu’ici. La traduction d’un chapitre de cette enquête de référence donnera à voir concrètement en quoi l’analyse du travail d’apprentissage des étudiant.es, outillée par les concepts et méthodes de la sociologie interactionniste du travail, permet de renouveler les questionnements sur la socialisation étudiante. Le texte traduit pour ce numéro (« L’assimilation des valeurs médicales par les étudiants de médecine ») constitue le treizième chapitre du livre des sociologues nord-américains et, plus précisément, s’inscrit dans la troisième partie dédiée à l’étude de la culture étudiante lors des années d’apprentissage médical. Ce chapitre étudie les différentes « perspectives » mises en avant par les étudiant.es pour se préparer à deux dimensions du travail médical : la responsabilité et l’expérience clinique. Il approfondit notamment les stratégies mises en avant dans l’apprentissage du point de vue médical et les tensions qui découlent de l’intériorisation de ces perspectives.

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Mise en ligne 26/04/2021

https://doi.org/10.4000/rfp.9636
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