Notes
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[1]
Les auteurs remercient chaleureusement Jean-Yves Rochex pour son accompagnement constant qui a permis à ce travail au long court de trouver son aboutissement. Merci également aux rédacteurs en chef et aux évaluateurs, pour le dialogue constructif engagé à l’occasion de cette production. La maison de Biron aura été un cadre propice pour se concentrer pleinement sur ce travail !
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[2]
Les initiales DS désignent le terme de « désordres scolaires » et seront utilisées dans cette note pour en alléger la lecture.
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[3]
Le corpus mobilisé en vue de cette note de synthèse est centré sur la période 1985-2015, pour autant, nous avons dû référer à des travaux antérieurs pour contextualiser ceux de la période étudiée ; nous nous sommes également autorisé quelques références à des travaux plus récents mais néanmoins incontournables pour traiter de certaines notions en prise directe avec le corpus de cette note.
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[4]
Loi no 85-1371 du 23 décembre 1985 de programme sur l’enseignement technologique et professionnel issue des travaux de la Mission École-Entreprise créée par Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale.
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[5]
Le terme d’appartenance est ici à lire dans son acception dynamique afin de ne pas figer de façon immuable les acteurs dans des origines qui leur sont parfois assignées ou présupposées mais qui peuvent aussi être revendiquées, modelées ou tues.
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[6]
Nous avons travaillé à partir de la recension exhaustive des revues ou des sommaires des revues suivantes : Actes de la recherche en sciences sociales, Carrefours de l’éducation, Déviance et Société, Éducation et sociétés, Ethnographie française, International Journal of Violence and Schools, Revue française de pédagogie, Recherches et éducations, Revue française de sociologie, Revue française de science politique, Terrain.
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[7]
Désordres scolaires, ordre scolaire, violences scolaires, incidents, chahut, discipline, sanction scolaire, dérégulation scolaire, anomie scolaire, autorité, incivilités, exclusions, perturbation, conflits, comportements déviants, absentéisme, décrochage, règles, résistance.
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[8]
Nous avons consulté les dossiers de veille de l’IFÉ no 2, 14, 22, 23, 32, 37, 54, 55, 57, 80, 84 et 90. Ils sont consultables en ligne : <http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/ListeDossiers.php?LIMIT_ETU=0,10>.
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[9]
Travis Hirschi travaillant sur les conduites déviantes et le contrôle social examinera ce type particulier de relations au regard des autres relations sociales et formes d’attachement pour fonder sa théorie du lien social (Hirschi, 1969).
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[10]
Erving Goffman fait du stigmate un concept sociologique en révélant la dimension relationnelle de la stigmatisation car c’est une « identité par autrui » qui est apposée sur la personne stigmatisée : « lorsque la différence n’est ni immédiatement apparente, ni déjà connue, lorsqu’en deux mots, l’individu n’est pas discrédité, mais bien discréditable » (Goffman, [1963] 1975, p. 57).
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[11]
Richard Nice a traduit la plupart des ouvrages de Pierre Bourdieu en anglais mais aussi ceux de Jacques Rancière.
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[12]
L’ouvrage de Paul Willis ne sera traduit en français qu’en 2011 aux éditions Agone par Bernard Hœpffner dans la collection « L’ordre des choses » dirigée par Sylvain Laurens, Julian Mischi et Étienne Pénissat sous le titre L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers.
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[13]
Qui renvoie à une absence de traitement différencié des élèves dans les situations d’apprentissage, et qui consiste à exiger d’eux des savoirs dont ils ne disposent pas tous, alors même qu’on ne les enseigne pas ou ne les exerce pas chez ceux qui en ont besoin.
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[14]
Qui renvoie à une adaptation des tâches, des supports et des modes de travail du fait de la prise en compte des différences avérées ou supposées des élèves.
1Cette note de synthèse [1] s’intéresse aux travaux qui traitent des désordres scolaires au travers de différents objets sociologiques. Les désordres scolaires ne peuvent pas être considérés comme un champ de recherche autonome et situé en tant que tel dans l’espace scientifique ; cette notion est plutôt une manière de rendre compte d’une pluralité d’objets qui, s’ils sont traités de manière disjointe, participent d’une mise en cohérence de ce qui fait problème à l’école comme de la désignation de « ceux » qui lui font des problèmes : les désordres scolaires renvoient à des déviances scolaires qui se manifestent au travers des résistances, des refus de travail, de formes diverses de replis (apathie, ennui, démotivation), des actes de violence, ou par le biais de comportements de rupture qui perturbent le fonctionnement « ordinaire » de l’école ou sont perçus comme tels par ses acteurs. Il ne s’agit pas de céder à un inventaire à la Prévert qui verrait s’allonger l’interminable liste des formes prises par ces désordres. L’enjeu de cette contribution est ailleurs, et vise à faire rupture avec une connaissance profane et avec les modes de catégorisation politiques, institutionnels ou médiatiques, qui ont spontanément tendance à réifier un tel objet. Les projecteurs braqués sur certaines des déclinaisons des désordres scolaires sont aveuglants et déformants ; ils accentuent les traits de ce qui n’est qu’un contour, ils creusent des sillons propres à favoriser la mise en avant des situations les plus spectaculaires, ils réduisent la focale à des portions congrues de phénomènes qui nécessitent pourtant une lecture à plusieurs dimensions et en nuances. Travailler sur les violences à l’école ce n’est pas forcément faire la promotion des faits les plus spectaculaires qui suscitent pourtant un intérêt certain ; s’intéresser aux formes de désignation des élèves producteurs de désordres ce n’est pas nécessairement stigmatiser les plus fragiles ; interroger l’évolution des politiques publiques pour prendre en charge les manquements à l’ordre scolaire ne signifie pas obligatoirement l’adhésion aux discours ou aux mesures qu’elles promeuvent. Il est de fait indispensable d’interroger les cadres et les ancrages épistémologiques qui organisent les travaux scientifiques qui s’y intéressent, et nous faisons l’hypothèse qu’ils sont susceptibles de nous renseigner de manière plus générale sur certains marqueurs de l’évolution de la recherche en sociologie de l’éducation comme de ses rapports avec d’autres disciplines. Il ne s’agit évidemment pas de considérer que tous les travaux en sociologie de l’éducation traitent des désordres scolaires, mais bien que l’analyse des recherches relatives aux DS [2] offre l’opportunité d’interroger des transformations plus générales du champ : évolution des grands courants de pensée, influence du débat public sur la structuration de la recherche, transformations de l’objet débitrices des transformations de l’organisation scolaire par exemple.
2Les travaux sur les désordres scolaires s’inscrivent dans des sociologies de l’éducation, de la déviance et progressivement de l’action publique, qui prennent en considération l’épaisseur historique des phénomènes, et permettent une analyse diachronique de ce qui fait désordre à l’école et des réponses apportées à divers niveaux (individuel, institutionnel, étatique). Ils examinent les perceptions et définitions qu’en donnent les acteurs des différents corps professionnels, de diverses institutions ou de politiques publiques notamment éducatives et facilitent ainsi une lecture analytique des niveaux micro-, méso- et macro- sociologiques.
3La notion de désordre scolaire n’a de sens et d’épaisseur que dans sa relation dialectique avec ce qui fait l’ordre scolaire et renvoie de fait à un corpus de normes et de valeurs situées temporellement, géographiquement, culturellement, et qui dessine ce qui fait ordre ou désordre à l’école. Les accords qui se nouent ou se délient autour de la définition de ces désordres et de leur traitement font émerger les rapports de force entre les acteurs et les agencements, plus ou moins instables, des procédures, des paramètres et des règles du jeu de l’action publique auxquels ils se livrent.
4Cette note de synthèse qui présente et discute des travaux sociologiques français conduits ces trente dernières années est structurée en deux parties [3]. La première, qu’on lira ci-dessous, précise la délimitation de l’objet et identifie les aspects les plus saillants de son traitement. Elle développe plus particulièrement les éléments d’interprétation issus d’une analyse diachronique visant à borner l’empan des différents objets et catégories mobilisés pour traiter des désordres scolaires, et interroger ainsi ce que l’objet révèle non seulement des modes de construction du champ, mais aussi de l’évolution d’une sociologie de l’éducation française en mouvement. Nous y abordons les désordres scolaires à partir des relations étroites que les recherches sur cet objet peuvent entretenir avec les travaux qui ont été regroupés sous le label Nouvelle sociologie de l’éducation, importée de Grande-Bretagne, qui l’a fortement et durablement marqué. Puis, nous examinons la relation dialectique entre l’ordre scolaire et ses perturbations. La seconde partie de cette note, à paraître dans une prochaine livraison de la Revue française de pédagogie, présentera – pour la même période temporelle (1985-2015) – l’organisation du traitement de cet objet du point de vue politique, tandis qu’un pan des recherches relatives aux DS s’attache à restituer les trajectoires d’individus pris dans des contextes pour le moins contrastés. Enfin, dans cette seconde partie, nous examinerons les transformations les plus récentes de l’objet de recherches en lien avec des évolutions plus générales du champ de la sociologie de l’éducation. L’analyse diachronique de ces travaux peut donner le sentiment d’une dépolitisation croissante à l’égard de ces désordres scolaires. Les travaux de recherche allant, les paradigmes convoqués changeant, les désordres sont de plus en plus appréhendés pour eux-mêmes, comme phénomènes propres, au risque de les présenter et de les penser indépendamment de leurs contextes d’apparition.
Les désordres scolaires : fondements d’une revue de littérature intensive
Les désordres scolaires : un objet récent qui déborde l’école
5La délimitation temporelle du corpus d’une note de synthèse de ce type n’est pas aisée. À partir de quelle date considérer les travaux qui s’intéressent à ces questions ? Il serait logique de couvrir la période à partir de laquelle l’objet émerge sur la scène scientifique. Mais les travaux qui couvrent la production sociologique des années 1960 et 1970 et l’avènement du collège unique sont déjà fort nombreux, et particulièrement bien renseignés (Debarbieux & Montoya, 1998 ; Forquin, 1983 ; van Zanten, 1991). Aussi, nous avons choisi comme point de départ l’année 1985, qui, avec la loi du 23 décembre, a initié une réforme visant à conduire 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat [4]. Cette réforme a posé les bases du système éducatif actuel, et les trente années suivantes voient se confirmer des processus de massification et de démocratisation qui marquent une transformation structurelle de l’école, dans le second degré en particulier.
Les absents d’hier comme problème d’aujourd’hui : enjeu de la massification scolaire
6Ainsi, l’année 1985 marque l’entrée dans la décennie de la « seconde explosion scolaire » (Poullaouec & Lemêtre, 2009) qui consiste, dix années durant, en une massification renouvelée du secondaire où le taux d’accès au baccalauréat passe de 31 % en 1986 à 63 % en 1995, mais aussi du supérieur avec le doublement des effectifs entre 1980 et 2000 (la population estudiantine passe d’un à deux millions). Cette seconde explosion scolaire s’accompagne de réajustements, non pas tant au niveau des contenus ou des pratiques pédagogiques, qu’au niveau des modalités et des procédures d’orientation et de sélection perpétuant un tri scolaire sur des bases sociales (Chauvel, 2016). La création des baccalauréats professionnels a conduit à une transformation des équilibres entre les différents types de bacs, sans trancher la double finalité de la poursuite d’études et de l’insertion professionnelle (Jellab, 2008). Ce mouvement de massification scolaire a fait l’objet de différents travaux qui l’ont interrogé à l’aide des notions de démocratisation quantitative, qualitative (Prost, 1986) ou ségrégative (Merle, 2002) et qui ont montré le maintien d’inégalités de réussite scolaire et la corrélation de ces inégalités avec divers traits sociologiques (groupes d’appartenance [5] sociale, culturelle, ethnique, territoriale). Dans cette note, les désordres sont donc abordés en lien avec le renouvellement des processus de production des inégalités scolaires et au regard des effets de la recomposition structurelle du système éducatif français trente années durant, de 1985 à 2015. À partir de cette date, le système éducatif vise au maintien de toute une classe d’âge au terme du collège, alors que les élèves les plus en difficulté pouvaient auparavant être orientés (par défaut) vers l’enseignement professionnel court, ce qui oblige à maintenir au collège (voire au-delà) des élèves qui pouvaient jusque-là être considérés comme « inenseignables » ou « non scolaires ». En d’autres termes, l’école se prolonge et devient incontournable dans les trajectoires des nouvelles générations, situation qui reconfigure le poids de l’école comme ses fonctions sociales (Isambert-Jamati, 1985).
7Mais cette contextualisation ne peut se satisfaire d’une approche scolaro-centrée. Si l’avènement des DS comme objet de recherche s’inscrit dans un contexte de production scientifique qui questionne l’école et ses abords, il est nécessaire de considérer aussi les transformations de l’environnement résidentiel des élèves et d’examiner leurs conditions de socialisation en dehors de l’école. Ceci semble d’autant plus indispensable que ces autres espaces sont eux-mêmes fortement empreints, et de façon croissante, d’inégalités multiples (socio-économiques, démographiques, de santé, d’accès aux institutions publiques) malgré les innombrables plans ou programmes de requalification, de réhabilitation ou de rénovation urbaine (Donzelot, 2006) qui ne suffisent pas à venir à bout des violences spectaculaires qui ponctuent régulièrement l’actualité de ces quartiers à partir des années 1980.
Des quartiers en désordre : la montée des préoccupations sécuritaires
8Les rodéos des Minguettes de 1981 marquent la découverte par le public français d’une situation de tension dans les quartiers populaires. Les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1990 sont une nouvelle étape dans l’appréhension d’un phénomène qui colle alors à l’image de ces « banlieues » dont on craint la dérive (Kokoreff, 2006). Le gouvernement socialiste de l’époque attribue de nouveaux moyens en faveur des quartiers. Une mission interministérielle est lancée sous le terme de « Banlieue 89 », pilotée par un architecte et un urbaniste qui se donnent pour objet de penser le désenclavement de ces « quartiers d’exil » qui mobilisent les sociologues (Dubet & Lapeyronnie, 1992). Un ministère de la Ville chargé de coordonner une « politique de la Ville » dite « anti-ghetto » est mis en place en 1990. Mais le spectacle d’adolescents et de jeunes adultes mettant à sac leur propre quartier a un retentissement considérable dans l’opinion publique, et attire l’attention des médias qui se plaisent à « dramatiser la violence officielle » (Body-Gendrot, 1993). L’attention médiatique est à son comble quand les services policiers décident de développer de nouveaux moyens d’expertise pour proposer leurs propres données et analyses (Bui-Trong, 2000). La notion de violences urbaines, prenant appui sur un discours aux allures scientifiques, permet de développer dans l’espace médiatique un réseau d’influence conséquent auprès de l’opinion, de la presse et des politiques (Mucchielli, 2000 ; Wieviorka, 2004). Les « violences urbaines » apparaissent ainsi comme une addition confuse de manifestations violentes diverses, fruit de jeunes garçons présentés comme « sans repères, ni moraux, ni sociaux, ni civiques » (Bauer & Raufer, 2002, p. 27) et illustrant le retour de la « barbarie » et des « classes dangereuses ». Les thèmes de la « violence urbaine » et de la « délinquance juvénile » deviennent incontournables et alimentent les discours de politiques sécuritaires qui bénéficient d’un large impact sur l’opinion publique.
9Loin des raccourcis essentialistes qui saturent alors l’espace médiatique sur ces questions, Olivier Mongin et Denis Salas décèlent alors dans ces événements l’émergence d’une nouvelle forme de délinquance, dite d’exclusion (Mongin & Salas, 1998), qui a pour particularité d’être territorialisée, collective, et ancrée dans la précarité. Ces caractéristiques essentielles la différencient des deux autres formes traditionnelles de délinquance dites « initiatique » et « pathologique » qui ont donné lieu à l’ordonnance de 1945 relative au traitement de la délinquance juvénile. Lode Walgrave, avec d’autres termes, mais des idées relativement proches, parle d’une nouvelle forme de délinquance de « précarité » qui s’adjoint aux délinquances « passagère » et « de symptôme » (Walgrave, 1992). L’auteur précise que cette nouvelle forme de délinquance s’immisce à l’école chez des élèves confrontés à des perspectives d’avenir qui ont tendance à se rétrécir. L’institution scolaire constitue un point d’ancrage dans les écrits qui se penchent sur la construction de ces manifestations de violences. Que ce soit par exemple dans les travaux de Christian Bachmann et Nicole Le Guennec (1997) relatifs aux « émeutes » du milieu des années 1990 qui touchent un quartier de Melun, et plus encore dans la monographie que réalisent Stéphane Beaud et Michel Pialloux (2003) sur les violences qui frappent une Zone urbaine prioritaire du pays de Montbéliard, l’école apparaît comme élément structurant de l’expérience de la relégation, alors qu’elle semble devenir aussi un terrain privilégié du désordre et de l’anomie qui affectent ces territoires. Plus encore qu’une détérioration objective des conditions de production des désordres dans l’espace scolaire, c’est bien aussi l’image des jeunes de quartiers populaires qui est largement brouillée par le stigmate du quartier et de sa violence, laissant augurer d’une compatibilité incertaine des univers normatifs en présence (van Zanten, 2000 ; Caillet, 2005).
La sanctuarisation de l’école : rêve et illusions
10Apparaissent dès lors des appels à la (re)sanctuarisation de l’école, avec une attention très forte sur le collège unique qui semble cristalliser les difficultés. Ces discours qui lient l’affaiblissement de l’école à sa perméabilité au monde sont récurrents et mettent en exergue les transformations et recompositions de son programme institutionnel, une inexorable « baisse de niveau », une « crise de l’autorité », etc. Ces discours se nourrissent en les infléchissant ou en les caricaturant de diverses réflexions philosophiques tant sur la place du savoir et le statut de(s) vérité(s) à l’école (Croché, 2014 ; Latour, 2006 ; Latour & Biezunski, 2005) que sur l’avènement d’une postmodernité qui signerait la fin de l’influence de grands récits ou romans nationaux, jusque-là perçus comme les meilleurs outils de transformation et d’émancipation citoyenne (Lyotard, 1979) : la rencontre de l’élève avec ces récits lui permettait de s’affilier à un Savoir et à une Culture présentés comme uniques et universels. Les appels répétés à clôturer, à sanctuariser l’école révèlent en creux une vision faisant de l’école un havre de paix au milieu d’un océan de violence. L’allégorie produit un modèle d’« école-éponge » (Ballion, 1997) qui, dans cette fiction sociale, absorbe les dysfonctionnements de la République, les déliquescences sociétales de territoires « criminogènes » ou « violents » et les comportements disruptifs de ses habitants les plus jeunes. Ce modèle d’« école-éponge » comme cette façon de penser une école assaillie par des intrus malveillants perdurent et confortent la mise au ban de territoires inéluctablement perçus comme pourvoyeurs d’élèves-assaillants, hautement perturbateurs, primo-délinquants, etc. Ceci n’est pas sans rappeler les processus de constitution et de désignation des classes populaires en classes dangereuses que Louis Chevalier a mis en lumière dès 1958 (Chevalier, 1958). Ces assertions se posent comme vérité ne méritant ni discussion ni nuance et génèrent peurs, fantasmes et fictions chez des acteurs scolaires (et non scolaires) qui, pour la plupart, ne vivent plus dans ces quartiers, ne faisant au mieux que les traverser. L’« école-éponge » soulève néanmoins la question cruciale de la définition des frontières de l’école (Rayou, 2015), de leur porosité aux cultures juvéniles et aux sociabilités – y compris déviantes – des populations scolaires. C’est aussi l’architecture des écoles qui est ici interrogée, l’agencement des espaces scolaires au sein des murs de l’école (Derouet-Besson, 1996). Le discours de (re)sanctuarisation que l’on retrouve dans certains travaux (Ballion, 2000) oppose le mythe, l’illusion ou la nostalgie d’une école qui pourrait être ou aurait été havre de paix, à la déploration catastrophiste d’une école soumise aux dysfonctionnements sociaux et aux violences extérieures. Ainsi, « l’institution scolaire dans son ensemble s’est d’autant plus repliée sur elle-même qu’elle s’est sentie de plus en plus menacée par la dégradation, la dureté et l’étrangeté de son environnement immédiat » (Oberti, 2006, p. 150). La montée en puissance du thème de la violence à l’école va contribuer à renforcer les attitudes de défiance de l’école à l’égard de cet environnement, et à transformer dans une certaine mesure les routines enseignantes qui considèrent de manière nouvelle la question de la gestion de l’ordre dans la forme scolaire (van Zanten, 2001 ; Barrère, 2002). Ces questions d’ordre et de sécurité dans l’espace scolaire vont s’imposer dans le débat public et devenir une des préoccupations majeures des acteurs de l’école (Debarbieux & Montoya, 1998). La sanctuarisation de l’école s’impose ainsi dans le discours politique et médiatique comme une réponse logique et « de bon sens » à une situation critique qui fait de l’école et des désordres qui la traversent un problème public (Moignard, 2010).
Entre intérêt scientifique et intérêt politique : les désordres scolaires comme problème public
11L’examen des enjeux institutionnels de ces trente années autour des DS révèle un objet traversé par des tensions et débats qui renforcent sa construction comme « problème public » (Pfohl, 1977). De problème scolaire, ces désordres sont mis en récit et s’échappent du seul espace de l’école, appelant en retour une action des pouvoirs locaux et nationaux. Daniel Cefaï rappelle que les problèmes publics sont « des enjeux de définition et de maîtrise de situations problématiques, et donc des enjeux de controverses et d’affrontements entre acteurs collectifs dans des arènes publiques » (Cefaï, 1996, p. 52). Les perturbations de l’ordre scolaire sont désignées et qualifiées comme désordres, comme déviance scolaire par des groupes sociaux qui prônent un traitement, une sanction, une action de contrition ou de (re)médiation. Cette configuration en problème public (Cefaï, 1996 ; Gilbert & Henry, 2012) résulte de la concomitance de plusieurs processus : d’abord la désignation et la qualification de ce qui fait problème, malgré parfois des controverses définitionnelles importantes ; ensuite, la publicisation sur la scène politique et médiatique de ce problème, initialement scolaire rappelons-le ; vient enfin l’externalisation de ce problème scolaire qui s’opère via la désignation de coupables ou de causes de ces désordres relevant d’un ensemble de maux, pour la plupart extérieurs à l’institution scolaire, et sur lesquels elle n’aurait pas ou peu prise.
Les désordres scolaires : un marqueur supplémentaire de pathologisation du social
12Ce mouvement s’insère dans une dynamique plus large qui interroge les formes de mobilisation autour de questions qui posent problème dans l’école. Ainsi, la désignation et le traitement des comportements dits « à risque » sont en plein essor, comme les conduites inadaptées ou les troubles des apprentissages, dont la causalité est imputée non pas tant à l’institution scolaire et à son organisation qu’à l’individu et ses (in)capacités supposées. Derrière cette forme de pathologisation du social que dénonce par exemple Sandrine Garcia concernant le traitement de l’échec scolaire, on observe une démultiplication de troubles « dys » qui sous-tend une recomposition de l’idéologie du don, propre à expliquer une « reproduction alternative des inégalités » : ce n’est plus tant le milieu social qui permet de comprendre les inégalités de réussite à l’école que des pathologies ordinaires qui limitent les capacités des uns et des autres à réussir (Garcia, 2013). Dans le même sens, l’émergence et l’emprise sur les DS des secteurs para-médicaux et médicaux semblent rencontrer une écoute favorable de la part d’acteurs scolaires à la recherche d’interlocuteurs renouvelés dans la prise en charge des perturbations de l’ordre scolaire. Il ne s’agit pas tant dans ce mouvement de dénoncer et/ou d’analyser les écarts ou les malentendus entre réquisits institutionnels, socialisation scolaire, temps des apprentissages et ressources propres des élèves en tant qu’habitus scolaire et social plus ou moins conforme aux attentes scolaires, que d’imputer aux seuls individus la responsabilité de leurs difficultés, de leurs comportements de perturbation, particulièrement si ces derniers proviennent d’élèves qui ne répondent pas aux exigences normatives dominantes. Les travaux d’Isabelle Coutant sur la prise en charge d’adolescents de milieux populaires dans une unité psychiatrique de crise font la démonstration de ce renouvellement des modes de légitimation de l’intervention des institutions sur le gouvernement des populations, qui tendent à assimiler « troubles psy », jeunes difficiles – particulièrement jeunes de banlieue – et délinquance juvénile (Coutant, 2012). C’est dans ce contexte que s’imposent à l’école des modèles explicatifs des problèmes scolaires, résolument orientés vers des registres disciplinaires (durcissement des sanctions) ou la réactivation de paradigmes plus anciens (personnification des difficultés scolaires ; médicalisation des difficultés d’apprentissage, etc.) qui revendiquent une capacité à agir sur ces nouveaux problèmes publics, voire à résoudre une part des difficultés identifiées.
Ce que la science peut contre les désordres : de quelques distinctions épistémologiques
13Si cette revue de littérature s’intéresse d’abord au champ de la sociologie de l’éducation, il nous semble nécessaire de situer certaines des tensions qui traversent plus largement la production scientifique lorsqu’il est question des désordres. Derrière les ancrages disciplinaires s’énoncent également des rapports singuliers au monde et à ce que peut la science. Le succès de la psychologie cognitive et des neurosciences dans la publicisation et le traitement de ces questions est un bon exemple de cette nouvelle donne (Sander, Gros, Gvozdic et al., 2019), qui interroge en creux la sociologie et sa capacité à formuler des réponses audibles pour les décideurs et les acteurs du terrain.
14Stanislas Morel cherche à comprendre dans ses travaux ce qui fonde le succès de ces approches dans le débat public à partir de la mobilisation des neurosciences cognitives comme recours pour expliquer, voire traiter l’échec scolaire. Il rappelle ainsi que « dans la mesure où les facteurs biologiques/génétiques et environnementaux sont en continuelle interaction, il ne serait ni possible ni souhaitable de chercher à isoler leur poids respectif et de les hiérarchiser (Morel, 2014). Outre qu’elle désactive, en la reléguant au passé et au dépassé, la critique indissociablement scientifique et politique de réductionnisme biologique, cette mise à distance de la question de la hiérarchisation des ensembles de facteurs bio-psycho-sociaux agissant sur la cognition s’effectue au profit d’une posture pragmatique visant à privilégier la description et l’action aux explications causales et ontologiques (Hackman & Farah, 2009) » (Morel, 2016). En d’autres termes, il est demandé à la science de proposer des modes d’intervention susceptibles de résoudre des problèmes identifiés par ailleurs. Les approches liées à la psychologie cognitive ou aux neurosciences disposent d’un atout de poids dans cette injonction à rendre possible l’action : elles se fondent sur un registre biologique qui participe d’une forme de mécanisation des problèmes du monde et de la désignation des comportements adaptés pour y faire face. À un problème P, il suffirait d’appliquer la solution S disponible dans la diversité des explications naturalisantes. C’est l’activation de telle partie du cerveau pour apprendre, c’est la stimulation de tel registre d’explicitation pour rester calme, c’est l’expression de ses sentiments profonds pour éviter le passage à l’acte violent. Cette réduction du monde n’est pas tant le résultat de la mobilisation des scientifiques eux-mêmes que la lecture qui est faite de certains champs disciplinaires sur le terrain ou dans l’espace politique. Il semble dès lors possible de résoudre des difficultés sinon indépassables, plutôt que de mettre en perspective des causes multiples et des niveaux d’action enchevêtrés qui disent d’abord la complexité du monde social. Autrement dit, ces tensions dans le rapport à l’action de disciplines plurielles disent quelque chose de l’affaiblissement d’une lecture politique du monde, au profit d’une naturalisation des registres d’explication de ce qui fait problème.
15En matière de DS, on observe une montée en puissance des épistémologies de la santé publique, des neurosciences et de la psychologie cognitive, qui se proposent d’évaluer les risques psycho-sociaux causés par ces désordres et de pallier les difficultés individuelles des divers acteurs. Le propos y est prophylactique et n’entre pas dans les controverses définitionnelles de ce qui fait ou non déviance et désordre scolaires. Ces approches, pragmatiques et programmatiques, s’appuient sur une augmentation des financements de la recherche par projet, visant en particulier à évaluer des dispositifs et des programmes d’actions contre la violence, le harcèlement ou le décrochage par exemple (Algan, Guyon & Huillery, 2015). Ces nouvelles épistémologies et méthodes traduisent et suivent les transformations en cours dans les modèles de justice sociale qui irriguent les débats et travaux sur la justice scolaire. Le choix politique d’une école fondée prioritairement sur une égalité des chances, reposant sur un principe méritocratique en lieu et place d’une école de l’égalité des places visant la réduction des écarts entre positions sociales (Dubet, 2004, 2014 ; Dubet, Duru-Bellat & Vérétout, 2010 ; Duru-Bellat, 2006), consacre le principe de l’équité sur celui de l’égalité et l’avènement pour certains auteurs d’un État managérial se substituant progressivement à un État-providence (Derouet & Derouet-Besson, 2009). Les travaux nombreux qui s’intéressent à l’articulation du choix des familles en matière de scolarisation et des nouvelles politiques éducatives rendent compte de ces évolutions notables (Manzo, 2009 ; van Zanten, 2009). Dans ce contexte, ces nouvelles tendances, qui s’immiscent dans le champ et bousculent les approches plus conventionnelles autour des DS, reflètent les incitations des gouvernements successifs pour que la recherche, y compris sociologique, contribue au traitement des problèmes publics en identifiant les « bonnes pratiques », les dispositifs efficients, les programmes adaptés et les méthodes performantes ; la recherche en éducation est ainsi tenue de s’insérer elle aussi dans le modèle de l’evidence-based policy qui s’installe dans le discours de l’action publique dans plusieurs pays, même s’il est loin d’être toujours suivi d’effets.
Les matériaux mobilisés : la construction d’un corpus documentaire de référence autour des désordres scolaires
16Les propos précédents visent à fixer des repères pour situer le contexte de développement des recherches sur les DS. Les travaux qui s’y référent épousent des mouvements plus larges qui structurent le champ de la sociologie de l’éducation, et qu’il faut expliciter à partir d’un corpus situé. Nous avons donc tenté, au-délà d’une lecture experte qui est souvent celle de cet exercice des notes de synthèse, de cartographier notre objet à partir de deux types de matériaux complémentaires.
Des sommaires de revues : constituer un corpus analytique de publications scientifiques
17Nous avons souhaité étendre et diversifier les corpus bibliographiques que nous avions préalablement constitués lors de nos travaux précédents (par exemple Moignard & Rubi, 2020a, 2020b, 2018, 2013 ; Rubi, 2017, 2005 ; Moignard, 2008). Nous avons organisé ce corpus enrichi en interrogeant le traitement conceptuel proposé par les travaux de recherche sur les désordres, en déclinant plusieurs questions de recherches afférentes à l’objet. Comment est énoncé et catégorisé ce qui va être désigné comme perturbation de l’ordre scolaire ? Quelles sont les formes de perturbations incriminées selon les époques, les interlocuteurs, les structures et les politiques scolaires ? Qui sont celles et ceux qui sont désigné.es comme éléments perturbateurs de cette routine scolaire ? Quelles sont les sanctions mises en œuvre pour remédier à ces désordres ? Ces perturbations font-elles l’objet d’un traitement différenciateur selon le sexe de l’élève, sa classe, son âge, son ethnicisation, son appartenance sociale, etc. ? Quelles sont les interprétations convoquées pour justifier ces désordres et pour entériner les dispositions locales ou nationales prises pour endiguer ces perturbations ? Que révèlent les terminologies usitées pour circonscrire ces DS au regard des fluctuations des périodes et projets politiques, mais aussi au regard des oppositions entre plusieurs paradigmes ? C’est avec cet ensemble de questions que nous avons d’abord travaillé à la recension de tous les articles publiés dans un échantillon de revues scientifiques que nous avons considérées comme centrales ou signifiantes à l’égard des disciplines concernées, ou de l’objet de recherche. Onze revues académiques [6] ont ainsi été travaillées dans une approche diachronique et en appliquant aux articles repérés et insérés dans le corpus une première grille d’analyse thématique qui s’est progressivement affinée et enrichie, à partir des questions précitées. Au total, ce sont 152 articles qui ont été ainsi identifiés et compulsés. Si certaines revues sont très fortement productrices et vectrices des travaux sociologiques conduits sur les DS, d’autres revues comme la Revue française de science politique par exemple boudent l’objet et plus généralement les travaux de sociologie de l’éducation : en trente ans, nous n’avons recensé que deux articles traitant, à la marge, d’éducation ou de politiques éducatives. L’absence de travaux relatifs à ce champ de recherche dans cette revue est un signe des rapports de force se nouant et des hiérarchies se composant au sein des disciplines, entre objets, entre approches disciplinaires, etc. Pour autant, plusieurs auteurs soulignent tout l’intérêt de l’objet enseignement pour la science politique dans ce qu’il signale des évolutions de l’action publique (Buisson-Fenet, 2007 ; Sawicki, 2012) et de ses formes d’évaluations (Pons, 2010).
18À partir de ce corpus, nous avons réalisé une analyse diachronique de la construction de l’objet en essayant de déceler les paradigmes sous-jacents aux façons d’apprécier les DS entre 1985 et 2015. Nous avons particulièrement examiné les méthodologies usitées, les cadres théoriques mobilisés, les appareils interprétatifs convoqués, la présence ou non de travail empirique. Nous avons ainsi pu mettre au jour des lignes de force, plus ou moins saillantes selon les contextes socio-politiques et socio-historiques, dans le traitement de l’objet.
19L’analyse diachronique révèle aussi la vigueur ou le déclin des paradigmes mobilisés, avec des variations très marquées selon les revues considérées. Par exemple, l’emprise progressive des approches économétriques dans le champ de la sociologie de l’éducation ou l’entrée par une approche prophylactique de l’objet via les « éducations à » sont visibles dans certaines revues (Revue française de pédagogie ou Revue française de sociologie par exemple), alors qu’elles sont totalement absentes d’autres publications (Actes de la recherche en sciences sociales par exemple).
Des moteurs de recherche prolifiques : trier pour identifier l’objet
20En parallèle, une seconde procédure nous a permis de constituer un répertoire de 942 références à partir des moteurs de recherche Eric, Francis, SAGE et Cairn, en travaillant à partir des questions précitées et de mots-clés identifiés à la suite des premières recensions dans les revues académiques. Ces mots-clés [7] ont été utilisés dans les moteurs de recherche pour identifier les articles concernés à partir des champs disciplinaires mobilisés, des titres et des résumés.
21De ces 942 références, nous avons retenu 365 articles, en supprimant tout d’abord 456 références liées à des revues privilégiant d’autres entrées disciplinaires, telles que la psychologie. Nous avons éliminé également 98 articles publiés dans des revues à caractère professionnel ou de large diffusion, souvent rédigés dans des formats très courts, et 23 articles dont il nous a semblé que le sujet central était finalement relativement distant du périmètre de cette note. 91 ouvrages identifiés par les moteurs de recherche s’ajoutent à cette liste d’articles scientifiques, complétés de 153 autres productions scientifiques obtenues à partir d’une analyse de dossiers de Veille de l’IFÉ en lien avec notre objet [8], ou de notre propre connaissance de la production scientifique afférente. Au total, et pour cette seconde procédure, nous nous sommes donc appuyés sur un corpus de 458 articles scientifiques et 149 ouvrages qui traitent de l’objet des DS. C’est l’analyse de ces corpus que nous proposons à présent.
La construction des désordres scolaires comme objet scientifique : catégorisations, évolutions et tendances
Une catégorisation des objets scientifiques
22Nous avons examiné l’évolution du traitement scientifique des DS à partir d’une recension exhaustive des articles de revue identifiés dans les principaux moteurs de recherche de sciences humaines et sociales (N = 365). Nous avons pris connaissance de l’ensemble des 365 références répertoriées afin d’y vérifier la proximité avec l’objet. Cet échantillon reste limité et il n’est pas question de prétendre ici à l’exhaustivité. Un certain nombre de travaux et de revues ne sont pas identifiés par ces moteurs de recherche, même s’ils participent de la vie scientifique du champ. Nous avons fait le choix cependant de ne pas les intégrer à ce corpus, de manière à conserver un périmètre de production qui peut être lisiblement circonscrit. Nous avons par ailleurs constaté la faiblesse des moteurs, ou notre incapacité à les faire fonctionner correctement, sur certaines références pourtant incontournables, mais qui n’apparaissent qu’en renseignant par exemple le nom de l’auteur. Enfin, nous n’avons pas intégré dans notre corpus les 91 ouvrages que les moteurs ont également identifiés. Malgré des signes de dépréciation dans certaines formes d’évaluation qui considèrent prioritairement les seules publications dans des revues scientifiques (Gingras, 2014), il n’est pas question de les minorer et nous considérons bien qu’ils participent pleinement de la production scientifique indispensable. Mais nous avons choisi de travailler ces ressources de manière plus transversale à l’ensemble de cette note, et de nous concentrer ici sur un aspect de la production scientifique – la publication des revues – qui, s’il est restreint, doit nous permettre de dégager des tendances sur la nature des productions scientifiques identifiées, leur évolution chronologique et thématique, et les rapports de force entre les approches du champ (Lahire, 2007).
Une typologie des objets de référence
23À partir de ces lectures analytiques, nous avons distingué six thématiques qui renvoient à différents objets liés aux DS. Cette typologie a été construite à partir de trois principes, qui recoupent les préoccupations énoncées par Dominique Schnapper en matière de démarche d’analyse typologique, ici appliquée à organiser les relations au sein des publications traitant des DS (Schnapper, 2005). Nous avons d’abord cherché à identifier une forme de cohérence dans les objets investis par les auteurs. Nous nous sommes assurés ensuite d’un ancrage de la thématique dans un temps continu, en opposition à de possibles effets de mode ou de contexte peu stables. Il s’agit en d’autres termes de ne pas céder à un traitement circonstanciel, mais bien de saisir la structuration dans la durée de certaines productions et de leur assise conceptuelle. Enfin, il s’agissait de cibler des volumes de publications qui soient suffisamment significatifs pour peser sur l’évolution de l’objet et de ses caractéristiques.
24C’est sur ces bases que nous avons tenté de définir des modes de qualification et de traitement des DS qui permettent d’organiser et de saisir cette thématique dans la perspective d’une approche analytique de ses évolutions et lignes de force.
25Ainsi, le traitement des désordres peut être envisagé dans ces productions à l’épreuve d’une sociologie de la violence à l’école qui s’intéresse à la mesure de la victimation des élèves ou des personnels et des moyens susceptibles de la limiter. Une deuxième approche s’intéresse à cette même question à partir d’une lecture plus qualitative du phénomène, et envisage pareillement les désordres au prisme de violences scolaires identifiées en fonction de leur traitement institutionnel et pédagogique. La troisième approche considère l’objet au prisme des enjeux de socialisation et de déviance qu’il révèle, et l’appréhende finalement comme un moyen d’interroger plus généralement les processus à l’œuvre dans la transformation des systèmes éducatifs. La quatrième approche cible le lien entre les désordres et une forme contemporaine de désignation de l’échec scolaire : ce sont les recherches qui articulent les préoccupations liées à la prise en charge du décrochage scolaire et aux formes de désordres qui lui sont associées. La cinquième catégorie traite la question sous l’angle de l’efficacité des programmes d’intervention visant à prendre en charge les désordres, et à la mesure de leur impact sur la performance des écoles. Il s’agit donc de considérer la performance des modalités de prise en charge de ces désordres, généralement désignée dans une acception assez large des manifestations auxquelles ils renvoient : violences, harcèlement, décrochage, etc. Enfin, la dernière catégorie se concentre sur certains aspects de la prise en charge des désordres, en s’intéressant aux modalités à partir desquelles sont définis et mobilisés des cadres disciplinaires et des pratiques autour des sanctions. Ils nous renseignent sur les pratiques d’acteurs, les cultures professionnelles et les cadres éthiques qui régissent le rapport des professionnels – plus que des élèves – à ces mesures imposées par les désordres.
26Cette typologie est contrainte par certaines limites qu’il faut rappeler. Si certains articles sont au carrefour de plusieurs approches, nous avons cherché à définir des tendances majoritaires dans ces travaux pour justifier leur affiliation à l’une ou l’autre des thématiques considérées. En d’autres termes, chaque article ne peut appartenir qu’à une seule catégorie, même s’il peut faire référence à plusieurs approches. C’est là un exercice parfois périlleux, tant le propos des auteurs ne se laisse pas toujours enfermer si facilement. Mais il nous semble malgré tout que ces regroupements donnent à voir des ancrages qui caractérisent les travaux qui s’intéressent aux DS et favorisent une mise en lumière de certaines lignes de force.
Des volumes de publications inégaux en fonction des objets investigués
27La figure 1 restitue la proportion de production de chacune de ces thématiques pour la période 1980-2015.
Figure 1. Répartition des thématiques, en pourcentage du volume total des productions recensées entre 1980 et 2015 (N = 365)
Figure 1. Répartition des thématiques, en pourcentage du volume total des productions recensées entre 1980 et 2015 (N = 365)
28La sociologie de la violence à l’école est largement représentée avec 31,6 % des articles produits qui s’y réfèrent explicitement. Ces travaux sont consacrés à la mesure du phénomène, et même si des débats notionnels persistent, ils considèrent la violence en milieu scolaire à partir d’un large spectre de faits, plutôt que dans sa restriction aux violences physiques ou aux seuls événements relevant du code pénal. Dès lors, la violence la plus dure n’est pas essentiellement un événement isolé, imprévisible, accidentel ou spectaculaire : c’est une violence qui se construit, et elle se construit dans le ténu et le continu (Debarbieux & Blaya, 2001). Un certain nombre de ces travaux s’intéressent à ces « micro-violences » (Debarbieux, 1999a ; Carra, 2009) ou à ces « incidents » (Barrère, 2002) qui, répétés et cumulés, perturbent l’ordre scolaire ordinaire. Ce sont ensuite 21 % des articles de notre échantillon qui abordent les DS sous un angle qui privilégie les approches liées aux pédagogies institutionnelles (comme approche pédagogique) et à leur mobilisation face aux violences scolaires en particulier. Il s’agit de considérer ces désordres à la fois du point de vue des élèves, mais aussi des institutions considérées comme productrices de désordres. L’accent est également mis dans ces travaux sur les formes d’interventions à privilégier du point de vue pédagogique et institutionnel, pour prévenir et traiter les désordres ou les atteintes symboliques portées aux acteurs de l’école et à leurs rôles sociaux (Defrance, 1988 ; Pain, 2006 ; Robbes, 2010). Nous avons lié à ces productions des écrits relatifs à l’ethnométhodologie qui recoupent de nombreux aspects des approches et des conclusions proposées par les travaux liés aux pédagogies institutionnelles, en s’intéressant à ce que la classe et les institutions scolaires permettent de comprendre des mécanismes quotidiens et ordinaires de production des désordres (Coulon, 1988). On trouve ensuite les travaux qui envisagent l’objet sous l’angle de la construction des déviances en interrogeant ses rapports avec les formes de socialisation scolaires et juvéniles ; ces travaux représentent 17,7 % de l’échantillon. Dans ces écrits, les désordres sont envisagés comme un révélateur des transformations de l’école massifiée, en lien avec la construction des inégalités scolaires en contexte (Barrère, 2002, 2003 ; Moignard, 2007 ; Payet, 1997, 1998 ; Rubi, 2003). Par ailleurs, 13,4 % des travaux traitent des désordres à partir de la problématique du décrochage scolaire, dans ce qu’il signe la remise en cause d’une forme scolaire traditionnelle débordée et peu compatible avec les logiques d’action d’un certain nombre d’élèves, renvoyés trop facilement à un état de pré-délinquance que les pouvoirs publics tentent ostensiblement de traiter (Bernard, 2014 ; Blaya, 2009 ; Esterle-Hedibel, 2006). Nous avons par ailleurs comptabilisé 9,8 % de publications qui considèrent l’impact des désordres sur la performance et l’efficacité des élèves et des établissements, ou qui mesurent l’efficacité de dispositifs et de programmes d’intervention dédiés aux désordres et à leur traitement (Bressoux, 1994 ; Robertson & Collerette, 2005). Il s’agit dès lors de s’intéresser aux conséquences des désordres et à leurs effets, plutôt que d’étudier spécifiquement les processus de construction de ces désordres et les contextes de leur émergence. Enfin, 6,5 % des articles de l’échantillon sont référés à des travaux qui traitent de la thématique au travers des enjeux de maintien de l’ordre ou du traitement des désordres, à partir de l’étude des sanctions ou des modes d’organisation du contrôle de l’ordre scolaire par exemple (Barrère & Martucelli, 2001 ; Merle, 2003 ; Grimault-Leprince & Merle, 2008 ; Prairat, 2012 ; Moignard, 2015). Ces proportions confirment donc une forme de domination du traitement de l’objet par la sociologie des violences à l’école, qui génère plus de la moitié des publications sur la période, si l’on additionne les travaux qui la traitent aussi du côté des pédagogies institutionnelles : les objets sont dès lors partagés, et c’est plutôt sur des enjeux de méthodes et de cadres théoriques de références que l’on distingue ces deux catégories.
Une évolution cohérente du volume de publications autour des désordres scolaires qui masque une évolution significative
29La figure 2 présente l’évolution chronologique du nombre des publications, et laisse apparaître une relative homogénéité des écarts selon les thématiques.
Figure 2. Répartition des thématiques en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
Figure 2. Répartition des thématiques en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
30Nous avons procédé à un découpage par décennie de cette chronologie pour rendre lisibles les régularités de ces productions. On observe ainsi un mouvement commun pour 5 des 6 thématiques considérées, qui connaissent un pic de publication entre le milieu des années 1990 et 2000. La progression est exponentielle jusque-là, avec des travaux quasi inexistants sur ces thèmes au début des années 1980, qui vont se développer dans les années 1990, dans le droit fil des productions que nous avons déjà évoquées.
Tableau 1. Répartition des thématiques d’objet, en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
Sociologie des violences à l’école | Approches institutionnelles et pédagogiques des violences | Socialisation et déviances | Décrochage et déviances | Efficacité et performance | Sanctions et discipline | |
1985-1994 | 8 | 5 | 6 | 5 | 0 | 3 |
1995-2004 | 60 | 42 | 38 | 28 | 4 | 12 |
2005-2015 | 48 | 29 | 20 | 16 | 32 | 9 |
Tableau 1. Répartition des thématiques d’objet, en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
31La hiérarchie des volumes de production est par ailleurs respectée au fil des ans, avec des travaux sur la violence à l’école à l’instar de ceux de Cécile Carra et François Sicot (1997), d’Éric Debarbieux (1999b), d’Anne Barrère (2002) ou de Mathias Millet et Daniel Thin (2003) qui sont toujours majoritaires avec 60 publications comptabilisées, suivies de près par les 42 publications liées aux pédagogies institutionnelles et à l’ethnométhodologie que nous avons considérées entre 1995 et 2004 (par exemple, Pain, 2002), contre 38 pour les recherches autour de la thématique « socialisation et déviances » (par exemple, Payet, 1992, 1995 ; Payet & Sicot, 1997), 28 pour celles qui traitent du décrochage et des déviances (Guigue, 2003 ; Hugon, 2003 et Esterlé-Hedibel pour la période suivante en 2006), 12 pour la thématique « sanctions et discipline » et seulement 4 pour celle liée à l’étude des programmes d’intervention (voir tableau 1). Les 4 premières thématiques concentrent donc pendant cette période plus de 91 % du volume global des références ici considérées. On notera par ailleurs que la publication de numéros spéciaux dans des revues à forte audience participe de l’augmentation significative des volumes de publication comme en 1998 par exemple, où l’on compte 12 publications sur la seule thématique de la sociologie des violences à l’école. La part des travaux qui s’intéressent aux sanctions et à la discipline reste relativement stable avec une activité constante entre 1995 et 2015 (par exemple, Prairat, 2005 ; Chevit, 2003 ; Grimault-Leprince & Merle, 2008 ; Grimault-Leprince, 2012 ou Robbes, 2010) qui est cependant limitée en termes de volume de publications et de nombre de chercheurs qui se penchent sur ces questions. On observe en revanche une augmentation significative depuis 2005 des travaux qui s’intéressent à l’efficacité de programmes d’intervention et à leur impact sur les DS et les performances des élèves ou des établissements. Nous constatons, dans la dernière période, une inversion des tendances générales, avec une réduction du volume de production de toutes les autres catégories, alors que celle-ci augmente de manière significative : aucune publication n’est référencée sur la première décennie, 4 seulement entre 1995 et 2004, pour atteindre 32 publications entre 2005 et 2015 (par exemple, Lemoine, 2010 ; Janosz, Belanger, Dagenais et al., 2011).
32Ces travaux, qui s’appuient pour beaucoup d’entre eux sur des formes d’évaluation de programmes ou de dispositifs de prévention des désordres, d’amélioration des compétences sociales des élèves, ou qui privilégient les approches économétriques pour considérer le poids de ces manifestations dans les performances des élèves ou des établissements, occupent, à 3 références près sur la dernière période, la seconde position dans la hiérarchie des volumes de production considérés. Force est de constater que ce traitement, souvent ancré sur des référentiels quantitatifs et évaluatifs, à la frontière de la sociologie, de l’économie voire des sciences de gestion, alimente désormais plus largement les recherches liées aux DS (Mons, 2009). Il y a là sans doute une évolution majeure et durable de la structuration de l’étude des DS, qui est cohérente avec une évolution plus large de la recherche en éducation que l’on doit pouvoir interroger et sur laquelle nous reviendrons. Nous retrouvons d’ailleurs cette tendance à partir de l’étude de l’évolution du volume de production de ces travaux, en les référant cette fois à leurs épistémologies et aux méthodes qu’ils mobilisent.
Une catégorisation des épistémologies et des méthodologies
33À partir du corpus précédent et selon les mêmes méthodes et préoccupations, nous avons construit une autre typologie en fonction des choix épistémologiques et méthodologiques qui caractérisent les publications de notre échantillon.
Une typologie des ancrages épistémologiques et méthodologiques
34Nous qualifions d’abord des articles de « recherches empiriques », quand ils s’appuient sur des données originales ou pré-existantes, et cherchent à rendre compte de résultats de recherches empiriques obtenus à partir de méthodes variées (Geay, 2003 ; Millet & Thin, 2003 ; Rabier & Pénissat, 2007 ; Grimault-Leprince & Merle, 2008). La deuxième catégorie, intitulée « épistémologie et philosophie », renvoie aux articles qui interrogent plutôt la définition de l’objet, qui reviennent sur les débats en sciences sociales autour de son inscription épistémologique (Mabilon-Bonfils & Saadoun, 2002 ; Prairat, 2003). La troisième catégorie d’articles s’intéresse à des programmes d’intervention ou à l’évaluation des effets de ces programmes entendus au sens large du terme (Royer, 2003 ; Archambault, Janosz, Pascal et al., 2016). La dernière catégorie comptabilise des articles qui sont des revues de la littérature en lien avec les DS (Debarbieux & Montoya, 1998 ; Carra, 2009). Cette catégorisation, comme la précédente, est le résultat d’une interprétation qui vise à dégager des tendances quant à la transformation du traitement de l’objet DS, mais qui ne suffit sans doute pas à restituer la complexité de son organisation. D’autres choix étaient possibles, par exemple à partir de la distinction d’entrées méthodologiques ou des techniques mobilisées, ou en distinguant plus finement des entrées théoriques qui se superposent ici. Mais il nous semble que ces quatre catégories donnent à voir des tendances plus générales, qui positionnent différemment les travaux liés aux DS dans le contexte des transformations observées par ailleurs en sociologie de l’éducation.
Des volumes de publications inégaux en fonction des épistémologies de référence
35La figure 3 présente la proportion d’articles produits pour chacune des catégories sur l’ensemble de la période considérée.
Figure 3. Répartition des types d’approches privilégiées, en pourcentage du volume total des productions recensées entre 1980 et 2015 (N = 365)
Figure 3. Répartition des types d’approches privilégiées, en pourcentage du volume total des productions recensées entre 1980 et 2015 (N = 365)
36On observe d’abord la prééminence des travaux liés à des recherches empiriques qui représentent un peu moins de la moitié du volume total de production (46,6 %). Ces chiffres attestent un dynamisme de la production sociologique en la matière, cohérent avec une certaine tradition de l’enquête de terrain dans le champ que nous avons déjà évoquée. Les articles qui s’intéressent à la définition de l’objet et aux débats qu’il suscite restent nombreux avec 28,5 % de l’ensemble. On retrouve là sans doute une des conséquences de la sensibilité des thématiques qui restent liées à des problèmes sociaux – nous y reviendrons – et qui posent peut-être plus qu’ailleurs les tensions inhérentes à la définition des objets sociologiques au regard de leur rapport au débat public. Viennent ensuite les articles qui s’intéressent à l’analyse et à l’évaluation de programmes d’intervention autour des désordres, qui représentent 21,4 % de l’ensemble, et constituent donc un volume significatif de travaux. Enfin, les revues de littérature scientifique apparaissent en nombre plus réduit, avec seulement 3,6 % de l’ensemble, ce qui est relativement peu si l’on considère le volume général de productions afférentes. Ces revues de la littérature, si elles s’intéressent aux DS, les abordent plutôt sous l’angle d’objets plus restreints tels les violences ou le décrochage par exemple (Esterle-Hedibel, 2006).
Une production significative et plurielle autour des désordres scolaires
37L’analyse chronologique du nombre de publications en fonction de ces quatre catégories est là encore riche d’enseignement (voir tableau 2).
Tableau 2. Répartition des types d’approches privilégiées, en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
Recherches empiriques | Epistémo / Philo | Programme / Évaluation Programme | Revue de littérature | Total | |
1983-1994 | 20 | 15 | 6 | 0 | 41 |
1995-2004 | 81 | 66 | 32 | 5 | 184 |
2005-2015 | 69 | 23 | 40 | 8 | 140 |
Total | 170 | 104 | 78 | 13 | 365 |
Tableau 2. Répartition des types d’approches privilégiées, en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
38On peut tout d’abord constater une très forte augmentation de la production entre les deux premières périodes (1983-1994 et 1995-2004). On passe ainsi de 41 articles recensés entre 1983 et 1994, à 184 lors de la décennie suivante, soit quatre fois plus. Il est donc clair que c’est à cette période que l’on peut considérer que se structurent et s’organisent les publications autour des DS, à partir d’une pluralité d’objets qui donnent lieu à des publications plus nombreuses. Cette production diminue sur la période suivante, tout en conservant un volume général significatif avec 140 articles comptabilisés entre 2005 et 2015. Ces chiffres témoignent donc d’un volume général de production important dans les revues de références, et nous amènent à conclure à une implantation significative des productions liées aux DS dans le paysage de la recherche en sociologie de l’éducation à partir du milieu des années 1990.
39Si l’on considère à présent les différentes catégories proposées, on constate d’abord le relatif essoufflement des travaux qui privilégient le traitement philosophique de l’objet. Peu nombreux sur la première décennie, ils se multiplient entre 1995 et 2004 pour représenter un peu plus du tiers de la production scientifique de cette période. Ils se réduisent dans la décennie suivante, même s’ils restent encore bien représentés avec 23 articles recensés (on passe ainsi de 36 % environ pour les deux premières périodes à 16,42 % pour la dernière). Ces chiffres témoignent sans doute de la consolidation des objets liés aux DS dans le champ scientifique en général, alors que certains débats sur leur légitimité scientifique, s’ils ne sont pas clos, ont été déjà largement alimentés. Les travaux empiriques restent majoritaires pour toutes les périodes considérées où ils représentent près de 50 % du total des publications, même si les écarts tendent à se réduire avec d’autres formes de productions. Les revues de littérature, quoique peu nombreuses, sont en augmentation constante, comme les articles qui s’intéressent aux programmes d’intervention. S’ils étaient presque inexistants entre 1983 et 1994, ces derniers constituent un cinquième de la production dans la décennie suivante pour en représenter plus du quart lors de la dernière décade. Cette tendance est d’ailleurs visible dans la figure 4 qui illustre l’évolution chronologique des publications en fonction des catégories de notre typologie.
Des tendances qui évoluent dans le temps : l’avènement des publications liées à l’évaluation des programmes d’intervention
Figure 4. Répartition des types d’approches privilégiées, en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
Figure 4. Répartition des types d’approches privilégiées, en nombre de publications selon les périodes (N = 365)
40On peut constater l’augmentation forte de la production jusque dans les années 2000, date de rupture en termes de variation du nombre de publications. Les travaux empiriques et épistémologiques se réduisent alors, et on observe une tendance inverse pour ceux qui s’intéressent plutôt à des programmes et des évaluations. Ces derniers dépassent même en volume la publication d’articles épistémologiques, sans parvenir pour autant à être majoritaires, puisque la production de travaux empiriques reste la plus importante. On peut émettre deux hypothèses pour comprendre ces chiffres.
41D’abord, les articles d’ordre plus épistémologiques nécessitent moins souvent que d’autres, comme les recherches empiriques ou l’évaluation de programmes, d’être actualisés. L’évolution de cette catégorie témoigne d’une première phase de développement des cadres épistémologiques en lien avec le développement général des recherches sur les DS, puis d’une phase de stabilisation de ces cadres. La hausse des revues de littérature marque elle aussi ce besoin croissant de recenser les travaux existants dans des cadres alors constitués. Pour autant, et c’est là notre seconde hypothèse, il semble nécessaire de considérer dans le même temps la hausse significative des publications liées à l’évaluation de programmes, qui participe d’une recomposition de la recherche autour des DS, de plus en plus attachée à interroger les effets et l’impact de leurs manifestations sur la réussite scolaire ou le bien-être à l’école par exemple. Ces approches, qu’il ne faudrait cependant pas uniformiser de manière trop superficielle, s’appuient toutefois sur une forme d’essentialisation de la performance éducative, en lien avec certaines théories de l’évaluation qui se sont largement diffusées à travers le monde (Meuret, 2007). Il s’agit dès lors de faire la preuve de l’efficacité de tel ou tel programme, là où certains auteurs ont montré que ce sont bien plus les conditions de mise en œuvre des programmes qui pèsent sur leur performance (type d’établissement, stabilité des équipes, composition sociale de l’établissement…), que le contenu des programmes en tant que tel (Bruno, Saujat & Félix, 2016 ; Farrington & Ttofi, 2009). Plus précisément, il semble que les modes de production de la recherche et ses financements participent du développement de nouvelles formes d’expertises en éducation, alors que les productions sociologiques plus traditionnelles qui cherchent à rendre compte de l’évolution du champ social et à l’analyser semblent de moins en moins audibles auprès des décideurs. En d’autres termes, l’évolution des publications liées aux DS témoigne d’une évolution des rapports de force au sein même de la sociologie de l’éducation : même si les recherches empiriques traditionnelles restent majoritaires, force est de constater la montée en puissance d’un volume de publications significatif de travaux liés à des démarches d’abord évaluatives et en lien direct avec la commande publique. Cette situation, qui n’est pas forcément problématique en soi, nous renseigne sur les besoins, pour les chercheurs, d’obtenir des financements sans doute plus disponibles et accessibles à partir de l’évaluation de dispositifs en lien avec des problèmes sociaux, plutôt que via des financements nationaux très sélectifs (ANR par exemple). Mais cette évolution n’est pas sans conséquence et nous informe peut-être aussi sur la manière dont la sociologie de l’éducation se repositionne dans un univers fortement concurrentiel entre les disciplines.
42On constate ainsi une entrée forte et durable des approches liées à la psychologie ou aux neurosciences que nous avons déjà évoquées, et qui visent à agir sur ces nouveaux problèmes publics en proposant des possibilités de réponses scientifiquement référées aux difficultés identifiées. Sans entrer dans le détail, retenons que ce sont 75 % des 456 références – que nous avons supprimées de notre échantillon d’articles parce que non sociologiques – qui se réfèrent à ces deux disciplines, et que les trois quarts d’entre elles ont été publiées après 2007. Romuald Normand évoque ainsi « la diversification du recours à l’expertise vers d’autres disciplines jugées plus prometteuses : sciences cognitives et neurosciences, économie expérimentale, sciences de l’information et de la communication. Le retour d’une nouvelle forme de positivisme comme l’illustre le succès rencontré par les essais contrôlés randomisés ou des outils puissants de totalisation comme les méta-analyses ou les revues systématiques de la littérature de recherche […]. La concurrence des experts eux-mêmes dans la production des discours de vérité alors que le monde académique est distancé par l’essor des cabinets de consulting, think tanks, associations et réseaux professionnels produisant leurs propres connaissances et instruments » (Normand, 2012, p. 7). Il faut également avoir en tête la place des élites administratives et leur science de l’État en France (Pons, 2010), qui attendent d’abord de la recherche qu’elle propose des mesures prescriptives éloignées d’un certain rapport distancié de la sociologie de l’éducation à la décision politique. La compréhension du monde social n’est pourtant réductible ni à l’évaluation de dispositifs qui cherchent à transformer certaines situations, ni à la formulation de recommandations qui réifient le pouvoir de l’action. Sans doute, cet état des lieux doit-il inciter à interroger les postures et les formes nouvelles que la sociologie de l’éducation peut adopter, pour continuer d’apporter une voix et un certain regard sur le traitement scientifique de thématiques que d’autres sciences ou approches expertes traduisent sur des registres naturalisés qui ne sont pas sans poser problème.
43Nous avons établi supra les arguments concernant les découpages temporels et disciplinaires des productions scientifiques relatives aux DS. Nous avons ensuite mesuré le volume de publications entre 1980 et 2015 en établissant une première typologie des objets traités, puis une seconde relative aux épistémologies et méthodes utilisées pour l’appréhension des DS. Cette analyse quantifiée nous permet de cartographier les objets et les ancrages épistémologiques privilégiés, et d’en révéler d’ores et déjà quelques évolutions majeures, les lignes de force en présence comme les transformations les plus récentes ; mais elle ne peut suffire à épuiser l’analyse fine de l’évolution de cette notion, de sa structuration, comme de ses héritages. Aussi, allons-nous utiliser un autre focus pour approfondir cette cartographie, en proposant une analyse diachronique des travaux qui traitent des DS en sociologie de l’éducation, de leur traitement et de l’organisation institutionnelle auxquels ils sont liés.
Analyse diachronique et genèse d’un espace de recherche autour des désordres scolaires
44L’analyse diachronique du corpus nous permet à présent d’approfondir dans cette première partie de note de synthèse deux paradigmes dominants dans les travaux de recherche investiguant les DS. Les travaux et théories liés au courant de la sociologie anglo-saxonne dit de la Nouvelle sociologie de l’éducation (NSE) ont eu une incidence considérable tant sur le traitement des DS que sur la sociologie de l’éducation en général, et leur influence est toujours forte. L’autre paradigme déterminant et innervant les travaux dédiés aux DS se niche dans la dialectique ordre/désordre, au cœur même des désordres, et intègre des visions différentes quant au traitement de la norme et de la forme scolaires.
45Nous constatons donc tout d’abord la forte influence de certains courants de la sociologie anglo-saxonne dans la structuration de la production scientifique française sur les DS. Les travaux des sociologues britanniques, bien qu’antérieurs à la période temporelle choisie, ont été précurseurs de nombre des travaux français sur les DS, ou concomitants de recherches fondatrices en France (Testanière, 1967, par exemple). À partir des travaux de la Nouvelle sociologie de l’éducation et de leur diffusion en France ont été importées de nouvelles méthodologies d’ouverture de la « boîte noire », pour pénétrer l’enceinte de l’école et s’approcher au plus près des faits sociaux. Le travail de l’institution y a souvent été décortiqué et mis au regard des formes plurielles de résistance d’élèves aux prises avec diverses « sous-cultures » ou divers univers normatifs. Il en résulte une production scientifique autour des DS durablement implantée dans le paysage français, qui interroge les formes et les processus de leur construction relationnelle, par-delà les approches normatives qui caractérisent ailleurs leur traitement. Au-delà d’un objet générique, la focale sur l’étude des DS se porte progressivement sur les processus sociaux œuvrant à la qualification de ces désordres et à la caractérisation de leurs auteurs. Les travaux révèlent alors que les acteurs, les institutions comme l’action publique, sous couvert de prise en charge de ces élèves, sexuent, territorialisent, racialisent, ethnicisent et classent socialement l’élève instigateur de ces désordres, sous une appellation générique d’élève « perturbateur » (Moignard & Rubi, 2018). La « gestion » de ces élèves se pose donc avec une acuité nouvelle, et la recherche interroge la manière avec laquelle l’école et d’autres espaces et acteurs éducatifs les prennent désormais en charge.
46Dans cette approche, un nouvel intérêt se développe pour une analyse des processus de socialisation à l’œuvre dans l’école qui prenne ses distances par rapport à une conception adultocentrée de l’enfance. La notion de socialisation y est appréhendée comme un pivot qui vient rendre compte de rapports différenciés à la déviance scolaire, pour des enfants ou adolescents qui produisent du sens et agissent sur leur environnement. Dans un deuxième temps, nous explorons les recherches sur ces désordres qui, conjointement, ont mobilisé une analyse critique de la forme scolaire. Les cadres normatifs de l’école sont interrogés au travers de cette notion de forme scolaire qui renvoie à un rapport de forces dans lequel est conférée à l’enseignant une autorité assortie de moyens de contrôle, de sélection, de classification hiérarchisante des élèves, et de sanctions, producteurs d’un jeu conflictuel (Geay, Oria & Fromard, 2009). Corollaires de cette forme de relation pédagogique qu’est la forme scolaire, les résistances chuchotées et dissimulées ou ostentatoires et claironnées au travail prescrit se manifestent tant dans l’école que dans les nouveaux dispositifs de prise en charge d’élèves désignés comme perturbateurs ou perçus comme inassimilables à l’espace scolaire ordinaire. Ces travaux ont en effet montré la puissance de cette forme scolaire comme modélisation normée d’un espace-temps éducatif, qui parvient à déborder le seul périmètre de l’école. Ce faisant, la « scolarisation de la société » impose une conception de l’enfance subordonnée au seul registre scolaire et désigne ipso facto les perturbateurs et perturbatrices de l’école comme « apatrides ».
Des contextes de production des désordres : une première mise en accusation de l’école
Les fondements de l’influente Nouvelle sociologie de l’éducation britannique
47Au début du xxe siècle, les psychologues sont les premiers à se pencher sur ce qu’ils désignent alors comme « des mauvais élèves » ou des « enfants déficients », et les travaux d’Alfred Binet, Édouard Claparède ou Jean Piaget donnent le ton, en cherchant à dépasser les cadres moraux et philosophiques qui fixent l’espace d’intelligibilité des processus de construction des apprentissages, par une approche scientifique revendiquée. Cette entrée dans une nouvelle ère de l’approche de l’enfance interroge la place de l’école dans la construction de la difficulté scolaire. La thèse d’Henri Bouchet soutenue en 1933 est éloquente en la matière (Bouchet, 1933 ; Fourneau, 1935). Jean Houssaye écrit « qu’il y a longtemps que les pédagogues dénoncent à l’école le massacre des Innocents, mais l’argumentation est restée souvent rapide, sincère et chargée d’émotion. Bouchet s’applique à en faire une démonstration construite et argumentée sur la base de l’échec de l’école » (Houssaye, 2009, p. 231). Il s’attaque en particulier au « sociologisme » de l’école, en ce que l’institution scolaire écrase les aptitudes individuelles au profit d’une conception a priori de l’éducation, normative, indifférenciatrice et autoritaire. C’est un registre d’analyse que l’on retrouve du côté de la sociologie anglo-saxonne, avec l’émergence du traitement de la question des difficultés scolaires par les sociologues et un fort étayage théorique et conceptuel qui influencera durablement les productions sur la question. Dans les années 1950, les sociologues américains et britanniques vont s’intéresser « aux problèmes de l’inégalité des chances, des obstacles à la mobilité, du gaspillage des talents et des déterminants sociaux (ou socio-culturels) de l’éducabilité » (Forquin, 1983, p. 62). Talcott Parsons, par exemple, cherche à prouver les inégalités sociales de réussite scolaire, tout en justifiant ces inégalités, à partir d’une approche fonctionnaliste qui légitime les différences de traitement par les stratégies de dissuasions utilisées par l’école et les familles (Parsons, 1959). La sociologie de l’éducation britannique des années 1960, lors de son expansion, opère cependant un déplacement conceptuel.
48Les recherches utilisant des approches microsociologiques fondées sur des observations fines dans la classe ou dans les établissements scolaires se multiplient et s’intéressent aux « curriculums », aux processus effectifs à l’œuvre dans les écoles et dans les classes, et notamment à ceux propres à la désignation des désordres et des élèves qui les produisent, aux relations sociales se nouant ou se dénouant dans le quotidien des établissements. Ce tournant se fait en corollaire avec des évolutions institutionnelles qui voient décroître le poids des départements de sociologie au profit de départements de sciences de l’éducation et des collèges de formation des enseignants, et ce faisant avive les tensions concurrentielles à l’égard des tenants légitimes des objets s’y rapportant (Forquin, 1997). C’est ainsi qu’émerge une « nouvelle sociologie de l’éducation » (NSE), qui est initialement une sociologie des connaissances scolaires et du curriculum dont l’intention est de se départir d’une vision naïve, d’inspirations fonctionnaliste, positiviste ou culturaliste (Trottier, 1987), et de regarder concrètement, par des approches « de terrain », comment les objets de l’école (savoirs, processus et procédures) se construisent socialement, et sont les effets de négociations ou de compositions entre groupes et acteurs aux positions et « perspectives » divergentes dans l’école (Mead, 1938). La déviance est alors érigée comme l’un des objets privilégiés de cette nouvelle sociologie de l’éducation.
Les théories de la résistance : un virage dans les modes d’appréhension des désordres scolaires
49Pour apprécier ces déviances scolaires, plusieurs auteurs du courant de la NSE vont s’inscrire dans la théorie de la résistance comprise comme une théorie d’inspiration néo-marxiste (Willis, 1977). Ces travaux sont décisifs pour comprendre comment, dans ces années, la déviance scolaire est reconfigurée non pas comme une donnée intrinsèque à l’élève, mais comme le résultat de multiples interactions et processus sociaux qui interrogent les registres normatifs de l’école, dans la construction des désordres scolaires. Ils sont les premiers à proposer ce qui constitue encore aujourd’hui un renversement de perspectives dans l’appréhension des désordres scolaires : ceux-ci ne peuvent pas être réduits à des comportements individuels ou inter-individuels, mais s’ancrent dans des contextes scolaires et des processus socio-scolaires qui renvoient aux formes d’organisation des systèmes éducatifs. Par exemple, les travaux conduits en Grande-Bretagne à partir de monographies d’établissements d’enseignement secondaire par Colin Lacey comme David Hargreaves montrent dès les années 1960 que les désordres et déviances scolaires, par ailleurs analysés au prisme des notions d’anti-culture scolaire ou de subculture, sont le produit de processus institutionnels clivants tels que la constitution de filières, qui hiérarchisent les niveaux scolaires et sont hermétiques les unes aux autres (Hargreaves, 1967). Ces modalités organisationnelles ségrégatives vont offrir aux élèves des espaces de déviances possibles, du fait des « structures des occasions/opportunités » différentes, pour reprendre la théorie des opportunités différentielles (Cloward & Ohlin, 1960). Cette théorie explique que l’engagement dans des activités délictuelles ou criminelles est aussi fonction des capacités et ressources que les personnes vont investir dans les univers délinquants. Le regroupement d’élèves ayant des difficultés d’ajustement à la loi scolaire, et le cloisonnement entre classes, tant du point de vue des enseignements dispensés que des relations sociales entre élèves, conduisent à l’émergence d’une sous-culture, opposée aux valeurs de l’école et qui leur est substitutive, et au sein de laquelle la participation aux conduites déviantes lie les pairs entre eux et octroie un statut social au sein de ces pairs [9]. Stephen Ball montre que l’absence de filières différenciées prévient l’apparition de sous-cultures réactives. Il identifie aussi les groupes de niveaux comme un subterfuge certes moins radical que les filières, mais dont il constate aussi les incidences sur l’émergence en réaction de comportements déviants (Ball, 1981). Les effets de ces processus ségrégatifs institués en interne dans et par les établissements en termes de co-construction de désordres ou plus globalement de déviance voire de délinquance ont ultérieurement été abordés dans le cas d’établissements secondaires français, même si les référentiels théoriques seront réactualisés nous le verrons (Payet, 1997b ; Moignard, 2007).
50Ces travaux constitutifs de la NSE et un certain nombre des productions qui s’y rattachent annoncent un glissement dans les registres d’analyse liés à la fois à la production des désordres et à la construction de l’échec scolaire. En particulier, les mouvements de massification scolaire que connaissent la plupart des pays d’Europe de l’Ouest à partir du milieu des années 1970, vont rendre plus visibles ces figures d’élèves en difficultés scolaires qui deviennent dès lors des objets d’étude à part entière.
De l’échec scolaire aux échoués scolaires : une lente évolution des objets scientifiques
51Les travaux de Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron marquent durablement la sociologie en général et la sociologie de l’éducation en particulier par la démonstration qui est faite des logiques de reproductions des inégalités sociales par l’école (Bourdieu & Passeron, 1964 ; Bourdieu, Chamboredon & Passeron, 1970). Au-delà de la puissance théorique de ces travaux, la ligne dénonciatrice se fait particulièrement dure, le mauvais élève apparaissant dès lors comme la victime d’un système de domination qui l’écrase par l’école.
Des élèves en difficulté : émergence d’un désordre incarné
52Dès lors, le fonctionnalisme ne résiste pas à l’expression d’une double inégalité, d’accès à l’école et de résultats, et de nombreux rapports essaiment sur la question en Europe ou États-Unis (Coleman, 1966), et proposent de nouvelles approches en termes de politiques éducatives (Cherkaoui, 1978). Par ailleurs, si l’entrée par la classe sociale est dominante dans cette littérature, les recherches ciblent prioritairement les enfants issus de la classe ouvrière. Les déviances scolaires des enfants d’autres groupes sociaux sont décryptées et interprétées dans la veine des chahuts anomiques étudiés par Jacques Testanière (1967), y compris dans des productions contemporaines : les inconduites y sont alors perçues comme des désordres intégrateurs et socialisateurs propres aux héritiers (Gaztambide-Fernández, 2009 ; van der Westhuizen, Oosthuizen & Wolhuter, 2008 ; White, 2004)
53Mais « ceux qui posent des problèmes » ne sont pas ceux-là (Moignard, 2018), et les travaux sur l’échec scolaire ou les inégalités de réussite ne suffisent pas alors – et ne cherchent pas – à appréhender les figures incarnées de ces élèves. Le processus de massification rend pourtant soudain visibles ces échoués du système qui n’accédaient pas jusqu’alors au secondaire, et leur présence est d’autant plus remarquée qu’elle se fait parfois forte et démonstrative. C’est du côté du paradigme interactionniste d’Herbert Blumer, qui inspire fréquemment les travaux de la NSE, que l’on trouvera la marque d’un intérêt pour cerner ces élèves (Blumer, 1969). La théorie de la stigmatisation d’Erving Goffman [10] y est mobilisée pour présenter des élèves aux comportements « disruptifs » ou « mésadaptés ». Les travaux de David Hargreaves et al. (Hargreaves, Hester & Mellor, 1975) et ceux de Peter Woods (1975, 1976) mettent en avant les processus de désignation des conduites déviantes et s’ancrent ainsi dans la théorie de l’étiquetage (Lemert, 1967). Dans cette même période, plusieurs recherches se tournent vers les garçons aux comportements perturbateurs, violents, voire délictuels, en vue de retracer les « carrières délinquantes et criminelles » de jeunes hommes blancs des classes populaires (Robins & Cohen, 1978) ou pour rendre compte de ces comportements déviants comme substituts à l’ennui et corollaire d’une perte de sens scolaire (Corrigan, 1979). C’est un temps qui consacre la terminologie d’« élève disruptif » comme le rappelle Delwyn Tattum, laquelle renvoie aux formes réactives et oppositionnelles d’élèves face aux stigmates et identités disqualifiantes qui leur sont accolés (Tattum, 1982).
Des élèves stratèges : une nouvelle interprétation des tensions à l’école
54Peter Woods s’attache à relier les multiples résistances des élèves aux pratiques et attitudes des enseignants en matière de discipline et de pédagogie : il révèle ainsi une étroite relation entre « incidents perturbateurs » et postures professionnelles professorales considérées au regard de deux idéal-types : les enseignants dits « provocateurs » de déviance, et les « isolateurs » de déviance qui parviennent à se protéger des attitudes d’opposition les plus fortes (Woods, 1983). Il adjoint à la notion de résistance que propose Willis – en interprétant les déviances des jeunes comme des formes volontaires et assumées de résistance scolaire et, plus globalement, comme des actes de résistance à la culture dominante – celle de « stratégie », pour restituer le panel possible d’actions et de comportements des élèves (Woods, 1980). Il considère ainsi que les élèves mobilisent des stratégies différenciées en fonction des lectures qu’ils font des enjeux de pouvoirs et de socialisation qui structurent leur environnement en général et l’école en particulier. En fonction de la perception qu’a l’élève de sa propre identité et de ses propres intérêts, il adoptera des stratégies différenciées, qui couvrent un large spectre d’attitudes conformistes ou d’oppositions. Sont alors détaillées dans les comportements déviants des élèves des attitudes d’accommodation aux exigences, aux temps et scansions, et aux attendus scolaires ; mais aussi des négociations initiées par les élèves et (ré)évaluées en fonction de l’enseignant, de la situation. Poursuivant l’analyse microsociologique de l’organisation sociale de l’enseignement dans une perspective phénoménologique, Martyn Hammersley et Glenn Turner (Hammersley & Turner, 1980 ; Hammersley, 1990), montrant la multiplicité de situations dans lesquelles sont pris les élèves, en déduisent que ces derniers ne peuvent être continuellement « conformes » à l’institution, à ses règles et à ses normes et sont donc nécessairement déviants en certaines occasions. Ils questionnent ainsi le processus de conformisation, révélant les nuances et variations de ce phénomène, et contestent un modèle fonctionnaliste d’adaptation des conduites.
55Paul Willis, comme David Hargreaves ou Colin Lacey, en distinguant les élèves pro-institutions (aussi nommés « trous d’oreilles » ou « conformistes ») des anti-institutions (les « potes »), visibilisent une culture masculiniste propre aux « gars ». Hargreaves critique cette notion d’anti-culture et lui préfère celle de contre-culture qui sous-entend que le sens des désordres et déviances scolaires n’est pas un pré-donné culturel immuable : l’émergence de la notion de contre-culture est ainsi directement liée au déclin des cultures prolétariennes et à l’avènement de l’individualisme. Les situations d’« indiscipline », voire de « violence » qui sont d’ores et déjà étudiées et nommées comme telles dans ces travaux, sont perçues comme résultant de l’allongement de la scolarité, orchestré par les démocraties modernes, et de l’explosion de la démographie scolaire. Dès lors, cette population scolaire « nouvelle », ainsi désignée pour euphémiser son éloignement des réquisits scolaires, est accueillie dans des établissements qualifiés de « gigantesques » dont la gestion instaure des rapports humains distants et impersonnels. La discipline est incomprise par des élèves ayant intériorisé des règles qui ne sont pas celles de l’école et génère de multiples occasions de malentendus, de conflits lors desquels la consigne, la règle ou la loi scolaires sont perçues comme un abus, comme l’exercice d’une domination. Ces recherches montrent aussi la routinisation et la banalisation de certaines déviances qui, instituées en pratiques ordinaires par nombre d’élèves, ne peuvent plus être assimilées à de virulentes et revendicatives contre-cultures scolaires, mais bien plus à des habitus, des appris par corps (Bourdieu, 1994). Pour Jean Houssaye, les apports de la psychologie sociale (Deschamps, Lorenzi-Cioldi & Meyer, 1982 ; Marc, 1984), comme ceux de la psychopédagogie autour des travaux liés aux figures du « chouchou » ou de l’élève « tête à claques » (Jubin, 1988, 1991), contribueront également à la stabilisation de la figure du mauvais élève comme victime du système, dans le paysage scientifique français.
Les coulisses de la production scientifique d’une époque
56Au sein de cette conséquente littérature anglo-saxonne, les déviances masculines sont majoritaires si ce n’est exclusives, même si les déviances féminines peuvent parfois être évoquées (Meyenn, 1980). Pas plus qu’en 1927 lors de la parution de l’ouvrage de Frédéric Thrasher sur les 1 313 gangs de Chicago, les conduites déviantes ou délictueuses féminines ne constituent un objet d’intérêt en soi (Trasher, 1927). Aveuglement ou mépris académique, cette « invisibilité statistique » (Chesney-Lind & Hagedorn, 1999) perdure jusqu’à l’émergence, progressive, mais néanmoins difficile du fait des multiples discrédits dont elles sont la cible, des études sur les rapports sociaux de sexe et sur le genre comme matrice de pouvoir bi-catégorisant hiérarchisant les sexes.
57Conjointement à la sociologie des curricula, la nouvelle sociologie de l’éducation a exporté en France de nouvelles méthodologies qui tentent d’apprécier les objets de recherche en s’introduisant dans la boîte noire de l’École, en examinant in situ les faits sociaux, là même où ils se produisent et se donnent à voir. Ces recherches préfigurent ainsi l’essor à venir de l’anthropologie de l’éducation (terme utilisé par les chercheurs nord-américains et qui supplante chez eux, aujourd’hui encore, celui de sociologie de l’éducation), qui sera largement sollicitée dans l’appréhension des DS. De même, les ouvrages de Georges et Louise Spindler en 1987, Interpretive ethnography of education, puis en 2000, Fifthy years of anthropology and education. 1950-2000, retracent et annoncent l’avènement et le succès de cette ethnographie de l’école qui va rendre compte de la « densité » d’interactions (Geertz, 1983) et dévoiler par là même, les « structures de signification » empilées et parfois enchevêtrées ou les « cadres d’intelligibilité » selon les termes d’Erving Goffman. Les travaux de Paul Willis ont aussi été fondateurs par la diversité des terrains de collecte des données : si Willis observe et transcrit les affrontements avec les « conformistes » et les refus d’autorité dans la salle de classe, il s’extrait aussi de l’école, accompagne les « gars » dans leurs familles, s’immisce dans leurs lieux de sociabilité, pour mieux apprécier leur culture anti-école. La tradition anthropologique, ou ici l’approche culturaliste, sont plus enclines à apprécier les relations entre l’intérieur de l’école et ses abords (communauté, famille, territoires urbains, contact des cultures en son sein), tandis que la tradition interactionniste semble alors mieux disposée à se fixer au niveau de la classe.
58Les travaux de la NSE – dont la présentation faite ici tend à les rendre plus unifiés qu’ils ne l’ont réellement été – ont nourri ces deux traditions qui ne peuvent être présentées comme antagonistes, mais ont néanmoins donné lieu à des imports, des traductions et des héritages distincts en France. La traduction des articles de Peter Woods réunis dans l’ouvrage Ethnographie de l’école est ainsi assurée par Patrick Berthier et Linda Legrand et publiée en 1990 par Rémi Hess et Antoine Savoye dans leur collection « Bibliothèque européenne des sciences de l’éducation » chez Armand Colin. C’est dans un dossier sur le déclassement de la revue Actes de la recherche en sciences sociales, fondée trois années auparavant par Pierre Bourdieu, que sont traduites, en 1978, par Pierre Lurbe et Richard Nice [11] onze pages de l’ouvrage de Paul Willis Learning to labour [12] de 1973, qu’ils traitent sous l’angle de « l’école des ouvriers ». En 1970, c’est Françoise et Jean-Claude Garcias et Jean-Claude Passeron qui, aux Éditions de Minuit, avaient permis la traduction de l’ouvrage de Richard Hoggart La culture du pauvre dans la collection « Le sens commun », créée par Pierre Bourdieu en 1966, collection qui a permis de faire découvrir la plupart des ouvrages d’Erving Goffman.
59Aujourd’hui encore, il est aisé de retrouver ces lignes de partage qui structurent la sociologie de l’éducation et le traitement de l’objet : Claude Trottier (1987) souligne d’un côté la perspective du contrôle social qui interroge les conflits définitionnels relatifs aux contenus d’éducation, les stratifications de ces contenus, leurs modalités de transmission ou leur évaluation dans une approche souvent plus macrosociologique ; et d’un autre, la perspective phénoménologique plus attentive à l’interprétation des situations par les acteurs sociaux et à leurs possibilités d’action, perspective qui embrasse l’école de l’interactionnisme symbolique de Blumer (1969), l’approche de la construction sociale de la réalité (Schutz, 1962 ; Berger & Luckman, 1967) et l’ethnométhodologie (Garfinkel, 1967). Cependant, les procédures microsociologiques, les méthodes ethnographiques d’observation fine des classes, des établissements scolaires et des relations entre acteurs/agents des institutions sont utilisées par les tenants de la théorie de la résistance comme par ceux de la théorie de la reproduction, ce qui doit nuancer les lectures antithétiques parfois un peu caricaturales des écoles et théories investissant le champ. Par ailleurs, et nous l’avons mentionné supra, en France, ce sont aussi par-delà les revues, éditeurs, et collections, des institutions, des laboratoires ou des départements distincts qui, inscrits dans des enjeux de pouvoir et des tensions académiques vives que les seuls intérêts scientifiques communs n’apaisent pas, se sont investis dans le champ disciplinaire de la sociologie de l’éducation parfois via les DS. La focale en a été inévitablement modifiée selon que l’objet a été saisi et élaboré au sein des départements des sciences de l’éducation ou de sociologie, au cœur des IUFM, de l’école des Hautes Études Pratiques, du centre d’études sociologiques, de l’EHESS ou de l’INRP.
Les élèves en difficulté scolaire dans la sociologie de l’éducation française : le tournant des années 1990
60À partir des années 1990 en France et sous l’influence des travaux anglo-saxons précités (Henriot-van Zanten, 1991), l’étude des rapports entre la communauté et l’école, le niveau de l’établissement et les processus internes à l’établissement ou à la classe (Henriot & Derouet, 1987 ; Henriot-van Zanten, 1987) donnent lieu à des recherches ancrées sur des démarches et des méthodologies caractéristiques de l’ethnologie de l’éducation, de l’ethnométhodologie, de l’analyse institutionnelle ou des études de cas en sociologie.
La sociologie de l’éducation française : des désordres en prise directe avec les inégalités
61Ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives théoriques qui, au-delà d’une certaine diversité épistémologique, interrogent les marges de manœuvre des acteurs, les processus, les situations et les interactions in situ : sans se réduire à l’interactionnisme dont l’influence reste considérable dans la recherche en éducation française, de nombreuses recherches intègrent les enjeux liés aux interactions sociales, tout en cherchant à mieux tenir compte des processus in situ et des pesanteurs structurelles qui participent de la construction des inégalités scolaires. La sociologie de l’éducation française reste ainsi une sociologie des inégalités scolaires et plus précisément socio-scolaires, qui interroge, à partir de postures épistémologiques plurielles, les modalités de construction de ces inégalités en saisissant des points de vue et des échelons variés que l’approche fonctionnaliste ne suffit pas à renseigner.
62L’ouvrage collectif coordonné par Agnès Henriot-van Zanten, Régine Sirota et Éric Plaisance Les transformations du système éducatif. Acteurs et politiques (1993), comme la contribution d’Éric Plaisance qui traite de l’utilisation des notions d’acteur, de jeu et de stratégie, publiée dans l’ouvrage de Philippe Perrenoud et Cléopâtre Montandon (1988) Qui maîtrise l’école ? Politiques d’institutions et pratiques des acteurs, sont révélateurs de cette tendance et de ce « changement en éducation » qui marque les années 1990 (Plaisance & Vergnaud, 2001). Plusieurs figures de l’élève émergent et dessinent conséquemment des attitudes disparates face à l’école et un « retour à l’acteur » que Régine Sirota décline (1993). Elle distingue la figure de « l’héritier » dont l’habitus de classe est plus ou moins proche des modèles et attentes scolaires, celle du « stratège » qui optimise ses investissements ou encore celle du « consommateur » revendiquant ses droits d’usager ou de récipiendaire. Ces figures sont assorties d’un certain rapport à l’école et au savoir, et d’attitudes variées de coopération, d’évidente complicité, de rentabilisation, d’incompréhension, d’attentisme, d’ennui, voire de contestation, d’hostilité et parfois d’affrontement (Lepoutre, 1997). On observe donc dans ces années le développement d’une sociologie de l’éducation qui s’intéresse de près aux contrecoups de la massification scolaire et des effets de contexte dans la construction des inégalités et des processus d’apprentissage (van Zanten & Anderson-Levitt, 1992), et qui désigne des élèves qui subissent l’épreuve de l’échec comme l’expérience de la confrontation à l’institution scolaire et à ses acteurs. Dès lors, on assiste à une lecture des processus de construction de la difficulté scolaire, qui interroge à la fois les formes de productions des contextes scolaires, les modes d’appropriation par les élèves des réquisits de l’école, et les tensions inhérentes à la définition d’une exigence académique indifférenciée. Ces éléments constituent à notre sens un arrière-plan théorique indispensable pour comprendre en quoi les désordres sont un élément constitutif de la production des inégalités scolaires, et non pas seulement un problème auquel l’école doit faire face.
Ordre scolaire et rapport aux savoirs : des objets croisés
63Philippe Perrenoud, dans son ouvrage La fabrication de l’excellence scolaire publié en 1984, identifie les éléments saillants de cet ordre scolaire (Perrenoud, 1984). L’étude critique de l’excellence scolaire et de sa fabrication met au jour les normes de comportements instituées et attendues et leur influence dans la hiérarchisation des réussites. Ces travaux procèdent également d’une volonté d’ouverture de la boîte noire que constitue la classe pour faire apparaître l’élève attendu à partir des pratiques pédagogiques – par exemple, à partir de l’analyse du curriculum (Perrenoud, 1988) ou selon l’analyse des interactions (Sirota, 1988). Au travers de la fabrication de l’excellence scolaire, Perrenoud révèle les contours du « métier d’élève » défini avant tout par l’apprentissage des règles du jeu. L’élève doit être disposé à « jouer le jeu » pour exercer un métier qui relève alors autant du conformisme que de la compétence. Les recherches se portent sur les façons dont les acteurs sociaux construisent leurs représentations de la réalité, en identifiant les procédures de négociation du travail scolaire, mais aussi les mises en œuvre de stratégies des élèves face aux exigences de l’école : travailler par intérêt, éviter les ennuis, tenter de faire illusion, faire un travail parfois répétitif et ennuyeux, etc. Ces ajustements et accommodements dévoilent le curriculum réel.
64Ainsi, en saisissant l’organisation scolaire et les pratiques scolaires telles qu’elles se font, Perrenoud dévoile aussi les médiations ou processus médiateurs qui transforment les différences de capital culturel et social en inégalités scolaires. Il met ainsi en exergue les procédures d’évaluations formelle et informelle, le fait de souligner ou de taire les hiérarchies auprès du groupe classe, la valorisation d’objectifs non cognitifs ou d’apprentissages socio-affectifs, mais aussi un jugement scolaire construit sur des normes de conduite tout autant que sur celles d’excellence : la conformité est attendue et prescrite, les perturbations scolaires lues comme difficultés scolaires. C’est là un enjeu décisif dans nos propres travaux, que de ne pas considérer l’ordre scolaire seulement à partir d’un référentiel de comportements ou d’attitudes attendus, ou bien sur le seul registre d’une déviance à l’ordre institué, mais bien de l’appréhender comme une forme de production sociale indissociable des cadres curriculaires et formels qui fixent les attentes de l’école comme espace de transmission des savoirs et de confrontations aux apprentissages.
65Les travaux de l’équipe ESCOL seront particulièrement influents sur ce registre, et Bernard Charlot, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex montrent l’incidence des contenus et pratiques d’enseignement et du rapport de collégiens et lycéens aux savoirs sur les chances de réussite scolaire, les élèves issus des milieux populaires entretenant généralement un rapport utilitaire (« avoir un bon métier » par exemple) à ces savoirs qui les dessert au regard des attendus scolaires et des processus d’apprentissage (Charlot, Rochex & Bautier, 1992). Le sens de l’expérience scolaire, les conditions socio-familiales qui entourent cette expérience, les processus d’appropriation des savoirs sont déterminants dans les réussites scolaires et les procédures de remédiation ou de prévention des situations d’échec, et réfutent l’existence d’un « handicap socio-culturel » envisagé comme explicatif de l’accumulation des situations d’échec des élèves de milieu populaire (Rochex, 1995). Bernard Lahire (1993, 2008) montre, lui, que « l’objectivation écrite entraîne une série de transformations conjointes en matière de rapport au langage, de mode de connaissance (savoir objectivé vs savoir incorporé), de modes de régulation des activités (règles et normes explicites vs régularité pratique des habitus) et de mode d’apprentissage (forme scolaire vs mimesis) » (Lahire, 2008, p. 56). Or ce rapport scriptural au monde et au langage, inégalement distribué entre les milieux sociaux, est décisif dans la réussite scolaire primaire (Lahire, 1993). Plus récemment enfin, diverses recherches rendent compte des multiples malentendus socio-cognitifs qui font les difficultés scolaires des élèves, des focalisations des équipes éducatives sur les comportements des élèves au détriment des différences d’apprentissages, des modalités d’« invisibilisation » des savoirs et des processus de différenciation « passive » [13] ou « active » [14] dans la construction de ces inégalités socio-scolaires de réussite (Bautier & Rochex, 1997 ; Bonnéry, 2007 ; Bautier & Rayou, 2009 ; Rochex & Crinon, 2011). Ce qui nous intéresse particulièrement dans ces travaux, c’est le statut qu’ils donnent à la norme scolaire qui est appréhendée comme un enjeu essentiel dans la construction de l’ordre et de la forme scolaires, cohérente avec le fait que l’école est une institution spécifique qui est organisée pour que des savoirs, des principes, des postures et des compétences relationnelles se transmettent d’une génération à une autre. Ces éléments sont réglés et normés, et ils ne se réduisent pas à de stricts enjeux de comportement, comme le rappellent Mathias Millet et Daniel Thin dans un ouvrage indispensable (Millet & Thin, 2005). S’il y a de l’historicité, c’est parce qu’il y a des normes communes qui permettent d’agir ensemble, y compris dans la conflictualité. Dès lors, la norme scolaire est un élément structurant des développements des pouvoirs d’agir et de penser que l’ordre et la forme scolaires déclinent.
Une forme scolaire qui déborde des cadres de l’école
66Guy Vincent s’empare des « résidus laissés à la psychopédagogie » et érige en objet sociologique les évolutions du contenu de l’enseignement dispensé aux enfants à l’école primaire (Vincent, 1980). Il rappelle certains aspects de l’approche socio-historique qu’a adoptée Durkheim dans son fameux travail sur l’évolution pédagogique de l’enseignement secondaire et supérieur, en s’intéressant cette fois aux processus à partir desquels l’enseignement primaire tend progressivement à former des citoyens respectueux de l’ordre établi. Les désordres scolaires sont ici de nouveau appréhendés en creux, et la forme scolaire, configuration historique particulière, caractérise une organisation de l’éducation fondée sur « la constitution d’un univers séparé pour l’enfance, l’importance des règles dans l’apprentissage, l’organisation rationnelle du temps, la multiplication et la répétition d’exercices n’ayant d’autres fonctions que d’apprendre et d’apprendre selon les règles, ou, autrement dit, ayant pour fin leur propre fin » (Lahire, Thin & Vincent, 1994, p. 39). Ce modèle d’éducation non limité à l’école et aux enfants s’est diffusé, envahissant tous les processus éducatifs et s’instituant progressivement comme mode de socialisation allant de soi, légitime, dominant (Vasquez-Bronfman & Martinez, 1998). Les appels à la déscolarisation de l’éducation n’ont à ce jour pas eu grand écho. Olivier Maulini et Philippe Perrenoud, examinant les diverses tensions liées à cette forme scolaire incarnée dans une scolarisation de masse, bureaucratique et obligatoire, identifient comme tensions liées les résistances mises en œuvre tant par les élèves que par leurs parents à l’égard d’un mécanisme qui les dépossède de leur pouvoir éducatif ou qui dévalue celui-ci. Cette forme scolaire crée un rapport de forces dans lequel est conférée à l’enseignant une autorité assortie de moyens de contrôle, de sélection, de classification hiérarchisante des élèves, de sanctions, et instaure l’éducation non plus comme une « entreprise coopérative, mais [comme] un jeu conflictuel » (Maulini & Perrenoud, 2005, p. 165). Ces résistances, mises en scène à plus ou moins bas bruit (Giuliani & Payet, 2014), se manifestent tant à l’école que dans d’autres espaces (socio)éducatifs, situés aux marges de l’institution scolaire et pour lesquels la forme scolaire n’est pourtant pas attendue comme forme centrale d’organisation. Comme le rappelle Christophe Joigneaux dans une notice sur la question, il serait cependant réducteur d’enfermer la forme scolaire dans une perspective unifiée et sans relief, et de « ne synthétiser que l’inertie et l’archaïsme de l’école, de sa pédagogie ou de sa culture, qui par leur clôture se seraient peu à peu autonomisées des évolutions sociales contemporaines. L’impersonnalité des règles scolaires ne peut alors être perçue que comme une source de tensions ou d’“indifférence aux différences” lorsqu’on l’oppose aux mouvements récents d’individualisation et de territorialisation de l’offre scolaire et aux qualités qu’on leur prête en termes d’adaptations accrues aux particularismes locaux et aux singularités des “aptitudes” de chaque élève » (Joigneaux, 2017, p. 446). On observe en fait des variantes dans cette forme scolaire, dont Bernard Lahire considère aujourd’hui qu’elles sont marquées par une forme d’individualisation qui répond aussi aux impératifs de gestion de l’hétérogénéité nouvelle des publics (Lahire, 2005). Reste que plus les élèves sont en difficulté pour identifier ce que la forme scolaire a de normatif – non pas au sens normalisant mais au sens de développement de pouvoir d’action et de pensée – et plus ils sont soit dans un souci de conformité qui ne suffit pas, soit dans du rejet peu opérant du point de vue de la construction d’un rapport au savoir favorable aux apprentissages scolaires (Rochex, 2005). Certains travaux se sont également penchés sur la dimension instituante et symbolique de la forme scolaire, qui permet à toutes et tous de prendre part à la vie de la cité scolaire. L’analyse institutionnelle considère ainsi les déviances en tant que révélateur des forces en jeu et des rapports de pouvoir propres au processus d’institutionnalisation (Pain, 2006). En s’intéressant à la forme scolaire, à la sanction, à la discipline ou à la loi scolaire, la pédagogie institutionnelle a valorisé une dimension instituante (Robbes, 2014), en considérant les acteurs de la scène scolaire comme « des savants de l’intérieur » (Boumard, 1989), en les présentant tels des acteurs sociaux en train de s’organiser, de travailler l’institué et d’élaborer leur propre socialisation (Houssaye, Pesce & Casanova, 2011). Pour d’autres, dont Eirick Prairat (2010), Éric Debarbieux (2001) ou Dominique Schnapper (1998), la loi scolaire, profondément inscrite dans une acception éducative, protège et permet le « grandissement » (Delalande, 2007) et l’émancipation de chacun, l’accès à un modèle d’individu moderne et citoyen par le développement du sentiment d’appartenance à l’école, en tant que communauté démocratique unique, régie par un ordre impersonnel et formel : « l’abstraction de la société scolaire doit former l’enfant à comprendre et maîtriser celle de la société politique » (Schnapper, 2000, p. 131). Il s’agit dès lors de ne pas considérer les normes scolaires comme de strictes traductions de violences symboliques qui s’imposent aux individus, mais plutôt comme des cadres nécessaires à toute entreprise éducative et, plus encore, à une démarche d’apprentissage (Moignard & Rubi, 2013). Reste que l’extension de la forme scolaire au-delà de l’école semble loin de confirmer une telle acception.
67Les recherches de Daniel Thin montrent par exemple que les dispositifs d’accompagnement scolaire pris en charge par des animateurs socio-culturels sont travaillés par la forme scolaire, gagnés par le « mode scolaire de socialisation » et finissent par ressembler à l’école (Thin, 1994). Ce faisant, les dispositifs externalisant la gestion des élèves perturbateurs comme les classes-relais (Martin & Bonnéry, 2002) ou les dispositifs accueillant les collégiens exclus temporairement (Moignard & Rubi, 2013), tout comme ceux promus pour l’aide aux devoirs (Kakpo & Netter, 2013), l’accompagnement éducatif, le coaching scolaire (Glasman, 2001 ; Oller, 2012) ou encore les « internats d’excellence » (Boulin, 2013 ; Rayou & Glasman, 2012), les établissements de « réinsertion scolaire » ou les micro-lycées (Melin & Haeri, 2012 ; Pirone & Rayou, 2012), témoignent d’une scolarisation de la périphérie de l’école et d’une montée en charge des dispositifs comme « nouvelle forme de l’organisation scolaire » écrit Anne Barrère (2013). Mais dans ces dispositifs, on exporte la gangue de la forme scolaire, sans se soucier de son noyau, en particulier sur ce qu’elle porte comme configuration sur les registres d’apprentissages, tandis que l’école maternelle subit aussi cette injonction nouvelle (Garnier, 2016). Dès lors, cette forme scolaire n’en est plus tout à fait une, glissant vers une fonction normalisante qui s’attache d’abord à faire œuvre de resocialisation ou de remédiation, et, plus largement, de « scolarisation des mœurs » comme l’écrit Philippe Bongrand (2009).
68Semblablement, Jean Houssaye, s’intéressant aux accueils collectifs de mineurs (centres de loisirs sans hébergement et centres de vacances et de loisirs), a pu montrer à travers leur genèse et l’influence considérable de l’éducation nouvelle que les centres de vacances et de loisirs – les « colos » – restent marqués par le modèle scolaire (Houssaye, 1998). Ce modèle s’insinue dans les pratiques et gestes professionnels qui érigent les activités comme des temps efficients de performance ou de consommation, lors desquels il faut être en action, faire et faire en suivant strictement le mode d’emploi donné, l’objectif indiqué : il n’est pas question, par exemple, de détourner les objets ludiques et d’en faire autre chose que ce qui a été prescrit en début d’activité (Besse-Patin, 2014). Les termes structurant les projets pédagogiques de ces accueils de loisirs, importés de l’école, visent le développement d’acquis ou de compétences, et les façons de percevoir et de réguler les comportements déviants des enfants sont aussi calquées sur les règlements scolaires (Bataille, 2014). À même forme, mêmes maux : les individus risquent dès lors d’être engagés dans des parcours et des carrières qui les désignent et les font se désigner à chaque nouvel interlocuteur et en tout lieu, comme « perturbateurs » ou « perturbatrices » (Moignard & Rubi, 2018). La forme scolaire s’est imposée dans ce « péri-scolaire » – expression tautologique pour Houssaye ; elle est devenue la norme dominante, un allant de soi qui a aussi pour particularité de recéler en elle une conception d’une enfance à « tenir », à « prévoir », à « organiser », à ordonnancer ajoutons-nous.
69***
70Nous avons cherché à présenter dans cette première partie de la note les modalités de construction des travaux de recherche concernant les DS, en rapport avec une évolution plus générale de la sociologie de l’éducation. Les travaux sur les désordres se développent à mesure que s’affirme une nouvelle phase de la massification scolaire, et que les conditions de scolarisation et d’enseignement se transforment. Pour autant, on constate que la production scientifique sur les DS déborde des seuls cadres de l’école, et il est nécessaire de considérer aussi les transformations de l’environnement résidentiel des élèves comme les conditions de leur socialisation en général pour travailler cet objet. Les difficultés croissantes de l’urbanisation et de la paupérisation d’espaces ségrégués marqués par des inégalités multiples deviennent le théâtre de violences spectaculaires qui occupent le devant de la scène politique et médiatique à partir des années 1980. L’école semble dès lors contaminée par cette violence du dehors, les DS prolongent l’anomie supposée de ces territoires, alors qu’un certain nombre de thématiques en lien avec les désordres deviennent une part de ces problèmes publics. C’est dans ce contexte que s’imposent à l’école des modèles explicatifs des problèmes scolaires, résolument orientés vers des registres disciplinaires ou de nouveaux paradigmes qui proposent des registres d’interprétation de ces DS centrés sur l’individu, ses qualités ou carences intrinsèques ou son entourage familial, qui font courir le risque d’une essentialisation de la nature de ces problèmes.
71Cette mise en contexte vise à situer l’objet avant de le cartographier. D’abord en proposant l’analyse d’un corpus de publications qui illustre les lignes de force des transformations, des épistémologies et des cadres conceptuels mobilisés pour traiter des DS. Ensuite, en proposant une analyse diachronique de l’objet, au travers de deux paradigmes qui dominent et structurent, en plein ou en creux, les travaux sur les DS. Nous avons restitué dans un premier temps l’influence majeure des recherches de la NSE sur l’étude des DS, en lien avec la structuration plus générale en France du champ de la sociologie de l’éducation. Puis, dans un deuxième temps, nous avons examiné le rapport dialectique entre ordre et désordre, deuxième paradigme propre aux recherches sur les DS et néanmoins considéré et travaillé différemment selon les travaux répertoriés. Finalement, il semble bien que les modalités de construction des travaux sur les DS et leurs évolutions sont cohérentes, voire nous renseignent sur les modalités et les mouvements à partir desquels la sociologie de l’éducation de manière plus large s’est elle-même organisée. Nous continuerons de suivre ce fil de notre démonstration dans la seconde partie de la note, qui paraîtra dans un prochain numéro de la Revue française de pédagogie, et qui s’attachera à élucider et problématiser certaines des épistémologies et méthodes récemment mises en œuvre dans l’approche des DS. Nous prolongerons ainsi la mise en perspective des paradigmes dominants du champ au regard des modalités de l’action publique et de ses inflexions les plus récentes. Là où des travaux scientifiques se sont attachés à traduire le paradigme de l’individualisme autour des DS, à décrypter des trajectoires singulières et structurellement situées, à montrer les épreuves que traversent les individus, la réponse publique tend à privilégier une action ciblée sur les individus davantage qu’une action compensatoire sur les territoires ou les établissements, suivant en cela d’autres dynamiques observables dans d’autres secteurs des politiques publiques. Cet infléchissement de l’action publique se fait au risque d’une fragmentation du traitement des DS en une myriade d’objets devenus problèmes publics. Ce faisant, nous nous intéresserons donc aux mesures de l’action publique engagées à la suite de la publicisation d’objets en lien avec les DS (violences scolaires, décrochage…), et interrogerons la construction sociale de ce que nous nommons des « nouvelles » problématiques éducatives (NPE) (Moignard, 2018). La réponse publique apportée à ces NPE, en les isolant pour les traiter séparément, tend à désolidariser chacun de ces objets de leur contexte structurel d’apparition, tend également à gommer leurs liens tant avec les situations concrètes d’apprentissage qu’avec les modalités organisationnelles des établissements ou les inégalités socio-scolaires d’apprentissage. Enfin, nous terminerons en examinant l’évolution des travaux sur les DS au regard des mouvements plus vastes qui touchent la sociologie de l’éducation (montée en puissance du paradigme sociométrique, émergence des « éducations à », centration sur l’individu et ses risques, potentialités et besoins éducatifs particuliers, etc.), et de ce qu’ils disent de l’actualité de la discipline et des rapports de force qui l’organisent.
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- WOODS P. (1975). « Pupils’ views of school ». Educational Review, no 28(1-2), p. 126-137.
- WOODS P. (1976). « Teaching for survival ». In P. Woods & M. Hammersley (dir.), School Experience. Londres : Croom Helm, p. 271-293.
- WOODS P. (1980). Pupil Strategies. Explorations in the Sociology of the School. Londres : Croom Helm.
- WOODS P. (1983). Sociology and the School - An Interactionist Viewpoint. Londres : Routledge & Kegan Paul.
Mots-clés éditeurs : violence, enfance, sociologie de l’éducation, jeunesse, système éducatif
Mise en ligne 02/02/2021
https://doi.org/10.4000/rfp.9536Notes
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[1]
Les auteurs remercient chaleureusement Jean-Yves Rochex pour son accompagnement constant qui a permis à ce travail au long court de trouver son aboutissement. Merci également aux rédacteurs en chef et aux évaluateurs, pour le dialogue constructif engagé à l’occasion de cette production. La maison de Biron aura été un cadre propice pour se concentrer pleinement sur ce travail !
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[2]
Les initiales DS désignent le terme de « désordres scolaires » et seront utilisées dans cette note pour en alléger la lecture.
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[3]
Le corpus mobilisé en vue de cette note de synthèse est centré sur la période 1985-2015, pour autant, nous avons dû référer à des travaux antérieurs pour contextualiser ceux de la période étudiée ; nous nous sommes également autorisé quelques références à des travaux plus récents mais néanmoins incontournables pour traiter de certaines notions en prise directe avec le corpus de cette note.
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[4]
Loi no 85-1371 du 23 décembre 1985 de programme sur l’enseignement technologique et professionnel issue des travaux de la Mission École-Entreprise créée par Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale.
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[5]
Le terme d’appartenance est ici à lire dans son acception dynamique afin de ne pas figer de façon immuable les acteurs dans des origines qui leur sont parfois assignées ou présupposées mais qui peuvent aussi être revendiquées, modelées ou tues.
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[6]
Nous avons travaillé à partir de la recension exhaustive des revues ou des sommaires des revues suivantes : Actes de la recherche en sciences sociales, Carrefours de l’éducation, Déviance et Société, Éducation et sociétés, Ethnographie française, International Journal of Violence and Schools, Revue française de pédagogie, Recherches et éducations, Revue française de sociologie, Revue française de science politique, Terrain.
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[7]
Désordres scolaires, ordre scolaire, violences scolaires, incidents, chahut, discipline, sanction scolaire, dérégulation scolaire, anomie scolaire, autorité, incivilités, exclusions, perturbation, conflits, comportements déviants, absentéisme, décrochage, règles, résistance.
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[8]
Nous avons consulté les dossiers de veille de l’IFÉ no 2, 14, 22, 23, 32, 37, 54, 55, 57, 80, 84 et 90. Ils sont consultables en ligne : <http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/ListeDossiers.php?LIMIT_ETU=0,10>.
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[9]
Travis Hirschi travaillant sur les conduites déviantes et le contrôle social examinera ce type particulier de relations au regard des autres relations sociales et formes d’attachement pour fonder sa théorie du lien social (Hirschi, 1969).
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[10]
Erving Goffman fait du stigmate un concept sociologique en révélant la dimension relationnelle de la stigmatisation car c’est une « identité par autrui » qui est apposée sur la personne stigmatisée : « lorsque la différence n’est ni immédiatement apparente, ni déjà connue, lorsqu’en deux mots, l’individu n’est pas discrédité, mais bien discréditable » (Goffman, [1963] 1975, p. 57).
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[11]
Richard Nice a traduit la plupart des ouvrages de Pierre Bourdieu en anglais mais aussi ceux de Jacques Rancière.
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L’ouvrage de Paul Willis ne sera traduit en français qu’en 2011 aux éditions Agone par Bernard Hœpffner dans la collection « L’ordre des choses » dirigée par Sylvain Laurens, Julian Mischi et Étienne Pénissat sous le titre L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers.
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[13]
Qui renvoie à une absence de traitement différencié des élèves dans les situations d’apprentissage, et qui consiste à exiger d’eux des savoirs dont ils ne disposent pas tous, alors même qu’on ne les enseigne pas ou ne les exerce pas chez ceux qui en ont besoin.
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Qui renvoie à une adaptation des tâches, des supports et des modes de travail du fait de la prise en compte des différences avérées ou supposées des élèves.