Notes
-
[1]
1ère consigne : « Noter ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qu’on sent dans la cour ». 2de consigne : L’enseignante donne seulement le titre, « Dans la cour, après la récréation », et attend que les élèves transforment leurs notes en textes, ce qu’il parviendront plus ou moins bien à faire après différentes aides méthodologiques énonçant des contraintes d’écriture.
-
[2]
On reprend à la critique génétique le terme d’état pour désigner les évolutions du texte dans le temps et le terme de version pour indiquer les changements de supports. Le passage d’une version à une autre peut ne pas s’accompagner de modifications : c’est la copie à l’identique. Inversement, plusieurs états peuvent figurer sur une même version.
-
[3]
X : code de l’enseignante pour signaler un manque.
-
[4]
Il s’agit d’EDITE MEDITE (cf. Ganascia & al. 2004), logiciel utilisé notamment à l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM).
-
[5]
Version : les différents supports matériels, c’est-à-dire les brouillons successifs qui sont autant de versions de l’œuvre. Etat : les différents états du texte, c’est-à-dire les différents textes présents sur une même version. Chacun de ces états correspond à une transcription linéaire qui fait abstraction de l’information visuelle et de la spatialisation : inscriptions marginales, couleurs, notes, etc. Tout y est réduit à du texte brut.
-
[6]
Les modifications intervenues entre la version 1 (état 1) et la version 3, sont visualisées ci-dessus en couleur ou en gras, par type d’opération : les insertions, ou ajouts, sont en gris foncé ; les suppressions sont en gris moyen ; les déplacements sont en gras souligné ; les remplacements sont en gris clair.
-
[7]
Même si la notion de « mot » semble sommaire dans le logiciel Word.
-
[8]
Classe de 26 élèves. Le corpus comporte trois versions différentes. Chacune de ces versions présente entre 1 et 6 états différents. Au total ce sont 142 états de textes différents qui sont analysés pour ce seul corpus.
-
[9]
« Un genre définit précisément un rapport normé entre le plan du signifiant et le plan du signifié au palier textuel : par exemple, dans le genre de l’article scientifique, le premier paragraphe, sur le plan du signifiant, correspond ordinairement à une introduction sur le plan du signifié ; dans le genre de la nouvelle, il s’agit le plus souvent d’une description. » (Rastier 2004, 122).
-
[10]
L’exploitation des textes a été effectuée avec les variables de Cordial.
Introduction
1Une recension des travaux sur l’écriture scolaire fait apparaître la rareté des corpus conséquents. Constat paradoxal puisqu’on doit bien des avancées de la didactique de l’écriture à des recherches descriptives centrées sur l’analyse de corpus, qu’il s’agisse de l’étude des brouillons d’élèves (Fabre-Cols 2002), de l’évolution des textes scolaires selon les dispositifs didactiques (Garcia-Debanc 1990), de la relation entre modalités d’écriture et choix des supports (Plane 1995 et 2000), de l’étude des procédés d’écriture (Bonnet 1994 ; Bonnet & al. 1998) ou de l’inscription du sujet scripteur dans ses textes (Bucheton 1995 ; Chabanne & Bucheton 2002). Si les corpus ont tardé à sortir des archives privées des chercheurs, c’est en partie en raison des spécificités des écrits scolaires qui les rendaient jusqu’à présent réfractaires à la numérisation et à l’étiquetage. D’une part, ce sont des textes non normés, sur les plans de l’orthographe et de la ponctuation mais aussi de certains choix lexicaux, syntaxiques, textuels et énonciatifs ; d’autre part, ce sont des textes où l’on peut difficilement lire des traces d’apprentissage sans les mettre en rapport à la fois avec les différents états qui ont abouti au texte définitif et avec le contexte d’enseignement.
2Pourtant, outre ses capacités de stockage, le support numérique a des fonctionnalités qui permettent d’affiner la caractérisation des textes et de mieux identifier les variables sur lesquelles il est possible d’intervenir sur le plan didactique. On tentera de montrer comment, dans deux recherches successives, une méthodologie a été élaborée, mise à l’épreuve et transformée, afin de construire des corpus de textes d’élèves référés à leur contexte d’enseignement. La première recherche a été menée dans le cadre d’un appel d’offres de l’IUFM de Versailles centré sur la relation entre les pratiques d’enseignement et leurs effets sur les élèves (1998-2000, 2000-2003). Il s’est agi de recueillir tous les écrits produits par l’ensemble des élèves de plusieurs classes, dans leurs différentes versions, au cours de séquences d’enseignement consacrées à l’écriture et de les analyser en relation à leur contexte d’enseignement (Elalouf & al. 2005). La seconde recherche, qui prend le relais de la première, à l’initiative de C. Boré, constitue l’un des projets du laboratoire MoDyCo (CNRS-Paris X). Elle se propose de contribuer à la connaissance de l’écriture scolaire en menant une analyse linguistique des productions recueillies à l’école et au collège et des genres scolaires dans lesquelles elles s’inscrivent.
3Dans un premier temps, nous montrerons quels ont été les principes de constitution du corpus dans la première recherche, comment ont été abordées les questions de transcription et quels modes d’exploitation du corpus numérisé ont été retenus. Puis nous expliquerons pourquoi le bilan de ce premier travail nous a conduites à modifier notre méthodologie.
1 – Première recherche : Ecrire entre 10 et 14 ans
1.1 – Principes de constitution du corpus
4La nature du corpus à constituer et les finalités de la recherche - mieux comprendre le fonctionnement des textes d’élèves produits dans un contexte donné - nous a conduites à choisir entre deux conceptions du corpus que F. Rastier (2002) oppose : une conception logico-grammaticale comme échantillon de la langue, réservoir d’exemples et d’attestations, et une conception philologique-herméneutique où le corpus permet la mise en relation de textes complets, rapportés à un genre et à un discours. Notre hypothèse étant que les textes d’apprenants sont des textes à part entière, mais en devenir, d’un état initial à un état jugé final et fortement dépendants d’autres textes, lus, imités, mobilisés dans la séquence d’écriture, le choix de la seconde conception s’imposait. Il s’est donc agi de mettre en relation les différents états d’un texte d’élève (1.1.), le texte et son contexte d’enseignement (1.2.), différents textes d’un même élève (1.3.), différents textes au sein d’une classe (1.4.).
1.1.1 – Les différents états d’un texte
5On illustrera le premier type de rapports en comparant la première version d’un texte écrit en début de CM2, des notes prises dans la cour [1], et la version que l’enseignante a jugé définitive.
La version 1 est structurée par l’emploi des verbes de perception (je vois, j’entends, je sens) et les indicateurs spatiaux, thématisés à gauche du présentatif il y a. La version 5 respecte les consignes stylistiques de l’enseignante (ne pas employer de présentatif ni de verbes de perception). Pourtant le lecteur a le sentiment d’une dégradation. On peut expliquer cette impression par une tension entre la logique du texte de l’élève et des consignes stylistiques qui la contrarient : la progression thématique perd en netteté car l’élève hésite entre une thématisation sur la localisation absolue (dans la cour, sur le terrain de foot) et relative (à ma gauche) ; la suppression des présentatifs entraîne une incompatibilité lexicale (est placé).Version 1 [2] - Geoffrey
Sur le terrain de foot <du haut>, je vois :
A ma droite il y a des arbres à coté du grillage qui mène à la cour du bas.
à ma gauche il y a le gymnase
devant moi il y a les classes
j’entent les maternel qui joue.
je sens la pollutionà toute heure et à midi on sent se quont va manger< qu’ont>
Version définitive (état 5) - Geoffrey
Dans la cour après la récréation du matin
Sur le terrain de foot, à ma droite, les arbres, à côté du grillage, séparent les deux cours.
A ma gauche, le gymnase est placé.
1.1.2 – La relation texte / contexte d’enseignement
6La relation entre le texte et le contexte d’enseignement, déjà convoquée pour rendre compte de l’évolution du texte de Geoffrey, peut également être étudiée à travers les interactions (M = maîtresse ; E = élève) :
On voit ici comment l’enseignante mobilise les connaissances grammaticales des élèves avant la réécriture. Elle sollicite des réponses sur le mode cumulatif, jusqu’à obtenir ce qu’elle attend - la structure de la phrase simple - mais sans les réorganiser, et elle place sur le même plan des considérations syntaxiques et stylistiques en posant un interdit qui peut être source de malentendu : une phrase avec il y a est-elle à éviter parce qu’elle ne répond pas au schéma canonique de la phrase de base ou parce qu’elle manque d’élégance au regard de normes implicites ? Il est donc nécessaire de prendre en compte ces indications, qui figurent au tableau pendant la phrase de réécriture, pour interpréter les modifications apportées au premier état du texte d’élève.M 6 : dans vos notes avez-vous fait des phrases <
E 3 : non >
M 7 : et dans votre texte, allez-vous faire des phrases <
E 4 : oui >
M 8 : comment faire des phrases <
E 5 : il faut qu’elles aient du sens >
M 9 : oui > [écrit la remarque au tableau] Quoi d’autre encore <
E 6 : il faut la ponctuation >
M 10 : oui > [écrit au tableau] La phrase commence par une majuscule et se termine par un point.
M 11 :que peut-on encore faire pour écrire une phrase <
E 7 : il faut un verbe et son sujet >
M 12 :oui > [écrit au tableau] il faut employer des verbes conjugués > vous éviterez il y a.
1.1.3 – Les relations entre différents textes pour un même élève
7Lorsqu’on a constaté les effets d’un dispositif d’écriture sur les apprentissages d’un élève, il est utile de vérifier si un dispositif comparable produit des effets semblables. D’où l’intérêt de construire des corpus longitudinaux. On prendra pour exemple un texte écrit par le même élève un mois plus tard, dans un contexte légèrement différent : la version 1 est le résultat d’une écriture collaborative et la version 2 d’une écriture individuelle ; le modèle à décrire n’est pas un lieu réel et familier mais une photographie de deux personnages inconnus. Cependant, dans les deux cas, un discours descriptif est attendu et des contraintes stylistiques sont données : éviter il y a, être et avoir, éviter les répétitions.
Texte 7 : écrire un portrait à partir d’une photo
Version 1 : brouillon fait avec Pauline
Un jeune garçon regarde* [le veillard fatigué ajout du –i à vieillard et déplacement de fatigué après homme à la phrase suivante].
Les cheveux gris de l’homme sont coifféX [3] en arrière.
Les cheveux du petit garçon sont boucléX et longX.
Le garçon <aux cheveux boucléX et longX s’appuie sur le [veillard ajout du –i manquant et ajout de qui]
Version 2 - Geoffrey
Un jeune garçon, à la longue chevelure blonde et bouclée, s’appuie aux genoux d’un vieillard assis, qui le regarde.
L’homme fatigué aux cheveux gris les coiffe en arrière.
Ils portent des vêtements rouges vif.L’homme<le boutonneux> etle jeune garçon<l’enfant> sont vétus de vêtements rouges vifs.
9Comme dans le texte précédent, l’élève manifeste une compétence à transformer son texte pour respecter des consignes qu’il a comprises. Mais il ne maîtrise pas les effets de ces transformations qui perturbent la cohésion de son texte au point que l’appartenance même au genre descriptif peut être mise en doute pour la version 2. Dans la version 1, le groupe dominant est Un jeune garçon repris par Le garçon aux cheveux bouclés et longs en position thématique, encadrant ainsi deux phrases parallèles introduites selon une progression à thèmes dérivés. La progression de la seconde version est beaucoup moins nette. Pour satisfaire aux consignes du professeur, l’élève accorde à l’implicite une place plus grande au détriment des droits du lecteur. Il préfère aux verbes être ou avoir l’emploi d’un complément déterminatif qui présuppose un signe distinctif connu du lecteur (un jeune garçon, à la longue chevelure blonde ; l’homme fatigué aux cheveux gris) alors que dans le premier état le garçon aux cheveux bouclés et longs était une reprise d’une information antérieure, donnée dans une phrase attributive. La continuité référentielle est ainsi perturbée : seule notre connaissance du monde nous permet d’établir une relation de coréférence entre l’homme fatigué aux cheveux gris et le vieillard assis. Quant au boutonneux, ce pourrait être aussi bien le vieillard ou l’enfant, s’il n’y avait pas de coordination.
10Par ailleurs, les modifications syntaxiques, qui vont dans le sens d’une complexification, s’accompagnent de changements de sens dont on ne peut savoir s’ils sont ou non voulus. La première phrase de la version 2 est une phrase complexe qui permet certes de rendre compte d’une réciprocité que la première version ne parvenait pas à exprimer, mais où les relations actancielles sont inversées. Dans la seconde phrase, le verbe coiffer dans une phrase à la forme active, prend une valeur itérative ou ponctuelle et la source sémantique du pronom les, incluse dans un groupe prépositionnel, n’est pas directement accessible.
11On constate en comparant les deux textes produits par Geoffrey à un mois d’intervalle qu’à ce niveau d’enseignement, pour un élève ayant ce profil, la prise en compte de consignes stylistiques est possible, ce qui témoigne de compétences langagières et métalangagières, mais qu’elle ne permet pas de faire progresser l’élève dans la maîtrise d’un type de discours.
1.1.4 – Les relations entre différents textes au sein d’une classe
Version 1 (prise de notes) - Philippe
Une éspèce de plaine pas très sombre avec des coins de végétation.
Par terre des feuille morte moullé des marrons et leurdesenvlope.
Des grosse flac d’eau des chew-gum ecrasé sur le sol ?
< de la cour>
et des cailloux des petite brandille casser.
Je sent une odeur d’automne.
J’entend des les cris des petits enfants de la maternel et le bruit des voiture.
Je vois un ciel gris et des gens qui ne parle pas mais ?
< qui>
marche des grand fenêtre sur des grand et gros mur.
Version définitive (état 4) - Philippe
La cour ressemble à une espèce de plaine pas très sombre avec des coins de végétation. Par terre, des feuilles <mouillées> jonchent le sol. Des marrons et leurs enveloppes broyées. Des grosses flaques d’eau éparpillées. De gros chew-gum écrasés sur le sol de la cour, des cailloux et des brindilles cassées. Je sens une <odeur> de feuilles mortes d’automne. J’entends les cris des petits enfants de la maternelle, mais aussi le bruit des voitures pressées. Un ciel gris immense couvre l’école. Des passants ne parle<nt> pas mais marchent. Les grandes fenêtre de l’école brillent à cause du soleil. De gros murs ? très épais.
<sont>
13On peut comparer le texte de Geoffrey à celui de Philippe qui produit un premier écrit dont l’organisation est proche, mais manifeste des compétences lexicales qui seront mises à profit dans la réécriture. L’image initiale de la plaine est maintenue dans la version définitive, bien que l’élève en perçoive l’inadéquation lexicale, pour servir d’hyperthème à une progression à thème dérivé sous forme de phrases nominales, alternative au présentatif il y a. Puis un point de vue se constitue grâce au maintien des verbes de perception qui introduisent des groupes nominaux étendus, parfois coordonnés. L’élève n’a pas respecté l’une des consignes pour conserver la progression de son texte, mais il a mobilisé ses connaissances lexicales et syntaxiques pour développer la description au sein de groupes nominaux étendus et faire alterner les verbes de perception avec d’autres (couvrent, brillent). Avec Philippe, on voit se dessiner un autre profil d’élèves, qui ont un recul suffisant pour retenir, consciemment ou non, parmi les consignes du professeur celles qui servent leur projet d’écriture, écarter celles qui pourraient le contrarier, et puisent dans leurs ressources langagières pour rendre acceptable le compromis retenu.
1.2 – Les questions de transcription
14Le support électronique permet de restituer le texte d’élève avec ses ratures, ses ajouts ainsi que les commentaires, annotations et interventions du professeur sur celui-ci, selon des couleurs et des codes différents. Mais l’analyse exige que la copie scannée, document brut, soit accompagnée de transcriptions : l’hétérogénéité du corpus nous oblige à recourir à différents types de transcriptions. Nous exposerons les choix effectués en montrant comment ils tiennent compte des conditions de production des textes et permettent de croiser différentes modalités d’analyse.
1.2.1 – La version scannée
15La version scannée a l’avantage de présenter la copie d’élève telle quelle, avec les éventuels jeux de couleurs, d’icônes, les interventions du professeur sur le texte lui-même et dans la marge. Cependant, cette version n’est pas toujours possible pour des raisons pratiques ou techniques. Elle a été retenue comme échantillon de l’écriture manuscrite de l’élève, sans être généralisée, car elle apporte peu par rapport à la version iconique, plus lisible.
1.2.2 – La version iconique
16La version iconique est privilégiée pour les textes écrits à l’école primaire qui ne comportent pas d’interventions de l’enseignant, celles-ci se faisant à l’oral. La mise en page fait apparaître, comme sur la copie de l’élève :
- les biffures (on voit trois phrases de l’état initial biffées) ;
- les ajouts (<qui> : les soufflets sont placés en dessous ou au-dessus, selon la place de l’insertion) ;
- les remplacements : une unité entre soufflets est reliée à l’unité biffée à laquelle elle se substitue (c’est le cas ici pour <séparent> et <cours>, bien que la forme remplacée ne soit pas biffée par l’élève).Version 3 - Geoffrey
Sur le terrain de foot (du haut) je vois que a ma droite je regarde les arbres qui sont à coté du grillage qui sépare la cour.
Sur le terrain de foot à ma droite,les aje regarde les arbres qui sont à coté du grillage <qui> séparant les deux cour
<séparent> <cours>A ma gauche, c’est le gymnase que voilàA ma gauche, c’est le gymnase. Quede Devant moi, c’est les classes.
Devant moi, Nicole et me R. surveille les enfants qui ecrive leurs brouillon d’expression écrite.
1.2.3 – La version commentée.
17La transcription commentée est retenue pour la présentation de certains manuscrits d’écrivains. Elle est privilégiée pour les textes qui comportent à la fois des interventions de l’élève et du professeur car elle permet de voir comment l’élève interprète les annotations du professeur. Voici le texte d’un élève de 6e, à qui il est demandé d’imaginer « la fin heureuse ou malheureuse du conte Le joueur de flûte de Hamelin ».
Cette transcription a l’avantage de tout expliciter, mais cela ralentit le processus de lecture qui doit en quelque sorte se dédoubler pour suivre le fil du texte de l’élève et les interactions maître/élève qui s’y greffent. Ce dédoublement nécessaire, mais peu naturel, pourrait masquer certaines qualités du texte d’élève, ce qui explique la présence conjointe d’un dernier type de transcription.Suite texte, 6e
Alors le joueur de flûte quitta la ville et tous les enfants le suivirent.
[Un matin, virgule rajoutée par le professeur (P)] il se leva tôt en passant par la ruelle, avec sa flûte et [les enfants ? de P en marge]. Il joua un petit morceau et les enfants en [chantaient souligné par P]. Une ou deux heures après 15 marke. [? de P en marge, point ajouté par P]. [Il -I surchargé par P en -i] se dit [« cet pa male » cet souligné par P, -s rajouté à pas par P, -e biffé par P] et ils se [partagère souligné par P] [la mise ? de P en marge]. Et il [rentrer souligné par P] chez eux [chaqun souligné par P]. Le lendemain matin il alla autre [par -t rajouté par P]. Il resta deux [heure souligné par P] et [ses souligné par P] l’[exploi -t ajouté par P, ? de P ] 70 mark [point virgule ajouté par P] il s e [partaga souligné par P] la somme et tout le monde est [contemps souligné par P ; ? rajouté par P au-dessous].
1.2.4 – La version orthographiée selon la norme
18On a choisi, pour les textes nécessitant un effort de lecture important, de faire précéder la version commentée d’une version orthographiée selon la norme. D’une meilleure lisibilité, elle fait apparaître des qualités du texte oblitérées par la déstabilisation des habitudes de lecture (Bonnet 1994) mais elle oblige parfois à des choix interprétatifs que l’analyse doit discuter.
La construction du récit apparaît mieux dans la première version, de même que la modification du rapport entre les actants : les enfants, de victimes, deviennent associés. Mais cela ne doit pas occulter les choix interprétatifs auxquels l’établissement de la version normée a conduit. Comment transcrire il rentrer chez eux chacun ? Doit-on considérer que le pronom sujet est au singulier ou au pluriel ? La présence de la forme disjointe eux, distincte du singulier lui, invite à penser qu’il faut lire ils. A quoi correspond alors la forme rentrer ? à l’imparfait, forme homophone en raison de la neutralisation entre [e] ouvert et fermé en français parisien, mais difficilement compatible avec le connecteur temporel et et avec l’aspect lexical du verbe rentrer ? Au passé simple, cohérent avec l’emploi des temps verbaux dans le texte, mais qui oblige à supposer une sonorisation du –r de l’infinitif ? La version orthographiée selon la norme est donc déjà une analyse qui privilégie la cohérence du texte d’élève. Elle demande à être confrontée à la version commentée : d’obstacles à la lecture du texte, les erreurs orthographiques deviennent dans un second temps des indices d’une dynamique textuelle faite de retours et de bifurcations (Fabre-Cols 2000). On peut par exemple lire dans le il une hésitation entre la poursuite d’une progression à thème constant (ils se partagèrent la mise. Et ils rentraient / rentrèrent) et le retour au thème dominant, le joueur de flûte (ils se partagèrent la mise. Et il rentrait / rentra).Suite texte, 6e
Alors le joueur de flûte quitta la ville et tous les enfants le suivirent.
Un matin, il se leva tôt en passant par la ruelle, avec sa flûte et les enfants. Il joua un petit morceau et les enfants en chantaient. Une ou deux heures après : 15 marks. Il se dit : « c’est pas mal » et ils se partagèrent la mise. Et ils rentrèrent chez eux chacun. Le lendemain matin, il alla autre part. Il resta deux heures et c’est l’exploit : 70 marks. Ils se partagèrent la somme et tout le monde est content.
1.3 – Les modes d’exploitation du corpus
19L’essentiel de l’analyse s’est fait sur le plan qualitatif : il s’agissait de comprendre les effets des dispositifs d’écriture sur les écrits des élèves. Toutefois la numérisation du corpus a facilité cette analyse interne des textes et les comparaisons. Elle a permis aussi certaines exploitations plus spécifiques. On montrera comment, sur un même corpus, les deux approches se complètent.
1.3.1 – Exploitation non outillée
20Le corpus recueilli en classe de 5e correspond à un ensemble de séquences inscrites dans un projet annuel aboutissant à l’écriture par groupes de romans historiques. L’un des objectifs du professeur étant de travailler les fonctions de la description, l’analyse de ces romans historiques s’est centrée sur la place accordée aux descriptions, leur rôle, leur insertion. Le support numérique a permis une première approche quantitative :
- Roman 1 : 622 caractères sur 3535, soit 18,8 %
- Roman 2 : 1183 caractères sur 3457, soit 35,2 %
- Roman 3 : 2304 sur 6490 caractères, soit 35,5 %
- Roman 4 : 5203 caractères sur 14186, soit 36,7 %.
21Roman 1 : Peu de descriptions à proprement parler mais plutôt des éléments descriptifs qui contribuent soit à l’identification des référents (D2, 3, 9), soit à leur caractérisation (D1, 8). Ces descriptions sont introduites en même temps que l’objet de discours (sauf pour le château qui est présenté en plusieurs temps). Brèves, à l’exception de la description de paysage (D8), elles sont construites sur le mode de la juxtaposition et de l’accumulation. Toutefois, la présence systématique d’un hyperthème (château, paysages, décor) avant chaque énumération et la cohérence sémantique des éléments juxtaposés favorisent leur intégration dans le texte.
22Roman 4 : Trois fois plus nombreuses que dans les autres romans, mais avec une proportion comparable à celle des romans 2 et 3, les descriptions présentent ici des spécificités : de dimensions plus variées, elles ne suivent pas exclusivement l’introduction d’un objet de discours, mais le construisent au fil du texte. Alors que dans les autres romans, les descriptions ont un calibre unique et procèdent par alternance entre brèves notations et séquences plus développées, elles se répartissent ici en 5 catégories, de 50 à plus de 300 caractères.
23Descriptions de personnages et descriptions de lieu ont en commun d’être modalisées, ce qui permet l’expression d’un point de vue, qui peut varier au fil du roman. Elles servent pleinement les choix narratifs.
1.3.2 – Exploitation outillée
24L’utilisation de logiciels d’analyse de discours permet-elle d’aller plus loin dans la caractérisation des textes d’élèves ? Les romans historiques étant, dans leur dernier état, quasiment conformes à la norme sur les plans de l’orthographe et de la ponctuation, il était possible de les soumettre à un tel traitement sans les modifier. Cela permettait en outre de les comparer à des textes lus par les élèves au moment de la rédaction : Le chevalier au bouclier vert d’O. Weulersse (Chevalier dans le tableau ci-contre) et le portrait de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris (ND de Paris dans le même tableau).
25Le logiciel Tropes a été retenu parce qu’il effectue, au terme de l’analyse automatique, un diagnostic du style général du texte et de sa mise en scène, en fonction des indicateurs statistiques collectés. Il distingue quatre modes :
- argumentatif : le sujet s’engage pour essayer de persuader l’interlocuteur ;
- narratif : un narrateur expose une succession d’événements, à un moment donné, en un certain lieu ;
- énonciatif : le locuteur et l’interlocuteur révèlent leurs points de vue ;
- descriptif : un narrateur décrit, identifie ou classifie quelque chose ou quelqu’un.
- si ce sont des verbes d’action, la mise en scène est dynamique ;
- si ce sont des verbes statifs, la mise en scène est ancrée dans le réel ;
- si ce sont des verbes qui permettent de réaliser une déclaration sur un état, une action (verbes de pensée, de jugement), la mise en scène est prise en charge par le narrateur ;
- enfin, la fréquence des pronoms de première personne permet de conclure à une prise en charge à l’aide de je.
Style général des textes selon le logiciel Tropes
Style général des textes selon le logiciel Tropes
26Compte tenu des caractéristiques des textes lus et produits, on pouvait s’attendre à trouver majoritairement le style descriptif et la mise en scène ancrée dans le réel. L’analyse proposée par le logiciel peut surprendre. Comment l’interpréter ?
27On a pu mettre en évidence quatre procédés, chez les auteurs comme chez les élèves, qui expliquent l’affinité de ce type de description avec le texte narratif et la mise en scène dynamique :
- les traits descriptifs sont intégrés dans le récit ;
- la scène est vue en mouvement ;
- la description suit le point de vue d’un personnage ;
- elle est métaphoriquement animée.
1.3.3 – Pour aller au-delà
28Pour aller plus avant dans la caractérisation des genres scolaires et l’interprétation des relations complexes entre pratiques d’enseignement et apprentissage de l’écriture, il a été nécessaire de reconsidérer la construction du corpus et les modes d’exploitation, en s’appuyant sur cette première recherche.
2 – Deuxième recherche : Ecrit et écriture scolaire
2.1 – Les genres scolaires
29En se donnant comme objectif de mieux caractériser l’écriture scolaire, le second projet s’est explicitement centré sur les genres de discours par lesquels elle s’exprime. Cette position prend sa source dans le constat, maintes fois exprimé, que l’enseignement/apprentissage de l’écriture ne peut se faire que dans et par les genres.
30Aussi la première caractéristique du second corpus est-elle de rassembler des « genres scolaires », qu’on essaie de caractériser en prenant en compte le fait qu’il existe des modèles de référence donnés par l’institution scolaire elle-même, diversement incarnés dans les productions des élèves, appartenant à la même tranche d’âge (10-14 ans).
2.1.1 – Définitions
31Ces préalables prennent pleinement acte des analyses des psychologues du langage genevois, B. Schneuwly et J. Dolz (1997), pour qui toute introduction du genre à l’école en fait nécessairement un genre scolaire, une variante du genre d’origine.
32La question des genres et des typologies est donc centrale pour cette recherche.
33Du point de vue de la démarche, ainsi que le remarquent Habert & al. (1997), on peut dégager deux manières d’utiliser les typologies :
- soit on part de typologies existantes et on examine les textes en cherchant à établir des corrélations entre types et traits linguistiques ;
- soit on fait émerger des types de textes grâce à un traitement statistique de textes étiquetés ; on part alors des textes concrets.
34Des travaux antérieurs en linguistique et didactique ont pu servir de référence initiale : c’est le cas de ceux de J.-P. Bernié qui s’est inspiré de Bakhtine pour une nouvelle définition des genres scolaires, « genres intermédiaires », « textes composites d’un point de vue générique mais discursivement organisés à partir d’un principe de coordination qui transmute leurs composantes » (Bernié 2001a, 150), « caractérisés par leur fusion, qui fait souvent disparaître toute possibilité d’identification typologique, toute pertinence des préférences typologiques ». Ces textes qu’il nomme aussi secondaires, à la différence des genres seconds de Bakhtine, sont caractérisés par une construction « de modes de points de vue orchestrateurs ».
35Ce qui vient d’être dit repose sur une option plus générale : nous avons posé en préalable, comme de nombreux chercheurs avant nous (notamment Rastier et Bronckart), que l’existence des genres scolaires, de même que celle des genres en général, s’enracine dans une pratique sociale. Ainsi qu’on le verra plus loin, les indicateurs que nous avons retenus pour l’élaboration des variables servant à la caractérisation des textes, relèvent donc tout d’abord de la psychologie sociale de Bronckart (1985, 1996), référence commune à Schneuwly et Bernié.
2.1.2 – Options typologiques
36Bronckart se situe dans la lignée de Benveniste et de Weinrich par sa référence aux plans d’énonciation avec les critères linguistiques qui les distinguent. Mais il conçoit des unités psychologiques qui les sous-tendent. Ce sont deux types d’opérations psychologiques correspondant à la représentation que l’agent se fait de l’interaction communicative dans laquelle il est inséré :
37a) les opérations psychologiques constitutives des « mondes discursifs ».
38Les coordonnées générales spatio-temporelles organisant le contenu thématique mobilisé dans un texte sont soit disjointes des coordonnées du monde ordinaire de l’énonciateur, soit conjointes.
39Dans le premier cas, les faits organisés à partir de cet ancrage sont racontés.
40Dans le second cas, c’est-à-dire quand l’ancrage se situe dans le monde de l’action langagière en cours, les faits sont exposés.
41b) les opérations psychologiques d’explicitation du rapport aux paramètres de l’action langagière en cours.
42Soit le texte implique, mobilise les paramètres de l’action langagière (renvois déictiques) : il est impliqué ; soit il est autonome : son interprétation ne requiert aucune connaissance des conditions de production.
43Le croisement des deux types d’opérations aboutit à quatre architypes discursifs abstraits : monde de l’Exposer Impliqué, monde de l’Exposer Autonome, monde du Raconter Impliqué, monde du Raconter Autonome. Si ces mondes architypiques sont abstraits, en revanche il existe des types linguistiques de discours concrets qui peuvent être décrits.
44Telles sont les options exposées dans Bronckart (1985, 1996) dont s’est inspirée la deuxième recherche. Les tableaux d’indicateurs qui ont été construits à titre heuristique s’inspirent explicitement de ces catégories, même si d’autres références sont lisibles et tentent de s’articuler avec l’architecture dessinée.
2.2 – Méthodologie
45Les problèmes de construction des corpus évoqués dans la première partie se posent à nouveau, puisque l’objet de recherche est différent.
2.2.1 – Statut des données
46Comme dans la précédente recherche, nous disposons de textes complets (ce ne sont pas des échantillons), contextualisés (cf. plus bas), obtenus non dans des conditions expérimentales, mais attestés par des pratiques ordinaires.
Représentativité du corpus ?
47Nous avons dû, chemin faisant, réfléchir à la question de la représentativité du corpus, souvent opposée de façon critique. Sans évoquer l’absurdité qu’il y aurait à postuler une exhaustivité des genres étudiés dans les classes, le choix des genres à recueillir est délicat. Cependant, là encore, les pratiques institutionnelles renseignent sur le meilleur dispositif de recueil : il y a sinon une progressivité, du moins une répartition des genres scolaires dans l’école et le collège. Par exemple, la lettre de demande ou d’invitation est un genre que l’on trouve dans les petites classes et qu’on ne retrouve plus après. Au collège, les programmes laissent l’argumentatif pour le cycle central et se focalisent sur le narratif en 6e. Il se trouve ainsi que, tant à la fin du primaire qu’en classe de 6e, on observe une dominance des genres du narratif : le conte est largement privilégié.
48Dans la mesure du possible, nous essayons d’obtenir des écrits comparables en CM et 6e. Nous postulons en effet des traits communs génériques dans les genres scolaires communs. Il se pose cependant le problème du recueil des corpus de genres spécifiques à un établissement, une classe ou un niveau : la représentativité d’un corpus est-elle dans le quantitatif ou dans la diversité des genres rencontrés ? La réponse à la question repose sur les principes évoqués dans le point 1 : nous recueillons tous les genres pratiqués, dans la tranche d’âge considérée pour la recherche, avec cette condition que nous devons pouvoir comparer au moins deux sous-corpus pratiquant le même genre, ce qui nous invite à reposer la question du contexte.
Contexte et données orales
49L’écriture, nous l’avons dit, doit être envisagée d’emblée comme une pratique sociale contextualisée, dont les modèles d’élaboration devraient dépasser la description empirique. Un travail de modélisation du contexte s’effectue en parallèle avec l’analyse des données écrites constitutives des corpus. Le contexte comporte :
- des données orales transcrites, provenant d’enregistrements audio et vidéo recueillis de façon similaire pour chaque corpus, en dépit des différences propres à chaque sous-genre de production d’écrits ;
- les interactions orales elles-mêmes enseignant-élèves. Elles sont interrogées suivant un canevas qui privilégie les traces de « définition » et de « prescription » par l’enseignant, notamment celles qui ont trait à l’amélioration des écrits. A ce titre, corpus oraux et écrits peuvent difficilement être clairement distingués, ils se nourrissent l’un de l’autre : le corpus oral n’est pas un contexte extérieur au corpus écrit, il en fait partie et donne au genre sa configuration. Nos références sont assez fortement influencées par l’analyse praxéologique du discours (Fillietaz 2004).
- des productions de références lues et commentées en classe. Il s’agit de mesurer la distance entre textes « prescrits » et « produits ». À cet égard, un inventaire des textes lus prescrits par l’institution (extraits, textes intégraux, appartenant à la littérature de jeunesse ou à la littérature générale) se constitue comme l’arrière-plan générique auquel il est constamment référé pour la production des écrits scolaires. Cet ensemble apparemment hétéroclite n’en obéit pas moins à des traditions scolaires historiques vivaces.
2.3 – L’analyse des processus
50Dès la première recherche, on a pris en compte le travail sur les processus, c’est-à-dire la dimension temporelle et le caractère progressif de la constitution de ces corpus, au lieu de les considérer comme des produits. La seconde recherche dispose d’un logiciel de comparaison automatique des versions successives des textes, déjà expérimenté en génétique des textes [4] pour des textes d’écrivains.
51Une expérimentation a été tentée sur un sous-corpus particulier (classe de 6e). Les élèves ont à écrire la suite d’un conte moderne à visée didactique La grammaire est une chanson douce. L’auteur, E. Orsenna, donne vie aux mots, afin d’inculquer la grammaire aux enfants de façon ludique. Ainsi, il existe un monde dans lequel les adjectifs, pour s’accorder avec les noms, doivent passer par la mairie. L’épisode à écrire doit, bien sûr, tenir compte du double sens d’«accorder ».
52On lira ci-dessous un exemple d’application du logiciel (sur les termes « version » et « état » cf. les définitions employées en génétique des textes [5]).
Elodie
Version 1 - Etat 1
On entra dans la mairie, on pouvait apercevoir de mainnifique dessins qui perçonifait les mots qui s’était accordé. Il y avait trois couloirs : un pour l’article, l’autre pour l’adjectif, et l’autre pour le nom. Ils arrivaient les uns après les autres dans une grande coul ou il y avait un accordéateur (celui qui accorde les mots) qui les marier. Puis ils ressortent enssemble en se donnant la main.
Version 3
En entrant dans la mairie, on pouvait appercevoir de mainnifique dessin qui personalisait les mots qui s’était accordé. Il y avait trois couloire : un pour l’article, l’autre pour l’adjectif, et le dernierpour le nom. Ils arrivaient les uns après les autres dans une grande salle ou il y avait. le mair des mots. La sérémonie se fit. Puis « maison » et « hanté » ressortirent enssemble en se donnant la main. Sous les pétales de roses, les applaudissement et les crient de joie des invités on enttendaient :
- « Vive la maison hantée ! »
- « Vive la maison hantée ! »
Tableau des modifications effectuées par l’élève entre les deux versions [6]
Tableau des modifications effectuées par l’élève entre les deux versions [6]
54L’outil est encore imparfait en ce qu’il ne spécifie pas la dimension ni la nature des transformations opérées.
55Ainsi, dans notre exemple, l’insertion du -p d’apercevoir qui correspond à l’ajout erroné d’un graphème, est mise sur le même plan que l’insertion, dans la partie finale du texte, de plusieurs phrases qui modifient le statut du texte, en « tirant » la scène vers un mariage conventionnel.
56On peut aussi s’étonner que le remplacement, dans la version 1 (dernière phrase), du présent « ressortent » à valeur itérative, par un passé simple « ressortirent » à valeur semelfactive dans la version 3 (ligne 5), ne soit pas codé de façon plus claire (à cause de la marque zéro du présent ?), tandis que le remplacement d’un GN pronominal (« ils ») par un GN nominal (« maison » et « hanté ») est aussi codé comme une insertion.
2.4 – Indicateurs et axes pour l’analyse
57Deux références antérieures existaient pour l’analyse des textes. Elles avaient été construites pour des corpus scolaires.
2.4.1 – Les « compétences » dans la Recherche I
58La recherche I retenait trois compétences principales à examiner dans les copies : énonciative, pragmatique, morpho-syntaxique (déclinée en différentes sous-compétences : syntaxe, morphologie, lexique, ponctuation, orthographe, etc.).
59Nous n’avions pas cependant résolu le problème de l’articulation de ces compétences entre elles et, de plus, chaque corpus avait élaboré sa propre grille d’analyse.
2.4.2 – Les axes d’analyse de J.-P. Bernié
60Partant de l’analyse du genre scolaire du compte rendu, qu’il définit comme un genre complexe supposant une décontextualisation et recontextualisation du propos, Bernié adopte l’optique bakhtinienne qui définissait les genres à partir de trois axes : une composition (axe séquentiel), une thématique et un style. C’est à partir de ces recherches que le groupe élabore ses propres grilles d’analyse et la liste de ses indicateurs.
2.4.3 – Axes pour une pré-analyse
61Trois axes ont été retenus :
- un axe séquentiel qui recense les marques d’organisation du texte ;
- un axe énonciatif qui marque l’ancrage discursif et les diverses manifestations de la subjectivité dans le discours ;
- un axe « stylistique », terme à manier avec précaution, qui recouvre en partie un axe pragmatique orienté vers la polyphonie : images du locuteur et du récepteur, dialogisme du scripteur, et, plus généralement, les traits correspondant aux normes fonctionnelles des genres.
2.4.4 – Croisement de ces axes avec l’analyse des processus
62Chacune de ces grilles d’indicateurs tient compte de l’évolution des versions et des états de chaque version, qui sont mises en relation avec le contexte oral : consignes, définitions de l’enseignant, issus des enregistrements audio et vidéo.
63L’exemple ci-dessous rend compte d’une remarque faite par l’enseignante dans le corpus de 6e cité en 2.3. On rappelle que les élèves écrivent la suite d’un conte. L’auteur, E. Orsenna, a imaginé dans son roman La grammaire est une chanson douce que les noms et les adjectifs, devenus des êtres animés, s’ « accordent » comme on se marie, en passant par la mairie. Les élèves doivent raconter cette scène de « mariage ».
64Mais pour beaucoup d’élèves, imprégnés de traditions familiales et/ou religieuses, les deux mots à « accorder » passent devant le « curé », au lieu du « maire », ce que le professeur fait remarquer au cours de la séance orale collective de reprise du premier brouillon. Cette remarque a une incidence directe, puisque tous les élèves concernés (9 sur 26) tiennent compte de la réflexion de l’enseignante et dans leur 2e version transforment leur texte en remplaçant « curé » ou « prêtre » par « maire ».
Adrien, Version 1
14 (…) le pretre dit : levé vous je vous pris
15 ils se leverent et le pretre dit : Maison
16 veut tu epouser Hanté oui je le veut
Adrien, Version 2
12 (…) le maire dit : levez vous je vous pris
13 ils se leverent et le maire dit:
14 Maison veut tu accordés avec Hanté
66Mais on constate aussi avec surprise que certains élèves ont substitué « maire » à des idiolectes pourtant très intéressants dans leur première version comme « le mot accordeur » ou « le mot accordéateur » : la reprise de l’enseignant a donc des incidences sur le « style » général des textes qui fait entendre une « conformité aux attentes de l’enseignant », contribuant ainsi à l’élaboration d’un « style scolaire », issu des deux voix produites par l’institution.
2.5 – Utilisation heuristique de ces axes
67Diverses exploitations ont été tentées sur ce corpus de 6e.
2.5.1 – En prenant chaque axe séparément
68Dans l’axe séquentiel, on a pu travailler sur les deux premiers items de l’indicateur 2 de l’axe séquentiel (nombre de lignes et de mots) pour l’intégralité du corpus, où sont apparues les caractéristiques suivantes :
- la majorité des élèves (22/26) augmente de façon très significative le nombre de mots et de lignes entre les deux premières versions ;
- une très courte majorité (11, contre 10 qui augmentent) diminue le nombre de mots et de lignes entre la version 2 et la version 3.
69Néanmoins ce corpus numérisé, sans contredire les résultats déjà observés, met en évidence le fait qu’un nombre important d’élèves augmente continûment leur texte : le comptage en mots [7] - impossible à faire exhaustivement sur des brouillons matériels - apporte ici des éléments quantitatifs indiscutables permettant de précieuses comparaisons entre versions.
70Cela ouvre bien évidemment des pistes d’analyse pour la comparaison avec des corpus génériquement différents, des approches didactiques différentes d’un même genre, etc.
2.5.2 – Par utilisation de la fonction « recherche » de Word
71Le verbe « accorder » sous une forme lemmatisée a été recherché dans les états de toutes les versions du corpus 6e [8]. C’est un terme-clé, comme on l’a vu plus haut, dans la mesure où son emploi à double sens (matrimonial et grammatical) est un indice générique important : le texte d’Orsenna, qui sert de support d’écriture, est un conte didactique qui impose une double lecture de la fiction présentée.
72On constate ainsi que :
- 4 élèves sur 26 n’emploient jamais « accorder » quelle que soit sa forme.
- Ils utilisent un vocabulaire matrimonial univoque : épouser, se marier, les futurs mariés, l’union, le mariage, ou neutre : cérémonie. Parfois le scripteur contourne la difficulté en usant du démonstratif cela. Ces élèves restent dans la sphère du conte, dont ils oblitèrent la portée didactique, et leur texte du même coup change d’univers générique.
- 5 élèves n’emploient aucune forme d’ « accorder » dans leur première version mais ils le font après la reprise collective orale avec le professeur. « Epouser » « se marier » et même la forme *«s’accopler », ou bien la périphrase « prendre pour mari, époux/femme, épouse » sont alors remplacés par « accorder », souvent employé à l’actif, au lieu des formes passive ou diathétique qui conviendraient. C’est la version sexuée qui est ainsi réorientée par la reprise collective.
- Pour un nombre non négligeable de scripteurs (7), « accorder » sous différentes formes, est employé simultanément avec des formes inédites qui lui sont associées, comme : « prendre » « prendre pour nom/adjectif » « prendre pour accordement » « prendre pour légitime adjectif » « faire l’accord » « se mettre avec » « s’enchaîner ». Ces élèves utilisent, en les détournant, des stéréotypes d’élocution, des collocations, en entrant dans le jeu du texte d’origine.
2.6 – Perspectives d’utilisation
2.6.1 – Corrélation des variables
73Les grilles de variables ont été élaborées dans une perspective heuristique comme cela a été dit plus haut. Les axes séquentiel et énonciatif, explorés partiellement, ont permis de faire des hypothèses sur des corrélats possibles. Par exemple, la variable 1 (« Disposition ») de l’axe séquentiel dont certains items : titre, paragraphe, ponctuation, sont des déterminants génériques [9] fiables, est l’objet d’une attention particulière dans les copies d’élèves : le commentaire métalinguistique « FIN » repéré dans de nombreux états de textes, qui sert de signal et de clausule, relève-t-il exclusivement des genres narratifs (et lesquels ?) ou bien se retrouve-t-il dans tout type de texte ? Pour s’en assurer, on peut déjà interroger les items 1 et 2 de l’axe énonciatif qui permettent de définir l’ancrage conjoint ou disjoint de l’énonciation (cf. les catégories de Bronckart) et repérer les temps verbaux.
74De même, la ponctuation habituellement employée par les élèves dans les dialogues (guillemets, tirets, mais aussi alinéas et sauts de ligne), semble tout autant être utilisée par les jeunes scripteurs pour marquer le discours direct, quand ils veulent noter du discours rapporté ou une citation : il s’ensuit un alignement, voire une confusion, entre genres narratifs (discours rapportés) et genres dialogués (théâtre).
2.6.2 – Projet d’exploitation automatique du corpus
75Sur la base des corrélations signalées ci-dessus, une expérimentation a été faite très récemment par D. Malrieu (2004). Le texte de référence de l’un des corpus présenté dans cet article, à savoir le roman d’E. Orsenna, a été numérisé. Un balisage a été effectué sur plusieurs unités textuelles métalinguistiques et sur les discours rapportés, permettant d’extraire des séquences textuelles par type de balise afin de les caractériser sur certains attributs, comme les personnes et les temps verbaux. Puis un balisage simple a été fait sur le corpus 6e des textes d’élèves écrits à partir de ce roman [10].
76En dépit des difficultés réelles attendues - comme la réponse imprévisible aux normes orthographiques -, l’objectif était de repérer l’importance quantitative et qualitative des dialogues et des discours rapportés dans les textes narratifs de fiction produits par de jeunes scripteurs, et de les comparer au texte qui leur sert de référence d’écriture. Concernant ce corpus, il s’agissait de savoir si l’on trouverait, comme dans le roman de référence, des explications métalinguistiques sous forme de citations et de discours rapportés. D. Malrieu a pu établir que les discours rapportés occupaient 33,4 % de la surface du texte dans le roman d’Orsenna, et que les expressions métalinguistiques marquées atteignaient le pourcentage très important de 6 % des mots. Les résultats dans les copies ont montré des résultats comparables : le discours rapporté occupe le quart du texte dès la première version, et cette proportion augmente avec les versions jusqu’à atteindre le tiers du texte, et même dépasser la moitié pour 6 élèves. Chez la plus grande partie des élèves (soit 13 / 25) on trouve 100 % de discours directs (sur l’ensemble des discours rapportés) dont la part augmente (en nombre de mots) d’une version à l’autre ; les expressions métalinguistiques et autonymiques atteignent par ailleurs le taux de 7 % des mots. Il est vrai que ces chiffres et pourcentages sont sans doute biaisés par le fait que l’on compare un seul texte long à plusieurs textes courts. Aussi bien l’aspect quantitatif n’est-il qu’un point de départ : les éléments quantitatifs concernant les signes suprasegmentaux (guillemets, tirets de discours directs, majuscules, parenthèses etc.) permettront de comparer, par exemple, l’introduction des autonymes, la présentation du discours direct, le rôle des incises, respectivement dans le roman et les copies, afin de reconnaître de façon fine leurs différences d’emploi.
Conclusion
77L’introduction de la technique informatique dans la recherche en linguistique des textes sur corpus scolaires peut apporter, pour peu qu’elle trouve des applications pertinentes, une véritable révolution en didactique.
78Déjà, la notion même de corpus scolaires avait pu constituer en elle-même une nouveauté considérable par le fait qu’étaient désormais considérés comme textes des écrits jugés naguère hétéroclites ou négligeables.
79Avec la nouvelle manière de lire les textes de scripteurs « apprenants » que constitue l’analyse automatique de textes, on peut envisager que soient repérés des faits de langue, des corrélats d’erreurs passés inaperçus. De ces analyses émergera sans doute une connaissance accrue du fonctionnement général de la langue et des textes.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : interactionnisme discursif, écriture scolaire, génétique des texts, pratiques scolaires
Notes
-
[1]
1ère consigne : « Noter ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qu’on sent dans la cour ». 2de consigne : L’enseignante donne seulement le titre, « Dans la cour, après la récréation », et attend que les élèves transforment leurs notes en textes, ce qu’il parviendront plus ou moins bien à faire après différentes aides méthodologiques énonçant des contraintes d’écriture.
-
[2]
On reprend à la critique génétique le terme d’état pour désigner les évolutions du texte dans le temps et le terme de version pour indiquer les changements de supports. Le passage d’une version à une autre peut ne pas s’accompagner de modifications : c’est la copie à l’identique. Inversement, plusieurs états peuvent figurer sur une même version.
-
[3]
X : code de l’enseignante pour signaler un manque.
-
[4]
Il s’agit d’EDITE MEDITE (cf. Ganascia & al. 2004), logiciel utilisé notamment à l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM).
-
[5]
Version : les différents supports matériels, c’est-à-dire les brouillons successifs qui sont autant de versions de l’œuvre. Etat : les différents états du texte, c’est-à-dire les différents textes présents sur une même version. Chacun de ces états correspond à une transcription linéaire qui fait abstraction de l’information visuelle et de la spatialisation : inscriptions marginales, couleurs, notes, etc. Tout y est réduit à du texte brut.
-
[6]
Les modifications intervenues entre la version 1 (état 1) et la version 3, sont visualisées ci-dessus en couleur ou en gras, par type d’opération : les insertions, ou ajouts, sont en gris foncé ; les suppressions sont en gris moyen ; les déplacements sont en gras souligné ; les remplacements sont en gris clair.
-
[7]
Même si la notion de « mot » semble sommaire dans le logiciel Word.
-
[8]
Classe de 26 élèves. Le corpus comporte trois versions différentes. Chacune de ces versions présente entre 1 et 6 états différents. Au total ce sont 142 états de textes différents qui sont analysés pour ce seul corpus.
-
[9]
« Un genre définit précisément un rapport normé entre le plan du signifiant et le plan du signifié au palier textuel : par exemple, dans le genre de l’article scientifique, le premier paragraphe, sur le plan du signifiant, correspond ordinairement à une introduction sur le plan du signifié ; dans le genre de la nouvelle, il s’agit le plus souvent d’une description. » (Rastier 2004, 122).
-
[10]
L’exploitation des textes a été effectuée avec les variables de Cordial.