1 Toute entreprise commerciale est supposée avoir pour objectif sa rentabilité économique pour assurer son développement, et sa rentabilité financière pour rémunérer ses financeurs. Tel n’est pas l’objectif premier des clubs de football professionnels. En effet, dans le cadre des ligues ouvertes européennes, fondées sur la promotion des clubs les plus forts et la relégation des plus faibles, l’objectif des clubs est la maximisation de leurs performances sportives (Sloane, 1971 ; Ascari et Gagnepain, 2006 ; Késenne, 2007). Or, leurs résultats sportifs sont fortement dépendants de leur niveau de recrutement (Szymanski et Kuypers, 1999 ; Hall et al., 2002). En conséquence, ils cherchent à recruter les meilleurs joueurs possibles, censés donner au club un avantage compétitif sur leurs concurrents. Les auteurs qualifient cette stratégie de course aux armements (Rosen et Sanderson, 2001 ; Ascari et Gagnepain, 2006). La concurrence qui en résulte, entre les clubs les plus riches sur le recrutement des meilleurs joueurs, conduit à une inflation des salaires et des indemnités de recrutement (Solberg et Haugen, 2010) à l’origine de difficultés financières récurrentes pour l’ensemble des clubs européens de football (Lago et al., 2006).
2 Les clubs français ne font pas exception à la règle en dépit d’un contrôle de gestion mis en place, dès 1990, par les instances du football français en concertation avec les acteurs concernés pour y remédier (Dermit-Richard, 2004 ; Meyssonnier et Mincheneau, 2013). Ce constat a amené Andreff (2007, 2009) à conclure à une « mauvaise gouvernance » des clubs caractérisée par « une accumulation de déficits année après année » (Andreff, 2009, p. 622). Différents auteurs ont alors expliqué cette situation par le fait que les clubs évoluent, en France et plus largement en Europe, dans le cadre d’une contrainte budgétaire qualifiée de lâche (CBL) (Andreff, 2009, 2015 ; Storm et Nielsen, 2012), caractérisée par deux éléments. Le premier est la persistance des déficits des organisations concernées. Le second est leur capacité à trouver des financements extérieurs pour compenser leurs déficits afin de préserver leur solvabilité et éviter la faillite.
3 Notre contribution s’inscrit, tout d’abord, dans la lignée des travaux portant sur la question de la gouvernance des clubs de football. Elle a pour objectif de montrer que la contrainte budgétaire qu’ils supportent n’est pas uniforme. Les travaux d’Andreff menés en 2007 sur les comptes agrégés des clubs au niveau de la ligue française ne permettaient que très partiellement de différencier les situations des clubs. Les données disponibles depuis nous donnent la possibilité de mettre en évidence des situations bien plus contrastées et de proposer une typologie de clubs en fonction du degré de contrainte budgétaire : de la plus « lâche » à la plus stricte. Et si finalement seuls quelques clubs adoptaient une « mauvaise gouvernance » et que la très grande majorité d’entre-eux cherchaient à équilibrer leurs comptes ? Ensuite, cette question s’inscrit plus largement dans celle de la régulation des championnats professionnels de sports collectifs en ligue ouverte. En effet, le système de régulation français repose sur un objectif de solvabilité s’apparentant à une CBL. Dans le même temps, la régulation financière mise en place en 2010 par la Fédération européenne de football (Union européenne de football association - UEFA) dans le cadre du fair-play financier vise un objectif de rentabilité soit une contrainte budgétaire dure. Dès lors, il pourra être analysé la question de la superposition de deux systèmes de régulation sur un même secteur d’activité dont les objectifs divergent. Se pose notamment la question de la forme la plus pertinente pour aider les clubs à adopter des principes de « bonne gouvernance ». Afin de traiter de cette problématique, cet article s’articule en cinq parties. Une première est consacrée à une revue de littérature succincte sur la question de la contrainte budgétaire lâche et de la gouvernance des clubs professionnels ainsi qu’à la méthodologie utilisée. La deuxième expose les résultats obtenus afin de proposer, dans un troisième temps, une typologie des clubs selon la nature de leur contrainte budgétaire. Le dernier point permet d’analyser ces résultats et de conclure sur le lien entre contrainte budgétaire, gouvernance des clubs et régulation sectorielle.
I – Revue de littérature
4 L’étude de la crise financière du football a constitué la problématique d’un certain nombre de publications dans différents pays européens. On peut citer initialement un numéro spécial de Journal of Sports Economics de 2006 (Lago et al., 2006) qui a présenté un état des lieux des difficultés financières notamment dans les cinq championnats majeurs en Europe.
5 Un nombre bien plus restreint de travaux s’est intéressé à la question de la gouvernance des clubs. Tous portaient sur le football professionnel. Ainsi, selon Andreff (2009, p. 622) « une bonne gouvernance est repérée par des comptes d’exploitation équilibrés, jamais par une accumulation de déficits année après année ». Franck (2010) a étudié l’impact des structures de gouvernance des clubs de football européen sur leur capacité à générer des sources de financement et à les dépenser dans les joueurs. Plus récemment, Paché (2015) traite de la gouvernance du football professionnel européen en pointant notamment l’objectif d’amélioration de la gouvernance des clubs professionnels lié au fair-play financier de l’UEFA. De son coté, Senaux a identifié le rôle des stakeholders dans la gouvernance des clubs de football (Senaux, 2004).
6 Concernant plus particulièrement la rentabilité des clubs de football français, trois questions ont été particulièrement traitées. Un premier axe de travail a consisté à montrer d’une part, l’existence de déficits persistants dans ce secteur du fait notamment du poids des salaires dans le budget des clubs (Arrondel et Duhautois, 2018 ; Minquet, 2004 ; Gouguet et Primault, 2006 ; Andreff, 2007). Il en est résulté d’autre part, des travaux sur les moyens de limiter ces déficits soit par une stratégie de renforcement de marque pour rendre les recettes des clubs moins dépendantes de leurs résultats sportifs (Paché et N’Goala, 2011), soit de réduction de l’incertitude sportive par une proposition de fermeture des ligues par transposition du modèle compétitif nord-américain (Paché, 2015). Un deuxième axe s’est attaché à décrire les formes de contrôle de gestion mises en œuvre et les conséquences en termes d’instrumentation de pilotage de la performance déployée par les clubs (Touchais, 2001 ; Meyssonier et Mincheneau, 2013 ; Couderc-Mincheneau, 2016). Enfin, un troisième axe a consisté à étudier l’efficacité et la légitimité du contrôle de gestion mis en œuvre par la Direction nationale du contrôle de gestion – DNCG (Dermit-Richard, 2004).
7 Notre recherche est complémentaire. Elle vise à identifier le niveau de contrainte budgétaire pesant sur les clubs. Les travaux économiques menés sur la ligue dans son ensemble ont abouti à la conclusion que les clubs professionnels évoluaient dans le cadre d’une CBL, synonyme de mauvaise gouvernance. Notre objectif est de tester cette conclusion en menant une analyse au niveau des clubs afin de mettre en évidence d’éventuelles différences de comportement entre clubs au sein de la ligue. Pour cela, il est nécessaire de préciser le concept de CBL.
8 Développé par Kornaï (1980) dans le cadre des économies planifiées socialistes, ce modèle a été transposé dans les économies de marché dans les cas où l’objectif d’une organisation n’est pas la maximisation du profit mais celle de la production (Kornaï et al., 2003). Tel est le cas des ligues ouvertes de sports collectifs (Andreff, 2015) où le système de promotion/relégation induit une obligation pour les clubs de maximiser leur production/performance pour éviter la relégation et la baisse significative de recettes qui en découle (Morrow, 2006 ; Vrooman, 2007). L’application de ce modèle aux championnats professionnels de sports collectifs repose sur le constat des déficits chroniques des clubs européens se traduisant étonnamment par un nombre très restreint de faillites. Le poids du football et donc des clubs dans la vie sociale leur permet de presque toujours trouver un soutien financier pour éviter la faillite. C’est le principe du « too big to fail » (Storm et Nielsen, 2012).
MÉTHODOLOGIE
Il sera donc étudié la contribution de ces 2 éléments au financement des pertes réalisées par les clubs. Pour cela, nous avons dû déterminer 10 indicateurs, calculés à partir des données provenant des comptes individuels des clubs publiés annuellement par la DNCG. Cette source garantit leur fiabilité et leur homogénéité.
- Le résultat des clubs est mesuré classiquement par le résultat net comptable (RNC). Un montant cumulé sur la période est déterminé, compensant donc des pertes annuelles avec des bénéfices annuels (RNC Cum). Ce résultat est exprimé en proportion du revenu de chaque club (RNC % R). Ce revenu (R) inclut les produits d’exploitation – billetterie, droits télévisés, merchandising, sponsoring et autres produits commerciaux éventuels – et la plus-value résultant du transfert de joueurs sous contrat.
- Les apports des actionnaires en cumulé sur la période étudiée (APCC) correspond aux : apports en capital + apports nets en comptes courants + abandons de comptes courants. Le montant des apports en capital est établi à partir des variations des situations nettes annuelles ; seules informations disponibles. Il a donc été nécessaire de disposer des comptes des clubs de façon ininterrompue sur la période, ce qui ne concerne que les clubs qui sont restés en Ligue 1 ou 2 sur l’ensemble de celle-ci. Le montant des abandons de comptes courants par club a été défini à partir des données agrégées de la DNCG, des données individuelles des clubs et de données secondaires (informations presse). À titre d’exemple, le montant net des abandons de comptes courants s’est élevé à 125 M€ pour la saison 2013/2014 (66 M€ la saison précédente). L’importance de ces abandons impose d’en tenir compte dans l’analyse. Les montants identifiés sont cependant sous-évalués car seuls les abandons pouvant raisonnablement être reconstitués ont été intégrés dans les données analysées.
- Les apports des actionnaires utilisés pour couvrir les pertes réalisées (CouvP) soit la plus petite des 2 valeurs, en valeur absolue, entre le RNC négatif et l’apport total de l’actionnaire (APCC) et ce qu’elle représente en % de cet apport (% CouvP). À l’inverse, il a été déterminé la part des pertes couvertes par les actionnaires (% APCC/P). Il sera alors possible de déterminer 2 éléments complémentaires : 1) le solde de l’apport des actionnaires non utilisé pour couvrir les pertes (SAPCC) déterminé par différence entre le montant cumulé des apports des actionnaires (APCC) et les montants utilisés pour compenser les pertes (CouvP) donc [(SAPCC) = (APCC) – (CouvP)]. 2) Le montant des pertes non couvertes par les actionnaires (NonCouvP) qui correspond à la différence inverse soit [(NonCouvP) = (CouvP) – (APCC)]. SAPCC traduit le fait que l’apport des actionnaires est supérieur au montant des pertes à couvrir. NonCouvP traduit l’inverse, le montant des apports est insuffisant pour couvrir les pertes.
- Le renforcement de la capacité sportive d’un club impose le recrutement de joueurs les plus performants et donc le versement d’indemnités de mutation en principe proportionnelles à leurs valeurs anticipées. Un club doit donc disposer de ressources financières pour investir dans cette ressource sportive. Mais peut être contraint de désinvestir quand il a besoin de dégager du cash. Nous avons déterminé une variable INV correspondant au montant d’investissement (INV > 0) ou de désinvestissement (INV < 0) sur la période par différence entre la valeur du poste d’immobilisations incorporelles en début de période et en fin de période. Le cumul des évolutions annuelles donnerait le même résultat. Le montant ainsi déterminé nous montre la capacité du club à investir dans sa performance sportive ou au contraire l’obligation qui lui est faite de céder ses joueurs pour financer son activité.
- Le nombre de faillites (NF) de clubs professionnels (Ligue 1 ou 2) sur les saisons 2006/2007 à 2014/2015 sera identifié à partir de Scelles et al. (2018) complété par les auteurs.
- La somme des classements (SC) dans le championnat. Le plus performant est par conséquent celui qui a obtenu le plus petit nombre de classements. Nous avons retenu un classement de 1 à 20 pour les clubs de Ligue 1 puis de 21 à 40 pour les clubs de Ligue 2, afin de pouvoir additionner les classements des clubs qui auraient évolué entre les 2 divisions au cours de la période.
Le poids des 24 clubs faisant l’objet du calcul des indicateurs financier : 82 % des saisons et 84 % du revenu nous permettent de considérer leur analyse comme pertinente. La période étudiée correspond à une phase de maturation du marché au cours de laquelle les recettes ont progressé globalement de 37 % mais seulement de 3 % si l’on exclut le PSG, qui représente en fin de période plus de 30 % des recettes de la Ligue 1. L’impact des nouveaux stades reste extrêmement réduit et n’entraîne pas de changements structurels dans les business models des clubs qui remettraient en cause nos résultats (Moulard et al., 2016). Dès lors, les résultats obtenus pourront être considérés comme généralisables à l’ensemble de l’activité.
Nous avons retenu 5 de ces indicateurs (RNC Cum, APCC, CouvP, INV, SC) correspondant aux données de base, pour effectuer des tests d’inférence statistique. Nous avons utilisé le test de Pearson entre les 4 premiers indicateurs afin de vérifier si ceux-ci co-variaient deux à deux. La somme des classements sportifs (SC) est d’une nature trop différente des 4 premiers indicateurs financiers pour être intégrée à ce premier test. Par conséquent, nous avons privilégié l’utilisation du Rhô de Spearman afin de mettre en évidence les corrélations entre les 4 variables financières et l’indicateur de classement sportif, ce qui suppose d’allouer un rang de 1 à 24 à chacune des modalités.
Clubs en L1 ou L2 sur toute la période | Clubs en L1 ou L2 pendant au moins 1 saison mais pas en L1 ou L2 sur toute la période | Total | |
Nb de clubs | 24 | 31 | 55 |
Total recettes football y compris mutations | 12 059 M€ | 2 203 M€ | 14 261 M€ |
Poids dans le revenu total | 84,6 % | 15,4 % | 100 % |
Nb de saisons/clubs en Ligue 1 (en %) |
147 / 180 82 % |
33 / 180 18 % |
180 100 % |
Revenu moyen/an | 55,8 M€ | 15,3 M€ |
II – Résultats
9 Les cinq variables calculées pour chaque club de notre échantillon sont présentées dans le tableau 2.
10 À partir de ces données, nous avons effectué des tests de corrélation en croisant les variables deux à deux. Le seuil de significativité pour l’ensemble des tests d’inférence est fixé à p. 05. Les résultats sont présentés dans le tableau 3.
11 Ces résultats montrent que les quatre premières variables sont toutes corrélées à p < 0,05 justifiant ainsi de la mise en relation entre le montant de pertes constatées (RNC Cum) et de leur compensation par les apports des actionnaires et le désinvestissement des clubs.
12 Le test de Spearman de corrélation des rangs entre les éléments budgétaires et la somme des classements est significatif dans trois cas sur quatre. Cependant, le test de Spearman entre la variable investissement en indemnités de mutation joueurs et la somme des classements s’est révélé non significatif, en contradiction avec la littérature sur cette question. Cette incohérence peut être liée, pour ce type de test, au comportement d’un club atypique. Tel est le cas du club de l’Olympique lyonnais qui vise le haut du classement de Ligue 1 mais a dû, sur la fin de la période, amoindrir son potentiel joueurs pour financer, non pas les pertes du club, mais une partie du coût d’investissement dans son stade. C’est le seul club de l’échantillon à présenter ce profil, étant le seul à avoir financé la construction de son stade sur fonds privés. Ceci justifie le calcul du Rhô de Spearman entre la variable classement et investissement, sans ce club, qui devient alors significatif et confirme la corrélation entre les deux. Ces résultats statistiques peuvent être approfondis par une analyse qualitative de ces données quantitatives qui vont permettre de traiter de la problématique.
Club | Acronyme | RNC Cum* | APCC | CouvP | INV | SC |
AC Ajaccio | ACA | - 4 002 | 1 487 | 1 487 | - 1 634 | 242 |
AJ Auxerre | AJA | - 19 423 | 8 190 | 8 190 | - 11 311 | 157 |
AS Monaco | ASM | - 207 976 | 346 783 | 207 976 | 97 751 | 112 |
AS Nancy Lorraine | ASNL | - 10 548 | 6 359 | 6 359 | - 4 539 | 135 |
AS St-Étienne | ASSE | - 1 645 | - 1 544 | - | - 1 275 | 81 |
Dijon FC | DFCO | 931 | 2 340 | - | 273 | 241 |
FC Lorient | FCL | 5 357 | - 1 965 | - | 11 257 | 101 |
FC Nantes | FCN | - 42 038 | 35 404 | 35 404 | - 5 300 | 208 |
FC Sochaux-Montbeliard | FCSM | - 23 182 | 30 553 | 23 182 | - 11 613 | 133 |
Girondins de Bordeaux | GB | - 29 300 | 49 364 | 29 300 | 6 817 | 47 |
HAC | HAC | - 7 025 | 4 499 | 4 499 | 3 | 243 |
La Berrichone de Châteauroux | LBC | 216 | 13 | - | - 20 | 314 |
LOSC | LOSC | - 13 847 | 26 613 | 13 847 | 7 913 | 47 |
Montpellier Hérault FC | MHSP | 10 990 | 3 518 | - | 4 988 | 136 |
OGC Nice | OGCN | - 15 096 | 10 585 | 10 585 | - 2 057 | 110 |
Olympique lyonnais | OL | - 123 779 | 207 600 | 123 779 | - 69 152 | 24 |
Olympique de Marseille | OM | - 44 825 | 36 058 | 36 058 | 10 578 | 32 |
Paris Saint-Germain | PSG | - 270 615 | 501 962 | 270 615 | 177 108 | 59 |
RC Lens | RCL | - 69 983 | 69 617 | 69 617 | - 20 719 | 180 |
Stade brestois 29 | SB29 | - 999 | 1 671 | 999 | 127 | 221 |
Club | Acronyme | RNC Cum* | APCC | CouvP | INV | SC |
SM Caen | SMC | - 1 617 | 2 787 | 1 617 | 112 | 165 |
Stade rennais | SR | - 41 189 | 38 323 | 38 323 | 1 368 | 72 |
Toulouse FC | TFC | 5 152 | - 5 248 | - | 3 907 | 90 |
Valenciennes FC | VAFC | - 19 461 | 16 364 | 16 364 | - 848 | 142 |
Moyenne | - 38 496 | 57 972 | 37 425 | 8 072 | 137 | |
Médiane | - 14 471,5 | 9 387,5 | 9 387,5 | 57,5 | 134 | |
Écart type | 67 560 | 120 448 | 67 442 | 43 436 | 75,8 | |
Minimum | - 270 615 | - 5 248 | 0 | - 69 152 | 24 | |
Maximum | 10 990 | 501 962 | 270 615 | 177 108 | 314 |
Résultat des tests de Bravais – Pearson et de Spearman
Test de Bravais Pearson | Test de Spearman | |||||
RNC Cum | APCC | CouvP | INV | SC | Résultat du test | |
RNC Cum | - 0,988 | - 0,998 | - 0,720 | 0,408 | Sign. | |
APCC | 0,992 | 0,765 | - 0,477 | Sign. | ||
CouvP | 0,727 | - 0,436 | Sign. | |||
INV | - 0,341 | Non sign. | ||||
INV sans OL | - 0,523 | Sign. |
Résultat des tests de Bravais – Pearson et de Spearman
1. Déficits et modalités de financement
13 Le tableau 4 présente les indicateurs calculés selon la méthodologie précédemment développée.
14 Il résulte de ces indicateurs que 19 clubs sur 24 réalisent des pertes cumulées sur la période étudiée pour un montant total de près de 947 M€ représentant globalement 7,85 % du revenu total des clubs de l’échantillon. Ce déficit peut atteindre près de 30 % du revenu (AS Monaco). À l’inverse, les clubs bénéficiaires le sont dans des proportions très limitées puisque le bénéfice ne représente au mieux que 2,85 % de leur revenu (Montpellier HSP), soit un montant de près de 11 M€. Ce bénéfice exceptionnel provient pour 10 M€ de la saison 2012/2013 où le club a réalisé des ventes record de joueurs (17 M€) à la suite de son seul titre de champion de France, obtenu l’année précédente. Il serait sans doute plus juste de considérer que ces clubs sont en fait à l’équilibre budgétaire. Par conséquent, en dépit de l’existence d’un contrôle de gestion de la DNCG, les clubs français ne font pas exception dans le contexte des ligues ouvertes européennes, et sont structurellement déficitaires. Toutefois, la persistance de ces déficits ne contredit pas l’efficacité du contrôle de gestion exercé par la DNCG sur ces clubs. En effet, l’objectif de cette instance est de s’assurer de leur solvabilité et non de leur rentabilité (Dermit-Richard, 2004). En conséquence, les clubs déficitaires doivent compenser leurs pertes pour garantir leur solvabilité.
Échantillon, données calculées par club
RNC Cum | RNC % R | APCC | CouvP | % CouvP | % APCC/P | SAPCC | NonCouvP | |
ASM | - 207 976 | - 29,58 % | 346 783 | 207 976 | 59,97 % | 100,00 % | 138 807 | 0 |
ACA | - 4 002 | - 3,45 % | 1 487 | 1 487 | 100,00 % | 37,16 % | 0 | - 2 515 |
AJA | - 19 423 | - 11,08 % | 8 190 | 8 190 | 100,00 % | 42,17 % | 0 | - 11 233 |
ASNL | - 10 548 | - 3,38 % | 6 359 | 6 359 | 100,00 % | 60,29 % | 0 | - 4 189 |
ASSE | - 1 645 | - 0,43 % | - 1 544 | 0 | 0,00 % | 0,00 % | - 1 544 | - 1 645 |
DFCO | 931 | 0,80 % | 2 340 | 0 | 0,00 % | 0,00 % | 2 340 | 0 |
FCL | 5 357 | 1,66 % | - 1 965 | 0 | 0,00 % | 0,00 % | - 1 965 | 0 |
FCN | - 42 038 | - 16,37 % | 35 404 | 35 404 | 100,00 % | 84,22 % | 0 | - 6 634 |
FCSM | - 23 182 | - 5,93 % | 30 553 | 23 182 | 75,87 % | 100,00 % | 7 371 | 0 |
GB | - 29 300 | - 3,85 % | 49 364 | 29 300 | 59,35 % | 100,00 % | 20 064 | 0 |
HAC | - 7 025 | - 4,08 % | 4 499 | 4 499 | 100,00 % | 64,04 % | 0 | - 2 526 |
LBC | 216 | 0,24 % | 13 | 0 | 0,00 % | 0,00 % | 13 | 0 |
LOSC | - 13 847 | - 1,60 % | 26 613 | 13 847 | 52,03 % | 100,00 % | 12 766 | 0 |
MHSP | 10 990 | 2,85 % | 3 518 | 0 | 0,00 % | 0,00 % | 3 518 | 0 |
RNC Cum | RNC % R | APCC | CouvP | % CouvP | % APCC/P | SAPCC | NonCouvP | |
OGCN | - 15 096 | - 3,95 % | 1 585 | 10 585 | 100,00 % | 70,12 % | 0 | - 4 511 |
OL | - 123 779 | - 9,21 % | 20 600 | 123 779 | 59,62 % | 100,00 % | 83 821 | 0 |
OM | - 44 825 | - 3,58 % | 3 058 | 36 058 | 100,00 % | 80,44 % | 0 | - 8 767 |
PSG | - 270 615 | - 13,27 % | 50 962 | 270 615 | 53,91 % | 100,00 % | 231 347 | 0 |
RCL | - 69 983 | - 17,25 % | 6 617 | 69 617 | 100,00 % | 99,48 % | 0 | - 366 |
SB29 | - 999 | - 0,61 % | 671 | 999 | 59,78 % | 100,00 % | 672 | 0 |
SMC | - 1 617 | - 0,66 % | 787 | 1 617 | 58,02 % | 100,00 % | 1 170 | 0 |
SR | - 41 189 | - 9,03 % | 3 323 | 38 323 | 100,00 % | 93,04 % | 0 | - 2 866 |
TFC | 5 152 | 1,15 % | - 248 | - | 0,00 % | 0,00 % | - 5 248 | 0 |
VAFC | - 19 461 | - 7,17 % | 1 364 | 16 364 | 100,00 % | 84,09 % | 0 | - 3 097 |
RNC > 0 | 22 646 | |||||||
RNC < 0 | - 946 550 | |||||||
Tot | - 923 904 | - 7,85 % | 1 391 333 | 898 201 | 64,56 % | 94,89 % | 493 132 | - 48 349 |
Échantillon, données calculées par club
15 Ainsi, 64,56 % des apports des actionnaires sont globalement utilisés pour couvrir les pertes réalisées et 95 % des pertes sont couvertes par les apports des actionnaires. Dans le cas du football français, ce sont donc essentiellement les actionnaires qui financent l’insuffisance de trésorerie résultant des déficits observés. Le reste du financement provient notamment d’une baisse de l’investissement dans le capital joueur.
16 Il est donc possible de conclure que les 24 clubs de notre échantillon, sont déficitaires ou, au mieux, à l’équilibre budgétaire. Ce sont leurs actionnaires qui compensent ces déficits et « subventionnent » ainsi leurs clubs pour éviter la faillite. Selon la littérature, il s’agit donc d’une « soft subsidies » (Storm et Nielsen, 2015) caractéristique d’une CBL.
Recensement des faillites de clubs professionnels sur les saisons 2006/2007 à 2014/2015
Saisons | Clubs en faillite |
2008/2009 | Libourne - Sète |
2010/2011 |
Grenoble FC - Strasbourg - Gueugnon |
2011/2012 | Besançon |
2012/2013 |
Sedan - Le Mans - FC Rouen |
2013/2014 | Vannes |
2014/2015 | Arles/Avignon |
Nombre total de faillites de clubs sur la période | 11 clubs |
Recensement des faillites de clubs professionnels sur les saisons 2006/2007 à 2014/2015
2. Insolvabilité et faillites
17 Les faillites de clubs, sur la période, ont été inventoriées par Scelles et al. (2018) qui se sont intéressés aux insolvabilités dans le football français sur la période 1970-2014. Ces données ont été actualisées pour incorporer la saison 2014/2015. Elles sont présentées dans le tableau 5. Par principe, les clubs professionnels ayant fait faillite entre 2006/2007 et 2014/2015 ont tous fait l’objet d’une rétrogradation sportive au-delà de la Ligue 2, par application du règlement de la compétition. Par conséquent, ils ne peuvent concerner les 24 clubs pour lesquels nous disposons des données financières mais, au contraire, les 31 autres.
18 Il a ainsi été recensé 11 faillites sur un total de 55 clubs ce qui représente 20 % de l’ensemble. Certes, ces faillites sont toujours intervenues à l’intersaison, ou après une relégation administrative par la DNCG en championnat amateur. Elles n’ont donc pas perturbé la compétition professionnelle et l’objectif visé par la DNCG est donc atteint. Cette proportion ne peut toutefois pas être considérée comme négligeable et il n’est pas possible de considérer que les clubs peuvent dépenser sans compter et qu’ils trouveront toujours les moyens de se refinancer.
3. Contrainte budgétaire et performance sportive
19 Au cours des neuf saisons observées, 55 clubs ont participé au moins une fois à la compétition professionnelle mais seuls 24 ont réussi à s’y maintenir. En ligue ouverte, l’objectif d’un club est la performance sportive afin, tout d’abord, de se maintenir à son niveau de compétition, ensuite de se qualifier pour le niveau supérieur en championnat national ou européen (Sloane, 1971 ; Ascari et Gagnepain, 2006 ; Késenne, 2007). Or, sa performance sportive dépend de ses ressources financières (Szymanski et Kuypers, 1999 ; Hall et al., 2002). Le revenu annuel moyen des 31 clubs exclus de notre échantillon n’est que de 15 M€ comparé aux 55 M€ des 24 clubs qui se sont maintenus dans la compétition professionnelle, recensé au tableau 1. Plus particulièrement, le rapport DNCG sur la saison 2015/2016 établi qu’un club de Ligue 2 dont la masse salariale est inférieure à 10 M€ a 34 % de chance d’être relégué en championnat national et seulement 24 % d’être promu en division supérieure. Cela illustre de nouveau le lien entre performance et budget. Par conséquent, il est possible de conclure que les 31 clubs qui n’ont pu se maintenir durablement dans la compétition professionnelle ne disposaient pas des ressources financières suffisantes pour y parvenir. Ils n’étaient pas en capacité de dépenser sans se préoccuper d’équilibrer leurs comptes, ce qui est encore plus vrai pour les 11 qui ont fait faillite, d’où leur classification dans le groupe des clubs soumis à une contrainte budgétaire « dure ».
20 Ces résultats montrent que finalement, seuls un petit nombre de clubs peut s’affranchir d’une contrainte budgétaire stricte et être performant au plus haut niveau. Il n’est donc pas possible de conclure que l’ensemble les clubs professionnels de football en France évolue dans le cadre d’une CBL.
III – Typologie des clubs et graduation de la contrainte budgétaire
21 Dès lors, ces résultats nous incitent à proposer une typologie des clubs selon la nature de leur contrainte budgétaire caractérisée à partir des variables corrélées.
22 Selon Grémy et Le Moan (1977), « élaborer une typologie consiste à distinguer, au sein d’un ensemble d’unités (individus, groupes d’individus, faits sociaux, etc.), des groupes que l’on puisse considérer comme homogènes d’un certain point de vue ». L’analyse typologique vise effectivement à réduire le nombre des observations en les regroupant en types homogènes, et les groupes doivent être aussi dissemblables que possible entre eux. Les ressemblances et dissemblances sont ici construites à partir de la caractérisation des contraintes budgétaires. La construction de l’idéal type n’est, dès lors, pas un reflet exact de la réalité, puisqu’elle vise à accentuer unilatéralement une caractéristique que l’on considère significative (qui fait sens pour le chercheur) au regard de l’objet étudié. On vise ainsi à construire une figure « idéale » du phénomène à l’étude. C’est pourquoi, nous proposons une typologie fondée sur le niveau de contrainte budgétaire :
- Contrainte budgétaire « dure » qui s’impose à trois catégories de clubs :
- Les clubs globalement bénéficiaires : RNCCum > 0 sur la période. La possibilité de faire des déficits leur aurait sans doute permis de recruter plus et d’atteindre théoriquement un meilleur classement sportif. C’est pourquoi nous les avons intégrés dans cette catégorie.
- Les clubs déficitaires (RNCCum < 0) qui ne bénéficient pas d’apports de leurs actionnaires (APCC < 0).
- Les clubs qui n’ont pas pu se maintenir au niveau professionnel : clubs ayant participé au moins une fois aux championnats de L1 et/ou L2 sur la période mais exclus de l’échantillon. Il a été montré que ces clubs n’avaient pas le revenu suffisant pour participer durablement à la compétition professionnelle, ce qui a pu mener certains à la faillite.
- Contrainte budgétaire « lâche » qui concerne les clubs présentant simultanément les caractéristiques suivantes :
- Un déficit cumulé (RNCCum < 0) ;
- Compensé en totalité par l’actionnaire (SAPCC > 0) ;
- Qui n’ont pas amoindri leur capital joueur pour financer leur activité (INV > 0) ;
- Niveau de jeu en L1 sur toute la période (SC < 90). Le club doit avoir les ressources pour être performant sportivement au plus haut niveau et être considéré comme non soumis à une contrainte budgétaire.
- Contrainte budgétaire « modérée » qui concerne les clubs entre deux qui répondent aux conditions suivantes :
- Un déficit cumulé (RNCCum < 0) ;
- Soit non compensé en totalité par l’actionnaire (NonCouvP > 0) ;
- Soit compensé en totalité par l’actionnaire (SAPCC > 0) mais sans que le club ait pu rester en L1 toute la période (SC > 90) ou investir (cas de l’Olympique lyonnais). L’application de ces critères de classification aux 55 clubs composant notre terrain permet d’établir la typologie présentée dans le tableau 6.
24 En conséquence, la catégorie contrainte budgétaire lâche ne comprend que trois clubs en capacité d’obtenir les ressources nécessaires pour être performant durablement au plus haut niveau en mobilisant un capital joueurs toujours plus important.
25 La catégorie de contrainte budgétaire modérée comprend 15 clubs qui sont restés dans les championnats professionnels sur les neuf saisons de notre analyse mais sans réussir toujours au plus haut niveau. Les déficits sont compensés par leurs actionnaires en totalité ou en partie mais ils ont pu être amenés à se séparer de certains joueurs pour assurer leur solvabilité. L’Olympique lyonnais est un cas particulier dans la mesure où le club a dû céder des joueurs au moment où il a dû financer son stade, montrant ainsi son incapacité à mobiliser les fonds nécessaires à l’ensemble de ses investissements.
RNC Cum | APCC | SAPCC |
Non CouvP | INV | SC | |
Contrainte budgétaire dure | ||||||
MHSP | 10 990 | 518 | 3 518 | 0 | 4 988 | 136 |
FCL | 5 357 | - 1 965 | - 1 965 | 0 | 11 257 | 101 |
TFC | 5 152 | - 5 248 | - 5 248 | 0 | 3 907 | 90 |
DFCO | 931 | 2 340 | 2 340 | 0 | 273 | 241 |
LBC | 216 | 13 | 13 | 0 | - 0 | 314 |
ASSE | - 1 645 | - 1 544 | - 1 544 | - 1 645 | - 1 275 | 81 |
Moyenne | 3 500 | - 481 | - 481 | - 274 | 3 188 | 160,5 |
Contrainte budgétaire lâche | ||||||
GB | - 29 300 | 49 364 | 20 064 | 0 | 6 817 | 47 |
LOSC | - 13 847 | 26 613 | 12 766 | 0 | 7 913 | 47 |
PSG | - 270 615 | 501 962 | 231 347 | 0 | 177 108 | 59 |
Moyenne | - 104 587 | 192 646 | 88 059 | 0 | 63 946 | 51 |
Contrainte budgétaire modérée | ||||||
ASM | - 207 976 | 346 783 | 138 807 | 0 | 97 751 | 112 |
OL | - 123 779 | 207 600 | 83 821 | 0 | - 69 152 | 24 |
FCSM | - 23 182 | 30 553 | 7 371 | 0 | - 11 613 | 133 |
SMC | - 1 617 | 2 787 | 1 170 | 0 | 112 | 165 |
SB29 | - 999 | 1 671 | 672 | 0 | 127 | 221 |
ACA | - 4 002 | 1 487 | 0 | - 2 515 | - 1 634 | 242 |
HAC | - 7 025 | 4 499 | 0 | - 2 526 | 3 | 243 |
ASNL | - 10 548 | 6 359 | 0 | - 4 189 | - 4 539 | 135 |
AJA | - 19 423 | 8 190 | 0 | - 11 233 | - 11 311 | 157 |
OGCN | - 15 096 | 10 585 | 0 | - 4 511 | - 2 057 | 110 |
VAFC | - 19 461 | 16 364 | 0 | - 3 097 | - 848 | 142 |
FCN | - 42 038 | 35 404 | 0 | - 6 634 | - 5 300 | 208 |
RNC Cum | APCC | SAPCC |
Non CouvP | INV | SC | |
OM | - 44 825 | 36 058 | 0 | - 8 767 | 10 578 | 32 |
SR | - 41 189 | 38 323 | 0 | - 2 866 | 1 368 | 72 |
RCL | - 69 983 | 69 617 | 0 | - 366 | - 20 719 | 180 |
Moyenne | - 42 076 | 54 419 | 15 456 | - 3 114 | - 1 149 | 145 |
26 Enfin, le tableau 6 recense six clubs soumis à une contrainte budgétaire dure. Il est nécessaire d’y ajouter, selon notre définition, les 31 clubs ayant participé au moins une fois à la compétition professionnelle sur notre durée d’étude mais qui n’ont pu s’y maintenir. Cette catégorie est donc la plus importante avec globalement 37 clubs.
IV – Analyse des résultats et conclusion
27 Ces éléments sont développés suivant quatre points avec, successivement, la synthèse des résultats, la préconisation qui en découle, la question de la responsabilité des régulateurs dans la gouvernance des clubs puis les apports et la généralisation des résultats.
1. En synthèse : un niveau de contrainte budgétaire inégal
28 Nos résultats montrent qu’un très petit nombre de clubs évolue dans le cadre d’une CBL qui leur permet de dépenser « sans compter » pour être performant sportivement. Se pose alors la question de la durabilité de ce comportement. En effet, sur les trois clubs concernés, le LOSC a depuis été vendu à un investisseur chinois par l’ancien propriétaire, le groupe Partouche, qui s’était lassé de compenser les pertes. De son côté, le groupe M6, actionnaire principal des Girondins de Bordeaux cherche également à vendre pour les mêmes raisons (Couderc-Mincheneau, 2016). Seul l’actionnaire qatari du PSG poursuit une stratégie d’investissement joueur avec pour objectif d’atteindre le plus haut niveau sportif européen.
29 En fait, la grande majorité des clubs français est soumise à une contrainte budgétaire dure qui ne leur permet pas de viser le plus haut niveau sportif et dont l’absence de rentabilité est classiquement sanctionnée par la faillite : 11 sur les 31 de cette catégorie soit plus d’un tiers.
30 Enfin, un petit nombre de clubs se maintient dans le championnat professionnel durablement, avec le soutien plus ou moins important de leurs actionnaires et en recourant, si besoin, à la vente de leur capital joueur. Ils sont considérés dans notre analyse comme étant soumis à une contrainte budgétaire « modérée » dans le sens où ils bénéficient d’un soutien réel mais limité de leurs actionnaires.
31 Il est dès lors nécessaire de nuancer les conclusions d’Andreff. Nos résultats montrent que seuls quelques grands clubs, propriétés de magnats ayant plutôt des comportements de mécènes évoluent dans le cadre de la CBL. Tous les autres sont, au contraire, obligés d’arbitrer entre contrainte budgétaire plus ou moins stricte et recherche de performance sportive. La logique interne de l’activité, dans un marché du travail européen dérégulé, amène les clubs à consacrer l’essentiel de leur valeur ajoutée au financement du potentiel sportif afin d’obtenir de meilleurs résultats que leurs adversaires. Dès lors, la question de la performance économique des clubs ne se pose plus en termes de gouvernance de ces organisations, mais en termes de régulationsectorielle tant au niveau français qu’européen.
2. Préconisation : la nécessaire convergence des systèmes de régulation financière du football professionnel
32 Ces travaux ont montré que la régulation mise en place en France sous l’égide de la DNCG ne visait pas à imposer aux clubs d’être rentables mais seulement solvables, permettant à ceux qui en ont les moyens d’évoluer dans une CBL. Cela se traduit à la fois par des déficits persistants et par des apports réguliers des actionnaires pour garantir la solvabilité de leurs clubs, indispensable pour continuer à jouer au plus haut niveau.
33 À l’inverse, la régulation financière mise en place par l’UEFA depuis 2010 sous l’appellation de fair-play financier (FPF) a pour objectif la rentabilité des clubs. Ils sont ainsi autorisés à dépenser dans la limite des ressources qu’ils sont capables de générer, uniquement à partir de l’activité football du club, sans recours à des ressources externes en provenance notamment de leurs actionnaires. Il est toutefois autorisé aux clubs de réaliser jusqu’à 30 M€ de pertes cumulées sur trois ans, sous réserve de la couverture de celles-ci par leurs actionnaires. L’objectif du FPF est en fait d’imposer une contrainte budgétaire dure à ces clubs pour les contraindre à diminuer leur principale dépense à savoir les salaires des joueurs (Dermit-Richard et al., 2019). Les premières données de bilan publiées par l’UEFA montrent une diminution de plus de 70 % des pertes réalisées par les clubs européens en trois ans d’application du FPF : de 1,7 milliard d’euros en 2011 au niveau le plus haut, à 500 M€ en 2014 (UEFA, 2015). C’est pourquoi ce système est considéré comme un outil d’amélioration de la gouvernance des clubs professionnels (Paché, 2015).
34 En conséquence, il doit être considéré qu’il existe deux systèmes de régulation dont les objectifs divergent et aboutissent à des conclusions contradictoires. Ainsi, deux clubs français ont été sanctionnés au titre du FPF : le PSG en 2014 et l’AS Monaco en 2015, du fait de la contribution de leurs actionnaires à l’équilibre de leurs finances alors que dans le même temps, la DNCG avait validé sans restriction leurs participations au championnat français.
35 Ces deux systèmes de régulation reposent en fait sur une approche différente du niveau de contrainte budgétaire devant être imposée aux clubs. La DNCG impose une CBL alors que le FPF exige le respect d’une contrainte budgétaire plus dure. Le nombre de clubs sanctionnés est en constante diminution depuis l’entrée en vigueur du FPF (UEFA, 2016) montrant ainsi que les clubs adaptent de fait leurs comportements aux exigences de régulation de leur secteur d’activité.
36 Il a été considéré que l’accumulation de déficits imposant un recours aux actionnaires ou à défaut conduisant à la faillite est synonyme de mauvaise gouvernance des clubs. Dès lors, toute régulation qui cautionne ce mode de fonctionnement n’apparaît pas pertinente. En conséquence, la DNCG doit faire évoluer son objectif de régulation, et les outils pour y parvenir, en transposant dans le football professionnel français, le système de fair-play financier prôné par l’UEFA.
37 Cette évolution impose que le cadre de régulation défini conjointement avec l’ensemble des parties prenantes en 1989 soit redéfini pour adopter le principe d’une contrainte budgétaire plus dure. Nos travaux montrent qu’un très grand nombre de clubs français sont déjà dans cette logique de contrainte. Ceux qui ont la capacité de s’en affranchir sont en infraction avec le FPF et encourent donc, et/ou ont déjà subi, des sanctions au niveau européen quand ils atteignent leur objectif de participation aux compétitions européennes. Dès lors, la refonte du système de régulation français telle que proposée, ne devrait pas générer de difficultés majeures et serait le moyen de promouvoir une meilleure gouvernance de ces clubs.
3. La responsabilité des régulateurs dans la gouvernance des clubs
38 Ces résultats montrent aussi que les clubs adaptent leur comportement aux exigences de la régulation sectorielle dont ils font l’objet. Ainsi, à la suite des sanctions imposées par l’UEFA dans le cadre du FPF en 2014, le PSG a respecté sur les saisons suivantes l’exigence de rentabilité qui lui avait été imposée. En acceptant qu’un club évolue dans le cadre d’une CBL, la DNCG entretient ce qu’Andreff qualifie de « mauvaise gouvernance ». À l’inverse, en imposant une contrainte budgétaire plus stricte, le FPF promeut une « bonne gouvernance ». C’est pourquoi on peut conclure que les régulateurs, notamment la DNCG, portent une part de responsabilité dans la persistance d’une « mauvaise gouvernance » des clubs français.
4. Apports et généralisation des résultats
39 Cette contribution a permis de préciser le concept de contrainte budgétaire et proposer une graduation de celle-ci à partir de critères objectifs permettant ainsi de définir une typologie des comportements des clubs professionnels en termes de recherche de rentabilité.
40 De façon plus globale, cette analyse montre la nécessaire complémentarité entre les approches de gestion et les approches économiques. En effet, en focalisant notre analyse sur les clubs et non sur la ligue, il a été mis en évidence l’existence de situations différentes entre organisations d’un même secteur en termes de stratégie. Au contraire, les approches économiques et notamment économétriques menées dans la littérature ont tendance à englober l’ensemble des organisations d’un secteur dans leurs modèles pour en tirer des conclusions générales difficiles à appliquer pour une organisation donnée. De ce fait, notre investigation affirme la nécessité d’une analyse détaillée des organisations d’un secteur pour que l’entité régulatrice puisse prendre des décisions, impactant leur gouvernance et, in fine, leur performance, adaptées à ces différentes organisations sur la base de critères objectifs. Elle contribue dès lors à interroger le lien entre entité régulatrice et organisations d’un secteur dans une optique d’optimisation de la gestion et de la performance de ces dernières.
41 Enfin, notre recherche illustre la question plus générale de l’harmonisation entre régulation nationale et supra-nationale en montrant que les mêmes dysfonctionnements d’un même secteur d’activité peuvent conduire à la mise en place de deux modalités de régulation différentes voire contradictoires.
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