Couverture de RFG_272

Article de revue

Refaire société par la création de communautés d’innovation

Le cas des ateliers SpotLAB sur les nouvelles mobilités en régions

Pages 85 à 102

1 En matière de projets territoriaux, la question de la coopération avec les acteurs locaux est un thème récurrent de la décision publique, particulièrement dans le domaine des transports. Mêlant ainsi intérêts publics et privés, individuels et collectifs, dans le débat sur les activités de développement du territoire, les compromis issus de la participation citoyenne sont vus comme seuls à même de conserver ou créer du lien social (Loncle et Rouyer, 2004). Cependant, ce modèle semble de plus en plus incantatoire, voire largement en crise, notamment en raison d’un faisceau de contraintes économiques, techniques et sociales dont la convergence ralentit, voire bloque, le débat public (Neveu, 2011 ; Heurgon et Laousse, 2004). Visant à dépasser les blocages d’un modèle d’innovation basé sur une décision par concertation pour des projets qui concernent potentiellement tous les habitants d’un territoire, la question de recherche centrale de notre travail est : peut-on constituer et animer une communauté d’innovation pour que les acteurs locaux conçoivent en collaboration les projets de développement territorial ?

2 Notre recherche s’appuie sur l’analyse de l’expérience menée par la SNCF de création de deux dispositifs territorialisés de conception collaborative pour le développement de nouvelles mobilités, respectivement en région Picardie et en région Bretagne, structurellement inspirés de dispositifs de restauration de capacités d’innovation déployés pour créer des communautés d’innovation industrielles. Volontairement, la notion de « nouvelles mobilités » a été choisie par les porteurs de l’initiative au détriment de celle de « transport » parce qu’elle est conceptuellement plus « ouvrante » et donc plus attractive pour des acteurs locaux, experts comme profanes, mobilisables dans le cadre d’une démarche d’innovation collaborative. Dans les deux cas, le dispositif a conduit à l’émergence d’une communauté d’innovation territoriale qui présente des caractéristiques originales, distinctives des communautés résultant de la participation citoyenne que des communautés industrielles.

3 Sans prétendre à l’exhaustivité sur des questions complexes, nous présentons dans une première section comment les limites du modèle d’innovation basé sur la décision par concertation, associées aux dispositifs collaboratifs de conception dits « ateliers KCP » mobilisés par des organisations variées, industrielles ou académiques, permettent de dégager un modèle d’innovation basé sur la conception collaborative par une communauté territoriale. Dans une deuxième section, nous présentons le matériel de recherche rassemblé en régions Picardie et Bretagne, dont nous exposons et discutons les principaux résultats dans une troisième partie. Cela nous conduira à reprendre le cadre théorique pour conclure sur les caractéristiques d’un modèle d’innovation territoriale par la conception collaborative.

I – PILOTER L’INNOVATION TERRITORIALE : DE LA DÉCISION PAR CONCERTATION À LA CONCEPTION COLLABORATIVE

4 Après être revenu sur les particularités de la collaboration à l’échelle territoriale, nous introduisons ici les problématiques du pilotage par concertation pour l’innovation territoriale avant d’appliquer ces questions aux dispositifs de conception collaborative de stratégie d’innovation déployés dans les organisations établies. Cela nous permettra d’établir un cadrage théorique pour définir leur potentiel à constituer des communautés d’innovation territoriale.

1. (Re-)faire société : innover par et pour le lien social dans un territoire

Les ambitions sociales de l’innovation territoriale

5 Tout d’abord, pour comprendre l’ambition sociale du modèle d’innovation par consultation il nous semble nécessaire de l’inscrire historiquement. Au fil du 19e siècle, la vision sociale du « progrès » ne se résume pas à la technique, mais comprend aussi le « commercial » à entendre à cette époque comme une valorisation d’un progrès social « vendable ». L’empreinte du mouvement saint-simonien, qui associait étroitement dimensions techniques, sociales et financières, est toujours sensible aujourd’hui dans la volonté des projets territoriaux de développement d’être des leviers de l’action publique pour « faire société ». Plus exactement, le déploiement d’innovations technologiques qui résoudraient des crises politiques ou sociales, contribuerait à faire advenir une « nouvelle » société (Morvan, 1996). Au-delà du progrès social, se développe ensuite la caractérisation de l’impact de l’activité collective d’innovation sur le lien social : Durkheim (1889) y voit une division du travail créatrice de solidarité et de lien moral ; Weber (1920) renvoie à la sociation et à la socialisation. Participer et s’investir dans le débat public de la concertation permettrait donc à tout individu de renforcer son lien social. Le lien social restera longuement considéré comme un fait qu’une démarche analytique permettra de qualifier et non comme l’objet d’actions collectives à « gérer » : c’est toutefois un concept délicat à opérationnaliser. Tout d’abord, il s’agit d’un concept sociologique centré sur l’observation de « faits » (le groupe, l’interaction sociale) où la relation occulte l’action collective liée de co-construction des savoirs (Hatchuel, 2001). Ensuite, le lien social serait une « communauté personnelle » résultant d’un réseau de relations établies par un individu avec d’autres. Dans un modèle d’action sur le lien social par une décision établie par concertation, l’exercice participatif où s’exprime le citoyen devient une suite de moments discrets où l’ont peut marginalement identifier la mobilisation de cette ressource individuelle. Mieux repérer ces moments permettrait donc de les répéter, et donc, indirectement, d’encourager les individus à développer leur communauté personnelle. Le processus d’établissement de la décision devient ainsi l’outil de gestion construit collectivement pour soutenir l’usage du lien social par et dans les pratiques (Schatzki et al., 2001). Dans un modèle d’action plus continue, le lien social demeure une ressource personnelle mais il peut également être l’un des objets à concevoir dans le processus de collaboration. Dans la perspective d’une telle action collective, il nous faut mobiliser un autre concept issu de la sociologie de l’action proposé par Marcel Bolle de Bal (2003) – la « reliance sociale » –, qui va caractériser le lien social non plus de manière discrète mais par les actions de transformation du réseau social (reliance, déliance et liance) qui créent ou détruisent du lien social. La reliance est ici porteuse d’une double signification conceptuelle, à la fois « acte de relier ou de se relier (reliance agie, réalisée) et état de reliance (reliance vécue) » (ibid.). Toutefois, les limites de la reliance sociale ainsi définie sont contenues dans l’intuition que les interactions sociales ne sont pas seulement un état, mais un processus créatif et prospectif potentiel fondé sur un couplage déliance (individualismes sociotechniques) - reliance (nouveaux collectifs) pour aborder diverses questions qui structureraient une « société hypermoderne de la déliance-reliance » (ibid.). Par ailleurs, se concentrant sur les relations, la reliance oublie leur co-construction avec les savoirs (Hatchuel, 2001), plus compatible avec l’extension proposée par Edgar Morin de « reliance généralisée » qui englobe tous les liants de l’individu : reliance de la science et des citoyens, reliance des citoyens entre eux, reliance des connaissances séparées, etc., (Morin, 1996). Cette notion propose un cadre interprétatif de l’échange entre individus et objets dans la société contemporaine particulièrement adapté au déploiement d’objets technologiques qui soutiennent une dynamique des interactions sociales, comme les transports publics.

Les parties prenantes de l’innovation territoriale

6 Face à l’enjeu dual d’innovation sociale par et pour le citoyen, les questions du choix et de l’interaction des acteurs de la participation comme de l’animation de la concertation deviennent centrales. De manière classique, les dynamiques collectives ont été envisagées pour faciliter l’engagement de parties prenantes dont la dynamique de développement et de positionnement se complexifie avec des projets territoriaux dans l’espace public comme les projets de transports. Ce processus les constitue en espaces d’action multi-acteurs dans un contexte d’ambiguïté et d’incertitude, car « la définition des acteurs participants est contingente au problème et à son inscription locale (…) [et que] leur participation (…) est souvent à construire » (Raulet-Croset, 2008). Ainsi, les parties prenantes à impliquer – tant citoyens, élus, qu’experts – ne sont pas réductibles a priori puisque ce sont potentiellement tous les habitants et les acteurs économiques ou institutionnels d’un territoire dont les limites même font l’objet de débats. Apparaît alors un territoire construit par « des coopérations multi-acteurs à l’échelle locale », et pas seulement prescrit par l’autorité publique, d’où une redéfinition du « rôle du territoire comme objet de gestion, en tant que scène d’action, support de gouvernance, et en tant qu’agrégateur de ressources » (Raulet-Croset, 2014). Cette vision stratégique d’un territoire-levier d’action collective installe les territoires de projet comme des « agencements territoriaux » à vocation cohésive (ibid.), mais reste évasive sur la manière dont les ressources d’un projet territorial, et notamment ses parties prenantes, se constituent. Cet effort est néanmoins mené par les acteurs locaux des politiques publiques. Il en résulte un vocabulaire dense pour caractériser la signification sociale de la participation citoyenne aux Etats-Unis (bottom-up, community building, empowerment) comme en France (politique d’exception [sur un territoire], apprentissage de la citoyenneté, devoir de participation) (Donzelot et Mével, 2002).

Les dispositifs de l’innovation territoriale

7 Pour que la variété et la diversité des parties prenantes trouvent à s’exprimer, la méthode et le dispositif de collaboration deviennent cruciaux. Bien que le modèle de décision par concertation soit présent depuis plusieurs décennies, il a fait l’objet d’évolutions contemporaines pour évoluer de séances de questions-réponses avec des citoyens réunis dans des conseils locaux à des dispositifs plus organisés de démocratie participative. Le débat s’est ainsi formellement élargi dans le temps et dans la diffusion des informations, mais également par l’inclusion dans la décision avec l’apparition de jury citoyens ou de sondages délibératifs (Lascoumes, 2001 ; Boy et al., 2000). Ces dernières années, des chercheurs ont analysé des démarches encore plus inclusives des acteurs locaux avec des ateliers créatifs mêlant élus, experts et citoyens pour la définition même de l’innovation territoriale (co-design, Dubois et al., 2016). Ces travaux montrent que l’activité de collaboration permet de faire émerger une « communauté créative » entre les participants et de les doter, individuellement et collectivement, de capacités nouvelles de conception, sous quatre conditions : « un sujet fort, problématique et pertinent » qui définit un espace de conception commun, une facilitation de l’acquisition de connaissances nouvelles, prévoir des interactions subséquentes aux ateliers pour capitaliser sur les compétences acquises et projeter la communauté dans la durée, et enfin, s’assurer de la matérialisation de production de la communauté. Or ces résultats sont convergents avec les travaux en management de l’innovation par la conception dans les organisations établies que nous détaillons dans la section suivante.

2. Similitudes et différences avec les communautés industrielles de conception pour l’innovation de rupture

Ambitions et acteurs de l’innovation par la conception dans les organisations

8 De même que les projets territoriaux d’innovation, les dispositifs collaboratifs d’innovation mobilisés par les organisations établies – entreprises, associations ou centres de recherche –, visent à renouveler par l’innovation les offres existantes en répondant au mieux aux attentes sociales (van Lente, 2012). Pour cela, les organisations s’appuient sur des processus d’innovation (Le Masson et al., 2006), mobilisant la créativité de leurs collaborateurs et des processus dédiés (Lenfle, 2016). En complément des ressources et structures internes, elles s’appuient également sur un ensemble d’acteurs externes dont elles vont organiser la collaboration en vue de l’innovation. L’idée d’entreprise étendue au cœur de ces travaux, au-delà de souligner que l’entreprise ne se résume pas à son organisation interne, ouvre le débat sur la nature des relations qui peuvent être entretenues avec les parties prenantes de l’innovation. Un axe de recherche a porté sur un repérage systématique des catégories de parties prenantes (Mitchell et al., 1997). Ainsi, celles considérées comme « à la marge » (fringe stakeholders) ne sont pas toujours associées alors même qu’elles présentent un intérêt particulier dans une perspective d’innovation concurrentielle (competitive imagination) (Hart et Sharma, 2004). Le dialogue avec les parties prenantes peut représenter une source d’idées nouvelles si ces échanges sont organisés pour transposer les savoirs qui fondent une innovation d’un contexte organisationnel à un autre. Enfin, la notion de partie prenante s’applique aussi interne à l’organisation pour comprendre les implications d’acteurs dans les processus décisionnels (Mitchell et al., 1997) et leurs impacts sur les activités de R & D (Elias et al., 2002). Par opposition aux projets d’optimisation, l’innovation de rupture engendre un impact plus important sur les parties prenantes de conception. Ceux-ci s’impliquent durant les phases d’exploration du projet et contribuent selon d’autres modalités d’interactions que les parties prenantes décisionnelles (Hooge et Dalmasso, 2015).

9 Aussi, la création de groupes possédant des capacités d’apprentissage et des méthodes de coordination spécifiques vont être au centre du pilotage de l’innovation en conjuguant les propriétés des communautés de pratiques et des communautés épistémiques (Cohendet et Llerena, 2003). Au moins aussi important pour les entreprises que les innovations qu’ils formulent, ces groupes assurent la capacité de l’entreprise et de son écosystème à se renouveler.

Les dispositifs de l’innovation par la conception dans les organisations

10 Afin de coordonner et soutenir la collaboration de parties prenantes variées, tant internes qu’externes, des démarches de conception susceptibles de sécréter de l’innovation de rupture ont été proposées : la modélisation prospective et systématique des enjeux collectifs et des terrain de jeu adaptés aux compétences et attentes des acteurs ; et les démarches collaboratives de conception en atelier.

11 Dans notre contexte d’innovation territoriale, le challenge réside dans le choix de thématiques transformables en idées à soumettre à un collectif de créativité. Nombreux sont les auteurs en management de l’innovation qui insistent sur l’importance de l’effort prospectif de préparation des démarches collectives d’innovation, tant pour comprendre les attentes sociales, structurer les possibles en scénarios contrastés, modéliser le « régime permanent » pour rendre possible son dépassement (e.g. van Lente, 2012). Associée à une démarche de conception innovante, la « prospective conceptive » est une démarche de conceptualisation de questions inédites, des changements de paradigmes dont « le vrai but n’est pas de connaître le futur, mais bien plutôt de le recharger en inconnu (…) », ceci en vue de « reformuler le futur » (Amar, 2015). Cette approche de la prospective se veut volontairement non finalisée pour permettre à des participants de tous horizons de se constituer en prospectivistes sans se mettre en configuration décisionnelle ni conceptrice. L’importance accordée à l’inconnu comme générateur de concepts conduit à étendre le débat initial par la structuration des connaissances intéressantes à actionner pour les affronter, retardant volontairement l’entrée dans un processus créatif qui réduirait l’étendue des réflexions engagées pour y apporter des solutions intuitives. Dans cette perspective, la créativité collective intervient un peu plus tard : lorsque la conceptualisation thématique est suffisante pour être partagée et constituer un aiguillon intelligible par un collectif de conception.

12 Dans cette logique, la théorie du raisonnement de conception dite théorie C-K (Hatchuel et Weil, 2002) a servi de base pour développer des ateliers de génération collaborative d’une stratégie d’innovation de rupture structurée, étagée et partagée par un groupe étendu de parties prenantes intitulée KCP pour Knowledge-Concept-Proposals (figure 1). Cette approche propose justement de reporter l’exercice de créativité après une phase intense d’échanges de savoirs selon une logique de prospective conceptive. Cette forme d’atelier de conception innovante est utilisée dans des organisations de toute tailles et de tous secteurs (Le Masson et al., 2014 ; Elmquist et Segrestin, 2009) pour sa capacité duale à soutenir un effort de conception en rupture par rapport à ce que les acteurs connaissent et à les fédérer dans la continuité (Hooge et al., 2016).

Figure 1

Schéma des phases (partie haute) et livrables (partie basse) d’un atelier KCP

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Schéma des phases (partie haute) et livrables (partie basse) d’un atelier KCP

13 Ce dispositif a été mobilisé à plusieurs reprises dans les transports (e.g. Klasing Chen, 2015) et par des chercheurs de l’Inra pour soutenir la collaboration entre les parties prenantes très hétérogènes du monde agricole (Labatut et Hooge, 2016 ; Berthet et al., 2016). Si ces approches n’ont pas été pensées comme des projets de développement territorial, les innovations dans le monde ferroviaire ou agricole intègrent nécessairement des acteurs institutionnels du territoire (associations d’exploitants, élus). Ces travaux montrent le potentiel du dispositif pour réduire l’asymétrie en matière de capacités d’innovation qui existe entre les pilotes d’une démarche d’innovation de rupture, par nature proactifs, et les différents partenaires de conception désignés par leur appartenance à l’écosystème technique. Dans les cas agricoles, comme dans les expériences industrielles, les chercheurs ont montré la constitution pendant les ateliers de communautés d’innovation pérennes, rassemblées par des capacités de conception individuelles et collectives. Contrairement à des ateliers créatifs isolés, la démarche KCP accompagne un groupe d’acteurs hétérogènes sur un temps long, correspondant à des stades différents de l’activité de conception, de la définition du terrain de jeu de l’innovation à la constitution d’un ensemble raisonné de propositions. Aussi, le dispositif d’innovation KCP institutionnalise la démarche entrepreneuriale au sens où il génère une communauté dont les éléments de cohésion et de coordination s’auto-entretiennent et se stabilisent via des démarches répétées de conception innovante collective.

3. Cadrage d’un dispositif territorial de conception collaborative

14 Le tableau 1 ci-après résume les principaux éléments constitutifs des deux modèles d’innovation précédemment décrits, ce qui nous permet d’introduire un cadrage théorique pour un modèle territorial d’innovation. Il est à l’origine du dispositif collaboratif proposé en régions Bretagne et Picardie pour le développement de nouvelles mobilités.

II – PRÉSENTATION DES ÉTUDES DE CAS

1. Méthode de recherche

15 Cette recherche est issue d’une recherche-intervention menée selon le même cadrage théorique (tableau 1) pour explorer et comparer la conception de projets innovants par deux groupes différents dans deux projets territoriaux similaires en Bretagne (2014) et en Picardie (2015). Sur les deux terrains, le dispositif KCP a été adapté aux enjeux territoriaux et s’est articulé en 4 sessions d’une demi-journée : 1) « périmétrage » et problématisation, 2) conception collective, 3) contextualisation, 4) perspectives. L’ensemble du dispositif a été intitulé « SpotLAB » pour symboliser le caractère expérimental du collectif (« lab »), tandis que le préfixe « Spot » renvoie à la notion de « hotspot wifi », un lieu à forte intensité connective et reliante. La nature collaborative et longitudinale des deux cas a permis la collecte de multiples données. Tout d’abord, les prises de position orales et les documents fournis par les participants à l’appui de leur engagement (ex. powerpoint de leur vision) ont fait l’objet d’une analyse spécifique pour en tirer des ouvertures conceptuelles et des connaissances à mêmes de nourrir les échanges des sessions suivantes. De même, les présentations élaborées par les organisateurs pour chacune des quatre sessions ont abondé le rapport résumant les apports de la démarche collaborative. Ce rapport détaillait les thématiques utilisées pour les sessions de conception (concept-projecteurs), ainsi que les propositions conceptuelles consignées dans des arborescences C-K permettant d’obtenir une liste de « concept-projets » (des pistes d’action qui restent à transformer en projets) qui nourrit le processus de choix de projets territoriaux à lancer et/ou à conserver en l’état. À des fins de communication, l’arborescence détaillée contenant l’ensemble des investigations est traduite en un « argumentaire conceptuel » (figure 2). Il se fait l’écho des grandes ouvertures conceptuelles : l’innovation par ajout d’attributs de mobilité au concept de transport (« du transport à la mobilité »), l’innovation partant des mobilités comme attentes sociétales de déplacements à traduire en objets du transport (« des mobilités au transport »). En outre, des entretiens ont été menés avec un panel de participants de chaque atelier pour croiser, et valider, les données issues des analyses documentaires et de l’observation des groupes de conception.

Tableau 1

Synthèse des modèles organisationnels et cadrage théorique d’un modèle territorial par la conception

Modèles d’innovation éprouvés Cadrage d’un modèle territorial de conception collaborative
Modèle territorial de décision par concertation Modèle industriel de conception collaborative
Structuration collective (impact social) Par stimulation du lien social (communauté personnelle) Reliance Par création d’une basée sur la conception (communauté d’innovation) Création d’une communauté d’innovation territoriale favorisant la reliance
Relations entre acteurs Experts etcitoyens-participants Parties prenantes de conception Parties prenantes territoriales
Savoirs mobilisés Savoirs des participants et études d’experts Prospective conceptive Implication des acteurs locaux dans la prospective conceptive
Dispositifs d’innovation Débat public (participation, jury citoyens et sondages délibératifs) Ateliers co-design Ateliers de conception collaborative (KCP) Ateliers de conception collaborative inclusifs pour les acteurs du territoire
Processus d’institutionnalisation Projet de développement territorial Stratégie d’exploration partagée et Entrepreneuriat institutionnel collectif Stratégie partagée de développement territorial par l’innovation et Entrepreneuriat institutionnel collectif
figure im2

Synthèse des modèles organisationnels et cadrage théorique d’un modèle territorial par la conception

2. Présentation des terrains

16 Suite aux diverses lois de décentralisation, les conseils régionaux sont devenus des autorités organisatrices des transports (AOT) et ont délégation pour lancer des processus d’innovation dans le cadre de conventions de régionalisation avec les opérateurs de transport dont la SNCF pour les TER (transports express régionaux). Les SpotLAB ont naturellement trouvé leur place dans ce cadre d’une action publique rénovée et fondée sur des logiques d’innovation plus affirmées. La phase de définition des SpotLAB a été consacrée à la création d’une équipe-projet « méthode-métier » de quatre membres avec deux spécialistes de la méthode KCP issus de la SNCF et deux animateurs territoriaux, experts du territoire et de ses acteurs. L’équipe-projet ainsi constituée a lancé le processus de préparation du dispositif territorial en définissant une structure de sponsoring, nécessaire pour disposer d’un appui politique local et définir le concept initial de la démarche collaborative d’innovation. Ici, les sponsors ont été respectivement la direction des transports (conseil régional de Picardie) et le conseil régional du tourisme de Bretagne, assistés des directeurs régionaux TER SNCF locaux. Ensemble, ils ont validé une exploration centrée sur les « liants » entre interfaces numériques et ressources locales (acteurs, institutions, territoires). Ensuite, l’équipe-projet a conduit une analyse prospective en s’appuyant sur une série d’entretiens informels avec des acteurs locaux clés. L’ensemble a permis de définir un concept initial (C0) de nature à amorcer le processus de conception collaborative. Pour le SpotLAB en Bretagne, le C0Mobilités sociét@les propose une vision plurielle des mobilités, mâtinée de mutations sociétales de toutes natures, notamment digitales, quand la version picarde Mobilités et tempos sociét@ux, insistait, au-delà des mobilités plurielles, sur l’exploration des rythmes urbains et ruraux, y compris par la voie du digital. Ces concepts jouèrent un rôle fédérateur et provocateur, favorable à l’engagement de participants variés dans les SpotLAB.

Figure 2

Argumentaires conceptuels élaborés par les participants des SpotLAB (a) en Bretagne et b) en Picardie)

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Argumentaires conceptuels élaborés par les participants des SpotLAB (a) en Bretagne et b) en Picardie)

17 La démarche a été menée avec des groupes composés de parties prenantes très variées (collectivités régionales et locales, Comité régional du tourisme, AOT, agences de développement économique, start-up et entreprises, associations d’usagers des transports, CCI, chercheurs, opérateur de transport, etc.), de taille équivalente (28 en Bretagne, et 34 en Picardie). Les sessions collaboratives se sont étalées sur une période de quatre mois à raison d’une par mois afin de donner un rythme qui allie conception en séance et maturation hors séance. Trois concepts-projecteurs complémentaires ont été explorés dans les deux régions, dont deux communs. Les deux SpotLAB ont connu une production du même ordre avec, in fine, 40 à 45 concepts-projet dont dix projets quasi-prêts à lancer et une trentaine qui méritaient une exploration complémentaire. À titre d’exemple, le SpotLAB Mobilités sociét@les a vu la naissance du concept-projet « Lorient Express » qui vise à trouver de nouveaux usages à des voies ferrées peu usitées en créant une ligne « Orient Express » avec un train reconditionné pour accueillir des touristes vivant à bord du train (repas apportés par des restaurants locaux, hôtellerie à bord) et des voyageurs du quotidien. Pour le deuxième SpotLAB, le projet « gare ouverte » a conduit à la réouverture au public de deux anciennes gares par des acteurs locaux – collectivités locales et associations – qui endossent une responsabilité de chef de gare (ce qui suppose en formation poussée lorsque des « vrais » trains passent) tout en assurant une animation locale dans des locaux souvent situés au centre de petites villes. Le tableau 2 synthétise les principaux éléments des deux initiatives.

III – PRINCIPAUX RÉSULTATS

18 L’analyse comparative nous conduit à formuler trois principaux résultats – la caractérisation d’une communauté territoriale d’innovation, l’ingénierie de nouveaux lieux de conception, l’institutionnalisation éphémère – qui permettent de poser les éléments théoriques d’un modèle d’innovation territorial par la conception collaborative.

1. Constituer une communauté territoriale d’innovation : amorçage conceptif de l’écosystème d’innovation

19 Dans les deux démarches territoriales, les relations aux territoires et aux transformations numériques ont été au cœur de la collaboration : les acteurs se sont concentrés sur l’intégration par la société – en tant qu’ensemble d’individus et d’objets – de la mutation des usages quotidiens qu’elles induisent, et des dynamiques de création de lien social rendues possibles (reliance). La reliance « sociétale » est ainsi devenue un objet de gestion légitime, et a donc pu faire l’objet d’une démarche de conception collective. Révélant le potentiel d’innovation du territoire par une action coordonnée de ses parties prenantes, les SpotLAB, comme les KCP dont ils sont issus, ont contribué à constituer une micro-société de conception dont l’organisation peut perdurer au-delà des limites temporelles du processus initié. Toutefois, cette constitution en collectif n’est pas naturelle, encore moins dans un groupe ne relevant pas d’une organisation commune. Des préliminaires sont nécessaires pour qu’il se sente en droit de proposer une action commune de conception (Labatut et Hooge, 2016 ; Berthet et al., 2016). La dimension collective d’un projet d’exploration se joue souvent dans des choix préalables portant sur les premiers participants recrutés. Ils vont donner le tempo de la démarche sachant que le cercle des acteurs est un construit social et cognitif en perpétuel rééquilibrage dans les projets territoriaux (Labatut et Hooge, 2016). L’extension de la reliance sociale à la reliance sociétale généralisée représente ainsi une proposition forte des SpotLAB, devenant un objet de gestion partageable entre les acteurs du territoire, et pas seulement la constitution d’une société organisée.

Tableau 2

Synthèse des initiatives territoriales « Nouvelles mobilités » en Bretagne et Picardie

SpotLAB Objectif Enjeu collaboratif Concepts projecteurs Principaux impacts territoriaux
Bretagne 2014 C0 : Mobilités sociét@les Stratégie de service en rupture lors de l’arrivée du TGV Coconception low-cost avec des acteurs territoriaux Le Voyageur à mobilité @ugmentée (les attentes de l’individu mobile et connecté au-delà du système de transport existant) ;
La g@re sociétale ou le Hub 3D (la gare comme un haut lieu du territoire)
Mobilités des p@rtages Refonte du programme de services transport Projets Lorient Express et Haltes mobiles
Picardie 2015 C0 : Mobilités et tempos sociét@ux Nouveaux services de mobilités coopératives Co conception avec 90 % de participants externes à la SNCF Les mobilités flexibles et p@rtagées
(service d’activités quotidiennes diffuses et aléatoires)
Projets Gare Ouverte plateforme IoT (Internet of Things)
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Synthèse des initiatives territoriales « Nouvelles mobilités » en Bretagne et Picardie

20 Distinctif d’un modèle d’innovation par concertation, un autre élément caractéristique est « l’amorçage conceptif » de l’écosystème d’innovation. La notion de « conceptif », ou d’être « apte à concevoir une idée » (CNRTL) prend son sens associée à celle d’amorçage en jouant sur la mobilisation d’un écosystème de conception largement inconnu par le biais d’ouvertures conceptuelles (proposées par une équipe-projet) qui vont transformer des participants en parties prenantes « conceptives » alors susceptibles de proposer d’autres ouvertures conceptuelles en rupture, hors de la vision habituelle du territoire. La notion de partie prenante conceptive souligne que les participants assument des rôles différents – apport de savoir externe, saillance décisionnelle (Mitchell et al., 1997) et capacité de conception (Hooge et Dalmasso, 2015) – qui s’exerceront selon le thème, le groupe et le moment.

21 Plus largement, il semble intéressant de distinguer dans les démarches de conception innovante, une dimension conceptive-prospective, visant le développement de capacités à penser l’innovation, d’une seconde dimension plus conceptrice visant la mise en œuvre des voies. L’action des parties prenantes conceptives pourrait ainsi participer à la constitution de parties prenantes conceptrices dans les sessions ultérieures des SpotLAB. Cette question prend un relief particulier pour des projets territoriaux dont le périmètre fait question, tant administrativement que géographiquement : il devient concevable donc ouvert, voire inconnu. D’un point de vue managérial, cette distinction entre parties prenantes conceptives et conceptrices vise à approfondir la double gestion sociale et cognitive des ateliers de conception (Hooge et al., 2016) en désignant la transformation d’un participant en acteur de l’innovation sous l’influence défixante de parties prenantes conceptives en complément de l’animation par l’équipe-projet méthode-métier.

2. Laboratoire-réseau polycentrique (LRp) : une ingénierie de conception d’écosystèmes de conception

22 La richesse et la diversité des résultats issus des SpotLAB ont révélé des capacités organisationnelles d’innovation insoupçonnées à l’échelle du territoire au-delà des acteurs présents aux ateliers. Les travaux sur la dimension sociétale se sont révélés un puissant facteur de reliance par l’intermédiaire des participants qui ont (re)découvert la dimension sociale de l’action collective de conception. Dans une vision classique d’une innovation territoriale planifiée, la conception est réalisée par un nombre restreint d’acteurs rassemblés en un Laboratoire (L) central qui consultent les citoyens et dont les productions seront diffusées à un Réseau (R) de parties prenantes. Toutefois, cette vision a fait place depuis plusieurs années à des démarches décentralisées mobilisant une intelligence collective distribuée dans le territoire (Carmes et Noyer, 2014). Apparaît donc une co-construction des politiques publiques, impliquant une multiplicité d’acteurs distribués dans le temps et dans l’espace (Rival et Ruano-Borbalan, 2017). En effet, d’une part, l’approche centralisée n’est plus adaptée à l’expression d’une opinion citoyenne et/ou économique, rendue très active par les nouveaux usages sociaux du numérique. Ainsi, dans la planification urbaine, on observe une croissante « difficulté à valoriser et intégrer des formes de pensée et d’expression très variées dans la fabrication de la ville » (Douay, 2016, p. 119). D’autre part, l’approche centralisée ne rend pas compte de la ressource que représente l’engagement de chaque individu dans la réussite du déploiement d’une politique publique d’innovation : cette tension est particulièrement perceptible sur les projets de smart city où la limite entre aliénation et émancipation apportée par l’innovation peut être confuse pour le citoyen (e.g., réalité augmentée et géolocalisation dans Picon, 2013).

23 La méthode KCP est particulièrement adaptée à ce changement de régime territorial car elle entremêle volontairement les dimensions laboratoire (ateliers collaboratifs) et Réseau pour bénéficier de l’interaction entre les dynamiques cognitives et sociales de la conception collaborative (Hooge et al., 2016). Dans les SpotLAB, la dimension laboratoire se présente comme un lieu agrégeant des acteurs inscrits préalablement dans des réseaux variés. Comme pour les KCP, la mobilisation coordonnée des réseaux individuels sur des voies conceptuelles originales est génératrice de capacités de conception inédites. Le réseau fait ainsi référence à une ingénierie d’écosystème de conception, fédératrice de collectifs épars. Toutefois, dans les KCP, l’enjeu est de piloter l’exploration d’une stratégie d’innovation commune dont le laboratoire demeure le garant, et à laquelle le réseau va contribuer. Appliqué sur un territoire, le lieu de conception (le SpotLAB) réunit des représentants de communautés locales qui partagent déjà l’usage et le pilotage des infrastructures de transport, un « bien commun » possédant une gouvernance polycentrique sur le territoire au sens d’Ostrom (1990). Le laboratoire, en visant l’innovation de rupture sur les mobilités devient le lieu de production de futurs « common pool ressources » (ibid.), à concevoir ensemble en préservant l’équité entre les parties prenantes. Il soutient la création d’« inconnus communs » désirables pour l’ensemble des acteurs (Berthet et al., 2018).

24 Proposant une ingénierie de la collaboration pour l’innovation, l’initiative des SpotLAB fournit une réponse méthodologique à l’inconfort des politiques territoriales pour inclure un nombre étendu de parties prenantes hétérogènes. La multi-appartenance des participants à un dispositif de co-conception et à d’autres dispositifs collaboratifs étend la socialisation d’axes potentiels d’innovation de rupture comme la construction d’espace-temps conceptifs déportés puisqu’en montant en compétences de conception, les participants peuvent amorcer dans leur réseau des capacités de conception non centralisées par le laboratoire. Ainsi, on observe la création d’une capacité de conception individuelle et collective générant un écosystème de conception polycentrique capable d’explorer des pistes d’innovation très originales.

3. Institutionnalisation éphémère

25 De prime abord, la notion d’institutionnalisation éphémère peut apparaître comme un oxymore. Pourtant le laboratoire-réseau polycentrique est un processus de structuration transitoire d’un écosystème de conception. Le bornage est spatial – avec un lieu de conception, le SpotLAB – et temporel, avec quatre sessions mensuelles fournissant temporairement une structure et un rythme aux démarches de conception collaborative. En tant que lieu territorialisé d’interactions et de débats intenses, les démarches SpotLAB ont permis aux participants de se constituer en acteurs de l’innovation dans et en dehors du dispositif de conception. Nous proposons de qualifier le processus d’institutionnalisation d’éphémère pour signifier qu’un atelier de conception collaborative est une « bulle » spatiotemporelle où des participants se découvrent progressivement acteurs-concepteurs de plein exercice au sein d’un dispositif à durée limitée. Le dispositif devient un écosystème temporaire, à la fois micro-société collaborative et lieu d’expérimentation conceptuelle au sein duquel la variété et la diversité des parties prenantes peut mieux s’exprimer, d’abord dans une communauté de conception, ensuite, dans une logique d’exploration à l’échelle d’un écosystème d’innovation polycentrique qui se superpose, puis prolonge la phase de conception pour construire et développer des projets.

IV – VERS UNE GOUVERNANCE DES PROJETS TERRITORIAUX PAR LA CONCEPTION COLLABORATIVE

26 Le monde des projets territoriaux n’a pas le même rapport à l’innovation intensive que l’industrie. Face à la complexité des projets territoriaux, aux attentes exacerbées des acteurs locaux et la routinisation extrême du développement urbain basé sur la décision par concertation, tout effort de conception collaborative devient productif dans la mesure où il remet en chantier l’action collective. Les SpotLAB ont suscité une forte appétence des décideurs institutionnels (conseils régionaux, direction TER SNCF) pour explorer un nouveau modèle territorial d’innovation. Les discussions préliminaires ont rapidement convergé vers deux points essentiels pour lancer une démarche pérenne : sortir du modèle participatif pour construire collectivement les questions d’innovation, potentiellement inconnues ; élargir le cercle des acteurs habituels (ingénieurs, urbanistes, architectes) aux acteurs locaux (associations, entreprises et start-up, chercheurs). Ces points sont constitutifs d’une gouvernance spécifique de l’innovation territoriale par la conception collaborative. Aussi, nous préconisons aux décisionnaires territoriaux d’appeler à des démarches de conception au-delà des initiatives déjà constituées en ateliers en légitimant des périmètres de conception ouverts et génératifs. Dans les organisations établies, le pilotage par champs d’innovation est posé comme un principe cardinal afin de rompre avec une vision disciplinaire des expertises (Le Masson et al., 2014). De même, l’ouverture à des parties prenantes territoriales dont le périmètre est à définir, permet de limiter le « verrouillage conceptuel » par les experts établis pour élargir la base de connaissances, et ainsi d’explorer des voies conceptuelles inédites. Deuxième implication managériale des travaux, le pilotage élargi rend possible les trois dimensions sous-jacentes à l’extension du modèle organisationnel d’innovation : piloter un travail d’amorçage conceptif plutôt que de simplement recruter des participants ; constituer un lieu de conception – le laboratoire/réseau polycentrique – qui soit un espace-temps de conception collaborative où acteurs et projets entrent dans une relation de cogénération ; soutenir un processus d’institutionnalisation éphémère grâce à un dispositif suffisamment formel pour être reconnaissable et reconnu, tout en le bornant dans le temps pour qu’il suive une logique de défixation sociale et d’apprentissage. Pour dégager ces résultats managériaux, nous nous sommes appuyés sur des courants académiques distincts même si des convergences existent : prospective et innovation (reliance sociétale généralisée), organisation et conception (parties prenantes de conception), innovation et conception innovante (ateliers KCP, prospective conceptive) et institutionnalisme (innovation institutionnalisante). Le présent papier pose donc autant les bases d’un programme de travail sur l’innovation territoriale collaborative qu’il fournit des éléments de réponse sur la généricité des laboratoires-réseaux polycentriques. Aussi, le tableau 3 reprend le cadrage théorique issu de la littérature pour l’affiner et proposer une synthèse comparative des modèles d’innovation territoriaux.

Tableau 3

Synthèse comparative des modèles organisationnels

Modèles organisationnels d’innovation territoriale
Modèle territorial de décision par concertation Modèle territorial de conception collaborative
Structuration collective (impact social) Par stimulation du lien social (communauté personnelle) Reliance Communauté d’innovation centrée sur la reliance sociétale et écosystème de conception innovante polycentrique
Relations entre acteurs Experts et citoyens-participants Parties prenantes conceptives
Savoirs mobilisés Savoirs des participants et études d’experts Amorçage conceptif et inclusion des parties prenantes locales dans la formations d’« inconnus communs » (prospective conceptive)
Dispositifs d’innovation Débat public (participation, jury citoyens et sondages délibératifs) Ateliers co-design Ateliers SpotLAB (adaptation des ateliers KCP) et laboratoire-réseau polycentrique (LRp)
Processus d’institutionnalisation Projet de développement territorial Institutionnalisation éphémère de lieu-temps de conception collaborative dont l’objet est de proposer une Stratégie partagée de développement territorial par l’innovation
figure im5

Synthèse comparative des modèles organisationnels

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Date de mise en ligne : 14/09/2018

https://doi.org/10.3166/rfg.2018.00245

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