Couverture de RFG_249

Article de revue

Du sens, du lien, de l'activité et de confort (SLAC)

Proposition pour une modélisation des conditions du bien-être au travail par le SLAC

Pages 53 à 71

Notes

  • [1]
    Rolland (2000) propose l’hypothèse suivante, suggérée par un ensemble de résultats : le bien-être semblerait plutôt déterminé par des variables de contexte, tandis que le mal-être (détresse psychologique, insatisfaction) semblerait essentiellement liées à des dispositions personnelles (dimensions de la personnalité et styles de coping).
  • [2]
    Les théories de l’action ne se présentent pas comme une école de pensée unifiée mais ont des orientations communes comme l’attention aux dimensions explicite, réfléchie, subjective et collective de l’action et aux justifications des acteurs pour rendre compte de leur agir (Boltanski et Thévenot, 1991).

1 Les questions de santé mentale au travail sont généralement examinées sous l’angle de la souffrance et des risques psychosociaux. Cette perspective, si elle est adaptée au diagnostic et à la compréhension de la souffrance des acteurs, ne semble pas toujours adaptée aux pratiques de gestion. Un besoin émerge désormais pour une approche centrée non plus sur la souffrance et les risques psychosociaux, mais plutôt sur le bien-être au travail (Bietry et Creusier, 2013 ; Lachmann et al., 2010). Si le bien-être ne peut être considéré comme l’envers du mal-être (Abord de Chatillon et Desmarais, 2012), la compréhension de chacun de ces concepts s’alimente de l’autre, mais, alors que le mal-être fait référence à des pathologies observables, le bien-être paraît plus difficile à caractériser. Pour autant, il existe le besoin d’une perspective salutogénique centrée sur la santé au travail (Antonovsky, 1987 ; Neveu, 2012 ; Bertrand et Stimec, 2011), comme l’illustre d’ailleurs l’Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail.

2 Néanmoins, si les approches en termes de souffrance au travail apparaissent comme bien documentées, il n’en est pas de même du bien-être qui pâtit d’un déficit de définition et de conceptualisation (Gollac, 2009). Des cadres théoriques concurrents et disjoints proposent des visions contradictoires du bien-être au travail qui tantôt concerne l’individu et sa subjectivité, tantôt les collectifs et l’organisation du travail.

3 Dans ce cadre, l’objectif de cette recherche est de proposer au chercheur comme au manager une compréhension actionnable du bien-être au travail.

4 La compréhension du bien-être au travail procède d’approches structurées autour du clivage entre une représentation hédonique qui envisage le bien-être comme l’obtention du plaisir et une représentation eudémonique qui privilégie la réalisation de soi et de son potentiel (Ryan et Deci, 2001). Néanmoins, et au-delà de cette segmentation initiale, apparaissent un ensemble de conditions d’émergence du bien-être. L’analyse de la littérature nous conduit à en privilégier quatre : le sens du travail (qui interroge l’objectivation et les finalités de l’action de production), le lien (qui renvoie à la dimension relationnelle du travail), l’activité (qui se concentre sur ce que l’individu fait) et le confort (qui traite des conditions de réalisation de cette activité).

5 Pour expliciter ces dimensions du bien-être au travail, après une analyse de la littérature, nous évaluons ce modèle à partir de la confrontation de cette représentation à l’analyse de discours tenus sur le bien-être d’agents d’une collectivité territoriale (N = 1127) et de salariés d’une banque en ligne (N = 111). Cette analyse permet alors d’une part, d’envisager comment les acteurs envisagent leur bien-être au travail, et d’autre part, de proposer un cadre à l’action de management du bien-être au travail.

I – Les différentes dimensions du bien-être au travail

6 Afin de mettre en évidence une définition du bien-être au travail, nous examinons dans un premier temps les différentes propositions de la littérature sur le sujet avant de proposer une synthèse.

1. État de l’art des recherches sur le bien-être au travail : vers une définition

7 Donner une définition cohérente et utile du bien-être au travail n’est pas chose facile. Le concept de santé mentale est trop pauvre pour rendre compte du bien-être (Kop, 1994). Car en assimilant le bien-être à l’absence de symptômes pathologiques, on se contente d’en donner une définition par la négative. Or, être bien au travail, ce n’est pas seulement ne pas être malade de son travail. Les méthodes pour définir le bien-être au travail et les processus qui en favorisent l’atteinte font encore l’objet d’un important débat. Les recherches sur le bien-être se structurent autour de deux logiques centrées sur l’individu : hédonique (Kahneman et al., 1999) et eudémonique (par ex. Ryff et Singer, 1998), et d’une approche qui considère que le bien-être peut se concevoir soit comme contextualisé, soit comme relié aux autres (Rolland, 2000 ; Clot, 2001 ; Gomez, 2013). Ces quatre perspectives permettent de décrire le bien-être comme un concept multiforme.

Le bien-être au travail selon le courant hédonique

8 Kahneman et al. (1999) définissent le bien-être comme étant « un plaisir, ou un bonheur subjectif vécu au travail ». Les théories hédoniques reposent sur un modèle théorique bidimensionnel. Le bien-être subjectif au travail consisterait à vivre beaucoup d’affects agréables (plaisir, confort, optimisme…), et peu d’affects désagréables (peur, inconfort, stress…).

9 Si la psychologie hédonique a semblé dominer la recherche sur le bien-être depuis les années 1990, il existe un courant alternatif qui conçoit le bien-être comme un construit qui va au-delà de la seule satisfaction. Cowen (1994) avance l’idée qu’une théorie sur le bien-être doit comporter des composantes claires au point de vue comportemental, psychologique, physiologique et social, composantes qui servent à décrire le bien-être non simplement par l’absence de psychopathologie, mais plutôt par la présence de manifestations positives d’un bon fonctionnement. Selon Cowen (1994), le bien-être au travail n’est pas simplement le fait de ressentir du plaisir, mais il est la résultante de processus consistant à créer de bonnes relations d’attachement, à acquérir des compétences appropriées pour tenir son poste, à construire des relations interpersonnelles harmonieuses et un milieu favorisant le sentiment d’une certaine maîtrise de son environnement professionnel. C’est ainsi que les approches hédoniques peuvent être élargies à celles qui considèrent que le bien-être au travail procède également de relations professionnelles harmonieuses.

10 Mais au-delà de ce plaisir pris dans l’activité le bien-être au travail peut également être envisagé dans une logique de rapport à soi.

Le bien-être au travail selon le courant eudémonique

11 Waterman (1993) s’inspire de la conception classique d’Aristote, le père de l’eudemonia : les individus les plus heureux sont ceux qui sont le plus en accord avec leur « daïmon » – ou « vrai soi » –. Dans cette perspective, le bien-être coïncide avec la réalisation de soi, possible pour celui qui saisit les occasions de se développer et les voit comme des défis qu’il se sent capable d’affronter. Ryff et Singer (1998) proposent alors une définition du bien-être eudémonique, à l’aide de six dimensions principales : 1) un contrôle sur son milieu : une capacité à agir pour faire face aux défis de l’environnement ; 2) des relations positives : c’est-à-dire des liens aux autres qui sont enrichissants, qui lui apportent du soutien et participent à sa croissance personnelle ; 3) une autonomie : la capacité de prendre des initiatives dans son travail, en bénéficiant d’un cadre protecteur mais également de marges de manœuvre et d’une capacité d’autodécision et d’autodétermination ; 4) une croissance personnelle (self realization) : le travail doit permettre de s’épanouir en développant son potentiel et faisant fructifier ses talents ; 5) une acceptation de soi et un sentiment d’auto-efficacité : le fait de s’accepter et d’avoir un sentiment d’efficacité personnelle est au fondement du bien-être et de l’accomplissement humain (Bandura, 2007) ; 6) une compréhension du sens du travail : un état de satisfaction engendré par la perception de la cohérence entre l’individu et le travail qu’il accomplit (Morin et Gagné, 2009).

12 L’importance du rapport à soi se retrouve également chez Ryan et Deci (2001) dans leur description de la théorie de l’autodétermination qui fait reposer le bien-être sur la satisfaction de trois besoins psychologiques fondamentaux : le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin de relation à autrui. L’autonomie implique que l’individu décide volontairement de son action, qu’il ne se réduit pas à un comportement d’agent, mais qu’il est un sujet qui assume pleinement les conséquences de ses actions. Le besoin de compétence se réfère à un « sentiment d’efficacité sur son environnement », qui stimule le goût de relever des défis, de « faire face » et de « prendre en charge » les actions, qui contribue à nourrir en retour le sentiment d’estime de soi et de confiance en soi. Le besoin de relation à autrui comprend le sentiment d’appartenance et le sentiment d’être en lien avec des personnes importantes pour soi. Ces trois besoins sont considérés comme des déterminants essentiels pour préserver et développer les conditions du bien-être au travail (Deci et Ryan, 2002 ; Cartwright et Cooper, 2009).

13 Enfin, Warr (1990) tente une synthèse des logiques eudémonique et hédonique en proposant un cadre théorique qui incorpore deux dimensions : le plaisir et la stimulation enthousiaste (« arousal »). Le plaisir apparaît comme un constituant majeur du bien-être affectif. La stimulation enthousiaste est la prise de conscience de l’état de bien-être qui fait changer celui-ci de statut : d’un simple état plaisant (« positive affectivity »), le sujet accède à un phénomène beaucoup plus intense et tourné vers l’action productive. L’enthousiasme éveillé au travail implique que le travail est porteur de sens : « le sujet se sent bien quand son travail fait sens pour lui ».

14 L’issue de la controverse scientifique entre ces deux orientations hédonique et eudémonique est d’une importance primordiale pour concevoir ce que peut être l’homme au travail (Laguardia et Ryan, 2000). Pour Ben-Shahar (2008), un individu bien à son travail éprouve des sentiments positifs et trouve une raison d’être à son travail : le bien-être au travail est alors une « sensation globale de plaisir chargée de sens » (Ben-Shahar, 2008, p. 72).

15 Ces deux courants qui demeurent des approches individualistes du bien-être doivent également être confrontés aux théories qui s’intéressent aux déterminants structurels et collectifs du bien-être au travail.

Les représentations structurelles du bien-être

16 Rolland (2000) reprend, dans sa revue de littérature sur le bien-être subjectif, la distinction entre les modèles Bottom-Up et les modèles Top-Down. Les théories Bottom-Updéfendent la thèse selon laquelle le bien-être est la résultante de conditions objectives de travail favorables. Les modèles Top-Down soutiennent l’hypothèse inverse : les individus auraient une prédisposition stable à interpréter leur expérience de vie au travail, et à y réagir, de manière positive ou négative. Dans cette perspective, le regard subjectif porté sur le contenu et les conditions de travail détermine largement le niveau de bien-être subjectif bien plus que les conditions de travail objectives. Ces modèles s’opposent sur la direction de la causalité : dans les modèles Bottom-Up, le bien-être serait un effet des conditions et des évènements liés à l’expérience de travail, alors que dans les modèles Top-Down, il serait considéré comme une prédisposition individuelle, et donc, comme une cause (Rolland, 2000). Des études empiriques longitudinales (Brief et al., 1993) suggèrent que les deux groupes de variables (conditions, contexte et dispositions) « entretiennent des relations de causalité réciproque » développant une perspective interactionniste du bien-être [1] dans laquelle personnalité et situation de travail entretiennent une relation bidirectionnelle. Après avoir présenté ces théories qui s’intéressent aux déterminants du bien-être au travail, il convient de porter attention aux approches collectives du bien-être au travail.

Les représentations collectives et psychosociologiques du bien-être au travail

17 Les approches centrées sur l’individu omettent la dimension fondamentalement sociale du travail. L’individu n’est pas un être isolé, il s’inscrit dans un collectif de travail, un environnement social (Antonovsky, 1987 ; Clot et Litim, 2008). Le milieu professionnel devient un élément central de la préservation des conditions du bien-être au travail. Un milieu social salutogénique peut être défini comme un milieu qui permet à la fois le développement d’une activité de qualité, mais également la source du pouvoir d’agir (Clot et Litim, 2008).

18 Le courant des théories de l’action [2] (Vygotski, 1997 ; Clot, 2008) considère l’activité comme élément central d’analyse. Il s’intéresse avant tout à l’appropriation subjective et collective du monde social du travail, aux ressources psychosociales et aux empêchements qui peuvent l’affecter. Dans ce courant, l’homme au travail n’est jamais seul face à un monde d’objets, l’activité n’est pas seulement « médiatisée par des instruments sociaux (outils, langages, règles, institutions, genres professionnels), elle est aussi médiatisante, recréatrice de rapports entre les hommes et les objets » (Clot et Litim, 2008, p. 103). Vouloir proposer une perspective salutogénique du travail implique alors de proposer un centrage sur l’activité, créatrice de liens intersubjectifs.

19 C’est en maintenant le travail vivant et visible dans ses dimensions objective, subjective et collective (Gomez, 2013), en prenant soin des métiers, en permettant aux professionnels d’entretenir des controverses professionnelles autour de la qualité du travail au sein d’un collectif qui partage ce « désir de métier » (Osty, 2003), que l’on construit les conditions du bien-être au travail.

20 D’où l’importance de concilier ces différentes approches dans une perspective intégrative.

2. Proposition d’une définition intégrative du bien-être au travail

21 Le bien-être est souvent associé dans l’esprit des acteurs à ses dimensions matérielles. Ce bien-être est celui qui nous est apporté par l’acquisition de nouveaux objets ou de nouvelles conditions qui nous permettent de vivre mieux. Dans cette logique, le bien-être au travail devient un plus qui s’ajoute à ce qui fait le travail, une forme de rémunération complémentaire. Au-delà de cette dimension et en nous appuyant sur cette revue de la littérature, nous retenons quatre dimensions pour définir les conditions du bien-être au travail : le sens du travail, le lien, l’activité et le confort. Il s’agit ici, dans la suite des travaux de Bietry et Creusier (2013), de combiner hédonisme et eudémonisme, mais également d’intégrer deux dimensions plus sociales et objectives qu’on pourrait considérer comme des facteurs d’hygiène, le lien et le confort. Les deux autres sont plus attachées au sujet qu’on pourrait qualifier de facteurs intrinsèques du bien-être au travail, l’activité et le sens.

Le sens du travail (S)

22 Le sens du travail implique une prise de conscience du sujet dans le fait que son travail est porteur de sens. Ce qu’on pourrait résumer en disant « Je peux me sentir bien quand mon travail fait sens pour moi ». Dans le champ de la psychologie, un ensemble d’auteurs a fait de la construction du sens, l’un des constituants essentiels du bien-être (Frankl, 1988 ; Yalom, 1980 ; Seligman, 2002 ; Ben-Shahar, 2008). Dans le champ du management des entreprises, les liens entre le sens du travail et le bien-être psychologique ont également été étudiés (Morin, 1998 ; Morin et Cherré, 1999 ; Morin et Gagné, 2009 ; Pattakos, 2006).

23 Morin et Cherré (1999) proposent une définition du sens du travail comme un construit à trois dimensions :

24

  1. La signification (sensus) du travail, sa valeur aux yeux de l’individu et la représentation subjective qu’il en a.
  2. L’orientation, la direction (sumo) de la personne dans son travail, ce qu’il cherche dans l’exercice d’une activité professionnelle, les buts et desseins qui guident ses actions et ses prises de décisions.
  3. La cohérence (phénoménologie) entre la personne et le travail qu’elle accomplit, entre ses besoins, ses valeurs, ses désirs et les gestes et actions qu’elle fait au quotidien dans son milieu de travail.

25 Le processus de construction du sens (sensemaking) transforme la question du sens en une activité d’interprétation, de discussion plus pragmatique, plus enracinée dans le réel de l’expérience de travail (Weick, 1995). Cela passe par un travail cognitif et narratif de l’individu inscrit dans un collectif qui tisse des histoires à partir de son vécu au travail. Ce travail de réflexivité (Schön, 1994) comprend des dimensions subjectives, émotionnelles et éthiques. Il combine un travail à partir du réel de l’activité, d’aspects symboliques et de dimensions imaginaires. Ce travail de construction et d’actualisation du sens passe par une activité langagière et l’investissement au sein d’espaces de discussion (Detchessahar, 2013), d’espaces dialogiques d’analyse de l’activité (Clot, 2008) ou par une capacité à mener des conversations cruciales (Patterson et al., 2009) qui permettent de traiter des problèmes réels sans tomber dans des systèmes de défense – déni, violences verbales ou physiques, fuite… – et en gardant le « travail vivant » (Dejours, 2009).

Le lien social (L)

26 Le lien social qui comprend le soutien et la reconnaissance de collègues, l’inscription dans un collectif de travail et le management d’espaces de travail où se construisent et s’actualisent les liens sociaux au travail (Thuderoz, 1995). Les relations interpersonnelles avec les collègues, les supérieurs et les collaborateurs apparaissent comme centraux dans la construction et la préservation du bien-être au travail. De la même façon, l’engagement social dans des relations signifiantes, le goût de pratiquer des discussions au travail avec des collègues, de tisser du lien social avec son entourage dans un climat de sérénité et de confiance, en étant écouté et en écoutant soi-même les autres se révèle une dimension centrale du bien-être au travail. Le soutien social a d’ailleurs été clairement identifié comme un élément central de la préservation de la santé psychologique au travail (Karasek et Theorell, 1990 ; Hobfoll et al., 1992 ; Halbesleben, 2006). Ce que nous entendons par lien social comprend donc l’ensemble des formes de soutien social ainsi que la qualité des relations interpersonnelles. Du point de vue des outils au service du lien, de nombreux travaux en sciences de gestion ont montré que les espaces de discussion du travail, en tant que lieu de la construction du lien professionnel sont des opérateurs de bien-être et de qualité de vie au travail (Bertrand et Stimec, 2011 ; Conjard et Journoux, 2013 ; Detchessahar, 2011, 2013 ; Richard, 2012).

27 Les travaux de Mauss (1924), qui place la production de lien social au fondement de la société et du vivre ensemble, résumé par la formule « le lien vaut mieux que le bien », donne légitimité et profondeur à cette dimension. Ce lien à soi et aux autres passe par l’entremise du langage et du dialogue autour du réel de l’activité. C’est ainsi que l’ensemble des ressources interpersonnelles de l’individu sont intégrées dans la dimension du lien.

L’activité (A)

28 Pour Clot (2010), « le plaisir du travail bien fait est la meilleure prévention contre le stress : il n’y a pas de bien-être sans bien faire » et il est vain de discourir de la qualité de vie au travail sans aborder la question de l’activité. Les gens qui se sentent bien dans le travail sont ceux qui exercent leur capacité d’action, leur « pouvoir d’agir » (Clot, 2008). Le bien-être au travail n’est pas le contraire de la souffrance et ne se résume pas à l’absence de maladie mais il consiste à préserver sa capacité d’agir sur soi et sur la situation de travail (Clot, 2010). Il passe donc par un « bien faire » son travail. Si l’individu est empêché d’agir, entravé dans son action quotidienne pour conduire son activité, alors des atteintes à la santé physique aussi bien que mentale risquent d’apparaître. Le pouvoir de conduire l’action et la capacité de s’engager dans l’activité pour faire face aux défis posés par l’expérience de travail (Zimmermann, 2011) constituent une dimension essentielle du bien-être au travail.

29 Les individus contribuent à développer leur bien-être au travail par leurs actions responsables. L’activité productive au sein d’un collectif est au cœur de la création de valeur des entreprises et de la préservation de la santé des travailleurs (Clot, 2010). C’est dans cet « agir productif » largement collectif que ce construit le « travail vivant » qui permet à celui qui le réalise de rester en bonne santé et de rester également un « sujet politique », un homme ou une femme qui agit en tant que sujet (Dejours, 2009). C’est par son action productive, que le travailleur participe à fabriquer la société qui le contient et à se construire lui-même. En remettant l’activité productive au cœur des préoccupations des organisations et du management, on lutte contre cette « mise en invisibilité du travail réel » qui est l’un des maux contemporains des entreprises et on contribue à créer cette « économie du travail vivant » (Gomez, 2013). C’est dans et par l’activité productive que le sujet parvient à faire face aux soucis quotidiens posés par le travail, en produisant des arrangements, des bricolages, dont les données générales ne rendent pas vraiment compte. C’est également par la conjugaison des multiples espaces de débats centrés sur l’activité, permettant ces régulations conjointes (Reynaud, 1989) que se construisent la qualité de l’expérience de travail et les conditions du bien-être au travail.

30 Enfin, le dernier facteur du bien-être au travail est le confort.

Le confort (C)

31 Le confort désigne de manière générale un sentiment de bien-être à la fois physique, fonctionnel et psychique (Fischer et Vischer, 1997). Il comprend les situations dans lesquelles les sensations s’exerçant sur le corps et l’esprit sont perçues comme agréables et participent à un état de bien-être. Le confort est donc l’une des composantes de la qualité de vie et du bien-être au travail. Il est reconnu que la qualité du lieu de travail influe sur le bien-être au travail (Rioux et al., 2013) ainsi que sur la créativité et la productivité (Waber et al., 2014) : la qualité de la configuration spatiale et de l’agencement, les matériaux, meubles, la taille des fenêtres et le type de vue, la propreté, l’ambiance thermique, etc. sont autant d’éléments qui contribuent au confort de l’espace de travail.

32 Dans le modèle traditionnel, reposant largement sur une approche pathogénique, le travail est plutôt associé à la souffrance, le confort alors comme une dimension supplémentaire qui est accordée en plus de ce qui est strictement nécessaire à l’activité de production (par ex : un siège confortable, un grand bureau, le train en première classe…) et qui peut s’assimiler à une forme de rémunération complémentaire et facultative.

33 Dans un modèle salutogénique, le bien-être est considéré comme une condition nécessaire à la qualité de la production et à la productivité (Dagenais-Desmarais et Privé, 2010). Le confort permet alors la réalisation de l’activité de production dans le temps long, sans épuisement des ressources humaines ni multiplication des problèmes d’atteinte physique à la santé (par ex. : troubles musculo-squelettiques) ou des pathologies psychosociales (stress, burnout…) (Rioux et al., 2013).

34 Le sentiment de confort peut se définir encore comme l’ensemble des sensations agréables liées à la satisfaction de nos besoins fondamentaux. « Je me sens bien quand mes besoins d’autonomie, de compétence, de relation à autrui sont satisfaits » (Schutz, 2006). Les salariés développent des stratégies individuelles et collectives pour s’adapter aux contraintes organisationnelles, voire les contourner, pour construire les conditions d’un confort psychologique au travail (Rioux et al., 2013). Ainsi, l’espace de travail salutogénique, doit être conçu comme un lieu de communication, d’échanges, d’apprentissages et d’expériences collectives, tout en ayant conscience que les salariés agissent sur leur environnement, transforment leur espace de travail afin de se l’approprier et de l’intégrer dans leur univers cognitif et affectif. En permettant au salarié de travailler en confort, l’organisation favorise l’attachement et l’identification de l’individu à son environnement de travail, dotant ainsi l’espace de sens individuel et social. Le confort de l’environnement de travail du salarié ne dépend donc pas uniquement de l’organisation, ce dernier est « le premier acteur de son confort au travail » (Rioux et al., 2013).

35 Après cette revue de littérature, la partie suivante présente le cadre méthodologique de la recherche.

II – Méthode : une analyse de discours

36 Le test du modèle SLAC a été réalisé en confrontant cette représentation théorique avec l’analyse de deux corpus de données :

37

  • Une enquête auprès d’une collectivité territoriale réalisée en 2011 qui a permis de recueillir l’opinion de 1127 agents territoriaux sur leurs conditions de travail ;
  • Un baromètre Qualité de vie au travail réalisé en 2013 dans une banque en ligne auprès de 111 salariés.

38 L’analyse croisée de ces deux corpus permet de valider que la représentation obtenue du bien-être au travail n’est pas liée à un contexte spécifique, mais qu’elle peut s’appliquer largement.

39 Les analyses ont été réalisées à l’aide des logiciels Sphinx Lexica et Sphinx IQ.

40 Deux mécanismes de codage ont été réalisés : d’une part, un codage classique, réalisé par deux chercheurs confirmés, des dimensions du modèle initial présentes ou absentes dans l’ensemble des propos. L’homogénéité de codage étant forte (93 %), l’ensemble des écarts ont ensuite été traités par un troisième chercheur puis soumis à une discussion et recodés (5 %) ou éliminés (2 %). D’autre part, une codification lexicale réalisée à partir de dictionnaires pour chacun des quatre thèmes. Ces deux codifications ont donné des résultats proches (cf. figure 1), ce qui permet de garantir la qualité et l’homogénéité de ces deux modes de codification.

Figure 1

Confrontation des deux modes de codage des discours

figure im1
Axe 2 Activité
(15,39 %) Activité
Sens
Sens
Axe 1 (82.5 %) Lien
Lien
Confort
Confort

Confrontation des deux modes de codage des discours

41 On constate cependant que si l’analyse est très homogène sur les dimensions lien, activité et confort, en revanche, elle l’est beaucoup moins pour la dimension sens. L’explication principale à ce sujet réside dans la difficulté à coder cette dimension par un lexique donné. Cependant, la comparaison des modes de codage nous permet d’indiquer que si ce phénomène joue sur la capacité de l’analyse qualitative mécanisée à repérer la dimension du sens, en revanche, cela ne joue pas sur le volume des réponses. Cela signifie donc uniquement une diversité de vocabulaire et une sémantique plus riche pour saisir cette dimension.

III – Résultats

42 L’évaluation du modèle repose sur une analyse de la présence des différentes dimensions du modèle dans les discours tenus par les participants à nos enquêtes. À la suite d’une analyse à plat qui permettra de rendre compte des dimensions et de leurs importances respectives, nous présentons comment ces différentes dimensions s’articulent.

1. L’importance des différentes dimensions

43 L’identification du lexique mobilisé offre un premier regard sur les thèmes émergeants des mots prononcés par les répondants de nos enquêtes.

Figure 2

Qu’est-ce qui fait que cela va bien : le lexique mobilisé

figure im2

Qu’est-ce qui fait que cela va bien : le lexique mobilisé

Note : la taille des mots dans le graphique est proportionnelle à la fréquence de chacun d’eux dans le lexique global.

44 On observe ainsi immédiatement l’importance des termes associés à la dimension lien (collègue, équipe, entente, etc.).

45 Néanmoins, au-delà de ces divergences autour de la question de la formulation de cette dimension du lien, il convient d’indiquer que ce lien se fait avec un point commun : le travail.

46 Une analyse plus précise permet de constater que le modèle que nous avions identifié dans la littérature se retrouve complètement dans les discours.

47 La comparaison entre les deux échantillons nous permet de constater que l’importance des différentes dimensions du modèle ne dépend pas de la nature de l’entreprise concernée. Même s’il s’agit de deux organisations de service, la banque en ligne est avant tout une entreprise du web au sein de laquelle se retrouvent des commerciaux, mais aussi des banquiers, des financiers ou des développeurs alors que la collectivité locale se subdivise en quatre secteurs : la voirie, les personnels des collèges, les travailleurs sociaux et les administratifs.

48 On constate une homogénéité forte, les différentes dimensions sont présentes, même si le confort est significativement plus présent dans l’échantillon de la banque en ligne (chi2 = 9,45 ; ddl = 3 ; 1-p = 97,61 %). Ce premier résultat est d’ailleurs apparemment contre-intuitif, le travail dans le secteur public étant habituellement associé à plus de confort.

49 Cependant, il convient de souligner l’importance de la dimension lien, quel que soit l’échantillon. Cette dimension, présente dans trois quarts des observations, apparaît comme centrale. Le lien social semble la condition sine qua non du bien-être au travail.

Figure 3

Présence des différentes dimensions du modèle dans les échantillons « banque en ligne » (analyse de contenu)

figure im3

Présence des différentes dimensions du modèle dans les échantillons « banque en ligne » (analyse de contenu)

Figure 4

Présence des différentes dimensions du modèle dans les échantillons « collectivité locale » (analyse de contenu)

figure im4

Présence des différentes dimensions du modèle dans les échantillons « collectivité locale » (analyse de contenu)

50 Enfin, on constate une présence significative des trois autres dimensions qui ne peuvent donc être exclues du modèle.

51 Si l’on poursuit cette analyse en observant les concepts identifiés au moins dix fois dans ce corpus (cf. tableau 1 ci-après), on constate que différents concepts complètent l’analyse précédente.

52 La dimension lien (participation, degré de sociabilité, stimulation, degré de respect) est bien présente, mais l’activité (usages, activité professionnelle, ordre, classification), le confort (emploi et salaires, proximité, épargne et gestion) et le sens (philosophie et sagesse) également. Les quatre dimensions du modèle SLAC sont donc bien présentes.

53 Il convient donc de constater que le modèle proposé apparaît conforté à la fois par une analyse lexicale (repérage des mots et attribution à ceux-ci d’un sens plus large), par une analyse de contenu (codage des discours en thèmes par des experts), mais aussi par une analyse morphosyntaxique (identification des thèmes par un dispositif de repérage automatisé et classification grâce à un thésaurus). Ces trois analyses concourent donc à valider la construction initiale.

54 La dimension lien sera d’autant plus mobilisée que l’individu sera confronté à des conditions de travail favorables à l’existence de collectifs de travail (soutien social, ambiance de travail).

55 En revanche, les autres dimensions s’inscrivent en opposition avec le lien. Si les répondants apparaissent comme à la recherche du sens lorsque la charge de travail ou l’urgence des tâches à accomplir est forte, les dimensions activité et confort semblent plutôt des valeurs refuges.

Tableau 1

Identification des concepts repérés à l’aide du thésaurus de Sphinx IQ [3]

Concepts Obs. Concepts Obs.
Participation 152 Degré de sociabilité 21
Emploi et salaire 115 Épargne et gestion 18
Usages 81 Philosophie et sagesse 13
Activité professionnelle 60 Proximité 12
Ordre 35 Classification 10
Stimulation 22 Degré de respect 10
figure im5
[3] Un thésaurus définit un ensemble de significations, idées, concepts et les organise suivant une nomenclature arborescente qui va du général au particulier. Ici le thésaurus est mobilisé, dans cette analyse, à travers le logiciel Sphinx IQ et son module Quali. Ce logiciel intègre comme composant, le moteur d’analyse sémantique de Synapse société spécialisée en ingénierie linguistique. Ce moteur mobilise un dictionnaire morphosyntaxique de 158000 lemmes, un thésaurus à 4 niveaux de 3781 feuilles documentées par autant d’ontologies. La valeur des affectations est déterminée en se référant à un réseau sémantique documenté sur la base de 345 corpus de références.

Identification des concepts repérés à l’aide du thésaurus de Sphinx IQ [3]

Figure 5

Analyse factorielle des correspondances entre les métiers exercés et les thèmes du modèle SLAC

figure im6
Axe 2 (22,51 %)
Encadrement technique
Chargé de mission
Secrétaire Technicien
Confort
Travailleur social Autre Sens
Infirmière
Lien
Agent de maîtrise
Axe 1 (40.86 %) Agent administratif
B administratif
Encadrement supérieur
Comptable
Attaché
Agent de service technique
Activité
Puéricultrice sage femme

Analyse factorielle des correspondances entre les métiers exercés et les thèmes du modèle SLAC

56 Lorsque les conditions de travail ne favorisent pas le collectif, le salarié s’abrite dans l’exercice de son activité ou dans le confort matériel moral ou financier offert par le métier ou par l’emploi.

57 De la même façon, le bien-être semble éminemment dépendant du métier exercé.

58 Chaque métier de la collectivité territoriale semble permettre de trouver une forme de bien-être différente. Si le travailleur social le trouve dans le lien, l’agent des services techniques le trouvera dans l’exercice de son métier et la secrétaire dans le confort. L’ensemble de ces éléments nous permet de proposer une première caractérisation du bien-être à l’aide des quatre dimensions du modèle SLAC, mais aussi de mettre en évidence l’émergence de spécificités du bien-être à chaque type d’activité.

59 Dans cette analyse, le bien-être n’apparaît pas seulement comme le résultat de conditions de travail favorables, mais aussi comme un processus dynamique que l’individu construit en confrontation avec celles-ci, au sein d’un collectif de travail. Le bien-être est donc un état, mais également une dynamique psychosociale dans laquelle l’individu au travail s’adapte à son environnement en mobilisant les dimensions du modèle proposé ici.

Discussion

60 La discussion s’articule en deux mouvements : dans un premier temps, les résultats de l’analyse des discours sur le bien-être selon les quatre dimensions (sens, lien, activité, et confort) sont confrontés aux approches présentées dans la revue de littérature. Dans un second temps, les articulations entre les quatre dimensions et les dynamiques à l’œuvre dans la création des conditions du bien-être au travail sont mises en perpective.

« Le lien vaut mieux que le bien »

61 La dimension lien dans l’analyse de discours a permis d’identifier les aspects d’ambiance de travail, de soutien du chef et des collègues. Les résultats de l’analyse concernant cette dimension la fondent comme un élément majeur dans la construction des conditions du bien-être au travail. L’importance de la qualité des relations au sein des équipes confirme la dimension collective du bien-être au travail (Schwartz, 2012). La construction de ce lien social s’inscrit dans le quotidien de l’activité et passe par l’investissement des acteurs au sein d’espaces de discussion. La qualité de présence et d’écoute ainsi que la capacité cognitive des acteurs à intervenir dans la discussion productive apparaissent comme des conditions d’émergence de ces espaces de discussion (Detchessahar, 2011). Enfin, la « qualité de relation avec les usagers » est souvent citée comme un facteur de bien-être mais il est possible de comprendre cet aspect comme un aspect lié au sens du travail dans la mesure où il fait référence à la finalité de l’activité.

L’activité réelle individuelle et collective préserve la qualité du collectif et la qualité du travail

62 C’est l’implication subjective dans l’activité au sein d’un collectif de travail qui permet la préservation du bien-être. Mais l’implication organisationnelle se révèle être une ressource à double tranchant permettant de préserver le bien-être mais pouvant devenir une cause d’épuisement professionnel (Carrier-Vernhet, 2012). C’est par l’activité reliée que s’entretiennent les liens de solidarité, les relations de coopération et les conditions d’un vivre ensemble de qualité. L’activité de production – poïesis – confronte le sujet au réel, c’est-à-dire à ce qui résiste à la maîtrise et fait endurer l’expérience de l’échec. Le bien-être au travail passe alors par la capacité à mobiliser les ressources du collectif de travail pour faire face collectivement aux aléas du réel et inscrire son activité dans une forme de travail relié qui permet l’endurance face aux difficultés et le déploiement du « pouvoir d’agir » (Clot, 2008 ; Richard, 2012).

Le confort au travail vecteur de bien-être et d’efficacité

63 L’analyse conduite confirme qu’un environnement de travail confortable a tendance à engendrer bien-être mais aussi efficacité et productivité : bien faire les choses renforce le sentiment de confort et donc le bien-être au travail. Bien vivre sur le lieu de travail constitue une vraie prévention des risques psychosociaux et un levier de construction du bien-être au travail (Rioux et al., 2013). Le design des espaces de travail doit permettre un juste équilibre entre le collectif et l’individuel permettant aux salariés d’alterner des temps de réflexion solitaire et des temps de travail collaboratif (Congdon et al., 2014). Promouvoir un environnement de travail apparaît comme un vecteur de construction du bien-être dans ses dimensions hédonique (« avoir un espace de travail agréable ») et eudémonique (« mon travail m’ouvre la voie à l’accomplissement de mon potentiel »). Le confort au travail contribue alors à tenir la promesse d’un travail source de bien-être, d’épanouissement et de performance durable (Rioux et al., 2013 ; Waber et al., 2014).

À la recherche du sens au travail : du contenu objectif du travail au processus d’actualisation subjectif du sens de l’activité

64 La capture du sens au travail est une question complexe qui a mobilisé une littérature scientifique importante (Morin, 1998 ; Weick, 1995 ; Frémeaux, 2014). Lorsque le travailleur trouve de l’intérêt et du sens à son activité, il s’engage dans celle-ci. Au fondement de cette construction du sens, on retrouve l’idée de lien très présente dans la pensée de Weick qui situe la notion d’interaction et le caractère systémique et dynamique au cœur de sa pensée. Dans le sillage de Weick, le modèle SLAC apparaît comme un processus dynamique dans lequel les différentes dimensions, sens, lien, activité et confort sont en interactions et permettent de construire les conditions du bien-être au travail. Ainsi, par exemple, la qualité des liens au travail, permet de s’engager, en confort, dans des espaces de discussion, pour élaborer collectivement des compromis (pour réaliser l’activité productive) qui font sens pour les acteurs. On voit que les dimensions sont ici très intriquées et forment le tissu complexe du bien-être et de l’efficacité au travail dont le rapport de Lachmann, Larose et Pénicaud (2010) défend la communauté d’intérêt.

65 Face à une crise du sens dans les organisations et à une plainte récurrente liée au manque de reconnaissance, les résultats de notre enquête révèlent une dynamique sociale qui va dans le sens d’un désir de métier (Osty, 2003). Les sujets qui vivent le mieux leur travail savent maintenir vivant ce désir de réalisation de soi par l’exercice du métier qui passe par la construction d’un lien social coopératif (Alter, 2009 ; Sennett, 2014). Ce désir de métier s’avère être transversal à différents milieux productifs (banquier, travailleur social, service technique, commercial…). Il passe par un engagement dans une activité langagière de production collective de sens et de règles de métier, une « activité déontique » (Dejours, 2009). L’espace de discussion s’avère un vecteur de support du processus de sensemaking, centré sur le réel du travail, il permet aux acteurs de rester durablement engagés dans une activité salutogénique.

Conclusion

66 Le modèle SLAC nous permet de décrire les différentes modalités du bien-être au travail. Il fournit un cadre d’observation et de diagnostic. Le bien-être au travail paraît reposer sur une combinaison de sens, de lien, d’activité, et de confort.

67 Ce cadre contribue également à permettre une opérationnalisation des conditions de la santé au travail qui échappent à une logique pathogénique. Les quatre dimensions proposées ne s’inscrivent pas directement comme des réponses à la souffrance au travail, mais plutôt comme des éléments susceptibles de créer des conditions favorables à la santé au travail. De fait, ces dimensions apparaissent comme autant de leviers managériaux mobilisables dans nos organisations à la recherche de la promotion de la qualité de vie au travail.

68 Il reste cependant à examiner de plus près comment ces dimensions s’articulent, mais aussi quelles sont les stratégies individuelles et collectives de mobilisation de ces différentes composantes. Ce travail initial permettra de proposer, à la suite de cette recherche, un outil de mesure qui permettra d’évaluer quantitativement ces quatre dimensions.

69 L’opérationnalisation quantitative de ce modèle permettra alors de mieux repérer comment s’articulent bien-être et mal-être au travail et d’identifier d’une manière plus précise comment l’action managériale peut contribuer non seulement à réduire les souffrances au travail mais également à créer les conditions du bien-être au travail.

Bibliographie

Bibliographie

  • Abord de Chatillon E. et Desmarais C. (2012). « Le nouveau management public est-il pathogène ? », Management International, vol. 16, n° 3, p. 10-24.
  • Alter N. (2009). Donner et prendre. La coopération en entreprise, La Découverte, Paris.
  • Antonovsky A. (1987). “The salutogenic perspective : toward a new view of health and illness”, Advances, Institute for the Advancement of Health, vol. 4, n° 1, p. 47-55.
  • Bandura A. (2007). Auto-efficacité, Le sentiment d’efficacité personnelle, De Boeck, Bruxelles.
  • Ben-Shahar T. (2008). L’apprentissage du bonheur : principes, préceptes et rituels pour être heureux, Belfond, Paris.
  • Bertrand T. et Stimec A. (2011). « Santé au travail : Voyage en pays de lean management », Revue française de gestion, vol. 37, n° 214, p. 127-144.
  • Bietry F. et Creusier J. (2013). « Proposition d’une échelle de mesure positive du bien-être au travail (EPBET) », Revue de Gestion des Ressources Humaines, n° 87, p. 23-41
  • Brief A.P., Butcher J.M. et Link K.E. (1993). “Integrating bottom-up and top-down theories of subjective well-being, The case of health”, Journal of Personality and Social Psychology, vol. 64, n° 4, p. 546-553.
  • Boltanski L. et Thévenot L. (1991). De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, Paris.
  • Carrier-Vernhet A. (2012). « Implication organisationnelle et épuisement professionnel : une analyse par la théorie de conservation des ressources », Thèse de doctorat en sciences de gestion de l’Université de Grenoble.
  • Cartwright S. et Cooper C.L. (eds.) (2009). The Oxford Handbook of Organizational Well-being, Oxford University Press.
  • Clot Y. et Litim M. (2008). « Activité, santé et collectif de travail », Pratiques psychologiques, vol. 14, p. 101-114.
  • Clot Y. (2010). Le travail à cœur, Pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte, Paris.
  • Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir, PUF, Paris.
  • Congdon C., Flynn D. et Redman M. (2014). “Balancing ‘We’ and ‘Me’”, Harvard Business Review, vol. 92 n° 10, p. 50-57
  • Conjard P. et Journoud S. (2013). « Ouvrir des espaces de discussion pour manager le travail », Management & Avenir, n° 63, p. 81-97.
  • Cowen E.L. (1994). “The enhancement of psychological wellness : challenges and opportunities”, American Journal of Community Psychology, vol. 22, p. 149-179.
  • Dagenais-Desmarais V. et Privé C. (2010). « Comment améliorer le bien-être psychologique au travail ? », Gestion, vol. 35, n° 3, p. 69-77.
  • Deci E.L. et Ryan M. (Eds.) (2002). Handbook of Self-Determination Research, University of Rochester Press.
  • Dejours C. (2000). Travail, usure mentale, Bayard, Paris.
  • Dejours C. (2009). Travail vivant 2. Travail et émancipation, Payot & Rivages, Paris.
  • Detchessahar M. (2013). « Faire face aux risques psychosociaux : quelques éléments d’un management par la discussion », Négociations, n° 19, p. 57-80.
  • Detchessahar M. (2011). « Santé au travail quand le management n’est pas le problème, mais la solution », Revue française de gestion, vol. 37, n° 214, p. 89-105.
  • Diener E. (1996). “Traits can be powerful, but are not enough : lessons from subjective well-being”, Journal of Research in Personality, vol. 30, p. 389-399.
  • Fischer G.N. et Vischer J.C. (1997). L’évaluation des environnements de travail : la méthode diagnostique, De Boeck Supérieur, Presse de l’Université de Montréal.
  • Frankl V. (1988). Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, Éditions de l’homme, Montréal. (Ed. originale en anglais en 1963 : Man’s search for meaning)
  • Frémeaux S. (2014). « Sens au travail et management du travail », Mémoire de HDR, Université de Nantes.
  • Gollac M. (dir.) (2009). Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail, Rapport du Collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail, DARES.
  • Gomez P.Y. (2013). Le travail invisible. Enquête sur une disparition, François Bourin Editeur, Paris.
  • Halbesleben J.R.B. (2006). “Sources of Social Support and Burnout : A Meta-Analytic Test of the Conservation of Resources Model”, Journal of Applied Psychology, vol. 91, n° 5, p. 1134-1145.
  • Hobfoll S.E., Lilly R.S. et Jackson A.P. (1992). “Conservation of social resources and the self”, The meaning and measurement of social support, Veiel & Baumann, Washington.
  • Kahneman D., Diener E. et Schwarz E. (Eds.) (1999). Well-being, The foundations of hedonic psychology, Russel Sage Foundation, New York.
  • Karasek R. et Theorell T. (1990). Healthy Work : stress, productivity, and the reconstruction of the working life, Basic Books, New York.
  • Kop J.L. (1994). Le bien-être subjectif. Vers une mesure du bonheur, Thèse de doctorat de psychologie, Université de Nancy 2.
  • Lachmann H., Larose C. et Penicaud M. (2010). « Bien-être et efficacité au travail, 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail », Rapport fait à la demande du Premier ministre.
  • Laguardia J. et Ryan R. M. (2000). « Buts personnels, besoins psychologiques fondamentaux et bien-être : théorie de l’autodétermination et applications », Revue québécoise de psychologie, vol. 21, n° 2, p. 281-3004
  • Monteau M. (2010). L’organisation délétère, L’Harmattan, Dynamiques d’entreprises, Paris.
  • Morin E. M. (1998). « Le sens du travail pour des gestionnaires francophones », Revue Psychologie du travail et des organisations, vol. 3, n° 2-3, p. 26-45.
  • Morin E. M. et Gagné C. (2009). « Donner un sens au travail. Promouvoir le bien-être psychologique », Études et recherches / Rapport R -624, Montréal, IRSST.
  • Morin, E.M. et Cherré, B (1999). « Les cadres face au sens du travail », Revue française de gestion, n° 126, p. 83-93.
  • Neveu J.-P. (2012). « Pour repenser la relation travail-santé psychologique : La théorie de la préservation des ressources », Santé et sécurité au travail : une perspective gestionnaire, Abord de Chatillon E., Bachelard O. et Carpentier S., Vuibert-Collection AGRH, Paris, p. 79-87.
  • Osty F. (2003). Le désir de métier. Engagement, identité et connaissance au travail, Presses Universitaires de Rennes.
  • Pattakos A. (2006) Découvrir un sens à son travail, Éditions de l’Homme, Montréal.
  • Patterson K., Grenny J., McMillan R. et Switzler A. (2009). Conversations cruciales, éditions Ixelles, Bruxelles.
  • Reynaud J.-D. (1989). Les Règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Armand Colin, Paris.
  • Richard D. (2012). « Management des risques psychosociaux : une perspective en termes de bien-être au travail et de valorisation des espaces de discussion », Thèse de doctorat en sciences de gestion de l’Université de Grenoble.
  • Rioux L., Le Roy J., Rubens L. et Le Conte J. (2013). Le confort au travail, Presses Universitaires de Laval.
  • Rolland J.-P. (2000). « Le bien-être subjectif. Revue de questions », Pratique psychologique, vol. 1, p. 5-21.
  • Ryan R.M. et Deci E.L. (2001). “To be happy or to be self-fulfilled : A review of research on hedonic and eudaimonic well-being”, Annual Review of Psychology, vol. 52, p. 141-166.
  • Ryff, C.D. et Singer, B. (1998). “The contours of positive human health”, Psychological Inquiry, vol. 9, p. 1-28.
  • Schön D. (1994). Le Praticien Réflexif. À la recherché du savoir caché dans l’agir professionnel, Logiques Éditions. (Ed. originale en anglais, 1983).
  • Schutz W. (2006). L’Élément Humain. Comprendre le lien entre estime de soi, confiance et performance, InterEditions, Paris.
  • Schwartz Y. (2012). Expérience et connaissance du travail, Les Essentiels, Éditions Sociales, Paris.
  • Seligman, M.E.P. (2002). Authentic happiness, Free Press, New York.
  • Sennett R. (2014). Ensemble : Pour une éthique de la coopération, Albin Michel, Paris.
  • Thuderoz C. (1995) « Du lien social dans l’entreprise », Revue Française de Sociologie, vol. XXXVI, n° 2, p. 325-354.
  • Sennett R. (2014). Ensemble pour une éthique de la coopération, Paris, Albin Michel.
  • Vygotski L. (1997). Pensée & langage, La Dispute, Paris (éd. originale en Russe 1934).
  • Waber B., Magnolfi J. et Lindsay G. (2014). “Workspaces That Move People”, Harvard Business Review, vol. 92, n° 10, p. 69-77
  • Warr P. (1990). “The measurement of well-being and other aspects of mental health”, Journal of Occupational Psychology, vol. 63, n° 3, p. 193-210.
  • Waterman A.S. (1993). “Two conceptions of happiness : Contrasts of personal expressiveness (eudaemonia) and hedonic enjoyment”, Journal of Personality and Social Psychology, vol. 64, p. 678-691.
  • Weick K. E. (1995). Sensemaking in organizations, Sage, Thousands Oaks, California, 1995.
  • Yalom Y. (2008). Thérapie existentielle, Galaade Éditions, Paris. (Ed. originale en 1980, Existential psychotherapy).
  • Zimmermann B. (2011). Ce que travailler veut dire – Une sociologie des capacités et des parcours professionnels, Economica, coll. « Études Sociologiques », Paris.

Notes

  • [1]
    Rolland (2000) propose l’hypothèse suivante, suggérée par un ensemble de résultats : le bien-être semblerait plutôt déterminé par des variables de contexte, tandis que le mal-être (détresse psychologique, insatisfaction) semblerait essentiellement liées à des dispositions personnelles (dimensions de la personnalité et styles de coping).
  • [2]
    Les théories de l’action ne se présentent pas comme une école de pensée unifiée mais ont des orientations communes comme l’attention aux dimensions explicite, réfléchie, subjective et collective de l’action et aux justifications des acteurs pour rendre compte de leur agir (Boltanski et Thévenot, 1991).
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.83

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions