Notes
-
[1]
C’est-à-dire dont le management assure sa capacité à produire les classes de produits achetées par Atero, sans que leur faisabilité industrielle n’ait pour autant été démontrée.
1 Le caractère stratégique des relations client-fournisseur n’est plus à démontrer puisque dans la plupart des industries 60 % à 80 % de la valeur ajoutée vient des fournisseurs (Bovet et al., 2004). La Revue française de gestion confirme cette importance en étudiant récemment les enjeux d’une gestion des achats globalisée et la complexité du pilotage de ces relations interorganisationnelles (Bair, 2010 ; Bichon et al., 2010 ; Calvi et al., 2010 ; Nollet et Tchokogué, 2010 ; Poissonnier, 2010). Mais comment s’articulent ces réseaux d’entreprises à partir du choix d’un fournisseur ? Quels dispositifs, ressources et compétences ces choix impliquent-ils ?
2 Pour répondre à ces interrogations, il convient d’étudier les modalités de la sélection d’un fournisseur. En effet le choix d’un fournisseur n’est pas qu’une décision. Il s’agit d’un ensemble de procédures et de dispositifs animés par les services de l’entreprise cliente – les outils de segmentation achats – pour décider d’un partenaire dans une coopération interorganisationnelle.
3 En consistant en une intendance organisationnelle développée, l’animation de ces dispositifs de segmentation n’a en conséquence rien d’évident. Pour déterminer le choix satisfaisant d’un fournisseur, il faut que l’entreprise cliente parvienne à mettre en œuvre ces outils de segmentation pour décider de ce qu’elle fait ou fait faire. Mais comme le soulignent Bichon et al. (2010), elle doit aussi pouvoir juger des capacités à conserver ou à déléguer à travers le temps, compte tenu des contraintes que lui imposent les particularités de sa structure et de son histoire.
4 Du choix d’un fournisseur, l’allocation des ressources et compétences de l’entreprise dépend donc doublement. D’une part, cette décision détermine à travers le temps les ressources et compétences à mobiliser au service de son activité. D’autre part, la mise en œuvre des dispositifs de segmentation suppose aussi l’implication des acteurs achats et des experts industriels capables d’apprécier l’intérêt durable du choix d’un partenaire. Ces deux dimensions lient ainsi les dispositifs de segmentation achats au concept de capacités dynamiques.
5 Vergne et Durand (2011) dans le sillage d’Eisenhardt et Martin (2000) définissent les capacités dynamiques comme les différents mécanismes permettant à une entreprise de modeler à travers le temps ses compétences internes et externes, malgré les rigidités que lui impose sa structure. Pour Schreyögg et Kliesch-Eberl (2007) à la suite de Teece et al. (1997) ou Helfat et al. (2007), le concept de capacités dynamiques renvoie ainsi aux mécanismes permettant de reconfigurer en permanence les ressources de l’entreprise pour faire face à un environnement changeant. En permettant à une entreprise de modeler le périmètre de ses ressources et compétences à travers le temps, les dispositifs de segmentation achats consistent a priori en des leviers permettant à une entreprise de disposer de suffisamment de flexibilité pour affronter les variations de son environnement.
6 Or la littérature en stratégie se focalise sur les processus de segmentation achats sans s’intéresser à ces capacités décisives. Depuis l’article fondateur de Kraljic (1983) jusqu’aux derniers développements de la Strategic Purchasing Orientation (SPO) (Lawson et al., 2009), ces travaux proposent des matrices de décision à destination du management de l’entreprise. Pourtant Gelderman et Van Weele (2003) soulignent qu’elles semblent continûment manquer leur objectif en s’affirmant trop statiques et difficiles à mettre en œuvre pour permettre le choix satisfaisant d’un fournisseur. La littérature en stratégie semble en définitive sous-estimer l’importance des dispositifs de segmentation achats. Elle paraît ne jamais les lier à l’allocation dynamique des ressources et compétences d’une entreprise, alors même que la difficulté du choix d’un fournisseur s’explique de façon décisive par cette liaison.
7 Ce paradoxe nous invite donc à étudier plus précisément les dispositifs de segmentation achats à la lueur du concept de capacités dynamiques pour nous demander : comment les dispositifs de segmentation achats peuvent-ils être utilisés de manière à participer au développement de capacités dynamiques ?
8 Pour répondre à cette question, la présente contribution s’appuie sur une étude de cas comparative de deux entreprises du secteur aéronautique. À travers celle-ci nous montrons que la mise en œuvre de dispositifs de segmentation achats peut être la source de capacités dynamiques si l’analyse des caractéristiques du produit échangé est au cœur de cette instrumentation de gestion.
I – Promesses et inconnues de la segmentation achats dans le choix d’un fournisseur
1. Des matrices stratégiques soutenant une perception statique et transactionnelle de la relation client-fournisseur
9 Kraljic (1983) introduit sa matrice de segmentation achats, premier outil de la SPO, en promettant de fournir en contexte d’incertitude un « pragmatic advice on how top management can recognize the extent of its own supply weakness and treat it with a comprehensive strategy to manage supply » (Kraljic, 1983, p. 109). Ce modèle connaît un véritable succès tant en inspirant la littérature académique (Drake et al., 2013), qu’en se répandant largement à travers les organisations pour le pilotage des processus achats (Padhi et al., 2012).
10 La démarche préconisée par Kraljic (1983) consiste en quatre temps successifs permettant la construction d’une matrice de décision à destination du top management de l’entreprise. La première consiste dans le diagnostic de l’importance stratégique des produits à acheter, à travers la formalisation de leur contribution aux bénéfices financiers de l’entreprise comme aux risques supportés, à un instant donné. Il convient ainsi d’analyser l’achat d’un produit au regard d’un critère de profitabilité, puis de ramener ces informations aux risques auxquels l’externalisation du produit expose l’entreprise. L’enjeu est de mettre en évidence la disponibilité et le nombre de sources capables de fabriquer le produit pour évaluer l’opportunité d’une opération de make-or-buy, sans néanmoins formaliser les ressources et compétences à mobiliser à travers le temps pour soutenir une coopération industrielle.
11 Une fois cette première analyse réalisée, la démarche prévoit de hiérarchiser les fournisseurs potentiels de l’entreprise en fonction de leurs caractéristiques économiques. Enfin, la confrontation de ces deux diagnostics permet de positionner le produit à acheter sur une matrice de décision (Kraljic, 1983, p. 111) comme dans la figure 1.
12 À chacune des catégories de la matrice est associée une prescription stratégique (« diversifier », « automatiser les processus », etc.) sans néanmoins que les modalités précises de la mise en œuvre de ces outils dans l’organisation soient évoquées. La littérature en stratégie n’explicite guère s’il convient de charger les services achats du déploiement de cette instrumentation. De façon surprenante, elle n’envisage pas que les expertises des divisions opérationnelles de l’organisation soient d’un intérêt pour juger du choix d’un fournisseur.
Une matrice de segmentation achats extraite de Kraljic (1983)
Materials management Supply management
Possibilité de substitution Disponibilité essentielle
Grand nombre de fournisseurs Technologie décisive
… Peu de fournisseurs
Impact sur le profit
…
Exploiter le pouvoir d’achat Diversifier, collaborer
Purchasing management Sourcing management
Produits de base Spécifications particulières
Grand nombre de fournisseurs Difficulté de substitution
… Peu de fournisseurs
…
Automatisation des processus Inventaire de sûreté
-
- Risque +
Une matrice de segmentation achats extraite de Kraljic (1983)
13 Au terme de la démarche proposée par Kraljic (1983), le choix d’un fournisseur correspond à un arbitrage statique entre différentes options d’allocation. Il n’apparaît jamais comme un levier pour piloter à travers le temps les ressources et compétences de l’entreprise et réduit la mise en œuvre des dispositifs de segmentation achats à l’opération d’une intendance automatique. Plutôt que de chercher à expliciter comment mobiliser les expertises de l’organisation pour éclairer le choix d’un fournisseur, en précisant par exemple s’il incombe aux services achats ou à d’autres acteurs de déployer ces dispositifs ; la littérature en stratégie se consacre essentiellement à proposer des indicateurs toujours plus sophistiqués capables de réduire toute coopération industrielle, quelles que soient ses spécificités et complexités, à un nombre synthétique de variables à prendre en compte. Des recherches s’attèlent ainsi à développer et à préciser les critères de profitabilité et de risque retenus pour la construction de matrices de décision (Olsen et Ellram, 1997 ; Kaufman et al., 2000). Tandis que d’autres travaux s’attachent à replacer la relation client-fournisseur au cœur des outils de segmentation achats (Krapfel et al., 1991 ; Svensson, 2004).
14 Au gré de ces sophistications, les processus de segmentation achats apparaissent comme l’analyse seulement transactionnelle de l’achat à un instant donné. En réduisant la mise en œuvre des dispositifs de segmentation à une intendance automatique, chacune de ces approches tend à négliger l’influence des caractéristiques du produit échangé sur la performance des processus achats, pour finalement oublier les ressources et compétences requises par l’animation d’une coopération industrielle interorganisationnelle.
2. Comment lier la mise en œuvre des outils de segmentation achats aux capacités dynamiques de l’entreprise ?
15 Cette sophistication permanente des matrices stratégiques de segmentation achats semble donc aboutir à un paradoxe. Si les modalités de leur construction sont toujours plus développées, le choix d’un fournisseur n’apparaît pas comme un ensemble de mécanismes par lesquels une entreprise peut modeler ses ressources et compétences. La mise en œuvre des dispositifs de segmentation achats n’est ainsi jamais appréciée au regard des expertises que son animation requiert dans l’organisation.
16 En s’appuyant sur Day (1986), Gelderman et Van Weele (2003) éclairent partiellement cette difficulté en soulignant l’absence de recherches spécifiquement dédiées au pilotage de ces dispositifs. Il reste ainsi difficile de déterminer si ces outils de segmentation sont suffisamment sophistiqués pour décrire en des termes éclairants les décisions d’achat et d’externalisation (Dubois et Pedersen, 2002) ; ou si au contraire, leur sophistication continuelle ne devient pas excessive pour se traduire en un pilotage des processus achats efficace sur le terrain (Nellore et Söderquist, 2000).
17 Avec les matrices de la SPO, l’analyse du choix d’un fournisseur ignore donc les conditions opérationnelles et les mécanismes organisationnels qui déterminent la pertinence de ce type de décision. Par exemple, les « Active players » qu’identifie Larson (1992) au cœur de relations interorganisationnelles sont complètement absents des diagnostics stratégiques inspirés de Kraljic (1983). Au cœur de cette difficulté s’inscrit la relégation au second plan des ressources et compétences capables de soutenir une coopération industrielle interorganisationnelle, selon les spécificités du produit échangé.
18 En réduisant l’externalisation à une pure décision stratégique, les modèles de la SPO sous-estiment en effet l’importance des caractéristiques du produit échangé. Or ce sont les spécificités économiques et techniques d’un produit, par les capacités et compétences que sa fabrication suppose ou exige à travers le temps, qui incarnent les moyens de distinguer des compétences, des capacités ou communautés d’intérêts plus ou moins formelles chez des fournisseurs potentiels. Réintégrer les caractéristiques du produit au cœur du choix d’un fournisseur conduit alors mécaniquement à lier les dispositifs de segmentation achats au concept de capacités dynamiques.
19 Comme nous le développions, le choix d’un fournisseur détermine à travers le temps les ressources et compétences mobilisées au service de l’activité de l’entreprise. Dans le même temps, le déploiement de dispositifs de segmentation suppose l’implication des acteurs et expertises de l’organisation. De cette mise en œuvre dépend la capacité de l’entreprise à conserver ses ressources et compétences déterminantes voire distinctives, tout en s’appuyant sur la flexibilité que lui procure le transfert ou l’externalisation d’une partie de ses ressources à travers le choix d’un fournisseur.
20 Selon une perspective plus directement opérationnelle, l’analyse des caractéristiques des produits achetés peut ainsi permettre en principe à l’entreprise cliente de formaliser les routines, apprentissages et procédures à développer, tant chez le fournisseur qu’au sein de sa propre structure, pour permettre l’industrialisation des produits achetés. Les spécificités des produits modèlent ainsi les routines accumulées par l’entreprise cliente tout au long de son histoire en modifiant le périmètre de ses activités. Or ces routines correspondent à l’une des définitions les plus opératoires du concept de capacités dynamiques (Dosi et al., 2000 ; Winter, 2000 ; Winter, 2003) comme le suggèrent Vergne et Durand (2011, p. 367). Analyser les caractéristiques d’un produit pour déterminer le choix d’un fournisseur, c’est pour l’entreprise modeler par le jeu de ces routines et processus de segmentation achats, ses compétences internes et externes pour appréhender l’incertitude de son environnement (Teece et al., 1997, p. 516).
21 Il est donc possible de dépasser la focalisation des matrices stratégiques de la SPO inspirées de Kraljic (1983), pour discerner un levier dans le choix d’un fournisseur permettant à l’entreprise cliente d’ajuster en permanence le périmètre de ses ressources et compétences.
22 L’animation des dispositifs de segmentation devient alors décisive. L’animation des processus achats doit permettre de faire des mécanismes de segmentation les moyens de piloter les changements dans la base de ressources et compétences de l’entreprise, c’est-à-dire être source de capacités dynamiques (Helfat et al., 2007 ; Vergne et Durand, 2011, 366). Par la mise en œuvre de ces outils, l’entreprise cliente dispose ainsi d’un moyen d’atténuer les rigidités de sa structure en dynamisant par ses biais « radicalement » ses ressources et compétences pour reprendre le mot de Schreyögg et Kliesch-Eberl (2007, p. 919). Comment ? En reposant par exemple sur l’identification des triggers qu’évoquent Hochet et De Jaegere (2010), amorçant les routines capables d’adapter l’entreprise aux variations de son environnement (Dosi et al., 2000 ; Winter, 2000, 2003), celle-ci peut allouer précisément ses différentes expertises à ces coopérations interorganisationnelles selon la complexité industrielle des produits à acheter.
Méthodologie
Le choix du secteur aéronautique a été dicté par le fait que les relations client-fournisseur y sont particulièrement stratégiques (Donada et al., 2012) et les matrices de segmentation achats de la SPO communément déployées. Ce secteur constitue donc une opportunité unique d’étudier les conditions du pilotage des relations interorganisationnelles, et d’observer comment les dispositifs de segmentation achats peuvent être sources de capacités dynamiques. Les données empiriques ont été collectées au travers d’une observation participante de 2 années au total en tant que chargé de mission à la direction industrielle dans ces entreprises et de 17 entretiens semi-directifs : 12 cadres des 2 entreprises et 5 fournisseurs. La tenue d’un journal d’observations, la collecte et l’analyse des documents d’entreprise internes ou externes – méthodologies et procédures – ont permis de rassembler un matériau riche sur les pratiques de segmentation achats dans ces deux grandes entreprises multinationales. Par ce positionnement, il fut possible de développer une intelligence de contexte, de s’imprégner du langage des acteurs de la segmentation. Toutes les données recueillies ont enfin été analysées selon la méthode préconisée par Miles et Huberman (1991).
23 Déployer des outils de segmentation achats c’est donc faire de ces dispositifs, à partir de l’analyse du produit échangé et des fournisseurs retenus, les déclencheurs de capacités dynamiques (Teece et al., 1997 ; Eisenhardt et Martin, 2000 ; Winter 2003 ; Helfat et al., 2007).
24 Afin de lier le développement de capacités dynamiques dans le pilotage des relations client-fournisseur aux outils de segmentation achats, il convient alors de scruter de façon qualitative les conditions de mise en œuvre de ces dispositifs.
II – La mise en œuvre des processus de segmentation achats, potentielle source de capacités dynamiques
25 Deux entreprises sont étudiées : Aeromotor et Atero (voir encadré ci-dessous).
26 Même si l’analyse complète des deux cas Atero et Aeromotor laisse apparaître une réalité nuancée, le degré de prise en compte des spécificités du produit échangé dans les pratiques observées de segmentation achats distingue la capacité de ces dispositifs à être sources de capacités dynamiques.
Caractéristiques des deux entreprises étudiées
Leader mondial dans la fabrication de turbines surtout pour l’aviation civile, et d’une vaste gamme de produits sophistiqués pour les secteurs civil et militaire. Le carnet de commandes actuel projette un doublement des revenus sur les 10 ans à venir. À ce jour l’entreprise compte plus de 38000 employés et des usines dans près de 50 pays.
Atero (France)
Leader mondial de fonctions critiques pour aéronefs. Depuis la conception et la fabrication jusqu’à la maintenance et la réparation, Atero est partenaire d’une trentaine d’avionneurs dans les domaines du transport civil, régional et d’affaires et dans le domaine militaire. La société assure le support de 22000 avions et compte près de 6500 collaborateurs en Europe, Amérique du Nord et Asie.
1. Des outils de segmentation peu focalisés sur le produit échangé et donc difficilement liés aux ressources et compétences de l’entreprise : le cas Atero
27 Atero, un leader mondial de l’aéronautique, collabore depuis plusieurs années avec Sake un acteur industriel majeur de l’aéronautique au Japon. Les termes de leur collaboration prévoient la fourniture d’applications clés sur des avions Airbus et Bombardier, valorisées entre $15 K et $59 K, et ayant supposé chez Sake un effort initial d’industrialisation conséquent. Au mois de mai 2011, sans clairement stipuler ses motivations, le management de Sake réclame une augmentation substantielle de ses prix sur ces composants afin de compenser la complexité industrielle de leur fabrication. Face à cette difficulté, Sake et Atero s’accordent sur les dispositions suivantes : Atero dispose d’une année afin de recourir à d’autres fournisseurs, mais s’engage aussi à accepter une augmentation de 20 % des prix pratiqués par Sake une fois ce délai passé.
28 Confrontés à cet ultimatum de Sake, les dirigeants des principales fonctions d’Atero réunissent les directeurs achats (M. Lebon), production, programme, ventes ainsi que le directeur général d’Atero, afin d’entériner la démarche à adopter. Malgré l’opposition de la direction industrielle soucieuse de la continuité de l’exploitation et les services achats focalisés sur la réduction des coûts d’approvisionnement, ces derniers obtiennent rapidement l’accord de la direction générale. En se concentrant uniquement sur la dimension économique de la collaboration – le rapport prix et coût global de ces achats – le directeur général d’Atero décide d’acter la recherche de fournisseurs alternatifs sans laisser aucune chance à l’offre d’augmentation de 20 % des prix de Sake.
29 Les équipes achats sont chargées d’animer ce changement de source en déployant les outils de segmentation achats. Leur mise en œuvre s’appuie sur des outils développés en interne, dont l’exploitation s’articule en deux étapes successives reprenant la trame des recommandations de la SPO.
30 Les achats commencent par caractériser l’importance économique des produits échangés, au moyen d’indicateurs de profitabilité et de risque semblables à ceux de Kraljic (1983). Le coût global des composants achetés jusqu’à présent à Sake est ainsi défini uniquement sur la base d’un coût transactionnel, c’est-à-dire exclusivement à partir d’un prix de référence devenu pourtant inaccessible – le prix Sake avant l’augmentation promise de 20 % – comparé à la part de ces composants dans la valeur créée par Atero. Cette étape se révèle ainsi doublement décisive. D’une part, elle exclut définitivement la nouvelle offre de Sake des diagnostics formulés par les outils de segmentation achats. D’autre part, elle tend à transformer une augmentation subie des prix d’achat en une opportunité de diminution du coût de l’approvisionnement pour Atero. Ce renversement surprenant n’est alors pas motivé par la dimension industrielle de ces achats, mais davantage par les objectifs de performance de la direction achats, calculée exclusivement à partir de sa capacité à réduire le coût transactionnel de l’approvisionnement.
31 Une fois cette première étape rapidement accomplie, la majeure partie des efforts des services achats d’Atero se consacre à la seconde partie du processus de segmentation. Cette dernière consiste en la réalisation de scores détaillés, en analyses successives des caractéristiques des fournisseurs potentiels, afin de hiérarchiser les alternatives possibles à Sake. Les équipes achats énumèrent ainsi l’ensemble des fournisseurs susceptibles d’être des recours à Sake et ne retiennent finalement que ceux capables a priori [1] de produire les classes de produits à acheter.
32 Hiérarchiser les fournisseurs potentiels retenus au moyen de scores se révèle alors une véritable difficulté pour les équipes achats d’Atero. En effet, comment déterminer avec une précision satisfaisante un classement des capacités techniques et industrielles des fournisseurs potentiels ? À la grande surprise du management d’Atero, l’industrialisation de ces composants ne consiste pas uniquement dans le choix du « bon » fournisseur, mais s’affirme comme un appariement entre les ressources et compétences de l’organisation, et celles d’un fournisseur potentiel. Concentrées sur le coût purement transactionnel des composants à acheter, les équipes achats d’Atero s’aperçoivent à ce moment qu’elles ne disposent pas des compétences expertes requises par la construction et l’exploitation de tous ces scores.
33 M. Lebon, le directeur des achats d’Atero, s’appuie alors sur les recommandations de V+, un cabinet de conseil en stratégie achats de notoriété internationale, pour tenter de dépasser cette difficulté. Or V+ ne dispose pas de la compréhension industrielle des composants à acheter, ni même d’une connaissance approfondie du secteur aéronautique. Cependant M. Lebon connaît bien le cabinet pour avoir collaboré avec V+ avant de rejoindre Atero. Il décide donc de lui confier la responsabilité du déploiement de cette partie du processus de segmentation.
34 Une nouvelle fois à partir de solutions génériques adaptées des matrices de la SPO par le cabinet V+, les équipes achats d’Atero développent des grilles de scoring détaillées pour hiérarchiser au mieux les différents fournisseurs susceptibles de remplacer Sake.
35 Si les parties les plus descriptives de ces scoring multicritères – l’examen de la situation financière, etc. – ne retiennent pas particulièrement l’attention, il convient d’examiner avec soin leurs dimensions les plus industrielles. La capacité technique d’un fournisseur à produire les composants demandés n’est saisie qu’au moyen d’indicateurs aussi arbitraires qu’incomplets, comme l’illustrent le recours à des critères tels que le « nombre d’employés dédiés aux activités d’ingénierie » ou encore « le caractère systématique du recours au brevetage pour la gestion des technologies de production » chez le fournisseur. Arbitraires et incomplets surtout parce qu’aucun de ces critères n’a été soumis par les équipes achats aux compétences expertes des divisions industrielles d’Atero, ni mis à l’épreuve par des expertises extérieures. La manipulation de ces différents outils par les équipes d’Atero n’est également pas sans poser des difficultés quotidiennes. Les acteurs des services achats d’Atero interrogés au cours de l’observation participante, soulignent combien ces outils lourds et complexes n’aident pas nécessairement Atero à déterminer avec quel fournisseur elle gagnerait réellement à coopérer. Un des acheteurs interrogés parle même de « méthodologie livresque sur laquelle [il a] passé des heures carrées, sans qu’au final [il soit] réellement convaincu ».
36 Les notes établies par les équipes achats d’Atero avec plus ou moins de sérieux et d’implication du fait des difficultés de construction évoquées, ne permettent ainsi pas réellement d’apprécier la capacité d’un fournisseur à assurer le service attendu par Atero. Pourtant les équipes achats ne cessent de consacrer tous leurs efforts à la production et à l’exploitation de ces outils.
2. Une perception transactionnelle de la segmentation achats difficilement capable de satisfaire les exigences d’une coopération industrielle
37 Le calcul de ces scores semble ainsi déconnecté de la réflexion sur le périmètre des ressources et compétences de l’entreprise, pourtant décisif pour le choix d’un fournisseur. Ces dispositifs s’affirment comme une instrumentation de gestion permettant aux services achats de prendre de l’importance au détriment des divisions industrielles de l’organisation, d’imposer des décisions sans disposer des expertises nécessaires comme de la connaissance adéquate des produits échangés.
38 Les résultats de cette tentative de changement de source chez Atero illustrent ce dernier point. Deux ans plus tard, les industrialisations de la plupart des produits considérés ne sont pas terminées chez les fournisseurs alternatifs retenus. Ces derniers exigent même une augmentation substantielle de leurs prix face à la complexité de la fabrication des produits, plaçant le management d’Atero face à un ultimatum encore plus difficilement surmontable que les exigences initiales de Sake. Les outils de segmentation achats déployés ne semblent pas avoir permis aux équipes achats d’anticiper ces renversements. Atero n’a finalement pas d’autre choix pour livrer ses clients finaux que de continuer de s’approvisionner auprès de Sake en supportant l’augmentation programmée des prix d’achat de 20 %.
39 Interrogé sur l’issue de ces processus de segmentation achats, le directeur général d’Atero confie ainsi qu’« à vouloir mettre l’accent sur la seule performance achats transactionnelle à un instant T, il semble que l’on se mette dans des situations délicates et loin de rapporter… Le jour où l’on comptabilisera les coûts d’acquisition complets et que l’on cessera d’oublier le rationnel à l’origine d’une décision de transferts ou d’externalisation, alors notre gestion des interfaces externes sera plus efficace et constituera un véritable avantage compétitif. La dimension produit est clé, elle ne devrait pas être négligée… Mais comment faire ? ». Réduire les relations client-fournisseur à un choix purement transactionnel se heurte donc bien à une difficulté fondamentale : la difficile allocation des ressources et compétences de l’organisation pour le pilotage des processus achats. Dès lors, comme le suggère le directeur général d’Atero, le produit échangé par ses spécificités et caractéristiques apparait comme un point d’ancrage pour faire des outils de segmentation achats les sources de capacités dynamiques.
3. Des dispositifs sources de capacités dynamiques par la prise en compte de la complexité du produit échangé : le cas Aeromotor
40 Après avoir connu dans son histoire récente des difficultés similaires à celles éprouvées par Atero pour le déploiement d’outils de segmentation achats, Aeromotor s’est efforcée de développer une approche plus multidimensionnelle dans la sélection d’un fournisseur. Déçu par différents échecs dans la gestion et le pilotage stratégique de ses fournisseurs, M. Seneth le PDG d’Aeromotor décide de revoir complètement les termes de la mise en œuvre des outils de pilotage des achats de l’entreprise. À l’interface des départements achats et production, il crée ainsi en 2008 le poste de « Directeur de la stratégie industrielle ». Ses prérogatives sont : « Adapter le “Faire ou acheter” et améliorer le processus global de maîtrise de la chaîne de fournisseurs ». Conçu comme un animateur de la stratégie industrielle de l’entreprise, ce nouveau directeur est supervisé hiérarchiquement par le directeur industriel d’Aeromotor (M. Gigo) et dirigé fonctionnellement par le directeur des achats (M. Kado). Concrètement, son rôle est de faire en sorte que des comités industriels mêlant les différentes expertises de l’organisation se réunissent tous les mois. Afin de crédibiliser cette démarche, chacun des comités industriels est présidé par M. Seneth et doit obligatoirement enregistrer la présence des autres membres du comité de direction d’Aeromotor. Chaque projet discuté est mis sous la responsabilité directe d’un des membres du comité. Des équipes multifonctionnelles (achats, qualité, fabrication, engineering et programmes) sont également impliquées en amont pour éclairer les discussions du comité, puis leur donner forme.
41 Cette organisation originale est censée permettre la mobilisation des compétences expertes capables de produire et d’exploiter les outils de segmentation achats. Elle permet également de réunir tous les outils et acteurs des processus de segmentation achats autour d’une même dynamique. Elle dote ainsi l’organisation d’un moyen de réallouer en permanence les ressources – compétences et acteurs – pour la génération de nouvelles compétences et avantages dans le pilotage d’opérations d’externalisation. Elle permet donc en suivant par exemple Eisenhardt et Martin (2000) de découvrir une source de capacités dynamiques dans la gestion des relations client-fournisseur. Afin d’expliciter ce dernier point, il convient de détailler à présent la démarche suivie par Aeromotor pour juger de l’opportunité d’une externalisation ou gérer ses relations avec ses fournisseurs. Cette démarche s’articule toujours en trois temps distincts s’ancrant dans un ensemble structuré de routines (Dosi et al., 2000 ; Winter 2000, 2003) s’identifiant à la trajectoire de l’organisation. Une analyse « Faire ou Acheter » par le comité industriel est exigée avant toute prise de décision par la direction générale. Les équipes multifonctionnelles décrites précédemment sont alors obligatoirement mobilisées afin de proposer un diagnostic de la pertinence des différentes options se présentant. L’objectif de cette étape est d’expliciter les caractéristiques techniques et les enjeux de fabricabilité des produits achetés concernés, c’est-à-dire de formaliser les expertises et compétences internes requises pour juger du choix d’un fournisseur. Le produit à fabriquer ou à acheter est positionné sur la matrice donnée dans la figure 2 ci-après.
42 Chacun des axes de la matrice permet ainsi de dépasser la seule prise en compte des dimensions économiques de la transaction, pour permettre à l’entreprise de visualiser les ressources internes à mobiliser et donc de piloter le périmètre des ressources nécessaires à son activité.
43 Derrière le critère « Criticality » se retrouvent ainsi des éléments d’évaluation élaborés par les équipes multifonctionnelles. L’objectif est d’apprécier les enjeux de fabricabilité des produits concernés à la lueur des expertises industrielles de l’entreprise. Derrière le critère « Compétitivité » existe une autre échelle analysant cette fois les forces et faiblesses d’Aeromotor au regard des standards du secteur sur des questions industrielles – qualité, livraison, cycles de fabrication et de technologies, i.e. le positionnement externe que Schreyögg et Kliesch-Eberl (2007, p. 921) placent au cœur de la réflexion de Teece et al. (1997, p. 515) – autant que relativement à la dynamique de la relation client-fournisseur. La compétitivité n’est alors plus la seule prise en compte du coût de l’approvisionnement mais correspond en définitive à l’évaluation des différentes capacités supposées par l’externalisation ou par la production en interne des fournitures requises. Enfin, le troisième axe est consacré à l’analyse du couple « charge-capacité » de production pour Aeromotor, c’est-à-dire indirectement à l’évaluation de la rentabilité et de la performance des actifs industriels. Ce dernier critère démontre ainsi l’intérêt des analyses transactionnelles des matrices de la SPO lorsqu’elles sont considérées comme une dimension du choix multicritère d’un partenaire.
Le produit, un enjeu de fabricabilité multidimensionnel chez Aeromotor
Contrôler
Offre concurrentielle Faire
6
systématique Concentrer
+
5
Contrôler Faire
Compétitivité
Offre concurrentielle Investir
(Criteria)
+ -+
Capacité/Charge
4
Acheter Protéger
Sources occidentales Approvisionnement
3 et pays à bas coûts sans risque
2 Acheter Protéger
-
Pays à bas coûts Productivité
imposés
1
123456 7
« Criticality »
-
+
(Criteria)
Le produit, un enjeu de fabricabilité multidimensionnel chez Aeromotor
4. Des processus achats sources de capacités dynamiques chez Aeromotor
44 La constitution d’une structure multifonctionnelle supervisée par le nouveau directeur de la stratégie industrielle, permet à Aeromotor une confrontation effective de ses différentes expertises et compétences par le biais du produit. Chacune des positions de la matrice de décision précédente – faire, protéger, contrôler, acheter – est ainsi éclairée par des évaluations multicritères des compétences et des moyens mobilisables ou à développer au sein d’Aeromotor. Les outils de segmentation achats se trouvent de ce fait au cœur des décisions structurantes de l’organisation comme un moyen d’allouer les ressources et compétences de l’entreprise. Faire du produit un objet multidimensionnel permet également de répondre à l’absence de prise en compte de la dynamique de la relation client-fournisseur des matrices de la SPO, à travers la deuxième étape de la démarche imaginée par Aeromotor.
45 Si le comité industriel décide par exemple de confier la fabrication des produits requis à des fournisseurs externes, la même équipe multifonctionnelle est mobilisée pour explorer la crédibilité de sources alternatives. Dans une situation comme celle opposant Sake et Atero, les mêmes ingénieurs produits et méthodes ayant conclu au rejet de la solution Sake, doivent se prononcer et s’engager sur la robustesse des sources alternatives envisagées. Il est ainsi impossible pour les équipes achats de s’activer seules à la construction d’un panel de fournisseurs alternatifs. Chez Aeromotor, l’entreprise est davantage attentive au pilotage de la dynamique de la relation client-fournisseur, tant l’équipe associée à un projet incarne continûment l’interlocuteur du comité industriel de l’entreprise, mais aussi celui des fournisseurs potentiels. En faisant du produit un point d’ancrage multidimensionnel mobilisant ces différentes expertises, les Active Players au sens de Larson (1992) se retrouvent au cœur des processus de segmentation. Les chefs de projet et membres des équipes multifonctionnelles créées s’affirment en effet comme de véritables entrepreneurs, flexibles, pragmatiques, placés dans la nécessité de coordonner les différents temps des processus de segmentation achats et de réconcilier leurs acteurs.
Différents déclencheurs à vérifier pour piloter les processus de segmentation achats
Caractéristique évaluée | Question – déclencheur | Réponse | Avis justifié & actions |
1) Activité | Est-ce que l’activité transférée et le savoir-faire associé sont suffisamment documentés ? | O/N | … |
Est-ce que la gestion du design et de la configuration du produit est transférée ? | O/N | N/A | |
2) Produit & technologie | Le produit est-il assez mature pour un transfert ? | O/N | … |
Est-ce que le produit et le design associé sont complexes ? | O/N | … | |
3) Fabricabilité | La nouvelle source a-t-elle récemment démontré ses compétences dans ce type de fabrication ? | O/N | … |
Le procédé de fabrication sera-t-il modifié à l’issue du transfert (du fait d’outillages et d’équipements différents) ? | O/N |
Différents déclencheurs à vérifier pour piloter les processus de segmentation achats
46 Une fois le diagnostic des fournisseurs potentiels réalisé par l’équipe multifonctionnelle, ses recommandations sont soumises par le chef de projet de l’équipe aux membres du comité industriel. Le comité industriel doit à son tour statuer sur la solution préconisée par l’équipe multifonctionnelle. Différents déclencheurs à vérifier pour le pilotage des processus de segmentation achats sont alors mis en évidence à travers des outils tel celui détaillé dans le tableau 1.
47 Chacune de ces questions a pour but explicite de mettre en évidence des triggers (Hochet et De Jaegere, 2010), c’est-à-dire des éléments qui considérés isolément semblent dénués d’importance dans les processus achats, mais dont l’identification est pourtant le moyen de piloter sa stratégie d’externalisation. Chacune des réponses apportées à ces questions est ainsi en mesure d’agir comme un déclencheur, permettant à l’organisation d’évaluer avec précision les opportunités mais aussi les risques attenants au choix d’un fournisseur. À l’issue de ces travaux, la dernière étape de la démarche déployée par Aeromotor exige de l’équipe multifonctionnelle en charge du projet ainsi que du département finance, qu’ils réalisent une simulation du bon déroulement et de la rentabilité du transfert d’activités souhaité. Chacun des directeurs du comité industriel doit alors apporter à la lueur de la simulation réalisée sa validation finale et s’engager ainsi pour l’option retenue.
48 Même s’il suppose que l’entreprise y consacre des ressources importantes, ce type de comité industriel s’affirme comme un recours fondamental pour le pilotage stratégique des relations client-fournisseur. En plus de saisir le coût purement économique du recours à un fournisseur, il permet de mettre en évidence ces triggers plus ou moins nombreux, liés aux contraintes du marché de l’achat et aux acteurs clés de l’achat ; de hiérarchiser de façon pragmatique la multiplicité des alternatives par la prise en compte des spécificités de l’industrialisation des produits achetés et des capacités dynamiques qu’elle requiert.
Conclusion et discussion
49 La contribution de cette recherche est double. Elle montre tout d’abord comment des dispositifs de pilotage des relations client-fournisseur peuvent être sources de capacités dynamiques pour les organisations. Elle propose également une étude originale de la mise en œuvre des outils de segmentation achats et fournit une opérationnalisation du concept de capacités dynamiques dans des coopérations industrielles. Elle permet également d’approfondir l’étude des coopérations industrielles interorganisationnelles en suggérant de se focaliser sur leurs dispositifs de gestion. Si la littérature en stratégie se concentre sur une lecture exclusivement décisionnelle de la relation client-fournisseur, nous montrons qu’une analyse plus opérationnelle focalisée sur les ressources et compétences à mobiliser pour débuter puis soutenir une coopération, peuvent rapprocher les propositions académiques des besoins de pilotage des entreprises.
50 L’étude comparative des cas Atero et Aeromotor suggère en effet de reformuler les matrices de décision inspirées de Kraljic (1983) à la lueur du concept de capacités dynamiques. La figure 3 suivante reprend les configurations types de la SPO présentées en figure 1, en adaptant cette fois l’approche retenue par Aeromotor pour faire des dispositifs de segmentation les sources de capacités dynamiques (Teece et al., 1997 ; Eisenhardt et Martin, 2000). Aux indicateurs de profitabilité et de risque de la SPO sont substitués la prise en compte initiale de la complexité technique du produit et du degré requis d’implication des acteurs de la coopération, en plus des caractéristiques des fournisseurs potentiels.
Le processus de sélection et de gestion d’un fournisseur à partir du produit échangé et des compétences à mobiliser
Materials management Sourcing management Supply management
+ Possibilité de Disponibilité essentielle Disponibilité essentielle
substitution Technologie mature Technologie décisive
Grand nombre de Peu de fournisseurs Difficulté de
fournisseurs… substitution et marché
… complexe
Relations acheteur-…
Relations ne nécessitant vendeur avec des
pas de transferts de transferts de ressources Les activités des
ressources significatifs de l’un à l’autre, parties prenantes
compte tenu du savoir- nécessitant un niveau sont des données
Criticité du marché fournisseurs
faire fournisseur de élevé de coordination d’entrées nécessaire
surcroît en position projet et commerciale, et indispensables pour
de domination compte tenu de les activités propres à
(monopole…), mais conditions de marché chacune des parties. Les
aussi du faible niveau de fournisseurs complexes conditions du marché
préoccupations liées au (monopole, brevets, prix d’achats sont complexes
produit (statu quo) élevés…). (monopose, coopétition,
prix élevés…)
Purchasing management Tactical management Perspective management
Produits de base Mix de produits de Spécifications produits
Nombre élevé de base et de produits particulières
fournisseurs capables aux spécifications Difficulté de
… particulières substitution
Difficulté substitution…
Contribution discrète Nombre élevé de
envers ou tirée d’un fournisseurs capables Relations acheteur
pool commun du fait… vendeur avec des
d’un faible besoin de transferts de ressources
coordination. Relations acheteur- de l’un à l’autre,
Échanges purement vendeur purement nécessitant un niveau
transactionnels. opportunistes, élevé de coordination
caractérisées par une projet et industrielle de
volumétrie des échanges la part du prescripteur,
transactionnels élevée. mais dont la tâche est
néanmoins facilité par
un marché fournisseur
non complexe.
-
- + ++
Complexité technique du produit
Le processus de sélection et de gestion d’un fournisseur à partir du produit échangé et des compétences à mobiliser
51 Les quatre configurations types de coopérations industrielles de Kraljic (1983) présentées en figure 1 se trouvent reformulées en termes opérationnels, dynamiques et plus susceptibles d’éclairer le management de l’entreprise sur les leviers à sa disposition pour piloter la sélection et la gestion de ses fournisseurs. La criticité de l’implication d’acteurs et de la prise en compte du produit, se trouve renforcée dans les situations « sourcing management » et « supply management » très étudiées par la SPO. Mais la figure 3 montre également combien même en l’absence de criticité du marché des fournisseurs, c’est-à-dire de la présence d’une multiplicité de fournisseurs, l’animation d’une coopération industrielle repose sur une diversité de situations, et non uniquement sur les achats non critiques que Kraljic (1983) et la SPO nomment le « purchasing management ».
52 Les prises en compte de la complexité industrielle des produits échangés et du degré requis d’implication des acteurs pour animer une coopération industrielle, à travers la comparaison des cas Atero et Aeromotor, suggèrent l’existence de deux configurations non étudiées par la littérature : les « tactical management » et « prescriptive management » de la figure 3. Ces deux situations soulignent l’importance de prendre en compte les caractéristiques des produits échangés, même lorsque la présence d’une multiplicité de fournisseurs tend à faire du choix d’un fournisseur une décision seulement basée sur la compétitivité prix.
53 Le cas « tactical management » désigne ainsi une relation opportuniste entre acheteur et vendeur, caractérisée par une volumétrie élevée des échanges, un mix de produits de base et de spécifications particulières, ainsi que des fournisseurs capables abondants. L’enjeu pour l’entreprise n’est alors pas dans cette situation d’analyser son environnement au moyen des outils de la SPO, ni de chercher exclusivement les prix d’achat les plus faibles, mais d’être en mesure de trouver un équilibre dans l’allocation des ressources et compétences qu’elle consacre à la coopération, selon la complexité technique relative des produits échangés. La situation « prescriptive management » décrit quant à elle une relation où du fait de l’extrême complexité technique du produit, des transferts de ressources importants de client à fournisseur sont exigés, alors qu’avec les matrices de la SPO seule la compétitivité prix des fournisseurs serait évaluée. Une fois encore, l’analyse de la décision d’achats, la mise en œuvre des dispositifs de segmentation et le pilotage de la coopération interorganisationnelle dépendent avant tout de l’implication d’active players et du correct diagnostic de la complexité industrielle du produit échangé. Ces deux situations illustrent en définitive combien la soutenabilité de coopérations industrielles dépend du développement de capacités dynamiques, c’est-à-dire de l’allocation des ressources et compétences de l’entreprise cliente et de son fournisseur, dont les dispositifs de segmentation achats peuvent être les leviers déterminants à la disposition du management pour le pilotage des coopérations industrielles et interorganisationnelles.
Bibliographie
Bibliographie
- Bair J. (2010). « Les cadres d’analyse des chaînes globales. Généalogie et discussion », Revue française de gestion, vol. 36, n° 201, p. 103-120.
- Bichon A., Merminod N. et Kamann D.-J. (2010). « Nouveaux rôles et profils de compétences chez les acheteurs. De la gestion des fournisseurs au management des clients internes », Revue française de gestion, vol. 36, n° 205, p. 139-155.
- Bovet D., Kocher-Sperger G. et Toy P. (2004). « Les enjeux stratégiques des achats », L’Expansion Management Review, p. 103-111.
- Calvi R., Paché G. et Jarniat P. (2010). « Lorsque la fonction achats devient stratégique. De l’éclairage théorique à la mise en pratique », Revue française de gestion, vol. 36, n° 205, p. 119-1 ??.
- Day G.S. (1986). Analysis for Strategic Market Decisions, Saint Paul, MN, West Publishing.
- Donada C. et Nogatchewsky G. (2006). Vassal or lord buyers : How to exert management control in asymmetric interfirm transactional relationships ?, Management Accounting Research, vol. 17, n° 3, p. 259-287.
- Donada C., Nogatchewsky G. et Nogatchewky S. (2012). Gouvernance interorganisationnelle imbriquée et stratégie orientée client, Comptabilité-Contrôle-Audit, vol. 18, n° 2, p. 7-32.
- Dosi G., Nelson R.R. et Winter S.G. (2000). The nature and dynamics of organizational capabilities, New York, Oxford University Press.
- Drake P.R., Lee D.M. et Hussain M. (2013). “The lean and agile purchasing portfolio model”, Supply Chain Management : An International Journal, vol. 18, n° 1, p. 3-20.
- Dubois A. et Pedersen A.-C. (2002). “Why relationships do not fit into purchasing portfolio models – a comparison between the portfolio and industrial newtork approaches”, European Journal of Purchasing & Supply Management, vol. 8, n° 1, p. 35-42.
- Eisenhardt K.M. et Martin J.A. (2000). Dynamic Capabilities : What Are They ?, Strategic Management Journal, vol. 21, n° 10-11, p. 1105-1121.
- Gelderman C.J. et Van Weele A.J. (2003). “Handling measurement issues and strategic directions in Kraljic’s purchasing portfolio model”, Journal of Purchasing & Supply Management, vol. 9, p. 207-216.
- Helfat C.E., Finkelstein S., Mitchell W., Peteraf M.A., Singh H., Teece D. et Winter S. (2007). Dynamic Capabilities : Understanding Strategic Change in Organizations, Malden, MA, Blackwell.
- Hochet X. et De Jaegere A.B. (2010). Triggers. Transformer l’entreprise pour prendre un temps d’avance, Paris, Odile Jacob.
- Kaufman A., Wood C.H. et Theyel G. (2000). “Collaboration and technology linkages : A strategic supplier typology”, Strategic Management Journal, vol. 21, n° 6, p. 649-663.
- Kraljic P. (1983). “Purchasing must become supply management : How managers can guard against materials disruptions by formulating a strategy for supply”, Harvard Business Review, p. 109-117.
- Krapfel R.E., Salmond D. et Sepekman R. (1991). “Strategic approach to managing buyer-seller relationship”, European Journal of Marketing, vol. 25, n° 9, p. 22-36.
- Larson A. (1992). “Network dyads in entrepreneurial settings : A study of governance of exchange relationships”, Administrative Science Quarterly, vol. 37, n° 1, p. 76-104.
- Lawson B., Cousins P.D., Handfield R.B. et Petersen K.J. (2009). “Strategic Purchasing, Supply Management Practices and Buyer Performance Improvement : An empirical study of manufacturing organisations”, International Journal of Production Research, vol. 47, n° 10, p. 2649-2667.
- Miles M.B. et Huberman M. (1991). Analyse des données qualitatives : Recueil de nouvelles méthodes, Bruxelles, De Boeck Université.
- Nellore R. et Söderquist K. (2000). “Portfolio approaches to procurement. Analysing the missing link to specifications”, Long Range Planning, vol. 33, n° 2, p. 245-267.
- Nollet J. et Tchokogué A. (2010). « Gestion des achats. Aller au-delà des tendances et paradigmes », Revue française de gestion, vol. 36, n° 205, p. 173-186.
- Olsen R.F. et Ellram L.M. (1997). “A portfolio approach to supplier relationship”, Industrial Marketing Management, vol. 26, n° 2, p. 101-113.
- Padhi S.S., Wagner S.M. et Aggarwal V. (2012). “Positioning of commodities using the Kraljic Portfolio Matrix”, Journal of Purchasing & Supply Management, vol. 18, p.1-8.
- Poissonnier H. (2010). « Globalisation des achats et contrôle interorganisationnel dans la filière THD française », Revue française de gestion, vol. 36, n° 201, p. 121-139.
- Schreyögg G. et Kliesch-Eberl M. (2007). “How dynamic can organizational capabilities be ? Towards a dual-process model of capability dynamization”, Strategic Management Journal, vol. 28, p. 913-933.
- Svensson G. (2004). “Supplier segmentation in the automotive industry : A dyadic approach of a managerial model”, International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, vol. 34, n° 1, p. 12-38.
- Teece D.J., Pisano G. et Shuen A. (1997). “Dynamic Capabilities and Strategic Management”, Strategic Management Journal, Ed. Dosi G., Nelson R.R., Winter S.G., vol. 18, n° 7, p. 509-533.
- Vergne J.-P. et Durand R. (2011). “The path of most persistence : An evolutionary perspective on path dependence and dynamic capabilities”, Organization Studies, vol. 32, n° 3, p. 365-382.
- Winter S.G. (2003). Understanding dynamic capabilities, Ed. Helfat C.E., Finkelstein S., Mitchell W., Peteraf M.A., Singh H., Teece D.J., Winter S.G., Strategic Management Journal, vol. 24, n° 10, p. 991-995.
- Winter S.G. (2000). “The satisficing principle in capability learning”, Strategic Management Journal, vol. 21, p. 981-996.
Notes
-
[1]
C’est-à-dire dont le management assure sa capacité à produire les classes de produits achetées par Atero, sans que leur faisabilité industrielle n’ait pour autant été démontrée.