Couverture de RFG_231

Article de revue

Substitution d'enseignes

Impact sur l'image de marque du distributeur

Pages 55 à 69

Notes

  • [1]
    Soumis en avril 2011 et accepté en avril 2012.

1 Même s’il est numéro un de la grande distribution en Europe et numéro deux dans le monde, le groupe Carrefour fait face à une très forte intensité concurrentielle, notamment en France où pendant plusieurs années sa part de marché n’a pas progressé (entre 2006 et 2009, source carrefour.com). Aussi, depuis 2008 sous la houlette de son directeur général José-Luis Duran puis celle de son successeur Lars Olofsson, Carrefour a mené une stratégie de capitalisation sur sa marque. C’est ainsi sous une même marque-enseigne-caution (Collin-Lachaud et al., 2012), que Carrefour a regroupé ses différents formats de magasins : Carrefour et Carrefour Planet (hypermarchés), Carrefour Market (supermarchés), Carrefour City, Carrefour Contact et Carrefour Montagne (magasins de proximité). Le groupe étend ainsi son modèle « multiformat – mono-enseignement » qui vise à conquérir de nouveaux clients et à maximiser les effets de synergie et d’économies d’échelle entre formats (notamment en termes de marques propres, de communication, de programme de fidélité, etc.). La stratégie de marque-enseigne-caution de Carrefour correspond selon les étapes du management de marque de Park et al. (1986) à l’étape finale de construction d’un concept de marque. Cette phase (fortification stage) vise à renforcer la marque-enseigne Carrefour par extension vers d’autres marques-enseignes, les différentes entités se nourrissant mutuellement. Au-delà des conséquences en termes marketing, cette stratégie de capitalisation sur le nom Carrefour a pour objectif d’accroître la valeur de cet actif intangible qu’est le capital-marque (Keller, 1993 ; Kapferer, 2009), lequel a un impact sur la création de valeur pour l’actionnaire (Kerin et Sethuraman, 1998 ; Changeur et Orsingher, 2006 ; Srinivasan et Hanssens, 2009). Le marché financier a d’ailleurs réagi favorablement à la stratégie de rationalisation du portefeuille de marques-enseignes du groupe Carrefour. Carrefour constitue une marque à part entière compte tenu de sa très forte notoriété – 63 % des consommateurs associent spontanément Carrefour à la distribution (Management, juillet-août 2008) – et de sa valorisation (9,523 milliards d’euros – hausse de 40 % par rapport à l’année précédente – selon le cabinet Interbrand, classement des marques-enseignes européennes 2009). Elle connaît une forte progression faisant d’elle la deuxième marque la plus valorisée dans le secteur de la distribution (tous types confondus) juste après H & M et devançant Ikea.

2 Parmi les enseignes du groupe Carrefour dont le nom a changé, cette recherche s’intéresse au passage des 987 supermarchés Champion sous la nouvelle enseigne Carrefour Market, entamé en juin 2008 et terminé fin 2009 (plus 3,8 % de chiffre d’affaires à magasins comparables, hors essence). Si cette stratégie de substitution d’enseignes est indubitablement créatrice de valeur pour le groupe et ses actionnaires (plus 4,8 % au premier trimestre 2010, rapport d’activité de Carrefour), qu’en est-il pour les clients de l’ex-enseigne Champion ? Cet article étudie leur perception de l’image de la nouvelle enseigne Carrefour Market et de ses attributs clés ainsi que le comportement des anciens clients Champion suite au changement d’enseigne.

3 L’article est composé de trois parties. Dans un premier temps, nous précisons le cadre théorique mobilisé notamment le concept de capital-enseigne et ses antécédents. En particulier, les associations à la marque sont analysées à travers la théorie des représentations sociales (Abric, 1994). Dans un second temps, une étude quantitative longitudinale auprès de clients ex-Champion, complétée par une analyse de contenu des documents de communication utilisés par Carrefour lors de la substitution d’enseignes, permettent d’évaluer la performance de cette opération en termes d’image. En outre, par l’exemple de Carrefour Market, des implications managériales peuvent être identifiées pour l’ensemble des acteurs de la distribution.

I – L’ENSEIGNE, UN CAPITAL POUR LE DISTRIBUTEUR

4 Nous proposons de comprendre en quoi l’enseigne constitue un capital valorisable par le distributeur puis, parmi les leviers du capital-enseigne, nous nous attachons à l’image de l’enseigne au travers de ses associations.

1. Capital-enseigne : définition, antécédents et conséquences

5 L’enseigne constitue pour le distributeur une source de croissance et de rentabilité, en agissant sur les trois principaux acteurs du marché : les clients, les concurrents et les producteurs (Fleck et Nabec, 2010). En termes de croissance, une enseigne forte attire davantage de nouveaux clients qu’une enseigne non reconnue. Par ailleurs, une enseigne forte représente pour le distributeur un potentiel d’extension de son réseau de points de vente, que ce soit au sein de sa formule de vente initiale ou en innovant et en investissant dans de nouveaux concepts. En termes de performances, l’enseigne permet au distributeur de fidéliser ses clients actuels via une relation affective forte en leur procurant des bénéfices symboliques et hédoniques au-delà d’une simple relation cognitive reposant sur des bénéfices utilitaires. Enfin, sur le plan stratégique, l’enseigne permet au distributeur de se positionner et de se différencier par rapport aux concurrents, aux yeux des producteurs comme des consommateurs.

6 À l’instar du capital-marque, le capital-enseigne peut être défini comme « l’effet différentiel de la connaissance de l’enseigne sur la réponse du consommateur aux actions marketing de cette enseigne » (Keller, 1993 ; Fleck et Nabec, 2010). En transposant l’approche du capital-marque de Keller (1993), le capital-enseigne comporte deux composantes : la notoriété de l’enseigne – la présence à l’esprit de l’enseigne – et son image – son contenu aux yeux des consommateurs. En effet, les signaux émis par le retailing-mix de l’enseigne sont interprétés par le client qui les décode et forme une « impression générale en mémoire en tant que représentation des attributs perçus associés à l’enseigne, résultats de l’exposition actuelle et passée aux stimuli » (Hartman et Spiro, 2005). Les antécédents et conséquences du capital-enseigne sont présentés dans la figure 1.

7 Parmi les éléments constitutifs du capital-enseigne, nous nous concentrons sur l’image, laquelle est appelée à davantage de modifications que la notoriété déjà bien établie d’un groupe comme Carrefour.

2. Image de marque : nature et centralité des associations

8 Keller (2003) prône une vision multidimensionnelle et holistique de l’image de marque permettant de mieux comprendre la nature et l’intensité des bénéfices perçus par les consommateurs. Les bénéfices s’entendent comme les conséquences fonctionnelles, symboliques et expérientielles que les consommateurs perçoivent de l’achat et de l’usage d’une marque/enseigne. Au-delà des types d’associations, toutes les associations d’une marque ne vont pas se révéler également intéressantes pour le manager. En effet, le capital-marque est renforcé lorsque le consommateur détient en mémoire des associations « favorables, fortes et uniques autour de la marque » (Keller, 1993, p. 5). Ainsi, la marque peut être décrite comme un ensemble d’associations, plus ou moins abstraites, organisées en mémoire autour d’un sens partagé et qui représentent ce que cette marque signifie pour un (ou des) consommateur(s) (Changeur et Dano, 1996). Dans ce contexte, la marque peut représenter un système de savoirs pratiques (opinions, attitudes, croyances) générés dans des contextes d’interactions interindividuelles et/ou intergroupaux, ce qui correspond à la notion de représentation sociale (Seca, 2002). En tant que systèmes de construction individuelle et collective, les représentations sociales permettent d’appréhender la dynamique du changement, qu’il s’agisse d’une extension de marque (Michel, 1999), d’une stratégie de co-branding (Michel et Cegarra, 2006) ou du changement de nom d’une marque (Aimé-Garnier, 2007). La théorie du noyau central est issue du courant des représentations sociales : « la représentation est donc constituée d’un ensemble d’informations, de croyances, d’opinions et d’attitudes à propos d’un objet donné. De plus, cet ensemble d’éléments est organisé et structuré » (Abric, 1994). Une représentation est un ensemble structuré d’éléments cognitifs, dont certains sont fortement connectés entre eux et forment ainsi un noyau de significations. Toute représentation est donc organisée autour d’un noyau central qui est l’élément fondamental qui détermine son sens et son organisation. Dans cette perspective, les associations de la marque sont classées selon leur caractère central ou non, les associations centrales étant porteuses du sens de la marque.

Figure 1

Antécédents et conséquences du capital-enseigne

figure im1

Antécédents et conséquences du capital-enseigne

Fleck et Nabec (2010).

9 Cette décomposition de la marque en un noyau et une périphérie apporte donc des éléments pertinents pour comprendre comment des décisions stratégiques peuvent faire évoluer les représentations de la marque aux yeux de ses clients.

II – LA SUBSTITUTION D’ENSEIGNES : D’UNE VOLONTÉ STRATÉGIQUE AU CHANGEMENT D’IMAGE PERÇU PAR LES CLIENTS

10 Avant d’analyser les résultats de l’étude quantitative longitudinale relative aux performances de la substitution d’enseignes, et notamment à l’image de la nouvelle enseigne telle qu’elle est perçue par les clients, une analyse de contenu de différents documents diffusés par Carrefour met en évidence quelle était l’image voulue par le groupe pour la nouvelle enseigne.

MÉTHODOLOGIE

Afin d’évaluer l’impact du changement d’enseigne, nous avons déployé un dispositif méthodologique en deux pans, l’un qualitatif et l’autre quantitatif.
L’approche qualitative vise à mettre au jour les éléments distinctifs émis par l’enseigne à propos du basculement, en d’autres termes, d’identifier l’image voulue de Carrefour Market via une analyse de contenu de données secondaires (prospectus et leaflets émanant du service communication de Carrefour Market). Cette analyse a été menée par triangulation des analyses des trois chercheurs engagés sur ce projet. Elle permet également d’identifier, au travers de tables rondes avec des clients réguliers, les associations qui viennent spontanément à l’esprit en évoquant les enseignes Champion et Carrefour.
Le second pivot méthodologique concerne l’évaluation de l’image perçue de l’enseigne. Notre souci de capter l’évolution au cours du temps de l’image de l’enseigne (avant et après basculement) a conduit à opter pour une étude longitudinale (Forgues et Vandangeon-Derumez in Thiétart et al., 2007).
À un an d’intervalle (semaines 25 et 26 en juin 2009, semaine 26 en juin 2010), dans des conditions de passation comparables, des clients (123 répondants, 127 répondants) ont été interrogés dans deux magasins de la région lilloise par un outil de sondage (questionnaire administré en face à face) mesurant :
  • l’image de Champion et l’image de Carrefour (vague 1), l’image de Carrefour Market (vague 2) par notation entre 1 et 7 des associations autour de la marque (selon la méthode des représentations sociales explicitée ci-après) ;
  • les habitudes d’achat (fréquentation, proximité géographique, montant moyen dépensé) ;
  • le comportement déclaré suite au changement et des mesures de la familiarité et de l’image de l’enseigne (Collange, 2008), du capital-enseigne (Fleck et Nabec, 2010), de l’attachement à l’enseigne (Lacoeuilhe, 2000) développés à l’égard de Carrefour Market ;
  • une fiche signalétique classique (genre, âge, CSP), en vue d’établir la possibilité de comparaison d’échantillons appariés.
Le choix de la limite temporelle (1 an) s’est imposé du fait des concepts que nous souhaitions évaluer (évolution de l’image et des comportements qui demandent un effet d’ancrage). Nous souhaitions aussi éviter qu’un effet de surprise ou de curiosité vis-à-vis du basculement et des remodelages de magasins biaisent les données collectées.

1. Choix stratégique : l’image voulue par Carrefour pour Carrefour Market

11 Pour chaque magasin, au cours des vingt-deux semaines précédant la substitution d’enseignes et lors de l’ouverture, le groupe Carrefour a diffusé un certain nombre d’informations par le biais de supports de communication variés (magazine Carrefour, prospectus diffusés en magasin, catalogue d’ouverture distribué dans les boîtes aux lettres, mailings envoyés aux porteurs des cartes de fidélité Champion et Carrefour, affiches, etc.). Neuf documents ont été analysés tant sur le plan sémantique (mots clés, discours), que sur celui des codes couleurs (rouge de Champion, bleu et rouge de Carrefour, bleu et rouge de Carrefour Market), ou encore de la présence et de la taille relative des différents logos (Carrefour, Champion et Carrefour Market). Les chercheurs ont réalisé une analyse croisée en triple aveugle afin d’asseoir la convergence de leurs classifications.

12 De manière générale, le discours de Carrefour se veut très rassurant pour les clients afin de faciliter l’adoption de la nouvelle enseigne et de réduire les résistances au changement. La promesse centrale est : « Gardez le meilleur de Champion, profitez du meilleur de Carrefour ». La communication s’appuie constamment sur ce binôme sémantique et martèle le fait que les clients sont gagnants sur tous les plans dans cette substitution d’enseignes : « Retrouvez l’accueil de nos équipes et profitez de nos nouveaux engagements », « Retrouvez nos produits de qualité et profitez d’encore plus de choix », « Retrouvez nos prix toujours bas et profitez d’un nouveau programme de fidélité ». La communication met en avant le fait que les clients ne perdront rien de ce qu’ils apprécient chez Champion (notamment la convivialité, le personnel – « Venez retrouver nos équipes dans votre nouveau magasin » – et le programme de fidélité « Pas de perte de points, conversion des points… ») et qu’ils gagneront des avantages spécifiques à Carrefour (« Champion souhaite la bienvenue aux produits Carrefour », ainsi sont mis en avant un assortiment plus grand avec plus de nouveautés, des nouvelles gammes sous les marques de distributeurs de Carrefour notamment Carrefour Agir, et un nouveau programme de fidélité).

Tableau 1

Image voulue et communiquée par Carrefour avant la substitution d’enseignes

Dimensions de l’image du point de vente Image voulue/communiquée
Assortiment Repose sur les valeurs de Carrefour
Services aux clients Repose sur les valeurs de Carrefour
Bas prix Repose sur les valeurs de Champion
Groupement des achats Repose sur les valeurs de Carrefour
Qualité des produits (fraîcheur, marques réputées) Repose sur les valeurs de Champion
Dimensions qui ne transparaissent pas de manière saillante dans le discours de l’enseigne Proximité du domicile, promotions
nombreuses, honnête et sérieux, bonne accessibilité et parking, agencement agréable et pratique, propreté, animation (jeux-concours), heures d’ouverture, rapidité des achats
figure im2

Image voulue et communiquée par Carrefour avant la substitution d’enseignes

13 Le tableau 1 résume les dimensions de l’image du point de vente (Jallais et al., 1994) sur lesquelles Carrefour a communiqué et de quel parent (Carrefour versus Champion) la nouvelle enseigne Carrefour Market a hérité de tel ou tel attribut.

14 Si, sur le plan du fond, le groupe Carrefour a souhaité rassurer les clients Champion en insistant sur le fait que la nouvelle enseigne gardait « le meilleur de Champion » et profitait du « meilleur de Carrefour », sur le plan de la forme (codes couleurs, logos) on constate que la nouvelle enseigne Carrefour Market se positionne clairement du côté de « son parent » Carrefour. Ainsi, le rouge et le bleu Carrefour sont de plus en présents au cours des vingt-deux semaines avant la substitution d’enseignes, le rouge Champion ainsi que son logo disparaissent très vite (présent dans un seul document, diffusé au début du processus de changement d’enseignes). Par contre, le logo Carrefour est très présent et est souvent associé au nouveau logo Carrefour Market (dans 7 documents sur 9). La filiation est évidente et cohérente avec le concept de marque-enseigne-caution.

15 Si l’image voulue par Carrefour pour Carrefour Market est claire, qu’en est-il de l’image perçue par les clients ? Cette dernière correspond-t-elle à l’image voulue par Carrefour ?

2. Évolution de l’image de marque-enseigne à travers les représentations sociales

16 Afin de comprendre comment s’est constituée l’image de marque de la nouvelle enseigne (Carrefour Market) et comment celle-ci bénéficie des associations de ses parents (Champion et Carrefour), la mesure des représentations sociales peut s’appliquer (Michel, 1999 ; Michel et Cegarra, 2006). Pour ce faire, nous avons procédé en trois étapes : l’identification des associations, la mesure de la force des associations et enfin la mesure de la structure interne de l’enseigne.

Étape 1 : identification des associations

17 Nous avons utilisé les informations recueillies lors de tables rondes réalisées auprès de trois groupes de clients fréquentant trois magasins différents. Le traitement de la redondance des associations a été réalisé avec le soutien d’experts, ce qui a abouti à une liste de dix-huit adjectifs reflétant tant les dimensions tangibles qu’intangibles de l’enseigne (cf. tableau 2).

Étape 2 : mesure de la force des associations

18 Lors de l’enquête terrain, la liste d’associations a été proposée aux clients de l’enseigne étudiée. Ces derniers ont évalué la force de l’association par rapport à l’idée qu’ils avaient de l’enseigne, en répondant sur une échelle de « typicalité » en sept points (1 : ne représente pas du tout/…/7 : représente très bien) à la question suivante : Voici des images généralement associées à des enseignes de distribution, à quel point ces termes représentent-ils bien ou pas l’enseigne… (Champion, Carrefour, puis Carrefour Market) ?

19 Dans la mesure où les associations sont imposées aux individus, il est difficile de considérer qu’elles appartiennent toutes à l’enseigne. Seules les associations qui ont une force d’une moyenne égale ou supérieure à cinq, sur l’échelle en sept points, ont été retenues comme appartenant à l’enseigne. Elles apparaissent en gras dans le tableau 2.

20 Les points forts de l’enseigne Champion concernent essentiellement les éléments sociaux (amabilité, proximité, sympathie, dynamisme) et physiques de l’atmosphère du point de vente (bien rangé, propre, peu fatigant). Les atouts de l’enseigne Carrefour reposent davantage sur un mix produit-prix performant (prix bas, promotions, choix, renommée). Par ailleurs, la taille des hypermarchés Carrefour (« grand ») constitue un élément significatif de l’image de l’enseigne.

Tableau 2

Force des associations avant et après basculement

Avant basculement Après basculement
Champion Carrefour Carrefour Market
Proximité 6,04 3,85 6,69
Aimable 5,75 5,05 5,87
Propre 5,72 5,67 6,10
Bien rangé 5,66 5,46 5,98
Agréable 5,50 5,39 5,95
Accueillant 5,48 4,89 5,77
Dynamique 5,34 4,99 5,50
Sympathique 5,33 4,80 5,56
Renommée 5,27 5,59 5,63
Convivial 5,26 4,61 5,35
Familial 5,11 4,70 5,17
Choix 5,02 5,55 5,48
Gai 4,76 4,66 5,12
Promotions 4,68 4,96 4,75
Anonyme 4,59 4,19 4,52
Prix bas 4,44 4,57 4,68
Grand 4,44 5,92 5,26
Fatigant 2,94 4,32 2,87
figure im3

Force des associations avant et après basculement

21 Un an après le changement d’enseigne, il apparaît que Carrefour Market a hérité des associations de ses deux parents, celles-ci ayant même une force supérieure à celle des enseignes initiales. Carrefour Market a ainsi conservé le caractère convivial de Champion, tout en ayant désormais l’association avec l’attribut « grand » hérité de Carrefour.

22 Au-delà de la force des associations, la structure des représentations peut être décomposée en éléments centraux et périphériques. Les éléments centraux sont ceux qui ne peuvent être retirés sans remettre en cause le concept de l’enseigne aux yeux des clients.

Étape 3 : mesure de la structure interne de l’enseigne

23 La mesure utilisée pour identifier le noyau de la marque s’appuie sur le principe de réfutation avancé par Moliner (1988) dans le domaine des représentations sociales. La théorie sous-jacente à cette méthodologie suppose que la remise en cause d’un élément du noyau a pour conséquence une modification du sens de la représentation et donc une réfutation de l’objet étudié. En revanche, la remise en cause d’éléments périphériques a très peu d’effet sur la signification de la représentation.

24 Les individus doivent répondre, sur une échelle en sept points (1 : peu probablement/…/7 : très probablement), aux énoncés suivants : « Pour chacun des attributs suivants : Si l’enseigne de distribution n’est pas _______, pourrait-il encore s’agir de Champion ? ». Si une majorité significative de personnes répond entre 1 et 3, cela signifie que l’association est une association centrale. À l’inverse, si la majorité ne répond pas entre 1 et 3, cela signifie que l’association est une association périphérique de l’enseigne.

25 Pour identifier les associations centrales de l’enseigne, selon l’approche de Moliner (1988), nous avons considéré comme centrales les associations pour lesquelles la proportion de personnes qui réfutent l’enseigne (1-2-3) est significativement différente d’une distribution théorique (50/50). Pour cela, nous avons donc comparé pour chaque association la répartition observée avec une répartition théorique en calculant un chi-deux univarié et unilatéral. Lorsque ce test était significatif au seuil de 1 %, nous avons considéré que l’association appartenait au noyau de l’enseigne.

26 La figure 2 illustre les transferts d’attributs des deux enseignes parents (Champion et Carrefour) à l’enseigne fille (Carrefour Market). Les flèches indiquent les attributs périphériques dans l’image des enseignes initiales devenus centraux après la substitution (cas de l’attribut « choix »), et inversement les attributs centraux devenus périphériques dans l’image de l’enseigne de substitution (cas de l’attribut « grand »). Le changement d’enseigne a entraîné des modifications de l’image d’enseigne sur deux plans : la nature des associations et leur centralité. En termes d’associations à la marque-enseigne, peu de changements significatifs sont à noter. L’attribut « gai » qui ne figurait dans aucune représentation, a fait son apparition dans le noyau de l’enseigne Carrefour Market, accentuant encore la valeur d’atmosphère véhiculée par ce format. L’attribut « grand » central chez Carrefour apparaît désormais logiquement dans les éléments périphériques de l’enseigne Carrefour Market, qui se présente comme le format supermarché du groupe Carrefour. En revanche, il est intéressant de constater que la quasi-totalité des associations à la marque-enseigne font désormais partie de son noyau. En particulier, la renommée et le choix sont venus compléter les facteurs de convivialité et de proximité déjà centraux. Le renforcement du noyau de l’enseigne établit ainsi le succès de la « double promesse » communiquée par le groupe avant la substitution d’enseignes : conserver la convivialité de Champion tout en bâtissant sur la renommée du groupe et sa force de frappe au niveau de l’offre. Seule l’offre promotionnelle ne semble toujours pas définir la représentation de l’enseigne Carrefour Market et ce, malgré une communication forte sur les prix bas.

Figure 2

Représentations des enseignes Champion, Carrefour et Carrefour Market

figure im4
CHAMPION CARREFOUR
Renommée Renommée
Convivial
Propre
Bien rangé Propre
Agréable Bien rangé
Accueillant Choix Agréable Choix
Proximité AFaimmialbialel AGimraanbdle
Dynamique
Sympathique
CARREFOUR MARKET
Grand
Proximité
Propre
Bien rangé
Agréable
Accueillant
Dynamique
Sympathique
Choix
Aimable
Convivial
Renommée
Familial
Gai

Représentations des enseignes Champion, Carrefour et Carrefour Market

27 Au-delà de la mesure des associations à la marque, des questions permettaient de mesurer la nature de la relation à l’enseigne Carrefour Market, tant sur le plan affectif que comportemental.

3. Qualité de la relation à la nouvelle enseigne

28 La qualité de la relation à l’enseigne influence positivement la performance objective de celle-ci (Palmatier et al., 2006). Elle est conceptualisée par un construit multidimensionnel qui capture les nombreuses facettes différentes d’une relation, notamment la familiarité (Collange 2008), l’attachement (Lacoeuilhe, 2000) ou l’image de l’enseigne (Collange, 2008). Les différentes échelles multi-items empruntées à la littérature présentant une fiabilité élevée (alpha de Cronbach supérieur à 0,8), nous comparons les scores moyens obtenus par la nouvelle enseigne Carrefour Market par rapport aux scores initiaux des enseignes Champion et Carrefour.

29 La nouvelle enseigne, Carrefour Market, jouit d’un score de familiarité très élevé (moyenne de 5,56 sur une échelle en 7 points), comparable à celui de l’enseigne Champion un an auparavant (5,72) et plus élevé que celui de l’enseigne Carrefour (4,20), ce qui paraît logique vu que nous avons interrogé des clients réguliers de l’enseigne Champion. La substitution d’enseignes a également contribué à en améliorer l’image (6,02) par rapport à celles des enseignes Champion (5,66) et Carrefour (4,65).

30 En revanche, l’attachement à la nouvelle enseigne (3,41) est plus faible que celui dont bénéficiait l’enseigne Champion (4,23). De même, le capital de la marque-enseigne (4,46) est modéré. Or, ces variables mesurent la propension à préférer l’enseigne par rapport à d’autres enseignes de qualité perçue similaire. Il paraît dès lors intéressant de mesurer également l’impact du changement d’enseignes en termes de comportements de visite et d’achat de la part des clients réguliers.

31 Sur le plan comportemental, le bilan de la substitution d’enseignes est plutôt positif. En effet, la majorité des clients déclare n’avoir rien changé à son comportement (54,3 %), 15,7 % déclarent acheter plus qu’avant et seuls 7 % achètent moins qu’avant la substitution d’enseignes. Par ailleurs, à la question « Quand vous discutez avec une connaissance (famille, amis), pour parler de ce magasin, vous dites je vais faire mes courses chez…? », les clients répondent à 37 % qu’ils l’appellent Carrefour, 25 % seulement le nomment Carrefour Market et un an après la substitution, encore 19 % des clients le dénomment Champion.

32 Ces deux éléments révèlent que le nom semble peu importer puisque même si ce dernier a changé, le comportement des clients habituels a majoritairement peu évolué ou évolué favorablement. Cela peut s’expliquer par la notoriété préalable élevée de l’enseigne Carrefour et par la pertinence avec le secteur d’activité du fait de la forte présence sur le segment des hypermarchés. Selon Référenseigne 2007 de Kantar Worldpanel, la marque Carrefour est une marque appréciée, plébiscitée par les consommateurs pour le choix, la qualité, la fraîcheur des produits et la modernité. Sans oublier que la première motivation de fréquentation d’un supermarché est sa proximité.

III – IMPLICATIONS POUR LES ACTEURS DE LA DISTRIBUTION

1. Renforcement du capital-enseigne

33 Les résultats de cette recherche indiquent qu’une opération de substitution d’enseignes peut engendrer des retombées très positives sur l’image de l’enseigne. Le noyau de la marque-enseigne Carrefour Market est enrichi par rapport à ceux de ses parents. Les associations centrales sont plus nombreuses, favorables et fortes. En ce qui concerne les associations périphériques, l’image de la nouvelle enseigne est associée à l’adjectif « grand ». De manière à ce que ce qualificatif soit valorisé positivement par les clients, l’enseigne doit veiller à avoir un balisage clair et des plans mis à la disposition des clients, à adapter son merchandising de manière à éviter un effet de massification trop gênant. Par ailleurs, la force de vente doit pouvoir encore accorder de l’attention et du conseil au client, éventuellement, un système d’assistant pour le shopping à télécharger sur smartphone pourrait aider les clients à localiser plus rapidement les produits recherchés.

34 Outre un capital-enseigne renforcé, la substitution d’enseignes permet des effets de synergie.

2. Substitution d’enseignes et effets de synergie

35 Dans un contexte concurrentiel difficile, les distributeurs mettent en œuvre différentes stratégies de rationalisation et de recherche d’économies d’échelle, parmi celles-ci se trouve la stratégie de réduction du nombre de leurs enseignes (Filser et Paché, 2008). Porter (1982) conçoit la synergie en termes d’avantage concurrentiel et les résultats obtenus dans cette recherche illustrent empiriquement cette notion d’effet de synergie telle que définie par Ansoff (1965) comme l’effet 2+2=5 qui permet à l’entreprise d’obtenir de l’exploitation de ses ressources un rapport combiné supérieur à la somme des éléments.

36 Ainsi, les mesures montrent que les associations liées à la nouvelle enseigne ne sont pas de simples moyennes des associations de ses parents mais que la représentation de Carrefour Market sort amplifiée sur de nombreux critères (comme le critère « agréable ») mais aussi que de nouvelles associations peuvent être créées (comme le critère « gai » qui traduit une forme de dynamisme).

37 Parmi les critères qui ressortent grandis de la substitution, le « choix » fait partie des associations les plus accrues. Ceci est logique dans la mesure où la substitution d’enseignes s’est accompagnée de l’arrivée d’un assortiment renforcé de MDD – marques de distributeur – Carrefour (en particulier les gammes Carrefour Discount et Carrefour Agir). Or, les effets de synergie peuvent aussi se comprendre dans la légitimité accrue des produits de marque Carrefour, légitimité si forte qu’elle peut désormais rivaliser avec les grandes marques dans la signature de ses produits (Filser et Paché, 2008).

38 La création de valeur dérive in fine de la capacité à réduire les coûts de l’entité combinée (effets de synergie) mais aussi de la capacité à accroître les revenus (plus grand assortiment pour jouer la différenciation, pouvoir de marché, couverture plus large du marché), il semblerait donc que la performance de la substitution puisse s’évaluer sur plusieurs dimensions.

3. Vers une approche multidimensionnelle de la performance

39 Les performances financières et économiques du groupe Carrefour attestent du succès de la substitution d’enseignes. En effet, les bons chiffres enregistrés en 2009 juste après la substitution se confirment en 2010 au-delà du simple effet de nouveauté. La croissance du groupe en France est tirée par celle de Carrefour Market (+ 0,5 de croissance de la part de marché de Carrefour Market alors que la part de marché des hypermarchés stagne et celle de Dia/Ed baisse) (source Nielsen citée par www.carrefour.com). En 2010, la nouvelle enseigne Carrefour Market est la deuxième enseigne la plus dynamique derrière Leclerc, elle a recruté plus de 730 000 foyers et a fidélisé ses acheteurs (source Référenseigne Expert Kantar Worldpanel). Aussi, la stratégie de substitution d’enseignes semble génératrice de performance sous des aspects multiples et complémentaires (Marmuse, 1997), en termes stratégique, marketing, commerciaux et financiers.

CONCLUSION

40 Un an après le basculement Champion-Carrefour Market, le bilan de la substitution d’enseignes est positif car la très grande majorité (83 %) des clients habituels consomment au moins autant ou davantage. Toutefois, la démarche d’enquête adoptée ne permet pas d’apprécier le recrutement de nouveaux clients pour la marque-enseigne Carrefour Market, qu’ils viennent d’autres enseignes de distribution ou d’autres formats de distribution du groupe Carrefour. En outre, le capital-enseigne s’est renforcé, conformément à la volonté stratégique initiale du groupe Carrefour. Toutefois, et alors que le prix reste l’un des critères de choix primordiaux pour les clients, l’enseigne peine à en faire une association centrale pour son format supermarché. Cette difficulté à bâtir une image cohérente entre les formats constitue l’une des faiblesses du groupe aujourd’hui, comme le souligne le dernier rapport Interbrand 2012 qui pénalise l’enseigne de 17 % en termes de valorisation financière.

41 Les résultats obtenus conduisent à considérer la performance de la substitution d’enseignes sous des angles multiples : commercial (chiffre d’affaires en hausse de 3,8 % en 2009), marketing (amélioration de l’image de marque), et financier (valorisation du titre). Toutefois, cette approche multidimensionnelle de la performance demanderait à être élargie aux plans humain et éthique (Bergadaà, 2004).

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Soumis en avril 2011 et accepté en avril 2012.
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