1La coopétition est-elle un simple concept à la mode ou une révolution dans la pensée stratégique ? Cette question prend tout son sens quand la coopétition est mise en perspective par rapport aux recherches sur la compétition (Smith et al., 1992) et aux recherches sur la coopération (Dyer et Singh, 1998). La tentation est grande de faire de la coopétition soit une nouvelle forme de compétition, soit une nouvelle forme de coopération.
2Dans le premier cas, la coopétition s’inscrit dans le paradigme concurrentiel et la coopération devient un ensemble de « manœuvres compétitives » et de « manœuvres coopératives », qui sont autant d’actions qui permettent de développer un avantage concurrentiel (Fjeldstatd et al., 2004). Dans le second cas, la coopétition n’est qu’un cas particulier de la coopération. Les recherches sur les alliances deviennent l’adossement théorique naturel des travaux sur la coopétition. Les concepts de confiance, d’opportunisme, etc., qui fondent les recherches sur les relations d’alliance dyadiques, ont vocation à être appliqués aux relations coopétitives. L’objectif de cette contribution est de proposer et de défendre l’idée que la coopétition n’est ni une extension des théories de la compétition, ni une extension des théories de la coopération. La coopétition est en soi un objet de recherche singulier qui nécessite un examen théorique qui lui est propre, et qui pose un certain nombre de questions théoriques, méthodologiques et pratiques spécifiques. Cet examen en est aujourd’hui à ses débuts et semble prometteur pour fournir une nouvelle approche des dynamiques interentreprises.
1. La coopétition : une nouvelle doctrine stratégique
3Dès l’origine du management stratégique, le paradigme concurrentiel a mis principalement l’accent sur la rivalité entre les firmes (Porter, 1982). La survie d’une firme passe par le renforcement de sa compétitivité propre, qui, elle-même, dépend de sa capacité à développer des avantages concurrentiels créateurs de valeur (Hill, 1990). Cette obligation se serait considérablement renforcée ces dernières années. En effet, à des marchés relativement stables se seraient substitués des marchés caractérisés par une concurrence « excessive », « agressive » ou « prédatrice » (Le Roy, 2002). L’entreprise n’a alors plus le choix et doit adopter un comportement agressif, ou hypercompétitif, tout simplement pour se maintenir sur le marché » (D’Aveni, 1995). À l’opposé de ce paradigme concurrentiel, le paradigme relationnel met principalement l’accent sur la coopération (Dyer et Singh, 1998). Dans cette approche, une firme établit et renforce sa compétitivité en développant des alliances stratégiques, des réseaux, ou des stratégies collectives (Astley et Fombrun, 1983; Yami et Le Roy, 2007). La capacité à entrer en relation permet d’accéder à de nombreuses ressources et est créateur d’un avantage relationnel.
4Il y a donc une opposition entre un paradigme concurrentiel qui recommande l’affrontement et dissuade de coopérer (D’Aveni, 1995), et un paradigme relationnel qui fait de la capacité à coopérer le fondement de la compétitivité de l’entreprise (Dyer et Singh, 1998). Entre ces deux perspectives opposées, plusieurs auteurs affirment que les entreprises ont intérêt à rechercher à la fois les avantages de la compétition et ceux de la coopération (Bengtsson et Kock, 1999; Hamel et al., 1989; Nalebuff et Brandenburger, 1996). Ceux de la compétition sont la stimulation de la recherche de nouvelles combinaisons productives génératrices de rentes. Les avantages de la coopération sont l’accès à des ressources rares et complémentaires. Cette recherche des avantages de la compétition et des avantages de la coopération conduit à adopter simultanément des comportements compétitifs et des comportements coopératifs.
5Ce comportement dual est popularisé sous le néologisme de coopétition par Nalebuff et Brandenburger (1996,1997; Brandenburger et Nalebuff, 1995). Ces deux auteurs s’appuient sur la théorie des jeux pour proposer une première théorisation de la coopétition à partir du « réseau de valeur » (value network). Dans cette conception, la coopétition est un rapprochement d’intérêts entre « complémenteurs », qui apparaît quand la compétition et la coopération se produisent simultanément (cf. figure 1).
LE RÉSEAU DE VALEUR (VALUE NET)
LE RÉSEAU DE VALEUR (VALUE NET)
6Une deuxième contribution fondamentale pour définir la coopétition est proposée par Lado et al. (1997), même si, paradoxalement, ils n’emploient pas ce terme. Ces auteurs observent que de plus en plus de firmes combinent des stratégies agressives et des stratégies coopératives. Ils s’appuient sur la théorie des jeux, l’approche Ressource Based View et la théorie des réseaux sociaux, pour montrer que, si la concurrence et la coopération ont été jusque-là considérées comme les extrémités opposées d’un long continuum, il faut maintenant les appréhender comme deux dimensions indépendantes.
7Cette nouvelle approche est fondamentale parce qu’elle introduit l’idée qu’une firme peut avoir quatre types de « comportement de recherche de rente » (cf. tableau 1). Dans un « comportement monopolistique », la firme choisit de n’être ni agressive ni coopérative. Elle évite toute relation de compétition et toute relation de coopération. Dans un « comportement coopératif », l’entreprise décide de privilégier les relations de coopération au détriment des relations de compétition. Dans un « comportement compétitif », la firme choisit prioritairement, comme dans le modèle de l’hypercompétition (D’Aveni, 1995), un comportement agressif vis-à-vis de ses concurrents. Enfin, dans le « comportement syncrétique », l’entreprise développe à la fois des relations agressives et des relations coopératives. C’est ce dernier comportement qui correspond, sans que les auteurs ne le nomment ainsi, à la stratégie de coopétition.
8Une troisième contribution majeure à la théorie de la coopétition est apportée par Bengtsson et Kock (1999). Leur théorie de la coopétition est essentiellement fondée sur la théorie des réseaux et, à un degré moindre, la théorie RBV. Pour ces auteurs, une entreprise peut choisir entre quatre modes relationnels en fonction, d’une part, de sa position relative sur le secteur et, d’autre part, de son besoin en ressources extérieures (cf. tableau 2). Ces quatre modes relationnels sont la coexistence, la compétition, la coopération et la coopétition. La coopétition est une forme de relation entre concurrents qui combine des échanges à la fois économiques et non économiques. Elle est définie comme une « relation dyadique et paradoxale qui émerge quand deux entreprises coopèrent dans quelques activités, et sont en même temps en compétition l’une avec l’autre sur d’autres activités ».
LES COMPORTEMENTS DE RECHERCHE DE RENTE
LES COMPORTEMENTS DE RECHERCHE DE RENTE
LES RELATIONS ENTRE CONCURRENTS
LES RELATIONS ENTRE CONCURRENTS
9Ces trois contributions de Nalebuff et Brandenburger (1996), de Lado et al. (1997) et de Bengtsson et Kock (1999) sont considérées comme les fondements de la théorie de la coopétition. Elles sont citées dans la plupart des travaux portant sur la coopétition qui ont été publiés ou communiqués depuis leur parution. D’autres auteurs ont proposé, depuis, des cadres théoriques qui permettent de mieux comprendre les phénomènes de coopétition. Par exemple, Dagnino et Padula (2002) proposent de distinguer quatre formes de coopétition, en fonction du nombre de concurrents impliqués dans la coopération et du nombre d’activités de la chaîne de valeur qui sont effectuées en coopération avec les concurrents (cf. tableau 3).
10Depuis sa popularisation par Nalebuff et Brandenburger (1996), le concept de coopétition est devenu une nouvelle doctrine stratégique dans laquelle les stratégies relationnelles les plus performantes sont les stratégies de coopétition. En effet, les stratégies de compétition pure lui sont inférieures parce qu’elles ne font bénéficier à l’entreprise que des avantages de la compétition. De même, les stratégies de coopération pure ne font bénéficier à l’entreprise que des avantages de la coopération. Les stratégies de coopétition apportent à l’entreprise le double bénéfice procuré par la coopération et par la compétition. Elles deviennent donc la stratégie relationnelle à privilégier par les dirigeants pour augmenter la performance de l’entreprise. En ce sens, la coopétition s’érige en nouvelle doctrine stratégique au sens normatif du terme. Il est donc fondamental d’interroger en profondeur ce concept de coopétition.
2. Les défis posés par le concept de stratégies de coopétition
11Les recherches sur les stratégies de coopétition posent un certain nombre de questions fondamentales encore mal résolues. Le premier problème est celui de l’acceptation du terme de coopétition dans le langage académique. Ce terme n’existe pas dans les dictionnaires majeurs, qu’ils soient francophones ou anglophones, même quand ces dictionnaires sont spécialisés en économie et en management. Seule, l’encyclopédie virtuelle Wikipedia donne une définition de la coopétition. Peut-on utiliser un terme qui n’existe pas ? Comment doit-on écrire ce terme ? Doit-on écrire co-opétition ou coopétition ?
12À ces premières questions d’ordre sémantique correspondent des questions plus fondamentales sur les travaux menés jusqu’à présent sur la coopétition. Un premier constat est que la littérature est relativement peu importante et surtout éparpillée. Une grande partie de cette littérature n’emploie pas spécifiquement le terme de coopétition. Par exemple, il existe des recherches sur la combinaison des manœuvres concurrentielles et des manœuvres coopératives, qui est la question centrale des stratégies de coopétition, sans que ce terme ne soit employé (Lado et al., 1997; Teece et Jorde, 1989).
13Un second constat est que la littérature a pour caractéristique d’être plus à destination des managers que des chercheurs. Sauf exception (Afuah, 2000), il existe encore relativement peu de recherches centrées sur la coopétition qui sont visibles dans les meilleures revues académiques en management.
LES FORMES DE COOPÉTITION
LES FORMES DE COOPÉTITION
14Une autre question fondamentale est la suivante. La coopétition est certes un nouveau terme, mais le phénomène observé est-il pour autant nouveau ? Est-ce un ancien phénomène observé avec de nouveaux référentiels théoriques ? Les relations d’alliance entre firmes concurrentes ne sont pas, après tout, des phénomènes nouveaux. Pourquoi utiliser un nouveau terme pour qualifier des phénomènes déjà anciens ?
15Un premier argument en faveur de l’utilisation d’un nouveau concept réside dans le fait que les relations d’alliances entre firmes concurrentes sont un phénomène en forte croissance, ce qui justifie des recherches plus approfondies nécessitant l’emploi de nouveaux concepts.
16Un deuxième argument, lié au premier, est que les relations d’alliance qui se développent aujourd’hui ont pour caractéristique d’impliquer de multiples partenaires et adversaires (Dagnino et Padula, 2002; Lecocq et Yami, 2002). De nouveaux concepts sont donc nécessaires pour rendre compte de la multiplication d’alliances entre firmes concurrentes. Doz et Hamel (1998) proposent ainsi le concept « d’alliances multilatérales », d’autres auteurs celui de « constellation d’alliances » (Lazzarini, 2007).
17Un dernier argument, qui est le plus important à notre sens, réside dans la nature même des relations qui se nouent entre les firmes. Précisément, le concept de coopétition exprime le cœur du problème, soit la nature paradoxale que contient une relation simultanée de coopération et de compétition.
18Dans cette perspective, la coopétition peut être considérée comme un phénomène ancien, qui a toujours existé, et qui prend une ampleur nouvelle aujourd’hui. Ce nouveau phénomène a donc besoin de recherches spécifiques afin de développer un corpus de connaissances qui lui soit propre. Cette spécificité en tant qu’objet de recherche se justifie tant par l’ampleur des phénomènes de coopétition aujourd’hui que par la nature du concept. La stratégie de coopétition est par nature un comportement non conventionnel, hétérodoxe. Elle inclut deux concepts qui sont opposés dans leur définition et dans leur sens commun : la compétition et la coopération.
19Le comportement compétitif se définit et s’entend comme excluant a priori la coopération. Il s’agit de chercher ensemble à atteindre un objectif ou à s’approprier une ressource, sachant que ce que l’un obtient, l’autre ne peut l’avoir. La compétition exclut, en tout ou partie, le vaincu, et attribue les gains au vainqueur. Inversement, le comportement coopératif se définit et s’entend comme excluant a priori la compétition. Il s’agit de partager des efforts et des ressources afin d’atteindre un objectif commun. La répartition des gains ne se fait pas entre vainqueur et vaincu, à l’avantage du vainqueur, mais dans une entente concertée, à l’avantage de tous les partenaires.
20Les concepts de compétition et de coopération sont, dans leur définition, fondamentalement différents et opposés. Les intégrer dans un concept unique conduit nécessairement à s’inscrire dans une approche paradoxale et complexe (Coincidentia Oppositorum). Ce qui revient à un véritable changement cognitif dans une doxa managériale dominée par la conception aristotélicienne. Penser simultanément la compétition et la coopération, et agir à la fois de façon concurrentielle et coopérative, implique une révolution cognitive, à la fois dans la recherche et dans la pratique. Il est beaucoup plus aisé cognitivement de simplifier les relations avec les concurrents, en les définissant soit comme des « ennemis », dans une métaphore militaire, qui exclut toute coopération, soit comme des « collègues », ou des « partenaires », dans une métaphore communautaire, qui exclut toute compétition.
21Développer des recherches sur la coopétition conduit nécessairement à un réexamen et à une nouvelle définition des normes d’interaction entre les entreprises. Les concurrents ne sont pas plus des « ennemis » qu’ils ne sont des « amis », ou ne sont pas moins des « ennemis » qu’ils ne sont des « amis ». Cette nouvelle représentation des relations entre firmes concurrentes pose de vrais problèmes managériaux, à la fois au niveau individuel et au niveau collectif. Au niveau individuel, il peut être difficile pour les salariés d’une entreprise de saisir cette nouvelle complexité, par rapport à une représentation plus commune qui fait des concurrents de simples rivaux qu’il faut combattre et vaincre. Au niveau collectif, il faut mettre en place de nouveaux dispositifs de management qui permettent de développer simultanément des comportements concurrentiels et coopératifs.
22Cette nouvelle façon de se représenter les relations entre les organisations se pose au moins à trois niveaux d’analyse. Au niveau macro, la question de la coopétition économique entre les pays devient un enjeu majeur pour les politiques industrielles nationales. L’exemple d’EADS, dans une période récente, montre comment l’Allemagne et la France ont du gérer simultanément des rapports de coopération et de compétition au niveau étatique. Cette simultanéité de la coopération et de la compétition est également au cœur des politiques de développement des « pôles de compétitivité » en France.
23C’est au niveau méso que, pour l’instant, les recherches sur la coopétition ont été les plus développées. Ce niveau est celui des relations entre les firmes (cf. section 1). Le niveau micro a reçu une attention beaucoup plus faible. Ainsi, la façon dont la coopétition est vécue au sein des entreprises n’a donné lieu qu’à peu de recherches empiriques, alors qu’elle est une préoccupation centrale des directions générales quand elles veulent développer des stratégies de coopétition (Pellegrin-Boucher, 2006). Comment doit-on s’organiser au niveau fonctionnel pour produire à la fois de la compétition et de la coopération ? Comment les individus au travail peuvent-ils intégrer ces deux logiques opposées ?
24Ce problème est d’autant plus crucial que les stratégies de coopétition peuvent être considérées comme instables par nature (Das et Teng, 2000). À tout moment une relation de coopétition peut être interrompue par un partenaire-adversaire, soit parce qu’il renonce à la compétition en ne présentant plus de gamme de produits comparable, soit parce qu’il renonce à la coopération. La stratégie de coopétition implique donc l’acceptation du fait qu’aucune relation avec un partenaire-adversaire n’est durable dans sa forme et dans son fond. Elle est par nature instable et évolutive, sans qu’il soit possible de prédire la façon dont elle va évoluer. Les stratégies de coopétition ne peuvent donc être comprises que comme des processus dynamiques à durée déterminée. Ce qui conduit les managers à renoncer à gérer la stabilité et à tenter de développer des processus coopétitifs dont ils n’auront jamais la maîtrise complète.
25Ce défi managérial est également un défi pour la recherche. Les processus coopétitifs s’inscrivent dans une logique paradoxale, dont on ne peut connaître a priori ni l’évolution ni l’issue. Comment théoriser ce phénomène qui s’éloigne de la logique linéaire ou causale dominante ? Comment modéliser des processus interactifs qui incluent deux modes relationnels, la compétition et la coopération, par nature différents ? La tentation du recours à la théorie des jeux est très forte, et est à l’origine de la popularisation du concept de coopétition (Nalebuff et Brandenburger, 1996). Toutefois, on peut douter de l’intérêt de cette approche dès qu’on sort de la pensée économique abstraite et qu’on souhaite comprendre les interactions réelles entre les firmes. Il convient donc de continuer les recherches sur la coopétition en sciences de gestion.
3. Les stratégies de coopétition comme objet de recherche
26Tout le défi des recherches sur la coopétition consiste à définir les contours d’un nouvel objet de recherche en quête de théorisation. Dans cette perspective, depuis l’ouvrage fondateur de Nalebuff et Brandenburger (1996), la coopétition a suscité un nombre croissant de travaux de recherche dans le domaine des sciences de gestion. Cet objet de recherche se structure aujourd’hui et se constitue en communauté. Cette communauté scientifique dédiée à la coopétition s’est essentiellement développée en Europe à partir d’un certain nombre d’événements-clés. Dès 2002, un « track », dans lequel treize papiers sont présentés, est organisé à la conférence de EURAM de Stockholm par Dagnino et Padula.
27En 2004, un « workshop » EIASM, dans lequel 53 papiers sont soumis et 34 présentés, est organisé à Catane (Italie) également par Dagnino. Un deuxième « workshop » EIASM, dans lequel 44 papiers sont soumis et 34 présentés, est organisé en 2006 à Milan (Boconi) par Castaldo, Dagnino et Verona. L’année 2007 est l’occasion pour Yami, Dagnino, Le Roy, Castaldo et Verona d’organiser un nouveau « track » à la conférence de EURAM à Paris, dans lequel 24 papiers sont soumis et 12 sont présentés. Plusieurs rendez-vous scientifiques sont déjà programmés, comme le « workshop » EIASM de 2008, à Madrid, et celui de Montpellier, en 2009 ou 2010.
28Des publications collectives qui émanent de ces différents événements sont programmées dans des revues et dans des ouvrages collectifs. Un numéro spécial de la revue International Studies of Management and Organization (vol. 37, n° 2, 2007) est consacré à la coopétition, ainsi qu’un numéro spécial de la revue Long Range Planning, alors que la revue International Journal of Entrepreneurship and Small Business proposera un numéro spécial sur « Coopetition and Entrepreneurship ». Des ouvrages collectifs chez Routledge Book et Edward Elgar sont également en préparation.
29Dans l’espace francophone, dès 1996, Koenig (1996), définit la coopétition comme une combinaison d’affrontement concurrentiel et de coopération. Un premier article est publié dans la Revue française de gestion en 2004 par Lecocq et Yami (2004) et un second dans la Revue Finance Contrôle Stratégie par Pellegrin-Boucher et Gueguen (2005). Une première thèse sur la coopétition est soutenue par Pellegrin-Boucher en 2006 à Montpellier. Un atelier AIMS dédié à la coopétition est organisé également à Montpellier en 2007, par les coordinateurs de ce présent dossier.
30Cette communauté est fondée sur l’idée de la singularité de l’objet de recherche qu’est la coopétition. Il existe plusieurs acceptions de ce concept de coopétition. Dans l’acception la plus large, celle de Brandenburger et Nalebuff (1996), les relations de coopétition sont étendues à tous les acteurs du réseau de valeur. Dans l’acception la plus étroite, qui est celle de Bengtsson et Kock (1999), la coopétition ne concerne que les relations entre concurrents directs, c’est-à-dire entre rivaux qui ont des offres comparables.
31Nous proposerons ici de définir la coopétition comme « un système d’acteurs qui interagissent sur la base d’une congruence partielle des intérêts et des objectifs ». Cette conception de la coopétition fournit une première base pour appréhender ce concept et pour distinguer clairement la coopétition de la compétition et de la coopération. Dans cette définition de la coopétition, trois points sont remarquables :
- l’interdépendance entre les entreprises est à la fois une source de création de valeur économique et le lieu de partage de cette valeur économique;
- l’interdépendance entre les firmes est fondée sur un jeu à somme positive et variable qui doit apporter aux partenaires des bénéfices mutuels mais pas nécessairement équitables;
- dans un jeu à somme positive et variable, l’interdépendance des firmes est fondée sur une fonction d’intérêts interfirmes partiellement convergents.
32L’idée d’un « système coopétitif de création de valeur » permet de questionner et d’enrichir la réflexion sur les relations concurrentielles en management stratégique, et plus précisément la théorie RBV et la théorie émergente des réseaux stratégiques. Cette idée peut être étendue à plusieurs niveaux d’analyse, qui sont les autres marchés, les institutions non marchandes et horsmarché, et plus largement les relations entre les gouvernements, les groupes d’intérêts, les syndicats, voire les États ou les structures supra-étatiques.
33Dans cette perspective, les questions fondamentales que pose le concept de coopétition sont les suivantes.
- Le concept de coopétitition nécessite de plus grandes investigations. Quelle est la nature réelle de la coopétition ? Pour quelles raisons la coopétition est-elle un objet de recherche pertinent en stratégie ? Existe-t-il différentes stratégies coopétitives ? Quels sont les cadres d’analyse théorique les plus appropriés pour comprendre et analyser les stratégies de coopétition ?
- Le contexte dans lequel se développe les stratégies de coopétition doit également être questionné. Le concept de coopétition est-il pertinent dans certains contextes et moins dans d’autres ? Quelles sont les caractéristiques essentielles de la coopétition que l’on retrouverait dans tous les contextes ? Pour quelles raisons et sous quelle forme une stratégie de coopétition serait-elle délibérée ? Quels sont les cas emblématiques qui illustrent de la manière la plus significative la stratégie de coopétition ?
- Les processus coopétitifs restent également mal connus. Quelles sont les motivations des acteurs quand ils s’engagent dans une stratégie de coopétition ? Quels sont les antécédents de l’émergence et du développement de stratégies de coopétition ? Quels sont les point essentiels qui permettent de manager les relations de coopétition ?
- D’autres questions portent sur les performances des stratégies de coopétition. Ces stratégies sont-elles plus performantes que les stratégies de compétition pure ou de coopération pure ? Quels sont les facteurs qui rendent une stratégie coopétitive performante ? Quels sont les facteurs qui conduisent à l’échec et à la remise en cause d’une stratégie de coopétition ?
- Enfin, les dernières questions portent sur les méthodes de recherche sur la coopétition. Faut-il privilégier une approche complètement théorique, par exemple une approche par la théorie des jeux ? Faut-il développer des cas afin de saisir les processus de coopétition ? Peut-on envisager de développer des mesures de la coopétition qui permettraient une approche plus quantitative ? Seules de nouvelles recherches permettront d’apporter des éléments de réponse à ces questions et de se faire une idée plus précise sur le potentiel de développement théorique contenu dans le concept de coopétition. Ces recherches sont d’autant plus nécessaires que la coopétition est aujourd’hui une pratique managériale répandue dans de nombreux secteurs d’activité, sans que ces pratiques ne soient réellement incorporées dans la recherche en stratégie. Cette incorporation peut se révéler très importante pour les firmes. Elle peut leur permettre de mieux comprendre les nouveaux enjeux des relations interfirmes et, ainsi, de décider de stratégies relationnelles les plus à même de créer de la valeur.
35Dans cette perspective, considérer la coopétition comme un objet de recherche singulier conduit à définir un champ d’exploration quasiment nouveau. Ce champ d’exploration semble très prometteur pour faire avancer les recherches et les pratiques en management stratégique. Nous n’en sommes ainsi sans doute qu’au tout début d’un « chemin d’investigation coopétitif », qui est en train d’émerger rapidement pour devenir une partie importante de la recherche en stratégie et en organisation.
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