1S’ils participent tous d’une même démarche d’acteurs organisationnels qui s’associent en vue d’atteindre un but commun, les réseaux d’entre prises recouvrent en fait des modes de coopération inter firmes hétérogènes (alliance, joint-venture, franchise, groupement, etc.) et des motivations variées (Fulconis, 2000). Ces disparités peuvent conduire, comme dans de nombreuses autres formes interorganisationnelles, à des tensions « comme celles opposant la coopération et l’individualisme, le partage et l’épreuve de force, la confiance et l’opportunisme, ou encore le formel et l’informel » (Forgues et al., 2006). Cette situation suggère l’importance d’une stratégie de pilotage du réseau dans laquelle le volet « contrôle » occupera une place essentielle.
2Ensemble de mécanismes, de programmes et d’interactions, un système de contrôle sera mis en œuvre par le pilote d’un réseau afin de s’assurer que les décisions et les comportements interorganisationnels des différents partenaires de l’échange resteront en ligne avec les finalités de la relation. Il s’agira en particulier de limiter les risques de comportements opportunistes de la part des co-contractants, comportements qui pourraient être préjudiciables au système dans son ensemble.
3La question du contrôle des réseaux d’entreprises a été abordée sous de multiples angles par la recherche en organisation, en particulier par les travaux relatifs au management des relations interfirmes. Parmi les principaux mécanismes étudiés susceptibles de contribuer à encadrer les comportements, on trouve tout d’abord la structure même de la forme interorganisationnelle réseau. Certains types de réseaux (par exemple « donneurs d’ordre/PME » dans le secteur automobile) sont en effet très proches d’une structure hiérarchique comme la firme (Paché et Paraponaris, 1993). Un rapport d’autorité s’établit ainsi souvent entre une « tête de réseau » leader (le pilote) et des cocontractants rendus vulnérables par l’état de dépendance économique dans lequel la relation d’échange les inscrit.
4De nombreux autres mécanismes (contrat, confiance, formalisation, etc.) participent à la coordination et à la coopération entre les acteurs. Ils ont été largement décrits et leur efficacité testée dans des contextes interorganisationnels variés.
5Au-delà de tous ces mécanismes, il en est un qui reste encore peu étudié au regard de ses apports potentiels au contrôle interfirme. Il s’agit des technologies de l’information (TI). Les travaux s’accordent généralement à présenter les systèmes et outils d’information déployés dans les relations interentreprises comme des facilitateurs de la coordination entre les acteurs (Amabile et Gadille, 2006). La recherche en systèmes d’information (SI) a pourtant depuis longtemps établi que l’apport des TI aux relations inter-firmes dépassait très largement cette fonction de support de la coordination et des échanges. Leurs capacités de plus en plus puissantes ont en effet fait apparaître au fil du temps des nouveaux usages et il n’est plus concevable aujourd’hui d’élaborer ou de discuter des stratégies de contrôle des réseaux d’entreprises en dehors de tout contexte SI.
6L’objectif de cet article est donc de montrer le rôle central que les TI sont susceptibles de jouer dans le cadre des stratégies de contrôle des réseaux d’entreprises.
7Une première partie s’attache à analyser les différents mécanismes par lesquels les TI peuvent participer au contrôle interorganisationnel. On distingue à ce sujet quatre types d’apport des TI au contrôle des réseaux d’entreprises : les TI peuvent favoriser l’intégration électronique et organisationnelle du réseau; les TI peuvent permettre à la tête du réseau de renforcer son pouvoir; les TI peuvent permettre d’exercer un contrôle à caractère panoptique sur les comportements interorganisationnels; enfin, les TI peuvent être utilisées pour transmettre ou développer une culture réseau.
8Dans une seconde partie, le cadre synthétique auquel on aboutit suggère l’existence d’interactions et de combinaisons entre les différents apports des TI à la stratégie de contrôle des réseaux d’entreprises. Cela conduit à souligner que dans une stratégie de pilotage, les systèmes et outils ne doivent pas être considérés de manière isolée mais aux côtés d’autres mécanismes de contrôle qu’ils complètent ou renforcent. Enfin, nous nous interrogerons sur le degré d’instrumentalisation des TI par les acteurs. Car encore faut-il que le pilote du réseau ait conscience de leurs potentialités « contrôle » pour qu’il les intègre de manière cohérente dans ses activités de pilotage.
9L’analyse de l’apport des TI à la stratégie de contrôle des réseaux d’entreprises est illustrée au regard d’un unique terrain de recherche, le pilotage des réseaux de franchise. L’intérêt de ce choix est d’établir la richesse des voies par lesquelles les TI peuvent participer à « produire du contrôle » pour une même forme réseau.
I. – L’APPORT DES TI AU CONTRÔLE DES RÉSEAUX D’ENTREPRISES
10Il n’existe pas à proprement parler de courant de recherche s’intéressant spécifiquement au lien entre TI et contrôle des réseaux d’entreprises. Il faut se tourner vers les travaux sur la contribution des TI au management interorganisationnel (voire intra-organisationnel) pour identifier les apports potentiels des SI.
11Une lecture des différentes recherches sur le sujet, marquées par l’éclectisme des approches – depuis les travaux en management à ceux en SI en passant par les recherches en sociologie (qui s’interrogeaient dès le début des années 1970 sur les effets du déploiement des TI sur les comportements organisationnels) – conduit à distinguer quatre apports principaux des TI à la stratégie de contrôle des réseaux d’entreprises.
1. L’apport des TI au renforcement de la structure des relations interfirmes
12Les travaux sur les liens entre TI et structure des relations interorganisationnelles s’inscrivent dans la question plus vaste de l’impact du déploiement des SI sur les décisions de gouvernance : favorisent-ils l’évolution des relations interorganisationnelles vers des marchés, des hiérarchies ou des réseaux électroniques en tant que formes de gouvernance hybrides ou intermédiaires (Klein, 1996)?
13Les recherches les plus anciennes reposent sur le postulat que les TI, en réduisant les coûts de coordination, affectent l’avantage comparatif des différents mécanismes de coordination et de gouvernance (Gurbaxani et Whang, 1991). Les TI favoriseraient ainsi la « désintégration verticale », en permettant de passer d’une coordination hiérarchique entre des firmes indépendantes à des communications fondées sur des transactions électroniques. Cela faciliterait la coordination par le marché (Clarke, 1992; Malone et al., 1987). À ce titre, on peut lire le développement des réseaux d’entreprises à la lumière de ce courant en suggérant que leur développement a été facilité par les systèmes d’information interorganisationnels.
14Toutefois, les travaux empiriques sur le sujet offrent une vision qui insiste au contraire sur la capacité des SI à renforcer l’intégration interorganisationnelle via le développement de l’intégration électronique des différents acteurs de l’échange. Les TI offrent en effet des capacités de coordination et de coopération traditionnellement associées à l’intégration verticale mais avec des coûts de propriété bien moindres (Bensaou, 1997; Zaheer et Venkatraman, 1994; Venkatraman, 1991).
15Cet impact structurant des TI sur les relations interfirmes s’explique par des raisons qui peuvent être qualifiées de « fonctionnelles ». Tout d’abord, les TI encouragent le développement des réseaux interfirmes en facilitant le développement de partenariats entre des entités distantes. En effet, l’éloignement entre les parties importe peu dès lors que systèmes et outils facilitent l’échange d’information et réduisent son coût d’acheminement.
16Le déploiement de TI entre deux firmes représente ensuite un investissement spécifique (en matériel mais également en termes de processus d’adaptation et d’apprentissage liés) qui va enfermer les acteurs dans la relation : la difficulté de redéployer les investissements TI dans une autre relation peut en effet conduire une firme à rester membre du réseau (et à agir conformément à ce qui est attendu) alors que la relation d’échange sera distendue.
17Enfin, l’automatisation de nombreux processus de travail et d’échange d’information interfirme impose des standards qui jouent un rôle structurant. La codification des règles et des procédures de travail entre organisations permet d’encadrer les décisions qui peuvent être prises, voire de les orienter en limitant l’éventail des possibles (Guibert et Dupuy, 1997; Bensaou et Venkatraman, 1994; Clemons et Row, 1993).
2. L’impact des TI sur l’équilibre des pouvoirs interfirmes
18Si les liens entre TI et pouvoir ont essentiellement été analysés dans un cadre intraorganisationnel, les travaux sur les effets du déploiement des systèmes d’échanges de données (comme les réseaux EDI) sur les relations interorganisationnelles proposent des résultats empiriques susceptibles de s’appliquer au pilotage des réseaux.
LE CAS DE LAFRANCHISE
Cette standardisation de l’activité fige les comportements et les échanges interorganisationnels. Elle fait d’ailleurs penser à une mode de management de type succursaliste. Le SI permet en particulier de réaliser des économies d’échelle élevées, par exemple en facilitant l’obtention – grâce à une meilleure connaissance des ventes – de conditions d’achat compétitives auprès des fournisseurs.
Toutefois, certains franchisés 7-Eleven acceptent mal un encadrement technologique par un système qui peut aller jusqu’à leur imposer au quart d’heure près (par exemple, sous la forme d’instructions informatisées qui apparaissent sur l’écran du système d’encaissement ou de systèmes de rappel automatique) comment organiser leur travail au quotidien (Einsenstodt, 1993). Une trop forte immixtion du franchiseur dans l’activité d’un franchisé peut d’ailleurs aboutir à la requalification du contrat de franchise en contrat de travail. Les tribunaux s’appuient en effet sur le degré de centralisation de l’activité par la tête de réseau (centralisation des prises de commande, des réservations ou des tournées de livraison, système d’encaissement centralisé, etc.) pour établir que la relation est davantage d’ordre succursaliste que de type franchisée. Or, les TI sont souvent des facilitateurs de cette centralisation.
19Les TI peuvent d’abord être vues comme des variables dépendantes dont le déploiement s’inscrit dans un jeu de pouvoir entre les acteurs. Dans un réseau aux rapports de force déséquilibrés, le plus puissant peut en fait imposer ses systèmes et outils aux organisations partenaires moins puissantes (Hart et Saunders, 1998; Premkumar et Ramamurthy, 1995). Ce pouvoir technologique de l’acteur dominant joue à la fois par sa maîtrise des technologies qu’il sera parvenu à imposer à ses co-contractants et par la difficulté déjà évoquée qu’auront ces derniers pour redéployer en dehors de l’échange des systèmes et outils qui leur auront été imposés. Ce phénomène conduit à un renforcement de la dépendance des cocontractants non décisionnaires en matière de TI vis-à-vis de la tête du réseau.
20Au-delà d’un support des activités interorganisationnelles, les systèmes et outils sont aussi des supports de collecte et d’échange d’information. Or, le pouvoir d’information d’un acteur du réseau peut lui permettre d’établir ou de renforcer sa domination sur ses partenaires (Webster, 1995). Un pilote de réseau cherchera ainsi à disposer de l’information utile la plus riche et structurée qui soit sur l’activité du réseau afin de pouvoir en évaluer la performance. Il s’agit pour lui de s’assurer que la relation d’échange évolue conformément à ses attentes, ce qui peut signifier, dans certaines situations déséquilibrées, en premier lieu à son avantage.
LE CAS DE LAFRANCHISE
Sur le papier, le déploiement de TI entre les acteurs d’un réseau de franchise est susceptible de renforcer le pouvoir d’information de toutes les parties. Le franchisé peut recevoir une information de meilleure qualité, plus récente et plus consistante de la part du franchiseur tandis que ce dernier dispose d’un retour plus rapide sur les résultats du terrain. La réalité module toutefois ce constat : la maîtrise technologique des SI permet en fait au franchiseur de ne laisser filtrer que les éléments d’information qu’il lui semble utile de partager tandis qu’il peut accéder de son coté, de plus en plus rapidement et quand il le souhaite, à l’activité des points de vente. Ce phénomène peut produire des réactions d’agacement de la part des franchisés (certains oublient par exemple de brancher leur système informatique). Toutefois, on constate que la réaction d’un franchisé à l’égard des TI est différente selon qu’il a rejoint le réseau récemment (et n’a pas connu d’avant TI) ou il y a plus longtemps (Dickey et Ives, 2001).
21Nakayama (1998) trouve ainsi que l’utilisation de la technologie EDI peut réduire le pouvoir de négociation d’un des partenaires de l’échange lorsque l’outil permet à l’autre partenaire de collecter davantage d’informations (pouvoir d’information). Tandis que Marcussen (1996) établit que l’EDI profite avant tout à ceux qui imposent leurs procédures lors du déploiement de la technologie (pouvoir technologique).
3. L’apport des TI au renforcement de la visibilité des comportements interfirmes
22Les TI déployées dans les réseaux d’entreprises peuvent exercer un effet structurant (en imposant l’information sous la forme d’instructions à des programmes) et jouer sur l’équilibre des pouvoirs interfirmes. Entre ces deux effets, ou plutôt les reliant, les TI peuvent également participer à la production d’une information nouvelle qui va rendre plus visibles les comportements interorganisationnels : « non seulement les TI produisent de l’action mais elles produisent aussi une voix qui rend les événements, objets et processus visibles, mieux connus de tous et partageables d’une nouvelle façon » (Zuboff, 1988).
23Les systèmes et outils ont en effet la capacité de transformer la substance du travail et la manière dont il est accompli en données enregistrées qui peuvent être consultées ultérieurement. Cette information nouvelle rend plus transparente l’activité des acteurs puisqu’il est désormais possible pour le pilote du réseau de consulter des données, mêmes anciennes, qui auront été stockées. Les TI développent une capacité de suivre les comportements des acteurs du réseau, constituant par la même un support central des dispositifs de traçabilité.
24Cette possibilité offerte par les outils peut agir sur les comportements via un phénomène panoptique au sens où Foucault l’entend (Foulcault, 1975). Cet effet repose sur le sentiment qu’ont les acteurs d’être surveillés de manière permanente, étant dans l’impossibilité de savoir quelle utilisation précise le partenaire de l’échange peut faire des informations collectées via les TI. Cette transparence de l’organisation est à la base d’un effet disciplinant, la présence des TI pouvant diminuer la probabilité de survenance de comportements non souhaités (« ce qui est atteint simplement par l’accroissement de la probabilité que de tels actes seront détectés » (Zuboff, 1988)). L’efficacité d’un système de contrôle de ce type est atteinte « lorsque l’exercice du pouvoir est inutile, et que le système a réussi à créer un état de conscience des individus tel qu’il assure la conformité des comportements » (Isaac et Kalika, 2001).
4. L’apport des TI au partage d’une culture réseau
25La vision du contrôle retenue jusqu’ici (intégration, pouvoir, discipline) relève de formes de contrôle à caractère formel, voire autoritaire. Or, les TI peuvent également participer à un contrôle plus souple, en contribuant au développement ou à la transmission de normes et de valeurs entre les membres du réseau. Cet effet tient à la capacité des outils à supporter la culture réseau en place mais aussi à faciliter l’émergence de nouvelles pratiques.
26En étant les médiateurs d’une réalité partagée, les TI – entremêlés avec les pratiques interorganisationnelles et la culture du réseau – peuvent servir d’intermédiaires et renforcer la signification des pratiques existantes. Des formes d’échange ou de collaboration qui pouvaient paraître informelles vont au fil du temps être inscrites dans les systèmes à mesure que ces derniers évoluent, contribuant à l’uniformisation des comportements (Bloomfield et Combs, 1992; Orlikowski, 1991).
LE CAS DE LAFRANCHISE
Cette visibilité permise par les outils peut opérer un effet disciplinant sur les membres du réseau. Les franchisés perçoivent souvent les outils TI déployés par la tête de réseau comme à l’avantage du franchiseur, permettant à ce dernier d’identifier les erreurs ou les problèmes dans le travail des franchisés au travers de l’accès aux données du point de vente. Et ils sont d’autant plus respectueux des règles et des procédures fixées par le franchiseur que cette perception est forte (Boulay, 2006).
27La technologie internet, par les facilités de déploiement et d’usage qu’elle offre, peut concourir à accélérer ce phénomène. Elle permet la multiplication de plateformes de travail collaboratif entre des entités distantes géographiquement. Elle supporte le développement de bases de connaissances qui favorisent la capitalisation des expériences et facilitent les échanges autour des « best practices ». La mise en place de forums peut également contribuer à une plus grande homogénéité dans l’appréhension des problèmes par les différents acteurs d’un réseau d’entreprises. De même que les communications électroniques vont pouvoir participer, en favorisant les échanges horizontaux et verticaux, à diffuser plus rapidement et simultanément une même information. Cela contribuera à limiter les risques de dissonance entre les acteurs, supportant le développement de la confiance interorganisationnelle. La formation à distance via les TI (e-learning) peut également jouer un rôle dans la diffusion des savoirs et le renforcement de cette même confiance. Autant d’éléments qui contribueront à structurer les comportements interorganisationnels en participant d’un contrôle de type informel.
II. – PROPOSITION D’UN CADRE INTÉGRATIF ET PERSPECTIVES
28Quatre formes possibles de contribution des TI au contrôle des réseaux interfirmes ont été mises en évidence. Dans les faits, elles se combinent pour créer des systèmes de management des réseaux d’entreprises qui peuvent considérablement renforcer l’efficacité du dispositif de pilotage. Dès lors, l’enjeu consiste, non seulement à combiner les différents mécanismes de contrôle reposant sur les TI, mais à les articuler avec les autres mécanismes traditionnels de pilotage des relations interentreprises. Cela doit contribuer à renforcer la performance de la stratégie de pilotage du réseau dans son ensemble… à la condition que le leader du réseau ait conscience des potentialités « contrôle » qu’offrent les TI.
LE CAS DE LAFRANCHISE
1. Proposition d’un cadre intégratif
29Les différents types de contribution des TI à la stratégie de contrôle d’un réseau d’entreprises peuvent être résumés dans un cadre intégratif qui souligne les liens et interactions entre chacun d’entre eux (cf. figure 1).
TI ET PILOTAGE DES RÉSEAUX D’ENTREPRISES : PROPOSITION D’UN CADRE INTÉGRATIF
TI ET PILOTAGE DES RÉSEAUX D’ENTREPRISES : PROPOSITION D’UN CADRE INTÉGRATIF
30Les quatre modalités du contrôle qui s’appuient sur les TI sont loin d’être indépendantes les unes des autres. Par exemple, la présence d’un panoptique électronique dans une relation interfirme est souvent liée au pouvoir technologique d’un des membres du réseau, lui-même source de pouvoir d’information. De la même manière, le développement de normes et de valeurs partagées via le déploiement des TI dans une relation entre entreprises peut être « contraint » par le leader du réseau qui aura su imposer ses systèmes et outils.
31Ensuite, il n’est pas certain que les quatre modalités soient toutes activées simultanément. La présence de l’une ou plusieurs des modalités dans un réseau d’entreprises est liée à de nombreux facteurs contextuels (âge et histoire de la relation, secteur d’activité, etc.), à la nécessité de recourir aux SI dans le cadre du management du réseau et au degré auquel le pilote du réseau recourra à chacune d’elles.
32Enfin, il convient de s’interroger sur les effets de chacune des modalités décrites du point de vue de l’efficacité du contrôle. Peut-on escompter la même performance de chacune d’entre-elles pour limiter la survenance de comportements nuisibles à la performance du réseau ?
33Cette question pose celle du caractère plus ou moins explicite d’une stratégie de contrôle basée sur les TI. Dans de nombreuses situations, un contrôle à caractère technologique pourra être présent dans un réseau d’entreprises sans que le leader du réseau se soit clairement engagé dans une telle stratégie. Par exemple, il n’est pas certain que la modalité « panoptique électronique » soit volontairement recherchée par le contrôleur. Comme le note Zuboff (1988), le déploiement des TI génère une couche informationnelle sur les activités alors même que la finalité première du déploiement est souvent la réduction des coûts au travers de l’automatisation des tâches. Par conséquent, la visibilité et la transparence ne sont pas forcément la finalité première de l’utilisation des TI. En outre, le volume des informations générées par le TI peut nécessiter des traitements supplémentaires que le contrôleur ne maîtrise pas. Enfin, la diminution potentielle des asymétries d’information liée à la mise en place de SI interorganisationnel n’élimine pas la possibilité de détourner le système et de maintenir la possibilité de comportements opportunistes de la part des partenaires.
34Ces différents éléments posent le problème de l’instrumentalisation des outils par les acteurs.
2. La question de l’instrumentalisation des outils
35Si les TI possèdent des capacités croissantes de traitement et d’analyse, il n’en reste pas moins que les entreprises ne perçoivent pas toujours leur potentiel, particulièrement dans leur capacité à consolider l’information et à la restituer de façon simple aux acteurs de l’entreprise.
36Le pilote du réseau a la possibilité d’utiliser les TI à des fins de contrôle sans avoir conscience des facultés panoptiques des technologies. Cette absence d’une vision TI limite la structuration d’une démarche de contrôle qui s’appuie sur la technologie, recourant à celle-ci au coup par coup, ne profitant pas du potentiel disciplinant des outils déployés. En effet, déployer un système de pilotage fondé sur les TI nécessite de transformer des données opérationnelles collectées par le système en données décisionnelles qui alimentent des tableaux de bord de pilotage grâce à des indicateurs consolidés. Le passage d’un système d’information opérationnel à un système décisionnel nécessite des compétences particulières et une maturité certaine dans la gestion du système d’information. Par ailleurs, la traçabilité de l’activité des membres du réseau permise par les technologies de l’information repose souvent sur des données que le système génère d’abord à d’autres fins que celle du contrôle et du pilotage. Autant la fonction informatique a-t-elle conscience du potentiel de traçabilité que fournissent les TI, autant les directions générales ont parfois du mal à appréhender ce potentiel que leur offre leur système dans la mesure où, l’information utile est souvent une information technique (log des serveurs, données de connexion des utilisateurs, etc.) que seuls les techniciens informatiques savent directement exploiter à des fins de gestion du système. Par conséquent, il n’est pas toujours certain que des réseaux d’entreprises s’appuyant sur des TI puissent être pilotés à l’aide de celles-ci du fait d’un manque de connaissance ou de compétence dans l’entreprise pilote.
3. Des TI qui s’inscrivent dans un panier de mécanismes de contrôle
37Les TI ne peuvent constituer le seul mécanisme de contrôle des réseaux dans une stratégie de pilotage. Les travaux sur le contrôle organisationnel insistent sur le fait que toute organisation combine toujours plusieurs mécanismes de contrôle (Ouchi, 1979) et le management des réseaux d’entreprises n’échappe pas à cette règle.
38Les mécanismes liés aux TI s’ajoutent en fait à des mécanismes plus traditionnels qui ont été abordés en introduction : le contrat, la confiance, les démarches de socialisation des partenaires, etc. Dans les réseaux de franchise par exemple, le franchiseur, s’il utilise les systèmes d’information interorganisationnels, s’appuie également sur un cahier des charges strict et souvent sur des normes de qualité qui font l’objet de contrôle a priori et répété au travers de visites sur les lieux de vente par des managers de réseau. Ces visites se préparent d’ailleurs souvent à partir de l’analyse des données recueillies par le siège via les TI.
39Par conséquent, il n’est pas pertinent de voir dans les TI la solution unique et idéale pour faciliter le contrôle des partenaires. Il n’en demeure pas moins que souvent le déploiement des outils électroniques est une obligation imposée par le donneur d’ordres ou la tête de réseau. Dès lors, ces outils sont vite perçus par les acteurs comme des coûts supplémentaires qui s’ajoutent aux autres coûts du partenariat. Cela peut conduire à un déploiement inefficace ou à une mauvaise utilisation. Par conséquent, il convient pour le leader du réseau d’articuler l’outil de contrôle TI de façon intelligente avec les autres modalités de contrôle afin qu’ils accroissent l’efficacité globale de sa stratégie de pilotage. Il lui appartient également de convaincre que l’utilisation du SI permet des gains d’efficacité et qu’une stratégie de pilotage s’appuyant sur les TI pourra limiter les dérives grâce à un contrôle régulier et fin.
CONCLUSION
40Nous nous sommes efforcés de montrer que si les TI ne pouvaient à elles seules constituer l’outil central de contrôle et de pilotage des réseaux d’entreprises, leur rôle était croissant dans la mesure où les réseaux reposent chaque jour davantage sur les systèmes d’informations interorganisationnels (par exemple sur l’EDI et l’internet).
41Les différentes possibilités de contrôle offertes par les systèmes et outils permettent de les combiner entre elles mais aussi avec des modalités plus traditionnelles de contrôle (contrat, confiance, socialisation, etc.), renforçant d’autant l’efficacité des stratégies de pilotage des réseaux.
42Reste que l’utilisation des TI à des fins de contrôle n’est pas toujours perçue par les directions et que l’entreprise n’est pas toujours outillée pour tirer parti du potentiel des technologies. De même, le développement du pilotage par les technologies de l’information ne doit pas se substituer à un contrôle plus concret. Le contrôle ne peut ainsi pas se reposer uniquement sur des représentations de l’activité, au risque de conduire à des décisions éloignées de la réalité du terrain.
43Enfin, l’utilisation des technologies à des fins de pilotage doit faire l’objet d’une transparence afin d’éviter les comportements de contournement ou les réactions de rejet vis-à-vis d’un système de contrôle sans visage. C’est donc la capacité du leader du réseau à articuler de façon pertinente ce type d’outil dans un portefeuille d’outils de contrôle plus vaste qui déterminera l’efficacité des TI dans le pilotage du réseau.
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