Notes
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[1]
Les pays concernés étaient : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Grèce, Italie, Hollande, Norvège, Espagne, Suisse, Suède, Royaume-Uni.
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[2]
Parmi les travaux cités pour la France on retrouve les noms de professeurs bien connus : Albouy, Augros, Bertonèche, Dalloz, Dumontier, Galesne, Hamon, Hawawini, Husson, Jacquillat, Navatte, Solnik, etc.
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[3]
Voir l’article de Hamon (2003) sur l’œuvre scientifique de cet auteur.
-
[4]
La multiplicité des études s’explique par l’engouement que ces recherches ont suscité dans la communauté académique et également par la facilité à réaliser de telles recherches à caractère scientifique à partir de données aisément accessibles.
-
[5]
Nous pourrions naturellement citer bien d’autres contributions reposant sur le célèbre raisonnement d’arbitrage.
-
[6]
Les expressions de zealots (zélateurs) et de smart money (argent intelligent) reviennent souvent dans les textes de R. Shiller.
-
[7]
Il est intéressant de noter ici le caractère darwinien du processus de sélection des intervenants sur le marché : seuls les meilleurs survivent.
1Dans une revue très fouillée de la littérature sur le fonctionnement et l’efficience des marchés financiers européens publiée en 1984, G. Hawawini recensait plus de 280 références de tra vaux scientifiques concernant 14 pays européens allant de l’Allemagne au Royaume-Uni [1]. Son travail visait à faire connaître à la communauté internationale académique et professionnelle en finance des travaux réalisés sur les marchés européens et qui n’étaient pas ou peu connu du fait de la barrière de la langue, de la faible diffusion des revues dans lesquels ils étaient publiés ou encore parce qu’ils restaient à l’état de thèses ou de working papers.
2La plupart de ces travaux recensés étaient fondés sur des tests statistiques similaires à ceux utilisés par les chercheurs pour étudier le comportement des marchés financiers américains et leur efficience. À cette époque, et bien que cela soit toujours le cas (mais dans une proportion moindre), les marchés d’action européens étaient caractérisés par de plus faibles montants de capitalisation et de plus faibles volumes de transaction que le NYSE (New York Stock Exchange). L’idée généralement répandue à cette époque était que, du fait de ces plus faibles capitalisations et volumes de transaction, les marchés européens devaient être inefficients, tout au moins informationnellement. En d’autres termes, que ces marchés devaient s’ajuster plus lentement au flux des nouvelles informations pertinentes et que les prix n’intégraient pas toute l’information disponible. D’une façon surprenante pour les non spécialistes, la revue exhaustive de la littérature réalisée par Hawawini montrait qu’il n’en était rien et que les marchés financiers européens se comportaient, à de rares exceptions près, comme leur grand frère américain : c’est-à-dire qu’ils étaient efficients [2]. Ainsi l’hypothèse de l’efficience des marchés d’action (Efficient Market Hypothesis: EMH) était validée même sur les « petits » marchés européens.
3Vingt années plus tard, et suite à de nombreux travaux empiriques toujours plus sophistiqués, cette hypothèse de l’efficience des marchés financiers est remise en question par la communauté scientifique des financiers, tout au moins par une partie d’entre elle. La remise en cause de l’EMH a été difficile à faire tant les « preuves » de l’efficience avaient été accumulées et que la « croyance » était bien établie dans la communauté. Il faut dire que cette hypothèse d’efficience est bien commode et qu’elle rend beaucoup de services aux professeurs de finance. Dans cette remise en question, l’approche de la finance comportementale a joué un rôle non négligeable.
I. – LATHÉORIE DES MARCHÉS EFFICIENTS ET SES CONSÉQUENCES POUR LA FINANCE
4Comme le rappelle Aftalion (2004), il y a plus de 100 ans que Louis Bachelier a montré dans sa Théorie de la spéculation (1900) que, sur un marché boursier, ni les acheteurs ni les vendeurs ne peuvent réaliser des profits systématiques et que les prix sur un tel marché suivent une marche aléatoire. Plus tard, en 1934 Working établit qu’il n’y avait pas de corrélations entre les variations successives des prix sur divers marchés et Kendall (1953) devait obtenir des résultats similaires pour la Grande-Bre-tagne. Quelques années plus tard, Samuelson (1965) démontra dans un article resté célèbre que des prix correctement anticipés fluctuaient de façon aléatoire. En effet, si le marché a intégré toutes les informations disponibles et pertinentes, seules de nouvelles informations – non connues du marché et non anticipées par construction – peuvent faire varier les cours de façon aléatoire. Ainsi, la théorie des marchés efficients était née.
5C’est vraisemblablement à Fama (1970) que l’on doit le rayonnement de cette théorie dans les milieux académiques de la finance. Selon cet auteur [3], on peut distinguer trois formes d’efficience en fonction des informations considérées :
- l’efficience faible lorsque l’information est représentée par l’ensemble des cours passés;
- l’efficience semi-forte lorsqu’on considère toutes les informations publiques disponibles (chiffres comptables, annonces d’opérations financières : dividendes, rachats d’actions, augmentations de capital, etc.) ;
- l’efficience forte lorsqu’on considère l’ensemble des informations existantes y compris celles non rendues publiques détenue par les « initiés ».
6Selon Fama (1991), un marché est efficient (informationnellement) si une prévision profitable est impossible pour les acteurs du marché. Cette définition reprend celle de Jensen (1978) qui tient compte des frais de transaction et de ceux liés à l’activité de prévision.>
1. Les preuves de l’efficience des marchés
7Comme nous le mentionnons dans l’introduction de cet article, les « preuves scientifiques » de l’efficience des marchés se sont accumulées au fil du temps et sur tous les marchés du monde. La quantité d’études empiriques réalisées sur ce thème est véritablement impressionnante et il est hors de question de faire ici une revue exhaustive de la littérature. L’objet de cette section est seulement de rappeler rapidement comment la recherche en finance a procédé pour valider l’EMH, c’est la raison pour laquelle nous ne citons aucun auteur. Les méthodologies utilisées pour tester l’EMH peuvent se répartir en deux grands groupes : les tests sur les séries temporelles de cours boursiers et les études d’événements.
Les tests sur les séries temporelles
8Ces tests statistiques réalisés sur des séries de cours boursiers passés consistent à tester le caractère aléatoire des variations de cours : la célèbre random walk. L’idée de base est de voir s’il est possible de « battre le marché » en utilisant des martingales ou encore des méthodes d’analyse technique, appelée également « chartisme » du fait du recours à des graphiques (ou charts), pour anticiper les évolutions des cours futurs. Bref, si l’utilisation des cours passés est d’un quelconque intérêt pour prévoir le futur. Si tel n’est pas le cas, on dira alors que toute l’information des prix passés est contenue dans le cours actuel et qu’une telle analyse est inutile. Si des tendances existent véritablement dans l’évolution des cours boursiers, alors il doit être possible d’observer des séries de hausses ou de baisses consécutives en moyenne plus longues à ce que le hasard prédit. Toutes les études, et elles sont très nombreuses [4], réalisées sur des séries temporelles de cours, montrent qu’effectivement la marche au hasard est une hypothèse qui ne peut pas être rejetée.
9Une autre technique consiste à voir s’il est possible de faire des gains à partir de stratégies utilisant la méthode des filtres. Cette méthode consiste à définir des règles d’achat et de vente d’actions en fonction d’une variation donnée. Par exemple, un filtre à 3 % consiste à vendre un titre s’il a baissé de 3% par rapport au précédent cours d’achat et à l’acheter dans le cas inverse. On peut utiliser également la technique des moyennes mobiles et voir si elle permet de faire des gains supérieurs à ceux d’une stratégie passive (appelée encore buy and hold strategy). C’est ainsi qu’on sera acheteur si la courbe des cours coupe à la hausse la moyenne mobile à 50 (ou 100) jours et qu’on vendra dans le cas inverse. L’ensemble des tests réalisés sur les séries temporelles des cours observés sur tous les marchés aux États-Unis, en Europe mais également au Japon, ont montré, compte tenu des technologies économétriques de l’époque, que les variations de cours futurs ne dépendaient pas de leur passé. Même si certaines études ont pu mettre en évidence des (petits) gains systématiques liés à de telles stratégies, ces derniers apparaissent comme étant inférieurs aux coûts de transactions générés par de telles stratégies. Par ailleurs, comme la plupart des tests sont réalisés sur des chroniques de cours passés, ils supposent généralement que la décision d’achat ou de vente est instantanée et que l’ordre est immédiatement exécuté; ce qui est dans la pratique difficile à faire. Grâce à toutes ces très nombreuses études empiriques, les preuves scientifiques de la marche aléatoire des cours boursiers se sont accumulées au fil du temps et c’est ainsi que l’hypothèse d’efficience faible a progressivement fait son chemin et est devenue un véritable paradigme dans la communauté académique.
Les études d’événements
10Un marché qui ne réagirait pas à une information publique comme par exemple l’annonce d’une opération de fusions et acquisition, d’une émission d’actions nouvelles, ou encore d’une hausse du dividende, serait à l’évidence un marché bien peu efficient. En effet, un marché est d’autant plus efficient qu’il intègre le plus rapidement possible les informations nouvelles et dès lors les cours doivent s’ajuster en conséquence. Si l’ajustement prenait du temps il serait possible d’en profiter et ceci de façon systématique. Encore une fois, de très nombreuses études d’événement ont été réalisées sur tous les marchés financiers et sur pratiquement toutes les annonces susceptibles d’être étudiées : annonce de résultats, de dividendes, d’acquisitions, d’émission d’actions ou de d’obligations, de distribution d’actions gratuites ou de division d’actions, etc. La principale difficulté dans ce genre d’études est d’isoler l’événement du flot d’informations véhiculé sur les sociétés et de connaître la date précise où le marché est informé. Afin d’éliminer les différents bruits liés à des cas particuliers on va raisonner sur un grand nombre de titres, dégager une fenêtre d’observation autour de la date d’événement et calculer la réaction du marché à l’aide des rentabilité anormales cumulées (CAR : Cumulative Abnormal Return).
11Si on note Ri, t le taux de rentabilité observé
du titre i pendant la période t (un jour par
exemple) et E(Ri, t ) le taux de rentabilité
espéré, par exemple à l’aide du modèle de
marché ou du MEDAF, la rentabilité anormale, notée ARi, t est définie par la différence des deux taux:
12La plupart des études empiriques ont montré qu’après l’annonce de l’événement, les rentabilités anormales cumulées se stabilisaient rapidement, indiquant que la moyenne des aléas est nulle et qu’en conséquence il n’y a ni sur-réaction ni ajustement retardé. Ces très nombreuses études ont naturellement contribué à renforcer l’idée que les marchés étaient efficients. La popularité de la méthodologie des études d’événement est devenue tellement grande qu’elle est utilisée même par des chercheurs travaillant dans d’autres domaines que la finance (stratégie, GRH, etc.). Le paradoxe dans certains travaux étant que la réaction du marché est considérée comme variable explicative dans des modèles ou les auteurs ne croient que modérément à l’efficience des marchés financiers !
2. Les leçons de l’efficience des marchés
13La force du paradigme de l’efficience des marchés financiers vient non seulement des preuves empiriques fournies par de très nombreux travaux réalisés sur pratiquement toutes les places financières existantes, mais également de la vision de la finance qu’elle permet de dessiner. Avec l’EMH le monde devient plus simple et il est possible de bâtir toute une théorie financière notamment à partir d’un raisonnement d’arbitrage. C’est ainsi qu’ont pu être dérivés les célèbres propositions de Modigliani et Miller sur la structure financière (1958) et la politique de dividende (1961) de la firme, ou encore le modèle d’option de Black et Scholes (1973) pour ne citer que ces deux éminentes contributions [5].
14Enfin, l’EMH est bien utile à tous les chercheurs qui veulent étudier les « réactions » du marché à l’annonce d’opérations grâce à la méthodologie largement éprouvée des « études d’événement ». À noter que cette méthodologie est non seulement utilisée pour étudier l’impact d’opérations financières comme les fusions-acquisitions, les augmentations de capital, l’émission de dettes, le versement de dividendes, le rachat d’actions, etc. mais également pour des décisions comme le remplacement des dirigeants, l’annonce d’un plan de licenciement, etc. C’est bien parce que les marchés sont supposés efficients qu’on va pouvoir attribuer un contenu informationnel à l’annonce qui est faite.
15Dans leur ouvrage, qui est devenu une véritable référence pour tous les professeurs et étudiants en finance, Richard Brealey et Stewart Myers (1981), présentent en six leçons les implications de l’efficience des marchés pour les gestionnaires financiers.
Les marchés n’ont pas de mémoire
16L’efficience de forme faible nous enseigne que les cours passés et leurs variations ne contiennent aucune information sur les cours futurs. En d’autres termes que l’analyse des cours passés ne permet pas de prévoir le futur. Pourtant, on peut observer que les gérants de portefeuille et les dirigeants d’entreprises ne se comportent pas toujours de la sorte. Par exemple, ils rechignent à émettre des actions lorsque les cours ont bien baissé; ils ont tendance à attendre un rebond sur la base des cours anciens. A contrario, on observe que les émissions de titres ont tendance à se faire dans des périodes de marchés « hauts », comme si on pouvait profiter aussi facilement d’une « surévaluation ».
Vous pouvez faire confiance au cours de Bourse
17Sur un marché financier efficient les investisseurs peuvent faire confiance au marché pour évaluer correctement les actions des sociétés dans la mesure où toute l’information disponible est intégrée dans les cours. Cela signifie que, sur longue période, il n’est pas possible pour un gérant de portefeuille de faire des performances ajustées pour le risque systématiquement supérieures au marché. De même, le travail d’analyse financière et d’évaluation ne peut être qu’un exercice coûteux qui ne produit aucun bénéfice. Tout au plus, comme l’ont montré Grossman et Stiglitz (1980), les revenus de ce travail ne peuvent au plus que couvrir les frais engagés.
Il n’existe pas d’illusions financières
18Selon l’EMH, seuls les cash-flows futurs comptent pour évaluer l’entreprise : les investisseurs ne sont pas dupes des manipulations comptables visant à « gérer » le résultat. Cette conséquence devrait réjouir tous ceux qui craignent d’être les victimes de telles manipulations comptables. De même, certaines opérations financières comme les rachats d’actions ou les distributions d’actions gratuites ne sont pas susceptibles de créer de la valeur.
Faites vous-même vos arbitrages ou votre diversification
19Sur un marché efficient, il n’existe pas de prime de rentabilité pour des montages que les investisseurs peuvent faire eux-même. Par exemple, le fait qu’une firme soit diversifiée ne peut pas lui permettre d’offrir une meilleure rentabilité (ou valorisation) que si elle ne l’était pas dans la mesure où les investisseurs peuvent très bien dupliquer cette diversification eux-même. Ainsi, la prime à la diversification n’existerait pas et cela explique pourquoi le marché préfère des firmes « pures » (c’est-à-dire opérant sur un secteur d’activité bien défini). Le raisonnement est identique pour la prime à l’endettement ou l’effet de levier en absence d’avantage fiscal alloué à une source de financement (généralement la dette à travers la déductibilité des frais financiers).
Les actions sont de parfaits substituts entre elles
20Puisque tous les investisseurs bénéficient des mêmes informations et que seul le couple rentabilité-risque compte, personne ne voudra d’une action qui aurait une prime de risque inférieure à celle des autres titres (et inversement). Son prix s’ajustera donc en fonction de cette prime et non par équilibrage d’une offre et d’une demande. Cette demande (très) élastique pour les titres fait que la vente de blocs importants d’actions ne doit pas entraîner de baisse de valeur sur un tel marché; tout au moins tant que l’on peut convaincre les autres investisseurs que cette vente n’est pas motivée par une information privée.
Apprenez à déchiffrer les données du marché
21Si les marchés intègrent toute l’information disponible, les cours de Bourse et d’une façon générale toutes les données produites par les marchés (taux d’intérêts, taux de change, options, futures, etc.) peuvent nous donner des indications précieuses sur le futur des entreprises ou des pays. En fait, ce sont les meilleurs indicateurs pour asseoir une décision. Ainsi, l’évolution du cours des actions et des obligations nous renseigne autant (et même mieux) que les informations comptables sur l’avenir de l’entreprise dans la mesure où d’une part, la valeur de marché a intégré ces données comptables et que d’autre part, le marché va prendre en compte d’autres variables externes à l’entreprise (évolution des taux d’intérêt, taux de change, prix des matières premières, etc.).
II. – LAREMISE EN CAUSE DE L’EFFICIENCE DES MARCHÉS FINANCIERS
22La remise en cause du paradigme de l’efficience des marchés financiers s’est nourrie de la mise en évidence de phénomènes constituants des « anomalies » par rapport aux préceptes de la théorie et d’une contestation plus radicale des hypothèses de comportement des investisseurs et de leur rationalité. C’est à partir du début des années 1980 que des résultats empiriques ont commencé à jeter un doute sur l’hypothèse d’efficience des marchés (EMH). Ces observations ont été qualifiées d’anomalies dans la mesure où les chercheurs avaient du mal à expliquer leur existence. Ces anomalies ont contribué à ébranler chez certains chercheurs la confiance dans l’EMH. L’attaque la plus radicale se trouve aujourd’hui chez les tenants de la finance comportementale.
1. La mise en évidence des anomalies
23Il existe aujourd’hui un très grand nombre de travaux empiriques qui ont mis en évidence des anomalies par rapport aux enseignements de la théorie de l’efficience des marchés financiers. Faire une revue exhaustive de ces recherches dépasse le cadre de cet article. C’est la raison pour laquelle nous nous en tiendrons qu’à une liste limitée de ces anomalies; l’objectif étant de montrer que la théorie de l’efficience n’a pas été épargnée par les chercheurs en finance et que ceux-ci n’ont eu de cesse de traquer les écarts entre l’EMH et les données du marché.
Les effets saisonniers et l’effet petite firme
24En 1981, Banz publiait un article mettant en évidence un « effet petite firme » : les taux de rentabilité observés sur les petites capitalisations étaient en moyenne supérieurs à ceux des grandes. Cette observation constituait de toute évidence une anomalie par rapport à l’EMH. Mais est-il possible de profiter de cet effet ? Si l’on tient compte des coûts de transaction liés aux opérations d’achat-vente d’actions peu liquides, il semble que la réponse soit négative. Du reste, tous ceux qui ont voulu exploiter réellement cet effet petite firme, n’ont pas gagné systématiquement plus que le marché ajusté pour le risque.
25De nombreux chercheurs ont mis en évidence des effets saisonniers dans les taux de rentabilité des actions. C’est ainsi que French (1980), Gibbons et Hess (1981) ont trouvé des différences statistiquement significatives entre les rentabilités des jours de la semaine. Selon ces auteurs, l’effet week-end se traduirait par des taux de rentabilité moyens négatifs le lundi et positifs en fin de semaine. Ainsi, un investisseur qui achèterait des actions à la clôture du lundi et les revendraient le vendredi à la clôture pourrait gagner systématiquement de l’argent. Cependant, il apparaît que cette stratégie (observée sur le passé) ne permet pas de couvrir les coûts de transaction.
26Un autre effet saisonnier a été constaté à l’échelle de l’année. Il s’agit de l’effet janvier. Selon cet effet, les rentabilités obtenues en janvier seraient plus élevées que celles des autres mois de l’année; plus particulièrement pour les petites capitalisations. Diverses explications, plus ou moins convaincantes, ont été avancées pour expliquer ce phénomène. Mais la question essentielle est toujours la même : aurait-il été possible de profiter de cet effet pour faire systématiquement des profits anormaux ? Outre le fait que cet effet a eu tendance à s’atténuer avec le temps (du fait de l’apprentissage du marché ?), il semble que, là encore, la réponse soit négative compte tenu des coûts de transaction et de la moindre liquidité des titres concernés.
L’impact de l’incorporation d’un titre dans les indices
27Chacun peut constater l’importance que les grands indices (S&P500, Dow Jones, CAC 40, etc.) ont pris pour les investisseurs. Cet attrait pour les indices a été renforcé par la gestion dite indicielle, c’est-à-dire le fait qu’un gérant cherche à reproduire la performance d’un indice. Il n’est donc pas étonnant de constater que lorsqu’un titre fait son entrée dans un indice (ou en sort) son cours bénéficie d’une hausse (baisse). Selon Schleifer (1986) cette hausse peut atteindre 3 % et ce constat se trouve en contradiction avec l’hypothèse d’efficience des marchés qui nous enseigne que les actions sont de parfaits substituts entre elles. Et puis comment justifier sur la base des fondamentaux d’une entreprise que sa valeur augmente avec son incorporation dans un indice ?
Les introductions en Bourse
28Les introductions en Bourse (Initial Public Offerings ou IPO) constituent également un terrain riche pour observer des anomalies. En effet, de nombreuses études, ont mis en évidence le fait que les sociétés introduites pour la première fois sont généralement sous-évaluées. Selon Ibbotson (1975), ce phénomène se traduit par des taux de rentabilité à court terme statistiquement supérieurs au marché. Il serait donc possible de s’enrichir en achetant systématiquement des titres nouvellement introduits. Par contre, il semblerait qu’à long terme (5 ans) les actions des IPO sous-performent par rapport au marché. Ce double phénomène est difficilement explicable par l’EMH. Là encore, de nombreuses explications ont été fournies pour justifier une sous-évaluation à l’introduction : volonté des dirigeants de réussir l’opération en affichant un prix attractif, engouement systématique des investisseurs pour ces opérations, etc.
L’excès de volatilité
29Shiller (1981,1984) a été l’un des premiers à s’intéresser à l’excès de volatilité des marchés. Pour démontrer sa proposition il a cherché à voir si les variations de dividendes – principale variable censée expliquer la valeur des actions dans la théorie traditionnelle – pouvaient expliquer les fluctuations des cours des actions. Pour cela il a étudié la relation entre la variance des prix de marché et la variance de la valeur fondamentale des actions. La valeur fondamentale est calculée à partir de la chronique des dividendes passés en utilisant le célèbre modèle de Gordon-Shapiro. Shiller montre ainsi que la volatilité des prix de marché est en fait très largement supérieure à celle de la valeur fondamentale, ce qui montrerait l’excessive volatilité des marchés et leur comportement irrationnel. Cette excès de volatilité des cours par rapport à la valeur fondamentale a relancé la controverse sur l’efficience des marchés et leur rationalité.
30Comme Albouy et Dumontier (1992) le font remarquer, l’argumentation de Shiller est cependant contestable et insuffisante pour prouver l’inefficience et l’irrationalité du marché. Au-delà des critiques d’ordre statistique, l’intuition fondamentale qui justifie la plus grande régularité de la courbe des prix calculés est qu’elle représente la valeur actuelle des dividendes connus expost tandis que les cours représentent la valeur actuelle des dividendes anticipés. Ainsi, une modification du dividende courant implique une révision de toute la série des dividendes anticipés et donc un impact important sur les cours observés. Il en est de même pour une révision du taux d’actualisation. En revanche, la courbe des prix calculés utilisant, par construction, la connaissance parfaite des dividendes expost n’intègre aucune révision des anticipations ce qui a nécessairement pour conséquences une volatilité moins forte des prix.
2. L’apport de la finance comportementale
31Dans les années 1990, les discussions scientifiques sur l’efficience des marchés s’éloignèrent des analyses économétriques sur les séries temporelles des cours, des dividendes et des bénéfices pour se concentrer sur le développement de modèles utilisant des variables psychologiques en relation avec les marchés financiers. Confortée par la mise en évidence de nombreuses anomalies, la finance comportementale commençait à acquérir sa reconnaissance académique. À partir de 1991, Richard Thaler et Robert Shiller entreprirent une série de conférences sur la finance comportementale et de nombreux séminaires suivirent. Des ouvrages réunissant les travaux menés dans ce domaine commencèrent à être publiés comme celui de Shleifer (2000), ceux de Shefrin (2000,2001) et ceux de Thaler (1993,2003).
32Suivant l’argumentation développée par Shiller (2002) il est possible de montrer l’apport de la finance comportementale pour comprendre le fonctionnement des marchés à l’aide de deux axes de recherches : les modèles de feedback et les obstacles à l’argent intelligent ou smart money. Mais avant de discuter ces arguments il convient de présenter ce qui est considéré comme étant au cœur du comportement irrationnel des acteurs du marché, à savoir leurs sur et sous-réactions.
Les sur et les sous-réactions des marchés
33Un des premiers articles consacré aux anomalies de rentabilité des actions à long terme des actions est celui de DeBondt et Thaler (1985). À la question posée dans le titre de leur article « les marchés sur-réagissent-ils ? », ils répondent par l’affirmative. À l’appui de leur démonstration, ils montrent qu’en classant sur des périodes de trois à cinq ans les actions cotées sur le NYSE selon leurs performances, les gagnants sur le passé ont tendance à devenir les perdants sur le futur et vice versa. Pour battre le marché à long terme il suffirait donc d’acheter les titres ayant sous-performé et de vendre ceux qui ont surperformé.
34Selon DeBondt et Thaler ce phénomène serait dû à la sur-réaction des investisseurs. En formant leurs anticipations, ils attribueraient trop d’importance aux performances passées des sociétés et pas assez au fait que les performances tendent à se retourner. Cette sur-réaction à l’information passée serait conforme aux prédictions de la théorie de la décision comportementale (Behavioral decision theory) de Kahneman et Tversky (1982). D. Kahneman, psychologue de formation et prix Nobel d’économie, a démontré que les individus se comportent systématiquement de manière moins classique que les financiers classiques ne le pensent. Comme le souligne J. Stiglitz, un autre prix Nobel d’économie, « ses travaux montrent non seulement que les individus agissent parfois différemment des prédictions théoriques économiques standard, mais également qu’ils le font régulièrement, systématiquement, et d’une manière qui peut être comprise et interprétée au travers d’hypothèses différentes qui entrent en compétition avec celles utilisées par les économistes traditionnels ».
35Dans la même veine, Lakonish, Shleifer et Vishny (1994) montrent l’intérêt d’une stratégie contraire à l’évolution du marché en se fondant sur l’étude des ratios comme le bénéfice par action sur cours (BPA/P), le cash-flow/capitalisation boursière, et le ratio de la valeur comptable de la firme sur sa valeur de marché. Ils préconisent d’acheter les valeurs ayant des ratios élevés (donc des valeurs « sous-évaluées »), de les conserver pendant cinq années et de les vendre lorsque ces ratios deviennent faibles. Ainsi la stratégie consistant à acheter des titres délaissés (value stock) dégagerait de meilleures performance à long terme que celle consistant à acheter les titres à la mode (glamour stock). Les raisons de cette stratégie gagnante s’expliqueraient, selon Lakonish, Shleifer et Vishny, par le fait que les investisseurs auraient tendance à surestimer, à partir des bonnes performances passées, les performances futures des firmes glamourpar rapport à celles qui sont délaissées.
36Mais d’autres travaux ont également montré qu’à court terme, les marchés avaient tendance à prolonger les tendances. Ainsi, Jegadeesh et Titman (1993) montrent avec une méthodologie très sophistiquée, utilisant également des portefeuilles de gagnants et de perdants constitués sur des périodes de seulement six mois, que des rentabilités anormales apparaissent. En effet, pendant les sept premiers mois suivants la constitution des portefeuilles, les rentabilités des portefeuilles de winners sont supérieures à celles des loosers, puis curieusement le phénomène s’inverse. Il serait donc possible d’extrapoler le rendement des actions dans la mesure où celles qui ont offert la meilleure performance sur six mois continueraient à offrir des taux de rentabilité supérieurs dans les sept mois suivants.
37Pour les tenants de la finance comportementale, ces résultats tendent à accréditer la thèse de l’inefficience des marchés financiers et leur incapacité à attribuer une « vraie » valeur aux actions. En effet, sur un marché efficient, les investisseurs ne peuvent pas se tromper systématiquement et dans le même sens. Or, le fait que les investisseurs attribuent un poids trop important au passé peut être source de sur ou de sous-réactions.
Les modèles de rétroaction (feedback)
38Qui n’a pas été tenté d’acheter des actions lorsque les cours montent afin de profiter de la hausse ? Quand les prix montent, enrichissant ceux qui ont acheté, la rumeur se répand par les médias, le « bouche à oreille » fonctionne et d’autres investisseurs se mettent à acheter entretenant ainsi la hausse. Un feedback positif se met alors en place. L’important à ce stade n’est plus de savoir si l’action est à son juste prix – sa valeur fondamentale – mais d’anticiper ce que les autres vont faire. La hausse entretient alors la hausse et le marché se déconnecte de la réalité économique. Afin de justifier les prix atteints, comme lors de la bulle des valeurs technologiques en 2000, les zélateurs [6] parlent alors de « nouvelle ère » ou de nouveaux modèles d’évaluation. C’est ainsi que les justifications les plus sophistiquées (par exemple les modèles d’options appliquées aux valeurs internet) comme les plus simples (par exemple la valeur d’un abonné potentiel pour un évaluer une entreprise de télécommunication) sont avancées. Le marché ayant raison, il doit bien exister une raison à la hausse. Si le feedback n’est pas interrompu il va se former une « bulle » spéculative. La hausse des cours, entretenue seulement par des anticipations sur les prix futurs, arrive tôt ou tard à un niveau insoutenable et la bulle explose.
39Cette théorie du feedback est très vieille, même si elle est peu citée dans les manuels de finance. La spéculation sur les tulipes dans les années 1630 en Hollande est un exemple célèbre de ce mécanisme de feedback. Curieusement, il semble que jusqu’à une époque récente, ce phénomène n’ait pas reçu toute l’attention qu’il méritait de la part des chercheurs. Pourtant l’existence du feedback est supportée par des expériences psychologiques. Shiller cite ainsi les travaux d’Andreassen et Kraus (1988) qui montrent que lorsqu’on montre des séquences historiques de cours à des personnes invitées à négocier sur des marchés simulés, elles tendent à se comporter comme si elles extrapolaient les variations de cours passées quand les chroniques de cours font apparaître une tendance.
40Daniel, Hirschleifer et Subramanyam (1998) montrent comment le principe du biais de « self attribution » peut renforcer le mécanisme du feedback. Le biais de self attribution est un comportement humain qui consiste pour un individu à attribuer à sa propre compétence les événements futurs qui confirment les décisions prises et à attribuer à la mauvaise chance les événements qui les infirment. C’est ainsi que pendant l’euphorie des valeurs internet en 1998-2000, la hausse entretenait la hausse et que les zélateurs expliquaient à qui voulaient le croire qu’on était entré dans une « nouvelle économie » et que les modèles classiques d’évaluation n’étaient plus d’actualité. La hausse des cours et l’enrichissement spectaculaire des premiers investisseurs leur donnaient raison. Les investisseurs intelligents (smart money), n’arrivaient plus à se faire entendre et ce d’autant plus que beaucoup d’entre eux n’avaient pas pris le train de hausse et que leurs mauvaises performances ne plaidaient pas en leur faveur.
41L’éclatement de la bulle des valeurs technologiques et la chute des cours qui s’en suivit après 2000 est bien évidement un épisode fort intéressant pour les tenants de l’école comportementale. Shiller (2002) fait ainsi remarquer à partir des indices de confiance produits par la Yale School of Management que le pourcentage d’investisseurs anticipant une hausse du marché au cours de l’année suivante, et un rebond suite à une baisse, avait considérablement augmenté sur la période 1989-2001. Ainsi en avril 2000, l’indice de confiance des investisseurs individuels était de 76,4 et en juillet 2001 il était à 90,0. Au début de 2002, environ 90 % des investisseurs individuels anticipaient une hausse du marché pour les 12 mois à venir… Comme pour la bulle spéculative des tulipes en Hollande dans les années 1630, Shiller fait remarquer que les gens au moment de la bulle internet parlaient d’une nouvelle économie qui allait propulser les cours toujours haut. Ainsi les médias expliquaient à cette époque que la valorisation des entreprises de cette nouvelle économie ne pouvait se faire avec les outils traditionnels de la finance et justifiaient ainsi les cours « exubérants » des start-up. La figure 1 représente l’évolution de l’indice de confiance des investisseurs pour l’année à venir publié par l’université de Yale. La figure 2 représente l’indice de confiance dans l’évaluation du marché. Ces graphiques nous renseignent sur l’état d’esprit des investisseurs.
INDICE DE CONFIANCE DES INVESTISSEURS À UN AN
INDICE DE CONFIANCE DES INVESTISSEURS À UN AN
INDICE DE CONFIANCE DANS L’ÉVALUATION DU MARCHÉ
INDICE DE CONFIANCE DANS L’ÉVALUATION DU MARCHÉ
42Comme le montre le graphique 2, la confiance dans l’évaluation du marché a décliné de 1989 à 1999, aussi bien pour les institutionnels que pour les investisseurs individuels. Cette baisse tendancielle s’est renversée après le sommet atteint par le marché en 2000 et la confiance est rapidement revenue au niveau des années 1990. À la suite de l’attentat du 11 septembre et de l’affaire Enron, la confiance dans l’évaluation du marché a évoluée différemment entre les deux groupes d’investisseurs (institutionnels et individuels). Depuis le plus bas du marché en octobre 2002 la confiance a déclinée pour les investisseurs individuels et augmentée pour les institutionnels.
43Le mécanisme du feedback serait, selon les tenants de l’efficience des marchés, contradictoire avec la marche aléatoire des cours boursiers. Tel n’est pas l’avis de Shiller (2002) qui estime que la marche aléatoire des cours journaliers n’est pas incompatible avec un comportement qui consiste à suivre les tendances sur longue période. Les investisseurs pris dans un tel mécanisme de feedback positif pouvant très bien acheter même si le cours du jour a baissé sur celui de la veille.
Le match entre les investisseurs intelligents et les autres
44L’idée que tous les intervenants sur les marchés soient des individus rationnels, cherchant à maximiser leur couple rentabilitérisque à l’aide de modèles d’optimisation stochastique ou autres est naturellement une vision insoutenable de la réalité des marchés. Même si on peut penser qu’il existe des investisseurs intelligents et rationnels (smart money), il est difficilement contestable que tous ne le sont pas. La question est alors qui des investisseurs intelligents (ou sophistiqués) et des autres (supposés ordinaires et irrationnels) va faire la loi sur le marché et donc les prix ? La théorie financière, jusqu’à présent, expliquait que du fait de l’efficience des marchés les investisseurs irrationnels étaient condamnés à disparaître. En effet, ces intervenants agissant de façon trop optimiste (ou pessimiste) achètent (ou vendent) quand les investisseurs intelligents font l’inverse. Comme normalement la vraie valeur est celle attribuée par la smart money les investisseurs ordinaires vont perdre. À terme, ils doivent disparaître et sont remplacés par de nouveaux intervenants également ordinaires.
45Le problème c’est que ce mécanisme vertueux [7] peut très bien ne pas fonctionner et il n’est pas certain que l’action de la smart moneyfasse converger les cours des actions vers leur valeur fondamentale. Il est par exemple possible que l’action des investisseurs sophistiqués amplifie au contraire les effets des investisseurs ordinaires obéissant à un mécanisme de feedback positif comme De Long, Shleifer, Summers et Waldman (1990) le montrent. L’idée est que les investisseurs intelligents peuvent acheter en amont des autres en anticipant la hausse qu’ils vont entraîner. Ainsi, même l’action des investisseurs sophistiqués est de nature à pouvoir amplifier les variations de cours.
46Un autre aspect du match entre les investisseurs intelligents et les autres est le fait que la smart money peut être mise hors jeu : seuls les zealots (zélateurs) participent alors au marché, avec toutes les conséquences qui peuvent s’ensuivre en matière de valorisation. C’est notamment le cas lorsque les investisseurs intelligents ne peuvent vendre de titres car ils n’en possèdent plus et qu’il leur est impossible de vendre à découvert. Dans cette situation, même si les investisseurs intelligents estiment que les cours sont ridiculement hauts, ils ne sont plus en mesure de ramener le marché vers la raison en vendant comme il est d’usage. Les prix ne dépendent plus alors que des zélateurs censés être irrationnels dans leur appréciation de la valeur des actions sur lesquelles ils se sont focalisés. L’histoire récente des valeurs internet illustre bien ce phénomène pendant les années 1998-2000. Lamont et Thaler (2003) citent le cas de la vente de Palm par 3Com qui se situe presque au sommet de la bulle. En mars 2000,3Com, une société de service informatique, a introduit en Bourse sa filiale Palm, un producteur d’ordinateurs de poche, en mettant sur le marché 5 % des titres. 3Com annonça au même moment sa volonté de vendre la totalité ultérieurement. Le prix que le marché attribua aux 5 % d’actions Palm introduites sur le marché fut tellement élevé que la valeur des 95 % restant était supérieure à la capitalisation totale de 3Com. Ainsi, la valeur des actifs de 3Com, autres que ceux de la filiale Palm, était négative. Puisqu’au terme de l’opération (la vente totale des actions Palm) le pire était que la valeur de 3Com soit nulle, il était clair qu’il fallait acheter des actions 3Com et vendre à découvert Palm. Mais le taux d’intérêt correspondant à l’emprunt d’actions Palm atteint 35 % en juillet 2000, limitant ainsi l’avantage procuré par l’exploitation de la mauvaise évaluation du marché (mispricing). Même les investisseurs qui savaient que les actions Palm baisseraient considérablement ultérieurement ne pouvaient tirer profit de cette connaissance. Les options de vente (put) sur Palm devinrent tellement coûteuses que la relation d’arbitrage bien connue entre le prix des options et des actions ne tenait plus. Pendant cette période, les zealots eurent le contrôle des cours de Palm.
47Selon Lamont et Thaler (2003) deux conclusions peuvent être tirées de cette étude clinique sur Palm. Premièrement, la loi du prix unique est violée. Deuxièmement, cette situation n’a pas donné lieu à des opportunités d’arbitrages du fait du coût élevé des ventes à découvert. En d’autres termes, l’hypothèse de la non existence du « repas gratuit » (free lunch) sur un marché efficient subsiste, mais pas celle du juste prix : le marché peut se tromper dans son évaluation.
48L’exemple de Palm est naturellement un cas extrême d’anomalie. Il illustre néanmoins bien cette idée que le marché puisse être gouverné, à un moment donné, par des investisseurs irrationnels. Comme par ailleurs la notion de valeur fondamentale d’une action est difficile à mesurer, si en même temps les possibilités d’arbitrage sont limitées (par exemple par des restrictions sur les ventes à découvert), on peut comprendre comment le marché peut attribuer des valeurs déconnectées de la réalité (mispricing) du fait du comportement des investisseurs irrationnels et/ou trop optimistes. Parmi les questions, que cette étude clinique soulève, se trouve la généralisation du phénomène observé : dans quelle mesure le cas de Palm (et de quelques autres valeurs internet) est représentatif de la grande majorité des sociétés cotées ? Peut-on à partir de quelques cas emblématiques rejeter l’hypothèse d’efficience des marchés ?
Des comportements d’investisseurs non conformes à la théorie
49Depuis plusieurs années, les chercheurs se sont penchés sur les comportements des investisseurs qui apparaissent comme non conformes, ou déviants, par rapport à ce que la théorie préconise (voir notamment Barberis et Thaler (2002) et Daniel, Hirschleifer et Teoh (2002) pour une revue de la littérature). C’est ainsi que de nombreux comportements non conformes ont été mis en évidence, jetant ainsi un doute sur la capacité du marché à bien fonctionner. Nous nous limitons volontairement à trois comportements que chacun peut observer en regardant autour de soi et à une étude récente.
- La difficulté à réaliser ses pertes (disposition effect) : ce comportement se traduit par une tendance relativement répandue chez les investisseurs à repousser leurs ventes de titres sur lesquels ils ont perdu dans l’espoir qu’ils récupéreront leurs pertes dans le futur. Cet effet de disposition peut s’expliquer par la théorie des perspectives développée par Kahneman et Tversky (1979) sur les fonctions d’utilité qui devraient être définies non par rapport au niveau absolu de richesse mais par rapport aux pertes et aux gains (les variations potentielles de richesse).
- Des portefeuilles insuffisamment diversifiés : selon French et Poterba (1991) les investisseurs, en général, concentrent leurs portefeuilles sur les actions des entreprises de leur pays au lieu de diversifier internationalement leurs avoirs. Cet effet de préférence domestique (home biais puzzle), même s’il peut s’expliquer par un accès plus facile à l’information, montre que les investisseurs ont tendance à investir davantage dans les sociétés qu’ils connaissent et qu’ils ne cherchent pas à maximiser le spectre de leurs possibilités d’investissement et à bénéficier des avantages de la diversification internationale que peut leur offrir les marchés financiers. Ce biais est également présent dans les plans d’épargne en actions des employés qui ont tendance à surpondérer les titres de leur entreprise. Cependant, des travaux montrent que plus le montant des avoirs détenus est élevé et plus la diversification internationale est utilisée.
- Des investisseurs frénétiques : avec la possibilité pour chaque internaute de se livrer à des achats et des ventes d’actions en ligne, on a pu constater l’apparition de nombreux day traders. Odean (1999) a ainsi trouvé un taux de rotation moyen mensuel des portefeuilles de 6,5 % pour un échantillon d’investisseurs en ligne. Selon ses calculs les transactions de ces clients ne couvrent pas les coûts de transaction et en moyenne ils font moins bien que le marché. Bien que cette observation va plutôt dans le sens de l’hypothèse de l’efficience, on peut légitimement se demander pourquoi on observe de tels comportements ? Dans quelle mesure leur comportement frénétique n’est pas susceptible de peser sur la capacité du marché à évaluer correctement les titres ? On rejoint ici les questions soulevées avec la smart money.
- Des gérants habiles : Baker, Litov, Wachter et Wurgler (2004) ont testé la capacité des gérants de fonds à sélectionner les titres en comparant leurs portefeuilles et leurs transactions avant la publication des résultats des sociétés avec les rentabilités réalisées au moment de ces événements. Selon leurs auteurs cette approche éviterait le problème du test de l’hypothèse jointe que l’on rencontre dans les études des performances à long terme des fonds d’investissement. Les résultats obtenus confirmeraient l’hypothèse d’une gestion « habile » de la part des gérants. En moyenne, les actions que les gérants achètent avant l’annonce des résultats affichent une meilleure rentabilité que ceux qu’ils vendent. De plus, le phénomène serait persistant dans le temps et les fonds qui fonctionneraient mieux seraient ceux qui ont des objectifs de croissance, une taille importante, une rotation élevée et utiliseraient des stimulants financiers (incentives) pour motiver les managers.
CONCLUSION : LES LIMITES DE LACONTESTATION DE LA THÉORIE DE L’EFFICIENCE
51Aucune théorie ne peut rendre compte en totalité de la réalité observée, surtout lorsque celle-ci est constituée de milliers, voire de millions, de données comme les cours de Bourse; données que chacun peut disséquer et analyser sur le passé, surtout grâce à la puissance de calcul des ordinateurs et des tests statistiques. La théorie de l’efficience n’échappe pas à cette règle. À force d’étudier dans tous les sens les variations de cours et de traquer les écarts avec la théorie, il n’est pas étonnant que des « anomalies » aient été mises en évidence. Ces résultats sont à mettre au crédit de la communauté des chercheurs en finance qui loin de se contenter des nombreux résultats en faveur de l’EMH, ont cherché à mettre en question la théorie dominante.
52Suite aux nombreuses « anomalies » observées sur les marchés financiers concernant l’EMH, un certain nombre de chercheurs regroupés dans le courant de la finance comportementale ont suggéré qu’il était temps d’abandonner le paradigme de l’investisseur rationnel qui fonde la théorie de l’efficience.
53Les « comportementalistes » (behavioristes) soutiennent l’idée que les corrections de prix des actions et les cycles boursiers reflètent les biais systématiques dans le traitement des informations par les investisseurs. Ces derniers sont supposés donner trop d’importance à l’information actuelle comme l’annonce des résultats ou des dividendes et pas assez aux perspectives à long terme des entreprises. En d’autres termes, les investisseurs seraient myopes, les cours de Bourse ne refléteraient pas la vraie valeur des entreprises et en conséquence le marché serait un processus inefficient d’allocation des ressources dans l’économie. Comme on peut s’en rendre compte, la remise en cause de l’EMH n’est pas sans conséquences. Mais, c’est une chose de constater des anomalies et c’en est une autre de proposer une théorie alternative qui permette de mieux « expliquer » le fonctionnement des marchés et de dériver des règles de gestion.
54Faut-il donc « jeter le bébé avec l’eau du bain » ou en d’autres termes : peut-on encore croire à l’efficience des marchés financiers ? La question essentielle, à nos yeux, est de savoir si la théorie de l’efficience explique raisonnablement le fonctionnement des marchés financiers et si d’autres explications, ou modèles, permettent d’avoir une meilleure représentation du monde. Selon Fama (1998), même si la littérature scientifique en finance semble mettre en évidence des anomalies en matière de taux de rentabilité à long terme, ces résultats ne remettent pas en cause l’efficience des marchés et ne permettent pas de rejeter cette hypothèse. C’est ainsi que le fait que l’on puisse constater aussi bien des sur-réactions que des sous-réactions du marché est un argument en faveur de l’efficience selon ce professeur émérite. Par ailleurs, selon Fama, les preuves scientifiques contre l’EMH en provenance des études sur les taux de rentabilité à long terme sont fragiles. Il semblerait que les anomalies soient essentiellement dues à des illusions méthodologiques.
55Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la remise en cause de l’EMH par les partisans de la finance comportementale n’a pas soulevé de difficultés majeures, et d’une certaine façon ce sont les tenants de l’efficience qui apparaissent aujourd’hui sur la défensive. Il semble qu’après avoir épousé la cause de l’efficience des marchés, les chercheurs se sont détournés de ce paradigme et ont mis leur expertise au service de l’hypothèse opposée. D’une certaine façon, cette critique de l’EMH arrange bien tous ceux qui font profession de gagner de l’argent sur les marchés, de gérer des portefeuilles pour autrui ou de conseiller leurs clients en matière d’investissement. L’idée que des marchés efficients éliminent les gains faciles liés à des stratégies d’investissement (par exemple : moyennes mobiles, chartisme, etc.) ou à des arbitrages plus ou moins sophistiqués, n’est jamais très populaire chez les professionnels et même chez les étudiants en finance. En effet, si les prix intègrent correctement toute l’information disponible, alors pourquoi faire des analyses financières approfondies ? Pourquoi chercher à évaluer par des méthodes plus ou moins sophistiquées la « vraie » valeur de l’entreprise ? Si l’on ajoute à cela la méfiance populaire envers les marchés et leur fonctionnement incompréhensible on comprend l’engouement pour cette nouvelle avenue de recherche.
56De notre point de vue, et même si l’approche développée en finance comportementale apporte des éclairages intéressants sur les limites de l’EMH, la théorie de l’efficience reste, malgré tout, un solide repère. L’argument en faveur de l’hypothèse des marchés financiers qui nous semble le plus fort reste néanmoins le fait que les gérants professionnels n’arrivent pas à battre systématiquement le marché malgré tous les moyens d’analyses statistiques mis en œuvre. Encore récemment, une étude sur les performances de gérants français montrait que les Sicav et les fonds communs de placement investis en actions internationales réalisaient dans leur ensemble des performances inférieures à celles de leurs indices de référence. Le journal Les Echos (du 22 avril 2005) titrait : « Les gérants sont à la peine » et expliquait que d’un mois sur l’autre la donne s’était inversée : « Alors qu’en février 2005 les fonds investis en actions internationales collaient à la tendance de l’indice MSCI World, au 31 mars 2005 ceux-ci décrochent de leur indice pour ne plus afficher un gain de 3,2 %. De son côté, l’indice des actions mondiales progresse de 5 % sur un an ». Ainsi le corollaire de l’efficience, à savoir qu’il est impossible de battre systématiquement le marché semble encore tenir et c’est vraisemblablement l’argument le plus fort en faveur de l’hypothèse de l’efficience des marchés. Certes des « anomalies » ont été mises en évidence, mais outre le fait que ces anomalies tendent à disparaître avec le temps, il semble bien qu’il soit impossible d’en tirer profit une fois pris en compte, notamment, les frais de transactions afférents à de telles stratégies.
57La finance comportementale est-elle la bonne réponse à la question de l’efficience des marchés ? Oui et non serions nous tentés de répondre. Oui, parce qu’elle a permis de remettre en question un des fondements de la théorie financière moderne et que ce questionnement ne peut que renforcer nos programmes de recherches. Il est un fait qu’un certain nombre de travaux réalisés par les tenants de ce courant de pensée tendent à interpeller, voire à remettre en cause, l’EMH. Non, dans la mesure où la finance comportementale ne permet pas de construire en l’état actuel une modélisation des prix des actifs financiers. Comme dans tous les modèles scientifiques, l’efficience des marchés (l’hypothèse que les prix reflètent toute l’information disponible) est bien entendu une représentation partielle de la réalité. Mais cette hypothèse permet de construire une théorie et de dériver des règles de gestion. Qu’en est-il de l’hypothèse d’inefficience des marchés ? Selon la démarche scientifique l’EMH ne peut être remplacée que par un meilleur modèle permettant d’expliquer la formation des cours; ce modèle devant être lui-même soumis à l’épreuve des tests empiriques.
58Pour conclure cet article (et non le débat sur l’efficience des marchés que nous espérons nourri à l’avenir) supposons que nous ayons à choisir entre les deux propositions suivantes opposées : 1) les marchés financiers sont parfaitement efficients, 2) les marchés financiers sont totalement inefficients. Quelle serait notre réponse ? Aucune bien sûr, car aucune de ces deux propositions n’est véritablement soutenable. Mais nous rajouterions immédiatement que la vérité est certainement plus proche de la première que de la seconde…
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Les pays concernés étaient : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Grèce, Italie, Hollande, Norvège, Espagne, Suisse, Suède, Royaume-Uni.
-
[2]
Parmi les travaux cités pour la France on retrouve les noms de professeurs bien connus : Albouy, Augros, Bertonèche, Dalloz, Dumontier, Galesne, Hamon, Hawawini, Husson, Jacquillat, Navatte, Solnik, etc.
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[3]
Voir l’article de Hamon (2003) sur l’œuvre scientifique de cet auteur.
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[4]
La multiplicité des études s’explique par l’engouement que ces recherches ont suscité dans la communauté académique et également par la facilité à réaliser de telles recherches à caractère scientifique à partir de données aisément accessibles.
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[5]
Nous pourrions naturellement citer bien d’autres contributions reposant sur le célèbre raisonnement d’arbitrage.
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[6]
Les expressions de zealots (zélateurs) et de smart money (argent intelligent) reviennent souvent dans les textes de R. Shiller.
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[7]
Il est intéressant de noter ici le caractère darwinien du processus de sélection des intervenants sur le marché : seuls les meilleurs survivent.