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Article de revue

James March, une pensée « gestionnaire » au cœur des sciences sociales

Pages 157 à 159

Notes

  • [1]
    Pour une synthèse critique et une bibliographie plus complète, le lecteur pourra se reporter au livre de Thierry Weil, Invitation à la lecture de James March, Paris, Presses de l’École des Mines, 2000.
  • [2]
    Un ouvrage doit paraître à la fin de l’année 2002 qui proposera une sélection plus importante de communications ainsi que les interventions du professeur March et les débats entre participants.
  • [3]
    « Mythes, organisations et changement », interview de James March en collaboration avec G. Garel, Revue Française de Gestion. n° 120, septembre-octobre 1998, pp. 37-42.
  • [4]
    Voir par exemple le numéro 70 sur les apports de l’histoire aux sciences de gestion ou encore le numéro 96 sur les apports des sciences de gestion aux autres disciplines.

1Rationalité limitée, coalitions d’acteurs, modèle de la poubelle, anarchie organisée, ambiguïté et apprentissage organisationnels, autant de mots et de concepts aujourd’hui largement diffusés voire banalisés dans la culture « gestionnaire » des praticiens ou des enseignants-chercheurs. Évolution paradoxale pour la pensée d’un intellectuel que de voir récompenser sont travail par l’oubli relatif de son auteur. C’est l’apanage de ce que l’on appelle communément un « classique ». Appliqué à James March, ce terme se révèle mal adapté tant il renvoie parfois à l’image d’un certain conformisme tranquille et de bon aloi. Au contraire, le parcours du professeur March témoigne de son ouverture intellectuelle et institutionnelle, de son humanisme et fait de lui un enseignant et un chercheur appartenant à une catégorie qui reste encore rare au sein des sciences de gestion.

2Rare d’abord car il a su construire une pensée et des résultats qui dépassent les cloisonnements thématiques ou disciplinaires, pour devenir une référence commune au sein des sciences de gestion.

3Rare ensuite car tout au long de sa carrière d’enseignant, il a su maintenir une pratique de recherche active en étroite relation avec des organisations, leurs acteurs et leurs préoccupations. chemin faisant, il a su mobiliser les cadres épistémologiques et méthodologiques de nombreuses sciences sociales pour les mettre au service de son travail d’investigation sans céder à la puissante attraction de leur légitimité disciplinaire et institutionnelle. S’en inspirant ici, les critiquant là, il a cherché de façon constante à comprendre leurs concepts et leurs outils méthodologiques. Loin de lui l’idée de construire une technologie de la recherche dont la maîtrise constituerait un préalable incontournable ou une condition nécessaire et suffisante à l’obtention d’une rectitude scientifique. Au contraire, sa démarche est destinée à forger progressivement une palette d’outils alternatifs, complémentaires et mobilisables selon les besoins du processus de recherche et les difficultés que doit résoudre le chercheur. Ce dernier est donc amené à construire une sorte de théorie de la contingence appliquée aux méthodes et aux concepts qui remettent en cause au moins temporairement leur soidisant universalité, autrement dit une forme de « prêt à penser et à appliquer ». Ainsi menées, l’autre objectif des recherches scientifiques est d’enrichir les connaissances enseignées et d’en permettre le renouvellement.

4Rare enfin, car, comme en témoignent les hommages regroupés dans ce numéro, bien peu de chercheurs issus des sciences peuvent se prévaloir d’avoir non seulement inspiré leur propre discipline, mais aussi d’être devenus une référence reconnue par des sciences sociales aussi variées que la psychologie, la sociologie, l’économie ou encore les sciences politiques. Sait-on par exemple qu’après un doctorat de sciences politiques fortement teinté d’anthropologie, James March, a enseigné ou occupé des responsabilités dans des départements d’économie, de sociologie, de sciences politiques, de psychologie, de sciences de l’éducation ou qu’il a été doyen de la faculté de Sciences sociales de l’Université de Californie à Irvine ?

5Si les premières œuvres du Professeur March sont maintenant largement diffusées en France, la constatation semble moins vraie pour les travaux postérieurs à ce qu’il est devenu commun d’appeler « le modèle de la poubelle », autrement dit des travaux qui remontent grosso modo au début des années 1970 [1]. Partant de cette constatation, l’IAE de Poitiers a décidé d’organiser en octobre 2001 un colloque autour de cette œuvre et de lui attribuer le Doctorat Honoris Causa de l’Université de Poitiers. Le dossier spécial d’aujourd’hui regroupe certaines des communications présentées alors [2].

6Outre les travaux sur la décision et la dynamique du changement organisationnel, James March a, par exemple, poussé son regard vers l’apprentissage organisationnel, le « knowledge management », l’analyse des mythes du management [3] ou plus récemment encore la gouvernance des institutions politiques, proposant ni plus ni moins qu’un renouvellement de théories institutionnalistes en Sciences politiques.

7Ce parcours professionnel et intellectuel inscrit et revendiqué comme interdisciplinaire depuis le début par James March explique que la Revue Française de Gestion publie une fois encore des contributions issues de plusieurs champs des Sciences Sociales [4]. Tour à tour, le lecteur pourra parcourir les sciences de gestion (Alain-Charles Martinet), la sociologie (Philippe Bernoux), l’économie (Olivier Favereau), les sciences politiques (Yves Schemeil) ou l’histoire de la gestion. La façon dont nos collègues d’autres disciplines mobilisent avec leur propre regard les travaux anciens ou récents du professeur March est stimulante pour la gestion et ouvre de nouvelles perspectives de dialogue. En effet, loin de détourner ces recherches de leur nature « gestionnaire » d’origine, cet autre regard souligne comme dans un miroir la richesse potentielle d’une réinterprétation par d’autres sciences sociales d’un objet – l’organisation ou la gestion de l’action collective et des situations de gestion – souvent présenté comme relevant exclusivement du champ de la gestion. Il est vrai que ces visites de lecteurs « décalés », pourraient apparaître à certains comme inutiles, sub-versives voire dangereuses alors même que le champ des sciences de gestion est encore en construction. Elles correspondent pourtant tout à fait à la posture intellectuelle de James March. Par sa pratique de recherche, ses enseignements et ses prises de position, il a en permanence démontré l’intérêt d’un dialogue entre les sciences de gestion et les autres sciences sociales qui doit permettre à la fois de construire des analyses complémentaires sur des objets identiques ou communs et d’affirmer progressivement les spécificités des unes et des autres. En cela, l’approche du professeur March pousse le lecteur de façon subtile mais avec peu d’échappatoires à une introspection épistémologique et méthodologique. Elle contribue du même coup à un ancrage ferme des sciences de gestion au sein des sciences sociales.

8En définitive, ces allers-retours, ces échanges critiques ne sont possibles que parce que la pensée de James March a pris souche non seulement en gestion, mais au cœur d’autres sciences sociales. C’est maintenant au lecteur de prendre part aux débats et de se faire son propre point de vue.


Notes

  • [1]
    Pour une synthèse critique et une bibliographie plus complète, le lecteur pourra se reporter au livre de Thierry Weil, Invitation à la lecture de James March, Paris, Presses de l’École des Mines, 2000.
  • [2]
    Un ouvrage doit paraître à la fin de l’année 2002 qui proposera une sélection plus importante de communications ainsi que les interventions du professeur March et les débats entre participants.
  • [3]
    « Mythes, organisations et changement », interview de James March en collaboration avec G. Garel, Revue Française de Gestion. n° 120, septembre-octobre 1998, pp. 37-42.
  • [4]
    Voir par exemple le numéro 70 sur les apports de l’histoire aux sciences de gestion ou encore le numéro 96 sur les apports des sciences de gestion aux autres disciplines.
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